LE JOB
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LE JOB
WILLIAM BURROUGHS LE JOB (beifond) entretiens avec DANIEL ODIER Dans la même collection : MARCEL DUCHAMP Ingénieur du temps perdu entretiens avec Pierre Cabane EUGENE IONESCO Entre la vie et le rêve entretiens avec Claude Bonnefoy WITOLD GOMBROWICZ Testament entretiens avec Dominique de Roux MIRCEA ELIADE L'épreuve du labyrinthe entretiens avec Claude-Henri Rocquet COLLECTION « ENTRETIENS » dirigée par Claude Bonnefoy WILLIAM BURROUGHS JOB Entretiens ODIER avec DANIEL Edition augmentée et entièrement revue par Philippe Mikriammos Préface de Gérard-Georges Lemaire P I E R R E B E L F O N D 3 bis, passage de la Petite-Boucherie 75006 Paris Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications envoyez vos nom et adresse en citant ce livre. Editions Pierre Belfond 3 bis, passage de la Petite-Boucherie 75006 Paris I S B N : 2.7144.1193.2 © Belfond, 1979 SOMMAIRE Préface de Gérard-Georges Lemaire ........... 9 Playback d'Eden à Watergate ...................... 23 « Navigare necesse es. Vivare non es necesse »............................... 39 Voyage dans l'espace-temps ..................... 43 Prisonniers de la terre, sortez....................... 83 Une nouvelle grenouille ............................. 149 L'Académie 23 ........................................ 167 Biographie ................................................ 247 Bibliographie .................... ....... ................. 251 PREFACE Ces entretiens de William S. Burroughs avec Daniel Odier ont paru il y a exactement dix années. Depuis, Burroughs est devenu l'une des figures marquantes de la modernité. Et, assez curieusement, c'est en France que son œuvre romanesque et critique est la plus recherchée, la plus discutée. C'est là aussi que son impact a été le plus fort sur les jeunes écrivains. Ce curieux détour de l'histoire autorise et rend en tout cas urgente une nouvelle circulation de ce document capital qui, il faut le rappeler, a été l'un des premiers à paraître sur l'auteur de Le Festin nu, avec /'Anthologie de la Beat Génération présentée par Jean-Jacques Lebel aux éditions Denoël et le numéro spécial des Cahiers de l'Herne qui rassemblait Kaufman, Pélieu et Burroughs. Mais cette réédition ne se contente pas de reproduire in extenso les enregistrements et les textes de 1969. Elle tient compte des corrections et des ajouts qui ont pu être faits lors de la publication aux Etats-Unis de ces conversations. Rebaptisées The Job à cette occasion, elles paraissent en 1970 chez Grove Press. Rééditées quatre ans plus tard, elles sont augmentées de deux textes, Playback d'Eden à Watergate, qui figure 7 dans le présent volume, et Révolution électronique, d'ores et déjà traduit aux éditions Champ Libre. Tout en respectant le projet initial de Daniel Odier, cette version nouvelle dont Philippe Mikriammos a été l'artisan peut être envisagée comme un livre n'ayant que peu de rapport avec son modèle. C'est d'ailleurs ce qui nous autorise à l'intituler désormais Le Job. LES HIEROGLYPHES DU SILENCE Plus encore que d'une image et d'un nom, William S. Burroughs est devenu prisonnier d'une légende. Cette légende est née en 1959 avec la publication quasiment clandestine à Paris de sa première grande œuvre de fiction, Le Festin nu. Burroughs s'est délibérément projeté dans cet imaginaire verbal pour échapper à une autre fiction, inexorable celle-là, qui l'a retenu pendant quelque douze années dans son impitoyable microcosme — je veux bien sûr parler de celui de la drogue, qu'il a décidé de circonscrire et d'exorciser en rédigeant ce gigantesque témoignage in vivo. Mais il ne s'est pas contenté cette fois de retracer la trajectoire terrifiante d'une autobiographie comme il l'avait fait précédemment dans Junky, son premier livre paru aux Etats-Unis. Il s'est agi dès lors d'un reportage au plus secret de cette sphère délirante et, plus encore, d'une véritable enquête sur ses configurations de signes et ses modes de reconnaissance, d'un examen systématique et pervers de son économie et de sa symbolique. L'espace-temps que l'héroïne lui a fait découvrir lui a fourni le modèle des structures interférantes qu'il va confectionner et employer à partir de cette époque pour rendre compte d'un extraordinaire voyage à l'intérieur d'un corps menacé de destruction et d'un esprit condamné à une mort blanche et sordide. Toute sa recherche littéraire s'est inventée dans cette ambiguïté fondamentale qui le fait osciller entre la revendication d'une identité et son abolition dans les zones troubles et instables de la mémoire. De là l'ambiguïté de sa position : l'écrivain William S. Burroughs renvoie le sujet d'expérience William S. Burroughs à son labyrinthe sensuel et conceptuel, et en traque les émotions, les réactions nerveuses, les transformations psychiques avec une froideur toute médicale. Il n'a de cesse de s'ériger en explorateur et en défricheur de l'inconscient. Il affecte même à l'écrivain une fonction quasiment scientifique, en lui intimant d'étudier et de tirer les conséquences les plus inacceptables des relations qu'entretiennent l'écriture, le corps, la sexualité, la mort, etc. Pourtant, il ne s'en désolidarise pas moins de ses productions, se met à l'écart de ce qu'il considère comme étant sa « mythologie personnelle » et se place dans la position d'un scribe — dans la position de celui qui se contente de traduire et de retranscrire. Dans cet incessant passage de l'expérimentation à la mystification, de la notation clinique des transactions les plus subjectives à la déposition truquée des fabulations de l'entre chien et loup de la conscience, Burroughs brouille les pistes. Ses enregistrements ne sont jamais que la rationalisation et l'organisation maniaque de cette apparente déperdition de sens et d'unité. Alors, si ses écrits établissent une sorte de cohérence, non pas de forme mais de stratégie, ils se présentent à la limite comme un simulacre de système où se retrouvent toujours indexés les fragments narratifs et les séquences didactiques d'une œuvre qui ne parvient pas à se forclore, mais, au contraire, trace des spirales délusoires. Et le système lui-même accumule les informations concernant sa fabrication, sur cette manufacture qui, peu à peu, se transforme par une mécanisation des procédés, se perfectionnant et se diversifiant pour se présenter comme une industrie de pointe qui permet, dans l'absolu, de prévoir une autoproduction de la matière première d'un livre infini. Mais ce n'est là qu'une figure, servant à briser celle de la Bibliothèque de Babel et à avancer celle d'une guerre linguistique à l'intérieur d'une machine à remonter le temps. Et quoi qu'il en soit, comme dans les dédales borgésiens, nous ne sommes jamais en mesure de maîtriser les mécanismes et les lois régissant cet univers en expansion, de déchiffrer les clefs occultes des principes déterminant la cristallisation et la dissolution de ces bribes et de ces pans de significations, de délimiter ces affrontements et ces 9 contradictions dans le champ multidimen-sionnel de sa révolution électronique. Tout point de vue, toute perspective, toute saisie optique du territoire textuel sont rendus quasiment impossibles, absurdes et frappés d'inanité comme toute velléité d'interprétation et de soumission au moindre métalangage. Cet incessant déplacement des abscisses et des ordonnées, cette modification ininterrompue des lieux de fixation, des repères temporels et des phases narratives, cette interaction des données écrites, originées, traitées, programmées et rejetées par la machine de contrôle soudain menacée dans son fonctionnement, cette mouvance des modes d'action et l'altérité des registres référentiels s'additionnent et se conjuguent pour transformer toute avancée théorique en fiction et toute fiction en amorce de raisonnement théorique. La résistance s'organise dans et par l'écriture contre toute prise de pouvoir dans la langue. La théorie de cette résistance ne peut permettre son instauration. Elle n'existe que dans la belligérance. Dans ce conflit ouvert, il y a bien un maître — la « machine de contrôle » — et il y a bien des esclaves révoltés. Mais le maître comme ses sujets parlent par l'entremise d'une seule bouche — une bouche aux voix multiples, aux paroles fragmentées. La dissémination des phonèmes, le grouillant murmure des phrases morcelées ramènent la fiction au moment crucial de la création : l'écrivain, responsable de ses personnages et de ses situations, ne peut plus se servir de son souffle pour informer l'argile de son cosmos de fantaisie : il ne peut qu'organiser la corruption du logos. La parole du commencement est comme effacée, et la ligne tendue du langage que le dieu biblique a proféré pour rendre possible l'humanité n'est plus que lambeaux épars. Dans ce chaos logomachique, les héros ne sont plus que des fantômes temporaires et des ombres amputées, ne subsistant dans le court espace de leur prestation que par l'attribution d'un nom, lui-même sujet à déformations, mutilations, modifications, et voué le plus souvent à une disparition irrémédiable et dérisoire dans les latrines de l'imaginaire. Ce sont des habitants d'une planète ravagée par un séisme sans précédent. Le séisme a pour effet une détérioration irrémédiable des schèmes de l'entendement. Alors la panique s'installe. Et ils se bousculent dans un vortex. Et ce sont eux qui n'existent qu'habités par le langage qui les fait porter un nom et tenir un rôle quelconque dans la métropolis burroughsienne où plusieurs générations d'événements se superposent sur plusieurs plans. Tout le christianisme s'est concentré sur le problème de l'univocité du discours, envisagé comme une pyramide dont la pointe désignerait l'origine. Abandonner l'observance de la loi universelle de la langue divine revenait à en perdre la raison et à errer sur les eaux démontées de la démence. Burroughs s'emploie avec acharnement à contrecarrer ce dessein théologique et répertorie tous les moyens possibles pour que soit visée l'échappée à ce parasitage, qui asservit l'homme et le fait s'incliner devant le diktat de la grammaire. Les méthodes littéraires1 qu'il met au point, 1. Des méthodes littéraires et de leurs implications. Les techniques littéraires utilisées par William S. Burroughs sont extrêmement nombreuses et souvent associées les unes aux autres. Les plus importantes — le cut-up (découpage), le fold-in (pliage) et les permutations — ont été plus ou moins usitées pour la fabrication de ses écrits après Le Festin nu — ce roman constituant de façon plus ou moins métaphorique la matrice des fictions que Burroughs a imaginées par la suite, ses chutes, ses repentirs et ses prolongements servant à fournir ces nouvelles fictions en matériaux narratifs. A ces trois méthodes largement éprouvées dans les textes composant The Third Mind (Œuvre croisée) que Burroughs écrivit de concert avec Brion Gysin, le « découvreur » de la plupart de ces moyens mécaniques de multiplication des événements textuels, ou dans celles réunies dans l'édition française de White Subway (Le Métro blanc), d'autres ont été adjointes, essentiellement des techniques se rapportant à des médias différents : le collage, l'épissage des bandes magnétiques, le montage des films, etc. Une partie de ces méthodes ont été reprises, répertoriées, généralisées et mises en batterie dans The Electronic Révolution (La Révolution électronique), traité dans lequel Burroughs s'est efforcé d'en montrer les applications possibles dans la « réalité y du combat idéologique — cet opuscule pouvant passer pour un manuel politique à l'usage d'un Machiavel de l'ère atomique. Laissant progressivement place à un traitement moins systé- emprunte, perfectionne, éprouve, combine, ne sont rien d'autre que les instruments autorisant cette échappée. En organisant toujours plus de chaos et en donnant à ce Il est vrai cependant que persévérer dans la combinaison du cut-up, du fold-in, des permutations et d'autres formules bâtardes n'aurait pu conduire Burroughs qu'à l'accélération d'un processus de raréfaction de sa sphère opératoire, tout comme à un appauvrissement dramatique de ses routines, réduites alors à des hypothèses de travail. Pour en finir avec la question des méthodes, qui a soulevé de surprenantes polémiques ces temps derniers, je ne saurais trop insister sur le fait qu'elles sont d'authentiques moyens de construire, et même de conceptualiser une œuvre, mais qu'elles font également partie de ce territoire fictionnel que Burroughs a voulu à la fois comme salle d'opération, analyse de cette salle d'opération et pulvérisation fantasmatique des deux premières instances. Les méthodes ne peuvent être comprises si on ne les implique pas dans le processus romanesque dont l'un des topiques est la disparition de l'écrivain comme manipulateur omniscient — une disparition métaphorique elle aussi, mais qui recouvre toute la portée critique de ces tentatives d'automatisme scriptural, qui n'ont rien de commun avec l'écriture automatique des Surréalistes. chaos l'aspect d'une jungle où évoluer dans un incognito mythologique, il est 11 paradoxalement conduit à produire des méthodes d'écriture de plus en plus complexes. Et ces méthodes s'inscrivent dans un projet d'hétérogé-néisation des fonctions textuelles. Mais le chaos n'est qu'une apparence de chaos. C'est une chora, une fosse d'aisance du sens, une culture de germes sémiques, un « trou à ordures ». Sa mythologie se tient tout entière dans ce tourbillonnement : elle en narre les cycles concentriques qui se chevauchent, se télescopent et se contaminent dans un désordre qui n'est qu'apparent. Il n'y a ni ordre ni désordre, mais un type spécifique de logique associative, fondée sur les théories mathématiques modernes. La mythologie est donc avant tout une logique. Mais une logique qui table sur un delirium 1. Avec elle, nous sommes confrontés à une version moderne des Métamorphoses qu'il ne serait pas vain de rapprocher du traité d'Ovide : l'univers est conçu dans une accélération du processus de la 1. Des délires et des rêves et de leurs applications scripturaires. Il a été trop souvent dit et imprimé que l'écriture de Burroughs peut se comparer à celle que peut produire ta démence, en particulier celle des schizophrènes, décrite avec précision dans le livre de Wolfson, ou à la forme narrative des rêves qui repose sur une logique associative qui procède par condensation, déplacement et transposition. Une telle erreur et une schématisation aussi outrancière ne peuvent obéir qu'au souci méprisable d'expliquer une œuvre littéraire par une quelconque pathogénèse ou par l'imposition de lois qui lui sont extrinsèques. Sans vouloir m'étendre longtemps sur cette question, je voudrais seulement pointer le fait que Burroughs a bel et bien inclus le rêve et la folie dans ses écrits, qu'il considère même le langage de l'un comme de l'autre comme des paradigmes de son propre travail. Mais il suffit de lire ses Journaux de retraite où, à l'exemple du Kerouac du Livre des rêves, il consigne ses rêves, les commente et montre de quelle façon ils sont intégrés à la masse signifiante destinée à constituer un ouvrage, pour se rendre compte combien ils importent en tant qu'objets d'expériences, au même titre que les phénomènes perceptifs ou hallucinatoires. L'œuvre de Burroughs s'édifiant dans Vidée qu'il est besoin de concevoir la langue comme un immense réservoir, non pas à double fond, mais à double surface, comme un palimpseste discursif en perpétuelle recomposition, les déviations de la ratio et les infiltrations de l'inconscient viennent naturellement en alimenter et en renouveler la texture. transformation de la matière et des différents règnes. La mythologie se caractérise alors par un monnayage symbolique qui n'a d'autre objet que de ramener toutes les créations du monde aux moments d'un récit soumettant les êtres mortels comme les dieux à ses impératifs. Une telle « mythologie personnelle » ne s'est échafaudée que par la volonté de son auteur qui tentait de rompre le cordon ombilical le reliant au nom du père et au trou de la mère. La matrice où se déclenchent ces hostilités métaphoriques, cette caverne cloaquale où résonnent ces voix sans locuteurs et ces corps sans organes de la parole, ces personnages hybrides qui prononcent des mots qui ne leur appartiennent pas, cet antre des métaphores bibliques — puisque c'est là que se joue le drame qui consiste à rapporter le monde païen dans le Livre du monothéisme —, que sont-ils et que représentent-ils, sinon la dénégation radicale d'une filiation ? D'où la pseudo-utopie burroughsienne qui divise le monde en deux parties, l'une réservée aux hommes et l'autre abandonnée aux femmes, abolit l'amour au profit de la reconnaissance, détruit les structures matriarcales, démantèle la famille, ruine tout normatisme et combat les fondements mêmes de la galaxie Gutenberg. Mais une telle entreprise ne saurait se postuler sans son corollaire obligé: la mise à sac (et non la destruction) du système d'écriture occidental. D'une façon particulièrement explicite, Burroughs assimile l'écriture à la conspiration visant à enfermer l'individu dans un ordre carcéral — la prison n'étant autre que son propre langage — qui tisse avec les mots un voile de Maya entre l'être et les objets, un voile de Maya dressant un rideau de fer entre Nature et Culture. Définissant le langage comme une contagion virale qui le fait assimiler toute pratique langagière à une maladie incurable — la langue elle-même est à regarder comme un hôte indésirable dans le cerveau humain. Le problème soulevé ici est le suivant : faut-il habiter son propre corps ou la langue ? Et que se passe-t-il entre la langue et le corps ? Et si le langage humain n'était qu'un leurre ? Le roman désintégré et dépourvu de centre de gravité de Burroughs se définit bien par cette interrogation infatigable qui a pour conséquence de lui 12 faire poser l'hypothèse d'un corpus hiéroglyphique, inspiré de l'écriture des Egyptiens anciens et des pictogrammes mayas. Ce projet stipule en premier lieu l'ablation de la copule, le bannissement du verbe être, dont les deux modes permettent à la syntaxe de s'ordonner et de répondre aux exigences aristotéliciennes du tiers exclu. Une telle éradication de la copule se concrétise sur-le-champ par la transformation des mécanismes de la ratio. Le langage, contre toute la philosophie gréco-latine et, plus généralement, toutes les spéculations judéo-chrétiennes, doit éviter à jamais le truchement de l'articulation et de la verbalisation pour devenir une association silencieuse et purement imageante. Ce qui est visé, c'est le silence, c'est-à-dire l'impossible humain. Mais ce que démontrent plusieurs de ses textes, tels ceux de la grande trilogie ou ceux réunis dans les chantiers de ses premiers travaux expérimentaux (The Third Mind et tous les avatars de Minute To Go), c'est essentiellement une littéralité inventée grâce à l'emploi des « hiéroglyphes du silence ». Entièrement portée par une fracture dans la voûte acoustique, l'œuvre de Burroughs se donne comme un dialogue interminable, sans résolution possible, entre deux camps ennemis, sans que l'on discerne vraiment qui ou quoi appartient au premier ou au second. L'inspecteur Lee lance une croisade impitoyable contre la canaille Nova, mais n'est-il pas aussi un de ces garçons sauvages qui brandissent le scalpel de la castration, Mr. Bradley-Mr. Martin, divinité bifide et déchue, le môme Citron, A.J., ou quiconque circulant sur les lignes-mots brisées de la communication ? Nous pourrions ici nous employer à replacer Burroughs dans le contexte de la littérature moderne, et le mettre en situation par rapport à Joyce, Stein, Genet, Beckett, Gadda, et quelques autres. De surcroît, il s'est servi de cette histoire littéraire pour constituer la materia prima de ses propres livres, en faisant l'histoire la plus violente qui se peut concevoir. Mais il ne s'est vraiment penché qu'au chevet d'un seul homme : Dutch Shultz, le gangster qui, en mourant, a prononcé quelque deux mille mots fidèlement consignés par le chien du commissaire, deux mille mots qui étaient ses derniers mots, mais aussi les premiers à le faire basculer de l'autre côté du miroir — en sorte que sa conscience s'était retournée comme une outre dans son crâne en dévoilant l'envers de ses phrases, ses anagrammes secrètes et ses rêves oubliés. Gérard - Georges Lemaire Extrait du journal d'un jeune élève de six ans de l'école américaine de Tanger, Maroc : « Je me lève à 8 h 30. Je prends mon petit déjeuner. Puis je pars faire mon job. » Quand on lui demanda ce qu'il voulait dire par le job, il répondit : « L'école, bien entendu. » 13 Playback d'Eden à Watergate Encounter Magazine, publication dont il a été reconnu qu'elle reçut un temps des subsides de la CIA, publia un jour un article intitulé « Night Words » par George Steiner. S'y exprimant sur mes écrits, et sur ceux d'autres écrivains, qui contiennent des descriptions franches et explicites de scènes sexuelles, l'auteur s'exclame : « Au nom de l'intimité humaine, assez ! » Au nom de qui évoque-t-on là l'intimité humaine ? Au nom de ceux qui cachèrent des micros dans la chambre à coucher de Martin Luther King et qui retournèrent le cabinet du psychiatre d'Ells-berg ? Et combien d'autres chambres ont-ils truffées de micros ? Y a-t-il quelqu'un pour croire que ce sont là des cas isolés ? Qu'on les a surpris à leur première tentative ? Qui jette la première pierre ici ? C'est précisément en démolissant l'idée d'intimité dans sa totalité qu'on brisera le monopole que le gouvernement Nixon veut imposer. C'est quand ça n'intéresse plus personne que la honte disparaît. C'est quand nous serons parvenus à cela que nous retournerons tous au Jardin d'Eden, mais sans Dieu qui rôde comme un privé muni d'un magnétophone. Les livres et les films où l'acte sexuel est représenté explicitement constituent certainement un pas dans la bonne direction. C'est précisément cette destruction de la 15 honte et de la peur de la sexualité que le gouvernement Nixon s'est mis en tête d'empêcher, afin de continuer à les utiliser comme armes de contrôle politique. On suppose en général que le mot parlé est venu avant le mot écrit. Je suggère au contraire que le mot parlé tel que nous le connaissons vint après le mot écrit. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu — et le Verbe s'est fait chair... chair humaine... au commencement de l'écriture. Les animaux parlent. Ils n'écrivent pas. Si un vieux rat parvenu à la sagesse peut en savoir long sur les pièges et le poison, il est par contre incapable d'écrire un article pour le Reader's Digest sur « Les pièges mortels dans votre entrepôt », avec les tactiques pour faire front contre les chiens et les furets et les petits malins qui bourrent les trous à rats avec de la laine d'acier. Il est douteux que le mot parlé eût jamais dépassé le stade animal sans le mot écrit. C'est dans la parole humaine que le mot écrit est venu après. Ma théorie de base est que le mot écrit était en fait un virus qui rendit possible le mot parlé. On ne s'était pas encore rendu compte que le mot était un virus parce qu'il est parvenu à un stade de symbiose stable avec l'hôte qui le porte, quoique cette relation symbiotique soit en train de s'effondrer, pour des raisons que je suggérerai plus loin. Je citerai l'ouvrage Mechanisms of Virus Infection, réuni par Mr. Wilson Smith, savant qui réfléchit vraiment à son sujet au lieu de se contenter d'un vague amalgame de faits. Le sujet de ses réflexions est l'intention ultime de l'organisme viral. Un chapitre intitulé « Adaptabilité du virus et résistance de l'hôte », par G. Belyavin, développe quelques spéculations sur le but biologique des virus. « Les virus sont par nécessité des parasites cellulaires et, à ce titre, ils dépendent entièrement de l'intégrité des systèmes cellulaires qu'ils parasitent pour survivre dans un état d'activité. Il n'est pas peu paradoxal que maints virus finissent par détruire les cellules dans lesquelles ils vivent. » Le virus est-il alors simplement une bombe à action temporelle laissée sur cette planète et actionnée à distance ? Un programme d'extermination, peut-être ? La créature humaine doit-elle survivre sur la route qui la mène de la virulence maximum à la symbiose ultime tant souhaitée ? « Au point de vue du virus, la situation idéale serait apparemment qu'il se multiplie dans des cellules sans en perturber le moins du monde le métabolisme normal. On a suggéré que c'était là la situation biologique idéale vers laquelle tous les virus évoluent lentement. » Résisteriez-vous violemment à un virus bien intentionné qui va son bonhomme de chemin vers la symbiose ? « On notera avec intérêt que, si un virus devait parvenir à un état d'équilibre totalement bénin avec sa cellule-hôte, il est peu probable que sa présence serait d'emblée détectée ou même qu'on reconnaîtrait forcément qu'il s'agit d'un virus. » Je suggère donc que le mot est tout bonnement un virus de cette sorte. Le Dr Kurt Unruh von Steinplatz a avancé une intéressante théorie sur les origines et l'histoire de ce mot viral. Il postule que le mot était le virus de ce qu'il nomme la « mutation biologique », virus qui causa un changement chez l'hôte porteur avant d'être transmis génétiquement. Une des raisons pour lesquelles les singes ne savent pas parler est que la structure de leur gorge intérieure n'est tout simplement pas conçue pour formuler des mots. Il postule que des modifications de structure de la gorge intérieure furent occasionnées par une maladie virale. Sacrée occasion ! Cette maladie entraîna peut-être un taux élevé de mortalité, mais quelques femelles survécurent sans doute car elles donnèrent naissance aux Wunderkinder. Il se peut que cette maladie ait pris une forme plus maligne chez le mâle en raison de sa structure musculaire plus développée et plus rigide, provoquant la mort par strangulation et fracture des vertèbres. Le virus déclenchant chez le mâle aussi bien que chez la femelle une frénésie sexuelle par irritation des centres sexuels cervicaux, le mâle féconda la femelle lors de ses spasmes d'agonie, puis la nouvelle structure de gorge fut transmise génétiquement. Ach, Junge, quel tableau kolos-sal !... les singes perdent tous leurs poils en lâchant la vapeur, pendant que les femelles geignent et sanglotent par-dessus les mâles mourant comme des vaches atteintes de fièvre aphteuse — et quelle puanteur : odeur musquée, métallique et douce-amère du fruit défendu du Jardin d'Eden... La création d'Adam, le Jardin d'Eden, le sommeil d'Adam pendant lequel Dieu façonne Eve avec une de ses côtes, le 16 fruit défendu, qui était bien entendu le fait d'être au courant de toute cette affaire merdeuse et qu'on pourrait bien appeler le premier Watergate, tout cela se goupille parfaitement dans la théorie de von Steinplatz, notre toubib. Et c'est là un mythe blanc, ce qui nous amène à supposer que le mot-virus a pris une forme particulièrement maligne et mortelle chez la race blanche. Comment donc s'explique cette malignité particulière du mot-virus blanc ? Très probablement, une mutation virale causée par la radioactivité. Toutes les expériences effectuées jusqu'à présent sur des animaux et des insectes indiquent que les mutations dues aux radiations ne sont pas fastes — c'est-à-dire qu'elles ne permettent pas la survie. Ces expériences concernent les effets des radiations sur des créatures autonomes ; mais quels seraient-ils sur des virus ? N'y aurait-il pas certaines expériences secrètes et absolument confidentielles derrière la sécurité nationale ? Les mutations virales provoquées par les radiations sont peut-être tout à fait favorables au virus. Et un virus irradié pourrait peut-être bien enfreindre le pacte ancien de la symbiose, l'équilibre bénin avec la cellule hôte. Et à présent, avec les histoires d'écoute du Watergate et les retombées des expériences nucléaires, le virus se retourne dans tous les sens, dans toutes vos gorges blanches. Il fut un jour un virus tueur. Il pourrait le redevenir et faire rage à travers les villes de la Terre, se propageant comme un feu de cimes. « C'est le début de la fin. » Ainsi réagit un attaché scientifique d'une des plus importantes ambassades de Washington en apprenant qu'une particule génétique synthétique avait été produite en laboratoire. « N'importe quel petit pays peut à présent fabriquer un virus inguérissable. Il suffit d'un petit laboratoire. N'importe quel pays possédant de bons biochimistes y arriverait. » Il est à supposer que n'importe quel grand pays peut y arriver plus vite et mieux. J'avance la théorie qu'à l'âge de la révolution électronique un virus est une très petite unité de mot et d'image. J'ai laissé entendre comment on pouvait activer biologiquement de telles unités et en faire des races de virus communicables. Partons de trois magnétophones dans le Jardin d'Eden. Magnétophone numéro un est Adam. Magnétophone numéro deux est Eve. Magnétophone numéro trois est Dieu, qui s'est détérioré après Hiroshima pour donner l'Affreux Américain. Ou, pour reprendre notre scène primitive : magnétophone un est le singe en proie à une incontrôlable frénésie sexuelle tandis que le virus l'étrangle. Magnétophone deux est la roucoulante guenon qui l'enfourche. Magnétophone trois est la MORT. Von Steinplatz postule que le virus de la mutation biologique, qu'il appelle le Virus B-23, est contenu dans le mot. Déclencher ce virus-mot pourrait être plus destructeur que déclencher la puissance de l'atome. Parce que toute haine, toute souffrance, toute peur, tout désir sont contenus dans le mot. Nous avons donc trois magnétophones. Fabriquons un mot-virus simple. Supposons que notre cible soit un rival politique. Sur le magnétophone un, nous enregistrons discours et conversations, prenant bien soin d'y mêler des bafouillements, des lapsus et des expressions ineptes — le numéro un le pire que nous pourrons assembler. Ensuite, sur le magnétophone deux, nous ferons une bande sexuelle avec des micros cachés dans sa chambre à coucher. On peut accentuer la force de cette bande en y intercalant un objet sexuel inadmissible ou interdit ou les deux à la fois, comme la fille impubère du sénateur. Sur le magnétophone trois, nous enregistrerons des voix pleines de haine et de désapprobation. Nous ferons un montage des trois enregistrements en intercalant de très courtes séquences, puis nous le passerons au sénateur et à ses électeurs. Ce travail de coupage et de montage peut être extrêmement complexe, nécessitant des embrouil-leurs de discours et des batteries de magnétophones, mais le principe de base est simplement de monter des bandes sexuelles et des bandes de désapprobation. Une fois que les lignes d'association ont été établies, elles feront effet chaque fois que les centres verbaux du sénateur seront suscités, c'est-à-dire toutes les fois où il l'ouvrira (que le ciel vienne en aide à ce misérable connard s'il est arrivé quelque chose à sa grande gueule). Ainsi sa jeune fille se tortille sur lui tandis que les Rangers texans et les grenouilles de bénitier gueulent dans le magnétophone trois : « QU'OSEZ-VOUS FAIRE DEVANT DES HONNETES GENS ! » La fille impubère n'est qu'un petit raffinement. Fondamentalement, vous n'avez besoin que d'enregistrements sexuels sur le numéro deux et d'enregistrements hostiles sur le numéro trois. Grâce à 17 cette formule simple, n'importe quel salopard de la CIA peut devenir Dieu — à savoir, le magnétophone trois. Remarquez bien l'accent porté sur le matériau sexuel dans les cambriolages et les écoutes du miasme de Watergate — ou les écoutes de la chambre à coucher de Martin Luther King. Crac boum hue ! Une technique d'assassinat qui ne rate jamais. A tout le moins, une technique qui ne manque pas d'énerver les adversaires et de les mettre dans une position désavantageuse. Et le vrai scandale de Watergate qui n'a pas encore fait surface n'est pas les écoutes de chambres à coucher et la mise à sac de cabinets de psychiatres, mais l'usage précis qui a été fait de ce matériau sexuel. C'est en circuit fermé que cette formule marche le mieux. Si on répand, tolère et montre publiquement des enregistrements et des films sexuels, le magnétophone trois perd son pouvoir. Ce qui explique peut-être pourquoi le gouvernement Nixon entend bien interdire les films pornographiques et rétablir la censure sur tous les films et tous les livres — pour garder le magnétophone trois en circuit fermé. Et cela nous amène au sujet du SEXE. Pour citer feu John O'Hara : « Je suis content que vous soyez venu me voir au lieu d'un de ces charlatans installés au dernier étage. » Psychiatres, prêtres, quel que soit le nom qu'ils se donnent, tous veulent arrêter la machine pour que magnétophone trois continue à tourner. Eh bien ! nous, appuyons sur le bouton. Allez, tous les baiseurs, utilisez des caméras et des magnétophones pour filmer et enregistrer vos partouzes. Puis revoyez la séance et choisissez les moments les plus sexy — vous savez bien, quand c'est vraiment ça. Reich mit au point un appareil à électrodes, à fixer au pénis, pour mesurer la charge orgas-mique. Voici un orgasme sans plaisir qui retombe lamentablement au moment où magnétophone trois pointe son nez. C'a été du tout juste ! Là, un orgasme intense qui grimpe sur le graphique. Donc, vous prenez vos meilleures séances et vous invitez vos voisins à venir les voir. C'est le dernier chic entre voisins. Essayez d'autres montages, par exemple en alternant les vingt-quatre plans de la seconde. Essayez les ralentis et les accélérés. Construisez et expérimentez un accumulateur d'orgones. Il s'agit simplement d'une boîte de n'importe quelle forme ou n'importe quelle taille doublée de fer. Votre intrépide reporteur a réussi, à l'âge de trente-sept ans, un orgasme spontané, sans les mains, dans un accumulateur à orgones construit dans une orangeraie de Pharr, au Texas. Cela réussit grâce à la petite taille et à l'application directe de l'accumulateur. Voilà ce que devraient fabriquer chaque garçon et chaque fille au sang chaud dans l'atelier du sous-sol. L'accumulateur d'orgones pourrait acquérir une puissance bien plus grande en utilisant du fer magnétisé, qui propulse un puissant champ magnétique à travers le corps. Et des petits accumulateurs comme des pistolets à rayons. Voilà Johnny-le-dur qui prend une rafale de rayons et lâche la purée dans son froc. Son arme tombe de sa main. Il avait beau être rapide, il ne l'a pas été assez. Pour fabriquer un petit accumulateur directionnel, procurez-vous six aimants puissants. Disposez vos carrés de fer magnétisé de telle sorte qu'ils forment une boîte. Sur un des côtés de la boîte, percez un trou et insérez-y un tube de fer. Puis recouvrez boîte et tube avec n'importe quel matériau organique — caoutchouc, cuir, tissu. Essayez alors le tube sur vos parties sexuelles et celles de vos amis et voisins. C'est bon pour jeunes et vieux, hommes et animaux, et ça s'appelle le SEXE. On sait aussi que ça a un rapport direct avec ce qu'on nomme la VIE. Débarrassons-nous de saint Paul, éjectons la ceinture biblique. Et dites au magnétophone trois de se couvrir sa petite chose malpropre. Elle pue du Jardin d'Eden à Watergate. J'ai dit que le vrai scandale de Watergate est l'emploi fait des enregistrements. Mais quel est cet emploi ? Ayant effectué les enregistrements comme on l'a décrit, qu'en font-ils alors ? Réponse : Ils les repassent sur les lieux. Ils repassent ces enregistrements à la cible elle-même, si la cible est un individu, au moyen de voitures qui le doublent dans la rue et d'agents qui passent à côté de lui sur le trottoir. Ils repassent ces enregistrements dans son quartier. Finalement, ils les repassent dans le métro, les restaurants, les aéroports et autres lieux publics. Le playback devient l'ingrédient essentiel. J'ai fait pendant quelques années un certain nombre d'expériences avec des enregistrements de rue que je repassais, et le fait étonnant qui s'en dégage est que vous n'avez pas besoin d'enregistrements sexuels ou même de bandes falsifiées pour produire des effets par playback. Tout enregistrement repassé sur les lieux de la manière que je vais maintenant décrire peut produire des effets. Il ne fait pas de doute que des bandes sexuelles truquées produiraient un effet plus puissant. Mais une partie du pouvoir du mot est déclenchée par simple playback, comme le vérifiera quiconque prendra le temps d'essayer. J'ai fréquemment observé que cette opération simple — faire des 18 enregistrements et prendre des photos d'un certain lieu qu'on souhaite gêner ou même détruire, puis repasser les enregistrements et reprendre des photos — a pour résultat des accidents, des incendies, des déménagements, surtout ces derniers. La cible se déplace. Nous avons réalisé cette opération sur le centre de Scientologie du 37 Fitzroy Street. Quelques mois plus tard, ils allèrent s'installer 68 Tottenham Court Road, où une opération similaire a été récemment entreprise. Voici une opération-exemple, effectuée contre le Moka Bar, 29 Frith Street, Londres, W.l, à partir du 3 août 1972. Jeudi à rebours. Motifs de l'opération : manque de courtoisie et insultes injustifiés, ainsi que gâteau au fromage dégueulasse. Concentrons-nous sur le Moka Bar. Enregistrer. Photographier. Se poster devant. Qu'ils me voient. Ça s'agite, là-dedans. L'horrible vieux patron, sa femme aux cheveux frisés et leur fils à la mâchoire molle ; le serveur hargneux. Je les ai et ils le savent. « Alors, les cocos, paraît que vous cherchez des noises aux gens ? Eh bien, sortez et faites voir ce que vous savez faire. Avisez-vous de briser mon appareil de photo et j'appelle un agent. J'ai le droit de faire ce qui me plaît dans la rue qui appartient à tout le monde. » 19 Si ça en venait là, j'expliquerais au policier que j'enregistrais les bruits de la rue pour un documentaire sur Soho. Après tout, c'était là le premier bar espresso de Londres, n'est-ce pas ? Je leur rendais service. Ils ne pourraient pas dire sans être ridicules ce qu'eux et moi savions. « C'est pas vrai, il ne fait pas de documentaire. Il essaye de faire sauter le percolateur, de provoquer un incendie dans la cuisine, des bagarres dans la salle, de nous faire donner un blâme par le ministère de la Santé. » Oui, je les avais, et ils le savaient. Je regardais le vieux patron en souriant, comme s'il aimait ce que j'étais en train de faire. Le playback viendrait un peu plus tard, ainsi que d'autres photos. Je pris mon temps et allai en flânant jusqu'au marché de Brewer Street, où j'enregistrai un jeu de cartes de rue. Tantôt on la voit, tantôt on la voit plus. Le playback fut exécuté un certain nombre de fois, en même temps que d'autres photos. Leur affaire commença à péricliter. Ils ouvraient de moins en moins longtemps. Le 30 octobre 1972, le Moka Bar ferma. Les lieux furent occupés par le Queen's Snack Bar. Comment appliquer l'analogie des trois magnétophones à cette simple opération. Magnétophone un est le Moka Bar même, dans sa condition primitive. Magnétophone deux est mon enregistrement du Moka Bar et des environs. Ces enregistrements sont l'accès. Magnétophone deux dans le Jardin d'Eden était Eve faite à partir d'Adam. Donc, un enregistrement du Moka Bar est un morceau du Moka Bar. Une fois l'enregistrement fait, il devient autonome et échappe à leur contrôle. Magnétophone trois est le playback. Adam ressent de la honte quand son ignoble comporté- es ment lui est repassé par magnétophone trois, qui est Dieu. En repassant mes enregistrements du Moka Bar quand je le veux et avec les modifications qu'il me plaît d'apporter à ces enregistrements, je deviens Dieu pour ce lieu. Je les affecte. Eux ne le peuvent pas. Supposons par exemple que, dans l'intérêt de la sécurité nationale, votre salle de bains et votre chambre soient truffées de micros et de caméras à infrarouges. Ces images et enregistrements permettent l'accès. Vous n'éprouvez peut-être pas de honte pendant la défécation et la copulation, mais il se peut bien que vous en éprouviez lorsqu'on repassera ces enregistrements à un public désapprobateur. La honte est le playback : l'exposition à la désapprobation. Considérons maintenant l'arène politique et l'application des écoutes dans ce domaine. Il est évident qu'on dispose tout de suite d'un nombre illimité d'enregistrements puisque les hommes politiques font des discours à la télévision. Ces enregistrements ne donnent toutefois pas accès. L'homme qui fait un discours n'est pas vraiment là. Par conséquent, on a besoin d'enregistrements intimes ou au moins privés, et c'est pourquoi les conspirateurs du Watergate durent avoir recours au cambriolage. Un candidat à la présidence n'est pas un canard assis sur son cul comme le Moka Bar. Il peut faire un nombre illimité d'enregistrements de ses adversaires. Le jeu est donc complexe et, dans cette compétition, les deux côtés peuvent faire des enregistrements. Cela conduit à des techniques plus élaborées, dont les détails ne sont pas encore au point. L'opération de base d'enregistrer, photographier, photographier à nouveau et repasser le tout peut être exécutée par toute personne équipée 20 d'un enregistreur et d'un appareil photo. Tous les coups sont bons. Des millions de gens effectuant cette opération de base pourraient réduire à néant le système de contrôle que tentent d'imposer ceux qui sont derrière Watergate et Nixon. Comme tous les systèmes de contrôle, il dépend du maintien d'une position de monople. Si n'importe qui peut être magnétophone trois, ce dernier perd tout pouvoir. Dieu ne peut être que Dieu. William S. Burroughs Londres, 1973 «Navigare necesse es vivare no es Necesse.» « Il est nécessaire de voyager. Il n'est pas nécessaire de vivre. » Ces mots inspirèrent les anciens navigateurs quand la frontière infinie des mers inexplorées s'ouvrit à leurs voiles au quinzième siècle. L'espace est la nouvelle frontière. Cette frontière est-elle ouverte à la jeunesse ? Je cite le London Express du 30 décembre 1968 : « Si vous êtes un jeune homme de moins de vingt ans, en forme, possédant des réflexes parfaits, ne craignant rien ni au ciel ni sur terre et animé d'un goût acéré de l'aventure, renoncez à essayer de devenir astronaute. » Ils veulent des « papas gâteaux » tenus en laisse dans une combinaison par la « meilleure moitié ». Le Dr Paine du Centre spatial de Houston a déclaré : « Le vol qui vient d'être accompli est un triomphe pour les gens corrects de ce monde qui ne sont pas des hippies et qui travaillent consciencieusement tout en n'ayant pas honte de dire une prière de temps en temps. » Est-ce là la grande aventure de l'espace ? Sont-ce des hommes de cette sorte qui vont pénétrer dans des régions littéralement impensables en termes verbaux ? Pour voyager dans l'espace, vous devez abandonner derrière vous la vieille ordure verbale : le discours Dieu, le discours pays, le discours maman, le discours amour, le discours parti. Vous devez apprendre à exister sans religion sans pays sans 22 alliés. Vous devez apprendre à vivre seul en silence. Quiconque prie dans l'espace n'y est pas. On est en train de fermer la dernière frontière à la jeunesse. Cependant, plus d'une voie mène à l'espace. Parvenir à se libérer complètement de tout conditionnement passé, c'est être dans l'espace. Il existe des techniques pour parvenir à une telle liberté. Mais ces techniques sont dissimulées et tues. Dans le Job, j'examine des techniques de découverte. W. B. NOTE DE L'AUTEUR Au départ, ce livre fut conçu comme une série d'entretiens impromptus. Toutefois, à mesure que M. Odier posait ses questions, je me suis aperçu que, dans de nombreux cas, j'y avais déjà répondu dans divers livres, articles ou textes courts. C'est pourquoi, au lieu de paraphraser ou de les résumer, j'ai inséré ces textes. Le résultat possède la forme d'entretiens présentés comme un film avec des fondus-enchaînés et des retours en arrière illustrant les réponses. Voyage dans l'espace-temps Question. — Vos livres, surtout depuis Le Ticket qui explosa, ne sont plus des « romans » ; il y a un éclatement de la forme romanesque sensible depuis Le Festin nu. Vers quel but tend cet éclatement ? Réponse. — C'est très difficile à dire. Je crois que la forme romanesque est probablement dépassée et que nous pouvons sans doute nous attendre à un avenir dans lequel les gens ne liront plus du tout ou ne liront que des livres illustrés, des revues ou quelque forme abrégée de lecture. Pour être à la hauteur de la télévision et des magazines illustrés, les écrivains vont devoir mettre au point des techniques plus précises leur permettant de produire sur le lecteur le même effet qu'une photo d'action haute en couleur. — Qu'est-ce qui sépare Le Festin nu de Nova Express ? Quelle est l'évolution la plus importante entre ces deux livres ? — Je dirais que l'introduction du cdt-up et du fold-in qui a eu lieu entre Le Festin nu et Nova Express est sans doute l'évolution la plus importante entre ces livres. Dans Nova Express, je crois que je m'éloigne davantage de la forme conventionnelle du roman que je ne l'ai fait dans Le Festin nu. Je ne crois pas que Nova Express ait été, en aucun sens, un livre entièrement réussi. 26 — Vous avez écrit : « L'écriture a cinquante ans de retard sur la peinture. » Comment rattraper ce retard ? — Ce n'est pas moi qui ai écrit cela, c'est Brion Gysin, qui est à la fois peintre et écrivain. Pourquoi ce retard ? Parce que le peintre peut toucher et manipuler son matériau de travail, alors que l'écrivain ne le peut pas. L'écrivain ne sait pas encore ce que sont les mots. Par rapport au point d'origine des mots, il ne manipule que des abstractions. Le pouvoir que possède le peintre de toucher et de manier son matériau a engendré les techniques de montage il y a soixante ans. Il est à espérer que le développement des techniques de cut-up mènera à des expériences verbales plus précises qui diminueront ce retard et apporteront à l'écriture une dimension entièrement nouvelle. Ces techniques peuvent faire voir à l'écrivain ce que sont les mots et le mettre en communication tactile avec son matériau de travail. Cela pourrait à son tour mener à une science précise des mots et montrer comment certaines combinaisons verbales produisent certains effets sur le système nerveux humain. — Avez-vous utilisé longtemps les techniques de coupage et de pliage de textes avant de passer à l'utilisation de magnétophones ? Et quelles ont été les expériences les plus intéressantes avec la première de ces techniques ? — La première extension de la méthode cut-up s'est produite par l'emploi du magnétophone. Faire le cut-up directement sur le magnétophone, c'est-à-dire enregistrer quelque chose puis mélanger à cela, au hasard, des passages, a été introduit par Brion Gysin. Bien sûr, les mots du premier enregistrement sont effacés par de nouvelles insertions et vous obtenez des juxtaposilions très intéressantes. Quelques-unes sont utiles du point de vue littéraire, d'autres ne le sont pas. Je dirais que l'expérience la plus intéressante que j'aie faite avec cette technique était le fait de réaliser que, lorsque vous pliez et coupez, vous n'obtenez pas simplement des juxtapositions de mots ducs au hasard, mais qu'elles signifient souvent quelque chose. La plupart du temps, ces significations se rapportent à quelque événement futur. J'ai fait beaucoup de cut-ups et j'ai constaté plus tard qu'ils se rapportaient à une chose lue dans un journal, dans un livre, ou à un événement. Pour donner un exemple précis, j'ai fait un cut-up d'un texte écrit par Mr. Getty, je crois pour Time and Tide. Il est sorti de ce cut-up : « C'est une mauvaise chose d'intenter un procès à votre père. » Trois ans plus tard, son fils lui a intenté un procès. Il se peut que les événements soient pré-écrits et pré-enrcgistrés et que quand on coupe les lignes verbales, l'avenir filtre. J'ai vu assez d'exemples pour être convaincu que les cut-ups constituent une clé fondamentale pour découvrir la nature et la fonction des mots. — Le magnétophone est pour vous un moyen de briser les barrières qui enferment la conscience. Comment êtes-vous arrivé à l'utilisation des magnétophones ? Quel est l'avantage de cette technique sur les techniques de pliage et de découpage ? — Je pense que cela est surtout dû à l'influence de Brion Gysin qui a démontré que la méthode cut-up pouvait être poussée beaucoup plus loin sur les magnétophones. Vous pouvez y faire toutes sortes de choses irréalisables par d'autres moyens : des effets de simultanéité, des échos, des accélérations, des ralentissements, superposer trois pistes, etc. Il y a toutes sortes de choses que vous pouvez faire sur un magnétophone et qui ne pourraient manifestement pas être indiquées sur la page imprimée. Le concept de simultanéité ne peut être indiqué que très grossièrement sur la page imprimée par l'emploi de colonnes et le lecteur doit suivre une colonne à la fois. Nous avons l'habitude de lire de gauche à droite et ce conditionnement n'est pas facile à briser. — Lorsque vous avez obtenu un mixage ou un montage, suivez-vous les directions ouvertes par le texte, ou adaptez-vous ce que vous voulez dire à ce mixage ou à ce montage ? — Je dirais que je suis les voies ouvertes par le remodelage du texte. C'est la fonction la plus importante du cut-up. II est possible que je prenne une page, la découpe, en sorte une idée nouvelle pour une narration ordinaire, et que je n'emploie pas du tout les matériaux du cut-up ou alors que je n'utilise qu'une phrase ou deux du cut-up lui-même. Tout cela n'a rien d'inconscient ; c'est une opération très précise... La méthode la plus simple est de prendre une page, de la couper en quatre parties égales, puis de redistribuer les quatre sections. C'est une forme très simple du cut-up si vous voulez simplement avoir une redistribution de mots sur une page. C'est très conscient, il n'y a rien ici de l'écriture automatique ou d'un procédé inconscient. 