La salsa n`est pas qu`une musique pour s`amuser

Transcription

La salsa n`est pas qu`une musique pour s`amuser
3 JUILLET 2011
MONTREUX JAZZ 53
I LeMatinDimanche
Artiste polyvalent, Ruben Blades passe au festival pour la troisième fois
«La salsa n’est pas qu’une
musique pour s’amuser»
La musique m’a amené à travailler
dans le rock, avec Lou Reed et Elvis
Costello. Je prends toutes les directions, du cinéma au théâtre jusqu’à
la politique.
Justement, vous avez été ministre
du Tourisme au Panama durant
cinq ans mais vous avez choisi
de quitter complètement le milieu
artistique durant cette période,
pourquoi?
RUBEN BLADES Véritable
légende de la salsa, le chanteur
panaméen se produira
en première partie
de Ricky Martin. Ça va
chauffer à l’Auditorium!
Je ne me suis pas donné le choix. J’ai
voulu avoir une vraie compréhension
des gens, du système. Pour cela, il fallait que je sois complètement imprégné par mon pays. Ce rôle de ministre
m’a donné une force extraordinaire.
Et je ne pense pas avoir été égoïste
durant ces années, j’ai appris beaucoup de choses et je suis content
d’avoir mis ma carrière au second
plan pour me consacrer à mon pays.
Karine Vouillamoz
Il aurait pu devenir président du Panama dans les années 90. Mais le peuple en a décidé autrement. Ruben Blades est donc devenu ministre du Tourisme quelques années plus tard. Ça,
c’est pour le versant politique de sa
vie. Mais Ruben Blades est évidemment et avant tout un artiste, chanteur, acteur et producteur de cinéma.
Son premier album sort à la fin des
années 70, il ouvre une nouvelle page
dans l’histoire de la salsa, en présentant son versant social et politique. Le
titre «Pedro Navaja» deviendra
d’ailleurs l’un des singles de salsa les
plus vendus dans le monde.
Ruben Blades n’a cessé depuis de
produire des albums de qualité. Et
bien d’autres choses encore, car c’est
un homme très occupé! Coup de fil.
Vous avez été l’un des premiers
salseros à introduire un contenu
social dans vos chansons,
comment cela a-t-il été perçu
à l’époque?
Oui, bien sûr, lors de notre premier
concert, en 1987, il y avait également
Miles Davis et Astor Piazzolla qui y
étaient programmés. Nous nous
étions évidemment rencontrés. Pour
la seconde fois, il y avait Phil Collins,
il est venu me voir après mon concert
pour me dire qu’il appréciait ma musique. C’est un festival de très grande
renommée, je suis très content d’en
faire partie cette année encore. Le ré-
DR
Ce sera votre troisième passage
au Montreux Jazz, en gardez-vous
un souvenir particulier?
Ruben Blades, un artiste touche à tout qui n’a pas dédaigné de faire de la politique.
pertoire sera représentatif de ma carrière, nous allons avoir peu de temps
et jouer un maximum de chansons.
Quelles ont été vos connexions
avec le jazz?
Elles ont été forcément très nombreuses! J’étais ami avec Miles Davis
et j’ai joué avec tout le monde, de
Max Roach à Elvin Jones en passant
par Wayne Shorter, sans parler de
Chucho Valdes. J’ai même croisé
Chet Baker en 1975, dans un club de
jazz aux Etats-Unis. Mais je ne me
suis pas arrêté au jazz, j’ai toujours
poussé la curiosité plus loin encore.
Le premier album que j’ai fait, en
1979, s’appelait «De Panama à New
York». On l’a fait en trois semaines et
sur les neuf chansons, deux évoquaient déjà des situations sociales, il
y avait «El Pescador» et surtout
«Juan Gonzales», qui évoquait le
destin d’un homme tué lors de la dictature. Les dictatures étant nombreuses à l’époque en Amérique latine, il a
forcément été mal reçu. Ces titres indiquaient déjà mon penchant pour la
chronique sociale. Et puis il y a eu
«Pedro Navaja», bien sûr. La situation n’avait pas beaucoup changé. On
pensait que la salsa n’était qu’une
musique pour s’amuser, personne
n’était prêt pour la réflexion. La chanson est très longue, elle n’est pas conçue du tout pour les radios qui cherchaient des formats de deux minutes.
Mais elle m’a ouvert des portes. Soudain, elle a été écoutée par tout le
monde, pas uniquement les danseurs
de salsa, mais des hommes, des femmes, enfants, jeunes, vieux, tra-
«
Ce rôle de
ministre du Tourisme
m’a donné une force
extraordinaire»
RUBEN BLADES
Chanteur de salsa
vailleurs, policiers, employeurs. Tout
le monde l’a acceptée et c’est pour ça
qu’elle est devenue aussi populaire.
Bernard Lavilliers a sorti l’an
dernier une reprise en français
de «Pedro Navaja», l’avez-vous
écoutée?
Oui, et ce qu’il en a fait m’a paru très
intéressant. Il est parvenu à lui donner une autre dimension. Lorsqu’on
