brÈVes de Jurisprudence

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brÈVes de Jurisprudence
Brèves de jurisprudence
Philippe TERNEYRE
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Sophie NICINSKI
Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Théorie générale des contrats
Contentieux des contrats publics
❏❏ Conseil
❏❏ TC
constitutionnel 5 décembre 2014,
Société de laboratoires de biologie médicale
Bio Dômes Unilabs SELAS, n° 2014-434 QPC.......... 143
18 septembre 2014, Bundesdruckerei,
aff. Gmbh c/ Stadt Dortmund, aff. C-549/13............. 144
❏❏ CJUE
15 octobre 2014, Association des riverains
de la Baie de Sainte-Marie, req. n° 353168.............. 144
❏❏ CE
3 décembre 2014, Société Citelum,
req. n° 383865.............................................................. 144
❏❏ CE
8 décembre 2014, Chambre nationale
des services d’ambulances c/ Union nationale
des caisses d’assurance-maladie et autres,
req. n° 3980.................................................................. 146
17 novembre 2014, Chambre de commerce
et d’industrie de Perpignan et des Pyrénées
Orientales c/ M. Alfredo, req. n° 3965....................... 146
❏❏ TC
14 novembre 2014, Société des autoroutes
du sud de la France, req. n° 374557.......................... 146
❏❏ CE
Paris 21 octobre 2014, Mme Rispail,
req. n° 13PA01105....................................................... 148
❏❏ CAA
Marchés publics
22 octobre 2014, Syndicat mixte d’étude,
d’aménagement et de gestion de la base
de plein air et de loisirs de Cergy-Neuville,
req. n° 373156.............................................................. 145
❏❏ CE
6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda Spas
c/ CEM Ambiente Spas, aff. n° C-42/13..................... 145
❏❏ CJUE
3 novembre 2014, Société Bancillon BTP,
req. n° 372040.............................................................. 145
❏❏ CE
14 novembre 2014, Département
de la Guadeloupe, req. n° 376119............................. 148
❏❏ CE
3 novembre 2014, Société Bancillon BTP,
req. n° 372040.............................................................. 149
❏❏ CE
17 décembre 2014, Communauté
de communes du canton de Varilhes,
req. n° 385033.............................................................. 150
❏❏ CE
3 décembre 2014, Société Bancel,
req. n° 366153.............................................................. 150
❏❏ CE
Théorie générale des contrats
■■ Principes généraux – Objectif à valeur constitutionnelle
– Existence – Bonne utilisation des deniers publics
– Droits et libertés garantis par la Constitution –
Absence.
Dans sa décision du 26 juin 2003 n° 2003-473 DC sur la
loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, le Conseil
constitutionnel a jugé que découlent des articles 6 et 14 de
la déclaration de 1789 notamment le principe de « bonne
utilisation des deniers publics » que rappelle l’article 1er du
code des marchés publics. Il a ensuite réitéré que le bon
usage des deniers publics est une exigence ou objectif à
valeur constitutionnelle (29 décembre 2003, n° 2003-489
DC ou 10 décembre 2004, n° 200-506 DC ; 24 juillet 2008,
n° 2008-567 DC ; 20 janvier 2011, n° 2010-624 DC ; 10 mars
2011, n° 2011-625 ; 9 juin 2011, n° 2011-631 DC ; 28 juillet 2011, n° 2011-638 DC ; 4 août 2011, n° 2011-635 DC ;
22 mars 2012, n° 2012-651 DC). Mais, fort logiquement, le
Conseil constitutionnel vient d’indiquer que cet objectif à
valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics
ne peut, en lui-même, être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de
l’article 61-1 de la Constitution. Il n’est pas en soi un droit
ou une liberté fondamentale.
Conseil
constitutionnel
5 décembre
2014,
Société
de
laboratoires de biologie médicale Bio Dômes Unilabs SELAS,
n° 2014-434 QPC.
B u l l e t i n j u r i d i q u e d e s c o n t r at s p u b l i c s N ° 9 9 143
BRÈVES DE JURISPRUDENCE
■■ Principes
généraux du droit communautaire –
Principe de libre prestation de services (article 56
TFUE) – Portée – Rémunération du personnel des
sous-traitants – Question de l’application du salaire
minimum.
La CJUE a interprété, en ce qui concerne la rémunération du personnel d’un sous-traitant lorsque celui-ci est
établi dans un autre État membre, la portée du principe de
la libre prestation de services à l’intérieur de l’Union, posé
à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
Européenne. Lorsqu’« un soumissionnaire entend exécuter un marché public en ayant recours exclusivement à des
travailleurs occupés par un sous-traitant établi dans un État
membre autre que celui dont relève le pouvoir adjudicateur,
l’article 56 TFUE s’oppose à l’application d’une réglementation de l’État membre dont relève ce pouvoir adjudicateur obligeant ce sous-traitant à verser auxdits travailleurs
un salaire minimal fixé par cette réglementation ». La libre
prestation de service doit permettre, selon la cour, à la libre
concurrence de s’exercer et ainsi autoriser une entreprise
soumise à des salaires minimaux plus faibles que dans
l’État membre où s’exerce la prestation, de venir exécuter
un marché public en sous-traitance sans être obligée de
payer ses salariés au salaire minimal de cet État.