27 Vous ne savez pas ce que vous obtiendrez à cause des limitations de l'esprit humain, pas plus qu'un être humain ne peut jouer aux échecs avec cinq jeux d'avance. Probablement, il serait possible à quelqu'un qui posséderait une mémoire photographique de regarder une page et de la découper dans son esprit, c'est-à-dire de mélanger tous les mots... J'ai écrit récemment un scénario de film sur la vie de Dutch Schultz ; l'écriture en est tout à fait classique. J'ai néanmoins découpé chaque page, et j'ai eu tout à coup un grand nombre d'idées nouvelles que j'ai alors incorporées à la structure narrative. C'est là une technique cinématographique parfaitement classique, tout à fait intelligible au lecteur moyen, et ce n'est en rien écriture expérimentale. — Projette-t-on d'employer le cut-up dans le film? — Les cut-ups ont été employés depuis très longtemps dans les films. Le travail le plus important est d'ailleurs fait dans la salle de montage. Comme le peintre, les techniciens du cinéma peuvent toucher et manipuler leur matériau, déplacer des éléments et essayer des juxtapositions nouvelles. Par exemple dans une narration directe, tel passage est une scène de délire ou quelqu'un en état de confusion mentale se rappelant des événements du passé... L'écrivain peut évidemment construire une telle scène consciemment et artistiquement. Ma méthode consiste à taper le matériau à utiliser, puis à le faire passer par plusieurs cut-ups. De cette manière, je m'aperçois qu'un tableau du délire plus réaliste en sort que ce qu'on aurait pu atteindre au moyen d'une reconstitution artificielle. Vous manipulez pour ainsi dire le matériau et le processus du délire lui-même. Je fais un certain nombre de cut-ups et je choisis ceux qui me paraissent en fin de compte les plus réussis. La sélection et l'arrangement des matériaux sont conscients, mais il y a un facteur de hasard par lequel j'obtiens les matériaux que je dois ensuite utiliser, sélectionner et travailler pour en faire une forme acceptable. — Dans quelle mesure contrôlez-vous et choisissez-vous ce que vous prenez pour vos montages ? — Vous contrôlez ce que vous mettez dans vos 28 montages, vous ne contrôlez pas complètement ce qui en sort. Je veux dire que je choisis la page à découper et contrôle ce que j'y mets. Je me contente d'insérer dans une structure narrative ce qui, sortant des cut-ups, y convient. — Travaillez-vous pendant les voyages que vous faites en train ou en bateau ? — Je l'ai fait, surtout en train, si je dispose d'un bureau et d'une table. Je ne voyage pas souvent en bateau... J'ai tenté de faire dans un train des montages de ce que je voyais par la fenêtre et j'ai décrit ces tentatives dans une interview publiée dans The Paris Review. C'est un exemple de voyage en train pendant lequel j'ai essayé de taper à la machine en incorporant ce que je voyais dans les gares et aussi en prenant des photos. Rien qu'une tentative... — La matière brute et réelle que vous saisissez dans la vie par divers moyens est-elle toujours projetée dans un autre espace-temps ? — Oui, souvent. Par exemple, vous lisez quelque chose dans un journal, ou vous voyez quelque chose dans la rue, vous sortez un personnage de quelqu'un que vous voyez dans la rue, puis vous transformez le personnage en changeant le décor. — Vous servez-vous de photographies ou de films parallèlement aux enregistrements sur magnétophones ? Sont-ils en rapport avec la bande-son ? Comment s'opère la juxtaposition des divers matériaux obtenus ? — J'ai fait très souvent l'expérience d'enregistrer des bandes magnétiques et de filmer simultanément. J'ai obtenu des résultats assez bizarres, des expériences assez peu concluantes, intéressantes mais peu applicables à l'écriture... Il y a là de nombreuses idées, suggestions et possibilités pour de nouveaux effets cinématographiques. Prenez par exemple un téléviseur, supprimez le son, placez une bande-son choisie au hasard, et elle semblera s'imbriquer. Montrez une foule qui court après un bus à Piccadilly, insérez-y le son de mitraillettes, et cela aura l'air de Petrograd en 1917. On pensera que les gens courent parce qu'ils sont mitraillés. Ce que vous voyez est en grande partie déterminé par ce que vous entendez. Vous pouvez faire beaucoup d'expériences de ce genre. J'ai enregistré par exemple un de ces feuilletons policiers du genre James Bond ou « Man from Uncle », puis j'ai utilisé la bande-son avec un autre programme du même genre. Je l'ai montré à certaines personnes, elles n'ont pas vu de différence. Je ne pouvais pas leur faire croire que la bande-son ne correspondait pas à la bande-image. Ou bien enregistrez le discours d'un politicien, et substituez-le à celui d'un autre. Personne ne voit bien sûr de différence ; il n'y en a d'ailleurs pas. — Quelle est, lors de la rédaction d'un texte à partir des différents matériaux, l'importance des points d'intersection ? Comment s'organisent les « séquences » et les « rythmes » à partir de cette matière ? — Les points d'intersection sont certainement très importants. Si vous faites un cut-up, vous obtenez un point d'intersection là ou le matériau nouveau coupe d'une manière précise celui que vous avez déjà. C'est votre point de départ. En ce qui concerne l'organisation des séquences et des rythmes, elle ne se fait pas d'elle-même. Autrement dit, les cut-ups vous donnent un nouveau matériau mais ne vous disent pas ce qu'il faut en faire. — Avez-vous essayé de développer les techniques du magnétophone avec un ordinateur par exemple ? — Oui, cela peut être fait sur un ordinateur. J'ai un très bon ami, programmeur d'ordinateur, Ian Sommerville, qui dit que c'est possible, quoique très compliqué. Un ordinateur peut certainement faire n'importe quel nombre de cut-ups ou de mélanges de matériaux que vous programmez. — Mais vous n'en avez pas fait l'expérience ? — D'une certaine façon, si. Brion Gysin a pris quelques-uns de ses poèmes permutés et les a programmés. Je crois que cinq mots faisaient environ soixante-quatre pages, toutes les permutations possibles. — Qu'enregistrez-vous d'habitude ? — Dernièrement, je n'ai pas fait beaucoup d'enregistrements. J'étais très occupé avec l'écriture ordinaire. Mais j'ai enregistré toutes sortes de choses : des bruits de rues, de la musique, des soirées, des conversations... — Quelle est l'importance de la musique lorsque vous en enregistrez ? — Extrêmement grande. Le monde musulman, par exemple, est pratiquement contrôlé par la musique. Certaines musiques sont jouées à certaines heures et l'association de la musique est une des plus puissantes. John Cage et Earl Brown ont poussé la méthode cut-up en musique bien plus loin que moi en écriture. — Enregistrez-vous une musique de préférence à une autre ? — J'ai fait beaucoup d'enregistrements de la musique que j'avais l'occasion d'entendre dans la rue, au Maroc. Il n'y a rien d'extraordinaire à cela, c'est simplement enregistrer de la musique que l'on aime réentendre. _ Pensez-vous que le préjugé qui existe contre le cut-up et ses prolongements puisse être attribué à la peur que les gens ont de pénétrer dans l'espace-temps ? — Très certainement. La parole et l'image sont un des instruments les plus puissants du contrôle exercé par les journaux, qui contiennent les deux. Si vous commencez à les découper et à les réarranger, vous détruisez le système de contrôle. Naturellement, la peur et les préjugés sont toujours dictés par le système de contrôle, de même que l'Eglise a fait naître des préjugés contre les hérétiques. Ce n'était pas inhérent à la population, mais dicté par l'Eglise qui avait le contrôle à cette époque-là. Le cut-up menace la position des institutions, de n'importe quelle institution. Elles s'y opposent donc. Autrement dit, elles conditionnent les gens, qui craignent les cut-ups, les rejettent et s'en moquent. — Est-ce que la capacité de « voir ce qui est devant nous » est un moyen d'échapper à la prison-image dans laquelle nous vivons ? — Oui, très précisément. Mais c'est une capacité que possèdent très peu de gens, et ceux «qui la possèdent sont de moins en moins nombreux à cause du barrage absolu d'images auquel nous sommes soumis. Nous devenons insensibles. Souvenez-vous qu'il y a cent ans, les images étaient relativement peu nombreuses, et les gens qui vivent dans un milieu plus simple, une ferme par exemple, rencontrent très peu d'images et perçoivent chaque image plus clairement. Si vous êtes bombardé d'images (camions qui passent, voitures, téléviseurs, journaux), vous vous émoussez et cela crée un brouillard permanent devant vos yeux, vous ne voyez plus rien. — Lorsque vous parlez de « perceptions plus claires », qu'entendez-vous par « claires » ? — Qu'il n'y a rien entre la personne qui perçoit et l'image perçue. Le fermier voit vraiment ses vaches. Il voit vraiment très clairement ce qu'il a devant lui. Ce n'est pas une question de familiarité, mais une question de ce qui pourrait être entre lui et l'image, de ce qui pourrait l'empêcher de la percevoir. Comme je l'ai dit, ce barrage continuel d'images crée une brume qui englobe tout. C'est comme se promener dans le smog. On ne voit rien. Je ne dis pas que le fermier s'identifie de façon mystique avec la vache, mais il se rend compte si quelque chose ne va pas. Il voit toutes sortes de choses qui se rapportent à la façon dont la vache lui est utile et s'imbrique dans son entourage. — L'introduction de ce que vous appelez « le message de résistance » est-elle l'élément le plus important du montage ? Pourquoi ? — Eh bien, oui ; je dirais que c'est un facteur très important, car il tend à détruire les principaux instruments de contrôle qui sont la parole et l'image ; il les annule dans une certaine mesure. — Vos livres sont rarement obscurs ou difficiles à comprendre. Vous m'avez dit dans une conversation vouloir devenir encore plus clair. Est-ce que ce souci de clarté est compatible avec une exploration encore plus vaste des possibilités infinies offertes par vos techniques littéraires ? — Lorsque les gens parlent de clarté dans l'écriture, ils entendent généralement une histoire, une continuité, un début, un milieu et une fin, le respect d'un enchaînement « logique ». Mais les choses ne se produisent pas du tout de cette façon dans la réalité, et les gens ne pensent pas selon un ordre logique. Tout écrivain qui espère approcher de ce qui se passe en réalité dans l'esprit et dans le corps de ses personnages ne saurait se confiner à une structure aussi arbitraire qu'un enchaînement « logique ». Joyce a été accusé d'être inintelligible, alors qu'il ne faisait que présenter un seul niveau d'événements cérébraux, à savoir le discours conscient sub-vocal. Je pense qu'il est possible de créer des événements et des personnages à niveaux multiples que le lecteur pourrait saisir avec son être organique entier. — Comment les techniques du magnétophone et du film peuvent-elles, comme vous le prétendez, falsifier ou modifier la réalité ? 30 — Nous pensons au passé comme s'il était là et inchangeable. En fait, il nous appartient de le former, de le modifier comme nous le désirons. Deux hommes parlent. Deux hommes assis sous un arbre usé par ceux qui s'y sont assis avant ou après que le temps ait changé de piste sonore à travers un pré de petites fleurs blanches. Si aucun enregistrement de la conversation n'est fait, elle n'existe que dans la mémoire des deux acteurs. Admettons que je fasse un enregistrement de la conversation, que je change et falsifie l'enregistrement et que je repasse l'enregistrement aux deux acteurs. Si mes altérations sont habiles et plausibles (oui... Monsieur B. a bien pu dire exactement cela), les deux acteurs se souviendront de l'enregistrement altéré. Prenez un film de vous-même qui sortez un matin pour acheter des cigarettes et les journaux. Projetez-le, et vous vous rappellerez tout ce qui s'est passé, le voilà sur l'écran et sur la bande-son... Maintenant, je peux vous faire rappeler quelque chose en l'y insérant. Un camion passait à ce moment-là : le voilà sur l'écran, inséré pour que vous vous en souveniez. Il faut toujours un prétexte. Eh bien, j'y mets un camion qui passait à ce moment précis, qu'y a-t-il de si étrange à cela ? Rien, sauf qu'il n'est pas passé à ce moment-là mais qu'il est passé il y a un an et qu'y a-t-il de plus logique que le camion heurte trois ans plus tard une femme à un croisement parisien ? « Je me demande si la vieille vache a crevé ou non » a-t-il dit distraitement tandis que les médecins l'emmenaient. Vous voyez ce que je veux dire une fois que le camion est sur la scène et descend Canal Street sans freins avec « Larry the Lorry » au volant du sang et des tennis partout dans la rue un pied mou qui pendille ou disons que j'y insère un petit mec qui vous demande l'heure ça arrive marrant je ne m'en suis pas souvenu jusqu'à cet instant. Eh bien une fois que ce petit mec qui n'était pas là est sur la scène il peut aussi sortir un poignard et assassiner le consul de France une fois qu'on a pratiqué le trou dans la réalité et que le doute a été consommé tous les faits de l'histoire perforés d'insertions rétroactives toutes les archives et les enregistrements de quelque nature que ce soit doivent être détruits immédiatement par ordre du ministère de Salubrité d'Urgence les documents sont contrefaits par définition avant ou après que cela semble évident. — Cette « nouvelle mythologie » que vous créez, cette nouvelle formule d'associations et d'images peut-elle atteindre la sensibilité du lecteur et le faire voyager dans l'espace-temps ? — Cela dépend entièrement du lecteur, de son ouverture aux nouvelles expériences et de sa capacité à sortir de son propre cadre de références. Bien sûr la plupart des gens sont incapables de donner plus qu'une très petite partie de leur attention à ce qu'ils lisent, comme à tout ce qu'ils font, à cause de diverses préoccupations compulsives. Avec le dixième de leur attention, ils ne vont naturellement pas bien loin. D'autres sont capables de donner beaucoup plus d'attention. — Vos personnages sont entraînés dans un raz de marée d'événements infernaux. Ils s'enlisent dans la substance du livre. Y a-t-il pour eux une possibilité de salut ? — Je ferais une objection au mot salut, qui a la connotation messianique et chrétienne d'une sorte de résolution finale. Je ne pense pas que les personnages ou les livres dans lesquels ils paraissent reflètent un esprit de désespoir. En fait, ils sont de bien des manières dans la tradition du roman picaresque. Il s'agit de l'interprétation « d'événements infernaux ». Il y a des gens qui ont beaucoup plus de résistance aux événements hors série que d'autres. Prenez par exemple les gens d'un petit village : ils sont absolument ahuris par le moindre changement, alors que les gens d'une grande ville sont beaucoup moins touchés par les changements. Il est certain que si les émeutes continuent, les gens commenceront à les prendre pour des choses tout à fait normales. ils le font déjà. — Les hommes libres existent-ils dans vos livres ? — Les hommes libres n'existent dans aucun livre, car ils sont les créations d'un auteur. Je dirais que les hommes libres n'existent pas sur cette planète, à cette époque, car la liberté n'existe pas dans le corps humain. Par le simple fait d'être dans un corps humain, vous êtes contrôlé par toutes sortes de nécessités biologiques et extérieures. — Vous utilisez souvent le silence comme un instrument de terreur, un « virus », comme vous dites, qui désintègre certains personnages en signes inintelligibles. Que représente ce silence ? 31 — Je ne pense pas du tout au silence comme à un instrument de terreur. En fait, c'est tout le contraire. Le silence ne fait peur qu'aux gens qui ont l'obsession de la parole. Comme vous le savez, il existe des chambres d'isolation sensorielle et des chambres d'immersion ; il y en a à l'université d'Oklahoma. On y a mis des « marines », qui étaient complètement affolés après une dizaine de minutes. Ils avaient une telle série de contradictions intérieures, de nature verbale, que ce n'était que par la distraction continuelle qu'ils étaient capables d'en écarter leur esprit. Mais Gerald Heard y est entré avec une bonne dose de LSD et y est resté trois heures. Personnellement, je ne trouve rien de désagréable dans le silence. En fait, rien pour moi n'est trop silencieux. Le silence n'est un outil de terreur que pour les gens qui ont l'obsession de la parole... — L'intérêt que vous portez à la civilisation maya est-il en rapport avec l'élargissement de la conscience que vous essayez de provoquer chez le lecteur ? CONTROLE — Les anciens Mayas possédaient un des plus précis et plus hermétiques calendriers de contrôle jamais utilisés sur cette planète, calendrier dont l'effet était de contrôler tout ce que la population pensait et ressentait à n'importe quel moment. Etudier ce système exemplaire éclaire les méthodes modernes de contrôle. Seule une caste de prêtres avait le monopole de la connaissance du calendrier et maintenait ainsi sa position avec le minimum de forces policières et militaires. Les prêtres devaient partir d'un calendrier très précis de l'année tropicale, comprenant 365 jours divisés en 18 mois de 20 jours, plus une période finale de 5 jours, les « jours Ouab », qu'on tenait pour particulièrement néfastes et qui s'avéraient par conséquent l'être. Un calendrier précis était essentiel à l'établissement et au maintien du pouvoir des prêtres. Les Mayas dépendaient presque entièrement de la moisson du maïs et leur méthode d'agriculture était celle du brûlis. La racine des plants était coupée, on la faisait sécher, puis on la brûlait. On plantait les graines avec un bâton. Les Mayas n'avaient pas de charrues, non plus que d'animaux domestiques capables de tirer une charrue. Le sol de surface étant peu profond et recouvrant une strate de calcaire à quinze centimètres de profondeur, les charrues ne sont d'aucune utilité dans cette région et on y utilise encore aujourd'hui la méthode du brûlis. Celle-ci dépend d'une grande exactitude temporelle. Il faut laisser à ce qui est coupé le temps de sécher avant que les pluies commencent. Une erreur de quelques jours dans les calculs peut faire perdre la moisson de toute une année. En plus du calendrier annuel qui réglait l'agriculture, il existait un almanach sacré de 260 jours. Ce calendrier cérémoniel dirigeait treize fêtes qui duraient vingt jours chacune. Il tournait tout au long de l'année comme une roue et, par conséquent, les fêtes revenaient toujours dans le même ordre, même si elles se produisaient à des dates différentes d'une année à l'autre. Ces fêtes consistaient en cérémonies religieuses avec musique, festivités et parfois sacrifice humain. Logiquement, les prêtres pouvaient donc calculer dans l'avenir ou dans le passe exactement ce que la population ferait entendrait verrait à une date donnée. Cela leur suffisait pour pouvoir prédire l'avenir ou reconstituer le passé avec une exactitude très grande, puisqu'ils pouvaient déterminer le conditionnement appliqué à n'importe quelle date à une population qui, pendant de nombreuses années, demeura hermétiquement enfermée par des montagnes et des jungles infranchissables, à l'abri des vagues d'envahisseurs qui déferlèrent sur le plateau central du Mexique. Il y a toutes les raisons de déduire l'existence d'un troisième calendrier secret ayant trait au conditionnement par cet enchaînement précis appliqué au peuple, sous le couvert des fêtes, et ressemblant beaucoup au boniment et aux gesticulations qu'un magicien emploie sur scène pour dissimuler des mouvements qui seraient sans cela apparents au public. Il existe de nombreuses manières d'effectuer un tel conditionnement, la plus simple étant la suggestion éveillée, qui sera entièrement expliquée un peu plus loin. Pour résumer, la suggestion éveillée est une technique permettant de faire pénétrer des suggestions verbales ou visuelles qui prennent directement effet sur le système nerveux autonome en attirant l'attention consciente du sujet sur autre chose — dans le cas présent, le contenu manifeste des festivités. (Il ne faut pas confondre la suggestion éveillée et la suggestion subliminale qui suggère en dessous du niveau conscient d'éveil.) Les prêtres pouvaient donc calculer ce que le peuple voyait et entendait un jour donné et aussi quelles 32 suggestions inculquer secrètement dans les esprits ce jour-là. Pour vous faire une idée de ce calendrier secret, examinez l'Esprit Réactif tel que le postule L. Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie. Mr. Hubbard décrit l'E.R. comme un ancien instrument de contrôle créé pour invalider et limiter le potentiel d'agir dans un sens constructif ou destructeur. Le contenu exact de l'E.R. tel qu'il le formule est tenu pour confidentiel car il peut provoquer la maladie et des dérangements ; aussi me limiterai-je à des considérations générales sans reprendre les formulations exactes utilisées. L'E.R. consiste en propositions conséquentes, séquentielles et contradictoires possédant une valeur de commandement au niveau automatique de comportement, aussi automatique et involontaire que les commandements métaboliques qui règlent la pulsation cardiaque, la digestion, l'équilibre des composants chimiques du sang, les ondes cervicales. Le centre de régulation du système nerveux autonome qui contrôle les processus physiologiques et le métabolisme est l'hypothalamus, situé dans le cerveau postérieur. Il ne fait pas de doute que l'hypothalamus est le point d'intersection neurologique où l'E.R. est implanté. On peut décrire l'E.R. comme un système régulateur artificiellement élaboré et hautement désavantageux greffé sur le centre de régulation naturel. L'E.R. que décrit Mr. Hubbard est extrêmement ancien et antidate toutes les langues modernes, à travers lesquelles il se manifeste pourtant. Il faut par conséquent qu'il renvoie à un système symbolique. Et s'il n'y avait pas eu l'intervention de l'évêque Landa, nous pourrions déduire par analogie en quoi consistait ce système symbolique, puisque tous les systèmes de contrôle sont fondamentalement semblables. L'évêque Landa a rassemblé tous les livres mayas sur lesquels il a pu mettre la main, en a fait un tas de 1,80 mètre et a brûlé le tout. Aujourd'hui, on n'a retrouvé que trois codex mayas authentifiés ayant survécu à cet acte barbare. Mr. Hubbard postule logiquement que les ordres de l'E.R. font effet parce qu'ils se rapportent à des buts, besoins et états réels des sujets chez qui il agit. Un ordre conséquent est un commandement auquel on doit obéir du fait d'être né : « être ici dans un corps humain ». Un ordre séquentiel suit cette proposition fondamentale : « chercher à manger, à s'abriter, à jouir sexuellement », « exister en rapport avec d'autres corps humains ». Des commandements contradictoires sont deux commandements qui se contredisent l'un l'autre parce que donnés au même moment. « GARDE A VOUS ! » Le soldat se redresse automatiquement au commandement. « REPOS ! » Le soldat se détend automatiquement. Imaginez à présent un capitaine qui entre à grandes enjambées dans la chambrée et lance « GARDE A VOUS » d'un côté du visage et « REPOS » de l'autre (tout à fait possible d'y arriver avec les techniques de doublage). Le sujet est désorienté en tentant d'obéir en même temps à deux commandements platement contradictoires et qui possèdent tous deux un certain degré de valeur de commandement au niveau automatique. Le sujet pourra réagir par la rage, l'apathie, l'angoisse, et pourra même s'effondrer. Un autre exemple : je commande « assis » et quand l'ordre est exécuté avec promptitude, le sujet est récompensé. Dans le cas contraire, il reçoit une forte décharge électrique. Lorsqu'il a été conditionné pour obéir, j'ajoute l'ordre « debout » et le conditionne à obéir à cet ordre exactement de la même manière. Puis je donne les deux ordres simultanément. Le résultat sera sans doute un effondrement total, de même que les chiens de Pavlov s'effondrèrent lorsqu'on leur donna des signaux contradictoires à intervalles si rapprochés que leur système nerveux ne put s'adapter. Le but de ces ordres est, du point de vue d'un système de contrôle, de limiter et de restreindre. Toutes les unités de contrôle ont recours à de tels commandements. Pour que les ordres contradictoires agissent, il faut que le sujet ait été conditionné à obéir à ces deux ordres automatiquement et que ceux-ci aient un rapport avec ses buts profonds. « GARDE A VOUS » « REPOS » « ASSIS » « DEBOUT » sont des ordres arbitraires qui ont un rapport ténu avec tout but fondamental d'un sujet (bien entendu « GARDE A VOUS » se rapporte au but d'être un bon soldat ou du moins d'éviter le corps de garde, ce qui donne à cet ordre la force qu'il possède). Examinez encore une autre paire de commandements qui se contredisent : « faire bonne impression » « faire très mauvaise impression ». Cela a à voir avec des buts beaucoup plus fondamentaux. Tout le monde veut faire bonne impression. L'amour-propre, l'entrain, la satisfaction sexuelle de l'individu dépendent de la bonne impression qu'il fera. Pourquoi donc le sujet, quand il essaye désespérément de faire bonne impression, fait-il 33 l'impression la pire qui soit ? Parce qu'il a aussi comme but de faire mauvaise impression, but qui opère à un niveau involontaire automatique. Ce but autodestructeur est une telle menace contre son être qu'il réagit contre. Il est peut-être conscient ou en partie conscient de ce but négatif mais il ne peut l'affronter en face. Le but négatif le force à réagir. L'Esprit Réactif consiste en buts si répugnants ou effrayants pour le sujet qu'il réagit compulsivement contre eux et c'est précisément cette réaction qui fait fonctionner ces buts négatifs. Ces derniers sont implantés par la peur. Examinez une paire d'ordres contradictoires que les prêtres mayas utilisaient sans aucun doute sous une forme ou une autre : « se révolter violemment » « se soumettre humblement ». Chaque fois qu'un travailleur s'armait d'assez de courage pour se révolter, la tendance à la soumission était activée, le poussant à prôner la révolte avec de plus en plus de conviction mais en excitant ainsi de plus en plus compulsivement la tendance à la soumission. Et il tremble, bredouille et s'effondre devant une figure de l'autorité qu'il méprise consciemment. Aucun exercice de la prétendue puissance de la volonté n'affecte ces réactions automatiques. Le but de soumission fut implanté par une menace si horrible qu'il ne put la regarder en face, et les livres secrets mayas contenaient de toute évidence de telles images d'épouvante. Les rares qui y ont survécu en témoignent. On dépeint des hommes se transformant en centipèdes, en crabes, en plantes. L'évêque Landa fut tellement épouvanté par ce qu'il vit que son propre esprit réactif lui dicta son acte de vandalisme. Comme ses contreparties modernes qui appellent à la censure et à la destruction de livres par le feu, il n'a pas tenu compte du fait que toute menace, quand elle est clairement vue et confrontée, perd de sa force. Les prêtres mayas veillaient à ce que la population ne voie pas les livres. L'E.R. de Mr. Hubbard contient trois cents articles environ. Certains sont des commandements disposés par paires, d'autres sont des représentations visuelles. Sur le modèle de l'E.R. — et le système maya devait y ressembler de très près —, on postule que pendant un mois cérémoniel de vingt jours, quatre articles étaient répétés ou représentés vingt fois le premier jour, quatre autres articles vingt fois le deuxième jour et ainsi de suite, quatre-vingts articles pour le mois de vingt jours. Le mois de vingt jours suivant, encore quatre-vingts articles jusqu'à ce qu'ils aient été tous passés en revue, après quoi on les répétait précisément dans le même ordre, constituant ainsi un calendrier secret. Les prêtres pouvaient alors calculer avec précision quels ordres réactifs avaient été ou seraient restimulés à n'importe quelle date passée ou future, et ces calculs leur permettaient de reconstituer le passé ou de prédire l'avenir avec une exactitude énorme. Ils avaient toutes les cartes en main. Les calculs de juxtaposition des calendriers passés et futurs prenaient la plus grande partie de leur temps, et ils se souciaient plus du passé que de l'avenir. Il y a des calculs qui remontent à quatre cents millions d'années. Ces coups de sonde dans le passé le plus lointain peuvent être interprétés comme des tentatives pour vérifier que les calendriers avaient toujours existé et qu'ils existeraient toujours. (Tous les systèmes de contrôle prétendent être le reflet des lois immuables de l'univers.) Ces calculs devaient avoir cette allure : année, mois, jour du calendrier de 365 jours calculé en partant de 5 Ahua 8 Cumhu une date mythique où le temps a commencé année, mois et jour de l'almanach sacré ou du calendrier cérémoniel année, mois et jour du calendrier secret. Des étudiants mayas ont réussi à déchiffrer des dates du calendrier de 365 jours. En l'absence de références transversales comparables à la pierre de Rosette, la plus grande partie de l'écriture reste indéchiffrée. Si nous interprétons l'écriture comme orientée vers le contrôle, nous postulerons que toutes les inscriptions se rapportent à des dates, et que les événements, cérémonies, suggestions, images et juxtapositions planétaires étaient en corrélation avec ces dates. Tout système de contrôle dépend d'un rythme précis. Une image ou une suggestion peuvent être tout à fait inoffensives une fois et dévastatrices la fois suivante. Par exemple, « faire excellente impression » « faire très mauvaise impression » peuvent n avoir aucun effet sur quelqu'un qui ne se trouve pas dans un contexte compétitif. Le même homme qui vise les galons de lieutenant ou l'apprenti-prêtre peuvent être à coup sûr liquidés par la même paire de commandements contradictoires qu'on restimulera. 34 Ce calendrier de contrôle apparemment hermétique s'effondra avant même que les Aztèques envahissent le Yucatan et longtemps avant l'arrivée des Espagnols. Tous les systèmes de contrôle fonctionnent sur punition-récompense. Quand les punitions excèdent les récompenses, quand les maîtres n'ont plus de récompenses à offrir, des révoltes se produisent. La demande continue de main-d'œuvre pour les temples et les stèles, alliée à une période de famine, peuvent avoir été les facteurs qui ont précipité les choses. Ou peut-être que quelque Bolivar oublié divulgua le contenu des livres secrets. En tout cas, les travailleurs se révoltèrent, tuèrent les prêtres et défigurèrent stèles et temples comme symboles d'esclavage. Maintenant, transposez le calendrier de contrôle maya en termes modernes. Les moyens de communication de masse, journaux, radio, télévision, magazines, forment un calendrier cérémoniel auquel tous les citoyens sont soumis. Les « prêtres » ont la sagesse de se dissimuler derrière la masse contradictoire des informations, et nient férocement exister. Comme les prêtres mayas, ils peuvent reconstituer le passé et prédire l'avenir sur une base statistique, en manipulant les moyens de communication. C'est la presse quotidienne préservée dans les journaux-morgues qui rend possible une reconstitution détaillée de dates passées. Comment les prêtres modernes peuvent-ils prédire des événements futurs apparemment aléatoires ? Commencez par les nombreux facteurs des moyens de communication de masse qui peuvent être contrôlés et prédits : 1. La maquette : la présentation générale des journaux et magazines peut être décidée d'avance. La juxtaposition des programmes télévisés et des nouvelles radiophoniques peut être décidée à l'avance. 2. Les nouvelles à « gonfler » et les nouvelles à estomper : il y a dix ans en Angleterre, les arrestations de drogués faisaient quatre lignes en dernière page. Aujourd'hui, elles font les gros titres de la première. 3. Editoriaux et lettres à l'éditeur : les lettres publiées sont bien sûr choisies en fonction d'une politique préconçue. 4. Publicités. Le calendrier cérémoniel moderne est donc presque aussi prévisible que le maya. Mais le calendrier secret ? On peut insérer un nombre infini de commandements réactifs dans les publicités, les editoriaux, les articles de journaux. Ces ordres sont implicites dans la maquette et la juxtaposition des articles. Les ordres contradictoires font partie intégrante de l'environnement industriel moderne : Stop. Avancez. Attendez ici. Allez là. Entrez. Attendez dehors. Soyez un homme. Soyez une femme. Soyez blanc. Soyez noir. Vivez. Mourez. Soyez vraiment vous-même. Soyez un autre. Soyez un animal humain. Soyez un surhomme. Oui. Non. Révoltez-vous. Soumettez-vous. EXACT. FAUX. Faites excellente impression. Faites très mauvaise impression. Assis. Debout. Enlevez votre chapeau. Mettez votre chapeau. Créez. Détruisez. Vivez dans le présent. Vivez dans l'avenir. Vivez dans le passé. Obéissez aux lois. Brisez les lois. Soyez ambitieux. Soyez modeste. Acceptez. Rejetez. Faites des projets. Soyez spontané. Décidez-vous tout seul. Ecoutez les autres. Parlez. SILENCE. Faites des économies. Dépensez tout. Accélérez. Ralentissez. Par ici. Par là. A droite. A gauche. Présent. Absent. Ouvert. Fermé. Entrée. Sortie. DEDANS. DEHORS, etc., vingt-quatre heures sur vingtquatre. Cela crée un vaste ensemble de fauteurs de nouvelles statistiques. Ce sont précisément les réactions automatiques incontrôlables qui font les nouvelles. Les contrôleurs savent quels ordres réactifs ils vont restimuler et savent par conséquent ce qui va se produire. La suggestion contradictoire est la formule de base de la presse quotidienne : « Droguez-vous ; tout le monde en fait autant. » « Il est MAL de se droguer. » Les journaux répandent la violence, la sexualité, les drogues, et puis nous la ramènent avec le vieux refrain BIEN MAL FAMILLE EGLISE ET PATRIE. Mais ça s'use. Le calendrier de contrôle moderne part en morceaux. Les punitions déséquilibrent maintenant les récompenses dans la prétendue société « de permission », et les jeunes ne veulent plus des misérables récompenses qu'on leur offre. La révolte est globale. Les contrôleurs actuels disposent d'un avantage que n'avaient pas les prêtres mayas : un arsenal écrasant d'armes que les révoltés ne peuvent espérer obtenir ou reproduire. Massues et lances peuvent être fabriquées par n'importe qui. Chars, avions, cuirassés, artillerie lourde et armes nucléaires sont un monopole entre les mains des gens au pouvoir. A mesure que leur domination psychologique s'affaiblit, les institutions modernes 35 s'appuient de plus en plus sur cet avantage et ne maintiennent plus leur position que par la force brute (que permet au juste la « société de permission » ?). Pourtant, l'avantage de l'armement n'est pas si écrasant qu'il paraît. Pour faire marcher les armes, les contrôleurs ont besoin de soldats et de policiers. Ces gardiens doivent être maintenus sous contrôle réactif. C'est ainsi que les contrôleurs doivent se fier à des individus de plus en plus stupides et dégradés par le conditionnement essentiel à leur fonction de répression. Il existe des techniques pour effacer l'Esprit Réactif et parvenir à une liberté complète de tout conditionnement passé et se prémunir contre tout conditionnement futur. La Scientologie accomplit cela. L'effacement de l'E.R. est effectué par le « E Meter », un testeur de réactions très sensible mis au point par Mr. Hubbard. Si un point d'E.R. s'inscrit sur le E Meter, c'est que le sujet y réagit encore. Quand un point cesse de s'inscrire, le sujet n'y réagit plus. Il peut être nécessaire de repasser des centaines de fois sur tous les points de l'E.R. pour parvenir à un effacement complet. Mais ça s'effacera. Cette méthode marche. Je peux en témoigner de par ma propre expérience. Cela prend du temps, au moins deux mois d'entraînement huit heures par jour, pour apprendre à utiliser le E Meter et passer les articles. C'est coûteux : 3 000 dollars environ pour l'entraînement et les séances amenant à l'effacement de l'E.R. Une reconstitution du système symbolique qui doit être à la base de l'Esprit Réactif conduirait à un effacement plus précis et plus rapide. Deux expériences récentes indiquent les possibilités de déconditionnement de masse. Dans une de ces expériences, on a branché les volontaires sur un électro-encéphalogramme enregistrant leurs ondes cervicales. Lorsque les ondes alpha, qui correspondent à un état mental et physique de détente, apparurent sur l'écran, on dit au sujet de rester dans cet état aussi longtemps que possible. Après un peu de pratique, les ondes alpha pouvaient être produites à volonté. La seconde expérience est plus détaillée et plus définitive : Herald Tribune, 31 janvier 1969. « Un savant américain a démontré qu'on pouvait apprendre à des animaux à contrôler des réactions aussi automatiques que le pouls sanguin, la tension artérielle, les sécrétions glandulaires et les ondes cervicales en réponse à des récompenses et des punitions. Ce psychologue s'appelle le Docteur N. E. Miller. Il déclare que ses découvertes bouleversent les idées traditionnelles selon lesquelles le système nerveux autonome qui contrôle le fonctionnement du cœur, du système digestif et autres organes internes est complètement incontrôlé. Le Docteur Miller et ses collaborateurs ont été en mesure d'apprendre à des animaux à augmenter ou à diminuer la quantité de salive produite, la pression artérielle, les contractions intestinales, l'activité stomacale et la quantité d'urine, ainsi qu'à modifier leurs schémas d'ondes cervicales grâce à des récompenses prenant la forme d'une stimulation électrique directe des zones de récompenses supposées du cerveau, quand les réactions désirées étaient obtenues. Des rats parvinrent à apprendre à augmenter ou à abaisser leur pouls de 20 % ren quatre-vingt-dix minutes d'entraînement. Le D Miller a déclaré que des contre-essais montraient que les rats se souvenaient bien de leur leçon. » En quoi cette expérience diffère-t-elle des expériences par lesquelles Pavlov prouva le réflexe conditionné ? Je cite le Newsweek du 10 février 1969 : « Jusqu'à présent, la plupart des psychologues croyaient que le système nerveux autonome ne pouvait être modifié que par les techniques de conditionnement traditionnelles de Pavlov. Un animal qui entend une sonnerie à l'instant où on lui donne à manger finira par saliver au seul son de la sonnerie. En conditionnement classique, un stimulus qui produit naturellement une réaction donnée doit toujours être utilisé en même temps que le stimulus dit neutre (la sonnerie). Ainsi, on pourrait utiliser un choc pour apprendre à un animal à accélérer son rythme cardiaque à un coup de sonnette, un choc provoquant normalement une accélération. Mais le conditionnement classique ne saurait provoquer un ralentissement du pouls. » Le Dr Miller a dit que sa démonstration de la capacité du système nerveux autonome à apprendre grâce à des récompenses et des punitions indique qu'apprendre est une seule et même chose. Il a également appris à des sujets humains à réduire leur pouls. Eliminez les symptômes métaboliques de l'angoisse et vous éliminerez l'angoisse. Vous seriez incapable de ressentir de l'angoisse avec un pouls normal, des muscles détendus, des ondes cervicales alpha et un E Meter plat. La méthode du Dr Miller pourrait permettre de parvenir à un contrôle complet des réactions émotionnelles. Les réactions 36 d'angoisse peuvent être éliminées tout comme elles ont été implantées, par la punition et la récompense. Il est maintenant possible de déconditionner l'homme de tout le cycle punition-récompense qui l'a maintenu à un niveau d'animal pendant cinq cent mille ans, en récompensant les manifestations de déconditionnement et en punissant les vieilles réactions automatiques. Seuls ceux qui veulent un contrôle répressif s'opposeront à ce processus de déconditionnement. — Que pensez-vous de la Scientologie, dans l'ensemble ? — Certaines de ces techniques sont valables et une étude approfondie dans cette direction pourrait révolutionner la psychothérapie. Le E Meter est un appareil utile... (de nombreuses variations en sont possibles)... D'un autre côté, leur politique d'organisation qui rejette toute personne en désaccord avec le dogme de la Scientologie entache à mon sens le tout de nullité. Aucun corpus de savoir n'a besoin d'une politique d'organisation et une politique d'organisation ne peut qu'entraver la diffusion du savoir. Les déclarations ouvertement fascistes de Mr. Hubbard (la Chine est le seul vrai danger contre la paix mondiale ; la Scientologie protège les foyers, l'Eglise, la famille, la moralité — pas d'échanges entre couples —, les frontières nationales, le concept BIEN CONTRE MAL) et ses prises de position contre les psychiatres indépendants et maléfiques le rendent peu recommandable aux étudiants militants. Il est certainement temps que la Scientologie prenne des positions claires et nettes pour un côté ou pour l'autre, si elle espère la confiance et le soutien de la jeunesse. De quel côté êtes-vous, Hubbard, de quel côté êtes-vous ? — Vous avez écrit : « Je suis un enregistreur... je ne prétends imposer ni histoire, ni intrigue, ni continuité. » Est-ce possible ? — Je ne peux répondre à cette question qu'en disant que lorsque j'ai dit cela, je suis sans doute allé un peu loin. On essaie de ne pas imposer d'histoire, d'intrigue ou de continuité par des moyens artificiels, mais nous sommes bien obligés de composer les matériaux. Vous ne pouvez pas laisser tomber un pot-pourri de notes et de considérations et vous attendre à ce que les gens le lisent. — « Les mots — tout au moins tels que nous les employons — risquent de nous cacher l'expérience non corporelle ». Cette « expérience non corporelle », lorsqu'on a détruit les barrières posées par Aristote, Descartes et Cie, est-elle parallèle à l'expérience physique ? Toute expérience physique est-elle alors vécue sur plusieurs plans ? — Oui, très précisément. Par exemple, les expériences prétendument psychiques ne sont possibles qu'à travers les sens physiques. Les gens voient des fantômes, entendent ce qu'ils entendent, ou ressentent diverses émanations, diverses présences, etc. La pensée philosophique classique a-t-elle eu un effet néfaste sur la vie des hommes ? Eh bien, elle est complètement dépassée. Comme Korzybski, l'homme qui a développé la sémantique générale, l'a démontré, l'être d'identité d'Aristote (c'est-à-dire qu'une chose est ou ceci ou cela) est une des grandes erreurs de la pensée occidentale. Ce n'est plus vrai du tout ; ce genre de pensée ne correspond même plus à ce que nous savons maintenant de l'univers physique. — Pourquoi a-t-elle été acceptée si longtemps ? — Il y a certaines formules, certains mots-verrous qui enferment toute une civilisation pendant un millénaire. L'être d'identité d'Aristote en est une : ceci est une chaise. Eh bien, quoi que cela puisse être, ce n'est pas une chaise, ce n'est pas le mot chaise, ce n'est pas l'étiquette chaise. L'idée que l'étiquette est la chose mène à toutes sortes de discussions verbales où l'on parle exclusivement d'étiquettes en pensant parler d'objets. Oui, je suis d'accord qu'Aristote, Descartes, que toute cette pensée est extrêmement abrutissante. Elle ne correspond même pas à ce que nous savons de l'univers physique et elle est particulièrement désastreuse par le fait qu'elle dirige encore le monde académique entier. Ce monde académique s'opposait âprement à Korzybski et à sa sémantique générale, qui semblerait consister en quelques considérations assez évidentes — par exemple que les étiquettes ne sont pas les choses auxquelles elles 37 sont attachées, que lorsque vous discutez des étiquettes, lorsque vous discutez de la démocratie, du communisme, du fascisme, il n'y a pas de référence claire, rien de net à quoi elles se rapportent, et vous ne parlez de rien. — Les hommes vautrés dans ce que vous appelez leur « poubelle à mots » sont-ils encore capables de ressentir la violence de vos mots, ou est-il nécessaire de recourir à la violence physique pour qu'ils sortent de leur poubelle ? — Je dirais, en généralisant, qu'une personne vraiment empêtrée dans les mots ne trouvera rien du tout dans mes livres, si ce n'est un désaccord automatique. Il est sans doute nécessaire de recourir à la violence physique, ce qui d'ailleurs arrive partout. Il ne semble pas y avoir d'autres possibilités, puisque les institutions ne changeront pas leurs axiomes fondamentaux. — Pensez-vous qu'un moyen quelconque, y compris la violence physique, puisse changer des individus complètement enchaînés ? — Le but de la violence physique est de les déplacer. Mais vous avez des individus uniquement composés de paroles, comme les juges et les politiciens, qui ne changeront pas leurs axiomes, et bien sûr, lorsque les gens refusent absolument de changer leurs axiomes, l'évolution a lieu malgré eux. Ils sont finalement déplacés par la violence ou par un désastre. — Quelle est la part de l'humour dans votre œuvre ? — Je crois que mon œuvre est humoristique. Je ne dirai pas qu'elle l'est dans sa plus grande partie, mais elle a certainement une part considérable d'humour. — L'enfer que vous décrivez, les accusations que vous portez sont réversibles. Elles offrent alors à l'homme une porte de sortie. On a dit que vous étiez un grand moraliste ; qu'en pensez-vous ? . Oui, je dirais que je le suis peut-être trop. Il y a beaucoup de choses à faire dans la situation actuelle. L'important est qu'on ne les fait pas. On ne fait rien. Et je ne sais pas s'il y a une possibilité de faire quelque chose étant donné l'étendue de la bêtise et les mauvaises intentions des gens au pouvoir. Il semble que l'on se jette contre un mur par le simple fait de le remarquer. Mais toutes sortes de choses pourraient racheter la situation actuelle. Des choses parfaitement simples étant donné les techniques dont nous disposons. Il s'agit de briser trois formules fondamentales. D'abord la formule de la nation. Vous dessinez une ligne autour d'un morceau de terrain, et vous dites « ceci est une nation ». Vous êtes donc obligés d'avoir une police, une douane, une armée et éventuellement des ennuis avec les autres gens qui se trouvent de l'autre côté de la ligne. Voilà une formule, et toute variation de cette formule revient au même. Les Nations Unies n'arriveront à rien. Que font-elles ? Elles créent toujours plus de ces foutues nations ! Cela est une formule. La famille en est une autre. Et les nations sont simplement une extension de la famille (il est possible que cela soit un problème pour les techniques futures). Ensuite, toute la méthode actuelle de naissance et de reproduction est une des formules fondamentales qui ont besoin d'être brisées. — Vous pensez à des changements très poussés ? — Oui, il faut certainement pousser très loin. Il y a des moyens de briser la famille, les Chinois sont sur la voie. C'est le seul peuple qui y ait fait quelque chose. Les Russes ont dit qu'ils le feraient et n'ont rien fait. Ils gardent toujours la même vieille famille bourgeoise. — Que vouliez-vous dire lorsque vous écriviez : « Une certaine utilisation des mots et des images peut conduire au silence » ? — Je pense que j'étais trop optimiste. Je doute que le problème des mots soit jamais résolu sur son propre terrain. — Wright Morris a écrit que Le Festin nu était une hémorragie de l'imagination. Le prenez-vous pour un compliment ? — Franchement, je ne sais pas comment le prendre. — Je présume qu'il voulait dire une hémorragie fatale ? 