LE JOB

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LE JOB
WILLIAM BURROUGHS
LE JOB
(beifond)
entretiens avec
DANIEL ODIER
Dans la même collection :
MARCEL DUCHAMP
Ingénieur du temps perdu
entretiens avec Pierre Cabane
EUGENE IONESCO
Entre la vie et le rêve entretiens
avec Claude Bonnefoy
WITOLD GOMBROWICZ
Testament
entretiens avec Dominique de
Roux MIRCEA ELIADE
L'épreuve du labyrinthe
entretiens avec Claude-Henri
Rocquet
COLLECTION « ENTRETIENS »
dirigée par Claude Bonnefoy
WILLIAM BURROUGHS
JOB
Entretiens
ODIER
avec
DANIEL
Edition augmentée et entièrement revue
par Philippe Mikriammos Préface de
Gérard-Georges Lemaire
P I E R R E
B E L F O N D 3 bis, passage de
la Petite-Boucherie 75006 Paris
Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être
tenu au courant de nos publications envoyez vos
nom et adresse en citant ce livre. Editions Pierre
Belfond 3 bis, passage de la Petite-Boucherie 75006
Paris
I S B N : 2.7144.1193.2
© Belfond, 1979
SOMMAIRE
Préface de Gérard-Georges Lemaire ...........
9
Playback d'Eden à Watergate ......................
23
« Navigare necesse es.
Vivare non es necesse »...............................
39
Voyage dans l'espace-temps .....................
43
Prisonniers de la terre, sortez.......................
83
Une nouvelle grenouille .............................
149
L'Académie 23
........................................
167
Biographie ................................................
247
Bibliographie .................... ....... .................
251
PREFACE
Ces entretiens de William S. Burroughs avec
Daniel Odier ont paru il y a exactement dix années.
Depuis, Burroughs est devenu l'une des figures
marquantes de la modernité. Et, assez curieusement,
c'est en France que son œuvre romanesque et
critique est la plus recherchée, la plus discutée.
C'est là aussi que son impact a été le plus fort sur les
jeunes écrivains.
Ce curieux détour de l'histoire autorise et rend en
tout cas urgente une nouvelle circulation de ce
document capital qui, il faut le rappeler, a été l'un
des premiers à paraître sur l'auteur de Le Festin nu,
avec /'Anthologie de la Beat Génération présentée
par Jean-Jacques Lebel aux éditions Denoël et le
numéro spécial des Cahiers de l'Herne qui
rassemblait Kaufman, Pélieu et Burroughs.
Mais cette réédition ne se contente pas de
reproduire in extenso les enregistrements et les
textes de 1969. Elle tient compte des corrections et
des ajouts qui ont pu être faits lors de la publication
aux Etats-Unis de ces conversations. Rebaptisées
The Job à cette occasion, elles paraissent en 1970
chez Grove Press. Rééditées quatre ans plus tard,
elles sont augmentées de deux textes, Playback
d'Eden à Watergate, qui figure
7
dans le présent volume, et Révolution électronique, d'ores et déjà traduit aux éditions Champ
Libre. Tout en respectant le projet initial de
Daniel Odier, cette version nouvelle dont
Philippe Mikriammos a été l'artisan peut être
envisagée comme un livre n'ayant que peu de
rapport avec son modèle. C'est d'ailleurs ce qui
nous autorise à l'intituler désormais Le Job.
LES HIEROGLYPHES DU SILENCE
Plus encore que d'une image et d'un nom, William S.
Burroughs est devenu prisonnier d'une légende. Cette
légende est née en 1959 avec la publication quasiment
clandestine à Paris de sa première grande œuvre de
fiction, Le Festin nu. Burroughs s'est délibérément
projeté dans cet imaginaire verbal pour échapper à une
autre fiction, inexorable celle-là, qui l'a retenu pendant
quelque douze années dans son impitoyable
microcosme — je veux bien sûr parler de celui de la
drogue, qu'il a décidé de circonscrire et d'exorciser en
rédigeant ce gigantesque témoignage in vivo. Mais il
ne s'est pas contenté cette fois de retracer la trajectoire
terrifiante d'une autobiographie comme il l'avait fait
précédemment dans Junky, son premier livre paru aux
Etats-Unis. Il s'est agi dès lors d'un reportage au plus
secret de cette sphère délirante et, plus encore, d'une
véritable enquête sur ses configurations de signes et ses
modes de reconnaissance, d'un examen systématique et
pervers de son économie et de sa symbolique.
L'espace-temps que l'héroïne lui a fait découvrir lui a
fourni le modèle des structures interférantes qu'il va
confectionner et employer à partir de cette époque pour
rendre compte d'un extraordinaire voyage à l'intérieur
d'un corps menacé de destruction et d'un esprit
condamné à une mort blanche et sordide. Toute sa
recherche littéraire s'est inventée dans cette ambiguïté
fondamentale qui le fait osciller entre la revendication
d'une identité et son abolition dans les zones troubles et
instables de la mémoire. De là l'ambiguïté de sa
position : l'écrivain William S. Burroughs renvoie le
sujet d'expérience William S. Burroughs à son labyrinthe sensuel et conceptuel, et en traque les émotions, les
réactions nerveuses, les transformations psychiques
avec une froideur toute médicale. Il n'a de cesse de
s'ériger en explorateur et en défricheur de l'inconscient.
Il affecte même à l'écrivain une fonction quasiment
scientifique, en lui intimant d'étudier et de tirer les
conséquences les plus inacceptables des relations
qu'entretiennent l'écriture, le corps, la sexualité, la
mort, etc. Pourtant, il ne s'en désolidarise pas moins de
ses productions, se met à l'écart de ce qu'il considère
comme étant sa « mythologie personnelle » et se place
dans la position d'un scribe — dans la position de celui
qui se contente de traduire et de retranscrire.
Dans cet incessant passage de l'expérimentation à la
mystification, de la notation clinique des transactions
les plus subjectives à la déposition truquée des
fabulations de l'entre chien et loup de la conscience,
Burroughs brouille les pistes. Ses enregistrements ne
sont jamais que la rationalisation et l'organisation
maniaque de cette apparente déperdition de sens et
d'unité. Alors, si ses écrits établissent une sorte de
cohérence, non pas de forme mais de stratégie, ils se
présentent à la limite comme un simulacre de système
où se retrouvent toujours indexés les fragments
narratifs et les séquences didactiques d'une œuvre qui
ne parvient pas à se forclore, mais, au contraire, trace
des spirales délusoires. Et le système lui-même
accumule les informations concernant sa fabrication,
sur cette manufacture qui, peu à peu, se transforme par
une mécanisation des procédés, se perfectionnant et se
diversifiant pour se présenter comme une industrie de
pointe qui permet, dans l'absolu, de prévoir une autoproduction de la matière première d'un livre infini.
Mais ce n'est là qu'une figure, servant à briser celle de
la Bibliothèque de Babel et à avancer celle d'une
guerre linguistique à l'intérieur d'une machine à
remonter le temps.
Et quoi qu'il en soit, comme dans les dédales
borgésiens, nous ne sommes jamais en mesure de
maîtriser les mécanismes et les lois régissant cet
univers en expansion, de déchiffrer les clefs occultes
des principes déterminant la cristallisation et la
dissolution de ces bribes et de ces pans de
significations, de délimiter ces affrontements et ces
9
contradictions dans le champ multidimen-sionnel de sa
révolution électronique. Tout point de vue, toute
perspective, toute saisie optique du territoire textuel
sont rendus quasiment impossibles, absurdes et frappés
d'inanité comme toute velléité d'interprétation et de
soumission au moindre métalangage.