CJUE 18 septembre 2014, Bundesdruckerei, aff. Gmbh c/ Stadt
Dortmund, C-549/13.
■■ Droits
d’auteur – Droits d’auteur sur des ouvrages
publics – Droits d’auteur sur des ouvrages n’existant
plus à la date d’entrée en vigueur de la loi du 1er août
2006.
La loi du 1er août 2006 relative aux droits d’auteur et
aux droits voisins dans la société de l’information crée un
régime de droits d’auteur qui est applicable à des œuvres
créées antérieurement à son entrée en vigueur. Mais ces
droits issus de la loi du 1er août 2006 ne sont applicables
qu’à compter de l’entrée en vigueur de cette loi et ne
peuvent par conséquent naître qu’au titre d’une œuvre
existant encore à cette date. Ainsi, du fait de la destruction, à une date antérieure à l’entrée en vigueur de cette
loi, de l’œuvre au titre de laquelle un requérant se prévaut
de droits d’auteur, les dispositions applicables sont celles
du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction
antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006.
Antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août
2006, l’agent public auteur d’une œuvre jouissait donc de
droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre dont la création
était détachable du service. Il en était ainsi, notamment,
si cette œuvre avait été faite en dehors du service et de
toute commande du service ou si elle était sans rapport
direct avec les fonctions exercées par l’auteur au sein du
144
service (cf. s’agissant des œuvres détachables du service,
CE Section de l’intérieur, Avis, 21 novembre 1972, req.
n° 309721, dit « Ofrateme » : Les grands avis du Conseil
d’État, Dalloz, 1997, p. 111).
Lorsque l’œuvre, détachable du service, était indissociable d’un ouvrage public, son auteur ne pouvait prétendre
à une intangibilité absolue de son œuvre ou de l’édifice
qui l’accueillait. Toutefois, le maître de l’ouvrage ne pouvait porter atteinte au droit de l’auteur de cette œuvre en
apportant des modifications à l’ouvrage que dans la seule
mesure où elles étaient rendues strictement indispensables
par des impératifs, notamment esthétiques, techniques ou
de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment celles résultant de la destination
de l’édifice ou de son adaptation à des besoins nouveaux
(cf. CE 14 juin 1999, Conseil de fabrique de la cathédrale
de Strasbourg, req. n° 181023 : Rec., p. 199 ; CE 11 septembre 2006, Agopyan, req. n° 265174 : Rec., pp. 736-868950 ; BJCP n° 49, décembre 2006, p. 432, concl. Didier
Casas, obs. R. S.)
CE 15 octobre 2014, Association des riverains de la Baie de
Sainte-Marie, req. n° 353168 : publiée au Recueil.
■■ Parties
au contrat – Conséquences d’un transfert de
compétences à un EPCI – Cas des créances résultant
d’un contrat complètement exécuté.
Le transfert d’une compétence par une commune à un
établissement public de coopération intercommunale en
application de l’article L. 5211-17 du code général des
collectivités territoriales implique le transfert des biens,
équipements et services nécessaires à l’exercice de ces
compétences ainsi que des droits et obligations qui leur
sont attachés. Compte tenu de la rédaction de ces dispositions, elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’inclure les
créances qui résultent de contrats conclus par la commune
et venus à expiration avant le transfert, alors même que ces
contrats auraient été conclus dans le cadre de l’exercice de
ces compétences ultérieurement transférées.
CE 3 décembre 2014, Société Citelum, req. n° 383865 : aux
Tables.
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BRÈVES DE JURISPRUDENCE
Marchés publics
■■ Notion
– Absence – Absence de paiement d’un prix
par le pouvoir adjudicateur.
La Conseil d’État vient de rappeler la frontière entre les
marchés publics et les autres contrats, notamment les
conventions d’occupation domaniale, à l’occasion d’un
litige portant sur la contestation de la légalité des actes
détachables d’un syndicat mixte portant attribution du
contrat relatif à l’aménagement et à l’exploitation d’un parcours d’aventure forestier sur la base de plein air et de loisirs de Cergy-Neuville et à la signature de ce contrat. Pour
qu’il y ait marché public, il faut nécessairement qu’il y ait
un prix payé par la personne publique. Or, il ressortait des
pièces du dossier soumis au juge du fond « que le contrat
ne prévoyait pas le paiement d’un prix par le syndicat et
imposait, au contraire, au cocontractant le paiement d’une
redevance dont le montant était un des critères de sélection des offres des candidats ». Le juge de cassation en
a conclu que la cour avait inexactement qualifié le contrat
en cause de marché public (voir CE 15 mai 2013, Ville de
Paris, req. n° 364593 : publiée au Recueil ; BJCP n° 90,
septembre-octobre 2013, p. 359, concl. B. Dacosta, obs.