38 — Les hémorragies ne mènent pas obligatoirement à la mort. Vraiment, je ne le prendrais pas pour un compliment. A quoi cela vous fait-il penser ? Vous pensez à une hémorragie cérébrale d'une personne dont les fusibles du cerveau sont grillés. Non, je ne le prends pas du tout pour un compliment. — Qui est Wright Morris ? — Je n'en ai aucune idée. Jamais entendu parler de lui. — Vous vous inscrivez en marge du roman américain d'après-guerre qui ne sait pas vraiment ce qu'est l'imagination. Les écrivains américains prétendent que le public ne s'intéresse qu'aux faits vrais dans le sens le plus matériel du mot. Vos livres sont très lus aux Etats-Unis ; peut-être décrivent-ils un univers imaginaire et pourtant réel ? — Eh bien oui. Je pense que beaucoup de romans actuels ressortissent plutôt au journalisme ; ils essaient de décrire avec exactitude ce que les gens font en réalité. C'est plutôt du journalisme et de l'anthropologie que de l'écriture. Il me semble qu'un roman devrait retravailler cette matière, et pas seulement laisser tomber sur le lecteur une masse d'observations de faits. — A quoi tient cet attachement des écrivains américains à la réalité matérielle ? — Hum... eh bien, nous avons eu un roman à tendance sociale autour de 1930 et cette tradition est encore assez forte. L'idée qu'un roman devrait s'occuper de la réalité, avec des gens réels, avec des problèmes réels, surtout des problèmes sociaux d'une sorte ou d'une autre, n'est en réalité pas très éloignée des romans de Zola. C'est une tradition relativement vieille. Je ne crois pas du tout que cela se limite aux écrivains américains. — Quels sont vos rapports avec le mouvement Beat, auquel on vous associe ? Quelle est l'importance littéraire de ce mouvement ? — Je ne m'associe pas du tout à lui et je ne l'ai jamais fait. Ni avec leurs buts, ni avec leur style littéraire. J'ai des amis personnels parmi le mouvement Beat : Jack Kerouac, Allen Ginsberg et Gregory Corso sont tous de proches amis de longue date, mais nous ne faisons pas du tout la même chose, ni dans l'écriture, ni dans nos points de vue. Vous ne pourriez pas trouver quatre écrivains plus différents, plus distincts. C'est simplement un cas de juxtaposition plutôt qu'une association réelle de styles littéraires ou de buts généraux. Son importance littéraire ? Je dirais que l'importance littéraire du mouvement Beat n'est peut-être pas aussi évidente que son importance sociologique... Il a vraiment transformé le monde et l'a peuplé de beatniks. Il a brisé toutes sortes de barrières sociales pour devenir un phénomène planétaire d'une énorme importance. Les beatniks vont en Afrique du Nord et entrent en contact avec les Arabes à un niveau qui me semble plus fondamental que celui des anciens colons qui connaissent l'arabe et qui pensent encore de la même façon que T.E. Lawrence. C'est un phénomène sociologique d'une importance énorme et, comme je l'ai dit, c'est un phénomène global. — Lorsque vous dites qu'ils communiquent à un niveau fondamental, voulez-vous dire que partout dans le monde les individus partagent certains niveaux fondamentaux ? — Eh bien, en partie... Ils se mettent en contact avec les Arabes au sujet des drogues, c'est-à-dire du kif, ce qui est un contact important. Comment vous mettez-vous en contact avec les gens ? Après tout, vous les contactez à certains niveaux fondamentaux, la sexualité, les coutumes, les drogues. Mais plus que cela, les beatniks sont coordonnés à la musique pop, à une manière de s'habiller, à un mode de vie. C'est une chose qui a influencé la jeunesse du monde, non seulement dans les pays occidentaux, mais aussi dans les pays orientaux. — C'est une ouverture d'esprit qui manque aux colons. — Oui, les colons sont coincés dans le xix' siècle. « Ces gens sont vraiment charmants mais non, vraiment, ils ne sont pas comme nous. » Suit quelque anecdote pour illustrer combien les Arabes sont bizarres et ne pensent pas comme nous. Ils observent les Arabes de l'extérieur avec des idées préconçues quant à leur manière de penser. Les beatniks n'ont pas ce point de vue folklorique. Us pensent que le mode de penser arabe ne diffère pas fondamentalement du leur et ils rentrent en contact direct. Les vieux colons créent un fossé par la seule supposition que ce fossé existe. — Que représentent pour vous Norman Mailer, Truman Capote et Saul Bellow ? 39 — Question très difficile... Vous devez faire attention à ce que vous dites de vos confrères. Malheureusement, je ne lis pas beaucoup, et lorsque je lis, j'ai tendance à lire de la science-fiction. Alors, je ne peux pas parler vraiment avec beaucoup d'autorité. J'ai lu le premier livre de Mailer, Les Nus et les Morts ; je l'ai trouvé très bon. L'Homme de Buridan de Bellow m'a plu. Je pense que les premières œuvres de Capote montraient un talent extraordinaire et inusuel, ce que je ne peux pas dire pour De sang-froid, qui, me semble-t-il, aurait pu être écrit par n'importe quel journaliste du New-Yorker. — Les écrivains américains, comme les autres d'ailleurs, semblent prendre un intérêt particulier à se juger, à se soutenir, à se condamner mutuellement, chacun ayant l'impression de détenir la vérité. Que pensez-vous de cela ? — La tendance à former des cliques a toujours existé chez les écrivains. Je pense que le développement le plus extrême de cette tendance a eu lieu en France, chez les Surréalistes qui s'attaquaient tous à d'autres écrivains. Breton passait une grande partie de son temps à écrire des lettres d'injures à d'autres écrivains... Je pense que les discussions littéraires sont une manière fantastique de gâcher son temps. Je n'ai aucune envie de m'engager dans ces manifestes, ces polémiques et ces condamnations d'autres écrivains ou d'autres écoles. — Y a-t-il des écrivains de la tradition « classique » qui ont réussi à échapper à la prison des mots ? — Echapper à la prison des mots est un peu équivoque. Je pense que certains écrivains de tradition classique ont produit des effets extraordinaires avec des mots qui ont parfois dépassé les mots. Un de mes écrivains préférés, Joseph Conrad, qui est certainement dans la tradition classique, a écrit des livres tout à fait remarquables en collaboration avec Ford Madox Ford, livres qui sont maintenant très peu lus. Je citerais The Inheritors et Romance, dans lesquels il y a des passages qui semblent presque échapper aux mots ou dépasser les mots, bien que la forme de narration soit conventionnelle et classique. — Finnegans Wake est généralement tenu pour un magnifique cul-de-sac littéraire. Que pensez-vous de cette expérience ? — Je pense que Finnegans Wake représente plutôt un piège dans lequel l'écriture expérimentale risque de tomber lorsqu'elle devient purement expérimentale. J'irai jusqu'à un certain point avec une expérience donnée, puis je reviendrai. Je reviens maintenant à une écriture narrative parfaitement conventionnelle et non ambiguë, mais en appliquant ce que j'ai appris du cut-up et des autres techniques au problème de l'écriture conventionnelle. Si vous allez trop loin dans une direction, vous ne revenez jamais, vous êtes là, dehors, dans une isolation complète, comme cet anthropologue qui a passé les vingt dernières années de sa vie à la controverse de la patate douce. Il voulait savoir si la patate douce était originaire du Nouveau Monde ou si elle était venue d'Indonésie en flottant dans un sens ou dans l'autre. Cela a duré vingt ans... Il écrivait des lettres acrimonieuses à diverses publications anthropologiques très spécialisées et s'attaquait à ceux qui s'opposaient à ses théories sur la patate douce. Je ne me rappelle plus dans quel sens il pensait qu'elle était venue... _ Que pensez-vous de Beckett et de Genêt ? — Je les admire tous les deux sans réserve. Ce sont des écrivains extraordinaires. Bien sûr, Genêt n'est pas, d'ailleurs il ne prétend pas être, un innovateur verbal. Il est dans la tradition classique. C'est encore un écrivain qui, tout en étant dans cette tradition, échappe à la prison des mots. Il a réalisé des choses qu'on n'aurait pas cru réalisables avec des mots. — Quelle importance a pour vous l'engagement de l'écrivain qui espère trouver par la voie de la politique un remède ou une amélioration de notre civilisation ? Cette activité ne met-elle pas une limite, ou n'est-elle pas le signe d'une limite des possibilités créatrices ? — Je pense qu'un engagement politique excessif limite certainement la capacité créatrice. Vous avez tendance à devenir un polémiste plutôt qu'un écrivain. Ayant beaucoup de doutes au sujet de la politique, et étant contre le concept de nation qu'elle présuppose, la politique me semble être un cul-de-sac, en tout cas pour - moi-même. Je suppose qu'il y a des écrivains qui tirent vraiment leur inspiration de leurs engagements politiques et qui arrivent parfois à de bons résultats. Malraux, dans ses premières œuvres, en est un exemple. La Condition humaine est manifestement issue de ses engagements politiques et est, malgré cela, un très bon roman. — Les techniques littéraires de Raymond Roussel tendent à enfermer l'écrivain dans un système ; les vôtres, 40 au contraire, libèrent. Quelle peut être l importance d'une technique pour un écrivain ? — Les techniques littéraires peuvent être intéres- 41 santés, certaines donnent des résultats, d'autres n'en donnent pas. On peut faire une expérience très intéressante, mais le résultat peut être tout à fait illisible. Je l'ai souvent constaté. J'ai écrit des textes que je trouvais intéressants en tant qu'expériences, mais illisibles. — Avez-vous besoin du lecteur ? — Un romancier est essentiellement engagé à créer des personnages. Il a besoin du lecteur dans la mesure où il espère que quelques-uns de ses lecteurs deviendront ses personnages. Il a besoin d'eux comme de réceptacles dans lesquels il écrit. On pose souvent à un écrivain la question suivante : « Ecririez-vous si vous étiez sur une île déserte avec la certitude que personne ne vous lirait jamais ? » Je dirais certainement : oui, j'écrirais afin de créer des personnages. Mes personnages sont pour moi tout aussi réels que les gens soi-disant réels. C'est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas sujet à ce qu'on appelle la solitude. J'ai plein de compagnie. Prisonniers de la terre sortez — Nous avons parlé des images et des mots qui retiennent l'homme prisonnier et qui sont l'aboutissement logique d'un vaste système d'anéantissement. Il faudrait essayer maintenant de détecter les différents moteurs de cette mécanique et, pour commencer, son origine. Comment la voyez-vous ? — L'image et le mot sont les instruments de contrôle utilisés par la presse quotidienne et par les revues d'actualité comme Time, Life, Newsweek, leurs équivalents anglais et continentaux. Naturellement, un instrument peut être employé sans la connaissance de sa nature fondamentale ou de ses origines. Pour retourner à l'origine, nous devons examiner les instruments eux-mêmes, c'est-à-dire la vraie nature de la parole et de l'image. Les recherches à ce propos sont découragées par ceux qui se servent de la parole et de l'image comme instruments de contrôle. Nous ne savons donc pas ce qu'est une parole ou une image. L'étude des langues hiéroglyphiques nous montre qu'un mot est une image... le mot écrit est une image. Il y a cependant une différence importante entre une langue hiéroglyphique et une langue syllabique. Si je lève une pancarte portant le mot « ROSE » et que vous la lisez, vous serez obligé de vous répéter à vous-même le mot « ROSE ». Si je vous montre 43 l'image d'une rose, vous n'êtes pas obligé de vous répéter le mot, vous êtes capable d'enregistrer l'image en silence. Une langue syllabique vous oblige à verbaliser dans des structures auditives. Une langue hiéroglyphique ne vous y oblige pas. Je pense qu'une personne qui s'intéresse à trouver les rapports précis qui existent entre le mot et l'image devrait étudier une écriture hiéroglyphique simplifiée. Une telle étude aurait tendance à briser la relation automatique au mot. C'est précisément cette relation automatique au mot qu'utilisent ceux qui manipulent le mot à grande échelle. — Quelle est, dans la machine de destruction, l'importance du pouvoir sous toutes ses formes ? — L'emploi du pouvoir pour l'amour du pouvoir est précisément la machine de destruction. Il nous semble avoir vu cela dans toute l'histoire, et dans un sens c'est vrai. La différence est dans le degré. Le pouvoir vieux style, le generalissimo qui descend le gouverneur de province dans son bureau, a des buts qui sont limités et a au moins un petit élément d'autodéfense. Confondre ce pouvoir vieux style avec les manifestations de la folie de contrôle que nous voyons maintenant sur cette planète, c'est confondre une verrue qui disparaît avec un cancer qui explose. Vous pourriez aussi bien chercher un petit élément de modération, ou du moins d'autodéfense chez le virus de la rage qui crève quand vous crevez, une fois sa mission accomplie. Ce que nous voyons actuellement, c'est le pouvoir exercé dans des buts purement s destructeurs. Qu'ils le sachent ou non, ceux qui exercent actuellement le contrôle vont droit à l'anéantissement. — Quelle est, par rapport au pouvoir, l'importance de l'argent, de la propriété, du bien ? — L'intérêt du pouvoir et/ou de l'argent est peut-être le facteur le plus puissant qui s'oppose à la liberté de l'individu. Les découvertes et les produits nouveaux sont passés sous silence parce qu'ils menacent les intérêts. La profession médicale passe sous silence l'accumulateur à orgones de Reich et ses découvertes au sujet de l'emploi et du danger de l'énergie orgonique. Elle passe sous silence la dianétiquc et la Scientologie découvertes par Mr. L. Ron Hubbard. Elle passe sous silence l'emploi de doses massives de vitamines E pour la prévention des maladies de cœur et l'emploi de doses massives de vitamines A comme remède contre le rhume. (J'emploie ce remède tout simple depuis trente ans et ça marche. Tous ceux à qui je l'ai passé ont constaté qu'il arrête ou modifie le développement du rhume. Dès que vous sentez que votre gorge est douloureuse, ce qui présage une attaque de rhume commun, prenez 500 000 unités de vitamine A. Rien que de la vitamine A. Pas de la vitamine C, qui ne vaut à peu près rien pour le rhume. Un jour j'ai pensé commercialiser ce remède mais on m'a dit que la commercialisation serait rendue impossible par l'American Médical Association qui s'oppose à l'automédication. L'AMA s'y oppose si elle marche.) La profession médicale passe sous silence l'apomorphine pour le traitement de l'alcoolisme, de l'accoutumance aux drogues, et pour la régularisation de métabolismes dérangés. La maladie est l'intérêt de la profession médicale, qui passe sous silence toute découverte qui frappe aux racines de la maladie. Le manque de logements est l'intérêt des professions immobilières. La profession immobilière sabote tout essai visant à fournir de bons logements bon marché. Les maisons Lustron sont un exemple de ce sabotage. Un homme nommé Lustron a inventé des maisons préfabriquées en acier émaillé avec une couche d'isolation à l'intérieur. Cette maison était inaltérable aux termites, à la rouille et à l'âge. Elle existerait encore dans un millénaire. Lustron avait l'intention de sortir cette maison pour 5 000 dollars. Il n'en a fabriqué que quelques centaines avant d'être évincé du marché par la profession immobilière qui l'a empêché d'obtenir les matériaux nécessaires. La voiture Tucker est un autre exemple. Tucker a inventé une voiture tellement supérieure à toutes les autres sur le marché qu'elle aurait obligé les grandes compagnies à changer leurs moules et à produire une voiture de qualité égale. Mais comme elles vendaient les voitures inférieures qu'elles étaient équipées pour produire, il était moins cher et plus facile de bloquer Tucker... Plus de matériaux ! Tucker a perdu 20 000 000 de dollars et failli aller en prison. La voiture Tucker n'est jamais sortie sur le marché. Un autre exemple est le 44 blocage de l'industrie de la ramie par les Dupont et autres fabricants de matières synthétiques. Où sont les hélicoptères-bicyclettes que nous devrions avoir depuis longtemps ? Où sont les maisons en aluminium ? La criminalité est l'intérêt de la police ; l'accoutumance aux drogues est l'intérêt des brigades des stupéfiants ; les nations sont l'intérêt des politiciens ; la guerre est l'intérêt des officiers de l'armée. Les intérêts opérés à travers le capital privé ou à travers l'Etat étouffent toute découverte, tout produit ou toute manière de penser qui menacent leurs zones de monopole. La guerre froide est employée comme prétexte par l'Amérique comme par la Russie pour cacher et monopoliser les recherches tout en conservant la science pour l'Etat. Il n'est pas exagéré de dire que toute recherche importante est actuellement secrète, jusqu'à ce que quelqu'un vende la mèche. L'infra-son, par exemple. Je cite un article du Sunday Times du 16 avril 1967, « Acoustics », par Frank Dorsey, sous-titré Josué savait une ou deux choses : « Le monde ne manque manifestement pas d'armes fatales ; pourtant, une équipe de savants français met au point à Marseille une machine à rayons mortels destinée à offrir une méthode de destruction humaine tout à fait nouvelle. Le projet a pris corps lorsque le laboratoire électroacoustique a déménagé, il y a trois ans. L'équipe s'est plainte de maux de tête et de nausées. Une enquête fut ouverte. Les ondes magnétiques et les ultra-sons furent soupçonnés, puis éliminés. Un des techniciens sortit alors un ancien appareil à détecter l'infra-son — c'est-à-dire des vibrations de l'air qui oscillent à moins de dix périodes par seconde, ou dix Hz (l'oreille humaine enregistre comme son les vibrations allant de 16 à 20 000 Hz). Cet appareil avait été employé pendant la première guerre mondiale pour distinguer le bruit des canons des mouvements de trains trop lointains pour être identifiés à l'oreille. On identifia rapidement la source du malaise : le ventilateur géant d'une usine proche. Après avoir changé la fréquence du ventilateur, l'équipe de cinq hommes dirigée par le professeur Vladimir Gavreau décida de rechercher davantage les propriétés de l'infrason. » Comme chacun sait, le son est une succession d'ondes par lesquelles l'air est alternativement comprimé et décomprimé. Les vibrations rapides passent à travers les corps solides ou rebondissent dessus en faisant habituellement peu de dégâts, même quand elles sont très puissantes. Mais une vibration lente, inférieure au niveau auditif, peut produire une sorte d'action de pendule, une réverbération sur les objets solides qui augmente rapidement jusqu'à une intensité insupportable. Pour étudier le phénomène, l'équipe a construit un sifflet géant auquel elle a fixé un tuyau à air comprimé, avant d'y mettre la pression. Le professeur Gavreau raconte : « Heureusement, nous avons pu l'arrêter rapidement. Nous fûmes tous malades pendant des heures. Tout vibrait en nous : l'estomac, le cœur, les poumons. Les personnes des autres laboratoires aussi étaient malades et furieuses. » Le premier coup était audible jusqu'à 190 Hz seulement. Il avait une force acoustique d'environ 100 W, par rapport à 1 W pour le sifflet d'un arbitre de football. A partir de ce moment, l'équipe a travaillé à baisser la fréquence mais en prenant soin de garder une faible puissance. Un sifflet plus grand, d'environ 1,50 m de large, fut construit. Il produisait un son très bas mais audible, d'environ 37 Hz. Mis en marche à sa puissance maximale, il produirait 2 000 W, et les bâtiments s'écrouleraient comme les murs de Jéricho devant la trompette de Josué. Aux pressions employées, il n'a fait fendre que le plafond. L'équipe a découvert que la fréquence la plus dangereuse pour la vie humaine est de 7 Hz. A 7 Hz et à très basse puissance, on a une vague impression de son et une sensation généralisée de malaise. A 3,5 Hz, on n'entend rien directement, mais il y a un curieux effet d'incidence. Des sons voisins, comme l'air qui siffle dans les tuyaux, prennent une caractéristique de pulsation, à 3,5 pulsations/seconde. Tous les sons voisins semblent hululer rythmiquement. L'équipe a souffert de ces expériences. Quelques-unes de ses blessures invisibles paraissent persister. « Cela ne nous attaque pas seulement les oreilles, dit le professeur Gavreau, mais cela affecte directement les organes internes. Il y a une friction entre les divers organes causée par une sorte de résonance, qui provoque une irritation si intense que tout son à basse fréquence semble se répéter pendant des heures à travers le corps. » En concevant une arme militaire, les savants ont l'intention de revenir à une forme de sifflet de police, large peut-être de 5,50 m, de le monter sur un camion et de produire le souffle à l'aide d'un ventilateur actionné par un petit moteur d'avion. Cette arme, dit-on, produira 10 000 W acoustiques capables de tout détruire. Capable de tuer un homme à une distance de 8 km. Il y a cependant un inconvénient : pour l'instant, 45 cette machine est aussi dangereuse pour l'utilisateur que pour l'ennemi. L'équipe étudie divers systèmes pour la diriger. Divers systèmes de déflecteurs ont été essayés, mais la méthode qui paraît la plus prometteuse est la propagation d'ondes opposées et complémentaires, une onde qui partirait en arrière, changeant la fréquence des ondes qui vont dans leur sens, et protégeant ainsi tous ceux qui sont derrière. Il y a, bien sûr, un moyen de protection beaucoup plus simple, c'est de mettre la machine en marche à distance. Ce résumé des expériences du professeur Vladimir Gavreau avec les infra-sons a été fait à partir d'un article du Sunday Times. Un article beaucoup plus complet est paru dans un périodique américain, The National Enquirer, vol. 42, n° 27, 10 mars 1968. La découverte du professeur Gavreau a été déposée et tout le monde peut s'en procurer, pour la somme modique de deux francs, les plans et la description complète au bureau français des brevets. Il ne fait pas de doute que des projets secrets étudient les potentialités militaires de l'infra-son. L'infrason non mortel paralysant les fonctions mentales (comme le dit le professeur Gavreau : « Je ne savais même plus combien font deux et deux »), il vous suffit de savoir que deux et deux font quatre pour conclure que l'infra-son est une arme idéale contre des éléments dissidents du système. Il faut espérer que les enragés de violons d'Ingres se procureront les plans et feront des expériences. Les matériaux nécessaires ne coûtent pas cher et sont faciles à trouver. Il se peut que l'infra-son recèle des propriétés thérapeutiques à faible volume et que l'infra-son-limite ajoute une dimension nouvelle à la musique pop. Un autre savant qui publiait librement ses découvertes était Wil-helm Reich. Il mourut dans une prison fédérale. La plupart d'entre vous connaissent un peu les expériences, découvertes et théories de Reich, aussi n'en entreprendrai-je pas un exposé détaillé ici. On peut encore acheter les livres de Reich, en dépit des autodafés de livres exécutés par les porcs du Service des drogues et de l'hygiène alimentaire, émules de leurs prédécesseurs nazis. J'aimerais attirer l'attention sur les expériences faites par Reich avec la ROM — Radiation Orgo-nique Mortelle. On produit la ROM en mettant n'importe quelle matière radioactive dans un accumulateur à orgones. Les expériences de Reich employèrent de très petites quantités de matière radioactive. L'effet n'en a pas moins été décrit comme « être frappé sur la tête avec un marteau de forgeron ». Un des sujets d'expérience faillit en mourir. Une très minime exposition produit des états de confusion mentale, de dépression, d'angoisse et d'inquiétude. Comme l'infra-son, la ROM a un champ d'action qui va du presque imperceptible au mortel. Les expériences avec la ROM sont amplement décrites dans The Selected Writings de Wilhelm Reich, dans le chapitre intitulé Physique des orgones. Toute personne possédant une montre à cadran au radium peut reproduire ces expériences. Il semble que l'immunisation à la ROM s'obtienne par exposition graduelle. En fait, le but des expériences ROM était de trouver un moyen d'immunisation massive contre les radiations. Comme vous le savez, les livres et papiers de Reich furent brûlés, ses expériences mises hors la loi et il fut lui-même emprisonné. On ne prend pas beaucoup de risques en affirmant que des organismes étatiques doivent poursuivre des expériences secrètes avec la ROM. Les expériences qui offrent la moindre possibilité d'immunisation contre les radiations méritent certainement d'être largement explorées et diffusées. Mr. L. Ron Hubbard, fondateur de la dianétique et de la Scientologie, a été également persécuté par le Service des drogues et de l'hygiène alimentaire. Jusqu'à aujourd'hui, Mr. Hubbard a refusé de publier ses découvertes les plus avancées. Tout indique que les découvertes de la Scientologie sont utilisées par la CIA et autres organismes officiels. Avec ces découvertes déjà entre les mains les pires qu'on puisse imaginer, il faut espérer que Mr. Hubbard fera attention à sa politique actuelle. A Mr. Hubbard revient d'avoir rendu publique une arme secrète largement utilisée par Américains et Russes dans leur sinistre farce de guerre froide. Cette arme est l'hypnose par souffrance sous drogue. L'hypnose ordinaire ne peut forcer un sujet à agir contre son code moral ou ses propres intérêts de survie. L'hypnose par souffrance sous drogue le peut. Le sujet est rendu inconscient par une drogue, battu de telle manière qu'aucune trace ne reste (annuaire téléphonique, oreiller dur) et on lui inculque des suggestions. Il obéira à ces suggestions sans savoir qu'il a été drogué et soumis à ce genre d'hvpnose. Il obéira à ces suggestions, aussi gravement puissent-elles entrer 46 en conflit avec son code moral ou ses intérêts. Même le suicide peut être encouragé de cette manière. Dans le cas de Reich et de Hubbard, des découvertes ont été passées sous silence par les organismes officiels très probablement pour masquer des expériences secrètes similaires et parallèles. Un article récent écrit dans Esquire par un ancien agent de la CIA contient cette anecdote : un homme portant des photos de la Baie des Cochons s'en allait vers les bureaux d'un journal quand l'agent qui le filait appela un « numéro spécial » à Washington. « Sur le chemin du journal, il fut renversé par une camionnette de blanchisserie. » Pas si facile d'épingler à coup sûr quelqu'un qui marche dans la ville, après tout les gens regardent avant de traverser, non ? J'oserais quant à moi avancer l'hypothèse qu'il fut poussé devant la camionnette par un laser. Les lasers peuvent faire changer les satellites d'orbite. Ils pourraient bien pousser quelqu'un sous un camion. Toutes ces connaissances sont-elles entre les meilleures mains ? Il y a neuf ans, à Amsterdam, j'ai parlé à un chimiste hollandais qui m'a dit qu'on avait synthétisé une drogue infiniment plus puissante que le LSD et qu'on ne voulait pas prendre la responsabilité de l'expérimenter sur des êtres humains à cause de la possibilité de dégâts permanents du cerveau. J'ai appris plus tard que cette drogue avait été cédée à des « agences officielles » aux Etats-Unis. Cela pourrait bien être le « gaz toxique non mortel » employé au Vietnam. Récemment, une personne liée à un projet de recherche sur le laser patronné par la marine américaine m'a dit : « On peut effectivement envoyer une pensée. » Il y a quelques années, des expériences en Norvège ont indiqué la possibilité d'activer des réactions verbales directement dans la cervelle au moyen d'un champ électromagnétique. Entendez-vous des voix ? La Boîte Noire qui produit des ions positifs, et qui permet à toute personne située dans son rayon d'action de travailler sans fatigue à un niveau d'efficacité élevé, a été employée par l'armée des Etats-Unis ; elle a été gardée secrète pendant dix ans. Est-elle désormais sur le marché ? Des recherches importantes, qui pourraient être employées pour libérer l'esprit humain, sont monopolisées par des intellects mesquins sous l'égide de la « Sécurité Nationale ». Que vous apporte la « sécurité nationale » ? La guerre froide est un facteur essentiel au maintien des institutions en Occident et en URSS. Cela a toutes les marques d'un jeu de cartes truqué. Les recherches secrètes ne le sont pas parce que les Russes pourraient se mettre au parfum : les Russes sont déjà au courant et le plus souvent, ils sont bien en avance sur l'Occident. Les recherches secrètes sont secrètes parce que les systèmes établis ne veulent pas que la jeunesse du monde entier découvre ce qu'ils fabriquent. — Le « Lémur » est un animal très curieux dont vous parlez dans Le Festin nu ; que symbolise-t-il ? — Il semblerait qu'il y a eu à une certaine époque de nombreuses expériences humanoïdes. Les uns étaient trop petits, les autres trop grands ou incapables de travailler ensemble... Le Lémur est une telle possibilité. Il a pu exister des êtres semblables au Lémur il y a 500 000 ans environ. Us ont probablement disparu par manque d'agressivité. Il y a une théorie développée par Robert Ardrey dans un livre très intéressant qui s'appelle Genèse africaine. Selon cette théorie, l'homme est né sur les prairies de l'Afrique et il a survécu parce que c'était un tueur. Il l'appelle « le singe agressif du Sud ». « L'homme ne naquit ni en Asie, ni dans l'innocence. La terre natale de nos pères fut les hautes terres africaines, une savane balayée par le ciel et rougeoyante de menace. » — Croyez-vous aux promesses fréquemment répétées d'une humanité future meilleure grâce au développement des procédés d'automation, ou de la technologie en général ? — Absolument pas. Cela dépend de qui dirige la technologie, la technologie elle-même étant un instrument plus ou moins neutre. Nous n'avons rien vu de rassurant à ce sujet. Avec les gens qui détiennent aujourd'hui le pouvoir, plus la technologie devient efficace, plus ils sont une menace. — Est-il possible d'échapper à la « Conspiration Nova »? — Eh bien, là encore, je crois qu'actuellement les choses sont vraiment en équilibre. — Il y a dans vos livres des individus classés en catégories distinctes : les factualistes, les 47 liqué-factionnistes et les divisionnistes, par exemple. Que représentent-ils ? — C'était dans Le Festin nu. C'était une classification assez grossière et incertaine. Actuellement, elle ne tient plus très bien, et je ne me servirais plus des mêmes catégories. — De quelle manière a lieu actuellement l'extermination des résistants dans les Fours Nova ? — La machine a beaucoup de moyens pour se débarrasser de toute personne un tant soit peu inconvenante. Les hommes comme Wilhelm Reich, par exemple. Caractérologiquement, il n'était pas fait du tout pour se défendre. Il n'avait pas le sens de l'humour, et il ne se rendait pas compte contre qui ou quoi il se battait. Au début, on l'a rendu paranoïaque, on lui a fait faire des erreurs, on l'a poussé à ne pas reconnaître des injonctions et des convocations fédérales. On l'a finalement envoyé en prison, et il y est mort. Il y a beaucoup d'autres exemples... Les lois sur les narcotiques sont un prétexte pour élargir les pouvoirs de la police, pour augmenter le personnel policier, et pour créer un état policier avec l'aide d'une presse dirigée. Les lois sur la drogue sont un prétexte pour salir toute personne qui s'oppose à l'état policier. A la une : « Le domicile de untel perquisitionné pour drogue. Certaines substances — cire à cacheter, herbes aromatiques, savon — ont été remises au laboratoire d'analyses légales pour y être analysées. » Deux semaines plus tard, en dernière page : « Aucune accusation n'a été portée contre untel. » Dans l'intervalle, untel a perdu son travail, a été dévêtu et fouillé à sept aéroports, chaque fouille en gros titre à la une. Jamais le principe McCarthy de culpabilité par association n'a été appliqué de façon plus éhontée que dans la presse anglaise d'aujourd'hui. Voici une citation : « Les douaniers fouillent encore deux groupes pop. Deux groupes pop anglais, leurs valises et leurs voitures, ont été fouillés par des douaniers de l'aéroport de Sydney. La fouille a eu lieu à la suite de la saisie de deux livres appartenant à Eric Burdon : L'Histoire de l'érotisme par Kenneth Anger, et une anthologie Olympia contenant une sélection de nouvelles de Henry Miller et d'autres. »Les moyens par lesquels la presse est capable de déranger ou d'immobiliser toute personne qui bloque la machine sont nombreux. — A quoi correspond la volonté de nivellement intellectuel qui se ressent violemment dans toute société fondée sur le pouvoir de l'argent ? — Le nivellement intellectuel devient de plus en plus nécessaire à mesure que les failles de notre société deviennent de plus en plus évidentes. Nous en sommes maintenant au point où c'est 48 pratiquement un crime que d'exprimer une opinion sensée. Vous exprimez une opinion modérée à propos des drogues, et vous vous trouvez accusé de vanter leur emploi, et vous êtes dénoncé comme criminel. Suggérez qu'il peut y avoir quelque chose de fondamentalement mauvais dans la société, et vous êtes un anarchiste qui frappe aux racines mêmes de la civilisation organisée. Aucun relâchement n'est permis, car les contradictions sont trop évidentes. Ce nivellement existe-t-il aussi dans d'autres formes de société ? Eh bien, naturellement. Il existe en Russie et en Chine à un degré significatif. Il ne s'agit pas seulement de l'argent, il s'agit de l'intérêt du pouvoir quel qu'il soit. Les déviations ne sont pas tolérées. — La machine, nous promet-on, délivrera l'homme dans un avenir assez proche. Comment voyez-vous cette délivrance ? — Je ne vois pas comment elle pourrait avoir lieu à partir du moment où la machine est dirigée par quelqu'un et doit avoir un opérateur. Elle dépend de l'intelligence et des intentions de l'opérateur. Wiener nous a prévenus que la machine penserait mille fois plus rapidement que nous, et qu'elle pourrait bien conduire ses maîtres au désastre avant qu'ils ne se rendent compte de ce qu'elle fait. Mettez dans votre machine : « Gagnez la guerre au Viêt-nam à tout prix », elle s'y met et le fait, mais vous ne savez pas ce qui peut arriver. Non, je ne vois pas de salut dans la machine, la ferraille, la technologie ou les ordinateurs aux mains des individus ou des groupes qui détiennent actuellement le pouvoir sur cette planète. — Beaucoup pensent que la censure est une 98 protection utile et que n'importe qui ne peut pas recevoir n'importe quoi. Qu'en pensez-vous ? Je pense que toute censure, toute forme de censure devrait être abolie. Je ne crois pas que les livres dits obscènes aient jamais inspiré à qui que ce soit de commettre un crime plus sérieux que la masturbation. Mais il y a une sorte d'écriture qui pousse les gens à commettre des crimes : celle de la presse mondiale. Robert Benjamin Smith, 18 ans, de Mesa, accusé du meurtre de quatre femmes et d'une jeune fille le 12 novembre dans un institut de beauté de Mesa, a plaidé innocent mercredi pour cause de démence. Smith a dit au sergent de police Ray Gomez que les meurtres en série de Chicago et Austin (Texas) lui en avaient donné l'idée. Cherchez dans vos morgues et voyez combien de fois le prisonnier a eu l'idée du crime en lisant les journaux. L'homme qui a tiré sur Rudi Dutschke en a eu l'idée après avoir lu l'assassinat du Docteur King. L'excuse pour censurer la fiction, c'est-à-dire qu'elle stimule les gens à commettre des crimes, est absolument ridicule, étant donné les crimes commis chaque jour par les gens qui ont lu un cas semblable dans les journaux. La télévision est tout aussi mauvaise, à cause de la juxtaposition de l'actualité et de la fiction qui donne à la fiction plus d'influence. Il y a eu quatre ou cinq cas récents de jeunes gens qui se sont pendus après avoir vu un western à la télévision. Le problème est celui d'émissions d'actualité (quelque chose qui se passe réellement) mises en opposition a de la fiction dont tout le monde sait que c'est taux. Les gens ne se précipitent pas pour commettre un meurtre après avoir lu Agatha Christie, mais ils commettent certainement un meurtre après avoir lu le récit d'autres meurtres dans les journaux. D'ailleurs, toute censure, m'a-t-on dit, vient d'être abolie au Danemark sans aucun effet En fait, les statistiques, jusqu'à présent incertaines, indiquent une baisse dans le nombre des viols et des crimes comportant des violences sexuelles. Ce que les gens au pouvoir essaient de masquer par le maintien de la censure est que si toute censure était abolie, rien n'arriverait. — Il y a eu à Boston un procès à propos du Festin nu. Norman Mailer et Allen Ginsberg ont pris votre défense. Assistiez-vous à ce procès ? Quelle impression vous a-t-il laissée ? — Non, je n'y étais pas. On m'a demandé d'être présent, mais j'ai refusé. J'ai eu l'impression que c'était une farce complète. La défense a essayé de montrer que Le Festin nu avait quelque importance sociale et cela me semble tout à fait à côté de la question, et ne se rapporte pas au fait fondamental du droit de censure, du droit du gouvernement d'exercer une censure quelconque. Je suis sûr que si j'avais été là, je n'aurais fait rien de bon. — Lorsqu'on qualifie une œuvre de pornographique, qu'entend-on par là ? — Je ne pense pas que cela signifie grand-chose et les autres ne le pensent pas non plus, parce que les définitions de ce qui fait la pornographie, les définitions légales, deviennent de plus en plus confuses. On dit maintenant que si une chose a une importance sociale qui la rachète, quoi qu'elle veuille dire, elle n'est pas pornographique. Il y a de plus en plus de décisions juridiques contradictoires. On parle de « l'exploitation de la pornographie pour le profit ». Naturellement, tout éditeur s'attend à gagner de l'argent avec ses livres. Je pense que c'est un de ces mots ambigus avec une connotation dérogatoire qui n'a absolument pas de signification précise. Pensez-vous que la pornographie habituelle soit présente dans des choses qui passent sous le nez des censeurs, mais déguisée ? Oh oui ! on y fait sans doute passer beaucoup de choses. Bien sûr, il y a toute la question de la pornographie de violence qui est probablement plus susceptible d'avoir des effets néfastes que la pornographie sexuelle, bien que je ne croie à aucune censure, ni dans les films, ni au théâtre, ni dans la littérature. Oui, il y a certainement une pornographie impunie, elle est simplement un tout petit peu déguisée. — Y a-t-il une voie politique à la libération du monde ? Un changement d'idéologie complet, par exemple l'anéantissement du monde capitaliste par le monde socialiste, offrirait-il une solution ? 50 — Je ne le pense absolument pas, parce que ces gens-là ne font que se renvoyer les mêmes vieilles formules. Que se passe-t-il, par exemple, lorsque le gouvernement accapare un prétendu moyen de production ? Rien. Nos usines occidentales sont maintenant pratiquement contrôlées par l'Etat. C'est-à-dire qu'une personne peut être propriétaire d'une usine, mais on lui dit combien elle doit payer les ouvriers, combien d'ouvriers elle peut employer... Elle n'est pas beaucoup plus qu'un gérant, et sa position n'est pas très différente de celle du gérant d'une usine russe. Franchement, je ne pense pas que cela ferait une différence. L'anarchiste est peut-être un des seuls à proposer une solution possible pour l'avenir. Croyez-vous aux solutions qu'il propose ? Je ne sais pas vraiment ce qu'elles sont. Je dirais cependant que je ne crois à aucune solution qui propose des demi-mesures. A moins que nous n'abolissions les concepts de nation et de famille nous ne ferons aucun progrès. C'est la même chose sous un autre nom. Par exemple, je pense qu'il n'y a pas de solution avec les Nations Unies. Les Nations Unies — l'impossibilité est dans le mot nation, voilà la difficulté. L'anarchiste dit : « Débarrassez-vous de toutes les lois », mais les lois sont la conséquence des nations. Il me semble qu'ils ne vont pas jusqu'à la racine des difficultés, jusqu'à la formule fondamentale qui est celle de la nation, mais proposent plutôt une solution pour un fait accompli qui ne marchera pas. Ils laissent subsister la nation et disent : « Nous allons abolir les lois. » C'est comme si on essayait d'abolir les symptômes d'une maladie tout en ne touchant pas à la maladie elle-même. — La suppression de l'argent modifierait-elle les structures de la société ? — En 1959, dans Minutes To Go j'ai écrit : « Je suis tout faible, chéri, je peux tout juste me traîner à la maison, le dollar s'est effondré. » Minutes To Go qui rassemble les premières expériences cut-up, s'est avéré être un livre prophétique. Voyez-vous, il y a quelque chose de fondamentalement faux avec le concept de l'argent. Il en faut toujours plus pour acheter toujours moins. L'argent est comme la came. Une dose qui vous défonce le lundi ne vous fait plus rien le vendredi. Nous sommes précipités à une vitesse vertigineuse dans une inflation mondiale comparable à ce qui s'est produit en Allemagne après la première guerre mondiale. Les riches entassent désespérément or, diamants, antiquités, tableaux, médicaments, outils et armes. Le rejeton d'une très célèbre famille de banquiers m'a un jour confié un secret de famille. Quand un certain stade de responsabilité et d'éveil est atteint par un jeune banquier, on l'emmène dans une pièce décorée des portraits de famille au milieu de laquelle trônent des toilettes d'or chamarrées. Il y vient chaque jour pour déféquer entouré des portraits de famille jusqu'à ce qu'il comprenne que l'argent est de la merde. Et que mange la machine à argent pour avoir à le rechier ? Elle mange de la jeunesse, de la spontanéité, de la vie, de la beauté et par-dessus tout, elle mange de la créativité. Elle mange de la qualité et chie de la quantité. Il fut un temps où la machine mangeait avec modération ce que contenait un garde-manger bien garni et où ce qui était mangé était remplacé. A présent, la machine mange plus vite beaucoup plus vite qu'on ne peut remplacer ce qu'elle mange. C'est pourquoi de par nature, l'argent vaut toujours moins. Les gens veulent de l'argent pour acheter ce que la machine mange afin de rechier le fric. Plus la machine mange, moins il en reste. Et votre argent achète de moins en moins. Ce processus suit maintenant une escalade géométrique. Si l'Occident ne déclenche pas auparavant une guerre nucléaire, son système monétaire s'écroulera à cause de l'inexorable consommation bar la machine d'art de vie de parfum et de beauté pour fabriquer de plus en plus de merde qui achète de moins en moins de vie d'art de parfum et de beauté parce qu'il y en a de moins en moins à acheter. La machine bouffe tout. Le temps viendra certainement où l'argent n'achètera rien parce qu il ne restera rien à acheter. L'argent s'auto-detruira. L'axe Beat/Hip, notamment en la figure de comme Allen Ginsberg, veut transformer ce monde par l'amour et la non-violence. Partagez-vous cette volonté? — Certainement pas. Les gens au pouvoir ne disparaîtront pas volontairement, et donner des fleurs aux flics ne marchera pas. Cette pensée est quelqu'un encouragée par le système. Il n'y a rien qu'il aime plus que l'amour et la non-violence. Le seul moyen que j'aime voir pour donner des fleurs aux flics est de leur balancer un pot depuis le dernier étage. — Croyez-vous en la vertu pacificatrice d'un désarmement ? — Non. Il n'aura pas lieu, il n'a pas lieu, il ne peut pas avoir lieu. Aussitôt que vous avez des armes, le désarmement devient extrêmement peu probable. L'absurdité totale de dépenser de l'argent pour des armes est une des conséquences de la formule fondamentale de la nation. Et jusqu'à ce que cette formule soit attaquée à sa racine végétale, à savoir la famille biologique, il n'y aura pas de vrai désarmement, mais seulement des pourparlers, des comités et du non-sens. — Que pensez-vous de la peine de mort ? — Une pratique barbare qui devrait être éliminée partout. — Le bien et le mal existent-ils réellement ? — Pas dans un sens absolu. Une chose est bonne ou mauvaise suivant vos besoins et la nature de votre organisme. Ce qui attaque ou essaie d'anéantir une personne ou une espèce est vu par cette personne ou cette espèce comme mauvais. Je pense qu'il est naïf de prêcher un absolu. Cela se rapporte seulement aux conditions de vie d'un organisme, d'une espèce ou d'une société donnés. — Que pensez-vous du système pénal ? — Ridicule ! Ça date du Moyen Age. Pour commencer, c'est la société qui fait tous ces criminels, très délibérément, ces grands camps de concentration, où l'on entasse les gens connus comme criminels. Un grand nombre d'entre eux sont des psychopathes, c'est-à-dire qu'ils sont réfractaires au contrôle. Dès qu'ils deviennent des criminels, ils cessent d'être source d'ennuis. Les voilà entrés dans le jeu du gendarme et du voleur, entrés pour la vie dans un camp de concentration. Mais voilà qu'ils se sont mis à agrandir ce camp de concentration, à l'agrandir à perte de vue, en faisant de plus en plus de lois qui rendent de plus en plus de gens criminels ; et si toutes les lois étaient appliquées, presque tout le monde serait dans le camp de concentration, que tous les autres devraient garder. Us sont maintenant dans une impasse : ils doivent soit reconnaître que tout le truc est une farce et que les lois ne sont pas faites pour être appliquées, ou alors les changer, ou les appliquer. Et ils ont peur de ces trois solutions. Us ne peuvent reconnaître que la chose est une farce, ils ne feront pas de changements fondamentaux. Appliquer ces lois serait bien sûr la chose la plus dangereuse à faire ; en Amérique ils se retrouveraient avec trente à quarante millions de gens au moins en taule, et combien de personnes faudrait-il pour arrêter, garder et poursuivre ces contrevenants ? Eh bien, tout le pays deviendrait une carapace entourant un très attristant noyau immense de criminels. Comment pourraient-ils maintenir la défense nationale s'ils mettaient tous les jeunes en prison ? Où seraient leurs soldats dans l'éventualité d'une attaque ? Ils temporisent, tout comme le fait 1 Angleterre. Les Anglais ne font pas de changements fondamentaux. Ils répètent : ça ne peut pas arriver ici ; c'est arrivé en France mais en Angleterre, c'est différent. Le monde occidental tout entier fond sous une stupidité absolue, à essayer de taire marcher des choses qui ne le peuvent pas. — On cite souvent les pays Scandinaves comme exemples de pays réussis. — C'est facile, c'est plus petit. Par exemple au Danemark, il y a 4 millions de gens plus ou moins homogènes. Ils n'ont pas de problème de criminalité, on ne peut pas commettre un crime au Danemark, ça se saurait immédiatement. Ils n'ont pas de taudis. Ils n'ont pas de pègre, ils n'ont aucun lieu où receler des bien volés, ils y ont vraiment rendu le crime, à quelque échelle que ce soit, impossible. Bien sûr, ils ont un système pénal très éclairé pour les individus qui commettent effectivement des crimes, LE crime occasionnel, comme en Suède. Ce sont simplement des pays plus petits et plus homogènes où il est beaucoup plus facile de contrôler les facteurs. Il n'y a pas de pauvreté, il est interdit d'être pauvre. Les gens ne sont pas très heureux mais on s'occupe certainement bien d'eux. — Y a-t-il un endroit où ils soient heureux ? 