Cet incessant déplacement des abscisses et des
ordonnées, cette modification ininterrompue des lieux
de fixation, des repères temporels et des phases
narratives, cette interaction des données écrites,
originées, traitées, programmées et rejetées par la
machine de contrôle soudain menacée dans son
fonctionnement, cette mouvance des modes d'action et
l'altérité des registres référentiels s'additionnent et se
conjuguent pour transformer toute avancée théorique
en fiction et toute fiction en amorce de raisonnement
théorique. La résistance s'organise dans et par
l'écriture contre toute prise de pouvoir dans la langue.
La théorie de cette résistance ne peut permettre son
instauration. Elle n'existe que dans la belligérance.
Dans ce conflit ouvert, il y a bien un maître
— la « machine de contrôle » — et il y a bien des
esclaves révoltés. Mais le maître comme ses sujets
parlent par l'entremise d'une seule bouche
— une bouche aux voix multiples, aux paroles
fragmentées. La dissémination des phonèmes, le
grouillant murmure des phrases morcelées ramènent la
fiction au moment crucial de la création : l'écrivain,
responsable de ses personnages et de ses situations, ne
peut plus se servir de son souffle pour informer l'argile
de son cosmos de fantaisie : il ne peut qu'organiser la
corruption du logos.
La parole du commencement est comme effacée, et la
ligne tendue du langage que le dieu biblique a proféré
pour rendre possible l'humanité n'est plus que
lambeaux épars. Dans ce chaos logomachique, les
héros ne sont plus que des fantômes temporaires et des
ombres amputées, ne subsistant dans le court espace de
leur prestation que par l'attribution d'un nom, lui-même
sujet à déformations, mutilations, modifications, et voué
le plus souvent à une disparition irrémédiable et
dérisoire dans les latrines de l'imaginaire. Ce sont des
habitants d'une planète ravagée par un séisme sans
précédent. Le séisme a pour effet une détérioration
irrémédiable des schèmes de l'entendement. Alors la
panique s'installe. Et ils se bousculent dans un vortex.
Et ce sont eux qui n'existent qu'habités par le langage
qui les fait porter un nom et tenir un rôle quelconque
dans
la métropolis burroughsienne où plusieurs générations
d'événements se superposent sur plusieurs plans.
Tout le christianisme s'est concentré sur le problème
de l'univocité du discours, envisagé comme une
pyramide dont la pointe désignerait l'origine.
Abandonner l'observance de la loi universelle de la
langue divine revenait à en perdre la raison et à errer
sur les eaux démontées de la démence. Burroughs
s'emploie avec acharnement à contrecarrer ce dessein
théologique et répertorie tous les moyens possibles pour
que soit visée l'échappée à ce parasitage, qui asservit
l'homme et le fait s'incliner devant le diktat de la grammaire.
Les méthodes littéraires1 qu'il met au point,
1. Des méthodes littéraires et de leurs implications.
Les techniques littéraires utilisées par William S. Burroughs sont
extrêmement nombreuses et souvent associées les unes aux autres. Les
plus importantes — le cut-up (découpage), le fold-in (pliage) et les
permutations — ont été plus ou moins usitées pour la fabrication de
ses écrits après Le Festin nu — ce roman constituant de façon plus ou
moins métaphorique la matrice des fictions que Burroughs a
imaginées par la suite, ses chutes, ses repentirs et ses prolongements
servant à fournir ces nouvelles fictions en matériaux narratifs.
A ces trois méthodes largement éprouvées dans les textes composant
The Third Mind (Œuvre croisée) que Burroughs écrivit de concert
avec Brion Gysin, le « découvreur » de la plupart de ces moyens
mécaniques de multiplication des événements textuels, ou dans celles
réunies dans l'édition française de White Subway (Le Métro blanc),
d'autres ont été adjointes, essentiellement des techniques se
rapportant à des médias différents : le collage, l'épissage des bandes
magnétiques, le montage des films, etc.
Une partie de ces méthodes ont été reprises, répertoriées,
généralisées et mises en batterie dans The Electronic Révolution (La
Révolution électronique), traité dans lequel Burroughs s'est efforcé
d'en montrer les applications possibles dans la « réalité y du combat
idéologique — cet opuscule pouvant passer pour un manuel politique
à l'usage d'un Machiavel de l'ère atomique.
Laissant progressivement place à un traitement moins systé-
emprunte, perfectionne, éprouve, combine, ne sont rien
d'autre que les instruments autorisant cette échappée.
En organisant toujours plus de chaos et en donnant à ce
Il est vrai cependant que persévérer dans la combinaison du cut-up,
du fold-in, des permutations et d'autres formules bâtardes n'aurait pu
conduire Burroughs qu'à l'accélération d'un processus de raréfaction
de sa sphère opératoire, tout comme à un appauvrissement
dramatique de ses routines, réduites alors à des hypothèses de travail.
Pour en finir avec la question des méthodes, qui a soulevé de
surprenantes polémiques ces temps derniers, je ne saurais trop
insister sur le fait qu'elles sont d'authentiques moyens de construire,
et même de conceptualiser une œuvre, mais qu'elles font également
partie de ce territoire fictionnel que Burroughs a voulu à la fois
comme salle d'opération, analyse de cette salle d'opération et
pulvérisation fantasmatique des deux premières instances. Les
méthodes ne peuvent être comprises si on ne les implique pas dans le
processus romanesque dont l'un des topiques est la disparition de
l'écrivain comme manipulateur omniscient — une disparition
métaphorique elle aussi, mais qui recouvre toute la portée critique de
ces tentatives d'automatisme scriptural, qui n'ont rien de commun
avec l'écriture automatique des Surréalistes.
chaos l'aspect d'une jungle où évoluer dans un
incognito mythologique, il est
11
paradoxalement conduit à produire des méthodes
d'écriture de plus en plus complexes. Et ces méthodes
s'inscrivent dans un projet d'hétérogé-néisation des
fonctions textuelles. Mais le chaos n'est qu'une
apparence de chaos. C'est une chora, une fosse d'aisance
du sens, une culture de germes sémiques, un « trou à
ordures ». Sa mythologie se tient tout entière dans ce
tourbillonnement : elle en narre les cycles concentriques
qui se chevauchent, se télescopent et se contaminent
dans un désordre qui n'est qu'apparent. Il n'y a ni ordre
ni désordre, mais un type spécifique de logique
associative, fondée sur les théories mathématiques
modernes. La mythologie est donc avant tout une
logique. Mais une logique qui table sur un delirium 1.
Avec elle, nous sommes confrontés à une version moderne des
Métamorphoses qu'il ne serait pas vain de rapprocher du traité
d'Ovide : l'univers est conçu dans une accélération du processus de la
1. Des délires et des rêves et de leurs applications scripturaires.
Il a été trop souvent dit et imprimé que l'écriture de Burroughs peut
se comparer à celle que peut produire ta démence, en particulier celle
des schizophrènes, décrite avec précision dans le livre de Wolfson, ou
à la forme narrative des rêves qui repose sur une logique associative
qui procède par condensation, déplacement et transposition. Une telle
erreur et une schématisation aussi outrancière ne peuvent obéir qu'au
souci méprisable d'expliquer une œuvre littéraire par une quelconque
pathogénèse ou par l'imposition de lois qui lui sont extrinsèques.
Sans vouloir m'étendre longtemps sur cette question, je voudrais
seulement pointer le fait que Burroughs a bel et bien inclus le rêve et
la folie dans ses écrits, qu'il considère même le langage de l'un
comme de l'autre comme des paradigmes de son propre travail. Mais
il suffit de lire ses Journaux de retraite où, à l'exemple du Kerouac du
Livre des rêves, il consigne ses rêves, les commente et montre de
quelle façon ils sont intégrés à la masse signifiante destinée à
constituer un ouvrage, pour se rendre compte combien ils importent
en tant qu'objets d'expériences, au même titre que les phénomènes
perceptifs ou hallucinatoires.