R. S.).
CE 22 octobre 2014, Syndicat mixte d’étude, d’aménagement et
de gestion de la base de plein air et de loisirs de Cergy-Neuville,
Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des
procédures de passation des marchés publics de travaux,
de fournitures et de services, […] lu en combinaison avec
l’article 2 de celle-ci, ainsi que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à l’exclusion d’un
opérateur économique d’une procédure d’adjudication, au
motif que cet opérateur n’a pas respecté l’obligation, prévue
dans les documents du marché, de joindre à son offre, sous
peine d’exclusion, une déclaration aux termes de laquelle la
personne désignée dans cette offre comme directeur technique dudit opérateur ne fait pas l’objet d’une procédure ou
d’une condamnation pénales, même lorsque, à une date
postérieure à l’échéance du délai imparti pour le dépôt des
offres, une telle déclaration a été communiquée au pouvoir
adjudicateur ou il est démontré que la qualité de directeur
technique a été attribuée par erreur à cette personne. »
CJUE 6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda Spas c/ CEM
Ambiente Spas, affaire n° C-42/13.
■■ Exécution
– Exécution financière – Règlement des
marchés – Décompte général et définitif – Caractère
unique et définitif du décompte général d’un marché
de travaux – Moyen d’ordre public – Absence.
req. n° 373156.
■■ Passation
– Sélection des candidatures et des offres
– Régularisation après les dates limites de dépôt des
offres – Absence.
Il est de jurisprudence constante de la CJUE que le pouvoir adjudicateur doit observer strictement les critères de
sélection qu’il a lui-même fixés. Il en résulte que le pouvoir
adjudicateur est conduit à exclure du marché un opérateur
économique qui n’a pas communiqué une pièce ou une information dont la production était imposée dans les documents
de ce marché sous peine d’exclusion (voir, en ce sens, arrêt
Manova, C-336/12, EU:C:2013:647, point 40). Cette obligation stricte incombant aux pouvoirs adjudicateurs relève du
principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence qui en découle. Lorsque le pouvoir adjudicateur a
exigé des justifications, dont l’absence conduit à l’exclusion
de l’offre, il ne peut pas permettre à ce « soumissionnaire de
pallier ultérieurement cette omission, de quelque façon que
ce soit, après l’expiration du délai imparti pour le dépôt des
offres » (point 45 et suivants de la décision commentée).
La CJUE a donc jugé dans la présente affaire : « L’article 45
de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du
Le Conseil d’État vient de préciser, conformément à sa
jurisprudence usuelle en matière de marchés publics, les
conséquences sur la procédure contentieuse de la nature
purement contractuelle des règles en matière d’établissement du décompte du marché. Les règles en matière de
décompte auxquelles font référence les marchés publics
sont en effet posées par les cahiers des charges types qui
n’ont aucune portée obligatoire. Les marchés y font référence et donnent ainsi à leur contenu une valeur contractuelle.
En conséquence, si les parties à un marché public de
travaux peuvent convenir que l’ensemble des opérations
auxquelles donne lieu l’exécution de ce marché est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être
isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l’établissement
du décompte définitif, détermine leurs droits et obligations
définitifs, elles n’y sont pas tenues. Dès lors, ni le caractère
unique et exhaustif d’un tel compte ni son caractère définitif, qui ne sont pas d’ordre public, ne peuvent être opposés
d’office par le juge aux prétentions d’une partie.
CE 3 novembre 2014, Société Bancillon BTP, req. n° 372040 :
au Recueil.
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BRÈVES DE JURISPRUDENCE
Contentieux des contrats publics
■■ Compétence
des juridictions administrative et
judiciaire – Compétence de la juridiction administrative
– Contrat administratif – Contrat conclu par une
personne publique pour l’exécution du service public
– Existence – Convention nationale des transporteurs
sanitaires privés.
La convention nationale des transporteurs sanitaires privés,
réputée approuvée par les ministres compétents en application de l’article L. 162-15 du code de la Sécurité sociale, dont
l’objet est d’organiser les rapports entre ces transporteurs et
les organismes de sécurité sociale, notamment de déterminer les modalités financières de leur activité, en application
de l’article L. 322-5-2 du code de la sécurité sociale, et par
laquelle une personne morale de droit public – l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie depuis l’entrée en
vigueur de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 – associe ses
cocontractants à l’exécution du service public administratif
de l’assurance-maladie, est un contrat de droit public. La juridiction administrative est donc compétente pour connaître
du recours en interprétation de cette convention.
La seconde veut que les litiges entre le gestionnaire
d’un service public industriel et commercial et ses usagers
relèvent du juge judiciaire.
La conciliation entre les deux jurisprudences a conduit
le Tribunal des conflits à juger que les litiges entre le gestionnaire d’un service public industriel et commercial et ses
usagers, « quand bien même l’activité de ce service a lieu
sur le domaine public, relèvent de la compétence des juridictions judiciaires, ces litiges étant par nature détachables
de l’occupation domaniale ». Et le Tribunal a appliqué cette
règle au litige qui lui était soumis entre une chambre de
commerce et d’industrie, concessionnaire de l’outillage
public portuaire, service public industriel et commercial,
et un usager de ce service : une action tendant au paiement d’une prestation d’outillage public effectuée par une
chambre de commerce et d’industrie dans le cadre d’une
convention de mise en carénage d’un navire de plaisance,
relève de la compétence du juge judiciaire.
