43. Les évangiles confrontés aux textes gnostiques Les sources de

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43. Les évangiles confrontés aux textes gnostiques Les sources de
43. Les évangiles confrontés aux textes gnostiques
Les sources de la gnose et des évangiles canoniques sont les mêmes ; seule la
formulation de points essentiels diverge. Les points de convergence les plus
surprenants se trouvent dans l’évangile de Jean et les textes gnostiques de
Thomas.
L’homme surmontera la mort dans le Christ
« En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra
jamais la mort » (Jean 8,51).
« Celui qui parvient à l’interprétation de ces paroles ne goûtera point la mort »
(Thomas 1).
Celui qui garde la parole du Christ ou qui en comprend la signification ne
mourra pas (en esprit). Entre « garder », notion statique, et « parvenir à »,
notion dynamique, il y a un monde : ce sont deux conceptions totalement
différentes de la catéchèse. Le texte de Thomas encourage les hommes à
chercher leur véritable identité, il leur donne la foi nécessaire pour trouver le
chemin qui est le leur. L’approche gnostique est en concordance avec la liberté
de la relation entre Dieu et les hommes. On y retrouve la toute-puissance de
Dieu face au libre-arbitre de l’homme.
Par le Christ, l’homme accomplira les œuvres du Christ.
« Celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais ; et il en fera
même de plus grandes, parce que je vais vers le Père » (Jean 14, 12).
« Que celui qui cherche ne cesse point de chercher jusqu’à ce qu’il trouve :
lorsqu’il trouvera, il sera ému ; et lorsqu’il sera ému, il admirera, et il régnera
sur l’univers ! » (Thomas, 2).
Une fois encore, la différence fondamentale entre ces deux textes réside dans la
situation statique (croire) du premier et l’action dynamique (chercher) du
second.
Christ et l’homme seront un
« Celui qui boira de ma bouche deviendra comme moi ; quant à moi, je
deviendrai ce qu’il est, et ce qui est caché lui sera révélé » (Thomas 112).
« De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de
même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jean 6, 57).
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous
viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (Jean 14, 23).
« Devenir comme Dieu » - voilà bien ce qui fait aujourd’hui encore scandale
dans l’Église catholique. « Quis ut Deus » se lit sur le bouclier de l’archange
Michel ; un homme, un pécheur, jamais ne peut devenir comme Dieu. Ces deux
passages, celui de Thomas (112) et celui de Jean (6, 57), sont étonnamment
proches : l’homme de Thomas devient comme le Christ, l’homme de Jean vivra
par le Père et le Christ qui tous deux l’habitent. Le Christ vit par le Père et
l’homme par le Christ. Nous avons chez Thomas l’identification au Christ et
chez Jean une communauté entre l’homme et le Christ.
La foi : réunir deux en un
« Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de
sénevé, vous direz à cette montagne : Déplace-toi d’ici à là, et elle se
déplacera » (Matthieu 17, 20).
« Lorsque vous ferez que les deux soient un vous deviendrez fils de l’Homme
et si vous dites : ‘Montagne, déplace-toi’ - elle se déplacera. » (Thomas 110) et
ailleurs : « Et si vous faites le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne
soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle, […] alors vous entrerez
dans le [Royaume] ! » (Thomas 27). Comment ne pas penser à Lao Tseu qui
écrit :
« Connais en toi le masculin, adhère au féminin, fais-toi Ravin du monde. Être
Ravin du monde, c’est faire corps avec la Vertu immuable, c’est retourner à la
petite enfance9 » (Lao Tseu, 28).
La confiance ou la foi, qui est une attitude face à la vie, est placée ici en
opposition à l’action – réunir deux en un. Faire que les deux soient un met en
branle un processus de transformation dont la fin reste difficile à saisir. C’est
pourtant ce qui se produit à l’apparition d’une nouvelle vie (fusion d’une cellule
femelle et d’une semence mâle). Thomas (27) et Lao Tseu évoquent
l’androgyne, à la fois homme et femme, royaume et vertu éternelle. L’être
9
Traduction de François Houang et Michel Leyris
humain, de nature dualiste, doit retrouver l’unité. L’origine terrestre et l’origine
divine de l’homme doivent se fondrent en un, l’homme doit passer de la
conscience du moi à la conscience du soi, puis à l’unité dans la conscience
cosmique.