52 — Ils sont certainement plus heureux en Espagne avec toute la pauvreté qu'en Suède avec toute la prospérité et le niveau de vie élevé. — Oui, mais l'Espagne est un bon exemple de pays hautement contrôlé avec gouvernement répressif, religion cauchemardesque — tout, quoi !. — Oui, tout. Ils sont emmerdés de tous les côtés. Seulement voyez-vous, la pauvreté occupe les gens. Vous voyez du bonheur sur les visages dans les rues en Espagne, ce que vous ne voyez pas dans les rues en Suède. — « / / faut toujours créer autant de conflits nouveaux que possible et il faut toujours aggraver les conflits existants. » Cela pourrait-il être une définition de la politique ? Oui. Je crois que quelqu'un vient d'écrire un livre qui fait remarquer que la guerre est absolument essentielle au maintien de la société moderne et qu'il lui faut toujours en avoir une quelque part. Elles sont nécessaires autant psychologiquement qu'économiquement. La conception entière d'une nation dépend de l'hostilité d'une autre nation située de l'autre côté d'une ligne. S'il n'y avait pas ce facteur d'hostilité, s'il n'y avait pas de conflits d'intérêts et si les politiciens n'arrivaient pas à créer des conflits, les lignes s'écrouleraient et il n'y aurait plus de nation. — A quoi aboutirait un Etat dans lequel les hommes « normaux » gouverneraient ? — Je refuse le mot normal ; je ne sais pas ce qu'il veut dire. — Des gens moyens qui ne toléreraient pas et étoufferaient les gens extraordinaires. — Je pense que cela serait un cauchemar absolu, et il est très probable que cela aura lieu car avec la surpopulation, il y a de plus en plus d'hommes soi-disant normaux, c'est-à-dire de connards -purs et simples. C'est un autre grand problème, cette surpopulation, qui résulte du concept de nation, de la nécessité des armées, de la nécessité d'un grand nombre de gens pour produire et consommer les marchandises. Avec la surpopulation, la qualité de la race humaine baisse prodigieusement. Les gens deviennent de plus en plus stu-pides, de plus en plus incompétents et il y en a de plus en plus. Que représente pour vous l'Amérique actuelle ? Au niveau officiel, un cauchemar. Difficile de croire que les gens qui occupent le pouvoir qui décide de la politique étrangère et domestique de 1 Amérique puissent être si imbéciles et si fondamentalement mal intentionnés. Le conformisme d'une énorme classe moyenne (la foule Wallace) et la contestation chez les jeunes, les intellectuels et les professions libérales ont atteint une échelle sans précédent. Je ne connais pas d'autre pays où la contestation soit si largement répandue et détienne une meilleure chance de provoquer des changements fondamentaux. Je pense qu'il se passe aujourd'hui en Amérique, dans la sphère de la politique et des arts, davantage que nulle part ailleurs. La censure a presque cessé d'exister. Bien sûr, toute personne de l'ancien monde qui est de passage — et revenant ici après tant d'années en Europe et en Afrique, j'ai le regard d'un visiteur — est impressionnée par le niveau de confort et de service. Chauffage central. Bonne nourriture peu coûteuse à votre porte à toute heure du jour ou de la nuit. Je déclare sans réserves que l'Amérique a maintenant la meilleure nourriture au monde et pour l'argent qu'on y dépense, c'est peut-être le pays le meilleur marché du monde. Certainement beaucoup moins cher que Londres, Rome ou Paris. L'Amérique a tellement changé qu'elle est méconnaissable. Elle est peut-être bien l'espoir du monde. Elle est aussi la source de pestes émotionnelles telles que l'hystérie anti-drogues, le racisme, la moralité biblique, l'éthique capitaliste protestante, le christianisme musclé qui se sont répandus partout, transformant cette planète en une annexe de l'Enfer. — Concevez-vous une voie par laquelle les Etats-Unis pourraient surmonter les problèmes causés par la politique étrangère et par l'intégration sans opérer un changement radical de gouvernement ? — Non, je n'en conçois pas. Il n'y a pas un politicien en Amérique qui avouera qu'il y a quelque chose de radicalement faux. Ils pensent que l'on peut toujours recoudre les choses, refusent d'examiner leurs axiomes fondamentaux et ne se rendent pas compte que toute leur affaire ne peut pas tenir debout. 53 Ça ne peut tout simplement pas marcher et naturellement, s'ils ne font que recoudre les choses, et c'est tout ce qu'ils feront, tout deviendra de pire en pire. Je pense que le changement le plus probable sera une forme quelconque de fascisme d'extrême droite, une prise de pouvoir par l'armée. Cela me semble très probable. Contrairement à ce que Marx croyait, évidemment, les pays industrialisés deviennent fascistes, et ce sont des pays non industrialisés qui deviennent communistes. Vous aurez peut-être le communisme en Amérique du Sud, mais il est très peu probable que vous l'ayez en Amérique du Nord à l'époque actuelle. — Est-ce que la question vietnamienne vous parait être un problème que les Etats-Unis rencontreront toujours ? — Ils le rencontreront évidemment sans cesse. C'était d'abord la Corée, maintenant c'est le Vietnam et si jamais ils arrivent à résoudre le problème, ce sera ailleurs. L'idée de contenir' le communisme à l'échelle mondiale ne peut aboutir qu'à se lancer dans toutes les aventures les plus idiotes, les unes après les autres. Cela arrivera certainement ailleurs, c'est inévitable. N'importe quel gouvernement de droite n'a qu'à dire qu'il est en train de se battre contre le communisme pour y impliquer les Américains. Quelle est votre position vis-à-vis du Vietnam ? ~~ D'habitude, je ne me mêle pas de politique. Une fois qu'un problème a atteint le stade politico-militaire, il est déjà insoluble. Cependant, il m' arrive parfois de penser à haute voix : les français sont restés en Indochine pendant un bon nombre d'années, si je me rappelle bien, avant de se rendre compte qu'ils étaient en train de perdre A quel prix ? Ils perdaient leurs soldats. Ils en ont fait de nouveau l'expérience en Algérie. Prenez une formule comme Nationalisme Armée - Troubles avec d'autres tribus de l'âge de pierre... et lorsque l'on commence à se servir de bombes atomiques au lieu de haches de pierre — on ferme, Messieurs... Il paraît qu'il y a des gens qui se figurent que la solution à toute cette pagaille est de faire sauter le théâtre et de recommencer par le début. Cela a déjà pu arriver plusieurs fois, l'espèce ayant environ 500 000 ans, et ce que nous appelons l'histoire ne datant que de 10 000 ans. Un peu plus, un peu moins — qu'ont-ils fait pendant 490 000 ans ? Nous sommes passés de la hache de pierre aux armes nucléaires en 10 000 ans. Cela a pu se produire plusieurs fois auparavant. Ça nous a d'ailleurs un air plutôt familier là d'où qu'on vient. Si vous ne voulez pas voir sauter le théâtre tout entier, il faut bien sûr que les Américains quittent le Viêt-nam avant que... « les unités américaines et chinoises se battent au nord d'Hanoï »... « le discours de Johnson le plus dur »... « Kossy-guine mis en garde avec rudesse »... Naturellement, toutes les nations devraient détruire toutes leurs armes atomiques et peut-être aussi leurs physiciens atomiques comme garantie, mais cela poserait un drôle de problème de débarras. Je dois ajouter qu'il est peu probable que cela ait lieu. On fait des armes pour s'en servir, et on s'en servira, tôt ou tard, parce que la formule du nationalisme ne pourra jamais être dissoute en ses propres termes, c'est-à-dire en termes politico-militaires. — La destruction de la machine policière est-elle encore possible ? ___ Cela se peut, oui. La machine, à 1 époque actuelle, est certainement sur la défensive ; mais, avec une résistance suffisante à l'échelle mondiale, c'est encore possible. Bien sûr, la machine policière ne sera pas brisée si on ne brise pas avec elle la conception de la nation. Je vois un avenir dans lequel des armées de guérilleros libéreront l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale et l'Afrique. « Nous marcherons partout sur la machine policière et nous la détruirons. Nous détruirons la machine, ses archives et tous les organes de la machine policière qui se cachent sous le nom de presse mondiale. » — Willy l'Uranien essaie de donner la vie à l'homme : « Prisonniers de la Terre, sortez— » s'écrie-t-il. Y a-t-il encore assez d'Uraniens sur la terre pour que les grilles de la prison soient arrachées ? — Eh bien, ils ont l'air d'avoir fait du bon travail à ce propos, récemment. En France, à Stockholm, en Allemagne, en Amérique... C'est presque un phénomène mondial. Il semble que le message de résistance totale ait été diffusé sur l'onde courte mondiale. 54 — Quelle est votre position à propos des émeutes estudiantines ? — Il devrait y avoir encore plus d'émeutes et plus de violence. Les jeunes de l'Occident ont été trompés, vendus et trahis. La meilleure chose qu'ils puissent faire, c'est de démanteler les lieux avant qu'ils ne soient eux-mêmes détruits dans une guerre nucléaire. La guerre nucléaire est inévitable si les contrôleurs actuels restent au pouvoir. Les jeunes gens lancent le seul défi efficace à 1 autorité établie. L'autorité établie en a bien conscience. L'autorité établie se dirige partout contre les jeunes gens. Aujourd'hui, c'est pratiquement un crime que d'être jeune. C'est la guerre totale dans laquelle l'opposition emploie les tactiques les plus sauvages dont elle dispose. Le seul pays qui soutienne la jeunesse est la Chine rouge, et c'est pour cela que le Département d'Etat a interdit les voyages en Chine rouge. On ne veut pas que les Américains s'aperçoivent que tout pays qui offre quoi que ce soit à ses jeunes gens gagne leur soutien. Les institutions occidentales n'offrent rien. Elles n'ont rien à déclarer à l'exception de leurs mauvaises intentions. Eh bien ! Qu'ils le fassent ouvertement. Si on en vient là, tous les atouts seront bons. La révolte estudiantine est maintenant un mouvement mondial. Jamais auparavant dans l'histoire connue l'autorité établie n'a été défiée si fondamentalement à une échelle mondiale. Pourtant, les incidents qui déclenchent les soulèvements d'étudiants sont souvent insignifiants : le renvoi d'un professeur libéral, le refus de changer le système d'examens ou de satisfaire d'autres demandes mineures de transformation. Un motif crucial de se révolter pour la jeunesse est la question des recherches secrètes poursuivies dans les universités ou autre part. Toutes les connaissances toutes les découvertes appartiennent à tout le monde. Les recherches secrètes signifient recherches contraires aux intérêts de la jeunesse, connaissances retirées à la jeunesse, découvertes utilisées contre la jeunesse. Le monopole mondial des connaissances et des découvertes dans des buts contre-révolutionnaires est la question fondamentale. La trahison et la tromperie qui sont ici en jeu dépassent de loin la mauvaise volonté traditionnelle des éléments conservateurs à satisfaire les demandes de la jeunesse de plus de liberté. Toutes les connaissances toutes les découvertes vous appartiennent de droit. Il est temps d'exiger ce qui vous appartient. Pour parler grossièrement, les cartes sont truquées. Qui est l'agresseur dans ce jeu à trois ? Le « péquenot » qui s'aperçoit qu'il a été refait et qui essaie de récupérer sa mise, ou les donneurs escrocs ? Je cite un article récent paru dans Mayfair sous le titre « Le feu éclate » : « Le printemps difficile de 1969. Sous le prétexte du contrôle des drogues, des Etats policiers répressifs ont été montés dans tout le monde occidental. Le programme précis de pensées, de sensations et d'impressions sensorielles apparentes proposé par la technologie décrite dans le Bulletin 2332 rend les Etats policiers capables de maintenir une façade démocratique derrière laquelle ils dénoncent à haute voix comme criminelle, pervertie et intoxiquée toute personne qui s'oppose à la machine de contrôle. Des armées souterraines opèrent dans les grandes villes, abreuvant la police de faux renseignements au moyen de lettres et de coups de téléphone anonymes. La police, revolver au poing, surgit à la soirée du sénateur... une soirée bien spéciale d'ailleurs, qui devait couronner une jolie petite affaire d'avions d'occasion. " On nous a indiqué qu'il y avait ici une soirée nue de marijuana. Démolissez tout, les gars, et vous, restez habillés ou je fais éclater vos sales tripes ! " On diffuse de fausses alertes sur les ondes courtes pour diriger les voitures de police vers des crimes et des émeutes inexistants, ce qui nous permet de frapper ailleurs. Des escadrons de faux policiers fouillent et assomment les bourgeois. De faux ouvriers des Ponts et Chaussées détruisent les rues, cassent les tuyaux d'eau, sectionnent les câbles électriques. Des machines à infra-sons font sauter toutes les sonnettes « alarme de la ville. Notre but est le chaos total. Au Mexique, en Amérique du Sud et en Amérique centrale, des unités de guérilleros forment une armée pour libérer les Etats-Unis. En Afrique, des unités semblables, de Tanger à Tombouctou, se préparent à libérer l'Europe de l'Ouest et le Royaume-Uni. Malgré la diversité des buts et celle du personnel constituant cette armée, on s'accorde sur des objectifs fondamentaux... Nous avons l'intention de marcher sur la machine policière où qu'elle soit. Nous avons l'intention de détruire la machine policière et toutes ses archives. Nous avons l'intention de détruire partout l'organe de la machine policière mondiale qui se cache sous le nom de presse conservatrice. Nous avons l'intention d'anéantir tout système verbal dogmatique. Nous allons arracher à la racine végétale l'unité de la famille et son extension cancéreuse en 55 tribus, pays et nations. Nous ne voulons plus entendre de discours famille, de discours mère, de discours père, de discours flic, de discours prêtre, de discours pays ou de discours parti. Pour parler clairement, nous avons entendu assez de merde ! » — Qu'avez-vous à dire de l'assassinat de Robert Kennedy ? — Il semble probable que l'assassinat a été arrangé par l'extrême droite, et que ses organisateurs s'en servent pour faire passer la législation de l'arme à feu, afin de désarmer la nation en vue d'une prise de pouvoir fasciste qui aura certainement lieu si l'Amérique entre en guerre contre la Chine. En ce qui concerne les moyens par lesquels de tels assassinats sont arrangés, il y a pour cela des techniques bien précises. Les assassins entendent souvent des voix qui leur disent de tuer. Ces voix sont-elles forcément imaginaires ? Des haut-parleurs directionnels peuvent projeter des voix. Les recherches secrètes sur le laser concernent le problème de transmission de pensée. Des expériences faites en Norvège indiquent la possibilité d'activer des réactions verbales dans le cerveau avec des techniques de magnétophone. L'histoire suivante explore ces possibilités... as SKIDOO Je travaille au 23 Département des Déboussolés. Nous avons des archives sur tous les cinglés et chaque cas est classé comme 23: pourrait écrire une lettre menaçante ou refiler un pistolet chargé à blanc à une pédale à condition qu'on l'énerve assez pour cela certainement pas 23...::: c'est de la graine d'assassin pour ça le plus sûr est le type tranquille qui lit la Bible toujours à part avec dans les yeux un air lointain, un petit air rêveur et en même temps désagréable mais personne n'aimait regarder ça alors c'est passé inaperçu jusqu'au jour où au moment précis où le Consul sortait de sa voiture à 10 h 23 il eut la surprise de voir approcher ce qu'il prit pour un grossier clochard portant une Bible dans une main et dans l'autre ce qu'on a identifié après l'avoir sorti de l'épine dorsale du Consul et avoir pénétré à plusieurs reprises le foie et l'abdomen comme un couteau à désosser de 20 cm de long. Au moment où il frappait on entendit l'assassin dire : « Après tout, Dieu créa les couteaux. » Maîtrisé par les gardes consulaires et remis à la police, l'assassin a avoué qu'il était membre du redoutable « Mouvement Fly Tox » une secte extrémiste qui a horreur du hachisch et qui se défonce à la carence vitaminale avec une telle Préparation vous trouvez sa longueur d'onde sans Problèmes. « Tu m'entends Homer ? Bien sûr que tu m'entends. Je te dis ce qu'il faut faire Homer. Nous te protégerons Homer. Des soucoupes volantes t'attendront lorsque tu auras fait ce que nous te dirons. » Il arrive parfois qu'on perde un taré et qu'on ne retrouve pas sa longueur d'onde alors dans ce cas-là on met tous les gars qui ont du flic dans le coffre dans la rue pour suivre la piste de l'égaré avant qu'il ne dise quelque chose de trop vraisemblable au sujet de nos activités dans ce département ce qui serait impensable puisque nous étions là les premiers lourds et froids comme une matraque de flic une nuit d'hiver nous recherchions un cinglé égaré contacté la dernière fois dans un accumulateur à orgones l'écran s'est éteint habituellement un cas de cette sorte s'avère imputable au sabotage interdépartemental ou au recrutement illégal le département entier est pourri par ça peut-être le Département d'Ethnologie l'a-t-il sacrifié dans un meurtre rituel nous sommes des hommes du monde ces choses-là arrivent... « Joe que ma chair pourrisse si ce département sait de quoi tu parles. » A travers tous les départements haine froide d'un comptable interrogé qui sait ses livres en ordre. Nous devions envisager la possibilité que notre zigoto ait été déglingué et soit utilisé pour exterminer un de nos propres gars à cheveux blancs comme le Vieux Patron Gâteau. A la soirée du bureau Mr. Blankslip de la comptabilité mélangea son « cocktail-déconnexion » et une petite voix froide lui dit qu'il fallait tuer cet homme pour sauver l'Agneau de Dieu de la Bête 666 comme membre de l'escadron spécial ton devoir est évident camarade un homme doit faire son simple boulot pour Pétrole Total la compagnie veille toujours aux siens tu ne penses pas que je te lâcherais fils ? Dieu ? Eh bien pas exactement juste un type comme toi avec son boulot à faire comme tu as maintenant le 56 tien vis-à-vis de cet indicible Vieux Patron Gâteau après trois martinis fait savoir à ses confrères comme il nous appelle que nous sommes tous de simples bons gars comme lui il avait ses manières visqueuses si l'un de ses employés arrivait au bureau les chaussures sales le patron arrêtait de faire cirer les siennes et s'excusait toujours lors de la réception d'un dignitaire étranger de l'état de ses chaussures expliquant « il s'agit d'une procédure de bureau vous comprenez » jusqu'à ce que tu saisisses l'allusion et que tu viennes au bureau avec des souliers comme des miroirs d'obsidienne et que le patron sourie lentement comme de la mélasse figée et dise « Ravi de vous voir » ou il laissait un petit montant d'argent sur le bureau qu'il piquait probablement lui-même. « Oh euh Grimsy ? » « Oui Monsieur. » « Vous n'avez pas vu 15 shillings sur mon bureau par hasard ? Je pensais que vous auriez pu les remettre dans la caisse ? Non ? Là sur le bureau... » « Je ne les ai pas vus Monsieur. » « Eh bien cela n'a pas d'importance... Bonsoir Grimsy... » « Bonsoir Monsieur. » « Oh... Grimsy... » « Oui Monsieur. » « Si vous avez besoin d'un acompte sur votre salaire vous pouvez me le demander vous savez... » Il avait une manière de tomber sur les employés a n importe quelle heure aucun d'eux ne pouvait avoir de serrure à sa porte même pas à celle des w.-c. à toute heure du jour ou de la nuit le Vieux Patron Gâteau ouvre ta porte d'un coup et te sourit. « Eh bien on écrit son journal jusqu'à une heure avancée ? Ça doit être d'une lecture intéressante. » De toute évidence les LE. — Influences Extérieures — sont à l'œuvre. Des sections entières de la machine sont maintenant criblées et entravées par ce que le Chef du Parti appelle « des bouffons communistes aux yeux de morue qui sabotent d'importants projets. » Nous sommes obligés de traquer tous les cas de perte de contact pourtant comme je l'ai dit il s'agit dans la plupart des cas de mauvais coups interdépartementaux vous entrez dans un truc à la con de ce genre mais vous ne savez jamais si un fada égaré est tombé sous des LE. avant que les dégâts ne soient faits. Lorsque vous voyez le fada mon vieux c'est trop tard. « Enlève tes pattes de là vieux clodo dégueulasse. » ça arrive tout juste comme ça rue vide le portier s'absente à l'angle pour un « rouge »... transporté saignant à profusion dans l'entrée où il décrivit son agresseur comme un type « qui portait un complet bleu clair taché sur la poitrine d'œufs brouillés et puant abominablement les oignons crus et l'alcool bon marché ». L'agresseur avait disparu. « A employer de nouveau sous un autre équipement bien sûr. » Mon supérieur acquiesça. « Un vieux taré avec des tracts. Essayez de le frôler... » Les LE. pourraient foutre en l'air tout notre département depuis que nous nous sommes perfectionnés et avons démontré dans l'opération classée Masse 23 Skidoo...::: Indonésie:::... provoqué par des techniques d'ordinateurs chez une population autrement normale une fuite à ce stade est tout simplement impensable cela « impenserait » le département entier préoccupé par ses pensées il s'étonna de se faire arrêter assez rudement par un gendarme. « Ecoutez je suis du Ministère de l'Intérieur. » Il jeta un coup d'œil perçant à l'agent « Mais cet uniforme est truqué. » Il chercha autour de lui un véritable flic et mourut sans reprendre conscience. L'assassin, décrit par la police comme « le frère professionnel d'un flic » dit le sous-secrétaire, avait fait un geste menaçant et il tira par légitime défense. Un jour comme les autres un Américain bien tranquille mangeait des œufs brouillés chez Nedick soudain le cuistot des Philippines parut derrière le comptoir avec un drôle de pas décidé... « Nouvel employé... a envie de plaire » pensa l'Américain bien tranquille. Il sourit chaleureusement. « Voulez-vous me réchauffer ces œufs Jojo ? » Œufs froids café froid Américain froid par terre. « Bonjour senor vous aimer mon pays ? » « Oui bien sûr Mère et moi adorons tous deux le Mexique. Voulez-vous boire une bière avec nous ? » « Deux gringos de plus ou de moins entre machos j'étais crudo. » Sa première pensée fut qu'elle avait dû laisser quelque chose dans le restaurant et que cet épouvantable jeune homme en veste de cuir noir sortait en courant pour le lui rendre elle était bien trop riche pour lui donner un pourboire mais qu'avait-il exactement dans sa main ? La grenade fit voler son manteau de vison à 50 mètres. Le type qu'il avait 57 pris pour un nouveau portier lui bloquant l'entrée du Yale Club sortit soudain une bouteille l'arrosa d'essence et lui mit le feu. Vous ne savez jamais quand les dégâts sont faits pour ça le plus sûr est en retard et un accumulateur à orgones l'écran s'est éteint une nuit d'hiver de cette sorte s'avère imputable à une panne d écran et le département entier est illégal. . Mr. Blankslip mélangea sa déconnexion Agneau de Dieu de la Bête 666 vis-à-vis de cet indicible Département d'Ethnologie tous ses confrères comme il nous appelle savent que ces choses-là arrivent par des types comme lui il avait une manière visqueuse de parler à travers ma chair le Vieux Patron Gâteau après trois martinis. « Nous sommes tous de simples bons gars évidemment cons. » grenade... foyer de consulat un nouveau portier lui bloquant l'entrée complet bleu clair taché sur la poitrine l'arrosa d'essence j'étais crudo un gendarme. « Voulez-vous une bière ? » Reprenant conscience les assassins marchent fièrement les passants tous frères d'un flic dit le Consul suédois qui mangeait tranquillement des œufs brouillés chez Nedick... Les Oswald et les Ruby n'étaient que des plaques tombées de nos poches des bombes humaines à retardement explosées sous le contrôle d'un ordinateur. Maintenant toute précision est perdue. Des assassins et des bouffons de hasard rôdent dans les rues et toute cette anarchie à cause d'un seul fada égaré. Et qui d'après vous était le premier agent sur le terrain de golf ? Tout à fait par hasard le même inconnu qu'ici ? Après tout je suis 23...::: — L'homme ne préfère-t-il pas sa prison à la découverte d'un espace nouveau ? — Je ne le crois pas. Je pense que seul l'homme qui a été si complètement écrasé et conditionné par la machine qu'il n'a plus de pensée propre pense ainsi. Bien sûr, c'est ce qui arrivera à la plupart des gens puisque du point de vue des statistiques, la plupart des gens croient ce qu'on leur dit et seront écrasés par leur condition. Pourtant, l'Etat ne peut obtenir un pourcentage suffisant de soumission afin d'éviter une résistance très sérieuse, et sa position n'a jamais été plus menacée qu'en ce moment. ; la torture du « standard téléphonique » que vous décrivez dans Le Festin nu est-elle le processus normal pour parvenir à la « civilisation » ? _ C'est le processus normal pour conditionner les gens à croire ce qu'on leur dit. _ Vous parlez souvent dans vos livres de « devenir soi-même ». Qu'est-ce que cette recherche de soi implique ? — Je crois que ce qui est impliqué est un soi qu'on est en dehors de la pensée imposée. PAS BESOIN DE PENSER Je reviens d'une promenade dans le jardin. Il est 6 heures et dans ma section chacun prend sa douche. Je croise plusieurs jeunes gens en slip et en peignoir portant des serviettes. Je ne transpire pas beaucoup. Je vais dans ma chambre je m'assieds ouvre la fenêtre et allume une cigarette. Sur le sol de ma chambre les deux domestiques qui préparent et servent le repas donnent à leur Petite fille une leçon de géographie cartes dépliées sur le sol. Je les regarde à travers la fumée de ma cigarette. Leur présence ne me touche pas. Le centre se trouve en Autriche et à cette époque du milieu de l'été il y fait une chaleur visqueuse. Je suis ici depuis un mois environ, pour apprendre une nouvelle méthode de pensée. Il n'y a ni eçons ni professeurs. Il n'y a ni livres ni devoirs. e ne fais presque rien. La première étape est de cesser de faire tout ce que vous « avez à faire ». "muiez une façon de penser à laquelle vous êtes 58 contraint. C'est un exercice tiré de la Scientologie que nous avons tous étudiée à un moment ou à un autre. L'exercice relâche l'emprise de la pensée contrainte et élargit la portée de la pensée non forcée. Exemple : Vous devez penser aux choses que vous allez faire aujourd'hui écrire des lettres appeler untel apporter du linge à la blanchisserie et veiller à faire réparer les radiateurs. Vous y pensez dix fois alors qu'une fois est déjà trop. Improvisez donc une série de courses imaginaires. Maintenant improvisez des pensées que vous n'êtes pas obligé d'avoir. Choisissez une personne dont la façon de vivre est complètement différente de la vôtre et improvisez ses pensées. (Exemple : Vous devez improviser des interviews ou des situations dans lesquelles vous jouez un rôle efficace devant des spectateurs imaginaires. Eh bien, improvisez ! Maintenant improvisez des pensées imposées que vous n'êtes pas obligés d'avoir, les pensées imposées de quelqu'un d'autre ce que Dutch Schultz le gangster a pensé, ce que pense un gérant d'hôtel ce que pense un pauvre fermier marocain.) Le résultat est que vous n'avez pas besoin de penser du tout. Et alors ? Dans cette section il y a des étudiants comme moi. Je partage ma chambre avec l'un d'eux. Il prend une douche. C'est une chambre longue et étroite comme un couloir plafond haut cheminée de marbre tacheté sur la cheminée des articles de toilette deux lits étroits deux penderies un poêle en porcelaine débranché pour l'été. Sur le poêle une plante grasse en pot. Je suis assis dans un fauteuil en cuir usé à côté de la fenêtre dont les vitres sont faites du même plastique que celui qu'on utilise pour couvrir les serres ou les châssis dans le jardin. Il y a un évier avec une glace pendue à un clou pour se laver et se raser. La porte donne sur une terrasse et au-delà il y a le jardin où nous prenons nos repas sous la treille. Le dîner est à 7 heures, compote de fruits, viande, salade, bière, pudding ou brioche. Après dîner j'irai me promener dans le jardin du château au bord des étangs et je jetterai du pain aux poissons ou j'irai m'asseoir dans la salle commune dans laquelle il y a des canapés de cuir des statues de bronze des vieux numéros de l'Illustrated London News et des revues illustrées allemandes et italiennes. Je ne peux pas dire grand-chose de mon compagnon de chambre. C'est une vague forme sous une couverture légère. La plupart du temps nous ne nous voyons pas car il n'est jamais dans la chambre quand j'y suis. Je sais pourtant qu'il est étudiant comme moi et non pas membre du personnel. Les membres du personnel se distinguent des étudiants en ce qu'ils ont des obligations si petites soient-elles. Ce sont des courriers des expéditeurs et autres à savoir qu'ils distribuent quelquefois des messages ou portent des paquets d'un endroit à l'autre. Les membres du personnel n'aiment pas les étudiants et ils nous saluent sans nous regarder en maugréant. J'ai vu une seule personne donner des ordres au personnel. C'est une jeune femme qui habite le château au-dessus du jardin. De temps en temps elle sort pour envoyer quelqu'un chercher quelqu'un d'autre ou pour donner des instructions au jardinier. Il s'est plaint à moi cet après-midi « elle attend de moi que je rentre sous terre et que je pousse ». Les terres ne sont pas bien entretenues et l'ensemble donne l'impression d être négligé. C'est une grosse bonne femme d'un certain âge qui nous fait la cuisine. Son mari sert les repas et fait juste ce qu'il faut pour que nos chambres soient habitables. Il porte une culotte de cuir et fume une pipe d'argile. Café et petits pains le matin, soupe froide poissons et fruits Pour le déjeuner, soupe et dessert pour le dîner. La bière est servie seulement avec le dîner. Au déjeuner nous avons du cidre. La nouvelle façon de penser n'a rien à voir avec la pensée logique. Il ne s'agit pas d'une pensée du corps subconsciente organique ou océanique. Cette pensée est précisément délimitée par ce qu'elle n'est pas. Ne pas savoir ce qui est et ce qui n'est pas sachant que nous ne savons pas. Comme dans un film le courant de pensée semble être continu alors qu'en fait la pensée coule s'arrête change et coule de nouveau. Il y a une fraction de seconde là où la pensée s'arrête. La nouvelle façon de penser se développe dans cet intervalle. Je regarde les domestiques désignant la carte par terre et je ne pense rien du tout de ce que je vois. Mon esprit se meut dans une série d'intervalles factuels vides sans étiquettes et sans questions. Les objets qui m'entourent le corps et l'esprit des autres sont simplement là et je me déplace parmi eux sans efforts ni commentaires. Ici il n'y a rien à faire, pas de lettres auxquelles répondre pas de factures à payer pas de buts pas de barrières pas de punitions. Ici il n'y a pas de considérations qui pourraient obliger la pensée à suivre certaines lignes de nécessité structurelle ou environnante. La nouvelle façon de penser est la pensée que vous auriez si vous 59 n'étiez pas obligé de penser aux choses auxquelles vous devez penser d'ordinaire et si vous n'aviez rien à faire rien à craindre et pas de projets. Tous les exercices pour atteindre ce but doivent eux-mêmes être exclus. Ce serait la façon de penser que vous auriez si vous n'étiez pas obligés d'imaginer une manière de ne pas avoir à penser. Nous apprenons à arrêter les mots à les voir à les toucher à les déplacer à les employer comme des objets. Les domestiques sont allés préparer le dîner. J'enlève mes pantoufles et me lève. J'enlève ma chemise fais glisser mon pantalon et mes sous-vêtements et m'assieds nu sur le siège dont je ressens sur mon dos le cuir rafraîchi par la brise du début de soirée. Nous avons tous eu plus ou moins le même entraînement. Je vois un bâtiment en brique rouge au-delà de la rivière vague saccadé lointain : l'Académie. Le programme original de l'académie a été postulé en supposant qu'une telle académie pourrait être établie sans opposition. Cette supposition s'est révélée fausse. Jamais autant de forces de répression n'ont été aussi désespérément mobilisées pour bloquer tout entraînement qui pourrait permettre aux étudiants de s'opposer à la persistance parasite d'institutions impraticables. Par conséquent l'entraînement de l'académie a dû être décentralisé et camouflé. Nous suivons l'entraînement de karaté et d'aikido dans les écoles éparpillées dans les grandes villes du monde et l'entraînement de Scientologie dans les centres de Scientologie. D'autres cours sont assurés par un réseau d'instituts et de fondations souvent éphémères. L'entraînement est souvent interrompu. Trois mois de karaté puis de Scientologie me prennent tout mon temps et juste avant les cours avancés de Scientologie on me déplace au Caire pour un cours intensif d'hiéroglyphes égyptiens. Ce centre est fermé par le gouvernement. Après cela il y a un cours de maniement d'armes financé par un milliardaire d'extrême droite dans le Texas de l'est où nous apprenons à utiliser toutes les armes depuis l'arc jusqu'au fusil laser, un séminaire de magie noire africaine subventionné par un institut d ethnologie de Londres qui manque toujours de fonds, une expérience volontaire d'immersion sensorielle organisée par la marine des Etats-Unis qui a abouti à une enquête du Congrès sur le lavage de cerveau, un club de chute libre dans le Dakota du Nord, plongée sous-marine et juste au moment où je m'habitue à la bonbonne nous sommes expulsés de Ceylan où le cours a lieu et je vais faire un stage de yoga au nord de l'Inde. Après cela je suis exposé à la ROM en Norvège. Le livre de référence sur la ROM est Les œuvres choisies de Wilhelm Reich publiées par Noonday Press New York page 351 La Physique de l'Or-gone. Dans sa forme la plus simple l'accumulateur à orgones de Reich est une boîte de bois ou de n'importe quel autre matériau organique doublé de fer. Des accumulateurs plus puissants peuvent être obtenus par addition de couches de fer et de matériaux organiques et des accumulateurs de cent couches alternées ont été construits. En 1950 Reich a découvert qu'une petite quantité de matériau radioactif placé dans un accumulateur à orgones pouvait produire ce qu'il appelle la ROM — Radiation Orgonique Mortelle —. L'exposition à la ROM peut produire de graves symptômes ou la mort, mais l'exposition graduelle à des doses contrôlées crée une immunité généralisée. Je cite la Physique de l'Orgone : « Ces expériences ont été faites dans l'espoir de trouver un antidote puissant contre les maladies de la radiation nucléaire. » Ces expériences se sont montrées plus dangereuses que prévu. Les chercheurs ont ressenti les symptômes suivants : un goût salé pénétrant qui devient légèrement amer ou acide sur la langue, des conjonctivites graves, des nausées, des maux de tête très violents, des frissons alternés avec de la fièvre. Dans certains cas la peau devenait marbrée. En plus de ces symptômes généraux la ROM « attaquait chaque personne à son point le plus faible ». Ceux qui avaient une maladie de foie eurent une jaunisse, etc. Pourtant, le but de la ROM était d'éclairer la maladie afin de l'éliminer. « Les chercheurs retrouvaient non seulement la santé mais après quelques semaines ils se sentaient particulièrement forts et actifs après que la ROM eut été neutralisée. Nous avions la très nette impression que ceux qui avaient participé à ces expériences avaient développé une certaine immunité aux effets de la ROM. Nous avons obtenu une arme fort puissante contre les maladies causées par les radiations. Pourtant les qualités sanitaires de la ROM ne s'obtiennent que par dosage prudent. Un médecin qui travaillait sur ce projet est presque mort à la suite d'une surexposition à la ROM. 19 février 1951 : 12 h 30. 60 Protocole sur .......................... , D.M. « J'ai mis la tête dans l'accumulateur pendant un instant et j'ai soudain eu l'impression d'être assommé par un marteau. J'ai commencé à ressentir une peur qui devint une véritable angoisse de la mort comme je n'en avais jamais encore ressentie. J'étais à moitié conscient, étourdi, aveuglé. Les battements de mon cœur étaient très faibles et lents, entre 45 et 48. J'avais du mal à respirer. J'eus l'impression que j'allais mourir, que j'allais cesser. Un criminel ou un ennemi politique pourrait facilement laisser tomber des appareils de ROM en activité qui auraient l'apparence de simples boîtes doublées de métal... Il n'y a aucune possibilité de se protéger contre la ROM. Elle pénètre tout et ne peut être neutralisée ni par des briques ni par un tablier ou par un masque de plomb. L'étendue de l'énergie de la ROM dans son intensité comme dans son extensité est dans le même rapport avec 1 étendue de l'énergie atomique que l'infini avec un grain de sable »... Souvenez-vous que même un bracelet-montre avec un cadran en radium placé dans un accumulateur peut produire des symptômes très nets de ROM. Reich faisait ses expériences avec de très petites quantités de radium. Evidemment une pile de matières radioactives placée dans un accumulateur à 1 000 couches pourrait produire un désastre inimaginable « D'autre part, par une exposition graduelle, on pourrait peut-être obtenir une immunisation massive contre la maladie causée par les radiations. » Le centre est entièrement fait de verre et d'acier qui brillent à la lumière froide du soleil nordique. Rien qu'en le regardant je vois des savants fous au regard bleu sauvage qui trinquent dans l'air liquide en même temps qu'ils sortent la dernière arme d'une installation polaire. Le directeur a l'air du fantôme d'Hammarskjöld. Il a la voix la plus morte que j'aie jamais entendue. « La euh... suppression des expériences du Docteur Reich et le retrait de ses livres de la circulation mettent en évidence la probabilité que les euh... autorités en question ont l'intention d'employer la ROM contre les euh... éléments dissidents. Vous apprécierez facilement la euh... recommandation de vous pourvoir des immunités correspondantes »... Il appuie sur un bouton. « Le Docteur Anderson va vous parler. » Le Docteur Anderson me regarde et dit « Salut mon gars ». Il me conduit à travers un long couloir blanc dans une chambre ensoleillée dont une paroi vitrée donne sur l'inévitable fjord. Il y a un canapé près de la fenêtre et une table de bois clair sur laquelle des jacinthes d'eau poussent dans une coupe jaune. La chambre sent l'ozone et les fleurs. Le Docteur Anderson me fait signe de prendre place en face de ce qui ressemble à un buste emballé dans des bandages. « Nous l'appelons la Méduse, n'est-ce pas drôle ? » Il manipule quelques boutons au-dessus de la tête de la Méduse et se met à côté d'elle. Quelque chose se détache de l'épaule droite de la Méduse et me frappe droit au cœur. Je meurs. Le cœur la respiration le cerveau s'arrêtent. J'essaie de lui dire que je crève sans gorge sans langue. Je reviens à moi sur le canapé où le médecin est en train 61 W.B. devant la Machine à rêver de Brion Gysin en 1975 à Genève. (Ph. Anne Nordmannj Page suivante : Le Colloque de Tanger à Genève en septembre 1975. De g. à dr. : Philippe Mikriammos, W B . t Brion Gysin et Gérard-Georges ternaire. (Ph. Anne Nordmann) W.B. el David Bowie à Londres en 1974. (Ph. Terry O'Neiil) prendre mon pouls. Il met les mains sur les hanches et me regarde. « Eh bien mon petit canard je pense que tu vas t'en tirer. » Je me redresse puis me lève. « Comment vous sentez-vous ? » « Je plane, mon pote, je flotte. » Je regarde à travers la paroi vitrée et ce fjord de carte postale éclate dans ma cervelle verte rose et bleu. « Vous auriez bien besoin d un sauna maintenant. » Je reçois jusqu'à neuf expositions dans une période de trois semaines. A la fin de la période je ne ressens presque plus rien. Le directeur me dit que je suis maintenant immunisé. « C'est trop tôt pour dire exactement quelle est la portée des effets... l'expérience n'étant pas encore concluante tendrait à suggérer que le processus du vieillissement est arrêté ou en tout cas retardé par une exposition graduelle à la ROM. Je vous dirai très confidentiellement que vous êtes peut-être dans un certain sens immunisé à la mort elle-même. » Et j'ai dit : « Qui est-ce qui l'aurait cru ? » Il y a des cours de virologie, de linguistique et de sémantique générale, un cours de technique d'assassinat, d'armes improvisées et un cours d'émeute. N'importe laquelle de ces disciplines pourrait devenir une façon de vivre mais il y a quel-qu un que nous ne voyons jamais qui veille à ce que nous soyons en mouvement et en continuelle rotation. Le but est d'appliquer ce que nous avons appris d'une discipline à l'autre et de ne pas nous laisser coincer dans une seule façon de faire les choses. Parfois je retrouve les autres étudiants dans un cours mais la plupart du temps pas. Je n' ai jamais vu aucun de ces étudiants auparavant. Us ont tous l'air de l'académie à la fois sondeur et impersonnel lointain et vif. Je peux dire quel entraînement les autres ont eu un merci sciento-logue, un détail d'aikido, une façon de s'habiller du cours d'hiéroglyphes, une manière de regarder les extincteurs, les couteaux de cuisine et les pompes de bicyclette du cours d'utilisation d'armes improvisées — (Souvenez-vous des lasers de fabrication artisanale qui diffusaient des rayons de côté, des sifflets à infra-sons qui déclenchaient des sonneries d'alarme à des milles à la ronde, des fusils projecteurs de ROM, de l'écran à signaux interchangeables qui montrait alternativement des visages aimables et menaçants vingt-quatre fois par seconde, des catapultes et des fusils à air comprimé, des appareils à produire des coups de grisou et de sciure.) Mon compagnon de chambre rentre à ce moment précis avec une serviette autour des hanches. Je ne l'ai encore jamais vu. Je sais qu'il s'appelle Harper. Son corps est un moule rempli de lumière, un moule qui sera bientôt vide. Je crois que c'est le dernier cours. Les cours sont tous des jouets dans un jeu de survie. Le chasseur doit chasser pour survivre. Les tigres préhistoriques menacent le chasseur. Regardez les usines et les bombes atomiques. Outils, jouets dans le jeu de la survie. Les nations doivent produire pour vivre. Les Chinois et les Russes menacent nos cités paisibles. Regardez le cerveau humain. C'est aussi un outil. « L'académie de Saint-Louis était une vaste construction en brique rouge s'étendant sur une falaise dominant le fleuve. Un crépuscule de poussière bleue descendait sur la vallée quand Bill Harper un étudiant débutant descendit d'une voiture attelée frais dimanche lointain vents frais du sud il y a longtemps. » A des années-lumière l'académie qui n'a jamais été et qui n'aurait jamais pu être. Le Cerveau ne pouvait pas permettre cela ou ce serait arrive '1 y a des milliers d'années. Le Cerveau ne vous permettra pas de découvrir combien il est facile de résoudre les problèmes. Une fois les problèmes résolus le cerveau-outil devient désuet. Qu'est-ce qu'un problème ? Mr. Hubbard en a donné la définition suivante : c'est postulat contre postulat, intention contre intention. Le cerveau-outil est muni d'un mécanisme propre qui l'empêche de résoudre les problèmes et ce mécanisme est Le Mot. Le Cerveau ne peut que produire plus d'outils de survie qui produisent encore plus de problèmes. Dans ce dernier cours nous avons supprimé le mot. Le cerveau-outil avec son appareil verbal qui se limite lui-même est maintenant désuet. Il n'est ni en métal ni en silex. Il ne laissera aucune trace excepté le moule calcaire d'une maison vide. — Vous avez écrit : « Je ne suis pas deux, je suis un. » Quelles sont les conséquences de cette unité ? 70 — J'ai parlé de formules impraticables et il se peut que la plus impraticable de toutes soit le concept d'univers dualiste. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment de la place pour plus d'une personne, donc plus d'une volonté, sur une planète. Aussitôt que vous en avez deux vous avez des ennuis. Le dualisme est la base de cette planète : bien et mal, communisme et fascisme, homme et femme, etc. Aussitôt que vous avez une formule de ce genre, vous allez certainement avoir des ennuis. La planète est peuplée de divers groupes dont les conditions de vie sont tout à fait incompatibles. Us ne s'entendront pas. Il ne s'agit pas qu ils se réunissent et qu'ils s'aiment : ils ne le peuvent pas car leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Prenez simplement l'homme et la femme, par exemple ; ils ne s'entendront jamais, leurs intérêts sont différents. — Quelle est la valeur de l'intelligence dans la recherche de soi-même ? — Je définirais simplement l'intelligence comme la faculté de s'adapter à de nouvelles situations et à de nouveaux milieux en résolvant des problèmes. C'est de toute évidence un instrument utile qui finira par être mis à l'écart. Le cerveau humain tout entier est en fait un outil, et vous jetez un outil lorsque vous n'en avez plus besoin. — Celle de la science ? — La science ? Je ne sais pas comment vous la définiriez. En général, nous voulons dire par là une méthode globale pour évaluer des informations selon des données expérimentales, et comme telle, elle est évidemment valable. — « Rien n'est vrai — tout est permis » dit Hassan i Sabbah. Est-ce le principe de la liberté ? — Oui, je le pense. Si rien n'est vrai, tout devient permis. Si nous nous rendons compte que tout est illusion, toute illusion est permise. Aussitôt que nous disons qu'une chose est vraie ou réelle, d'autres choses deviennent immédiatement interdites. — L'amour est-il une solution ? — Je ne le pense pas du tout. Je pense que l'amour est un virus. Je crois que l'amour est une arnaque montée par le sexe féminin. Je ne crois pas qu'il soit une solution à quoi que ce soit. — Qu'éprouvez-vous pour les êtres humains ? — Ils ont des possibilités de développement, mais ils ne les réaliseront pas s'ils ne se débarrassent pas des facteurs et des individus qui les étouffent et qui les retiennent délibérément où ils sont, non seulement en les opprimant mais en les enfonçant de plus en plus, de sorte qu'ils deviennent de plus en plus stupides. Rien n'est fondamentalement faux dans l'être humain, mais il lui faudrait certainement faire un très radical pas en avant dans l'évolution. Il est probable que le vrai point de départ de ce que nous appelons l'homme moderne a été le langage. Au commencement était le Verbe. Je pense que la prochaine étape devra se situer au-delà. Le mot est maintenant un outil dépassé. Toute forme de vie qui s'enferme dans un outil périmé est destinée à la destruction. Les dinosaures ont survécu parce qu'ils étaient grands, puis ils sont devenus de plus en plus grands et ils ont finalement disparu. La forme actuelle de l'être humain est sans doute la conséquence des mots, et à moins qu'il ne se débarrasse de cet outil périmé, l'homme s'éteindra. — Vous parlez de la nécessité de briser la formule des pays et des nations. Comment cela se ferait-il ? — A l'époque actuelle, nous sommes emprisonnés dans des camps de concentration appelés nations. Nous sommes obligés d'obéir à des lois auxquelles nous n'avons pas consenti, et de payer des impôts démesurés pour maintenir les prisons dans lesquelles nous sommes confinés. Le prétexte selon lequel il y a une part quelconque de consentement qui joue ou de bénéfice obtenu est usé jusqu'à la corde. Le peuple américain ne savait même pas que la bombe atomique existait, encore moins a-t-il été consulté sur son utilisation. Ainsi, une des décisions les plus désastreuses de 1 histoire humaine a été prise par un petit nombre d'hommes incompétents, mal informés et mal intentionnés. Comment pourrait-on s'attaquer au concept de nation ? blables le retrait des individus d'opinions semblables en communautés à l'intérieur des nations. Les Black Muslims sont déjà sur cette voie. Les hippies de même. D'autres unités préférentielles pourraient être organisées : communautés exclusivement masculines, communautés parapsycho-logiques, communautés diététiques, communautés karaté et judo, communautés de 71 planeurs, communautés yogiques, communautés reichiennes, communautés de silence et d'isolation sensorielle De telles communautés deviendraient rapidement internationales et feraient s'effondrer les frontières nationales. C'est une application des principes énoncés dans la série académique. 