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NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 1 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique Gabon, Niger, Mauritanie... Guy Labertit* * Conseiller du Président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Afrique et l’Amérique latine L ’ annonce officielle, le jeudi 3 septembre, de l’élection d’Ali Ben Bongo Ondimba à la tête du Gabon est venue parachever un été 2009 particulièrement difficile pour la démocratie en Afrique. Candidat officiel de l’ancien parti unique – le Parti démocratique du Gabon (PDG) –, âgé de 50 ans, le fils d’Omar Bongo Ondimba, décédé en juin dernier à 73 ans après avoir dirigé sans partage le pays pendant plus de 41 ans (1967-2009), a été officiellement élu avec 141 952 voix (41,73 %). Selon les chiffres officiels, il a devancé son ancien meilleur ami André Mba Obame (88 208 voix, soit 25,88 %), ministre de l’Intérieur jusqu’en juin 2009, dans le cadre d’un scrutin à un seul tour, à majorité simple. L’opposant historique, Pierre Mamboundou, 62 ans, présidant l’Union du peuple gabonais, qui s’était réconcilié avec le président défunt, a recueilli, toujours selon les chiffres officiels, 85 797 voix, soit 25,22 %. ALI BEN BONGO ONDIMBA, VAINQUEUR D’UN SCRUTIN MANIPULE Plusieurs faits font douter de la sincérité du scrutin. La Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP) a mis quatre jours pour produire les résultats malgré le faible nombre de suffrages et son président a dû reconnaître un désaccord en son sein quant à leur exactitude. Certains chiffres expliquent ce désaccord. Une liste nationale de 807 402 inscrits dans un pays qui compte à peine 1,3 million d’habitants est une aberration au regard de la jeunesse de sa population ; cela a ouvert la voie à de nombreuses manipulations en matière de participation. Cela a été le cas au profit du seul Ali Ben Bongo Ondimba. En effet, www.jean-jaures.org NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 2 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique la CENAP a annoncé 357 402 votants, soit une participation nationale moyenne de 44,26 %. Dans la province du Haut Ogooué, fief du clan Bongo qui n’est pas plus peuplé que la province frondeuse de l’Ogooué maritime, on a dénombré 57 521 votants contre 26 000 dans l’Ogooué maritime, et dans ce fief Bongo, 51 993 voix ont été attribuées à Ali Ben Bongo, soit plus du tiers de ses voix pour tout le pays. Les résultats de la province de l’Estuaire, la plus peuplée avec la capitale Libreville, renforcent le doute sur la légitimité de la victoire du fils Bongo. Sur les 326 004 inscrits, soit plus du tiers de la liste nationale, avec une participation de 36,47 % (118 903 votants et 112 902 exprimés), André Mba Obame, dignitaire du précédent régime, obtient 39 738 voix (35,02 %), Pierre Manboundou et Ali Ben Bongo Ondimba faisant pratiquement jeu égal avec respectivement 33 300 voix (29,50 %) et 33 788 voix (29,93 %). Pour leur part, les missions d’observation internationale, notamment de l’Union africaine, tout en relevant des irrégularités, se sont déclarées satisfaites du scrutin, Paris se félicitant dès le lendemain de l’élection de son « bon déroulement ». Les autorités françaises, en répétant lors de chaque commentaire « la France n’a pas de candidat », ont plutôt suscité le doute aux yeux des Gabonais. D’autant que le secrétaire d’Etat à la Coopération, Alain Joyandet, et le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, ont respectivement déclaré « il faut absolument que les candidats qui n’auront pas gagné respectent les résultats du scrutin » et « la France acceptera le résultat des élections le plus contrôlées possible ». Sans compter le rôle d’un conseiller officieux français, dernière scorie du système Foccart, qui, sur place, appuyait dans les médias officiels la candidature du fils Bongo. L’organisation précipitée du scrutin, les listes électorales gonflées, les très puissants moyens financiers d’Ali Bongo comparés à ceux de ses concurrents, les médias nationaux et internationaux qui, depuis la mort de son père le présentaient comme le favori à la