Le royaume de Dieu est en vous
« Le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17, 21)
« Si ceux qui vous entraînent vous disent : ‘voici, le Royaume est dans le ciel !’
- alors les oiseaux y seront avant vous. S’ils vous disent : ‘ il est dans la mer’ alors les poissons y seront avant vous. Mais le Royaume est au-dedans de vous
et il est au-dehors de vous ! » (Thomas 3).
« Le Royaume du Père est répandu sur la terre et les hommes ne le voient
point » (Thomas 117).
Dans ces deux passages, le royaume de Dieu signifie la présence de Dieu, un
lieu où Dieu se manifeste. Mais il existe une différence fondamentale entre être
« au milieu » des hommes ou « au-dedans » de l’homme. L’être humain doit
prendre conscience de l’action de Dieu dans tout processus créatif, de sa
présence invisible, de ce que l’homme, par sa créativité, prend part en
permanence à la création. On peut reconnaître dans la créativité humaine une
manifestation visible de Dieu dans le monde. Par sa créativité, l’homme peut
contribuer à « répandre » le royaume de Dieu sur terre.
« Veillez à ce que personne ne vous égare en disant : ‘Le voici, Le voilà’. Car
c’est à l’intérieur de vous qu’est le Fils de l’Homme. Allez à Lui. Ceux qui Le
cherchent Le trouvent. » (Evangile de Marie).
Jésus est le chemin
« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par
moi » Jean 14, 6).
« Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il
vivra pour toujours. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair [je la donne] pour
la vie du monde » (Jean, 6, 51).
« Celui qui boira de ma bouche deviendra comme moi ; quant à moi je
deviendrai ce qu’il est, et ce qui est caché lui sera révélé » (Thomas 112).
On ne peut venir au Père que par et avec le Christ. Les métaphores utilisées,
celles de la nourriture et de la boisson, ont la même signification : incorporer le
Christ, devenir comme lui, suivre le chemin du Christ et avoir foi en lui. Chez
Jean, l’homme peut obtenir la vie éternelle par le biais de la nourriture, donc du
dehors. Chez Thomas au contraire, l’homme se transforme sur terre, le Christ
prend possession de lui. Ce que Jean propose (après la mort), Thomas le réalise
du vivant de l’homme.
Comment reconnaître les enfants de Dieu ?
« Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ;
comme je vous ai aimé, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous
reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns
pour les autres » (Jean 13, 34-35).
« Si les gens vous demandent : ‘D’où êtes-vous venus ?’ - dites-leur : ‘Nous
sommes venus de la Lumière, du lieu où la Lumière s’est produite […] hors
de lui-même [ou : d’elle-même ?]. Il […] … jusqu’à ce qu’ils manifestent
[…] leur image.’ Si l’on vous dit : ‘Qu’êtes-vous ?’ – dites : ‘Nous sommes
ses fils et nous sommes les élus du Père qui est vivant.’ Si [les gens] vous
demandent : ‘Quel signe de votre Père est en vous ?’ – dites-leur : ‘C’est un
mouvement et un repos » (Thomas 55).
On reconnaîtra les enfants de la lumière à ce qu’ils s’aiment les uns les autres.
Leur attitude n’est pas celle du « soit l’un soit l’autre » mais du « l’un et
l’autre », notion fréquente chez Lao Tseu. La lumière est l’origine, ils sont nés
de la lumière, ils retourneront à la lumière. À la lumière de l’amour ils
s’efforcent de vivre, de rencontrer d’autres hommes, de façonner leur
environnement. Ces textes précisent la proximité étonnante des évangiles
canoniques et des textes apocryphes : ils pourraient avoir les mêmes sources et pourquoi les seconds ne seraient-ils pas plus proches de la parole du Christ
que les premiers ?
« Les images apparaissent à l’homme, mais la lumière qui est en elles est
cachée. Dans l’image de la lumière du Père, elle [= cette lumière] se révélera, et
son image10 sera voilée par sa lumière » (Thomas 87).
10
celle de l’homme. FC.