TC 17 novembre 2014, Chambre de commerce et d’industrie
de Perpignan et des Pyrénées Orientales c/ M. Alfredo, req.
n° 3965 : aux Tables.
TC 8 décembre 2014, Chambre nationale des services
d’ambulances c/ Union nationale des caisses d’assurance■■ Compétence
maladie et autres, req. n° 3980 : au Recueil.
■■ Compétence
des juridictions administrative et
judiciaire – Compétence de la juridiction judiciaire –
Existence – Litige entre le gestionnaire d’un SPIC et
ses usagers quand bien même l’activité de ce service
a lieu sur le domaine public.
Le Tribunal des conflits a été conduit à concilier deux
jurisprudences.
La première, dont il réaffirme la portée, veut que les litiges
relatifs à la passation et à l’exécution de contrats comportant occupation du domaine public relèvent, en vertu de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes
publiques qui a « codifié » sur ce point la jurisprudence, de
la compétence du juge administratif. Il en va de même des
litiges nés des contrats conclus entre un délégataire de service public et un tiers et comportant occupation du domaine
public (TC 14 mai 2012, Mme Gilles c/ Société d’exploitation
sports et événements et ville de Paris, req. n° 3836 : Rec.,
p. 512 ; BJCP n° 84 ; septembre-octobre 2012, p. 382, avec
les conclusions Laurent Olléon et observations S. N. ; CE
9 décembre 2013, EURL Aquagol c/ Association réunionnaise de développement de l’aquaculture, req. n° 3925 :
mentionnée au Recueil ; BJCP n° 93, mars-avril 2014, p. 115,
concl. Didier Boccon-Gibob, obs. S. N.).
146
des juridictions administrative et
judiciaire – Renvoi au Tribunal des conflits de la
détermination de la nature des contrats – Contrats
conclus
entre
une
société
concessionnaire
d’autoroutes et les sociétés de dépannage.
Normalement les contrats conclus par une personne
privée ne peuvent être administratifs. La jurisprudence a
fixé néanmoins 4 séries d’exception très encadrées et limitées. Le Conseil d’État a renvoyé au Tribunal des conflits
la question de savoir si les contrats conclus par les sociétés concessionnaires d’autoroute avec les sociétés de
dépannage de véhicules en panne ou accidentés étaient,
en application de ces exceptions, des contrats administratifs. Le rapporteur public, Bertrand Dacosta, a examiné les
exceptions possibles.
Il a exclu que puisse jouer la première de ces exceptions,
posée par la décision du Tribunal des conflits pour les travaux autoroutiers Entreprise Peyrot du 8 juillet 1963 : Rec.,
p. 787. Cette jurisprudence s’applique en effet à la seule
réalisation de travaux routiers effectués par des sociétés
privées cocontractantes des sociétés d’autoroute qu’elles
soient des sociétés d’économie mixte ou non (CE S.
3 mars 1989, Société des autoroutes de la région RhôneAlpes : Rec., p. 69, avec les conclusions de M. Guillaume).
Et cette jurisprudence autoroutière a été légèrement étendue pour intégrer les tunnels routiers (CE 24 avril 1968,
B u l l e t i n j u r i d i q u e d e s c o n t r at s p u b l i c s N ° 9 9
BRÈVES DE JURISPRUDENCE
Société concessionnaire française pour la construction et
l’exploitation du tunnel routier sous le Mont Blanc : Rec.,
p. 256). Mais le dépannage de véhicules ne relève pas de
travaux routiers.
Pour les mêmes raisons, Bertrand Dacosta a exclu la
mise en œuvre de la deuxième exception concernant les
travaux de réalisation d’ouvrages remis dès leur achèvement à la personne publique. Il s’agit de la logique d’une
intervention « pour le compte de la personne publique »,
logique de quasi-mandat (CE S. 30 mai 1975, Société
d’équipement de la région montpelliéraine : Rec., p. 326 ;
TC 7 juillet 1975, Commune d’Agde : Rec., p. 798 ; voir
aussi, pour les contrats de travaux publics conclus par la
société chargée de faire construire une centrale nucléaire
pour le compte d’EDF, TC 10 mai 1993, Société Wanner
Isofi Isolation et Société Nersa : Rec., p. 840). Cette jurisprudence a été récemment précisée : il n’y a intervention « pour le compte » de la personne publique que si
la société réalise des ouvrages pour le compte de la personne publique et les lui remet dès achèvement sans les
exploiter (CE 17 juin 2006, SAEM Bibracte, req. n° 297509 :
Rec., p. 667 ; BJCP n° 66, octobre 2009, p. 379, avec les
conclusions Nicolas Boulouis et observations R. S. ; CE
11 mars 2011 Communauté d’agglomération du Grand
Toulouse : Rec., p. 843 ; BJCP n° 76, mai-juin 2011, p. 222,
concl. Nicolas Boulouis, obs. R. S.).