L'œuvre de Burroughs s'édifiant dans Vidée qu'il est besoin de
concevoir la langue comme un immense réservoir, non pas à double
fond, mais à double surface, comme un palimpseste discursif en
perpétuelle recomposition, les déviations de la ratio et les infiltrations
de l'inconscient viennent naturellement en alimenter et en renouveler
la texture.
transformation de la matière et des différents règnes. La mythologie
se caractérise alors par un monnayage symbolique qui n'a d'autre
objet que de ramener toutes les créations du monde aux moments d'un
récit soumettant les êtres mortels comme les dieux à ses impératifs.
Une telle « mythologie personnelle » ne s'est échafaudée que par
la volonté de son auteur qui tentait de rompre le cordon ombilical le
reliant au nom du père et au trou de la mère. La matrice où se
déclenchent ces hostilités métaphoriques, cette caverne cloaquale où
résonnent ces voix sans locuteurs et ces corps sans organes de la
parole, ces personnages hybrides qui prononcent des mots qui ne leur
appartiennent pas, cet antre des métaphores bibliques — puisque
c'est là que se joue le drame qui consiste à rapporter le monde païen
dans le Livre du monothéisme —, que sont-ils et que représentent-ils,
sinon la dénégation radicale d'une filiation ?
D'où la pseudo-utopie burroughsienne qui divise le monde en deux
parties, l'une réservée aux hommes et l'autre abandonnée aux
femmes, abolit l'amour au profit de la reconnaissance, détruit les
structures matriarcales, démantèle la famille, ruine tout normatisme
et combat les fondements mêmes de la galaxie Gutenberg.
Mais une telle entreprise ne saurait se postuler sans son corollaire
obligé: la mise à sac (et non la destruction) du système d'écriture
occidental. D'une façon particulièrement explicite, Burroughs
assimile l'écriture à la conspiration visant à
enfermer l'individu dans un ordre carcéral — la prison
n'étant autre que son propre langage — qui tisse avec
les mots un voile de Maya entre l'être et les objets, un
voile de Maya dressant un rideau de fer entre Nature et
Culture.
Définissant le langage comme une contagion virale
qui le fait assimiler toute pratique langagière à une
maladie incurable — la langue elle-même est à
regarder comme un hôte indésirable dans le cerveau
humain.
Le problème soulevé ici est le suivant : faut-il
habiter son propre corps ou la langue ? Et que se
passe-t-il entre la langue et le corps ? Et si le langage
humain n'était qu'un leurre ?
Le roman désintégré et dépourvu de centre de
gravité de Burroughs se définit bien par cette
interrogation infatigable qui a pour conséquence de lui
12
faire poser l'hypothèse d'un corpus hiéroglyphique,
inspiré de l'écriture des Egyptiens anciens et des
pictogrammes mayas. Ce projet stipule en premier lieu
l'ablation de la copule, le bannissement du verbe être,
dont les deux modes permettent à la syntaxe de
s'ordonner et de répondre aux exigences
aristotéliciennes du tiers exclu. Une telle éradication
de la copule se concrétise sur-le-champ par la
transformation des mécanismes de la ratio. Le langage,
contre toute la philosophie gréco-latine et, plus
généralement,
toutes
les
spéculations
judéo-chrétiennes, doit éviter à jamais le truchement de
l'articulation et de la verbalisation pour devenir une
association silencieuse et purement imageante. Ce qui
est visé, c'est le silence, c'est-à-dire l'impossible
humain. Mais ce que démontrent plusieurs de ses
textes, tels ceux de la grande trilogie ou ceux réunis
dans les chantiers de ses premiers travaux
expérimentaux (The Third Mind et tous les avatars de
Minute To Go), c'est essentiellement une littéralité
inventée grâce à l'emploi des « hiéroglyphes du silence ».
Entièrement portée par une fracture dans la voûte
acoustique, l'œuvre de Burroughs se donne comme un
dialogue interminable, sans résolution possible, entre
deux camps ennemis, sans que l'on discerne vraiment qui
ou quoi appartient au premier ou au second. L'inspecteur
Lee lance une croisade impitoyable contre la canaille
Nova, mais n'est-il pas aussi un de ces garçons sauvages
qui brandissent le scalpel de la castration, Mr.
Bradley-Mr. Martin, divinité bifide et déchue, le môme
Citron, A.J., ou quiconque circulant sur les lignes-mots
brisées de la communication ?
Nous pourrions ici nous employer à replacer
Burroughs dans le contexte de la littérature moderne, et le
mettre en situation par rapport à Joyce, Stein, Genet,
Beckett, Gadda, et quelques autres. De surcroît, il s'est
servi de cette histoire littéraire pour constituer la materia
prima de ses propres livres, en faisant l'histoire la plus
violente qui se peut concevoir. Mais il ne s'est vraiment
penché qu'au chevet d'un seul homme : Dutch Shultz, le
gangster qui, en mourant, a prononcé quelque deux mille
mots fidèlement consignés par le chien du commissaire,
deux mille mots qui étaient ses derniers mots, mais aussi
les premiers à le faire basculer de l'autre côté du miroir
— en sorte que sa conscience s'était retournée comme une
outre dans son crâne en dévoilant l'envers de ses phrases,
ses anagrammes secrètes et ses rêves oubliés.
Gérard - Georges Lemaire
Extrait du journal d'un jeune élève de six ans de l'école
américaine de Tanger, Maroc : « Je me lève à 8 h 30. Je
prends mon petit déjeuner. Puis je pars faire mon job. »
Quand on lui demanda ce qu'il voulait dire par le job, il
répondit : « L'école, bien entendu. »
13
Playback d'Eden
à Watergate
Encounter Magazine, publication dont il a été reconnu
qu'elle reçut un temps des subsides de la CIA, publia
un jour un article intitulé « Night Words » par George
Steiner. S'y exprimant sur mes écrits, et sur ceux
d'autres écrivains, qui contiennent des descriptions
franches et explicites de scènes sexuelles, l'auteur
s'exclame : « Au nom de l'intimité humaine, assez ! »
Au nom de qui évoque-t-on là l'intimité humaine ? Au
nom de ceux qui cachèrent des micros dans la chambre
à coucher de Martin Luther King et qui retournèrent le
cabinet du psychiatre d'Ells-berg ? Et combien d'autres
chambres ont-ils truffées de micros ? Y a-t-il quelqu'un
pour croire que ce sont là des cas isolés ? Qu'on les a
surpris à leur première tentative ? Qui jette la première
pierre ici ?
C'est précisément en démolissant l'idée d'intimité dans
sa totalité qu'on brisera le monopole que le
gouvernement Nixon veut imposer. C'est quand ça
n'intéresse plus personne que la honte disparaît. C'est
quand nous serons parvenus à cela que nous
retournerons tous au Jardin d'Eden, mais sans Dieu qui
rôde comme un privé muni d'un magnétophone. Les
livres et les films où l'acte sexuel est représenté
explicitement constituent certainement un pas dans la
bonne direction. C'est précisément cette destruction de
la
15
honte et de la peur de la sexualité que le gouvernement
Nixon s'est mis en tête d'empêcher, afin de continuer à les
utiliser comme armes de contrôle politique.
On suppose en général que le mot parlé est venu avant le
mot écrit. Je suggère au contraire que le mot parlé tel que
nous le connaissons vint après le mot écrit. Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu — et
le Verbe s'est fait chair... chair humaine... au
commencement de l'écriture. Les animaux parlent. Ils
n'écrivent pas. Si un vieux rat parvenu à la sagesse peut en
savoir long sur les pièges et le poison, il est par contre
incapable d'écrire un article pour le Reader's Digest sur «
Les pièges mortels dans votre entrepôt », avec les
tactiques pour faire front contre les chiens et les furets et
les petits malins qui bourrent les trous à rats avec de la
laine d'acier. Il est douteux que le mot parlé eût jamais
dépassé le stade animal sans le mot écrit. C'est dans la
parole humaine que le mot écrit est venu après.