succession, ont créé un climat propice aux manipulations électorales de toutes sortes. L’achat de voix, la signature de procès-verbaux de bureaux de vote non authentiques moyennant finance et qui n’ont été acceptés que par le bureau de la CENAP où le clan Bongo était majoritaire, la pression des forces de l’ordre pendant et après le scrutin ont permis de concrétiser une fraude facile à organiser au regard du faible nombre de suffrages, environ 140 000, pour le vainqueur désigné. www.jean-jaures.org NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 3 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique LES RAISONS ET LES RISQUES D’UNE MONARCHIE ELECTIVE Après les cas de la République démocratique du Congo (RDC) où Joseph Kabila a succédé à son père assassiné Laurent-Désiré, et celui du Togo, où Faure Gnassingbé a pris la relève de son père Gnassingbé Eyadéma décédé subitement, l’avènement de celui que l’on nomme déjà Bongo II confirme l’émergence d’un nouveau modèle politique, la monarchie élective. On sait que Mouammar Khadafi s’y prépare en Libye et qu’au Sénégal – ce sera plus compliqué – Abdoulaye Wade rêve d’un destin national pour son fils Karim. L’Afrique n’a pas le monopole de cette perversion de la République également effective dans le monde arabe, en Syrie notamment. Au Gabon, de son vivant, l’autocrate Omar Bongo n’a eu de cesse de briser toute réelle alternative politique, en corrompant certains dirigeants de l’opposition ou en semant la division au sein des partis qui lui résistaient. Malgré son retour en grâce à la fin de l’ère d’Omar Bongo Ondimba, Pierre Mamboundou, plusieurs fois candidat à la présidentielle, incarnait l’opposition. Il avait d’ailleurs bénéficié lors de scrutins présidentiels précédents du soutien du Parti gabonais du progrès (PGP), parti membre de l’Internationale socialiste, et de son président Pierre Agondjo, affaibli par la maladie et aujourd’hui disparu. Si le nouvel élu s’acharne à éradiquer par les intimidations et la répression toute opposition politique, le Gabon peut entrer dans une période d’instabilité politique durable car la rue sera le seul exutoire au mécontentement social dans ce pays parmi les plus inégalitaires d’Afrique. Par ailleurs, André Mba Obame, qui a toujours été un compagnon de route d’Ali Bongo, en tête dans la capitale Libreville et dans la province du Woleu Ntem, a pu bénéficier de son origine fang, ethnie la plus forte au Gabon. Il n’est pas sûr que Bongo fils se révèle aussi madré que son père dans l’art de séduire et de rassembler les Gabonais et d’en associer le plus possible à la gestion du pouvoir. La conjonction de ces frustrations, incarnées à la fois par Pierre Mamboundou et André Mba Obame dont le total des voix dépasse largement le score pourtant gonflé d’Ali Ben Bongo Ondimba, peut rendre particulièrement fragile la position du nouvel élu. Malgré son expérience du pouvoir – il occupait depuis dix ans le poste de ministre de la Défense –, il n’est pas sûr de pouvoir bénéficier des mêmes soutiens extérieurs que son père et il devra compter avec l’extrême lassitude d’un peuple oublié malgré les richesses du pays et qui ne semble pas prêt à endurer les caprices de celui qui a du mal à se défaire de son image de « fils à papa ». www.jean-jaures.org NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 4 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique LES GABON AVEC ET LES AUTRES PAYS D’AFRIQUE RAPPORTS DU LA FRANCE Tout en se défendant de ne pas avoir de candidat au Gabon, les autorités françaises ont sans doute accueilli avec soulagement les résultats officiels. Elles sous-estiment peut-être les périls de cette monarchie élective. Dès la proclamation du vainqueur, ce sont les symboles de la France qui ont été attaqués : le consulat général de France incendié à Port-Gentil, la ville pétrolière acquise à l’opposition, des stations service Total et l’entreprise Schlumberger mises à mal. Il est trop tôt pour mesurer les capacités de l’opposition à canaliser les frustrations nées de cette élection et pour imaginer la conduite d’André Mba Obame, un homme du sérail Bongo, aujourd’hui en disgrâce, mais