2. En 1961, Herr Doktor Kurt Unruh von Stein-platz a énoncé sa théorie des unités d'autorité ou de gouvernements simultanés. L'unité d'autorité est une équipe, simple ou élaborée, qui donne l'apparence de l'autorité. L'apparence de l'autorité est l'autorité. La forme la plus simple serait une boîte policière qui pourrait être montée dans les régions en développement pour extorquer de l'argent aux touristes. Fondu sur une nuit brumeuse au Mexique. Trois jeunes hommes ont réuni leurs ressources et ont acheté une Boîte Unruh. Ils s'affairent, essayant de donner à la bicoque un air habité. Une voiture ne devrait pas tarder à passer. « Ah voici notre premier client. » Chaîne à travers la route torche électrique en plein visage. « Descendez, senores. Contrôle des passeports. » Deux touristes américains en route pour Acapul-co. Le conducteur du taxi sert d'interprète. « Lui dire quelque chose pas bon votre passeport. Passeport muy malo. Vous payez amende cent dollars mexicains. » « Mais enfin c'est ridicule ! Dites-lui que je ne paierai pas un centime. » « Lui dire pas payer vous aller six mois dans la prison. » Juste à côté de la baraque de police se trouve une cour avec lourde grille en fer et cadenas. A 1 inte-°° iir se trouvent tous les estropiés lépreux idiots et débiles du village assemblés par l'offre de bouffe et de pulque gratis. « Hello Johnny nous te baiser a 1 intérieur. » « J'exige le consul américain. » « Bonsoir Rodriguez. Il se trouve que je passais "Voici justement votre consul, Misteur. » Le consul le dévisage de son regard myope : « Eh bien nous au Département d'Etat, nous ne donnons pas de conseils aux citoyens américains mais il nous arrive de penser tout haut. Nous savons qu'on persécute les Américains mais qu'y pouvons-nous ? Si on fait du chambard à ce niveau, ça va plus haut et ça veut dire plus d'argent. En attendant vous croupissez là-dedans et ça peut prendre des mois avant qu'on arrive à vous sortir. Un pauvre type a perdu la boule, là-dedans. Ça revient moins cher d'allonger le fric en douce... Oh, euh, vous voudrez bien m'excuser. » Il y a un aparté devant la baraque de la police pendant qu'un des flics tripote la crosse de son revolver tout en fredonnant La Cucaracha. Le consul revient. « C'est plus grave que je ne le pensais. Semblerait que le conducteur avait de la cocaïne dans sa voiture. Il dit que vous lui avez dit de la planquer. Vous pouvez en prendre pour dix ans selon les lois mexicaines. En attendant, vous êtes au trou peut-être pendant deux ans avant de passer en jugement. » Le consul regarde les touristes. « Combien pouvez-vous allonger à vous deux, les gars ?... Six cents dollars en traveller checks ? Ça peut marcher, je ne sais pas. Signez donc les chèques. » Opérant d'une baraque à Casablanca, le Herr Uoktor a commencé à produire ses boîtes policières préfabriquées munies de trois uniformes de fusils et de formulaires officiels. Il en est venu à la production d'unités plus élaborées. Ayant loué des immeubles anonymes dans des grandes villes, il a monté des prisons et des tribunaux. La cible est arrêtée par des détectives, conduite en prison (où on lui permet de consulter un avocat), jugée, contrainte à payer une amende, emprisonnée ou même exécutée. Pour 5 millions de dollars, le Herr Doktor peut livrer un petit pays complet avec armée, police et douanes. Pour 23 milliards, une unité de luxe avec une bombe atomique vieux style et un programme spatial. Ces unités d'autorité ont miné le monde occidental en détruisant la conception même de l'autorité, comme un déluge d'argent contrefait et indétectable détruirait le système monétaire. (Il faut remarquer en passant que le bon docteur n'était pas d'un tact à toute épreuve. Quand la rédactrice d'un magazine féminin lui demanda ce qu'il pensait de la « question féminine », il répondit jovialement : « Bourquoi bas gouber la dêde ? Les boulets vivent zans la dêde nourris bar dubes et c'est éfidemment le même afec les femmes. Ramenée ainzi à zon vrai dezdin de meddre au monde de bedits mâles forts, elle redrouverait za joie nadu-relle, nicht wahr ? Je vais abbel à la femme de bonne volondé pour fazilider mes exbérienzes. ») Dans son traité en quatre volumes sur la nature, le développement et les stades terminaux du. Virus de l'Autorité, le docteur prédit que la Maladie Morale Américaine ruinera l'Occident intellectuellement, artistiquement et techniquement par la persécution systématique de toute personne qui s'élèvera au-dessus d'un niveau 72 moyen de production humaine. Cette persécution s'appliquera d'abord directement aux artistes et gens du spectacle en tant que fragment de la 73 population le plus réfractaire au contrôle, mais s'étendra rapidement aux savants et techniciens. Les riches seront dépouillés de leur argent par les mêmes officiels qu'ils auront mis en place pour protéger leurs privilèges. Il prédit que de vastes armées de guérilleros surgiront en Amérique du Sud et en Afrique ; que ces armées attireront les jeunes Américains et les jeunes Européens, que des millionnaires en cavale financeront les guérilleros, que savants et techniciens en fuite apprendront aux guérilleros des méthodes de combat et des tactiques incroyables. Il prédit que l'Occident, privé de ses avantages techniques, envahira l'Amérique du Sud et l'Afrique dans des croisades modernes, s'opposant ainsi aux guérilleros sur leur propre terrain et répétant l'erreur du Viêt-nam. Il prédit que l'Occident sera totalement détruit à la fin du xxix' siècle. Il prédit que les guérilleros détruiront tous les vestiges de l'ancienne économie fondée sur la production et la consommation de masse. Il prédit une nouvelle économie visant à transcender le niveau humain de production dans tous les domaines. Quant aux mesures nécessaires pour parvenir à cette victoire, il écrit : « Qui s'oppose à la force par la contreforce seule forme ce à quoi il s'oppose qui le forme en retour. L'histoire montre que quand un système de gouvernement est renversé par la force, un système par bien des aspects semblable le remplace. D'un autre côté, qui ne résiste pas à une force qui enchaîne et extermine sera enchaîné et exterminé. Pour qu'une révolution provoque des changements fondamen-aux dans une situation donnée trois tactiques sont indispensables : 1° Démembrer. 2° Attaquer. 3° DISParaître. Ne plus regarder. Ignorer. Oublier. es trois tactiques à employer alternativement. » a donc énoncé le concept d'unités « Rien Que es Oignons », constituées d'individus aux pré 74 occupations communes et formant des communautés séparées. « Les communautés RQMO doivent se camoufler pour survivre. Par exemple les RQMO s'emparent d'un immeuble de fond en comble, puis de l'immeuble voisin, puis de tout un pâté de maisons, en surface des gens parfaitement normaux et stupides. Ou alors ils s'emparent d'une petite ville, shérif, prison et banque. Pas de barbes pas de cheveux longs rien qu'une petite ville ordinaire. De nouveaux concepts ne peuvent apparaître que lorsqu'on parvient à un certain degré de désengagement par rapport aux conditions ennemies. D'un autre côté le désengagement n'est pas très facile dans un camp de concentration, pas vrai ?... 1° Démembrer... Cinquante jeunes hommes enregistrent des effets sonores d'émeute sur des magnétophones portables. Ils s'attachent les magnétophones sous des gabardines. Ils se jettent dans la cohue à l'heure de pointe appareils à fond, cris, sifflets de police, verre qui se brise, coups mats des matraques, gaz lacrymogène qui sort de leurs vêtements... 2° Attaquer dans la confusion qui s'ensuit... 3° Se retirer dans la communauté RQMO. Apprendre le chinois... Démembrer à nouveau... Attaquer... Disparaître. Détourner le regard. Ignorer. Oublier. » — Vous avez décrit l'Amérique comme un cauchemar. Pourriez-vous développer ce point ? — L'Amérique n'est pas tant un cauchemar qu'un non-rêve. Le non-rêve américain est précisément un mouvement pour abolir le rêve de l'existence. Le rêve est un événement spontané et donc dangereux pour un système de contrôle créé par des non-rêveurs. Des expériences faites par le Docteur Gross à New York au Mont Sinaï Hospital indiquent que tout rêve chez l'homme est accompagne d'une érection. Le programme non-rêve est dirige spécifiquement contre le principe mâle. Il est avant tout anti-sexuel et anti-mâle. Tout progrès ou système de pensée doit avoir un terrain pour se développer et surtout un programme végétal comme cette main morte qui s'étend sur le peuple végétal. Le terrain pour le programme non-rêve était bien préparé à la fin du siècle dernier, prêt à recevoir des graines qui reproduiraient avec le temps des fruits hideux. Les première, deuxième et troisième guerres mondiales étaient déjà inévitables avec la formule fondamentale du nationalisme. Le développement simultané du communisme servait de prétexte pour établir davantage de mesures de contrôle tandis que les communistes étaient obligés de prendre des mesures semblables et de ser-vir ainsi le projet capital. Examinons quelques jalons du projet anti-rêve : Les Lois d'Exclusion des Orientaux : L'équani-mité des Chinois est due bien sûr à leur langue qui permet des périodes de silence et de pensées non dirigées, lesquelles sont intolérables aux non-rêveurs qui doivent programmer toute pensée. J'ai déjà parlé de la différence entre écriture sylla-bique et écriture hiéroglyphique. (Si je vous montre une pancarte portant le mot « ROSE », vous êtes obligé de vous répéter le mot à vous-même. Si je vous montre une pancarte hiéroglyphique, vous n'êtes pas obligé de vous répéter le mot, et vous avez même la possibilité du silence.) Sans conteste, des systèmes de contrôle modèles comme celui des Mayas et celui des Egyptiens étaient fondés sur une écriture hiéroglyphique. Pourtant, ces systèmes-là supposaient l'analphabétisme des populations contrôlées. L'alphabétisation universelle avec en même temps un contrôle de la parole et de l'image sont maintenant l'instrument de contrôle. Une caractéristique essentielle de la machine de contrôle occidentale est de rendre le langage aussi peu imagé que possible, afin de séparer autant que possible les mots des objets et des processus visibles. L'Inspecteur de District bureau minable fin d'après-midi ombre dans le regard calme et gris comme un vieux rat sage tendit une page dactylographiée par-dessus le bureau. Les relations entre êtres humains qui sexualisent une accessibilité congruente fécondent de façon ambivalente des perspectives d'orifices — c'est à mon sens poser la question des configurations latentes et contributives réciproquement privées de sens ou de vecteur par le souvenir humain reconnaissable d'exaspérations aussi approximatives, somnolence de société désespérément caduque négation en supination par tout consensus latent qu'on estime bien informé investi de manière inhérente de techniques humaines coutu-mières entrelaçant des remises en vigueur de correspondances nécessaires interdérivant d'intériorisations complémentaires communiquées confluence de métaphores analogues réciproques à quoi s'ajoutent des schémas diagrammatiques inflexiblement réussis reconnaissables par délit à des juxtapositions pour diffamer ou transfigurer une 75 multiplicité de pulsions contradictoires inhérentes à des engagements linguistiques fléau disproportionné des expressions familières graveleuses que borde un outrage grammairien bouillonnant par en dessous de concordance nécessairement intériorisée dérivée conséquemment de génitoires de faubourgs méprisées ou infanti-lement dévastatrices qui sexualisent des exaspérations en une multiplicité diagrammatiquement en contrepoint et linguistiquement communiquée d'altérité qui escalade les préparations délinquantes en une privatisation simultanément banale, concentrés d'hystérie non pertinente contribuant à des perspectives mal informées de négation ambivalente en supination par opposition entrelaçant désespérément reconnaissables dérivée investi fléau strident d'êtres humains analphabètes qui diffamerait ou transfigurerait fécondant avec des potentialités d'orifices des correspondances qu'on estime bien informées, correspondances de consensus de société sans parler des configurations structuralisées complémentaires juxtaposant inflexiblement une interdépendance de consensus réciproques nécessaires et précis dérivant par contingence d'une concordance linguistique communiquée de telles préparations analogiquement contractuelles et nécessairement infantiles prolifiquement accessibles à des correspondances humaines ou des rapports entre une concordance humaine intériorisée nécessairement privée de sens ou de vecteur par des exaspérations approximativement non pertinentes et confluentes par dérivation latente et mal informée d'une inaccessibilité contingente communiquant des intériorisations de société dévastant nécessairement des préparations infantiles fléau disproportionné bouillonnant d'outrage, sans parler des juxtapositions stridentes de contrepoids d'une interdépendance investie par dérivation reconnaissable en société réciproquement struc-turalisée mal informée nécessairement conforme à une multiplicité d'altérités perspectives simultanément banales concentrés non pertinents d'orifices et d'interstices graveleux rectilinéairement inaccessibles. Ces perles ont été extraites d'un des périodiques subventionnés de notoriété publique par la CIA. Si vous voyez la fonction du mot comme une extension de nos sens pour connaître et faire l'expérience des choses à travers le regard de l'écrivain, on peut appeler ce qui précède de la prose aveugle, Elle ne voit rien et le lecteur non plus. Pas une seule image dans cette bétonneuse de pâte de mots. Comme exercice littéraire, je prends la traduction Penguin de Rimbaud et sélectionne des images à placer par juxtapositions congruentes dans cette prose vampirique incolore qui, n'avant pas de couleur propre, doit voler la couleur chez les lecteurs de telles préparations contractuelle-ment accessibles et linguistiquement structurées par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds privé de sens ou de vecteur par des exaspérations coniluentes par dérivation au cabaret-vert, cinq heures du soir, chope immense, avec sa mousse que dorait un rayon de soleil arriéré la perspective d'êtres humains analphabètes diffamerait ou transfigurerait des orifices potentiellement fécondants éternel veilleur, rame aux cieux lumineux et de sa drague en feu laisse filer les astres et précisément consensus réciproque latent si des fléaux de société stridents conformes à l'abattis des mangliers fouillés des hydres et des lames dia-grammatiques en contrepoint... désespérément la pauvreté des images... dans le bronze par consensus méprisé ou dévasté de configurations contribuantes... ainsi leurs frissons de volets qu'un peuple de colombes, et l'éveil jaune et bleu sexua-lisant une accessibilité contingente informé échouages hideux au fond des golfes bruns où les serpents géants dévorés des punaises choient des arbres tordus avec de noirs parfums communiqué des remises en vigueur d'orifices des faubourgs de génitoires infantiles contradictions intériorisées tributaires du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants des écumes de fleurs — diffamerait ou transfigurerait des concentrés récents de privatisation banale monté de brumes violettes, moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur en supination ambivalente contractuellement inaccessible flache noire et froide où un enfant accroupi plein de tristesses, lâche un bateau frêle comme un papillon de mai entre des exaspérations confluentes privées de dérivations linéaires communiquées par engagements réciproques a craché le sang hystérie concomitamment non pertinente au pied de murailles sombres où l'on bat les maigres chiens vecteur intériorisé préparation mal informée il pleut doucement sur la ville le clair de lune quand le clocher sonnait douze concentrés d'alté-rité avec amères perspectives d'orifices la route silencieuse est blanche sous la lune vide une petite mare de 76 sang sale intériorisé infantile dia-grammatiquement nécessaire cri perçant sur la place obscure a craché le sang par confluence piquant comme le sel des larmes d'enfance sexuali-sant une interdépendance dérivée par contingence sur un canot immobile à l'eau couleur de cendre infantile par concordance perspectives mal informées vent du nord à travers les épaves que périsse le pouvoir que s'évanouisse la justice en supination ambivalente et fécondante humainement ils sont des frères : Noirs inconnus, si nous allions ! bouillonnant par en dessous privatisation nécessairement banale concentrés de soldats blonds, des bruyères amaigries, déserts, prairie, horizons sont à la toilette rouge de l'orage d'une pulsation oppositionnelle de délinquance des colonnades sous la nuit bleue, des gares le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares vecteur dérivé a communiqué la question de la direction intériorisée à quatre heures du matin, l'été, le sommeil d amour dure encore le vent s'aventure sous le Ht on s'accorde à reconnaître qu'une telle concordance humaine contractuellement accessible est a mon sens poser la question puis ils auront affaire au malin rat feu follet blême comme un coup de fusil, après des vêpres configurations de congruen-ces intériorisées. Bleu presque de Sahara où mille diables bleus dansent dans l'air en supination oppositionnelle a dévasté d'inaccessibles chacals piaulant par les déserts de thym préparations stridentes mal informées ont communiqué la question d'un consensus dévasté il pleut concordance intériorisée Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes, doucement sur la ville frissons de volets à quatre heures du matin et l'éveil jaune et bleu concentrés de sommeil d'amour sur des orifices l'été accessibilité des maigres chiens fleurs de feu intériorisées. Tout ce qu'ils arrivent à faire, vous pouvez mieux y arriver. Prenez votre Larousse mélangez vos propres concentrés de virus linguistique, faites bouillir brûler et incinérer, bouillonner et mélanger bien noir et bien fort les amis, dans ces parages vous ont fait du mal rendez par confluence le complément : e. Elite fristique par impact banal limitrophe imposture impuissance fléau effluve laitance de boue titulaire caillot MN surcomprenant abrasive-ment fricative incube interpositionnel inconsum-mé lubrique investiture déchargé extériorisé informe anastrophe épaissi mal informé palato-gramme ME de l'anfractuosité épidémique escha-tologique obscurant orbitèle désaffecté débardeur uxorieux urubu anachronique prologiste consensuel jamais plus bouillonnant par en dessous umlaut non navigable inextricablement démesuré interstices de société réciproquement ablatifs fléau informe de contagoniste oppositionnel précatif qui va de mal en pis coucou désobligé catoptique zillah consensus dévasté de justicier justifiable kavass jarreux libatoire antagonisme orifices aventureux hypothécaire anachronique hystérie de vecteur son cœur mal informé pâte irréfrangible désaffecté échidné rencontre inéluctable obtumtescence arachnoïde troglodyte fléau effluve non officiel investiture désobligée rectilinéaire additif désadhésion par impact limitrophe élite irréfrangible contagoniste anachronique troglodyte uxorieux sexualisant qui va de mal en pis affinités surcomprenant inoccupation abrasive par congruences désintériorisée nécessités mal informées pâte extrapolant des préhensions diagram-matiques efférentes obtumescentes du palato-gramme préfiguré eschatologue uxorieusement désobligé investiture jamais plus bouillonnant par en dessous effluve non navigable vindicte impuissante hystérie irréfrangible tellement additive désadhésion inéluctable irréfrangible limitrophe incube bouillonnant uxorieux pâte ablative pala-togramme oppositionnel par impact adhésion par effluve inconsommé lubrique fléaux de mal en pis contagoniste orbitèle umlaut préfiguré eschato-logiste éristique, voici le temps des assassins au cache-cache tous les coups sont bons... de la prose aveugle mais qui possède un sens et un but. Son but est de protéger une thèse camouflée de l'embarrassante mise à l'épreuve des faits. Si je déclare « l'Angleterre est une île », je suis en mesure de fournir des preuves de ma déclaration si quelqu'un la mettait en doute. Si on écrit un article s'attaquant aux éditions Olympia Press comme sexualisant une accessibilité congrue à son cœur de pâte à papier féconde en perspectives d'orifices au nom de l'intimité humaine, ils placent leur thèse au-delà des faits puisque les mots employés ne renvoyent à rien de vérifiable. Les mots employés là ne renvoient à rien. Les mots utilisés n'ont aucune référence. Les Lois d'Exclusion des Orientaux ont bloqué un afllux dangereux et ont préparé le terrain de conflits futurs. Le programme démontre une telle série de conflits pour prouver 77 la nécessité d'une escalade continuelle des mesures de contrôle. Les Lois sur les Impôts : Ces lois profitent à ceux qui sont déjà riches. Plus vous êtes riche, plus il vous est facile de réduire au minimum vos impôts. En effet les riches ont fermé la porte de la richesse extrême. Cela est nécessaire pour assurer que personne n'acquière une richesse qui puisse servir à mener une action subversive contre les intérêts de l'argent et des monopoles. Il n'y a pas de hiérarchie plus surveillée que celle de la richesse extrême, et personne n'y accède sans être consacré aux intérêts de l'argent. Les Contrôles des passeports et de douane après la première guerre mondiale : La formule essentielle de laquelle dépend le projet de contrôle est la communication unilatérale. Tout le monde doit être forcé à recevoir des communications de la machine de contrôle. Il est facile de voir que toute mesure de contrôle élargit la portée de la communication obligatoire. Votre passeport ou votre visa n'est pas tout à fait en ordre ? Vous avez perdu votre fiche de contrôle de devises ? Combien de fois allez-vous répéter compulsivement l'explication que vous avez préparée pour le cas où le douanier commencerait à vous poser des questions ? Donc les mesures de contrôle créent des interrogateurs fantômes qui envahissent et détruisent votre liberté intérieure. Le jalon le plus important du projet non-rêve était de loin la loi Harrison des narcotiques. — La destruction totale vous paraît-elle une fin souhaitable ? — Je dirai que la seule alternative est probablement entre une destruction très rapide et totale des institutions existantes et une guerre atomique qui serait encore plus destructrice. Si le désordre arrive à un certain point, les gens qui détiennent le pouvoir ne pourront pas déclencher une guerre nucléaire, ce qui est, je crois, leur très ferme et évidente intention. En Amérique en tout cas, ils 78 ont absolument l'intention de déclencher une guerre nucléaire. Une bombe sur New York résoudrait pas mal de leurs problèmes. Rappelez-vous que la plus grande partie de l'opposition à la machine est concentrée^ dans les grandes villes. Je crois qu'ils sont prêts à risquer une guerre nucléaire, pourtant ils ne le pourront pas si la structure entière s'écroule. De ces deux solutions, je préférerais certainement la destruction totale du système actuel de société, à une guerre nucléaire qui serait le résultat inévitable de sa continuité. Une nouvelle grenouille _ La sexualité a-t-elle une grande importance dans votre œuvre ? — Oui. — Faites-vous une différence entre l'érotisme, la sexualité et la pornographie ? — Tous ces mots sont chargés de significations cachées. Le mot pornographie, par exemple, a une double signification, il y a une implication défavorable à l'intérieur du mot même. Etant donné la confusion de ces mots, je ne peux pas les distinguer. La différence entre la sexualité et l'érotisme, par exemple, est un autre cas du ou/ou de la pensée occidentale : c'est ou l'amour ou la sexualité... Je pense que ce à quoi nous avons ici affaire, c'est surtout la confusion verbale impliquée par ces mots. — Dans votre œuvre, l'érotisme est devenu une machine géante qui se détruit elle-même. Votre érotisme débouche-t-il sur quelque chose d'autre, a-t-il une autre signification, ou est-il l'expression d'une destruction ? — Je pourrais vous répondre par une autre question... Nous ne savons pas assez pour dire ; nous ne savons pas ce qu'est l'érotisme, nous ne savons pas ce qu'est la sexualité, nous ne savons pas pourquoi elle procure du plaisir, et la raison de notre ignorance est que c'est une zone tellement chargée que personne ne peut la regarder en face... L'idée d'une simple enquête scientifique jette les gens dans des convulsions de puritanisme. Aucune objectivité n'est possible. Je dirais que si nous comprenions vraiment quelque chose à l'érotisme — ce qu'est la sexualité, pour quelle raison elle est agréable (c'est de toute évidence un phénomène électromagnétique, Reich l'a mesuré) —, et à quoi elle va cela nous mènerait peut-être à quelques reconnaissances fondamentales. — Quels sont les écrivains « erotiques » ou « pornographiques » qui vous paraissent importants ? — Eh bien, encore une fois, je fais des objections au mot érotique et au mot pornographique. Je parlerais simplement d'écrivains qui ont abordé plus ou moins explicitement ou franchement les questions sexuelles. Eh bien, certainement Genet. Je reconnais l'importance de Sade, mais je le trouve d'une lecture très ennuyeuse. Certainement Joyce, Miller et D.H. Lawrence sont très importants en tant que pionniers. Ils ont fait des ouvertures considérables, de sorte qu'actuellement presque n'importe quoi peut être publié. — Il y a un parallèle évident entre votre œuvre et celle de Jérôme Bosch. Personne ne songerait à dire que Jérôme Bosch est pornographique. Les gens les plus prudes et les plus « respectables » regardent les toiles de Bosch avec une admiration inconsciente, alors que la lecture d'une seule de vos pages les scandalise. D'où vient cette inconséquence du jugement ? — Elle a de nombreuses sources. En premier lieu, la personne respectable ne voit pas du tout ce qui se passe chez Bosch. Elle ne se rend pas compte que ce sont précisément les choses que J'ai décrites dans Le Festin nu, elle ne le voit pas De plus, c'est ancien. Ça, c'est très important. Les gens respectables peuvent regarder des statues priapiques sans être émus parce qu'elles sont dans les musées et qu'elles sont anciennes. Henry Miller, je crois, a remarqué cela dans un de ses articles. C'est un exemple supplémentaire de la schizophrénie et de la déraison complète des processus de pensée des gens soi-disant respectables. Quelque chose est dans un musée, c'est célèbre et ancien, alors ça va. Il y a aussi la différence entre la peinture et l'écriture, bien sûr. _ Il y a dans votre œuvre un rite sexuel qui aboutit souvent au sacrifice humain. La civilisation a-t-elle supprimé ces rites à tendance sexuelle et ces sacrifices ? — Je pense qu'elle ne les a pas supprimés. Elle a simplement supprimé les manifestations ouvertes de tels rites. Les Aztèques, bien sûr, faisaient leurs sacrifices humains d'une façon ouverte. Nous ne le faisons pas, mais nous détruisons des races. Nous avons détruit les Indiens, les terribles Boers ont détruit les Boshimans, les colons australiens ont détruit les aborigènes australiens. La 81 destruction est plus étendue. Elle n'a plus de signification rituelle, mais elle est plus destructrice en ce qui concerne, les hommes qu'elle ne le serait avec de vrais sacrifices humains. D'un autre coté, bien sûr, je ne suggère pas que ces rites Plutôt répugnants et sots soient réinstitués. Plus Personne ne les prendrait au sérieux : de la pous-sière des dieux morts. L' acte sexuel atteint souvent dans vos livres un mouvement de fornication universelle à la-quelle tous les êtres vivants, parfois même d'une planète, participent. Quels sont l'importance et le sens de cette vision ? — Je ne pourrais pas vous dire l'importance de cela. Il s'agit simplement de la perception que le sexe est un phénomène beaucoup plus étendu que nous le pensons dans la connexion des matières vivantes et des matières non vivantes. — Carl, dans La Machine molle, est enfermé dans de la gélatine. Son corps est pris dans une forme féminine qu'on modèle sur lui et qui le transforme lentement. Cette transformation peut-elle s'appliquer à l'homme d'aujourd'hui ? — Même au niveau scientifique, nous sommes très proches de la possibilité de faire de nombreuses altérations du corps humain. Il est maintenant possible de remplacer certains organes, comme les pièces d'une vieille voiture lorsqu'elle s'use. La prochaine étape, bien sûr, sera la transplantation de cerveaux. Nous supposons que ce que nous appelons l'ego, ou le moi, ou le toi, se trouve quelque part dans le cerveau moyen, il ne se passera donc pas longtemps avant que nous puissions transférer un moi d'un corps à l'autre. Les hommes riches pourront acheter de jeunes corps. Beaucoup de passages de mon œuvre, purement imaginaires à l'époque, sont maintenant possibles. — L'orgasme est souvent lié à la mort dans les nombreuses pendaisons que l'on rencontre dans votre œuvre. Quel est le lien entre orgasme et mort ? — C'est un problème bien obscur. Il me semble que la plupart des gens ayant étudié les preuves pensent que nous avons vécu d'autres vies. Le lien possible serait qu'on meurt dans l'orgasme dans lequel on naît. On meurt dans sa propre conception, pour ainsi dire ; ce serait la continuité dont il s'agit. Freud a parlé de l'orgasme comme de « la petite mort ». C'est un moment d'inconscience qui dans certains cas se rapproche de quelques-unes des manifestations de la mort. Bien sûr, l'orgasme peut avoir lieu au moment de la mort comme dans la pendaison, l'empoisonnement par cyanure et divers états convulsifs ; c'est aussi une chose assez fréquente chez les cardiaques. C'est pire que de monter six étages en courant. Et beaucoup de femmes ont été très embarrassées de trouver leur vieux en panne. Vous savez, « mort dans l'appartement d'une telle... » Je ne citerai personne, mais c'est un peu comme « tué alors qu'il nettoyait son fusil »... — Dans La Machine molle, deux personnages sont partagés dans le sens de la longueur et réunis pour former deux êtres nouveaux. Quel est le symbolisme de cette union ? — Le corps humain est fait de deux moitiés. Les deux moitiés ne sont pas semblables. Le côté droit et le côté gauche ne se ressemblent pas, entre autres parce que la plupart des gens emploient leur main droite. Le côté droit du cerveau, si vous êtes droitier, est presque inutilisé. Il y a une grande différence entre le côté droit et le côté gauche de votre visage. Quelqu'un a fait récemment des photos en prenant deux côtés droits d'un visage, puis deux côtés gauches, et ils avaient l'air très différents. Vous pouvez prendre deux personnes, les couper en deux parties égales dans le sens de la longueur et mettre la moitié d'une personne à une moitié de l'autre, vous créez ainsi de nouveaux personnages. Il n'y a Pas de symbolisme particulier, c'est simplement une possibilité que j'imagine bientôt à la PORTEE DE la science médicale. Ils finissent par avoir des mécaniciens très compétents, je leur accorde -- La pendaison est aussi une espèce d'alchimie 82 qui opère le transfert d'une pensée dans un autre corps au moment de l'éjaculation. Qu'est-ce qUe cela représente ? — Il se peut que cela représente le transfert du moi dans un autre corps au moment de l'éjaculation. J'ai exploré plus particulièrement cette possibilité dans La Machine molle. Mais elle est maintenant plutôt dépassée, puisqu'on peut opérer ce transfert par des moyens chirurgicaux. Ils prennent simplement le cerveau : prélevez le cerveau de Hearst et foutez-le dans un autre corps ; c'est ce qu'il a toujours voulu. Tous ces vieux personnages qui refusent de mourir... On pourrait considérer cela comme une tentative assez primitive de transfert d'un moi d'un corps à un autre. — Quelle est l'importance du sadisme dans votre œuvre ? — Il n'y a pas tellement de sadisme dans mon œuvre. Bien que j'aie cette réputation, je ne pense pas que j'insiste beaucoup sur la torture avec connotation sexuelle. Ce n'est certainement pas une chose qui m'intéresse personnellement. Battre les gens, être battu, tout cela me semble terriblement ennuyeux et désagréable. — Les actes sexuels que vous décrivez paraissent être soumis à une physique précise, une série de contacts qui déclenchent des mécanismes. Parfois même, les nerfs sont caressés à vif. Concevez-vous les relations sexuelles de vos personnages comme des réflexes purement mécaniques ? — Le corps humain est de toute évidence une machine très complexe, ce qui ne veut pourtant pas dire que vous êtes votre corps. Car un corps ne se déplace pas de lui-même ; il est fait de la même matière que cette table, et nous ne nous attendons pas à ce qu'elle se déplace d'elleMême c'est une machine très compliquée occu-pée par un p ilote d'ordinaire très incompétent, La stimulation sexuelle peut être provoquée par l a manipulation électrique directe des centres nerveux, de la même façon que l'on manipule une machine, et c'est une machine. Les aspects sexuels de la machine sont peu connus, uniquement parce qu'il n'y a pas eu de recherches, parce qu 'elles ne sont pas autorisées. C'est un des aspects les plus importants de la monopolisation des intérêts qui stimulent la sexualité et la rendent difficile à obtenir. Par ces moyens, on oblige les gens à y penser tout le temps. Le sexe les préoccupe et les empêche de provoquer des troubles. — La liaison sexe-couleur intervient à plusieurs reprises et semble vous fasciner. Pourquoi ? — Encore une fois, voyez-vous, ce que j'essaie de faire, c'est sortir une certaine approximation des lois et des faits concernant la sexualité — ce qu'elle est, comment elle fonctionne. Sans aucun doute, il y a un rapport entre le sexe et la couleur. Par exemple, des photos sexuelles en couleur sont plus stimulantes que des photos en noir et blanc. Elles sont d'ailleurs accessibles à tous avec les nouveaux polaroïds en couleur. J'imagine les gens prenant des photos d'eux-mêmes sous toutes les coutures. Ce n'est pas sans danger... J'ai vu des gens se rendre très malades avec cela. Il s'agit d'un domaine que l'on connaît très mal, un domaine épineux. -- Les femmes sont peu nombreuses dans vos livres. lorsqu'elles apparaissent, c'est Mary qui, dans la mac hine molle, dévore le sexe de Johnny qu'elle vient de pendre, ou c'est la ménagère amé-caine constipée craignant que son mixer se fau-file sous ses ses jupes en attendant que sa machine à laver ait fini son cycle. Qu'éprouvez-vous les femmes ? — Je reprendrai les mots d'un grand misogyne; Mr. Jones dans Victoire de Conrad : « Les femmes sont une parfaite malédiction. » Je pense qu'elles ont été une erreur fondamentale, et l'univers dualiste entier est parti de cette erreur. Les femmes ont cessé d'être indispensables à la reproduction, comme l'indique cet article : « Un savant d'Oxford reproduit des grenouilles à partir de cellules uniques », par Walter Sullivan Oxford, Angleterre, 8 octobre (NYT). — Des chercheurs de l'université d'Oxford pensent avoir enlevé tout doute quant à la validité des expériences par lesquelles des grenouilles ont été produites à partir de cellules uniques extraites d'une autre grenouille. Les expériences de ce domaine, connu comme la reproduction végétative, portent sur un des problèmes fondamentaux de la biologie, à savoir ce qui déclenche et ce qui arrête le matériau génétique enfoui au fond de chaque cellule du corps. Ces grenouilles ont été, selon les chercheurs, produites à partir des cellules qui recouvrent l'intestin. Voilà qui a démontré que même des cellules hautement spécialisées comme celles-là contiennent, au sein de leur noyau, l'information nécessaire à la construction d'un individu entièrement nouveau. Cette information reste normalement au 83 repos, mais elle a été activée dans les expériences d'Oxford. Discussion Jusqu'à présent, certains savants ont considère que, dans ce genre de cellules spécialisées, l'information génétique non en rapport avec la fonction précise de la cellule était effacée de manière permanente. Les opposants aux expériences d'Oxford, entreprises depuis plusieurs années, prétendent les grenouilles élevées ici sont sorties de cellules non spécialisées qui seraient parvenues à s'infiltrer dans l'intestin. LE DR John Gurden d'Oxford, responsable des recbercbes a répondu toutefois qu'il est évident maintenant que ce n'est pas le cas, car plus DE 30 % des cellules intestinales peuvent atteindre au moins le stade du têtard. Cela est incompatible, selon lui, avec 1 idée que ces têtards ont grandi à partir de cellules non spécialisées, qu'on trouve très rarement. 1 ou 2 % seulement des cellules donnent des grenouilles pleinementr matures et fertiles mais, selon les vues du D Gurden, c'est en raison d'un infime endommagement du noyau de la cellule pendant la manipulation. Ces expériences ont créé ici une grande sensation car elles impliquent qu'on puisse, en théorie sinon en pratique, produire en masse des jumeaux identiques doués de capacités ou d'une beauté exceptionnelles. Le Dr Gurden a fait de grands efforts pour se dissocier d'une telle spéculation. Son but, a-t-il déclaré, est de comprendre comment l'information génétique est contrôlée dans les cellules. Alors que le noyau d'une cellule qui borde l'intestin humain contient toute l'information nécessaire pour produire un jumeau identique, seule une infime portion de cette information est active. Cette information dit : « Tu es un revêtement intestinal ; tu dois croître d'une certaine manière et remplir certaines fonctions chimiques. » e que le Dr Gurden et ses collaborateurs ont fait, est de prélever un noyau de ce type dans l'intes- tin d'un un têtard et de l'implanter dans un œuf de grenouille dont le propre noyau avait été détruit. Une partie du matériau de l'œuf, le cytoplasme, dit au noyau : "tu n'es plus un noyau de cellule intestinale, tu es un noyau de cellule d'œuf ; au travail ! » Le résultat est, si tout va bien une nouvelle grenouille. — Pour Antonin Artaud, la sexualité est ce qui-sépare l'homme de la femme. Qu'en pensez-vous > — Je ne m'intéresse pas à leur rapprochement Je ne vois pas la sexualité comme une barrière ; je pense que l'orientation anti-sexuelle de notre société est fondamentalement manipulée par les intérêts féminins, car c'est dans l'intérêt des femmes de réprimer la sexualité. C'est de cette manière qu'elles retiennent un homme ou qu'elles en attrapent un, et à partir de ce moment, ils ne doivent plus faire autre chose. C'est l'intérêt du sexe féminin, qui est anti-sexuel. — Dans vos livres, les émotions entre les personnages qui s'unissent sexuellement n'existent pas. — Je ne dirais pas que l'émotion entre les gens qui s'unissent sexuellement n'existe pas. Dans le livre que j'écris maintenant, il y a énormément d'émotion. Je pense que ce que nous appelons l'amour est une supercherie perpétrée par le sexe féminin, et que le but de toute relation sexuelle entre hommes n'a rien à voir avec ce qu'on peut appeler l'amour, mais qu'il s'agit plutôt de ce que l'on pourrait appeler de la reconnaissance. — Qui sont les agents lesbiennes au visage de pénis greffé buvant du fluide spinal ? — Oh, en réalité ce n'est qu'un peu de science-fiction. — Qu'est-ce qui cause la peur et l'angoisse qui saisissent certaines personnes lorsque des auteur , appelés par elles « pornographiques », sont ev qués ? _ La peur généralisée de la sexualité, bien sûr. Une peur qui est soigneusement entretenue par leur éducation et leur instruction, contrôlées à la base par les femmes. Si elles n'avaient pas peur de la sexualité; elles chercheraient à en savoir plus, et si elles en savaient plus, ce serait une menace considérable contre tous les intérêts. _ Vous avez dit que la famille était l'un des principaux obstacles à tout progrès réel de l'humanité. Pourquoi ? _ En premier lieu, cela signifie que les enfants 84 sont élevés par des femmes. En second lieu, cela signifie que la moindre connerie dont souffrent les parents, toutes les névroses ou les désordres, sont transférés sur-le-champ à l'enfant sans défense. Tout le monde semble considérer que les parents ont le droit d'infliger à leurs enfants toutes sortes d'idioties pernicieuses desquelles ils souffrent eux-mêmes et qui leur ont été transmises par leurs parents, de sorte que la race humaine entière est estropiée dans l'enfance. Et cela est fait par la famille. De plus, les nations et les pays ne sont qu'une extension de la famille, et s il y a une formule qui retient vraiment le monde, c'est la formule des nations, des pays, qui, comme je l'ai dit, n'est qu'un prolongement de la famille biologique. Nous ne ferons aucun progrès tant que cette unité ridicule ne sera pas abolie. Il y a de nombreuses façons d'y remédier. La Plus évidente serait que les enfants soient enle-vés a leurs parents biologiques à la naissance, et qu'ils soient élevés dans une crèche d'Etat. Cela a été souvent proposé, mais là encore il faut voir le genre d'écucation et d'environnement qu'on a dans les crèches officielles. Une autre solution, proposée par Mr. Brion Gysin, est que les enfants devraient être payés aller à l'école. Autrement dit, plus ils avan 85 ceraient dans l'éducation, plus ils toucheraient d'argent. Ils commenceraient à briser, dès leur première jeunesse, l'état de dépendance économique envers leurs parents, et lorsqu'un garçon sortirait de l'université, il aurait assez d'argent pour commencer sa carrière sans dépendre de ses parents. La dépendance économique est vraisemblablement ce qui conserve les liens entre parents et enfants. Cela doit être aboli. — Il y a déjà eu quelques tentatives de suppression de la famille, mais elles n'ont pas été très fructueuses. Pourquoi ces échecs ? — Ceux qui ont fait ces tentatives ne sont pas allés assez loin. J'imagine que la Chine s'en est rapprochée plus que tout autre pays, bien que je n'aie pas eu l'occasion de voir ce qui se passe là-bas. La Russie a prétendu le faire et n'a rien fait. La même vieille famille bourgeoise a l'air d'exister en Russie comme dans le monde occidental. Bien sûr, celles dont l'intérêt est la famille sont les femmes. Il est évident que tout essai d'attaquer la famille les rend folles de rage. — Que faut-il pour remplacer la famille ? — Rien. Rien. Je ne vois aucune nécessité à son existence. Partez, par exemple, de l'insémination artificielle, qui est maintenant tout à fait possible. Vous choisissez les donneurs et les femmes ; lorsque les femmes sont enceintes, on les garde dans un hôpital jusqu'à la naissance de l'enfant — on leur interdit de se promener partout, parce qu'il y a beaucoup de choses qu'un enfant peut subir avant sa naissance. L'enfant devrait naître dans le silence, c'est une autre chose très importante ; personne ne devrait parler, car les mots, en cet instant extrêmement traumatisant, laissent une impression permanente. Mr. L. Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, dit qu'il est absolument criminel de parler pendant toute période d'inconscience, car les mots s'impriment dans l'organisme et, lorsqu'ils sont restimulés et répétés par la suite, la douleur est revécue, et c'est très handicapant. Une fois que l'enfant est né, on le transfère dans une crèche, ou dans quelque chose d'analogue, pour qu'il soit élevé. C'est tout... Pas de famille. — Pensez-vous que nous arriverons, ou que nous sommes déjà arrivés à la création d'êtres artificiels sans la fécondation normale ? Cela vous paraît-il souhaitable ? — Je pense que c'est tout à fait à la portée de la technologie moderne, et cela me semble très souhaitable, car ce serait vraiment l'abolition de la famille. Mais la recherche dans ce domaine est bloquée, bien sûr, par les intérêts, et surtout par ceux du sexe féminin. Les enfants sont leur monopole. Or, s'il était possible de produire des êtres artificiels, nous pourrions les produire à un âge raisonnable, et vous n'auriez plus toute cette petite enfance. Oui, cela me paraît très désirable. — Quelles sont les relations de la drogue et de l'homosexualité ? — Aucune que je puisse voir. Je veux dire par là que tout organisme, humain ou animal, est sujet aux effets des drogues, et il ne semble pas y avoir de rapports entre la drogue et l'homosexualité, ou l'hétérosexualité. — Quel est l'effet de la drogue sur les perceptions lors des relations sexuelles ? ~~ Cela dépend de la drogue. Quelques drogues hallucinogènes ont certaines propriétés aphrodisiaques, elles accroissent la conscience et peuvent donc augmenter la conscience de l'expérience sexuelle. Les opiacées, bien sûr, sont totalement anti-sexuelles. L'idée que l'on trouve dans les histoires idiotes de la presse, selon laquelle les intoxiqués commettent des viols, est une erreur absolue (ils sont incapables d'avoir une érection, ne trouvent aucun intérêt à la sexualité et un intoxiqué par l'héroïne ne s'intéresse pas plus à la sexualité qu'à un vieux navet). La cocaïne et la benzédrine ont quelques propriétés aphrodisiaques. Toutes les drogues sédatives sont antisexuelles : l'alcool, les barbituriques et les tranquillisants dépriment l'impulsion sexuelle. — A. J. est obligé d'appeler ses suisses pour se libérer des femmes américaines en rut qui se précipitent sur lui. Quelle opinion avez-vous de la femme américaine ? — Je pense qu'elle est peut-être une des pires expressions du sexe féminin parce qu'on lui a permis d'aller plus loin que les autres. L'adoration des femmes qu'il y avait jadis dans le Sud, et pendant les luttes de frontières lorsqu'elles étaient peu nombreuses, est encore fondamentale dans la vie américaine. L'adoration de la femme dans le Sud et la suprématie blanche constituent encore la politique 86 américaine. Les Sudistes ont perdu la guerre civile, mais leur politique continue à déterminer l'Amérique. C'est un pays matriarcal et partisan de la suprématie blanche. Deux choses qui paraissent d'ailleurs liées d'une façon bien définie. — La théorie des orgones du docteur Wilhelm Reich est évoquée à plusieurs reprises dans vos livres. Quelle importance lui attachez-vous ? — Je pense que c'est une découverte d'une importance capitale, peut-être pas aussi importante que le docteur Reich le pensait, mais elle mérite certainement beaucoup de recherches. Le fait qu'elle ait été si violemment réprimée par le 87 Service fédéral américain des drogues et de l'hygiène alimentaire est, je crois, une indication de son importance. Vous pouvez presque juger de l'importance d'une découverte par l'effort que l'on fait pour l'étouffer. La théorie des orgones de Reich, de même que l'apomorphine pour le traitement de l'intoxication, sont des exemples de découvertes étouffées avec acharnement. L'Académie 23 _ Pensez-vous que par la création d'un centre de recherches sexuelles pratiques et théoriques, on pourrait sonder les lois encore obscures de la sexualité ? _ Indiscutablement. Je crois qu'en très peu d'années, cela mènerait à des percées fondamentales, car il n'y a jamais eu de vraies recherches. Il y avait un projet à Saint-Louis, Missouri, où on a fait des films en couleurs de personnes — entre dix-huit et quatre-vingts ans — qui avaient des relations sexuelles. Je présume que personne, à moins d'être chercheur ou quelque chose du genre, ne peut les voir. D'après ce que je sais, ils n'ont pas découvert grand-chose. — Y a-t-il, dans l'opposition encore très vive qui existe vis-à-vis de l'érotisme, dans l'art comme dans la vie, une manifestation du contrôle de la conscience ? ~ Oh, incontestablement, c'est le point le plus important du contrôle. Lorsqu'on perd le contrôle de cela, on perd tout contrôle, et les gens au pouvoir sont décidés à ne pas le perdre. — Comment voyez-vous l'avenir des relations entre l'homme et la femme ? ~~~ Dans La Machine molle, j'ai proposé que les sexes soient séparés, que les enfants mâles soient élevés par des hommes et que les enfants femelles 90 soient élevés par des femmes. Je pense que moins les deux sexes sont en rapport, mieux ça vaut. — Vous n'auriez donc plus besoin de femmes aussitôt que cela se ferait automatiquement ? — Non. C'est peut-être présupposer que vous puissiez avoir des utérus en bouteille, ainsi nous n'aurions plus besoin de ces femmes... BULLETIN N° 18 DE L'INSTITUT ACADEMIQUE D'ETUDES SEXUELLES AVANCEES. Le but de l'institut est d'examiner les manifestations sexuelles avec les mêmes opérations objectives et expérimentales que celles qui ont donné des résultats marquants dans les sciences physiques. Nous ne pouvons nous empêcher d'être impressionnés par l'inefficacité de l'état de choses actuel, par la longue période de faiblesse infantile pendant laquelle l'enfant est exposé à toute une variété de maladies physiques et psychiques, à toute influence malsaine en présence. Notre but est précisément de créer des enfants d'un âge raisonnable avec une certaine immunité contre les influences malheureuses que nous pouvons contrôler immédiatement. Dans l'intervalle, tous les efforts doivent être faits pour briser l'unité de la famille biologique. Il n'est pas exagéré de dire que l'unité familiale, avec sa production malheureusement prévisible de traumatisme enfantin, et les tensions tout à fait superflues de la vie moderne superposées à ces blessures également superflues, est un des facteurs fondamentaux les plus dangereux de la vie moderne. Combien de citoyens potentiellement doués et utiles ne font rien d'autre durant leur vie que de protester contre le conditionnement de leur enfance ? On a souvent proposé que les enfants soient élevés par l'Etat. Mais qu'est-ce que l'Etat sinon la simple extension d'une tribu qui est à son tour l'extension de la famille ? Transférer la garde des enfants de la famille privée à la famille d'Etat n'a rien à voir avec notre but. Cela signifierait que nos enfants en ressortiraient avec une camisole de force de formules verbales dogmatiques comme celle qui est actuellement imposée par la famille biologique. Une des suggestions les plus prometteuses pour la liquidation à longue échéance du problème de la famille a été proposée par Mr. Brion Gysin. Il suggère que les enfants soient payés pour aller à l'école, avec une augmentation graduelle en rapport avec leur avance dans l'enseignement, afin qu'ils obtiennent progressivement l'indépendance économique de leur famille. La solution du problème de la famille doit être considérée comme une condition première de toute approche objective des phénomènes et des manifestations sexuels. Notre travail a été handicapé par la puissance des monopoles anti-sexuels car il pouvait mener à une compréhension fondamentale des mécanismes en jeu et à la libération concomitante des conditionnements de l'enfance. Le médecin a demandé à ses patients de porter des vêtements en plastique transparent, afin d'observer si le rêve était ouvertement sexuel ou non. On se demande jusqu'à quel point le contenu des rêves pourrait être dicté par l'insertion à courts intervalles de certains mots et de certaines images. Puisque les résultats de cette expérience nous sont à tous bien connus, il suffit de dire que de telles expériences ont été réalisées en fonction de facteurs fondamentaux et prévisibles... Je me réfère à des expériences qui n'ont pas abouti comme nous l'avions espéré. La science, la science pure. Dans cette histoire vous apprenez à prendre les choses comme elles viennent. « Comment va le couple de la chambre à immersion double n° 187 ? » « Ne regardez pas, patron, c'est trop horrible. Ils fondent l'un dans l'autre, et l'un mange les entrailles de l'autre. » « Selbstverstdndlich » dit aigrement le Herr Doktor. « Et que bensiez fou qu'il arriferait, sdubide gochon d'amérigain ? » A ce moment, une bagarre regrettable éclate dans la chambre d'opération, les réservoirs d'aliments, les bocaux, les aquariums sont renversés, une monstrueuse créature larvaire barbote par terre les savants glissent dessus et se filent de grands coups de scalpel et de scie à os en hurlant. « Eh bien, nous avons reçu des ordres, et j'ai fait le travail avec ma femme et mes gosses sur le dos » « Regardez quelle Dummheit ! » « Ça sent les chiottes, docteur » « Sauvez-vous, les gars. Ils sont actifs. » Vu pour la dernière fois nageant désespérément dans des eaux d'égout sexuelles. Le projet entier avait échoué. Qui est le patron ici ? Voyez ce que je veux dire ?... De telles connaissances dans de mauvaises mains pourraient être très dangereuses ! 91 — Nous avons parlé du pouvoir et de ses conséquences désastreuses ; nous arrivons maintenant aux drogues. Sont-elles un élément du pouvoir ? — Il me semble que les drogues sont un des éléments du pouvoir par excellence. Le prétendu problème de la drogue est un prétexte, qui devient de plus en plus mince, pour étendre la puissance du pouvoir policier sur des zones d'opposition réelle ou potentielle. Dans les pays occidentaux, l'opposition est concentrée entre dix-huit et vingtcinq ans. Faites donc davantage de lois contre la drogue, faites de la publicité aux histoires de drogue, et un bon pourcentage de l'opposition est ainsi rendu criminel par définition légale. Selon un article paru dans Life (24 juillet 1967), les autorités estiment qu'environ 10 millions d'Américains ont essayé la marijuana au moins une fois, et que le nombre de ses utilisateurs augmente rapidement. Bien sûr, on ne peut pas mettre 10 millions de gens en prison ; ce serait aller trop loin à découvert. S'il y a une chose que les autorités occidentales ne veulent pas, c'est agir d'une manière ouverte. Mais elles peuvent garder les jeunes gens sous une continuelle menace de fouille ou d'action policière, et détourner en même temps la révolution dans les voies en cul-de-sac de l'intoxication et de la criminalité. L'autorité occidentale n'a jamais été plus menacée qu'aujourd'hui, et d'après l'habitude de son espèce parasitaire, elle réagit avec une rage hystérique. L'autorité réactionnaire n'hésite pas à marquer au fer comme criminelle toute personne qui favorise publiquement la légalisation de la marijuana ou se risque simplement à remarquer que l'héroïne et le cannabis ne devraient pas avoir la même définition légale, ni pharmaceutique. En voici un exemple : Un médecin appelle Mick Jagger criminel pour avoir encouragé la liberté de l'emploi des drogues. Genève, 3 août (UPI). — Un médecin canadien, le Docteur Paul Campbell, a traité de « criminels » les gens qui ont plaidé en faveur du LSD. Le Docteur Campbell s'est aussi fortement attaqué au chanteur pop anglais Mick Jagger, du groupe des Rolling Stones, qui aurait déclaré que les gens devraient être libres de prendre des drogues s'ils le voulaient. Le docteur canadien prenait la parole au cours d une conférence sur l'emploi des drogues organisée par le groupe de réarmement moral qui a son siège à Caux. — Je crois qu'il faut établir la différence qui existe entre les divers drogues et hallucinogènes. Comment peut-on les répartir en tenant compte de leurs e f f e t s physiologiques ? — Voici une citation d'un exposé fait à la société américaine de psychologie en 1961 : « Le mot drogue provoque malheureusement un réflexe de peur, de désapprobation et de puritanisme dans les systèmes nerveux occidentaux. » Le mot drogue n'est, bien sûr, qu'un terme générique désignant n'importe quel agent chimique. L'alcool est une drogue sédative dont l'action ressemble à celle des barbituriques ; mais à cause d'associations purement verbales, nous ne considérons pas l'alcool comme une drogue, car c'est notre drogue nationale. Le Département Américain des Narcotiques a classé sous le nom de narcotiques des substances dont les effets physiologiques sont opposés. La morphine est en fait un antidote contre l'empoisonnement de cocaïne. Le cannabis est une drogue hallucinogène sans aucune affinité chimique ou physiologique avec la cocaïne ou la morphine. Néanmoins cocaïne, morphine et cannabis sont tous classés sous le nom de drogues narcotiques. Sans aucun doute, ce terme a une force émotive. Mais employé d'une manière si générale, il n'a ni précision ni signification utiles. Je voudrais pour commencer distinguer clairement entre les sédatifs et les agents hallucinogènes, entre les drogues qui produisent une accoutumance et celles qui n'en produisent pas. Qu'est-ce que l'accoutumance ? L'emploi de l'opium et de ses dérivés mène à un état qui limite et décrit l'accoutumance. L'intoxiqué par la morphine ou par l'héroïne donne le modèle le miroir de l'accoutumance. L'intoxiqué fonctionne a l'héroïne : sans elle, il est aussi désem-aré qu'un poisson hors de l'eau. Cette situation de dépendance totale n'existait pas avant le contact avec l'héroïne et sa conséquence, l'accoutumance. Après un mois environ d'injections ou de prises journalières de la drogue, l'intoxiqué est accroché, c'est-à-dire accoutumé pour la vie. Même s'il subit une cure et n'utilise plus de drogue pendant des années, il peut être intoxiqué à nouveau par une ou deux piqûres... Comme l'alcoolique, il est sensibilisé pour la vie à la drogue. Les chercheurs ne savent toujours pas comment naît l'accoutumance à l'héroïne. Le docteur Isbell de Lexington (Kentucky), où la plupart des intoxiqués américains subissent leur traitement, a suggéré que la morphine agissait sur les récepteurs des cellules, peut-être par une altération de la structure 92 moléculaire de certains groupes de cellules du corps. Alors que l'action de la morphine n'est pas entièrement connue, nous savons que l'alcool et les barbituriques sont des sédatifs définis du cerveau antérieur, et que des doses toujours plus grandes sont exigées pour arriver à la sédation. En fait, on peut dire que toutes les drogues sédatives agissent par sédation, c'est-à-dire par la mise hors d'action d'une fonction du système nerveux déterminant une réduction de la conscience de l'environnement et des procédés corporels. L'accoutumance ne semblerait pas être une prérogative des sédatifs, et peut-être les opiacées sont-elles les seules drogues produisant une accoutmance vraie. Les symptômes qui sui-vent la cessation de l'emploi des barbituriques peuvent être considérés comme une réaction mecanique à sune sédation massive du cerveau anté-rieur plutôt que comme un besoin biologique Qu'est-ce qu'un hallucinogène ? C'est une drogue qui élargit la conscience, augmente la conscience de l'environnement et des procédés corporels. Je voudrais suggérer que l'expression drogue élargissant la conscience soit substituée à celle d'hallucinogène, qui déjà est très difficile à prononcer. Les vraies hallucinations sont très rares et aucune définition précise de l'hallucination n'a été formulée. Sous l'influence du LSD, de la mescaline et du cannabis, le sujet a une conscience aiguë des couleurs, des sons, des odeurs, et on pourrait dire que l'effet de la drogue réside en ce phénomène d'augmentation de la conscience, qui peut être agréable ou désagréable suivant le contenu de la conscience. Couleurs et sons prennent une intense signification et on garde une grande partie de cette sensibilité après que les effets de la drogue sont passés. J'ai fait l'expérience de découvrir un tableau pour la première fois sous l'influence de la mescaline, et je me suis rendu compte plus tard que j'étais capable de revoir le tableau sans utiliser la drogue. La même compréhension de la musique, de la beauté d'un objet, ordinairement ignorée, persiste de sorte qu'une exposition à une drogue puissante élargissant la conscience produit souvent une augmentation permanente de la portée de l'expérience. La mescaline transporte l'utilisateur dans des régions psychiques inexplorées, d'où il peut souvent revenir sans guide chimique. Je décrirai une expérience simple qui différenciera avec plus de précision les drogues sédatives des drogues élargissant la conscience. A ma connaissance, cette expérience n'a pas été réalisée dans les détails. Voici l'expérience que je propose : administrez une drogue élargissant la conscience en même temps qu'une série pré-cise de stimuli — de la musique, des tableaux, des odeurs, des goûts... le tout ordonné et enregistré pour que cette série de stimuli puissent être reproduits exactement. Quelques jours plus tard, lorsque les effets de la drogue se sont totalement dissipés, exposez le sujet aux mêmes stimuli, dans le même ordre. Jusqu'à quel point l'expérience hallucinogène est-elle réactivée ? Toute personne qui a fait usage de drogues élargissant la conscience sait qu'un stimulus quelconque, expérimenté sous l'influence de la drogue, réactive cette expérience. Il y a tout lieu de croire que l'expérience de la drogue peut être répétée en détail avec la répétition précise des stimuli associés. Répétez la même expérience avec un morphinomane ; administrez une dose de morphine en même temps que les stimuli ; attendez que les symptômes de désintoxication se produisent. Maintenant répétez les stimuli. Est-ce que le sujet ressent un soulagement quelconque des symptômes ? Au contraire, les stimuli associés réactivent et intensifient le besoin de drogue. La même chose, bien sûr, est vraie pour l'alcool. Les stimuli associés à la consommation de l'alcool en réactivent le besoin et conduisent à la rechute. L emploi des drogues sédatives mène à une dépendance augmentée de la drogue utilisée. L'emploi des drogues élargissant la conscience pourrait montrer la voie des aspects utiles des expériences hallucinogènes sans l'emploi d'un agent chimique, tout ce qui peut être fait par des moyens chimiques peut l'être autrement, avec une connaissance suffisante des mécanismes en question. Récemment, un dentiste de Cambridge a extrait des dents sans autre anesthésie que de la musique reproduite dans un casque d'écoute. L'expérience d'élargissement de la conscience peut être 93 pro-voquée par le clignotement, c'est-à-dire par projection rythmée de lumière sur la rétine à une vitesse variant entre 10 et 25 éclairs par seconde Je cite Gray Walters, The Living Brain : « La série rythmique d'éclairs paraît briser quelquesunes des barrières physiologiques entre les diverses régions du cerveau. Cela signifie que le stimulus de clignotement reçu par la région de projection visuelle du cortex brise ces limites ____ rides jaillissant sur d'autres régions. » Or, c'est précisément ce jaillissement sur des régions du cerveau — l'audition des couleurs, la vision des sons et même des odeurs — qui est une caractéristique particulière des drogues élargissant la conscience. Avec le clignotement, Gray Walters a produit un grand nombre des phénomènes associés aux drogues élargissant la conscience : « Les sujets ont rendu compte de lumières ressemblant à des comètes, de couleurs ultra-extraterrestres, de couleurs mentales, et non de couleurs visuelles opaques. » La littérature de la mescaline et du LSD est remplie de descriptions regrettablement vagues d'expériences visionnaires de ce genre. Des expériences supplémentaires avec des doses infinitésimales de mescaline, accompagnées de clignotements administrés en dose massive, et répétés par la suite, pourraient bien mener à une méthode non chimique d'élargissement de la conscience et d'augmentation de la sensibilité. Il y a de nombreuses drogues élargissant la conscience. Chacune possède ses propriétés distinctes, et les savants commencent à peine à explorer la chimie de ces drogues. J'ai fait personnellement des expériences avec la mescaline, le LSD, la bannisteria caapi, le kawa kawa, la diméthyltriptamine et plusieurs autres drogues sous la forme de préparations d'herbes dont les propriétés m'étaient inconnues. Chacune de ces drogues a ouvert des régions psychiques différentes. Certaines d'entre elles sont agréables, d'autres ne le sont pas. Une surdose de drogue élargissant la conscience pourrait être un cauche-mar en raison de la conscience accrue des symp-tômes désagréables ou dangereux. Je voudrais mentionner une drogue qui n'est ni un stimulant du cerveau antérieur comme la cocaïne, ni un sédatif comme la morphine et les barbituriques, ni un tranquillisant, ni un excitant, ni un hallucinogène... une drogue qui agit comme un agent utile et stabilisant lorsque vous usez de drogues élargissant la conscience. Cette drogue est l'apomorphine. Je cite Anxiety and its Treatment, par le docteur John Dent de Londres : « L'apomorphine est fabriquée avec de la morphine portée à ébullition avec de l'acide chlorhydrique, mais son effet physiologique est tout à fait différent. L'apomorphine agit sur l'hypothalamus, normalise le métabolisme et régularise le sérum sanguin. » Administrée en même temps qu'une drogue élargissant la conscience, l'apomorphine stabilise l'expérience et réduit l'angoisse. J'ai observé chez d'autres personnes, et j'ai expérimenté moi-même, un soulagement dramatique de l'angoisse conséquente à l'emploi des drogues élargissant la conscience après une dose d'apomorphine. Cette drogue n'a aucune fonction sédative et ne produit pas d'accoutumance. Aucun cas d'accoutumance à l'apomorphine n'a jamais été enregistré ; néanmoins, à cause d'associations purement verbales, cette drogue a été placée sous la loi Harri-son des narcotiques, et elle est rarement prescrite dans ce pays. L'apomorphine est une drogue unique, en ce qu'elle agit comme un régulateur du métabolisme qui stabilise mais ne stérilise pas l' expérience de l'élargissement de la conscience, En conclusion, les drogues sédatives diminuent conscience, et exigent généralement une aug-mentation de dose pour maintenir cet état conscience diminué. Les drogues élargissant la conscience augmentent la sensibilité, et cet état peut être une acquisition permanente. Il est malheureux que le cannabis, qui est certainement une des drogues hallucinogènes les plus sûres, soit sujet aux sanctions légales les plus lourdes. Sans aucun doute, cette drogue est très utile à l'artiste car elle active des chaînes d'associations qui seraient autrement inaccessibles. Je dois beaucoup de scènes du Festin nu directement à l'emploi du cannabis. Quant aux opiacées, qui réduisent la conscience de l'environnement et des processus corporels, elles ne peuvent être qu'un obstacle pour l'artiste. Le cannabis sert de guide des régions psychiques qui peuvent être ensuite retrouvées sans lui. Moi-même, actuellement, j'ai cessé d'employer le cannabis depuis quelques années, et je 94 suis capable d'obtenir les mêmes résultats par des moyens non chimiques : clignotement et musique dans des écouteurs, par découpage et pliage de mes textes, et surtout par l'entraînement à penser par blocs d'associations plutôt que par mots. La prise du cannabis, comme celle de tous les hallucinogènes, peut être arrêtée lorsque l'artiste est familiarisé avec les régions ouvertes par la drogue. Le cannabis, s'il est pris en grande dose, crée parfois de l'angoisse, mais celle-ci peut être rapidement soulagée par l'apomorphine. Il me semble que le cannabis et les autres hallucinogènes donnent une clef des processus créateurs, et qu'une étude systématique de ces drogues ouvrirait la voie à une méthode non chimique de l'élargissement de la conscience. — Les hallucinogènes ne sont-ils pas, pour les pays alcooliques de l'Occident, un danger pour leur système plus qu'une menace physique, comme on voudrait le faire croire ? — L'opposition officielle aux drogues, comme je l ' a i dit, est ambiguë. Elle condamne les drogues comme un danger pour l'autorité, mais les drogues sont-elles un réel danger pour l'Etat ? Un drogué 5 st-jl dangereux ? Oisif, peut-être, mais l'Etat n'a pas besoin de travailleurs ; au contraire. Le dro-gué est-il un fauteur d'émeutes ? Je crois que l'opposition officielle aux drogues est une feinte, que toute la politique du Département Américain des Narcotiques, ainsi que celle des pays qui la suivent (comme l'Angleterre qui suit servilement le mauvais exemple de l'Amérique, comme le ferait une république à bananes), est expressément conçue pour répandre l'emploi de la drogue, et pour créer simultanément des lois inavisées contre son emploi. Ainsi, la jeunesse est conduite délibérément dans des voies en cul-de-sac et à partir de ce moment, elle est déclarée criminelle par les lois du Congrès ou du Parlement. Ce jeu d'échecs élémentaire met dans un camp de concentration de criminalité l'opposition potentielle, affaiblie par les effets de drogues meurtrières comme la méthédrine (il n'y a absolument aucune excuse à la fabrication d'une variation quelconque de la formule de la benzé-drine), bercée dans des états malsains d'amour et d'unité avec le tout et d'acceptation de n'importe quoi par le LSD, prise dans l'engrenage de 1 héroïne, laquelle, étant illégale, accapare tout le temps de l'intoxiqué et le rend absolument inof-fensif En bref, les drogues sont pour l'Etat un excellent instrument de contrôle et il se battra avec acharnement contre la légalisation, qui mettrait en évidence cet état de fait. La russir semble avoir une position plus réaliste. Elle ne s' oppose pas à l'emploi du cannabis parce q u ' i l r e n d u n p a y s p l u s d i f f i c i l e à industrialiser. L e s d a n g e r s p h y s i q u e s e t s o c i a u x d e l ' e m p l o i d e s d r o g u e s o n t é t é confondus d'une façon désespé- rante à cause des renseignements systématique ment inexacts publiés par la presse... mensonges stupides et sinistres. Elle prétend que les morphinomanes meurent après quelques années. C'est absurde. Un intoxiqué peut vivre jusqu'à 90 ans J'en ai connu un. Leur santé générale est excellente. L'héroïne est plus nocive que la morphine mais n'a pas de résultats fatals immédiats, si le dosage reste raisonnable et si son emploi n'est pas accompagné de l'emploi de cocaïne. La presse prétend que le cannabis crée une accoutumance. Il ne crée aucune accoutumance, et aucun effet néfaste de son emploi n'a jamais été établi. Dans les pays où son emploi est généralisé, les gens le fument toute leur vie sans aucun dommage physique qui puisse être démontré, excepté ceux qui résultent du tabac auquel il est mélangé. Cependant la cocaïne, la méthédrine et toutes les variations de la formule de la benzédrine sont nuisibles pour la santé, elles sont même plus nuisibles que l'alcool. Le problème de la drogue est camouflé et comme tous les problèmes, il n'existerait pas si les choses avaient été bien conçues dès le début. Prenons comme problème type le problème de la drogue aux Etats-Unis, où l'intoxiqué est par définition légale un criminel et où la prolifération des lois d'Etats fait un crime de la vente, de la possession ou de l'emploi d'opiacées, de marijuana, de barbituriques, de benzédrine, de LSD et de nouvelles drogues constamment ajoutées à cette liste. Le tollé continuel de la presse stimule l'intérêt et la curiosité — les gens ont envie d'essayer ces drogues, de sorte qu'il y a toujours plus de drogués, plus de tollés, plus de lois et plus de jeunes gens dans les prisons, jusqu'à ce que les sénateurs se demandent d'une voix plaintive : « Voulons-nous vraiment mettre un bon pourcentage de nos jeunes gens en prison ? » Est-ce que cela est notre seule solution au Problème des narcotiques ? >> LE Département Américain des Narcotiques re-pond franchement oui. L'utilisateur de drogues est un criminel et devrait être traité comme tel : la prison est le meilleur traitement pour les intoxi-qués. Les experts déclarent que les lois doivent être le reflet de la désapprobation de la société envers l'intoxiqué. La possession d'une cigarette de came dans le Texas suffit à vous faire subir quinze ans de la désapprobation de la société reflétée dans des yeux 95 religieux et respectables. Tout essai sérieux d'appliquer réellement ce fatras de lois d'Etats et de lois fédérales entraînerait une invasion de la vie privée contrôlée par ordinateur, une terreur policière totale ; la machine policière mettrait la population entière sur l'orbite des malfaiteurs, police, emprisonnements, tribunaux, liberté surveillée et probation, jugements. Il suffirait de dire à la machine de mettre en vigueur toutes les lois par n'importe quel moyen et la machine nous amènerait au désastre d'un Etat policier contrôlé par ordinateur. Le cannabis est certainement la drogue hallucinogène généralement employée la moins dangereuse ; un grand nombre de gens en Afrique et dans les pays du Moyen-Orient le fument toute leur vie sans effets nocifs apparents. Je n'ai pas d'opinion en ce qui concerne sa légalisation en Occident. Si les médecins anglais peuvent prescrire l'héroïne et la cocaïne, ils devraient aussi être autorisés à prescrire le cannabis. Les drogues hallucinogènes les plus fortes, le LSD, la mescaline, la psylocy-bine, la diméthyltriptamine, la bannisteria caapi, présentent des dangers plus sérieux que ne veu-lent pas admettre leurs défenseurs angéliques. Les états de panique se produisent assez souvent et la mort a suivi la prise d'une "sûre" de LSD. Je me dose rappelle, lorsque je voyageais dans le Putumayo, être tombé, alors que j'étais alité à Macoa à cause d'une fièvre, sur un jeune étudiant californien si je me souviens bien, un jeune étudiant sérieux qui croyait à la télépathie lisait du Lorca avait envie d'expérimenter « la plante de l'âme », la bannisteria caapi, que les Indiens appel, lent là-bas « Yage ». Le brujo lui confectionna la même dose qu'il prenait lui-même depuis quarante ans et la donna au malheureux voyageur : un seul cri épouvantable de souffrance hideuse et il s'enfuit dans la jungle en courant. On l'a retrouvé dans une petite clairière qu'il déblayait par ses convulsions. Personne n'a porté plainte contre le brujo ; le mec de la ville a eu ce qu'il cherchait. Ce vieux type méchant et mielleux survécut pour m'empoisonner moi-même quelques années après. Pourtant, connaissant le destin de mon prédécesseur, je m'étais pourvu de six capsules de nem-butal et de vingt tablettes de codéine, une petite prévoyance à laquelle je dois peut-être la vie. Malgré cela, je suis resté paralysé dans un étau hermétique de douleur et de peur devant la hutte du brujo durant plusieurs heures. Une haute tolérance s'acquiert à l'usage et la dose journalière que le brujo employait pour stimuler son pouvoir pouvait facilement être fatale pour un débutant. Mis à part le facteur de tolérance, il y a une variation considérable de réaction d'un individu à l'autre, une dose sûre pour l'un pouvant être dangereuse pour un autre. L'emploi prolongé du LSD mène dans certains cas à une bienveillance saugrenue et malsaine — le vieux tripeur vous regarde en souriant voit toutes vos pensées vous aime et vous accepte intérieurement comme extérieurement. Sans conteste, ces drogues peuvent être dangereuses et peuvent mener à des états d'esprit déplorables. Pour améliorer l'emploi de ces drogues, je propose que des académies soient créées dans les-quelles les jeunes gens apprendraient à partir réellément... partir comme le maître zen lorsque sa flèche touche la cible dans l'obscurité... partir comme le maître de karaté lorsqu'il brise une brique avec son poignet... partir... être en état d'apesanteur... dans l'espace. Nous sommes dans l'ère spatiale. C'est le moment de voir plus loin que par le petit bout de la lorgnette de cette planète détraquée radioactive pourrie par les flics. C'est le moment de voir plus loin que ce corps animal. Souvenez-vous que tout ce qui peut être obtenu chimiquement peut l'être autrement. Vous n'avez pas besoin de drogues pour partir mais les drogues peuvent servir de raccourcis utiles à certains stades de l'entraînement. Les étudiants recevraient un cours fondamental de disciplines non chimiques, yoga, karaté, isolation sensorielle prolongée, lumière strobosco-pique, travail permanent de magnétophones pour briser les lignes d'associations verbales. Les techniques employées actuellement pour contrôler la pensée pourraient être employées pour la libérer. Avec des magnétophones branchés sur ordinateurs et des microphones ultra-sensibles adaptés au larynx, nous pourrions avoir un aperçu de la nature de la parole humaine et faire du mot un outil efficace plutôt qu'un instrument de contrôle aux mains d'une presse mal informée et mauvaise informatrice. Les techniques verbales sont maintenant employées pour obtenir des techniques d'ordinateurs Plus efficaces en vue du contrôle et de la manipu- lation des opinions, on appelle ça « la guerre de Propagande ». La CIA ne donne pas de l'argent pour rien. Elle donne de l'argent pour diriger l'opi-nion dans certaines directions. Le contrôle d'opi-nion est une opération technique qui s'étend sur de nombreuses années. D'abord une partie de la population — « préparation de section » — est 96 conditionnée à réagir aux mots plutôt qu'à leurs références. Vous remarquerez dans les périodiques subventionnés une prose curieuse et sans images. Si je dis le mot « chaise » vous voyez une chaise. Si je dis « la somnolence coexiste avec la suffisance en soi ambivalente d'un totalitarisme inavoué », vous ne voyez rien du tout. C'est du conditionnement verbal pur pour que le lecteur réagisse aux mots. Les « formations » ainsi conditionnées réagiront alors aux mots d'une manière prévisible. La « préparation » conditionnée est imperméable aux faits. Le but de l'entraînement de l'académie est précisément la libération de l'opinion, les étudiants étant conditionnés à regarder les faits avant de formuler un ensemble de mots. L'entraînement initial aux méthodes non chimiques d'élargissement de la conscience durerait au moins deux ans. Pendant cette période l'étudiant devrait s'abstenir d'employer toute drogue l'alcool y compris étant donné que la santé physique est fondamentale pour la diminution des perturbations mentales. Après l'entraînement de base l'étudiant serait préparé à des voyages de drogue afin d'atteindre les régions difficiles à explorer par d'autres moyens au stade actuel de nos connaissances. Le programme proposé est essentiellement une désintoxication de la peur intérieure et du contrôle intérieur, une libération de la pensée et de l'énergie pour préparer une nouvelle génération à l'aventure de l'espace. Si de telles possibilités leur étaient ouvertes, je doute que les jeunes gens auraient encore envie de drogues destructrices. Souvenez-vous que sur cette terre où Boot s est ouvert toute la nuit la came vous retient dans une chair de camé, et vous ne pouvez voyager dans l'espace avec un scaphandre de came. Le problème de ceux qui sont intoxiques meure. Les intoxiqués ont besoin d'un traitement médical et non de prisons et de prières. J'ai sou-vent parlé du traitement apomorphine comme de la méthode la plus rapide et la plus efficace pour soigner les intoxiqués. Des variations et des synthèses de l'apomorphine pourraient produire une drogue miracle pour la désintoxication. La drogue lomotil, qui produit une réduction importante du besoin d'opiacées, sans créer elle-même d'accoutumance, pourrait être utile. Une cure sans douleur en résulterait certainement après expérimentation. Ce qui fait qu'une cure marche est que le désintoxiqué découvre quelque chose de mieux à faire et se rend compte qu'il n'aurait pas pu le faire en état d'intoxication. Les académies du genre de celles que j'ai décrites donneraient aux jeunes gens quelque chose de mieux à faire et réduiraient le problème de la drogue à l'insignifiance. — Votre réponse semble indiquer que la législation anti-drogue est plus dangereuse que la drogue. Est-ce bien votre opinion ? — Oui, certainement. Que se passerait-il si les lois anti-drogues étaient appliquées à la lettre ? Que se passerait-il si toutes les lois étaient vraiment appliquées à la lettre ? Mettez à exécution la loi dans ses moindres détails :... Toutes les lois des E.U. :... Arrêtez tous les contrevenants de toute loi écrite dans vos codes :... Arrêtez tous les contrevenants sans respecter ni la race, ni la couleur, ni la religion, ni la richesse ou le position... " La Police Chose nous a refaits. Magne-toi Joe ». Harry Browers, 52 ans, était propriétaire et gérant d'un hotel. C'était un bon homme d'affaires qui gardait ses livres parfaitement en ordre. Par une chaude Journée de juin à Saint-Louis un jour comme tous les autres il prenait à la cafétéria Waldorf son petit déjeuner bacon œufs toasts café et il était sur le point de reprendre un café lorsque trois flics du service de la comptabilité aux épaules étroites aux yeux froids grisâtres et soufrés possédant de mauvaises dents s'assirent à sa table Brad et Greg étaient de prudentes pédales à cheveux en brosse travaillant dans un bureau gouvernemental oh rien de secret à part l'éducation ils avaient un appartement de bon goût à Georgetown un peu comme à Hampstead vous savez ils vivaient ensemble depuis quinze ans et leur liaison était plutôt platonique maintenant, ils montraient tous deux beaucoup de tact à propos des affaires de l'autre lorsqu'ils prirent leurs vacances à Tanger rien de local bien sûr ils l'avaient décidé depuis longtemps pas de bar à tapettes ils avaient des jobs à responsabilités se dirent-ils eh bien ce soir-là après trois martinis et un ragoût de bœuf préparé par Greg qui faisait la cuisine tandis que Brad rangeait tout ils avaient un programme de rotation bien entendu ils avaient beaucoup parlé de leurs relations et avaient décidé de prendre les choses en face et d'arranger leur vie commune jour après jour 97 ils l'appelaient « notre jour » selon un arrangement préétabli afin d'éviter toute friction entre eux durant l'année de travail pendant laquelle le sang-froid diminuait à cause du bannissement local de leur métier ce soir-là après le dîner alors que Brad n'en avait même pas bu deux de trop il feuilletait une nouvelle revue de culturisme... « Mais c'est moi ! » « Mon Dieu c'est moi aussi, là ! » Ils se retirèrent dans la privauté apparente de leur chambre à coucher. Jerry Wentworth était un chouette fumeur H'herbe qui avait un job dans une agence de publicité. Il possédait une chouette piaule insonorisée avec hi-fi et un mince mannequin pour sa présence je ne risque pas ma peau pour le légaliser je préfère avoir mon job et mon appartement. Eh bien un soir au beau milieu d'Oignons Verts « Bonsoir Harry. Je suis Joe. » L'agent montra sa plaque. « Oui Harry nous travaillons pour ce gouvernement de cinglés. Tu paies un autre café Harry ? » L'agent montrait ses dents mortes et grises « Voilà je suis Joe Rogers du Département des Impôts et contributions et je suis ravi de faire votre connaissance ça ne me gêne pas de vous dire que quelques-uns des types les plus chics que je connaisse sont des contrevenants... les meubles du bar que vous avez vendus à l'inventaire quand vous avez fermé après la guerre... la partie de poker chez Marty's... vous jouez bien au poker n'est-ce pas Harry ?... le jour aux courses... ça monte avec les années. » L'agent jette un carnet de notes sur la table et arrête de sourire. « Dans les trente années passées, Harry, plus de dix mille dollars non déclarés sont passés à côté de vos livres de compte falsifiés. » Les agents passent froidement l'addition de leurs cafés à Harry Bowers. Des projecteurs les frappent d'un éclat argenté : « Que faites-vous là devant des gens respectables ? » La porte s'ouvre brusquement et six agents format armoire à glace forcent l'entrée de sa chouette piaule exhibant leurs plaques et leurs permis de Perquisition. Un agent ramasse un joint. « T'es au Irais pour vingt ans camé. » La mise en application des lois existantes inspirait les salons . Les Etats faisaient concurrence entre eux et à Washington pour voter les lois les 98 plus sévères... noix de muscade... pissenlits... jardins d'herbes interdites... narcotiques encore non classés... peines rétroactives... surveillance permanente de ceux qui ont été inculpés deux fois La surveillance est effectuée par ordinateurs les types étant constamment observés par télévision dans les endroits qu'on leur permet de fréquenter. Une seconde hors de l'écran et la machine délivre un mandat d'arrêt. « Qu'aucun de vous n'ait l'idée de boire une bière ou quoi que ce soit d'autre souvenez-vous que nous avons des écrans dans chaque endroit où vous pouvez vouloir aller si vous êtes corrects et honnêtes et rappelez-vous que nous avons des écrans partout sur la route la plus courte entre ces endroits-là. Alors apprenez votre parcours et restez sur l'écran. » Depuis que l'activité de la police était largement dirigée contre les narcotiques, les tricheurs aux impôts, l'obscénité et les atteintes à la morale et qu'aucun citoyen sensé n'avait envie d'approcher un poste de police, les crimes contre la personne et la propriété progressaient dans une impunité presque totale, et beaucoup de criminels vieux style se faisaient une place dans les échelons de la collaboration jusqu'à atteindre de hautes positions dans la police. Les citoyens, écrasés par l'escalade des impôts, assaillis par des détrousseurs, fouillés et interrogés par la police à chaque coin de rue, retournaient à quatre pattes dans leurs appartements dévalisés. Le programme spatial fut oublié. La défense nationale fut négligée en faveur de « la grande besogne américaine ». « Qu'arriverait-il si ce pays était attaqué ? demanda le sénateur Bradly. 90 % des jeunes gens entre 18 et 25 ans sont en prison et les 10 % qui restent sont flics. » Il fut dénoncé par la presse comme « un cœur mou avocat des pédés, des criminels et des droLa machine surchargée s'écroule. Les erreurs sont maintenant endémiques. Le locataire innocent frissonne en sachant que son sucre pourrait être de l'héroïne à 100 %. Les citoyens qui se présentent pour payer leurs contraventions de stationnement sont jetés dans des cellules de condamnés à mort tandis que la machine affolée crache au hasard des lois, des mandats d'arrestation et des condamnations... Le nombre de prisonniers augmente dangereusement... 10 millions, 20 millions, 40 millions... L'Amérique devient une coquille autour d'un noyau explosif de prisonniers rancuniers. Le sénateur Bradly se lève une dernière fois pour dire « Que Dieu nous aide ! » La Maladie Morale Américaine se répand dans les autres pays. La peur de la police assombrit la terre. J'ai écrit en 1959 : « L'infection consacrée au trafic dans l'échange des narcotiques nous a démontré une Mary Typhoïde qui répandra le problème des narcotiques jusque dans le Royaume-Uni »... Nova express... Cette même année le docteur John Dent a rencontré un médecin du Département des Narcotiques américain. Ce médecin lui a dit : « J'ai l'impression que vous autres Anglais aurez notre problème des narcotiques d'ici dix ans. » Londres 1969. Partout des chiens traîtres reni-fleurs de came entrainés maintenant à renifler le LSD, la cocaïne, l'héroïne, l'opium et les pilules de toutes sortes. Les chiens à l'aéroport qui renireniflent les touristes les chiens à la banque qui jreniflent les chèques qui fourrent la truffe dans le bas-ventre d'un vieil homme à l'East India Club ouvrant les sacs à main avec leurs dents à Fortnum's Fountain la police bloque une rue avec ses cjiens et les les citoyens sont obligés d'ouvrir leur manteau pendant que le chien les flaire de la tête aux pieds puis de retour dans leur appartement non chauffé (coupures de courant très répandues vous savez) une femme flic fouille dans la pharmacie et voudrait que le locataire explique la présence de cette seringue rectale. Un chimiste des services de la police dit carrément : « je parle pour tous les gars du labo de médecine légale : nous en avons marre des cendres, des ordures, des corbeilles à papiers, des vêtements des rideaux, des tapis, des sacs à poussières et de l'eau prise dans les W.-C, déposés dans les laboratoires de médecine légale. Nous avons maintenant des hangars entiers bourrés de cette merde et il nous faudra des années pour l'analyser. » Les chuchotements rancuniers éclatent en révolte ouverte. Une foule enragée attaque le ministère de l'Intérieur en criant : « MORT AUX CHIENS TRAITRES ! » A Hyde Park six chiens sont arrachés de la laisse d'une femme flic, arrosés d'essence et brûlés devant une foule immense qui applaudit. Les patrouilles de destruction attaquent la machine américaine. En 99 Amérique du Sud et en Afrique des unités de guérilleros encouragent les contrevenants de toutes les nations à les rejoindre dans des armées de libération. « Nous marcherons sur la machine policière et la détruirons partout. Nous détruirons ses archives. Nous détruirons l'organe de la machine policière qui se cache sous le nom de presse conservatrice. Tout d'un vieux film cédera au toucher. — Les e f f e t s des drogues sont-ils pires que ceux de l'alcool ? — L'alcool tranquillise le cerveau antérieur, soulageant l'angoisse et le mécontentement, et constitue certainement un facteur de la préservation du statu quo des pays occidentaux. De toutes les drogues généralement utilisées, l'alcool possède les pires statistiques en ce qui concerne les dégâts physiques, mentaux et moraux de l'individu et de la société. Combien de crimes sont commis chaque jour par des gens sous l'influence de l'alcool, des crimes directement imputables à l'alcool, des crimes qui n'auraient pas été commis si la personne avait été sobre ? Des bagarres d'alcooliques, des meurtres d'alcooliques, des accidents d'alcooliques. Combien d'actes déplorables, stupides et ennuyeux sont dus à l'alcool ? Combien de gens sont avilis par son emploi ? Combien d'argent et de temps dépensés à cause de l'alcool ? Quelle inefficacité est causée par son emploi ou les effets de son emploi ? Et combien de maladies peuvent être attribuées directement à l'alcool ? La cirrhose du foie, les maladies de reins, l'alcoolisme, la psychose de Korsokov, les ulcères de l'estomac. Le fait que l'on puisse s'opposer à l'usage du chanvre sans s'opposer en même temps à l'usage de l'alcool dépasse ma compréhension. — L'intoxication est une prison. Est-ce que le fait d'être dominé par la drogue peut être comparé à la domination des images et des mythes créés par notre civilisation ? Est-ce pire ? ~ Il est très dangereux d'utiliser le mot « intoxication » sans précision, comme l'intoxication aux images, aux mythes, etc., bien que cela puisse se produire. L'intoxication est une chose qui produit un inconfort physique et mental aigu lorsque LA DROGUE MANQUE. Peut-être le parallèle le plus le plus proche est t'il ce que j'appellerai l'intoxication de la droiture, l'intoxication d'être dans la vérité. Un tel intoxiqué -et ils sont légion - subit un inconfort aigu si le fait d'avoir raison lui est retiré. Sans cela il n'est rien, et il ne peut pas revenir à un métabolisme normal — c'est-à-dire au fait de comprendre que le bien et le mal sont des concepts relatifs qui n'ont de signification que par rapport à une position et à un but. Je me rappelle un fasciste français qui disait : « je ne comprends pas ces dégénérés de la drogue comme William Burroughs ». (A cette époque-là je n'employais pas de drogue.) « Moi, j'ai une seule drogue, c'est l'indignation. » C'est la drogue la pire de toutes. — Comment êtes-vous venu à la drogue ? — L'intoxication est une maladie contagieuse. J'étais ami avec des intoxiqués et à partir du moment où la morphine m'était disponible, j'en ai pris de temps en temps et je suis devenu intoxiqué. — Y a-t-il beaucoup de drogués réellement désintoxiqués par les cures habituelles ? En avez-vous fait ? — Très peu d'intoxiqués sont guéris par les méthodes conventionnelles car le besoin physiologique reste comme la tête d'un ténia. Je les ai toutes essayées, les cures de désintoxication lente, les cures de désintoxication rapide, la cure de sommeil, la cortisone, les antihistamines. Aucune n'a marché. — Que représente la découverte de l'apomorphine dans votre vie ? — Le point de retour entre la vie et la mort. Je n'aurais jamais été guéri sans elle. Le Festin nu n'aurait jamais été écrit. 