Ma théorie de base est que le mot écrit était en fait un
virus qui rendit possible le mot parlé. On ne s'était pas
encore rendu compte que le mot était un virus parce qu'il
est parvenu à un stade de symbiose stable avec l'hôte qui
le porte, quoique cette relation symbiotique soit en train de
s'effondrer, pour des raisons que je suggérerai plus loin.
Je citerai l'ouvrage Mechanisms of Virus Infection, réuni
par Mr. Wilson Smith, savant qui réfléchit vraiment à son
sujet au lieu de se contenter d'un vague amalgame de faits.
Le sujet de ses réflexions est l'intention ultime de
l'organisme viral. Un chapitre intitulé « Adaptabilité du
virus et résistance de l'hôte », par G. Belyavin, développe
quelques spéculations sur le but biologique des virus. «
Les virus sont par nécessité des parasites cellulaires et, à
ce titre, ils dépendent entièrement de l'intégrité des
systèmes cellulaires qu'ils parasitent pour survivre dans un
état d'activité. Il n'est pas peu paradoxal que maints virus
finissent par détruire les cellules dans lesquelles ils vivent.
»
Le virus est-il alors simplement une bombe à action
temporelle laissée sur cette planète et actionnée à distance
? Un programme d'extermination, peut-être ? La créature
humaine doit-elle survivre sur la route qui la mène de la
virulence maximum à la symbiose ultime tant souhaitée ?
« Au point de vue du virus, la situation idéale serait
apparemment qu'il se multiplie dans des cellules sans en
perturber le moins du monde le métabolisme normal. On a
suggéré que c'était là la situation biologique idéale vers
laquelle tous les virus évoluent lentement. »
Résisteriez-vous violemment à un virus bien intentionné
qui va son bonhomme de chemin vers la symbiose ?
« On notera avec intérêt que, si un virus devait parvenir à
un état d'équilibre totalement bénin avec sa cellule-hôte, il
est peu probable que sa présence serait d'emblée détectée
ou même qu'on reconnaîtrait forcément qu'il s'agit d'un
virus. » Je suggère donc que le mot est tout bonnement un
virus de cette sorte. Le Dr Kurt Unruh von Steinplatz a
avancé une intéressante théorie sur les origines et l'histoire
de ce mot viral. Il postule que le mot était le virus de ce
qu'il nomme la « mutation biologique », virus qui causa un
changement chez l'hôte porteur avant d'être transmis
génétiquement. Une des raisons pour lesquelles les singes
ne savent pas parler est que la structure de leur gorge
intérieure n'est tout simplement pas conçue pour formuler
des mots. Il postule que des modifications de structure de
la gorge intérieure furent occasionnées par une maladie
virale. Sacrée occasion ! Cette maladie entraîna peut-être
un taux élevé de mortalité, mais quelques femelles
survécurent sans doute car elles donnèrent naissance aux
Wunderkinder. Il se peut que cette maladie ait pris une
forme plus maligne chez le mâle en raison de sa structure
musculaire plus développée et plus rigide, provoquant la
mort par strangulation et fracture des vertèbres. Le virus
déclenchant chez le mâle aussi bien que chez la femelle
une frénésie sexuelle par irritation des centres sexuels
cervicaux, le mâle féconda la femelle lors de ses spasmes
d'agonie, puis la nouvelle structure de gorge fut transmise
génétiquement. Ach, Junge, quel tableau kolos-sal !... les
singes perdent tous leurs poils en lâchant la vapeur,
pendant que les femelles geignent et sanglotent par-dessus
les mâles mourant comme des vaches atteintes de fièvre
aphteuse — et quelle puanteur : odeur musquée,
métallique et douce-amère du fruit défendu du Jardin
d'Eden...
La création d'Adam, le Jardin d'Eden, le sommeil d'Adam
pendant lequel Dieu façonne Eve avec une de ses côtes, le
16
fruit défendu, qui était bien entendu le fait d'être au
courant de toute cette affaire merdeuse et qu'on pourrait
bien appeler le premier Watergate, tout cela se goupille
parfaitement dans la théorie de von Steinplatz, notre
toubib. Et c'est là un mythe blanc, ce qui nous amène à
supposer que le mot-virus a pris une forme
particulièrement maligne et mortelle chez la race blanche.
Comment donc s'explique cette malignité particulière du
mot-virus blanc ? Très probablement, une mutation virale
causée par la radioactivité. Toutes les expériences
effectuées jusqu'à présent sur des animaux et des insectes
indiquent que les mutations dues aux radiations ne sont
pas fastes — c'est-à-dire qu'elles ne permettent pas la
survie. Ces expériences concernent les effets des
radiations sur des créatures autonomes ; mais quels
seraient-ils sur des virus ? N'y aurait-il pas certaines
expériences secrètes et absolument confidentielles derrière
la sécurité nationale ? Les mutations virales provoquées
par les radiations sont peut-être tout à fait favorables au
virus. Et un virus irradié pourrait peut-être bien enfreindre
le pacte ancien de la symbiose, l'équilibre bénin avec la
cellule hôte. Et à présent, avec les histoires d'écoute du
Watergate et les retombées des expériences nucléaires, le
virus se retourne dans tous les sens, dans toutes vos gorges
blanches. Il fut un jour un virus tueur. Il pourrait le
redevenir et faire rage à travers les villes de la Terre, se
propageant comme un feu de cimes.
« C'est le début de la fin. » Ainsi réagit un attaché
scientifique d'une des plus importantes ambassades de
Washington en apprenant qu'une particule génétique
synthétique avait été produite en laboratoire. « N'importe
quel petit pays peut à présent fabriquer un virus
inguérissable. Il suffit d'un petit laboratoire. N'importe
quel pays possédant de bons biochimistes y arriverait. » Il
est à supposer que n'importe quel grand pays peut y
arriver plus vite et mieux.
J'avance la théorie qu'à l'âge de la révolution électronique
un virus est une très petite unité de mot et d'image. J'ai
laissé entendre comment on pouvait activer
biologiquement de telles unités et en faire des races de
virus communicables. Partons de trois magnétophones
dans le Jardin d'Eden. Magnétophone numéro un est
Adam. Magnétophone numéro deux est Eve. Magnétophone numéro trois est Dieu, qui s'est détérioré
après Hiroshima pour donner l'Affreux Américain.
Ou, pour reprendre notre scène primitive :
magnétophone un est le singe en proie à une
incontrôlable frénésie sexuelle tandis que le virus
l'étrangle. Magnétophone deux est la roucoulante
guenon qui l'enfourche. Magnétophone trois est la
MORT.
Von Steinplatz postule que le virus de la mutation
biologique, qu'il appelle le Virus B-23, est contenu
dans le mot. Déclencher ce virus-mot pourrait être
plus destructeur que déclencher la puissance de
l'atome. Parce que toute haine, toute souffrance,
toute peur, tout désir sont contenus dans le mot.
Nous avons donc trois magnétophones. Fabriquons
un mot-virus simple. Supposons que notre cible soit
un rival politique. Sur le magnétophone un, nous
enregistrons discours et conversations, prenant bien
soin d'y mêler des bafouillements, des lapsus et des
expressions ineptes — le numéro un le pire que
nous pourrons assembler. Ensuite, sur le
magnétophone deux, nous ferons une bande
sexuelle avec des micros cachés dans sa chambre à
coucher. On peut accentuer la force de cette bande
en y intercalant un objet sexuel inadmissible ou
interdit ou les deux à la fois, comme la fille
impubère du sénateur. Sur le magnétophone trois,
nous enregistrerons des voix pleines de haine et de
désapprobation. Nous ferons un montage des trois
enregistrements en intercalant de très courtes
séquences, puis nous le passerons au sénateur et à
ses électeurs. Ce travail de coupage et de montage
peut être extrêmement complexe, nécessitant des
embrouil-leurs de discours et des batteries de
magnétophones, mais le principe de base est
simplement de monter des bandes sexuelles et des
bandes de désapprobation. Une fois que les lignes
d'association ont été établies, elles feront effet
chaque fois que les centres verbaux du sénateur
seront suscités, c'est-à-dire toutes les fois où il
l'ouvrira (que le ciel vienne en aide à ce misérable
connard s'il est arrivé quelque chose à sa grande
gueule). Ainsi sa jeune fille se tortille sur lui tandis
que les Rangers texans et les grenouilles de bénitier
gueulent dans le magnétophone trois : «
QU'OSEZ-VOUS
FAIRE
DEVANT
DES
HONNETES GENS ! »
La fille impubère n'est qu'un petit raffinement.