La troisième exception, relative aux contrats conclus par
les concessionnaires de service public avec les sous-occupants du domaine public n’était, pour le rapporteur public,
pas plus en cause (TC 10 juillet 1956, Société des steeple –
Chase de France : Rec., p. 58 ; jurisprudence étendue légèrement à tous les délégataires de service public concluant
des contrats en vue d’autoriser une sous-occupation du
domaine public : TC 14 mai 2012, Mme Gilles, req. n° 3836 :
Rec., p. 512 ; BJCP n° 84 ; septembre-octobre 2012 p. 382,
concl. Laurent Olléon, obs. S. N. ; CE 9 décembre 2013,
EURL Aquagol c/ Association réunionnaise de développement de l’aquaculture, req. n° 3925 : mentionnée au
Recueil ; BJCP n° 93, mars-avril 2014, p. 115, concl. Didier
Boccon-Gibob, obs. S. N.). Il estimait que même si les
sociétés exerçaient leur activité sur le domaine public, il
n’y avait pas pour autant occupation du domaine public.
Le Tribunal des conflits aura néanmoins à estimer si cette
exception peut jouer pour ce type de contrat.
Reste la dernière hypothèse, plus rare : le « quasi-mandat » en dehors de la réalisation d’ouvrage public. De
temps en temps, la jurisprudence relève, par un faisceau
d’indices, que le cocontractant de la personne publique
agit en réalité pour le compte de celle-ci, les relations qu’il
noue à cette fin avec d’autres personnes privées étant alors
soumises au droit public. Peuvent être citées la décision
CE S. 18 juin 1976, Dame Culard (Rec., p. 320), s’agissant
de prêts consentis à des personnes privées par une banque
sur des fonds provenant de comptes du Trésor public sous
le contrôle de l’administration et la décision du Tribunal des
conflits 16 octobre 2006, L’EURL Pharmacie de la gare Saint
Charles : Rec., p. 639 s’agissant de conventions conclues
par une filiale de la SNCF pour commercialiser et gérer
les emplacements commerciaux situés dans l’emprise de
la gare. Ont également été regardés comme des contrats
administratifs, les contrats conclus par les exploitants des
aéroports avec les sociétés chargées de l’inspection et du
filtrage des passagers et bagages (CE 3 juin 2009, Société
Aéroports de Paris : Rec., p. 216 ; BJCP n° 66, octobre
2009, p. 419).
A contrario, le contrôle exercé par la ville de Paris sur la
réalisation des travaux faits par une société liée contractuellement à l’exploitante de la tour Eiffel n’excédant pas « le
pouvoir que conserve le propriétaire de l’ouvrage public afin
d’en assurer l’intégrité et de la destination par son cocontractant », les travaux étant financés par l’exploitation et non
par des subventions, l’exploitante de la Tour Eiffel ne peut
être regardée comme agissant pour le compte de la ville en
concluant ces marchés de travaux d’entretien (TC 16 mai
2014, Société d’exploitation de la Tour Eiffel, req. n° 3944).
Les conclusions du rapporteur public et les motifs de la
décision de renvoi du Conseil d’État montrent que ce dernier s’est interrogé sur l’application possible de cette dernière exception. Le Conseil d’État a en effet déjà jugé que
les contrats conclus avec des sociétés privées pour assurer
le dépannage sur autoroute portent sur l’exécution d’une
mission de service public (22 mars 2000, Époux Lasaulce :
Rec., p. 126 ; CE 6 novembre 2013, SARL Rapidépannage
62, req. n° 363963). Et l’exercice de cette activité de service public peut être légalement réglementé par le Premier
ministre dans le cadre de son pouvoir de police général, ce
qui fonde la légalité de l’agrément par l’État des sociétés
(CE 25 septembre 2013, Société Rapidépannage 62, req.
n° 363184 : mentionnée au Recueil).
Le Conseil d’État a ainsi relevé, pour fonder le renvoi au
TC que, par décret du 7 février 1992, l’État a concédé à la
société ASF la construction, l’entretien et l’exploitation d’autoroutes et « que l’article 13-1 du cahier des charges de la
concession, annexé à ce décret, oblige la société concessionnaire à assurer directement ou à faire assurer sous sa
responsabilité, sur l’ensemble du domaine concédé, le
dépannage des véhicules en panne ou accidentés, dans
les conditions posées par la réglementation et les instructions ministérielles, conformément à l’article R. 317-21 du
code de la route aux termes duquel : “Le ministre chargé
des transports fixe par arrêté les conditions dans lesquelles
les véhicules en panne ou accidentés peuvent être remorqués par un autre véhicule. Il fixe également par arrêté les
caractéristiques techniques auxquelles doivent répondre
les véhicules spécialisés dans les opérations de remorquage ainsi que leurs conditions de circulation […]” ». Il a
aussi relevé que « l’article 13-1 du cahier des charges de
la concession prévoit également que, si le concessionnaire
B u l l e t i n j u r i d i q u e d e s c o n t r at s p u b l i c s N ° 9 9 147
BRÈVES DE JURISPRUDENCE
peut décider de faire assurer cette mission de dépannage
des véhicules par des tiers, ceux-ci doivent être agréés à
cette fin par le préfet, l’article R. 421-10 du code de la route
réprimant par une amende le fait d’exercer cette activité sur
une autoroute concédée sans être titulaire de l’agrément
ainsi prévu par le contrat de concession » et, « qu’enfin,
aux termes de l’article 4 du décret du 11 juillet 1989 relatif au tarif de dépannage des véhicules sur les autoroutes
et routes express : « Chaque année, le ministre chargé de
l’économie fixe, par arrêté, le prix forfaitaire du dépannage
[…]” ». Le Conseil d’État en a conclu que : « La société
ASF exerce directement ou fait assurer sous sa responsabilité la mission de service public de dépannage des
véhicules sur les autoroutes qui lui sont concédées ; que
d’une part, l’État contrôle les modalités d’exercice de cette
mission déléguée au concessionnaire ou sous-déléguée à
une entreprise de dépannage, notamment par instructions
ministérielles et, d’autre part, lorsque ASF utilise la possibilité de déléguer cette mission, il vérifie que les entreprises
choisies par le concessionnaire pour assurer cette mission
et présentées à cette fin à son agrément, sont en mesure de
remplir leur mission dans le respect notamment des objectifs de sécurité routière ; que dans ces conditions, la question se pose de savoir si ces contrats de sous-concession,
bien que conclus entre deux personnes privées, sont, eu
égard à leur objet et à l’intensité du contrôle de l’État, des
contrats passés pour le compte de l’État et, par suite, des
contrats administratifs. »
CE 14 novembre 2014, Société des autoroutes du sud de la
France, req. n° 374557.