100 ANTI-CAME L'intoxication est une maladie métabolique et n'est pas plus un problème pour la police que la tuberculose ou l'empoisonnement par le radium. Le Département Américain des Narcotiques a insisté pour considérer l'intoxication comme criminelle en soi en appuyant plus sur la punition que sur le traitement. On nous dit que les lois sur l'intoxication doivent refléter la désapprobation de la société vis-à-vis de l'intoxiqué, c'est-à-dire causer la désapprobation de la société vis-à-vis de l'intoxiqué. Récemment, lors de l'essai de création d'un centre de traitement à Hoboken, les habitants de la localité ont jeté des pierres sur le centre en criant « Etes-vous défoncés ? » « Avez-vous apporté votre seringue ? » « Nous n'accepterons jamais d'hommes ni de femmes criminels à Hoboken ! » Lorsque j'étais au lycée dans les années 20, l'emploi d'autres drogues que l'alcool était inconnu. Lorsque je suis devenu intoxiqué par l'héroïne pour la première fois vers 1940, les intoxiqués adolescents étaient encore inconnus. Aujourd'hui la fréquence ascendante de l'intoxication chez les adolescents a conduit à une expansion des mesures de contrôle qui a donné des résultats lamentables. L intoxication est une maladie contagieuse. Les mesures sévères du Département Américain des Narcotiques, son insistance vociférante sur le fait Que 1 intoxication est un problème policier et non Pas médical, ont répandu l'infection chez les Jeunes. Entre 1920 et 1940 l'héroïne était beaucoup plus facile à obtenir pour ceux qui étaient déjà intoxiqués qu'elle ne l'est maintenant. Les trafiquants vendaient la came aux intoxiqués, et la plupart de leurs affaires venaient de la classe moyenne minable et furtive des arnaqueurs, des voleurs, des maquereaux et des prostituées. C'était un monde minable de la rue et des meublés bien éloigné des lycées. A cette époque-là, il était très facile d'entretenir une accoutumance à la morphine avec des ordonnances médicales et beaucoup de vieux escrocs itinérants employaient exclusivement cette méthode. Lorsque le Département Américain des Narcotiques, affolé par la loi de Parkinson, commença un programme d'arrestations en série et de peines démesurées pour la possession de drogues, beaucoup de ces anciens intoxiqués et de ces trafiquants furent retirés de la circulation... Quelques-uns, dégoûtés, ont lâché la profession. Même la Mafia décida qu'il y avait des moyens plus sûrs et plus faciles de gagner de l'argent. Par conséquent, toute une nouvelle génération de trafiquants naquit. Cette nouvelle génération de revendeurs dirigea ses efforts vers le marché des jeunes. Ce développement était facile à prévoir pour tout esprit lucide. Suis-je en train de dire que le Département Américain des Narcotiques a délibérément introduit l'intoxication chez les jeunes ? Savoir si quelqu'un agit délibérément ou non est à peu près aussi intéressant que de savoir combien d'anges peuvent danser sur la pointe d'une aiguille. Vous le saurez par les conséquences d'un acte, et les conséquences de ceux du Département Américain des Narcotiques sont déplorables. Cela nous mène à la possibilité de mettre en quarantaine ou de contenir l'intoxication, ce qui est le système anglais. En Angleterre un médecin peut prescrire n'importe quel montant d'héroïne Pour un patient intoxiqué, mais il ne le prescrira pas avant d'être certain de l'intoxication du patient. Puisque l'héroïne est légalement disponible pour l'intoxiqué et qu'il peut l'acheter à son prix de pharmacie, il n'a plus besoin de l'acheter au marché noir — bien que l'on sache qu'un intoxiqué peut très bien revendre une ou deux pilules de sa dose à d'autres intoxiqués. Récemment des pressions d'origine américaine ont essayé d'influencer l'Angleterre et on parle de la possibilité de changer le système actuel. Les médecins anglais sont contre ce changement, puisqu'ils savent qu'il donnera aux policiers le droit de leur dire ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas prescrire. Ce droit a été conféré depuis longtemps au Département Américain des Narcotiques et un médecin peut perdre le droit d'exercer s'il prescrit de la drogue à des intoxiqués. 101 Le prétexte de chercher des narcotiques donne aux policiers le droit de fouiller toute personne et tout logement à toute heure. Le Département exerce une influence continue pour qu'un plus grand nombre de lois antinarcotiques soient votées et pour que des peines sévères soient infligées. La plupart des lois votées sous cette influence sont vraiment très dangereuses pour notre prétendue liberté. En Louisiane et en Californie, c'est un crime sérieux d'être intoxiqué. Punir un état d'être, en dehors d actes illégaux prouvés, crée un précédent qui pourrait s'étendre à d'autres catégories de « mal-a faiteurs », y compris toute personne qui s'oppose la politique officielle. Classer toute opposition comme criminelle est bien sûr la méthode la plus simple dont use un régime fasciste pour prendre LE Pouvoir et créer une majorité. En décembre 1964, je suis retourné aux Etats-Unis et j'ai été retenu trois heures à la douane tandis que les agents des narcotiques lisaient mes notes, mes lettres et mon journal. Ne trouvant pas de narcotiques, ils m'ont alors annoncé que j'étais sujet à une amende et à l'emprisonnement pour ne pas m'être inscrit au Département en quittant le pays, et pour ne pas avoir informé le douanier de mon enregistrement comme intoxiqué. La loi qui exige l'enregistrement des intoxiqués ne s'applique qu'à ceux qui ont été inculpés pour violation, fédérale, d'Etat ou civile, de la loi sur la marijuana de 1937. J'ai été arrêté deux fois aux Etats-Unis, une fois il y a dix-sept ans et une autre fois il y a vingt ans. Je n'ai été inculpé ni dans un cas ni dans l'autre. En tout cas, cette loi fait un crime du fait d'avoir été intoxiqué. Et qu'offre le centre de traitement de Lexington dans le Kentucky ? Une cure de réduction de dix jours à la méthadone, qui produit une rechute presque totale à la première occasion, comme les médecins de Lexington l'avouent ouvertement. Le chef du département des recherches de Lexington est le docteur Isbell. Le docteur Dent, fondateur de la Société Anglaise pour l'Etude des Intoxications, n'a jamais pu l'intéresser au traitement d'apomorphine qu'il a découvert et utilisé avec succès pendant quarante ans. Je sais que le docteur Isbell a eu l'occasion de parler à deux patients guéris par le docteur Dent, et a dit au docteur Dent qu'il considérait le traitement comme « trop dangereux ». Dangereux pour qui ? Les expériences de Lexington semblent être orientées vers la détermination de la susceptibilité d'intoxication d'un chien auquel on a enlevé le cerveau ! Oui, même un chien sans cerveau peut être intoxiqué. J'aurais pu vous le dire avant que vous plantiez l'aiguille, toubib. Le traitement de Lexington consiste maintenan en une détention de six mois après la réduction initiale de dix jours par drogues substituées. Les membres du Département de la Santé Publique veulent maintenant rallonger cette période,tendant qu'une détention involontaire prolongée est nécessaire car l'intoxiqué n'a pas « envie » d'être guéri. Il est évident que les intoxiqués n'ont pas « envie » d'être guéris, puisque ce sont précisément les centres de la « volonté » qui sont accaparés par la drogue. Lorsqu'ils commencent à perdre le besoin de morphine au cours du traitement d'apomorphine, beaucoup d'entre eux ont « envie » de continuer le traitement et de ne plus toucher aux drogues. Le traitement par apomor-phine dure de huit à dix jours. Après un tel traitement, l'intoxiqué guéri constate qu'il est capable de résister à la rechute. L'apomorphine active précisément les centres de résistance. Si les agences officielles n'ont pas réussi à résoudre le problème des narcotiques, pour parler honnêtement, les agences non officielles n'ont guère fait mieux. Des centres de traitement dans lesquels les intoxiqués ne reçoivent pas d'autres remèdes que la prière sont apparus récemment. Cette approche inspirée et quasi religieuse d'une maladie métabolique est mal avisée. Il serait tout aussi logique de prescrire la prière contre la malaria. Récemment à New York, les médecins ont été autorisés à prescrire la méthadone pour le traitement de l'intoxication par l'héroïne. Les intoxiqués perdent l'envie de l'héroïne au cours de ce traitement. Pendant une période de cinq ans, us espèrent réduire la dose de méthadone. La méthadone est une opiacée plus forte que la mor-phine et tout aussi capable de créer une accoutu-ance. Dire que des intoxiqués ont été guéris de l'neroine par l'emploi de la méthadone est comme dire qu'un alcoolique s'est guéri du whisky par la consomation du gin. Si les intoxiqués perdent leur envie d'héroine, c''est parce que la dose de méthadone est plus forte que l'héroine diluée qu'ils reçoivent des trafiquants. 102 Came est un terme générique pour toutes les préparations et tous les dérivés de l'opium qui créent une accoutumance, les produits synthétiques compris. Il y a aussi des dérivés et des préparations d'opium qui ne créent pas d'accoutumance. La papavérine, qui se trouve dans l'opium cru, ne crée pas d'accoutumance. L'apomorphine qui est un dérivé de la morphine, n'en crée pas' non plus. Néanmoins en Amérique ces substances sont toutes deux placées comme narcotiques par la loi Harrison des narcotiques. Toutes les sortes de came peuvent créer l'accoutumance. Il n'y a guère de différence lorsqu'elle est injectée, prisée ou avalée. Le résultat est toujours le même : l'accoutumance. L'intoxiqué fonctionne à la came ; comme un plongeur dépend de son tuyau d'air, l'intoxiqué dépend de son tuyau de came. Lorsque sa came est retirée, il subit d'atroces symptômes de manque : yeux larmoyants et brûlants, une légère fièvre, des frissons chauds et froids, des crampes dans les jambes et dans l'estomac, des coliques, de l'insomnie, de la prostration, et dans certains cas la mort par arrêt du système circulatoire et trau-ma. Les symptômes de manque se distinguent de tous les autres syndromes de gravité comparable par le fait qu'ils sont immédiatement supprimés par l'administration d'une quantité suffisante d'opiacés. Les symptômes de manque arrivent à leur apogée le quatrième jour, puis disparaissent progressivement pendant une période de trois à six semaines. Le stade terminal de manque est marqué par une profonde dépression. Le temps nécessaire pour créer l'accoutumance varie en fonction de la sensibilité individuelle et de la force d'accoutumance de la drogue. Normalement, toute personne à 1laquelle on injecte chaque jour la valeur d'un grain de morphine pendant un mois souffrira d'un inconfort considérable si les piqûres sont arrêtées. Quatre à six mois d'emploi suffisent pour produire une accoutumance totale. En général, ceux qui peuvent obtenir de la came deviennent intoxiqués. En Iran, où l'opium était vendu ouvertement dans les marchés, il y avait trois millions d'intoxiqués. Il n'y a pas plus de personnes ayant tendance à devenir intoxiquées que de personnes ayant tendance à avoir la malaria, malgré toutes les conneries que raconte la psychiatrie. (D'après moi neuf psychiatres sur dix devraient devenir vétérinaires et leurs livres être réduits en pâte à papier.) Pour le dire clairement, la plupart des gens aiment bien la came. Ayant expérimenté une fois ce plaisir, l'organisme humain aura tendance à le répéter et à le répéter encore. La maladie de l'intoxiqué est la came. Frappez à n'importe quelle porte, et donnez à celui qui ouvre deux grains de Médecine du Bon Dieu tous les jours pendant six mois et vous aurez la prétendue « personnalité de l'intoxiqué »... un vieux camé qui vend des timbres de Noël dans North Clark Street, le « Prêtre » comme on l'appelait, minable et furtif aux yeux froids de poisson qui semblaient regarder quelque chose que les autres ne voyaient pas. Ce qu'il regardait, c'était la came. Toute la personnalité de l'intoxiqué peut être résumée en une phrase : l'intoxiqué a besoin de came. Il fera beaucoup pour en obtenir comme vous feriez beaucoup pour obtenir de l'eau si vous aviez suffisamment soif. Vous voyez, la came est une personnalité — un homme gris et minable ne pourrait être autre chose que la came un meublé une rue pouilleuse une chambre sous les toits ces marches toux le « Prêtre » se traînant parla balustrade de la salle de bain les panneaux de vois jauni les toilettes qui suintent le matériel fourré sous l'évier revenu dans sa chambre il pré pare maintenant sa piqûre ombre grise sur un mur lointain c'était moi Monsieur. J'ai pris de la came pendant presque quinze ans. Pendant cette période j'ai fait dix cures. Je suis allé à Lexington : le jour suivant ma sortie, vêtu de mon costume de banquier et portant le Wall Street Journal j'achetai du parégorique. « C'est ma femme elle euh... » « Je comprend très bien Monsieur. Voulez-vous la boîte familiale de 60 g ? » « Ma foi oui je crois. » J'ai subi des cures rapides, des cures prolongées, cortisone, tranquillisants, antihistamines et des cures de sommeil prolongées. Dans tous les cas, j'ai eu une rechute à la première occasion. Pourquoi les intoxiqués font-ils volontairement une cure puis rechutent ? Je pense qu'à un niveau biologique 11 grain = 0,064 gramme (NdT). 200 103 profond, la plupart des intoxiqués ont envie d'être guéris. La came est la mort et votre corps le sait. Je rechutais parce que je n'ai jamais été guéri physiologiquement avant de subir le traitement d'apomorphine. L'apomorphine est le seul agent que je connaisse qui expulse la « personnalité de l'intoxiqué », mon vieil ami Opium Jones. Nous étions drôlement proches, à Tanger en 1957, nous piquant chaque heure 15 grains de méthadone par jour ce qui fait 30 grains de morphine et ça fait pas mal de Médecine du Bon Dieu. Je ne changeais plus de vêtements. Jones aime que ses vêtements s'assaisonnent dans la chair rassise des meublés jusqu'à ce que vous puissiez savoir par un chapeau sur la table un manteau sur une chaise que Jones habite là. Je ne prenais jamais de bain. Le Vieux Jones n aime pas la sensation de l'eau sur sa peau. Je passais des journées entières à regarder le bout de ma chaussure et à communier avec Jones. Puis un jour j'ai remarqué que Jones n'était pas un vrai 202 ami que nos intérêts en fait divergeaient. Alors j'ai pris l'avion pour Londres et j'ai été trouver le docteur Dent feux de charbon de bois dans la cheminée fox terrier et tasse de thé. Il m'a décrit le traitement et le lendemain j'entrais à la clinique. C'était un immeuble de quatre étages dans Cromwell Road chambre au troisième étage tapissée de papier rose. J'avais une infirmière de jour et une infirmière de nuit et je recevais une injection d'apomorphine d'un vingtième de grain toutes les deux heures jour et nuit. Le docteur Dent m'avait dit que je pourrais avoir de la morphine si j'en avais besoin mais que la quantité serait faible, un douzième de ce que j'avais l'habitude d'employer, avec une grande réduction le lendemain. Or chaque intoxiqué a son symptôme spécial, celui qui le frappe le plus durement lorsqu'on lui coupe sa came. Pour moi c'est la sensation lente et douloureuse de la mort de M. Jones. Ecoutez les vieux gars de Lexington qui parlent de leurs symptômes : « Pour moi le pire c'est de dégueuler. » « Moi je ne dégueule jamais. C'est la brûlure glacée de la peau qui me fait grimper aux murs. » « Mon problème c'est l'éternuement. » « Moi je me sens enfermé dans le vieux cadavre gris de M. Jones. Aucune autre personne de ce monde que j'aie envie de voir. Aucune autre chose dont j'aie envie à part ramener M. Jones à la vie. » Troisième jour tasse de thé à l'aube miracle calme d apomorphine j'apprenais à vivre sans Jones, usant les journaux écrivant des lettres, dans la plupart des cas je ne peux pas écrire durant un mois entier et j'écris une lettre le troisième jour et je prévois avec plaisir une conversation avec docteur Dent qui n'est pas du tout Jones. L'apomorphine s'était occupée de mon symptôme spécial. Sept jours après être entré à la clinique j'ai eu ma dernière piqûre d'un huitième de grain Trois jours plus tard j'ai quitté la clinique. Je retournai à Tanger où la came était facile à obtenir à cette époque. Je n'eus pas à faire d'effort de volonté, quoi que cela veuille dire. Simplement je n'avais pas envie de came. Le traitement d'apo-morphine m'avait donné un regard long et calme sur tous les jours passés gris de came, un regard long et calme sur Mr. Jones là dans son complet noir minable et son chapeau à poils gris chair rassise du meublé yeux froids sous-marins. Je l'ai bouilli dans de l'acide chlorhydrique. Seul moyen de le nettoyer vous comprenez des couches et des couches de cette odeur grise de came et de meublé. L'apomorphine est faite avec de la morphine portée à ébullition avec de l'acide chlorhydrique, et ses effets physiologiques sont tout à fait différents. La morphine tranquillise le cerveau antérieur. L'apomorphine stimule le cerveau postérieur et les centres vomitifs. Un douzième de grain d'apomorphine injecté produit des vomissements après quelques minutes, et pendant bien des années le seul emploi que l'on ait fait de cette drogue était en tant qu'émétique dans des cas d'empoisonnement. Lorsque le docteur Dent a commencé à employer le traitement d'apomorphine, il y a quarante ans, tous ses patients étaient des alcooliques. Il mettait une bouteille de whisky près du lit et invitait le patient à boire tout ce qu'il voulait. Mais avec chaque verre le patient recevait une injection d'apomorphine. Après quelques jours il concevait un tel dégoût pour l'alcool qu'il demandait qu'on enlève la bouteille de la chambre. Au début le docteur Dent pensait que 104 cela était dû à une aversion conditionnée, puisque l'alcool était associé à une dose d'apomorphine qui produisait souvent des vomissements. Il a cependant découvert nue quelques-uns de ses patients n'avaient aucune nausée après la dose d'apomorphine. Mais ils avaient le même dégoût de l'alcool et arrêtaient de boire volontairement après quelques jours de traitement. Il a donc pensé que ses patients avaient un dégoût de l'alcool parce qu'ils n'en avaient plus besoin et que l'apomorphine agissait sur le cerveau antérieur et régularisait le métabolisme, de sorte que le corps n'avait plus besoin d'un sédatif auquel il était accoutumé. A partir de cet instant il insista sur le fait que l'apomorphine est un régulateur du métabolisme, et que c'est la seule drogue connue qui régularise un métabolisme bouleversé. L'apomorphine n'est pas un traitement par aversion. Si un programme était correctement présenté, beaucoup d'intoxiqués se présenteraient volontiers pour le traitement. Ceux qui sont volontaires pour le traitement donnent le plus d'espoirs de succès et donneront le plus de témoignages de ce succès. Si on dit à l'intoxiqué qu'il aura de la came s'il en a besoin, il est beaucoup plus disposé à subir un traitement. Après un mois on peut laisser partir les patients en leur donnant une ordonnance pour des tablettes d'apomorphine à avaler en cas de rechute. L'apomorphine ne crée absolument aucune accoutumance et aucun cas de ce genre n'a jamais été enregistré. Comme un bon policier, l'apomorphine fait son travail et s'en va. Le fait qu'il ne s'agit pas d'une drogue substituée susceptible de produire une accoutumance est crucial. Dans toute cure par réduction, l'intoxiqué sait qu'il reçoit toujours des narcotiques, et il appréhende le moment où la dernière dose sera retirée. Dans le traitement d apomorphine, l'intoxiqué sait qu'il se guérit sans morphine. Je pense que toute forme de prétendue psychothérapie est à déconseiller fortement pour les intoxiqués. Les intoxiqués ne devraient pas être amenés à se concentrer sur ou à revivre l'expérience de l'intoxication car elle conduit à une rechute. La question « Pourquoi avez-vous commencé à prendre de la drogue ? » ne devrait jamais être posée. C'est aussi hors de propos que de demander à un malade de la malaria pourquoi il est allé dans une région dans laquelle il y avait la malaria. L'apomorphine s'est montrée utile dans le traitement d'autres accoutumances et d'intoxications chroniques. Il y a des milliers d'intoxiqués par les barbituriques aux Etats-Unis, et le traitement de cette accoutumance est encore plus difficile et prend encore plus de temps que le traitement de l'accoutumance à l'héroïne. La suppression des barbituriques doit être effectuée très lentement et sous une surveillance constante, sans quoi l'intoxiqué est sujet à des crises convulsives qui peuvent causer de sérieux dommages. Les intoxiqués par les barbituriques traités par l'apomorphine peuvent être immédiatement isolés des barbituriques sans convulsions ou symptômes sérieux. Pendant la cure, les intoxiqués par les barbituriques souffrent de graves insomnies et quelques semaines peuvent se passer avant que le cycle du sommeil soit rétabli. Traités par l'apomorphine, ils dorment normalement. D'autre part, les utilisateurs des amphétamines tombent souvent dans un sommeil si lourd à l'arrêt de la drogue qu'on ne parvient pas à les réveiller pour manger. Traités à l'apomorphine, ils dorment normalement et on peut les réveiller facilement Cela nous ramène encore une fois à la valeur unique de l'apomorphine en tant que drogue normalisant le métabolisme, ce qui pourrait justifier son emploi dans d'autres domaines que celui de l'intoxication. Le docteur Feldman en Suisse a remarqué que je traitement d'apomorphine avait résolu des cas d'excès de cholestérol dans le sang. Le docteur Xavier Coor de Paris m'a dit récemment qu'il trouvait que l'apomorphine était une drogue extrêmement utile dans la pratique générale. Il prescrit l'apomorphine pour l'angoisse, le chagrin, la nervosité et l'insomnie — en bref, pour tous les états dans lesquels on donne généralement des tranquillisants et des barbituriques. C'est certainement une drogue beaucoup plus sûre puisqu'elle ne provoque pas de dangers d'accoutumance ou de dépendance. Lorsque vous prenez de l'apomorphine pour calmer un état émotionnel grave, vous avez fait face au problème, vous ne l'avez pas évité. L'apomorphine a normalisé votre métabolisme, qui est toujours perturbé par n'importe quel bouleversement émotionnel, et vous pouvez faire face aux problèmes avec calme et bon sens. L'apomorphine est enregistrée comme un narcotique aux Etats-Unis, où elle est sujette au même règlement que la morphine et que l'héroïne en ce qui concerne sa prescription et son emploi. En France et en Angleterre, l'apomorphine n'est pas sur la liste des drogues dangereuses. Une ordonnance est exigée mais elle peut être utilisée aussi souvent que vous le désirez. Il est difficile de ne pas conclure qu'un effort délibéré a été fait aux Etats-Unis pour égarer l'opinion médicale et pour minimiser la valeur du traitement d'apomorphine. Aucune variation de la formule de l'apomorphine n a jamais été fabriquée et la formule n'a jamais été synthétisée. Avec des synthèses et des variations l'effet secondaire de vomissement pourrait Probablement être éliminé, et il serait possible de mettre au point des drogues produisant de dix à cinquante fois l'action régulatrice de la préparation existante. Ces drogues pourraient abolir de la planète ce que nous appelons l'angoisse Etant donné que l'angoisse est la base fondamentale de tout système monopoliste et hiérarchique il n'est pas surprenant que l'on s'oppose sans cesse dans certains lieux malheureusement prévisibles au traitement par l'apomorphine ou par ses synthèses. — Comment avez-vous connu ce vaccin ? — J'avais été recommandé par mon médecin de Palm Beach à un médecin anglais qui à son tour m'a recommandé le docteur Dent. — Avez-vous subi plusieurs fois le traitement d'apomorphine ? — Oui. Le traitement ne garantit pas qu'une rechute ne se produise pas. Il la rend moins probable. Une rechute après un traitement conventionnel est presque inévitable. L'apomorphine peut éviter une rechute. Si un intoxiqué s'est fait plusieurs piqûres, une administration rapide d'apomorphine peut éviter une rechute complète. — Comment se fait-il qu'un vaccin apparemment aussi e f f i c a c e ne soit pas plus répandu ? — L'Association Médicale Américaine et le Département Américain des Narcotiques se sont constamment opposés à son emploi. Depuis que j'ai écrit l'article précité, j'ai reçu beaucoup de lettres d'intoxiqués et d'alcooliques qui avaient désespérément besoin et envie d'aide. J'ai répondu à ces lettres. Je cite quelques réponses : « A ma demande mon médecin de famille a essayé de trouver des renseignements supplémentaires sur cette drogue et le traitement dans ce pays. Nous n'avons malheureusement pas eu de succès. » < Les recherches que j étais sur le point d'entreprendre au sujet des anciens patients du docteur Dent n'ont pas pu être menées à bien pour diverses raisons.» L'Association Médicale Américaine semble craindre cette drogue. » Bref, des gens qui ont désespérément besoin de ce traitement ne peuvent pas l'obtenir. Vos e f f o r t s pour faire connaître l'apomorphine sont nombreux. Quelles ont été vos relations avec ceux qui seraient habilités à prescrire ce vaccin dans les hôpitaux réservés à la désintoxication ? — J'ai en effet reçu des lettres des agents de probation et des médecins engagés dans le traitement et la réhabilitation des intoxiqués. Dans tous les cas jusqu'à présent, les résultats ont été négatifs. On a fait pression sur eux, quelques-uns ont même perdu leur travail. Le docteur Isbell, qui est chef de service à Lexington Narcotics Center pour le gouvernement américain, dit que l'apomorphine est « trop dangereuse ». Dangereuse pour qui, exactement ? Dangereuse pour ceux qui veulent que l'intoxication demeure un « problème insoluble ». N'y a-t-il pas moyen de faire connaître l'apomorphine par la voie de la presse, toujours à l a f f û t d'un scandale ? ~~ Non. La presse travaille avec le Département Américain des Narcotiques pour faire de la publicité et répandre le problème de la drogue. Ce n'est pas dans leur intérêt d'arrêter cette source «articles et de diffusion par le soutien de mesures qui freineraient l'intoxication causée par es drogues et la réduiraient à un problème sanitaire mineur. Que vend la presse ? Violence, sexe et drogue. Ces sujets assurent la vente. C'est dire que les mesures efficaces pour réduire la criminalité ou l'emploi des drogues ne font pas de bons articles. — Quels sont les avis des sociétés de recherche pharmaceutiques à propos des mérites de l'apomorphine ? — Les intérêts dictent aux chercheurs en pharmacie quelles recherches ils doivent poursuivre et ces intérêts donnent aussi des ordres au Département 106 Américain des Narcotiques. Des milliards pour les variations de la formule de la benzédrine, pour des tranquillisants de valeur douteuse, et pas dix centimes pour une drogue dont les possibilités sont illimitées, non seulement dans le traitement de l'intoxication mais aussi dans le traitement de tout le problème de l'angoisse. — S'il était employé largement, le vaccin d'apomorphine serait une source de bénéfice considérable pour ces sociétés. Comment se fait-il qu'elles ne s'y intéressent pas ? — Ils n'ont aucun mal à vendre tous les produits qu'ils fabriquent, de toute façon. Souvenez-vous que l'intérêt des compagnies pharmaceutiques est la maladie. Les drogues qui détruisent la racine même de la maladie sont « dangereuses ». — Est-ce pour des raisons d'intérêt financier que le blocus existe autour de l'apomorphine ? — Des intérêts financiers et des intérêts de pouvoir. Comme je l'ai montré, les drogues sont une des armes potentielles les plus efficaces contre la révolte des groupes d'individus entre 18 et 25 ans. — L'Etat participe-t-il aux bénéfices immenses rapportés par la drogue ? Est-ce une des raisons du silence qui entoure l'apomorphine ? — Indirectement seulement. Le trafic de la drogue donne du travail à des milliers d'agents et sert de prétexte à des appropriations presque illimitées. Peut-on utiliser l'apomorphine pour soigner d'autres personnes que les drogués ? C'est sûr. Le docteur Xavier Coor, en France, déclare qu'il a constaté que c'était une des drogues les plus utiles dans la pratique générale, la prescrivant pour l'insomnie, le chagrin, la nervosité, l'angoisse générale — en bref, tous les états pour lesquels on prescrit actuellement des tranquillisants. L'apomorphine ne crée pas d'accoutumance ni aucune sorte d'habitude. On ne s'en sert que quand il faut. Elle fait son travail et se retire. — La toxicomanie se développe-t-elle rapidement à l'échelle mondiale ? — La toxicomanie augmente certainement à travers le monde occidental, c'est-à-dire dans les régions où elle était anciennement limitée à un petit nombre de cas. Par ailleurs, elle a été éliminée en Chine. Elle est probablement stationnaire dans des pays comme l'Inde et la Perse, où l'usage de l'opium a été endémique pendant des centaines et peut-être des milliers d'années. — La mescaline est-elle nocive ? —La mescaline peut être dangereuse; elle produit des nausées et peut causer une anxiété aiguë et des troubles mentaux. ~~ Considérez-vous que l'utilisation de certains hallucinogènes puisse faire prendre conscience aux niasses des problèmes fondamentaux ? — Non. Dans les pays où le cannabis est légal ou du moins est employé sans opposition des autorités, il n'y a aucune preuve d'une conscience quelconque des problèmes fondamentaux. Que se passerait-il si le cannabis était légal ? Rien d'extraordinaire. — Le fait d e fumer ou d e triper montre-t-il la vérité et fait-il paraître dérisoires les préoccupations humaines, la vanité et le comique d u pouvoir et de la propriété ? — Les drogues peuvent donner des aperçus des réalités fondamentales et de la vanité des prétentions humaines. Pourtant, ces intuitions ne sont pas nécessairement permanentes, et dans beaucoup de cas elles sont déformées. — Dans Les Lettres du yage, vous racontez les aventures qui vous ont conduit dans le Putumayo, en haute Amazonie, à la recherche du yage. Cette découverte a-t-elle été importante ? — Le yage est un des hallucinogènes les plus intéressants, et l'on a fait très peu de recherches à son sujet. — Avez-vous beaucoup écrit sous l'emprise de la drogue ? Quels résultats avez-vous obtenus ? Ces résultats peuvent-ils être rapprochés de ceux que vous avez obtenus par cut-up ? — Classer l'écriture produite sous l'influence de la drogue dans une catégorie spéciale est absurde. L'écriture est l'écriture, bonne, mauvaise, réussie ou ratée. J'ai beaucoup écrit sous l'influence du cannabis ; de nombreuses parties du Festin nu ont été écrites ainsi. J'ai souvent entendu dire que ce qui est écrit sous l'influence des drogues semble très valable à l'écrivain au moment où » le fait, alors qu'à la lecture, lorsque les effets de la drogue ont disparu, c'est un non-sens prétentieux. La même chose est vraie de toute écriture. J'ai souvent écrit sans drogue un passage que je trouvais merveilleux ; en le relisant le lendemain, à la poubelle ! D'un autre côté, certains passages écrits sous l'influence du cannabis ont résisté à l'épreuve d'une lecture critique. Certains ont résisté, d'autres non. J'ai essayé d'écrire après avoir pris de la mescaline, mais j'en ai été empêché par la nausée et par le manque de coordination physique. D'un autre côté, une fois les effets de la drogue disparus, j'étais capable de décrire les régions psychiques qui m'avaient été dévoilées par la drogue. L'amphétamine et la cocaïne sont absolument sans valeur pour l'écriture et il n'en reste rien de valable. Je n'ai jamais pu écrire une ligne sous l'influence de l'alcool. Sous l'emprise de la morphine, on peut rédiger, taper à la machine et organiser les matériaux d'une manière efficace, mais comme cette drogue diminue la conscience, le facteur de créativité est affaibli. Le Camé est le seul de mes livres qui ait été écrit sous l'influence des opiacées. Les autres livres n'auraient jamais pu être écrits si à l'époque j'avais été intoxiqué par la morphine. — Que pensez-vous des textes essayant de décrire les visions o f f e r t e s par la drogue ? — La plupart d'entre eux sont bien ennuyeux. L écrivain oublie qu'il est un écrivain ; il pense que sa vision est intéressante par elle-même, ce qu'elle n'est généralement pas. L'utilisation du magnétophone peut-elle remplacer efficacement la drogue pour briser les barrières de la conscience et étendre le champ des perceptions ? --- Oui. Des expériences comme1 celles que j'ai décrites dans The Invisible Génération prouvent vraiment des voyages et élargissent effectivement le champ de la perception... Voir Le Ticket qui explosa (NdT). Ainsi que je l'ai expliqué dans ce texte, une technique permettant d'orienter directement les pensées et de produire des événements à une grande échelle est à la portée de quiconque possède un magnétophone portatif ou dispose d'une voiture équipée d'appareils enregistreurs. L'essentiel de cette technique est la suggestion éveillée ainsi que l'a utilisée, le premier, le docteur John Dent de Londres, qui introduisit également l'utilisation de l'apomorphine dans le traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie. La suggestion éveillée, comme la pratiqua le docteur Dent : on demande au patient de lire à voix haute des passages d'un livre en concentrant dessus son attention comme s'il avait à lire ce texte à une personne imaginaire qui serait assise en face de lui. Le docteur se tient debout derrière le patient et répète, à un degré vocal équivalent, certaines suggestions convenues à l'avance entre eux... (« Vous pourrez dormir. Vous ne vous remettrez pas à boire. » Etc.) Le patient, qui lit à haute voix et concentre son attention sur cette lecture, n'entend pas consciemment ces suggestions. C'est la raison pour laquelle elles entrent en prise directe avec son inconscient ou son esprit réactif. I l ne s'agit pas là de suggestion subliminale. Subliminal signifie inférieur au seuil conscient de vision et d'écoute. Même si le sujet concentrait toute son attention sur la source du son ou des images subliminales, il ne pourrait pas voir ni entendre quelque chose consciemment. La suggestion éveillée consiste en des sons ou des images qui ne sont pas enregistrés consciemment, puisque l'attention du sujet est ailleurs. Si cette attention était tendue vers la source, il pourrait la voir ou l'écouter d'une façon immédiate. La suggestion éveillée et non subliminale est la technique utilisée pour repasser des bandes magnétiques pré-enregistrées dans la rue, les coc tails, les bars, les gares, les aéroports, les parcs, je métro, les meetings politiques, les entractes, etc. Les gens n'entendent pas consciemment ces suggestions enregistrées parce que leur attention est fixée sur autre chose : ils traversent la rue, vont prendre un train, tendent l'oreille à l'appel des hôtesses, écoutent de la musique, regardent la télévision, bavardent avec des amis. Le volume de la diffusion est adapté sur celui des bruits de la rue, des conversations, etc., et une bande de suggestion bien montée aura enregistré des bruits de rue ou tout ce qui concorde avec la situation de l'expérience. 108 Une bande suggestive est bien plus efficace si elle comporte des ordres contradictoires. Par exemple « rester ici aller là ; s'arrêter partir ; faire une chose immédiatement la remettre à plus tard ; tourner à droite tourner à gauche ; rester sortir ; ralentir accélérer ; permis interdit ; avoir raison avoir tort ; être présent pour le présent, être absent pour le passé l'avenir ; se dépêcher attendre etc. » Ces ordres sont imposés constamment par l'environnement. Si la bande comporte par exemple les phrases : « Regardez cette lampe en face de vous. STOP... Restez ici Allez là-bas... », et qu'on la diffuse derrière des personnes qui attendent à un feu rouge, elles sont obligées d'obéir à la suggestion que vous lancez- Plus encore, les ordres contradictoires au niveau inconscient produisent un moment de désorienta-tion pendant lequel vos suggestions font effet. Les bandes qui contiennent des ordres contradictoires ont plus de force que celles qui n'en contiennent pas. Les bandes insultantes entrecoupées de commandements contradictoires sont particulièrement efficaces. On obtient des résultats en diffusant constamment des bandes préparées avec soin. Tous les trucs sur magnétophone sont utiles : chambres d'échos pour les gares et les aéroports, superpositions, accélérations, décélérations, oscillations etc. Obtenir des résultats est affaire de persévérance et d'expérimentation. Pour en obtenir à large échelle, utilisez une voiture diffusant vos bandes de suggestions sur des rengaines populaires et des bruits de rue. Certains effets ne peuvent être obtenus qu'à pied. Lorsque l'enregistrement est chargé d'insultes, l'opérateur a intérêt à quitter les lieux rapidement. — Pour vous, la drogue est le problème médical le plus important de notre époque, et vous dénoncez sans cesse son horreur. « Tout ce qui peut être obtenu chimiquement peut l'être autrement. » — En ce qui concerne les méthodes non chimiques d'élargissement de la conscience, j'ai déjà décrit quelques expériences de magnétophones. Comme réponse additionnelle à cette question, voici un article de Mr. Brion Gysin sur la Machine à Rêver, et deux de mes articles, le premier sur l'usage de l'écriture hiéroglyphique intitulé Scribe Street, et le second intitulé Comment devenir Humphrey Bogart. La Machine à Rêver, mise au point par Brion Gysin et Ian Sommerville, est un cylindre perforé qui tourne rapidement autour d'une source lumineuse en produisant un « clignotement » stroboscopique sur les paupières fermées du spectateur. Le « clignotement » a un rythme bien établi qui produit un changement fondamental dans les rythmes « alpha » ou rythmes d'enregistrement du cerveau comme l'ont montré les recherches de l'électro-encéphalographie. Les sujets rendent compte de lumières éblouissantes d'un éclat et d'une couleur extraterrestres, qui se développent en magnitude et en complexité de formes aussi longtemps que dure la stimulation. Lorsque le clignotement est synchronisé avec les rythmes alpha du sujet il voit des régions étendues de formes colorées qui se développent dans le champ visuel complet, 360 degrés de vision hallucinatoire dans laquelle apparaissent des constellations d'images. Des constructions géométriques élaborées d'une complexité incroyable se forment à partir d'une mosaïque multi-dimensionnelle à l'intérieur de boules de feu vivantes comme les mandalas du mysticisme oriental ou se résolvent momentanément en images apparemment individuelles et en scènes d'une grande puissance dramatique comme des rêves de couleur vive. Nos ancêtres ont vu des créatures dans la disposition apparemment inorganisée des astres. Il a été démontré par des expériences de perception de points blancs distribués au hasard sur un écran que l'homme a tendance à trouver des formes et des images où objectivement il n'y en a pas : son processus mental forme ce qu'il voit. Les rythmes alpha, 13 environ par seconde, sont notre vitesse de perception qui peut varier d'un individu à l'autre, selon l'âge et peut-être selon la culture. Ils sont les plus élevés lorsque le cerveau est inoccupé, à la recherche d'un modèle qui peut être auditif, se déplaçant à la vitesse du son, ou visuel, se déplaçant à la vitesse de la lumière. Les sons rythmés, les films et la télévision imposent des rythmes extérieurs au cerveau, alternant les ondes du cerveau qui autrement auraient été pour le moins aussi uniques que nos empreintes digitales. Il est tout à fait possible que les enregistrements 109 électro-encéphalographiques d'une génération de spectateurs de télévision soient semblables ou même identiques. Une société orale, se déplaçant à la basse vitesse du son, pourrait fonctionner dans l'obscurité. Au commencement était le Verbe et le Verbe s'est fait chair dans l'obscurité, mais, avec l'invention de l'écriture sous toute forme, la lumière fut nécessaire pour voir l'image qui devint une autre forme de prolifération dont la limite est la vitesse de la lumière. La seule et unique chose qui ne puisse être enlevée de l'image est la lumière — tout le reste peut être entièrement transformé ou peut disparaître. Le changement est une fonction du nombre, et aujourd'hui à l'âge électronique, notre seule constante intéressante est 300 000 km à la seconde, la vitesse de la lumière, qui laisse loin derrière elle la vitesse de l'électricité. Le mot va donc à sa vitesse la plus lente, lorsqu'il est parlé, à 38 m/seconde ; à la vitesse du son à sa rapidité maximale lorsqu'il est vu ou projeté comme une image à la vitesse de la lumière. Mais nos rythmes alpha ou rythmes de parcours du cerveau ; sont ; affaiblis durant la pensée intensive, yeux ouverts, lors de l'étude de dessins, et sont le plus lent pendant la lecture qui est le déchiffrage d'une série de dessins signifiants. Le « clignotement » est une expérience - limite provoquée par l'altération de la vitesse de la lumière pour adapter l'étendue maximale de nos rythmes alpha. Le « clignotement » crée une multiplicité éblouissante d'images dans des relations changeant constamment, ce qui rend les assemblages et les collages du prétendu art « moderne » retardés et stériles. L'histoire de l'art ne se crée plus. L'histoire de l'art comme énumération d'images individuelles a cessé avec l'introduction directe de la lumière comme agent principal de la création d'images qui sont devenues infiniment variées, complexes et omniprésentes. La comète est la Lumière. 110 SCRIBE STREET Bulletins Fondamentaux de l'Académie formulés en 1899 : « La coéducation n'est pas l'éducation. Il n'y a pas d'académies de coéducation. » « Les étudiants ne doivent jamais être réveillés par des sons bruyants et discordants. La musique peut être employée pourvu qu'elle ne soit pas trop forte ou alors un étudiant est délégué pour réveiller les autres étudiants de sa section. » « Un étudiant qui entreprend simultanément l'étude d'une grande variété de sujets sans rapports les uns avec les autres n'acquerra une connaissance utile d'aucun. Il faut étudier un sujet à la fois jusqu'à ce qu'il soit compris et maîtrisé à fond dans la théorie comme dans la pratique. Aucun sujet ne peut être étudié avant que l'étudiant ne possède les outils nécessaires et qu'il ne sache s'en servir. Le premier outil dont l'étudiant doit apprendre l'emploi est son propre corps. Dans le cours de base on insiste sur les exercices physiques car le contrôle du corps mène à celui de l'esprit. » « Tous les étudiants apprennent une écriture hiéroglyphique simplifiée et s'entraînent à cette écriture dès leur inscription. Les étudiants apprennent à lire et à écrire cette écriture et parlent en translittération d'icelle. Le but est le déconditionnement des réactions verbales automatiques de 'étudiant en lui apprenant à penser en images. L étudiant apprend à regarder avant de parler. Lorsqu'il aura appris à utiliser les mots au lieu d'être utilisé par eux la maîtrise de tout autre sujet deviendra facile. » Extraits d'un journal d'étudiant : 17 septembre 1969... « Je fus réveillé à 6 h 30 par des sifflets de train. Il y a un certain nombre de sons enregistrés sur magnétophone destinés à cet usage Nous nous levons nous nous lavons nous nous habillons puis nous nous rendons au gymnase où nous passons une demi-heure à faire des exercices de karaté. L'instructeur insiste pour que chaque exercice soit connu à fond avant de passer au suivant et comme certains de nous apprennent plus vite que d'autres la classe de karaté est divisée en plusieurs sections. Après le petit déjeuner et après une période de lecture d'une demi-heure nous nous rendons à l'étude. Il y a six étudiants par groupe. L'instructeur nous donne à chacun un exemplaire du bulletin suivant : Bulletin « Scribe Street » : Vous allez apprendre une écriture simplifiée dérivée du système hiéroglyphique égyptien. Le but de cette écriture est de vous donner l'habitude de penser en images sans mots puis de translittérer cela en formules verbales arbitraires. Des sons de voyelles sont arbitrairement insérés pour former des mots prononçables et cela constitue le langage parlé que vous apprendrez également. En 1959 Mr. Brion Gysin a dit « J'ai trouvé le moyen d'effacer les mots. » Il s'agissait d'une substitution de symboles arbitraires de la machine à écrire — (°/o & " : ... 7) aux mots d'une phrase et de la permutation subséquente de ces symboles. En poussant le postulat de Mr. Gysin plus loin nous devons examiner les questions de grammaire et de structure. Par exemple prenez la phrase suivante : « Vous (pluriel) dites votre nom à ce scribe. » En tant que phrase française, un certain nombre de permutations sont possibles et elles gardent à la phrase tout son sens::::: « Dites votre nom à ce scribe, vous. » « Vous dites à ce scribe votre nom. » « A ce nom vous dites votre scribe. » « A ce scribe votre nom dites-vous. » « Vous dites à ce nom votre scribe. » etc. Maintenant considérez cette phrase écrite en hiéroglyphes égyptiens simplifiés : Une phrase dans une langue composée d'images est une déclaration d'événements dans un certain ordre temporel. L'ordre des mots est fixe puisque le sens d'une langue composée d'images dépend des juxtapositions et de juxtapositions qui ne changent pas. En permutant cette phrase vous n'en tirerez pas de significations nouvelles ou modifiées. Vous n'en tirerez ni signification ni sens. Le pronom vous est ici un pronom suffixe et ne peut jamais venir avant le verbe. L'objet nom suit le pronom et est suivi par le pronom suffixe génitif votre (littéralement de vous). L'adjectif démonstratif ce comme il est employé ici doit toujours suivre le nom auquel il se rapporte. Si 111 vous permutez la phrase et la montrez à une personne lisant les hiéroglyphes elle en conclura simplement qu'elle est en train de lire une liste de mots sans rapports entre eux. L'ordre des mots est la signification. Admettons maintenant que nous développions une écriture composée d images dessinées de manière à produire les événements décrits — les dits « Livres Tableaux ». il est évident que les mêmes considérations s'appliqueraient et que toute altération dans l'ordre des symboles en détruirait l'intention : les événements ne se passeraient pas ou se passeraient différemment. Il alla au coin à 16 h. = & = + : 16 h. Toute modification de l'ordre des symboles en altérera le sens c'est-à-dire ne le mettra pas au coin dont il s'agit à 16 h. I l alla lui donne un choix. Au doit avoir la signification de direction. Coin pourrait le faire atterrir ailleurs. 