Fondamentalement, vous n'avez besoin que d'enregistrements sexuels sur le numéro deux et d'enregistrements hostiles sur le numéro trois. Grâce à
17
cette formule simple, n'importe quel salopard de la
CIA peut devenir Dieu — à savoir, le magnétophone trois. Remarquez bien l'accent porté sur le
matériau sexuel dans les cambriolages et les écoutes
du miasme de Watergate — ou les écoutes de la
chambre à coucher de Martin Luther King. Crac
boum hue ! Une technique d'assassinat qui ne rate
jamais. A tout le moins, une technique qui ne
manque pas d'énerver les adversaires et de les
mettre dans une position désavantageuse. Et le vrai
scandale de Watergate qui n'a pas encore fait
surface n'est pas les écoutes de chambres à coucher
et la mise à sac de cabinets de psychiatres, mais
l'usage précis qui a été fait de ce matériau sexuel.
C'est en circuit fermé que cette formule marche le
mieux. Si on répand, tolère et montre publiquement
des enregistrements et des films sexuels, le
magnétophone trois perd son pouvoir. Ce qui
explique peut-être pourquoi le gouvernement Nixon
entend bien interdire les films pornographiques et
rétablir la censure sur tous les films et tous les livres
— pour garder le magnétophone trois en circuit
fermé.
Et cela nous amène au sujet du SEXE. Pour citer feu
John O'Hara : « Je suis content que vous soyez venu
me voir au lieu d'un de ces charlatans installés au
dernier étage. » Psychiatres, prêtres, quel que soit le
nom qu'ils se donnent, tous veulent arrêter la
machine pour que magnétophone trois continue à
tourner. Eh bien ! nous, appuyons sur le bouton.
Allez, tous les baiseurs, utilisez des caméras et des
magnétophones pour filmer et enregistrer vos
partouzes. Puis revoyez la séance et choisissez les
moments les plus sexy — vous savez bien, quand
c'est vraiment ça. Reich mit au point un appareil à
électrodes, à fixer au pénis, pour mesurer la charge
orgas-mique. Voici un orgasme sans plaisir qui
retombe
lamentablement
au
moment
où
magnétophone trois pointe son nez. C'a été du tout
juste ! Là, un orgasme intense qui grimpe sur le
graphique. Donc, vous prenez vos meilleures
séances et vous invitez vos voisins à venir les voir.
C'est le dernier chic entre voisins. Essayez d'autres
montages, par exemple en alternant les vingt-quatre
plans de la seconde. Essayez les ralentis et les
accélérés. Construisez et expérimentez un accumulateur d'orgones. Il s'agit simplement d'une boîte
de n'importe quelle forme ou n'importe quelle taille
doublée de fer. Votre intrépide reporteur a réussi, à
l'âge de trente-sept ans, un orgasme spontané, sans
les mains, dans un accumulateur à orgones construit
dans une orangeraie de Pharr, au Texas. Cela réussit
grâce à la petite taille et à l'application directe de
l'accumulateur. Voilà ce que devraient fabriquer
chaque garçon et chaque fille au sang chaud dans
l'atelier du sous-sol. L'accumulateur d'orgones
pourrait acquérir une puissance bien plus grande en
utilisant du fer magnétisé, qui propulse un puissant
champ magnétique à travers le corps. Et
des petits accumulateurs comme des pistolets à rayons.
Voilà Johnny-le-dur qui prend une rafale de rayons et
lâche la purée dans son froc. Son arme tombe de sa
main. Il avait beau être rapide, il ne l'a pas été assez.
Pour fabriquer un petit accumulateur directionnel,
procurez-vous six aimants puissants. Disposez vos
carrés de fer magnétisé de telle sorte qu'ils forment une
boîte. Sur un des côtés de la boîte, percez un trou et
insérez-y un tube de fer. Puis recouvrez boîte et tube
avec n'importe quel matériau organique — caoutchouc,
cuir, tissu. Essayez alors le tube sur vos parties
sexuelles et celles de vos amis et voisins. C'est bon
pour jeunes et vieux, hommes et animaux, et ça
s'appelle le SEXE. On sait aussi que ça a un rapport
direct avec ce qu'on nomme la VIE. Débarrassons-nous
de saint Paul, éjectons la ceinture biblique. Et dites au
magnétophone trois de se couvrir sa petite chose
malpropre. Elle pue du Jardin d'Eden à Watergate.
J'ai dit que le vrai scandale de Watergate est l'emploi
fait des enregistrements. Mais quel est cet emploi ?
Ayant effectué les enregistrements comme on l'a décrit,
qu'en font-ils alors ? Réponse : Ils les repassent sur les
lieux. Ils repassent ces enregistrements à la cible
elle-même, si la cible est un individu, au moyen de
voitures qui le doublent dans la rue et d'agents qui
passent à côté de lui sur le trottoir. Ils repassent ces
enregistrements dans son quartier. Finalement, ils les
repassent dans le métro, les restaurants, les aéroports et
autres lieux publics. Le playback devient l'ingrédient
essentiel. J'ai fait pendant quelques années un certain
nombre d'expériences avec des enregistrements de rue
que je repassais, et le fait étonnant qui s'en dégage est
que vous n'avez pas besoin d'enregistrements sexuels
ou même de bandes falsifiées pour produire des effets
par playback. Tout enregistrement repassé sur les lieux
de la manière que je vais maintenant décrire peut
produire des effets. Il ne fait pas de doute que des
bandes sexuelles truquées produiraient un effet plus
puissant. Mais une partie du pouvoir du mot est déclenchée par simple playback, comme le vérifiera
quiconque prendra le temps d'essayer. J'ai fréquemment
observé que cette opération simple — faire des
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enregistrements et prendre des photos d'un certain lieu
qu'on souhaite gêner ou même détruire, puis repasser les
enregistrements et reprendre des photos — a pour
résultat
des
accidents,
des
incendies,
des
déménagements, surtout ces derniers. La cible se
déplace. Nous avons réalisé cette opération sur le centre
de Scientologie du 37 Fitzroy Street. Quelques mois plus
tard, ils allèrent s'installer 68 Tottenham Court Road,
où une opération similaire a été récemment entreprise.
Voici une opération-exemple, effectuée contre le Moka
Bar, 29 Frith Street, Londres, W.l, à partir du 3 août
1972. Jeudi à rebours. Motifs de l'opération : manque
de courtoisie et insultes injustifiés, ainsi que gâteau au
fromage dégueulasse. Concentrons-nous sur le Moka
Bar. Enregistrer. Photographier. Se poster devant.
Qu'ils me voient. Ça s'agite, là-dedans. L'horrible vieux
patron, sa femme aux cheveux frisés et leur fils à la
mâchoire molle ; le serveur hargneux. Je les ai et ils le
savent.
« Alors, les cocos, paraît que vous cherchez des noises
aux gens ? Eh bien, sortez et faites voir ce que vous
savez faire. Avisez-vous de briser mon appareil de
photo et j'appelle un agent. J'ai le droit de faire ce qui
me plaît dans la rue qui appartient à tout le monde. »
19
Si ça en venait là, j'expliquerais au policier que
j'enregistrais les bruits de la rue pour un documentaire
sur Soho. Après tout, c'était là le premier bar espresso
de Londres, n'est-ce pas ? Je leur rendais service. Ils ne
pourraient pas dire sans être ridicules ce qu'eux et moi
savions. « C'est pas vrai, il ne fait pas de documentaire.