■■ Compétence
des juridictions administrative et
judiciaire – Renvoi au Tribunal des conflits de la
détermination de la nature des contrats – Contrat
conclu par une société d’autoroutes pour la réalisation
d’une sculpture sur aire de service avant l’attribution
de la concession.
Par un arrêt du 17 février 2010, Autoroute du sud de la
France, n° 08-11896, Bulletin I, n° 43, la 1re chambre civile
de la Cour de cassation a jugé qu’avait un caractère administratif le contrat conclu entre un artiste et une société
concessionnaire d’autoroute pour la réalisation d’une
œuvre d’art, celle-ci s’analysant, quelle que soit sa fonction, comme un ouvrage accessoire à l’autoroute, dès lors
que le concessionnaire est tenu d’y consacrer une partie
de la participation financière de l’État. En se fondant ainsi
sur l’obligation légale qu’ont les sociétés d’autoroute de
réaliser des œuvres d’art, la Cour de cassation a assimilé
ces œuvres à des travaux publics autoroutiers réalisés
pour le compte de l’État en application de la jurisprudence
Entreprise Peyrot (TC 8 juillet 1963 : Rec., p. 787).
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Sans remettre en cause directement cette jurisprudence, la cour administrative d’appel de Paris, saisie du
même litige que celui ayant conduit à l’arrêt du 17 février
2010, opposant la société des autoroutes du Sud de la
France à la personne qu’elle avait pressentie pour réaliser
une sculpture sur un aire le long du tracé de l’autoroute
A 89, a renvoyé la question de compétence au Tribunal
des conflits estimant quant à elle que ce contrat, eu égard
à sa date de conclusion, ne pouvait être administratif :
« Considérant que, sauf disposition législative contraire, la
nature juridique d’un contrat s ‘apprécie à la date à laquelle
il a été conclu ; qu’en l’espèce, si la société ASF a conclu la
convention litigieuse […] en vue de se conformer à l’obligation réglementaire de consacrer une partie du montant des
travaux autoroutiers à la réalisation d’une œuvre conçue par
un artiste, cette société n’était pas, à cette date, concessionnaire de l’autoroute A 89, sur le tracé de laquelle l’implantation de la sculpture était envisagée ; que, dès lors, en
admettant même que la sculpture […] pourrait être considérée comme un ouvrage accessoire à la future autoroute
A 89, cette convention, conclue entre deux personnes privées agissant pour leur propre compte, présentait le caractère d’un contrat de droit privé ; que la circonstance que la
société ASF a été désignée en qualité de concessionnaire
[…] postérieurement à la signature de la convention, n’a pu
avoir pour effet de conférer à cette dernière un caractère
administratif ; […] / qu’il résulte de ce qui précède que le
litige soumis à la Cour […] paraît relever de la compétence
des juridictions de l’ordre judiciaire ; que toutefois, ainsi
qu’il a été dit au point 1, la Cour de cassation, saisie par
la société ASF, a décliné la compétence des tribunaux de
l’ordre judiciaire, par arrêt du 17 février 2010 ; qu’il convient,
dans ces conditions et par application des dispositions
précitées de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849, de
renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la
question de compétence ainsi soulevée, et de surseoir à
toute procédure jusqu’à la décision de ce tribunal. »
Cette affaire donnera sans doute l’occasion au Tribunal
de confirmer ou d’infirmer le principe arrêté par la Cour de
cassation et non pas seulement d’apprécier la nature du
contrat en fonction de sa date de conclusion.
CAA Paris 21 octobre 2014, Mme Rispail, req. n° 13PA01105.
■■ Procédure
contentieuse – Moyen – Recevabilité –
Existence – Moyens en défense non soumis à une
conciliation préalable contractuellement exigée.