16 h doit achever la phrase pour indiquer son arrivée à cet endroit-là à ce moment précis. Les systèmes de contrôle égyptien et maya étaient fondés sur le fait que seule la classe régnante savait lire la langue écrite. Nous pouvons supposer que le système de contrôle actuel que nous avons l'intention de renverser est précisément fondé sur la même idée : seule l'élite écrite par elle-même a accès aux « Livres Tableaux ». Les phrases de contrôle que l'on met dans les revues, les journaux et les chansons populaires correspondent précisément à un langage secret d'images. Pour cette raison un certain ordre des mots est essentiel dans ces phrases de contrôle. L'intention de la machine de contrôle est évidemment de conserver le plus grand écart possible entre le mot et la chose à laquelle il se rapporte afin de distraire l'attention des « Livres Tableaux » d'infé-rence. Il est remarquable que la grammaire des virus ait le même ordre inaltérable. Voici le cycle d'action d'un virus de la grippe : exposition — (ACHOUM) — : : : sujet susceptible : : : accro-chement du virus à la couverture de la cellule : : : accrochement sur d'autres cellules : : : réplica-tion à l'intérieur de la cellule : : : réplication à l'intérieur des autres cellules : : : décharge des autres cellules : : : décharge du sujet pour s'attaquer à un autre sujet susceptible. Toute modification ou permutation de cet ordre fait perdre l'intention : l'infection n'a pas lieu ou s'arrête. Mr. L. Ron Hubbard nous a donné une excellente définition de la communication : cause, distance, effet avec intention, attention et duplication. D'une façon plus complète : « La communication est la considération et l'action de propulser un signal ou une particule d'un point de départ à travers une certaine distance jusqu'à un point de réception avec l'intention d'y créer une réplique du signal de départ. » En appliquant cette définition on verra que le virus a atteint une précision dans la communication spécifique d'une réplique du signal de départ qui est de beaucoup en avance sur le discours humain. Cette précision dépend d'un ordre rigide et sans variation de programme au niveau cellulaire. Vous étudierez le langage du virus en détail dans un cours futur. Pour abolir de votre système nerveux l'effet d'une formule verbale, et toute aberration est fondée sur des formules verbales, vous n'avez qu'à mettre les mots en hiéroglyphes puis permuter l'ordre des symboles. Pourtant, cette opération ne réussira pas si vous ne possédez pas une connaissance totale d'une langue d'images. Maintenant, regardez encore une fois la phrase. Dites vous nom votre à scribe ce Lisez-la plusieurs fois jusqu'à ce que vous identifiiez les symboles aux mots. Couvrez la traduction française. Vous verrez que vous pouvez lire maintenant sans paroles intérieures. Vous verrez aussi, bien que l'ordre des symboles soit comme en français de gauche à droite, que vous n'êtes Pas obligé de les lire symbole par symbole de gauche à droite. En fait vous pouvez lire la phrase en bloc en voyant le début et la fin de la phrase en même temps. Une fois que vous aurez appris une langue d'images vous saurez lire beaucoup plus rapidement. En fait vous serez capable d'absorber une page entière en quelques secondes... » On nous ordonna de lire ce bulletin plusieurs fois jusqu'à ce que nous ayons la certitude de savoir ce qu'il signifiait et de chercher dans le dictionnaire tous les mots que nous 112 ne comprenions pas. L'instructeur nous donna à chacun un exemplaire de l'alphabet. « Portez cela sur vous et étudiez-le à vos moments oisifs. En apprenant des matières par cœur trente expositions d'une minute valent plus que trente minutes d'étude continue. La mémoire n'est pas une affaire d'efforts. Les premiers glyphes que vous étudierez seront les commandements des exercices que vous ferez cet après-midi. Levez-vous. Allez vers cette chaise. Asseyez-vous. Enlevez vos chaussures. Enlevez vos chaussettes. Levez-vous. Enlevez votre chemise. Mettez-la sur le dossier de la chaise. Enlevez votre pantalon. Pliez-le sur la chaise. Enlevez votre slip. Mettez-le au-dessus du pantalon. Remettez votre slip. Remettez votre chemise. Remettez votre pantalon. Asseyez-vous. Remettez vos chaussettes. Remettez vos chaussures. Levez-vous. Allez vers cette chaise. Asseyez-vous. » L'instructeur écrivit ces phrases en glyphes et en translittération sur le tableau noir, et les y laissa trente secondes. Puis il demanda à chacun d'écrire la phrase en glyphes et en translittération. Il parcourut les phrases plusieurs fois. Cet exercice dura quatre heures avec une pose de quinze minutes. A la fin de la période d'étude on nous donna à chacun une chemise, un pantalon, des chaussures, des chaussettes, un slip, chaque chose marquée des glyphes correspondants : ma chemise, mon pantalon, etc. On nous ordonna de nous rendre vêtus de ces vêtements à la période de lecture qui suit le déjeuner. En nous rendant à la salle d'étude nous reçûmes un autre bulletin : Bulletin « Mettez une chemise propre et sortez » . : : Vous allez maintenant apprendre à vous habiller et vous déshabiller. Il est possible que vous croyiez le savoir déjà. Il est probable que vous ne le savez pas. Vous avez peut-être entendu parler de l'homme dont parle Lord Chesterfield dans ses lettres qui s'est suicidé parce qu'il ne pouvait pas supporter de s'habiller et de se dés-habiller de se laver et de se raser. Ce n'est pas la monotonie de ces opérations qui l'a tué. C'est le fait qu'il ne les exécutait pas correctement. Toute action que l'on n'exécute pas correctement devient de plus en plus douloureuse. Il n'exécutait pas ces simples actions correctement parce qu'il n'était pas là. Il considérait ces actions comme étant sans importance aussi pensait-il à autre chose lorsqu'il les exécutait. Lorsque vous faites une chose en pensant à quelque chose d'autre, vous ne la faites pas correctement. Voilà la raison pour laquelle vous mettez vos chaussures et vos chaussettes d'une manière maladroite. Voilà pour-quoi vous laissez votre chemise à moitié bouton-née pour chercher votre cravate ou vos boutons de manchettes. Voilà pourquoi vous errez dans le couloir avec une chaussure qui manque pour regarder s'il y a du courrier. En vous habillant comme dans toute autre opération achevez toujours un cycle d'actions. Quand vous avez com-mencé à boutonner votre chemise, finissez de la boutonner. On vient de vous enseigner des exercices de karaté et de vous faire exécuter des mouvements auxquels vous n'êtes pas habitués. Comme vous l'avec remarqué c'est très douloureux au début. Bientôt vous saurez faire ces exercices sans effort et avec beaucoup de plaisir. Quand vous étudiez une nou-velle discipline vous vous rendez compte de la né-eessité de concentrer votre attention sur ce que vous êtes en train de faire. Pourtant, des actions comme celle de s'habiller que l'on exécute tous les jours, sont souvent maladroitement exécutées précisément parce qu'elles semblent être sans' importance et que vous pensez savoir les faire et elles deviennent de plus en plus douloureuses et monotones. C'est pourquoi les gens qui peuvent exécuter des gestes exigeant une coordination assez difficile perdent leur équilibre en mettant leur pantalon, se coupent en se rasant, écrasent leur chapeau en sortant d'un taxi. Le temps présent devient ainsi insupportable. Pourtant, une action correctement exécutée sans mouvements gaspillés et avec l'utilisation exacte de l'effort nécessaire ne cause jamais de douleur. Mettez un nombre d'objets de divers poids sur une table. Soulevez-les un par un. Remarquez que vous êtes obligés de faire plus d'efforts pour soulever les objets les plus lourds. Ne faites exactement que l'effort exigé par chaque objet. Votre pantalon est plus lourd que votre chemise. N'utilisez pas la force exigée pour ramasser un pantalon lorsqu'il s'agit de ramasser une chemise. Si vous faites cela, vous utilisez une force arbitraire sans considération de l'objet lui-même. Ne ramassez pas votre pantalon avec la force que vous emploieriez pour une chemise. Il vous tomberait des doigts. Vous avez déjà achevé un cours à l'Académie de Scientologie. Vous reconnaîtrez ces exercices comme des extensions de ceux que vous avez déjà étudiés, lesquels étaient destinés à vous mettre en contact avec les objets qui vous entourent et à vous apprendre à contrôler ces objets et à contrôler les mouvements et les intentions de votre propre corps. » Après avoir lu le bulletin, et que l'instructeur se fut assuré que nous l'avions compris, on nous ordonna d'aligner six chaises contre un mur et six contre le mur d'en face, chaque étudiant face à une chaise vide. L'instructeur donna chaque commandement en translittération des 113 glyphes en même temps que chacun apparaissait sur un écran de télévision. « Etudiant 1, levez-vous. Allez vers cette chaise. Asseyez-vous sur cette chaise. Enlevez vos chaussures. Enlevez vos chaussettes. Levez-vous. Enlevez votre chemise. Mettez votre chemise sur la chaise. Enlevez votre pantalon. Mettez votre slip. Remettez votre chemise. Remettez votre pantalon. Asseyez-vous. Remettez vos chaussettes. Remettez vos chaussures. Levez-vous. Allez vers cette chaise. Asseyez-vous. Etudiant 2 », et ainsi de suite. Les ordres et les suggestions que nous n'avions pas appris en glyphes étaient donnés en anglais : « Ne cherchez pas la vitesse. Cherchez la précision. Pas de mouvements gaspillés. Pas de maladresses. Achevez chaque cycle d'actions. Prenez contact avec chaque vêtement. Faites qu'il soit à vous. Identifiez-le à son symbole. Faites-lui faire ce que vous voulez qu'il fasse. » Après nous être déshabillés et rhabillés plusieurs fois en suivant les ordres de l'instructeur on nous dit de recommencer le cycle sans attendre les ordres afin que nous soyons dans un mouvement continu. Nous avons passé une semaine aux exercices d'habillage et de déshabillage en ajoutant des vêtements supplémentaires, vestes, cravates, chapeaux, écharpes, manteaux, pulls, toujours en apprenant le glyphe pour chaque chose et chaque opération à exécuter en glyphes et en translittération. Après la première semaine les vêtements semblaient glisser sur le corps de leur propre volonté. J'étais capable de m'habiller et de me déshabiller avec une adresse et une rapidité incroyables. Les exercices s'élargissaient. Nous Puions les vêtements et nous les mettions dans 114 des tiroirs ou sur des rayons. Nous vidions les sacs à linge, faisions des listes de linge, remettions le linge, vidions le sac à nouveau et faisions de nouvelles listes. Nous faisions et défaisions des lits. Nous remplissions et vidions des valises. Nous exécutions une variété d'actions en série, employant clefs, passeports, montres, portefeuilles, tickets, valises. Lorsque les actions devenaient plus complexes nous écrivions en glyphes et en translittération l'ordre précis des actions exécutées. Nous avons créé des faux restaurants dans lesquels les étudiants étaient les serveurs, les clients et les caissiers. Nous apprenions à manier l'argent et à faire de la monnaie. Pour l'entraînement, les caissiers et les serveurs étudiants essayaient toujours de prendre trop d'argent ou de ne pas donner la monnaie exacte. « Ne permettez jamais que l'on vous fasse payer trop ou qu'on vous vole sur la monnaie. La défaite générale dans la vie est le fait de beaucoup de petites défaites. » Au bout de deux mois nous pouvions penser exclusivement en glyphes et parler en translittération. Les mots que j'emploie maintenant se rapportent aux objets réels et aux opérations que j'ai contrôlées et rendues miennes. Maintenant nous sommes prêts à des exercices plus poussés. Nous apprendrons à écrire les actions d'une journée entière en glyphes et à les exécuter avec précision. Nous apprendrons à confondre nos adversaires en leur parlant un banal langage « amical » tout en pensant en glyphes hostiles et injurieux et en communiquant ces images aux ennemis. » 115 COMMENT DEVENIR HUMPHREY BOGART La scène représente une salle de projection face à un écran un auditoire de douze hommes froids et impassibles dans de profonds fauteuils de cuir. B. J. est assis à la droite de l'estrade face à un panneau de contrôle. Il peut voir à la fois l'estrade et les spectateurs. « C'est le truc le plus fantastique dans le business du spectacle depuis que le Vieux sortit Eve d'Adam et juste sous notre nez depuis la première lanterne magique. » Un jeune homme apporte une chaise sur l'estrade et se place devant l'écran face aux spectateurs. Une photo en couleurs de Jesse James projetée sur son visage est réglée pour qu'elle s'y adapte exactement. « Vous voyez ce que je veux dire ? Une image projetée sur la chair est la chair. Donnons maintenant un peu de fond à J. J. » Sur l'écran reconstitution d'une chambre de ferme du Missouri en 1882 la Mort de Stonewall Jackson sur le mur. L'image est poussiéreuse. « Ce que vous venez de voir se fait avec deux lanternes magiques l'une projetée sur le visage de l'acteur et l'autre sur le deuxième plan... les images fixes montrent l'application la plus simple. » Stonewall Jackson, Daniel Boone et Daniel Webster suivent Jesse James sur l'estrade. « Vous parlez d'imiter les grands Américains... Maintenant un film parlant en couleurs. » Un autre jeune homme apporte une chaise sur l'estrade et s'assied face à l'écran. Ils sont de la même grandeur et de la même stature et portent les mêmes complets blancs. L'un est blond l'autre brun. « Je suis Joe » dit le blond. « Je suis John » dit le garçon brun. Une photo en couleurs de John est projetée sur Joe. Le visage dit « Je suis John ». Une photo en couleurs de Joe est projetée sur John. Le visage dit « Je suis Joe ». « Ce que vous voyez et entendez maintenant est un film et une bande-son préenregistrée. Les acteurs ne parlent pas dans cette séquence. » Maintenant Joe et John changent lentement de place. « Remarquez comment le projecteur les saisit et les porte d'une place à l'autre. Même avec les photos vous le sentez qui s'empare de vous et vous moule le visage. Si le projecteur se déplace légèrement vers la gauche il fera tourner votre tête vers la gauche. D'accord déplacez-vous. » Us changent de chaise plus rapidement cette fois. « Je suis Joe » « Je suis John » « plus vite plus vite tournez tournez » « Je suis Joe. Je suis John » « plus vite plus vite » « JesuisJoejesuisJohn » Us se tiennent maintenant sur le devant de l'estrade et s'inclinent dans leurs visages projetés. « Quelqu'un sait-il qui est Joe et qui est John ? Un autre visage sur votre visage qui parle vous donne l'impression que vous êtes cette personne. Voyons maintenant ce que Joe et John peuvent faire sans projecteur. » Us s'assoient côte à côte. Joe dit « Je suis John » avec la voix de John. John avec la voix de Joe dit « Je suis Joe ». « Remarquez que vous pouvez voir Joe dans le visage de John et John dans le visage de Joe. Ça tourne les gars. » Joe se dresse en projection entière d'un chanteur pop et chante un morceau de rock. John le rejoint en un autre chanteur pop et ils font un duo en se passant les visages les mots et les coups de hanche à tour de rôle. « Cela vous donne une drôle d'impression n'est-ce pas ? » Un homme enlève un cigare de ses lèvres la cendre forme un cône délicat et gris comme il se doit sur un cigare de prix. « Peut-être un peu trop drôle B. J. » « Il tourne il tourne le projecteur ; où il s'arrête est un mystère. » Les projecteurs s'arrêtent. « Voyons maintenant comment ils s'en sortent sans projecteurs. » Les garçons chantent des imitations presque parfaites des vedettes pop. « Vous voyez le truc ? Nous sortons des unités de projection avec bande-son synchronisée. Vous pouvez être votre vedette pop préférée. Vous pouvez être votre acteur préféré vivant ou mort. » Joe et John sont assis à la table d'un café derrière un décor de marché arabe. John est un catholique déchu et patraque tiré d'un roman de Gra-ham Greene qui accomplit une mission dangereuse à laquelle il ne croit pas réellement. Joe est un jeune marin américain aux yeux gris pâle. Nous ne savons pas ce qui va se passer. Joe et John ne le savent 116 pas non plus. Us le découvrent pendant que l'action se déroule. « Un essai au stade expérimental... » Le plus âgé regarde à travers le square : une image de carcasses de voitures qui brûlent corps noircis « je veux dire que si l'essai était seulement partiellement réussi... » Il tripote distraitement une bague à cyanure. Le marin semble regarder un point distant lointain et perdu dans le passé. « Les réussites sont toujours partielles. » « Vous ne regardez pas seulement l'action vous y participez. Bien sûr cela va révolutionner les films pornographiques. Déshabillez-vous et plongez dedans... Mise en garde du ministère de la Santé : « La projection de films pornographiques sur la chair peut causer des maladies vénériennes encore inconnues. Il est formellement conseillé que les projections de corps nus soient laissées de côté en attendant des données plus précises provenant d'expériences moins dangereuses. » Les unités de projection s'avérèrent une méthode idéale pour l'étude des langues. Le professeur que vous désirez une multitude d'images à choisir vous remplissez un arrière-plan quelconque et vous voilà dans un café du Quartier latin bavardant en français parce que vous connaissiez la langue. Vous n'avez qu'à vous installer et qu'à écouter votre peau enseignante qui parle. Vous comprendrez bientôt ce que dit votre peau et vous pourrez bientôt le dire vous-même. Il y a un moment où vous sentez que cela accroche. En fait les projections représentent une méthode accélérée pour acquérir n'importe quelle capacité : parler en public, la vente, l'escroquerie, la séduction, l'hypnotisme, le jeu, le yoga, l'équilibre parfait. N'importe quelle adaptation verbale ou faciale qui vous botte vous ne faites qu'acheter le film correspondant. Vous voulez avoir l'air plus jeune ? Achetez le Film Jeunesse. Vous voulez avoir l'air digne ? Achetez le Film Dignité. Vous voulez avoir l'air heureux ? Achetez le Film Sourire. Vous voulez avoir l'air séducteur ? Achetez le Film Séduction. Vous voulez avoir l'air troublant ? Achetez le Film Confusion qui alterne des expressions à 24 images par seconde. Vous voulez avoir l'air saint ? Achetez le Film Sainteté. Vous voulez avoir l'air insondable ? Achetez le Film Insondabilité. Vous voulez avoir l'air courageux ? Achetez le Film Courage. Vous voulez embarrasser votre ennemi ? Achetez le Film Laid-Maladroit et projetez-le sur lui. Vous voulez emmerder un orateur ? Achetez le Film Balbutie-Trébuche-Bafouille-Voix Cassée-Bêtise-Tremblote-Crispé. Vous voulez rendre votre ennemi malade ? Il y a un film pour toutes les maladies connues. Vous voulez tuer votre ennemi ? Achetez le Film Mort. Toutes les variétés de fusils projecteurs, des armes à main de 8 mm de courte portée jusqu'au laser avec lunette télescopique à questar sont employées. Des agents secrets ont leur masque projeté sur eux-mêmes jusqu'à ce qu'il ait pris racine. Toute personne qui désirerait changer sa vie pourrait choisir parmi les Films de Nouvelle Identité. Des groupes pop à projecteur poussaient partout attirant leurs fans dans le spectacle qui s'enflait de centaines puis de milliers de gens avec camions de transport et cantine défiant tout contrôle d'émigration et de douane. Personne ne voulait discuter avec les chanteurs errants. Pour n'en mentionner que quelques-uns : Les Cygnes Paraplégiques laissèrent derrière eux un sillage de plateaux et de verres volant en l'air, genoux, coudes et pieds incontrôlés détruisant les vitrines se jetant par les fenêtres. Les Beaux Moches sortirent un morceau horrible intitulé « Ici moi suis ». Il paraît que le tout jeune fils du Beau Moche Bradly se cachait derrière un canapé ou sous un bureau et surgissait en criant « Ici moi suis » et cela lui en donna l'idée. La scène est une salle vide et puis les Beaux Moches surgissent avec des visages d'enfants en disant « Ici moi suis » et en tirant sur les spectateurs avec des fusils à projections. Des milliers de fans s'affolaient, mettaient des couches et se ruaient à travers les rues se chiant et se pissant dessus en criant : « ICI MOI SUIS » « ICI MOI SUIS » « ICI MOI SUIS ». Le ministère de la Santé a publié une mise en garde extrêmement énergique au sujet du « danger pour la santé mentale morale et physique représenté par l'horrible habitude des adultes de parler comme des bébés ou ce qui est pis de chanter comme des bébés ». Les Rolling Bones tuèrent dix mille fans dans leur fauteuil avec une interprétation vibrante de « Ma petite bonne mauvaise » alternant douceur et méchanceté 24 fois par seconde. Au début les projections étaient montées par des acteurs professionnels mais rien ne vaut le vrai truc, de vrais visages heureux, de vrais visages douloureux, de vrais visages de morts. Des camions de studios modifiés rôdent dans les rues prêts à sauter sur n'importe qui. Le jeune terroriste fusillé par un peloton d'exécution au Vietnam est à peine froid 117 qu'un million de tantes affolées absorbent sa mort. Ils se promènent avec l'air rajeuni pendant quelques jours puis il leur en faut PLUS PLUS PLUS. C'était plutôt comme les Aztèques une fois que les gens avaient flairé le sang il était impossible de les retenir et bientôt ils tuaient ouvertement les gens pour les images et éventraient des communautés entières comme un fléau de sauterelles. Aujourd'hui à l'ONU le représentant de l'Union soviétique s'est levé pour dénoncer ce qu'il appelle « les vampires infâmes qui sucent le sang de la jeunesse du monde au moyen de projecteurs de films ». Le vieux millionnaire a un studio de film à son lit de mort pour enregistrer ses dernières paroles et ses héritiers sont obligés de subir les images de la mort du vieux à chaque anniversaire afin qu'ils n'oublient pas d'où est venu l'argent. Les PDG se projettent sur tous leurs employés. Les hommes politiques peuplent des pays entiers de leur image projetée. Et vous ne savez jamais lorsqu'un petit malin se projette sur vous de l'autre côté de la ville avec son Questar. Cela revient à une compétition acharnée d'images et il ne peut y avoir qu'une fin à cela. La fin est un seul visage : Monsieur Qui ? Le premier emploi dans le business du spectacle de projections comme celles décrites ci-dessus fut un spectacle monté par Brion Gysin et Ian Sommerville au Centre Américain, rue du Dragon, Paris, France, en janvier 1962. Les spectateurs ne pouvaient croire ce qu'ils voyaient. Ils pensaient que tout le spectacle avait été photographié d'avance. On utilisa dans ce spectacle des projecteurs de diapositives. Pour obtenir de bons résultats n'employez que des images en couleurs. Il est de la plus grande importance que la projection soit adaptée avec précision sur un visage. Ceci est facile avec des diapositives. Les films demandent plus de précision dans la préparation de la séquence qui va être projetée. — Vous avez dit que la « série de l'académie » o f f r a i t une solution au problème de la jeunesse aliénée et à d'autres problèmes. Vour riez-vous développer ? — Les premières académies ont été fondées én septembre 1899, l'une sur une mesa au nord de Santa Fé dans le Nouveau Mexique, une autre dans la banlieue de Saint-Louis dans le Missouri et la dernière sur l'Hudson, dans la banlieue de New York. Les systèmes orientaux comme le yoga, le judo, le karaté, l'aikido et le zen faisant partie de l'entraînement, des instructeurs furent invités d'Orient et des étudiants orientaux vinrent apprendre les techniques occidentales. Le but fondamental des académies était de synthétiser les aspects les plus utiles des entraînements orientaux et occidentaux. Les diplômés des académies, en retournant à diverses professions, se montrèrent incomparablement plus efficaces que ceux qui n'avaient pas reçu la formation de l'académie, si bien qu'on créa de plus en plus d'académies. D'autres pays suivirent l'initiative de l'Amérique dans la création d'académies l'échange continuel des étudiants et des instructeurs tendant à briser les frontières nationales. A la fin des années 20 il y avait des académies dans le monde entier qui dirigeaient toute recherche, toute éducation, toute action policière et toute formule politique. Les académies étaient situées dans des sites d'une grande beauté et d'une architecture adaptée au paysage. L'académie de Marrakech était construite autour d'une vaste cour avec jardins arbres bassins fontaines et portiques. Il existait un certain nombre d'académies dans la forêt d'Amazonie complexes structures de bois lourds et de bambous fendus reliées par des passerelles et des échelles. L'entraînement physique y prenait la forme d'excursions en canoë de chasse de pêche et de culture, le programme d'exercice étant adapté au pays et au paysage. Les académies orientales utilisaient souvent les temples et monastères existants et l'une des plus spectaculaires académies était construite dans les ruines restaurées de Samarkand. Pour l'académie grecque on rassembla toutes les antiquités grecques dispersées dans les musées du monde entier. Des débris morts de curiosités du dimanche furent transformés partout en structures vivantes. La cité lacustre de Mexico fut reconstituée et les ruines mayas résonnèrent de l'ancienne langue que tous les étudiants de cette académie étaient tenus de connaître parfaitement (le maya n'est nullement une langue morte et on ne parle rien d'autre dans les villages perdus du Yucatan). L'accent était toujours porté sur l'échange des cultures des langues et des méthodes d'entraînement. L'académie de Saint-Louis était une vaste construction en brique rouge s'étendant sur une falaise dominant le fleuve. Une poussière bleue crépusculaire descendait sur la vallée quand Bill Harper un étudiant débutant descendit d'une voiture attelée frais dimanche lointain vents frais du sud il y a longtemps chambre tapissée en rose cuvettes de lavabo en cuivre lustré un jeune Indien se leva d'un des lits en cuivre et se présenta : « Je suis 118 Johnny Bufeo originaire de l'Ucayali. J'irai à la faculté de médecine car je suis fils d'un brujo. Il avait beaucoup de remèdes mais seuls quelques-uns étaient bons. Il pouvait faire venir la pluie et il pouvait appeler les animaux et quelquefois il pouvait tuer un ennemi malade. Je l'ai vu amener la peur d'un patient avec ses sales vieilles mains et tant de fois j'ai dû dire aux patients " très désolé le brujo a la gueule pétée borracho " . Il est mort il y a de nombreuses années. Les docteurs américains pouvaient apprendre de lui. Je suis ici pour enseigner et pour apprendre. Vous devenez très fort très dur ici. Puis vous entrez dans des pièces de silence apprenez à quitter le corps aller n'importe où que vous voulez. Tu viens avec moi Misteur William ? » Les compagnons de chambre étaient changés tous les mois la rotation étant un principe fondamental des académies. De nombreux étudiants occidentaux choisirent de suivre les académies orientaies où ils apprirent la langue et les disciplines locales. Certains étudiants passaient d'une academie à l'autre tous les trois mois et les instructeurs étaient également en rotation de Marrakech aux fjords de Norvège du Missouri à Samarkand. Instructeurs et étudiants avancés des académies spécialisées revenaient au cours de base de l'academie pour se rafraîchir avec l'entraînement physique et faire partager leurs connaissances aux débutants par contact direct. Toutes les académies échangeaient des bulletins hebdomadaires sur leurs recherches, leurs expériences et leurs nouvelles méthodes d'entraînement. Avec l'arrivée des magnétophones et des caméras, films et bandes furent constamment échangés. Des étudiants avec caméra et enregistreur passaient d'une académie à l'autre et des salles d'hôtes recevaient des étudiants de passage. Alors que l'entraînement variait d'une académie à l'autre il y avait certains cours d'entraînement commun : le karaté, le judo, l'aikido, le zen, les exercices de respiration pour parvenir à une santé et un contrôle du corps parfaits, des exercices de silence dans des chambres d'isolation sensorielle et réservoirs à immersion, et la maîtrise d'une écriture hiéroglyphique simplifiée afin d'apprendre aux étudiants à penser en images silencieuses. Le cours fondamental de l'académie durait quatre ans. Après avoir quitté l'académie de base les étudiants pouvaient demander un entraînement plus poussé dans une académie spécialisée. A l'école de médecine les étudiants apprenaient, à part les techniques occidentales, toutes les formes de massage, d'ostéopathie, d'exercices rééducatifs et de régimes. Ils étudiaient les techniques des sorciers des guérisseurs et examinaient des échantillons de médicaments à base d'herbes comme les remèdes de la jungle afin d'isoler leurs principes actifs et de les appliquer à la thérapeutique. A l'époque où les premières académies furent fondées, l'héroïne, la cocaïne et la morphine étaient vendues librement dans les pharmacies. Une étude révéla qu'il y avait 200 000 intoxiqués aux Etats-Unis parmi lesquels beaucoup s'étaient intoxiqués avec des remèdes patentés. Les intoxiqués étaient en général d'un âge moyen ou étaient des gens âgés qui souffraient de diverses maladies chroniques. Sur la recommandation des académies les opiacées à l'exception de la codéine ne furent distribuées que sur prescription. Une fois que la novocaïne fut synthétisée l'extraction de la cocaïne fut interrompue et cette drogue disparut de la pharmacopée. Les intoxiqués invétérés furent autorisés à une dose de soutien d'opium ou de morphine tandis que l'emploi de l'héroïne était restreint à l'emploi médical pour soulager les douleurs extrêmes. Un programme d'étude fut mis en application pour déterminer le traitement le plus efficace de l'intoxication avec une attention particulière pour les jeunes intoxiqués. Le traitement de l'apomorphine fut employé et vers les années 30 la formule fut synthétisée et un grand nombre de variations furent mises au point. L'action régulatrice de l'apomorphine mena au concept de médecine préventive insistant sur le maintien de la santé plus que sur la guérison des maladies. « Tout ce qui peut être obtenu chimiquement peut l'être autrement... ce qui manque dans le retrait est une certaine fréquence. » Bulletin de l'académie 19 juin 1922. On a découvert que la fréquence des opiacées était une oscillation spéciale d'ultra-sons. Cette fréquence était aussi capable de créer une accoutumance que la morphine elle-même mais il était possible de la réduire graduellement sur une période de plusieurs mois ce qui avait pour résultat une cure sans douleur. Puisque le règlement des académies stipulait que tous les étudiants débutants devaient cesser l'usage de toute drogue y compris l'alcool et le tabac et que tous les jeunes gens avaient envie d'être diplômés des académies, ils étaient facilement conditionnés à éviter 119 les drogues créant une accoutumance une fois que la cure avait été accomplie. La découverte que les effets de la morphine pouvaient être produits par une fréquence sonore mena à la découverte que les effets de toute drogue pourraient être produits ainsi et la thérapeutique par fréquences finit par supplanter la thérapeutique par drogues. L'entraînement de toute la police se faisait dans les académies, et seuls les diplômés des académies policières pouvaient être nommés officiers de police. Les officiers aspirants étaient entraînés à empêcher le crime et à empêcher les gens d'aller en prison. Arrêtez cet escroc à Toronto avant qu'il ne sorte des actions sans valeur. Cet homme qui a le tempérament d'un tueur ne devrait pas être le gérant d'un bar. On devrait enlever les enfants aux parents qui n'ont pas envie d'en avoir avant qu'il ne se passe du vilain. Tous les cas de cruauté envers des enfants recevaient une attention spéciale et chaque agent devait connaître les infractions de son district. La protection des enfants était une mesure intérimaire en attendant la lente abolition du vieux système de la famille après quoi l'éducation des enfants à partir de leur naissance serait entre les mains de centres spéciaux créés par les académies. De tels centres existaient déjà pour prendre soin des enfants abandonnés ou indésirés. Les signes d'un pays en bonne marche sont une police réduite et des lois peu nombreuses mais ces lois doivent être réellement appliquées et cette police doit être réellement efficace. Tout le système des législations d'Etats fut aboli et l'on créa un code de lois uniforme pour sanctionner les crimes contre la personne et contre la propriété. Toutes les prétendues atteintes résultant de la conduite sexuelle privée, des drogues et du jeu furent retirées du code pénal. La SA — Sécurité de l'Académie — était l'agence policière la plus haute qui s'occupait de toutes les influences malsaines menaçant le travail des académies. La SA ne fut pas capable d'arrêter la Première Guerre mondiale mais parvint à empêcher les Etats-Unis de s'y mêler. Après la guerre la SA put éviter la débâcle de la prohibition et l'infiltration simultanée de la Mafia « Une organisation pestilentielle qui doit être détruite à ses racines mêmes » La SA prit des mesures pour réduire l'influence de la presse quotidienne en éliminant tout reportage de crime ou d'accident « La presse quotidienne est largement responsable des événements déplorables qu'elle décrit... Nous recommandons que tous les quotidiens soient supprimés » On rendait compte des découvertes faites par les académies dans des bulletins hebdomadaires de sorte qu'une découverte faite n'importe où dans le monde fût connue immédiatement dans le monde entier. Aucune des recherches des académies n'était secrète. « Il est certain que toute découverte importante est susceptible d'être mal utilisée. Cependant, si l'on fait un secret des possibilités destructrices d'une découverte, la monopolisation et l'abus de celle-ci par une soi-disant élite représentent une menace plus forte que la possibilité qu'un individu quelconque utilise à de mauvaises fins la découverte lorsqu'elle devient connue de tous. Par exemple les possibilités destructrices de l'infra-son furent décrites publiquement dans nos bulletins et nous pensons que cette politique d'ouverture est la meilleure assurance contre l'abus de la connaissance puisque toute personne utilisant l'infra-son à des buts indignes serait immédiatement détectée. » La deuxième guerre mondiale fut facilement empêchée par les efforts médiateurs des académies françaises allemandes et anglaises et par conséquent aucune arme atomique ne fut mise au point. « Aucune production de radioactivité ne sera tolérée. » Bulletin de l'Académie 4 août 1945. L'Institut de Linguistique entreprit des recherches sur le son et le langage humain afin de découvrir ce que sont les mots. Le langage intérieur fut étudié avec des microphones ultra-sensibles adaptés au larynx. On accorda une attention particulière aux sujets schizophrènes puisque dans cet état, les mouvements involontaires de l'appareil vocal sont extrêmement prononcés, donnant la « voix » typique à cette maladie. Ces « voix » furent enregistrées et repassées au patient en subissant des coupures des ralentissements des espacements des accélérations. Le playback donna souvent une amélioration nette. On prescrivit alors aux sujets des exercices de silence. A l'idée du silence beaucoup devinrent hystériques c'est-à-dire que les « voix » devinrent hystériques et purent être enregistrées plus facilement « VOUS NE POUVEZ PAS ! VOUS NE POUVEZ PAS ! VOUS NE POUVEZ PAS ! » crient-elles. Des injections de curare furent 120 administrées dans ces cas pour paralyser l'appareil vocal pendant qu'on plaçait le sujet dans un poumon d'acier. Le silence résultait souvent en une accalmie complète de la maladie. « Les schémas verbaux compulsifs sont en fait des virus verbaux qui se maintiennent dans le système nerveux central par la manipulation des centres de la parole, des muscles de la gorge et des cordes vocales. » Le style particulier du langage schizophrénique fut analysé. On remarqua que la verbalisation qui a lieu pendant les rêves et surtout entre le sommeil et l'éveil est du même style et qu'elle est en fait une langue spéciale qui agit probablement sans cesse chez les individus dits normaux. L'Institut de Linguistique entreprit d'isoler cette langue et l'étudia. Les étudiants avaient des magnétophones auprès de leur lit puisque la verbalisation durant cette période est normalement oubliée si elle n'est pas immédiatement enregistrée ou transcrite. Cette langue n'a pas de points de repère par lesquels elle pourrait être saisie, comme si un habitant inconnu de l'esprit parlait dans une langue inconnue — non pas inconnue en ce qui concerne les mots mêmes mais en ce qui concerne les références la construction et la syntaxe. L'Institut de Linguistique donnait également des cours avancés d'entraînement au silence. Ceux-ci avaient pour cadre des zones de silence naturel le Sahara et le désert de Gobi, les sommets du Tibet et de la Cordillère des Andes. Le silence est un état où les étudiants apprennent lentement à respirer jusqu'à ce qu'ils soient capables d'y rester des heures sans mouvements des muscles de la gorge et des cordes vocales. On mit au point une fréquence infra-son de silence laquelle libère par vibrations les mots du corps et ce système fut utilisé aux derniers stades de l'entraînement, une lente résonance qui monte dans le cou et la colonne vertébrale et descend au fond des organes internes faisant vibrer tout le corps et détachant les mots visibles comme une brume. A ce moment de nombreux étudiants ont l'impression qu'un être parasitaire a été arraché de leur corps pour se dissoudre avec mauvaise volonté dans l'air. Après le baptême du silence l'étudiant se déplace avec aisance dans ce milieu insonore mais les mots sont à sa disposition quand il en a besoin avec une précision absolue. Durant les premières années de l'aviation les académies établirent des centres d'entraînement de pilotes et lorsque les voyages dans l'espace devinrent possibles elles se chargèrent de la direction du programme spatial. Le but du programme spatial académique n'était pas l'espace dans un scaphandre relié par des fils aux épouses et aux mères. « Mettre des individus tout à fait ordinaires dansl'espace au prix d'immenses dépenses ne sert à rien. N'importe quel diplômé de l'académie pourrait en apprendre davantage sur les conditions de l'espace et voyager plus loin dans l'espace après une heure de silence et d'apesanteur que des équipes d'astronautes en orbite ne rêvant pas dans l'espace. L'espace est rêve. L'espace est illusion. Pourquoi emmener un PX 2 bourré de tous vos tristes préjugés verbaux jusqu'à la lune ? » Les astronautes étaient tous des célibataires puisqu'on les entraîne à exister dans l'indépendance et la solitude totales alors que le mariage conditionne à la dépendance. « Pour voyager dans l'espace il faut apprendre à abandonner toutes les vieilles ordures verbales : le discours Dieu, le discours prêtre, le discours mère, le discours famille, le discours amour, le discours parti, le discours pays. Vous devez apprendre à exister sans religion sans pays sans alliés. Vous devez apprendre à voir ce qui est devant vous sans parti pris. » Comparez maintenant les possibilités ouvertes par de telles académies avec ce que le monde actuel nous montre. Des recherches qui pourraient être utilisées pour libérer l'esprit humain sont monopolisées par des intellectuels misérables au nom de la « sécurité nationale ». Mais que vous rapporte la sécurité nationale ? Une seule académie pourrait rendre l'espoir aux rues mortes par la radioactivité et les émeutes de cette planète contaminée surpeuplée et mal dirigée. Vont-ils vous donner cet espoir ? Si leurs prestations passées indiquent quoi que ce soit, ils ne vont rien vous refiler que de la merde, noirs et blancs vous avez été vendus. Si vous voulez le monde que vous pourriez avoir en fonction des 2Magasin à bas prix géré par l'Etat que l'on trouve dans les bases militaires américaines. 121 découvertes et des ressources existant aujourd'hui soyez prêts à vous battre pour ce monde. Vous battre pour ce monde dans les rues. William S. Burroughs Londres, 15 octobre 1968 BIOGRAPHIE William Seward Burroughs naît le 5 février 1914 à Saint Louis, Missouri. Enfance très protégée au sein d'une cellule familiale composée d'un père assez effacé, Mortimer, d'une mère femme forte, Laura, née Lee, et d'un frère, Mortimer junior. Etudes secondaires dans diverses écoles de Saint Louis et de Los Alamos, Nouveau-Mexique ; premières écritures vers l'âge de dix ans ; première liaison amoureuse, à quinze ans, avec un camarade de classe. Etudes supérieures à Harvard, en littérature anglaise, sanctionnées par le titre de " Bachelor of Arts " en 1936. Séjour d'une année environ en Europe, dont six mois d'études à la faculté de médecine de Vienne. 1938, retour à Harvard, nouvelles études d'anthropologie. Installation à New York, divers petits métiers : détective privé, barman, copiste dans une petite agence de publicité. 1942-1943 : bref passage dans l'armée américaine, au Texas ; réformé pour troubles mentaux ; puis séjour de quelques mois à Chicago, où il exerce la profession d'exterminateur de parasites. 1943, retour à New York ; rencontre de Jack Kerouac (juillet 1944), puis d'Allen Ginsberg (Noël 1944) ; les trois se lient bientôt d'une amitié profonde. En 1945, Burroughs commence à se droguer ; il épouse Joan Vollmer ; vaine tentative pour écrire un roman en collaboration avec Kerouac. Premiers ennuis avec la police ; départ pour le Texas (été 1945) ; installation dans une ferme de New Waverly, dans la vallée du Rio Grande. Cultures diverses : luzerne, citrons, cannabis. 21 juillet 1947, Joan Burroughs met au monde William junior. 1948, installation à Algiers, à côté de La Nouvelle-Orléans. Nouvelle arrestation de Burroughs. Départ, l'été 1949, pour Mexico. Cours à l'université sur les Mayas et les Aztèques : langue et histoire. Vers 1950, Burroughs se met vraiment à écrire. A une date et dans des circonstances dont l'exactitude semble impossible à déterminer, Burroughs tue sa femme d'une balle dans la tête. Départ du Mexique en juillet 1952 ; voyage à Panama, en Colombie, en Equateur et au Pérou. Retour à New York en juillet 1953. Parution de son premier livre, Junkie. Janvier 1954, Burroughs débarque à Tanger. Il y connaît, jusqu'en 1956, sa période d'intoxication à l'héroïne la plus aiguë. C'est l'apomorphine, dont il n'a cessé depuis de vanter les mérites, qui l'en sortira à la suite d'un séjour dans la clinique londonienne du Dr Dent. Depuis, William Burroughs a uniquement consacré sa vie à l'écriture. Du début 1958 à l'automne 1959, séjour à Paris. Il y termine The Naked Lunch, publié à Paris. Retrouvant le peintre américain Brion Gysin rencontré à Tanger, il est immédiatement séduit par la technique du cut-up mise au point aléatoirement par le premier, et commence à l'appliquer systématiquement à ses manuscrits. En sortiront Minutes T o Go, The Exterminator, The S o f t Ma- 123 chine, The Ticket That Exploded, Nova Express, Dead Fingers Talk et The Third Mind. Automne 1959-printemps 1961 : Londres ; été 1961 : Tanger ; automne 1961 : USA ; fin 1961-été 1962 : Angleterre ; puis retour à Tanger, que l'auteur quitte définitivement en décembre 1964. Noël 1964 : bref séjour-souvenir à Saint Louis ; début 1965 : New York, jusque septembre, où nouvelle installation à Londres. 1967, séjours à Tanger et Marrakech, début de l'épopée des Garçons sauvages. Début 1968, engouement pour la Scientologie. Août 1968, reportage à Chicago sur la Convention démocrate. Vie à Londres dépourvue d'événements marquants et entièrement consacrée à l'écriture. 1974, installation à New York. Vie plus tournée vers l'extérieur. Cours sur l'écriture. Lectures dans de nombreuses salles et facultés américaines et canadiennes. Rubrique mensuelle dans le magazine Crawdaddy à partir de juin 1975. Participation aux sessions estivales de l'Institut Naropa à Boulder, Colorado. Colloque de Tanger à Genève, septembre 1975. Lecture à Berlin, septembre 1976. Centre Georges-Pompidou, juin 1977. Newcastle, juin 1978. Amsterdam, festival One World Poetry, 15 et 16 septembre 1978. Et, en attendant la Nova Convention new-yorkaise (décembre 1978), William Burroughs toujours écrivant... 124 ERGOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE de William S. Burroughs. Junkie, par William Lee, Ace Books, New York, 1953. Junkie, traduit par Catherine Cullaz et Jean-René Major, Pierre Belfond, Paris, 1972. The Naked Lunch, The Olympia Press, Paris, 1959. Le Festin nu, traduit par Eric Kahane, Gallimard, Paris, 1964. Minutes To Go, par Sinclair Beiles, William Burroughs, Gregory Corso, Brion Gysin, Two Cities Editions, Paris, 1960. The Exterminator, par William Burroughs et Brion Gysin, The Auerhahn Press, San Francisco, 1960. The Soft Machine, Olympia Press, Paris, 1961. La Machine molle, traduit par Mary Beach, adaptation de Claude Pélieu, Christian Bourgois, Paris, 1968. The Ticket That Exploded, Olympia Press, Paris, 1962. Le ticket qui explosa, traduit par Mary Beach, adaptation de Claude Pélieu, Christian Bourgois, Paris, 1969. The Yage Letters, par William Burroughs et Allen Gins-berg. City Lights Books, San Francisco, 1963. Les lettres du Yage, traduit par Mary Beach, adaptation de Claude Pélieu, L'Herne, Paris, 1967. Dead Fingers Talk, Calder and Boyars, Londres, 1963. Nova Express, Grove Press, New York, 1964. Nova Express, traduit par Mary Beach et Claude Pélieu, L'Herne, 1967. Time, ' C ' Press, New York, 1965. Voir Révolution électronique. Apo-33, Beach Books, 1966. Apomorphine, traduit par Mary Beach et Claude Pélieu, L'Herne, 1969. The Dead Star, The Nova Broadcast Press, San Francisco, 1969. Voir Révolution électronique. The Last Words of Dutch Schultz, Cape Goliard Press, Londres, 1970. Les Derniers Mots de Dutch Schultz. traduit par Mary Beach et Claude Pélieu, Christian Bourgois, Paris, 1972. The Job, Grove Press, New York, 1970. Entretiens avec William Burroughs, par Daniel Odier, Pierre Belfond, Paris, 1969. The Wild Boys, A Book of the Dead, Grove Press, New York, 1971. Les Garçons sauvages, un livre de morts, traduit par Mary Beach et Claude Pélieu, Christian Bourgois, Paris, 1973. Electronic Révolution, coll. OU, Grande-Bretagne, 1971. Révolution électronique, suivi de Time et de Etoile morte, traduit par M"' Jean Chopin, Champ libre, Paris, 1974. Exterminator !, The Viking Press, New York, 1973. Exterminateur !, traduit par Mary Beach et Claude Pélieu-Washburn, Christian Bourgois, Paris, 1974. White Subway, Aloes, Londres, 1973. Le Métro blanc (version considérablement modifiée du précédent), assemblé et traduit par Mary Beach et Claude Pélieu-Washburn, Fiction & Cie, Bourgois/ Seuil, Paris, 1976. Port of Saints, Covent Garden Press-Am Here Books, 1973. Havre des saints, traduit par Philippe Mikriammos, Connections, Flammarion, Paris, 1977. The Job, nouvelle édition revue et augmentée (« Playback From Eden to Watergate » et « Electronic Révolution »), Grove Press, New York, 1974. Le Job, nouvelle édition mise a jour par Philippe Mikriammos, (augmentée seulement de Playback d'Eden à Watergate), Pierre Belfond, Paris, 1979. The Book of Breething, Grande-Bretagne, 1974. Le Livre des respirations, traduit par Jean Chopin, coll. OU, Grande-Bretagne, 1974. The Last Words of Dutch Schultz, A Fiction in the Form of a Film Script, illustré, Viking Press, New York, 1975. Sidetripping, par Charles Gatewood et William S. Burroughs, Strawberry Hill, New York, 1975. Ah Pook Is Here, 1975, inédit. Ah Pook est là, traduit par Philippe Mikriammos, Christian Bourgois, Paris, à paraître. The Retreat Diaries, The City Moon, New York, 1976. Les journaux de retraite, traduit par Gérard-Georges Lemaire, Christian Bourgois, Paris, à paraître. Cobble Stone Gardens, Cherry Valley Editions, 1976. Cobble Stone Gardens, traduit par Gérard-Georges Lemaire, Christian Bourgois, Paris, à paraître. Junky, première édition complète et non expurgée, Pen-guin Books, 1977. Le Camé, mis à jour par Philippe Mikriammos, Pierre Belfond, Paris, 1979. The Third Mind, par W. Burroughs et B. Gysin, Viking Press, New York, 1978. Œuvre croisée, traduit par Gérard-Georges Lemaire et Christine Taylor, Connections, Flammarion, Paris, 1976. FILMS Towers Open Fire, par Antony Balch, 1964. Cut Ups, par Antony Balch, 1965. Chappaqua, par Conrad Rooks, 1966. DISQUES Call Me Burroughs, Paris, 1965. William S. Burroughs/John Giorno, Giorno Poetry Systems, New York, 1975. QUELQUES PUBLICATIONS CONTENANT DIVERS TEXTES DE WILLIAM BURROUGHS So Who Owns Death TV?, par William S. Burroughs, Claude Pélieu et Cari Weissner, Beach Books, 1967. William Burroughs, Claude Pélieu, Bob Kaufman, L'Herne, Paris, 1967. The Academy Séries, publié dans le magazine britannique Mayfair, octobre 1967-décembre 1970. Some of it, Knullar, Grande-Bretagne, 1969. Ginger Snaps, Kontext Publications, Grande-Bretagne, 1972. Let The Mice In, par Brion Gysin, Something Else Press, USA, 1973. 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Cahiers critiques de la littérature, n° 5, automne 1978. 127 ACHEVE D'IMPRIMER SUR LES P R E S S E S DE L'IMPRIMERIE S.E.G. 33, RUE BERANGER, A CHATILLON-SOUS-BAGNEUX Numéro d'imprimeur : 858 Numéro d'éditeur : 164 Dépôt légal : 1er trimestre 1979 WILLIAM BURROUGHS entretiens avec D A N I E L ODIER Quand fut publiée, en 1968, la première édition des entretiens de Daniel Odier avec William Burroughs, son œuvre ne connaissait encore qu'une circulation souterraine. Aujourd'hui, ses textes sont plus lus et commentés en France que partout ailleurs. C'est pourquoi s'imposait la réédition de ce texte capital. Mis à jour, augmenté et accompagné d'un appareil critique sous la direction de Philippe Mikriammos, ces entretiens comprennent de nombreux inédits, dont Playback d'Eden à Watergate. Du Festin nu aux Garçons sauvages, William Burroughs a intriqué les récits hiéroglyphiques de voyages hallucinés dans l'espace textuel. Nul n'est allé plus loin que lui dans l'expérience de la langue, au moment où la langue se dédouble, crée les figures terribles d'une mythologie ambiguë et projette l'écriture dans un conflit qui oppose des êtres de fantasme et des monstres issus d'un trop de réalité à venir. Gérard-Georges LF-MA1RF! Photo de couverture : Charters ISI1N 7 7144.1 19.1.2 IIS( .79.01 r.0 0 U.K.