Il essaye de faire sauter le percolateur, de provoquer un
incendie dans la cuisine, des bagarres dans la salle, de
nous faire donner un blâme par le ministère de la Santé.
»
Oui, je les avais, et ils le savaient. Je regardais le vieux
patron en souriant, comme s'il aimait ce que j'étais en
train de faire. Le playback viendrait un peu plus tard,
ainsi que d'autres photos. Je pris mon temps et allai en
flânant jusqu'au marché de Brewer Street, où
j'enregistrai un jeu de cartes de rue. Tantôt on la voit,
tantôt on la voit plus.
Le playback fut exécuté un certain nombre de fois, en
même temps que d'autres photos. Leur affaire
commença à péricliter. Ils ouvraient de moins en moins
longtemps. Le 30 octobre 1972, le Moka Bar ferma.
Les lieux furent occupés par le Queen's Snack Bar.
Comment appliquer l'analogie des trois magnétophones
à cette simple opération. Magnétophone un est le Moka
Bar même, dans sa condition primitive. Magnétophone
deux est mon enregistrement du Moka Bar et des
environs.
Ces
enregistrements
sont
l'accès.
Magnétophone deux dans le Jardin d'Eden était Eve
faite à partir d'Adam. Donc, un enregistrement du
Moka Bar est un morceau du Moka Bar. Une fois
l'enregistrement fait, il devient autonome et échappe à
leur contrôle. Magnétophone trois est le playback.
Adam ressent de la honte quand son ignoble comporté-
es
ment lui est repassé par magnétophone trois, qui est
Dieu.
En repassant mes enregistrements du Moka Bar quand
je le veux et avec les modifications qu'il me plaît
d'apporter à ces enregistrements, je deviens Dieu pour
ce lieu. Je les affecte. Eux ne le peuvent pas.
Supposons par exemple que, dans l'intérêt de la sécurité
nationale, votre salle de bains et votre chambre soient
truffées de micros et de caméras à infrarouges. Ces
images et enregistrements permettent l'accès. Vous
n'éprouvez peut-être pas de honte pendant la défécation
et la copulation, mais il se peut bien que vous en
éprouviez lorsqu'on repassera ces enregistrements à un
public désapprobateur. La honte est le playback :
l'exposition à la désapprobation.
Considérons maintenant l'arène politique et l'application des écoutes dans ce domaine. Il est évident
qu'on dispose tout de suite d'un nombre illimité
d'enregistrements puisque les hommes politiques font
des discours à la télévision. Ces enregistrements ne
donnent toutefois pas accès. L'homme qui fait un
discours n'est pas vraiment là. Par conséquent, on a
besoin d'enregistrements intimes ou au moins privés, et
c'est pourquoi les conspirateurs du Watergate durent
avoir recours au cambriolage.
Un candidat à la présidence n'est pas un canard assis
sur son cul comme le Moka Bar. Il peut faire un
nombre illimité d'enregistrements de ses adversaires.
Le jeu est donc complexe et, dans cette compétition, les
deux côtés peuvent faire des enregistrements. Cela
conduit à des techniques plus élaborées, dont les détails
ne sont pas encore au point.
L'opération de base d'enregistrer, photographier,
photographier à nouveau et repasser le tout peut être
exécutée par toute personne équipée
20
d'un enregistreur et d'un appareil photo. Tous les
coups sont bons. Des millions de gens effectuant
cette opération de base pourraient réduire à néant le
système de contrôle que tentent d'imposer ceux qui
sont derrière Watergate et Nixon. Comme tous les
systèmes de contrôle, il dépend du maintien d'une
position de monople. Si n'importe qui peut être
magnétophone trois, ce dernier perd tout pouvoir.
Dieu ne peut être que Dieu.
William S. Burroughs
Londres, 1973
«Navigare necesse es vivare no
es Necesse.»
« Il est nécessaire de voyager. Il n'est pas nécessaire
de vivre. » Ces mots inspirèrent les anciens
navigateurs quand la frontière infinie des mers
inexplorées s'ouvrit à leurs voiles au quinzième
siècle. L'espace est la nouvelle frontière. Cette
frontière est-elle ouverte à la jeunesse ? Je cite le
London Express du 30 décembre 1968 : « Si vous
êtes un jeune homme de moins de vingt ans, en
forme, possédant des réflexes parfaits, ne craignant
rien ni au ciel ni sur terre et animé d'un goût acéré de
l'aventure, renoncez à essayer de devenir astronaute.
» Ils veulent des « papas gâteaux » tenus en laisse
dans une combinaison par la « meilleure moitié ».
Le Dr Paine du Centre spatial de Houston a déclaré :
« Le vol qui vient d'être accompli est un triomphe
pour les gens corrects de ce monde qui ne sont pas
des hippies et qui travaillent consciencieusement
tout en n'ayant pas honte de dire une prière de temps
en temps. » Est-ce là la grande aventure de l'espace ?
Sont-ce des hommes de cette sorte qui vont pénétrer
dans des régions littéralement impensables en termes
verbaux ? Pour voyager dans l'espace, vous devez
abandonner derrière vous la vieille ordure verbale :
le discours Dieu, le discours pays, le discours
maman, le discours amour, le discours parti. Vous
devez apprendre à exister sans religion sans pays
sans
22
alliés. Vous devez apprendre à vivre seul en silence.
Quiconque prie dans l'espace n'y est pas.
On est en train de fermer la dernière frontière à la
jeunesse. Cependant, plus d'une voie mène à
l'espace. Parvenir à se libérer complètement de tout
conditionnement passé, c'est être dans l'espace. Il
existe des techniques pour parvenir à une telle
liberté. Mais ces techniques sont dissimulées et
tues. Dans le Job, j'examine des techniques de
découverte.
W. B.
NOTE DE L'AUTEUR
Au départ, ce livre fut conçu comme une série
d'entretiens impromptus. Toutefois, à mesure que
M. Odier posait ses questions, je me suis aperçu
que, dans de nombreux cas, j'y avais déjà répondu
dans divers livres, articles ou textes courts. C'est
pourquoi, au lieu de paraphraser ou de les résumer,
j'ai inséré ces textes. Le résultat possède la forme
d'entretiens présentés comme un film avec des
fondus-enchaînés et des retours en arrière illustrant
les réponses.
Voyage dans
l'espace-temps
Question. — Vos livres, surtout depuis Le Ticket qui
explosa, ne sont plus des « romans » ; il y a un
éclatement de la forme romanesque sensible depuis Le
Festin nu. Vers quel but tend cet éclatement ?
Réponse. — C'est très difficile à dire. Je crois que la
forme romanesque est probablement dépassée et que
nous pouvons sans doute nous attendre à un avenir
dans lequel les gens ne liront plus du tout ou ne liront
que des livres illustrés, des revues ou quelque forme
abrégée de lecture. Pour être à la hauteur de la
télévision et des magazines illustrés, les écrivains vont
devoir mettre au point des techniques plus précises leur
permettant de produire sur le lecteur le même effet
qu'une photo d'action haute en couleur.
— Qu'est-ce qui sépare Le Festin nu de Nova Express
? Quelle est l'évolution la plus importante entre ces
deux livres ?
— Je dirais que l'introduction du cdt-up et du fold-in
qui a eu lieu entre Le Festin nu et Nova Express est
sans doute l'évolution la plus importante entre ces
livres. Dans Nova Express, je crois que je m'éloigne
davantage de la forme conventionnelle du roman que je
ne l'ai fait dans Le Festin nu. Je ne crois pas que Nova
Express ait été, en aucun sens, un livre entièrement
réussi.