qui peut se réconcilier avec celui qui dirigeait avec lui le camp des « rénovateurs du PDG »… La forte présence militaire permanente de la France, près d’un millier d’hommes, rend sa position inconfortable, d’autant que plus de dix mille Français résident au Gabon et que l’on ne compte pas moins de 120 entreprises françaises dont Total qui a nourri les pages les moins avouables de l’histoire « françafricaine ». Pour l’heure, Paris s’en tient au discours officiel traditionnel « d’assurer la sécurité des ressortissants français », mais les accords de défense signés le 17 août 1960 sont toujours en vigueur, sans compter une convention spéciale relative au maintien de l’ordre, signée un an plus tard et toujours tenue « secrète ». Le président Sarkozy qui manifeste peu d’intérêt politique pour l’Afrique, à la différence de son prédécesseur, doit aussi tenir compte des pesanteurs de l’histoire et des pressions du monde des affaires toujours présent au Gabon et sur le continent africain. La disparition d’Omar Bongo Ondimba en juin dernier, après celle d’HouphouëtBoigny, il y a quinze ans, et celle plus récente de Gnassingbé Eyadéma, contribue à tourner lentement une nouvelle page des rapports entre la France et l’Afrique. Mais, plus immédiatement, on sait que le fils Bongo ne pourra pas jouer l’immense rôle politique et diplomatique de son père sur le continent africain, au service d’un conservatisme qui se voulait « bon enfant ». www.jean-jaures.org NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 5 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique LA DEMOCRATIE ASSASSINEE AU NIGER Le Gabon n’est que le dernier épisode d’un été meurtrier pour la démocratie en Afrique. Dans les semaines et les mois qui ont précédé l’élection au Gabon, les droits démocratiques, les droits républicains ont été bafoués dans d’autres pays du continent sans susciter de solidarités internationales à la hauteur de la gravité de ces régressions. Tout d’abord, le Niger. Le projet du président Mamadou Tandja de se maintenir au pouvoir, alors que la Constitution lui imposait de se retirer le 22 décembre prochain à l’issue de son second mandat, s’est concrétisé par le référendum du 4 août 2009 au terme d’un passage en force initié en mai : dissolution le 26 mai de l’Assemblée nationale hostile à son projet bien que son parti y soit majoritaire, octroi de pouvoirs exceptionnels le 26 juin, dissolution de la Cour constitutionnelle et installation d’une nouvelle à sa dévotion le 2 juillet, décret mettant au pas une justice indépendante à l’issue de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature le 3 juillet. Sourd aux manifestations de l’opposition et de la société civile, indifférent aux grèves intersyndicales et aux pressions internationales, le président Tandja a « validé » une nouvelle constitution faite à sa mesure par le référendum du 4 août. La participation a été officiellement estimée à 68 % au mépris de toute réalité (5 % de participation dans la capitale Niamey), et le « oui » a recueilli 92,5 % des suffrages, ce qui est vraisemblable puisque l’appel au boycott d’une consultation illégale avait été lancé par tous les opposants au projet présidentiel. Cette nouvelle constitution est de nature présidentielle, à la différence de la précédente qui avait même permis à l’opposition de faire voter une motion de censure en 2008. Elle autorise le président Tandja à se représenter autant de fois qu’il le voudra, le référendum du 4 août prorogeant son mandat en cours de trois ans jusqu’au 22 décembre 2012. Après avoir maté la magistrature, le président Tandja renouant avec ses pratiques de préfet militaire des années 1980 a multiplié les arrestations au sein de la société civile et parmi les journalistes. Le 3 septembre, 23 députés ou anciens députés dont le vice-président et des cadres du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS Tarayya, opposition) de Mahamadou Issoufou, parti membre de l’Internationale socialiste, ont été arrêtés, ainsi que des parlementaires de la Convention démocratique et sociale (CDS) qui a quitté le gouvernement en juin 2009. www.jean-jaures.org NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 6 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique En multipliant les intimidations et en renforçant la répression, le Président du Niger espère diviser ceux qui ont été hostiles à son projet. Pour l’heure, l’opposition politique reste unie et entend boycotter les législatives dont la date n’est pas arrêtée. Ce choix stratégique risque de la conduire à une impasse politique car, faute d’expression parlementaire, elle ne pourrait qu’avoir recours à la rue. Les autorités françaises ont « pris note » des résultats du référendum. Lors de contacts à Paris à la mi-août avec Mahamadou Issoufou, celui que l’on pressentait comme le successeur de Mamadou Tandja à la fin de l’année, les autorités françaises ont assuré qu’elles s’aligneraient sur les positions de l’Union européenne qui vient de suspendre une partie de ses engagements financiers au Niger. Faut-il rappeler qu’Areva a difficilement conclu au début de l’année 2009 le contrat d’exploitation de la mine d’Imouraren qui fera du Niger, dès 2012, le deuxième producteur mondial d’uranium ? Cela semble conduire le gouvernement français à faire profil bas, d’autant que la Chine s’est montrée très agressive au plan économique dans ce pays (permis d’uranium, octroi de champ pétrolier et raffinerie à Zinder). L’ETRANGE ONCTION DEMOCRATIQUE D’UN ANCIEN GENERAL PUTSCHISTE EN MAURITANIE En Mauritanie, la situation est plus complexe. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz avait ouvert une crise politique dans le pays en renversant, le 6 août 2008 par un coup d’Etat militaire, le premier président démocratiquement élu, en mars 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Pour dépasser son isolement diplomatique, il entendait bénéficier d’une onction démocratique par un scrutin qu’il avait fixé au 6 juin 2009, bravant la mobilisation de l’opposition mauritanienne hostile à cette consultation jugée préfabriquée. Une médiation sénégalaise, conduite par le ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidjane Gadio, a permis de sortir le pays d’une impasse diplomatique par la signature de l’accord de Dakar, le 4 juin 2009, toutes les parties acceptant que l’élection ait lieu le 18 juillet suivant. Devant la multiplicité et la qualité des candidatures, un second tour semblait inéluctable. Pourtant, le général putschiste est sorti vainqueur dès le premier tour www.jean-jaures.org NOTE n° 35 - Fondation Jean-Jaurès - 9 septembre 2009 - page 7 Un été meurtrier pour la démocratie en Afrique avec plus de 52 % des suffrages, sans que les diverses missions d’observation aient pu mettre en cause la régularité du scrutin. Au regard de l’histoire récente du pays et du poids des différents acteurs engagés, ce score reste un véritable mystère. Certes, la composition du nouveau gouvernement, le 11 août dernier, avec la présence de cinq femmes et de sept ministres non maures, reflète des éléments de rupture dans les pratiques politiques du pays. Il n’en reste pas moins que l’élection d’un général, moins d’un an après son coup d’état militaire, est un signe négatif pour la démocratie en Afrique. En effet, en Guinée, instruit par l’exemple mauritanien, le capitaine Moussa Dadis Camara, qui avait pris le pouvoir en décembre 2008 à la mort du général président Conté en place depuis 24 ans, a oublié ses promesses de rendre le pouvoir aux civils avant la fin 2009, aucun membre de la junte ne pouvant être candidat à la présidentielle. Non seulement il laisse entendre qu’il sera candidat en 2010, mais il explique ce retournement par le comportement des forces politiques civiles. Si tel est le cas, il pourrait affronter plusieurs anciens Premiers ministres de l’ancien dictateur Lansana Conté et l’opposant historique Alpha Condé, dirigeant du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Si l’on ajoute à cela les manœuvres du président togolais Faure Gnassingbé ou celle du président centrafricain, le général Bozizé, dans la perspective des scrutins présidentiels prévus dans leur pays en 2010, ce sont des mois difficiles qui se profilent pour les forces démocratiques en Afrique. www.jean-jaures.org