Lorsque le contrat exige avant toute saisine du juge le
respect d’une procédure de conciliation préalable, la saisine directe du juge n’est pas recevable. Il faut rappeler
toutefois que cette irrecevabilité découlant de clauses
contractuelles n’est pas d’ordre public dès lors que les parties peuvent y déroger d’un commun accord.
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BRÈVES DE JURISPRUDENCE
Toutefois, de telles stipulations contractuelles imposant
aux parties de se conformer à une procédure de conciliation
préalable avant de saisir le juge ne sauraient avoir pour objet
ou pour effet, une fois le juge régulièrement saisi par l’un des
cocontractants, de subordonner au respect de cette procédure la recevabilité de moyens ou de conclusions reconventionnelles présentés en défense par l’autre partie, en vue
notamment d’opposer une compensation. (Comp. Sur le
principe de l’irrecevabilité du recours direct au juge lorsque
cette irrecevabilité est soulevée par un cocontractant : CE S.
19 janvier 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière
du Sant, req. n° 82338 : Rec., p. 48. ; pour l’illégalité de titre
exécutoire émis par la personne publique contre son cocontractant en l’absence de respect de la conciliation préalable :
CE 28 janvier 2011, Département des Alpes-Maritimes, req.
n° 331986 : Rec., p. 1013).
CE 14 novembre 2014, Département de la Guadeloupe, req.
n° 376119 : mentionnée en défense.
■■ Procédure
contentieuse – Moyens d’ordre public –
Absence – Caractère unique et définitif du décompte
général d’un marché de travaux.
Le Conseil d’État vient de préciser, conformément à sa
jurisprudence usuelle en matière de marché public, les
conséquences sur la procédure contentieuse de la nature
purement contractuelle des règles en matière d’établissement du décompte du marché. Les règles en matière de
décompte auxquelles font référence les marchés publics sont
en effet posées par les cahiers des charges types qui n’ont
aucune portée obligatoire. Les marchés y font référence et
donnent ainsi à leur contenu une valeur contractuelle.
En conséquence, si les parties à un marché public de
travaux peuvent convenir que l’ensemble des opérations
auxquelles donne lieu l’exécution de ce marché est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être
isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l’établissement
du décompte définitif, détermine leurs droits et obligations
définitifs, elles n’y sont pas tenues. Dès lors, ni le caractère
unique et exhaustif d’un tel compte ni son caractère définitif, qui ne sont pas d’ordre public, ne peuvent être opposés
d’office par le juge aux prétentions d’une partie.
CE 3 novembre 2014, Société Bancillon BTP, req. n° 372040 :
au Recueil.
■■ Procédures d’urgence – Référé contractuel (art. L. 551-
13 et suivants du code de justice administrative) – Cas
limités dans lesquels le juge peut exercer son office
et annuler le contrat – Exemple d’un MAPA.
Le référé contractuel ne peut jouer que dans des cas très
particuliers, quasi pathologiques, notamment lorsqu’est en
cause un marché à procédure adaptée. Le Conseil d’État
vient de le rappeler dans sa décision Communauté de communes du canton de Varilhes.
Le juge de cassation a tout d’abord réitéré les cas très
particuliers dans lesquels l’article L. 551-18 du code de
justice administrative permet au juge du référé contractuel
d’exercer son office et d’annuler le contrat. Cet article prévoit trois hypothèses dont seules deux sont applicables
aux marchés à procédure adaptée : « les cas dans lesquels
le juge du référé contractuel peut annuler un contrat sont
limitativement énumérés aux trois alinéas de l’article L. 55118 précité ; que, s’agissant des marchés passés selon une
procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation,
pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de
notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une
offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution,
l’annulation d’un tel contrat ne peut en principe résulter,
quand bien même le pouvoir adjudicateur aurait pris l’initiative, sans y être tenu, de procéder à une telle notification, que du constat des manquements mentionnés aux
deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de
l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise
en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ; que le juge du référé contractuel doit également
annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement
des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du
code de justice administrative, ou prendre l’une des autres
mesures mentionnées à l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où, alors qu’un recours en référé précontractuel a été
formé, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a
pas respecté la suspension de signature du contrat prévue
aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s’est pas conformé
à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé. » Le troisième alinéa du L. 551-18 qui vise les cas dans lesquels
le pouvoir adjudicateur doit notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre la décision d’attribution et
respecter un délai, à compter de cette notification, avant
de procéder à la signature, (délai dit de « standstill » ou de
« suspension ») n’est applicable qu’aux marchés soumis à
l’article 80 du code des marchés publics et n’est donc pas
applicable aux marchés à procédure adaptée (CE 19 janvier 2011, Grand port maritime du Havre, req. n° 343435 :
Rec., p. 11 ; BJCP n° 75, mars-avril 2011, p. 125, concl.
Nicolas Boulouis, obs. Ch. M.).