26
— Vous avez écrit : « L'écriture a cinquante ans de
retard sur la peinture. » Comment rattraper ce retard ?
— Ce n'est pas moi qui ai écrit cela, c'est Brion Gysin,
qui est à la fois peintre et écrivain. Pourquoi ce retard ?
Parce que le peintre peut toucher et manipuler son
matériau de travail, alors que l'écrivain ne le peut pas.
L'écrivain ne sait pas encore ce que sont les mots. Par
rapport au point d'origine des mots, il ne manipule que des
abstractions. Le pouvoir que possède le peintre de toucher
et de manier son matériau a engendré les techniques de
montage il y a soixante ans. Il est à espérer que le
développement des techniques de cut-up mènera à des
expériences verbales plus précises qui diminueront ce
retard et apporteront à l'écriture une dimension entièrement nouvelle. Ces techniques peuvent faire voir à
l'écrivain ce que sont les mots et le mettre en
communication tactile avec son matériau de travail. Cela
pourrait à son tour mener à une science précise des mots
et montrer comment certaines combinaisons verbales
produisent certains effets sur le système nerveux humain.
— Avez-vous utilisé longtemps les techniques de coupage
et de pliage de textes avant de passer à l'utilisation de
magnétophones ? Et quelles ont été les expériences les
plus intéressantes avec la première de ces techniques ?
— La première extension de la méthode cut-up s'est
produite par l'emploi du magnétophone. Faire le cut-up
directement sur le magnétophone, c'est-à-dire enregistrer
quelque chose puis mélanger à cela, au hasard, des
passages, a été introduit par Brion Gysin. Bien sûr, les
mots du premier enregistrement sont effacés par de nouvelles insertions et vous obtenez des juxtaposilions très intéressantes. Quelques-unes sont utiles du
point de vue littéraire, d'autres ne le sont pas. Je dirais
que l'expérience la plus intéressante que j'aie faite avec
cette technique était le fait de réaliser que, lorsque
vous pliez et coupez, vous n'obtenez pas simplement
des juxtapositions de mots ducs au hasard, mais
qu'elles signifient souvent quelque chose. La plupart
du temps, ces significations se rapportent à quelque
événement futur. J'ai fait beaucoup de cut-ups et j'ai
constaté plus tard qu'ils se rapportaient à une chose lue
dans un journal, dans un livre, ou à un événement.
Pour donner un exemple précis, j'ai fait un cut-up d'un
texte écrit par Mr. Getty, je crois pour Time and Tide.
Il est sorti de ce cut-up : « C'est une mauvaise chose
d'intenter un procès à votre père. » Trois ans plus tard,
son fils lui a intenté un procès. Il se peut que les
événements soient pré-écrits et pré-enrcgistrés et que
quand on coupe les lignes verbales, l'avenir filtre. J'ai
vu assez d'exemples pour être convaincu que les
cut-ups constituent une clé fondamentale pour
découvrir la nature et la fonction des mots.
— Le magnétophone est pour vous un moyen de
briser les barrières qui enferment la conscience.
Comment êtes-vous arrivé à l'utilisation des magnétophones ? Quel est l'avantage de cette technique
sur les techniques de pliage et de découpage ?
— Je pense que cela est surtout dû à l'influence de
Brion Gysin qui a démontré que la méthode cut-up
pouvait être poussée beaucoup plus loin sur les
magnétophones. Vous pouvez y faire toutes sortes de
choses irréalisables par d'autres moyens : des effets de
simultanéité, des échos, des accélérations, des
ralentissements, superposer trois pistes, etc. Il y a
toutes sortes de choses que vous pouvez faire sur un
magnétophone et qui ne pourraient manifestement pas
être indiquées sur la page imprimée. Le concept de
simultanéité ne peut être indiqué que très grossièrement sur la page imprimée par l'emploi de colonnes et
le lecteur doit suivre une colonne à la fois. Nous avons
l'habitude de lire de gauche à droite et ce
conditionnement n'est pas facile à briser.
— Lorsque vous avez obtenu un mixage ou un
montage, suivez-vous les directions ouvertes par le
texte, ou adaptez-vous ce que vous voulez dire à ce
mixage ou à ce montage ?
— Je dirais que je suis les voies ouvertes par le
remodelage du texte. C'est la fonction la plus
importante du cut-up. II est possible que je prenne une
page, la découpe, en sorte une idée nouvelle pour une
narration ordinaire, et que je n'emploie pas du tout les
matériaux du cut-up ou alors que je n'utilise qu'une
phrase ou deux du cut-up lui-même.
Tout cela n'a rien d'inconscient ; c'est une opération
très précise... La méthode la plus simple est de prendre
une page, de la couper en quatre parties égales, puis de
redistribuer les quatre sections. C'est une forme très
simple du cut-up si vous voulez simplement avoir une
redistribution de mots sur une page. C'est très
conscient, il n'y a rien ici de l'écriture automatique ou
d'un procédé inconscient.
27
Vous ne savez pas ce que vous obtiendrez à cause des
limitations de l'esprit humain, pas plus qu'un être
humain ne peut jouer aux échecs avec cinq jeux
d'avance. Probablement, il serait possible à quelqu'un
qui posséderait une mémoire photographique de
regarder une page et de la découper dans son esprit,
c'est-à-dire de mélanger tous les mots... J'ai écrit
récemment un scénario de film sur la vie de Dutch
Schultz ; l'écriture en est tout
à fait classique. J'ai néanmoins découpé chaque page, et
j'ai eu tout à coup un grand nombre d'idées nouvelles que
j'ai alors incorporées à la structure narrative. C'est là une
technique cinématographique parfaitement classique, tout
à fait intelligible au lecteur moyen, et ce n'est en rien
écriture expérimentale.
— Projette-t-on d'employer le cut-up dans le film?
— Les cut-ups ont été employés depuis très longtemps
dans les films. Le travail le plus important est d'ailleurs
fait dans la salle de montage. Comme le peintre, les
techniciens du cinéma peuvent toucher et manipuler leur
matériau, déplacer des éléments et essayer des
juxtapositions nouvelles. Par exemple dans une narration
directe, tel passage est une scène de délire ou quelqu'un en
état de confusion mentale se rappelant des événements du
passé... L'écrivain peut évidemment construire une telle
scène consciemment et artistiquement. Ma méthode
consiste à taper le matériau à utiliser, puis à le faire passer
par plusieurs cut-ups. De cette manière, je m'aperçois
qu'un tableau du délire plus réaliste en sort que ce qu'on
aurait pu atteindre au moyen d'une reconstitution
artificielle. Vous manipulez pour ainsi dire le matériau et
le processus du délire lui-même. Je fais un certain nombre
de cut-ups et je choisis ceux qui me paraissent en fin de
compte les plus réussis. La sélection et l'arrangement des
matériaux sont conscients, mais il y a un facteur de hasard
par lequel j'obtiens les matériaux que je dois ensuite
utiliser, sélectionner et travailler pour en faire une forme
acceptable.
— Dans quelle mesure contrôlez-vous et choisissez-vous
ce que vous prenez pour vos montages ?
— Vous contrôlez ce que vous mettez dans vos
28
montages, vous ne contrôlez pas complètement ce
qui en sort. Je veux dire que je choisis la page à
découper et contrôle ce que j'y mets. Je me contente
d'insérer dans une structure narrative ce qui, sortant
des cut-ups, y convient.
— Travaillez-vous pendant les voyages que vous
faites en train ou en bateau ?
— Je l'ai fait, surtout en train, si je dispose d'un
bureau et d'une table. Je ne voyage pas souvent en
bateau... J'ai tenté de faire dans un train des
montages de ce que je voyais par la fenêtre et j'ai
décrit ces tentatives dans une interview publiée dans
The Paris Review. C'est un exemple de voyage en
train pendant lequel j'ai essayé de taper à la machine
en incorporant ce que je voyais dans les gares et
aussi en prenant des photos. Rien qu'une tentative...