m’a approché pour me demander s’il
pouvait la reprendre, j’ai trouvé l’idée
très bonne parce que la musique, tout
comme la peinture, a plusieurs façons
d’être exprimée. Ça ne doit pas sonner comme la version originale, sinon, il n’y aurait aucun intérêt. Sur
l’album «Agua de Luna», j’ai fait une
interprétation de nouvelles de Gabriel
Garcia Marquez. Beaucoup de gens
ont apprécié et beaucoup d’autres ont
détesté. J’ai tenté de donner mes impressions des textes de Garcia Marquez et c’est exactement ce qu’a fait
Bernard Lavilliers, il donne son impression de ma chanson.
Quels sont vos projets actuels?
Je prépare plusieurs albums, l’un de
tango, un autre de duos avec Cheo Feliciano, un de boléros avec Paco de
Lucia et d’autres encore. Et puis je
vais sortir un film avec Denzel Washington et celui que j’ai tourné avec
Andy Garcia et Peter O’Toole devrait
sortir cette année. Et je vais sans
doute m’inscrire à l’Université Columbia pour obtenir mon doctorat en
droit et sociologie. Et, bien sûr, j’ai
très envie d’apprendre le français! x
Ruben Blades sera en concert le 6 juillet
à l’Auditorium Stravinski
Le pianiste fou de La Nouvelle-Orléans est de retour sur la Riviera
DR JOHN Tout le monde se précipite
pour travailler avec Dr John. Le dernier en date? Hugh Laurie, soit le Dr
House, qui s’est offert un duo avec le
pianiste de La Nouvelle-Orléans. Les
Red Hot Chili Peppers, Marianne
Faithfull ou le Gotan Project ont aussi
demandé au cher docteur de participer à divers projets. Si son nom ne
vous dit rien, il est encore temps d’y
remédier puisqu’il sera présent le
6 juillet prochain à Montreux pour
une soirée exceptionnelle. Accompagné de son groupe The Lower 911, Dr
John est programmé le même soir que
Leon Russell, son alter ego anglais.
Au bout du fil, Dr John marmonne
dans sa barbe; difficile de décrypter
son accent nonchalant. Mais dès qu’il
s’agit d’aborder le Montreux Jazz
Festival, il s’emballe: «Oh oui, le
Montreux Jazz! C’est le seul endroit
Contrôle qualité
où les membres de mon groupe m’ont
dit un jour: «Tu ne peux pas faire un
meilleur concert qu’ici!» On y a joué
notamment en 1995 avec mon ami Alvin «Red» Tyler, un saxophoniste
épatant, aujourd’hui disparu, c’était
un très bon gars! Alors oui, je me réjouis de me retrouver à Montreux!»
Oui, Dr John est un habitué des
lieux. Normal, il a débuté sa carrière il
y a très longtemps, dans son enfance
plus précisément. C’est à l’âge de
5 ans qu’il découvre Professor Longhair au piano. C’est la révélation.
Tous les soirs, il fait le mur dans sa
chambre pour aller observer le jeu de
mains du musicien sur scène. C’est
décidé. Le petit Mac Rebennack deviendra musicien, d’autant plus qu’il
assimile à vue les subtilités rythmiques de La Nouvelle-Orléans. A
13 ans et demi, il s’offre sa première
scène en tant que guitariste et ne
tarde pas à se retrouver en studio avec
Professor Longhair pour enregistrer
«Mardi Gras in New Orleans».
«On m’appelait le serpent»
Dr John est passé par des périodes
difficiles. Aujourd’hui il va bien,
très bien même. Michael Loccisano/Getty Images/AFP
A cette époque, il ne s’appelle pas encore Dr John. «Quand nous étions
enfants, on m’appelait le serpent,
tout comme mon père, mon oncle ou
mon cousin. A La Nouvelle-Orléans,
on donne des pseudonymes à tout le
monde, personne ne se souvient de
votre vrai nom», nous confie-t-il. Du
coup, lorsque l’album «Gris Gris»
sort en 1968, signé par Dr John
Creaux The Night Tripper, personne
ne sait que sous les plumes et le maquillage se cache un certain… Mac
Rebennack. C’est là que le personnage Dr John prend vie. Et la scène
musicale s’éprend de ce musicien
énigmatique. De Clapton aux Rolling
Stones, chacun veut «s’offrir» les
services de Dr John. Parallèlement à
son travail de requin de studio, il
poursuit sa carrière en sortant régulièrement des albums béton, puisant
dans le jazz, le boogie-woogie ou les
improvisations vaudoues.
Après avoir traversé des périodes
difficiles, Dr John va bien, très bien
même. Est-ce à dire que la musique
est sa rédemption? «Oui, je me sens
mieux à travers ma musique. J’ai
connu des périodes compliquées, j’ai
été alcoolique, drogué, un peu fou et
j’essaie aujourd’hui de faire en sorte
que ma vie soit différente. Et je
prends le bon chemin.»
K. V.
Dr John en concert le 5 juillet à l’Auditorium
Stravinski pour la soirée Tommy Lipuma et le
6 juillet au Miles Davis Hall avec The Lower
911.

Documents pareils