Or, le juge des référés avait estimé que la communauté
de communes en s’étant elle-même imposée une procédure de notification du rejet des offres et de respect d’un
délai à compter de cette notification avant la signature du
contrat, entrait dans le champ de ce troisième alinéa. Il avait
ce faisant commis une erreur de droit : ce n’est pas parce
que le pouvoir adjudicateur s’impose, sans y être tenu, de
respecter l’article 80 du code des marchés publics, que le
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BRÈVES DE JURISPRUDENCE
juge des référés peut exercer l’office prévu par le troisième
alinéa de l’article L. 551-18. Le Conseil d’État a donc cassé
son ordonnance. (voir, dans le cas d’une délégation de service public, le pouvoir adjudicateur s’imposant le respect
du délai de « standstill » sans conséquence sur l’office du
juge du référé contractuel : CE 25 octobre 2013, Commune
de la Seyne-sur-Mer, req. n° 370393 : BJCP n° 92, janvierfévrier 2014, p. 47, concl. Gilles Pellissier, obs. R. S.).
Réglant ensuite le litige en référé, le Conseil d’État a
relevé que la communauté de communes avait conclu un
marché à bons de commande reconductible sans minimum
ni maximum. Or, dans cette hypothèse, en application des
dispositions de l’article 27 du code des marchés publics, la
valeur estimée du marché était réputée excéder les seuils
de procédure formalisée alors même que la délibération de
la communauté de communes autorisant le lancement de
la procédure faisait état d’une valeur estimée inférieure à
ceux-ci. Dès lors, la communauté de communes était soumise aux dispositions de l’article 80 du code des marchés
publics en vertu duquel, pour les marchés passés selon
une procédure formalisée, le pouvoir adjudicateur doit notifier aux candidats dont l’offre n’a pas été retenue le rejet de
leur offre en précisant le nom de l’attributaire et respecter
un délai d’au moins seize jours entre la date d’envoi de la
notification et la date de conclusion du marché. Ce n’est
pas parce que le pouvoir adjudicateur décide illégalement
de suivre une procédure adaptée que l’office du juge du
référé contractuel est en conséquence limité. Le Conseil
d’État a donc relevé que l’article 80 avait été méconnu et
que, même si la requérante avait antérieurement présenté
un référé précontractuel, ce qui exclut normalement le
référé contractuel en vertu de l’article L. 551-14, elle n’avait
pu présenter utilement ce référé précontractuel en raison de la signature du contrat avant l’expiration du délai
de suspension. Le référé contractuel était donc recevable
(CE 10 novembre 2010, France AGRIMER, req. n° 340944 :
BJCP n° 74, janvier-février 2011 p. 75).
Puis, constatant que « la communauté de communes
du canton de Varilhes n’a pas publié au Journal officiel de
l’Union européenne d’avis d’appel public à la concurrence,
alors qu’elle y était tenue en application des dispositions
de l’article 40 du code des marchés publics, dès lors que,
ainsi qu’il a été dit, le marché à bons de commande conclu
sans maximum doit être réputé excéder les seuils des procédures formalisées », le Conseil d’État a annulé le contrat
sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 551-18 du
code de justice administrative.
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Par cette décision le Conseil d’État a donc été confronté
à un nouveau cas « pathologique » conduisant à l’annulation du contrat, cas qui se comptent, depuis la création
de cette procédure, s’agissant du Conseil d’État, sur les
doigts d’une seule main…
CE 17 décembre 2014, Communauté de communes du canton
de Varilhes, req. n° 385033.
■■ Recours
contractuel entre les parties – Recours en
contestation de la validité du contrat – a) Moyens
opérants b) Intérêt justifiant la poursuite de l’exécution
du contrat – Existence.
Le juge du contrat n’est conduit à annuler le contrat que
si les vices l’affectant sont d’une particulière gravité, après
avoir pris en compte l’éventuel intérêt s’attachant à la poursuite de son exécution.
Par la décision Société Bancel, le Conseil d’État vient
d’apporter deux éclairages intéressants sur les conditions
d’annulation d’un contrat.
Tout d’abord, il a jugé que : « L’obligation pour le pouvoir
adjudicateur, d’une part, de mentionner les voies et délais
de recours contre la procédure de passation dont disposent
les candidats à l’attribution d ‘un marché et, d’autre part,
de respecter un délai de suspension entre la notification
du rejet de l’offre d’un candidat et la signature du marché,
vise seulement à permettre aux candidats évincés de saisir
utilement le juge du référé précontractuel ; que, par suite,
les vices tenant tant à l’absence de mention de ces voies et
délais de recours qu’au non-respect de ce délai de suspension n’affectent pas la validité du contrat et ne sauraient, en
conséquence, justifier son annulation ou sa résiliation. » Les
règles procédurales qui visent à permettre aux intéressés
de saisir le juge des référés ne constituent pas en ellesmêmes des conditions de validité du contrat.
Ensuite, il appartient au juge du contrat de déterminer
si, nonobstant les vices entachant le contrat, un intérêt
notamment public justifie le maintien de son exécution. Il
s’agit sur ce point d’une appréciation souveraine du juge
du fond. Et en l’espèce, la cour administrative d’appel avait
estimé l’accueil de personnes âgées dépendantes dans le
bâtiment objet du contrat contesté constituait un intérêt justifiant la poursuite de son exécution.
CE 3 décembre 2014, Société Bancel, req. n° 366153.
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