— La matière brute et réelle que vous saisissez dans
la vie par divers moyens est-elle toujours projetée
dans un autre espace-temps ?
— Oui, souvent. Par exemple, vous lisez quelque
chose dans un journal, ou vous voyez quelque chose
dans la rue, vous sortez un personnage de quelqu'un
que vous voyez dans la rue, puis vous transformez le
personnage en changeant le décor.
— Vous servez-vous de photographies ou de films
parallèlement aux enregistrements sur magnétophones ? Sont-ils en rapport avec la bande-son ?
Comment s'opère la juxtaposition des divers matériaux obtenus ?
— J'ai fait très souvent l'expérience d'enregistrer des
bandes magnétiques et de filmer simultanément. J'ai
obtenu des résultats assez bizarres, des expériences
assez peu concluantes, intéressantes mais peu
applicables à l'écriture... Il y a là de nombreuses
idées, suggestions et possibilités pour de nouveaux
effets cinématographiques. Prenez par exemple un
téléviseur, supprimez le son, placez une bande-son
choisie au hasard, et elle semblera s'imbriquer.
Montrez une foule qui court après un bus à
Piccadilly, insérez-y le son de mitraillettes, et cela
aura l'air de Petrograd en 1917. On pensera que les
gens courent parce qu'ils sont mitraillés. Ce que vous
voyez est en grande partie déterminé par ce que vous
entendez. Vous pouvez faire beaucoup d'expériences
de ce genre. J'ai enregistré par exemple un de ces
feuilletons policiers du genre James Bond ou « Man
from Uncle », puis j'ai utilisé la bande-son avec un
autre programme du même genre. Je l'ai montré à
certaines personnes, elles n'ont pas vu de différence.
Je ne pouvais pas leur faire croire que la bande-son
ne correspondait pas à la bande-image. Ou bien
enregistrez le discours d'un politicien, et
substituez-le à celui d'un autre. Personne ne voit bien
sûr de différence ; il n'y en a d'ailleurs pas.
— Quelle est, lors de la rédaction d'un texte à partir
des différents matériaux, l'importance des points
d'intersection ? Comment s'organisent les «
séquences » et les « rythmes » à partir de cette
matière ?
— Les points d'intersection sont certainement très
importants. Si vous faites un cut-up, vous obtenez un
point d'intersection là ou le matériau nouveau coupe
d'une manière précise celui que vous avez déjà. C'est
votre point de départ. En ce qui concerne
l'organisation des séquences et des rythmes, elle ne
se fait pas d'elle-même. Autrement dit, les cut-ups
vous donnent un nouveau matériau mais ne vous
disent pas ce qu'il faut en faire.
— Avez-vous essayé de développer les techniques du
magnétophone avec un ordinateur par exemple ?
— Oui, cela peut être fait sur un ordinateur. J'ai un
très bon ami, programmeur d'ordinateur, Ian
Sommerville, qui dit que c'est possible, quoique très
compliqué. Un ordinateur peut certainement faire
n'importe quel nombre de cut-ups ou de mélanges de
matériaux que vous programmez.
— Mais vous n'en avez pas fait l'expérience ?
— D'une certaine façon, si. Brion Gysin a pris
quelques-uns de ses poèmes permutés et les a
programmés. Je crois que cinq mots faisaient environ
soixante-quatre pages, toutes les permutations
possibles.
— Qu'enregistrez-vous d'habitude ?
— Dernièrement, je n'ai pas fait beaucoup d'enregistrements. J'étais très occupé avec l'écriture
ordinaire. Mais j'ai enregistré toutes sortes de choses
: des bruits de rues, de la musique, des soirées, des
conversations...
— Quelle est l'importance de la musique lorsque
vous en enregistrez ?
— Extrêmement grande. Le monde musulman, par
exemple, est pratiquement contrôlé par la musique.
Certaines musiques sont jouées à certaines heures et
l'association de la musique est une des plus
puissantes. John Cage et Earl Brown ont poussé la
méthode cut-up en musique bien plus loin que moi
en écriture.
— Enregistrez-vous une musique de préférence à
une autre ?
— J'ai fait beaucoup d'enregistrements de la musique que j'avais l'occasion d'entendre dans la rue, au
Maroc. Il n'y a rien d'extraordinaire à cela, c'est
simplement enregistrer de la musique que l'on aime
réentendre.
_ Pensez-vous que le préjugé qui existe contre le
cut-up et ses prolongements puisse être attribué à la
peur que les gens ont de pénétrer dans
l'espace-temps ?
— Très certainement. La parole et l'image sont un
des instruments les plus puissants du contrôle exercé
par les journaux, qui contiennent les deux. Si vous
commencez à les découper et à les réarranger, vous
détruisez le système de contrôle. Naturellement, la
peur et les préjugés sont toujours dictés par le
système de contrôle, de même que l'Eglise a fait
naître des préjugés contre les hérétiques. Ce n'était
pas inhérent à la population, mais dicté par l'Eglise
qui avait le contrôle à cette époque-là. Le cut-up
menace la position des institutions, de n'importe
quelle institution. Elles s'y opposent donc. Autrement
dit, elles conditionnent les gens, qui craignent les
cut-ups, les rejettent et s'en moquent.
— Est-ce que la capacité de « voir ce qui est devant
nous » est un moyen d'échapper à la prison-image
dans laquelle nous vivons ?
— Oui, très précisément. Mais c'est une capacité
que possèdent très peu de gens, et ceux «qui la
possèdent sont de moins en moins nombreux à cause
du barrage absolu d'images auquel nous sommes
soumis. Nous devenons insensibles. Souvenez-vous
qu'il y a cent ans, les images étaient relativement peu
nombreuses, et les gens qui vivent dans un milieu
plus simple, une ferme par exemple, rencontrent très
peu d'images et perçoivent chaque image plus
clairement. Si vous êtes bombardé d'images
(camions qui passent, voitures, téléviseurs,
journaux), vous vous émoussez et cela crée un
brouillard permanent devant vos yeux, vous ne voyez
plus rien.
— Lorsque vous parlez de « perceptions plus claires
», qu'entendez-vous par « claires » ?
— Qu'il n'y a rien entre la personne qui perçoit et
l'image perçue. Le fermier voit vraiment ses vaches.
Il voit vraiment très clairement ce qu'il a devant lui.
Ce n'est pas une question de familiarité, mais une
question de ce qui pourrait être entre lui et l'image,
de ce qui pourrait l'empêcher de la percevoir.
Comme je l'ai dit, ce barrage continuel d'images crée
une brume qui englobe tout. C'est comme se
promener dans le smog. On ne voit rien.
Je ne dis pas que le fermier s'identifie de façon
mystique avec la vache, mais il se rend compte si
quelque chose ne va pas. Il voit toutes sortes de
choses qui se rapportent à la façon dont la vache lui
est utile et s'imbrique dans son entourage.
— L'introduction de ce que vous appelez « le
message de résistance » est-elle l'élément le plus
important du montage ? Pourquoi ?
— Eh bien, oui ; je dirais que c'est un facteur très
important, car il tend à détruire les principaux
instruments de contrôle qui sont la parole et l'image ;
il les annule dans une certaine mesure.
— Vos livres sont rarement obscurs ou difficiles à
comprendre. Vous m'avez dit dans une conversation
vouloir devenir encore plus clair. Est-ce que ce souci
de clarté est compatible avec une exploration encore
plus vaste des possibilités infinies offertes par vos
techniques littéraires ?
— Lorsque les gens parlent de clarté dans l'écriture,
ils entendent généralement une histoire, une
continuité, un début, un milieu et une fin, le
respect d'un enchaînement « logique ». Mais les choses
ne se produisent pas du tout de cette façon dans la
réalité, et les gens ne pensent pas selon un ordre
logique. Tout écrivain qui espère approcher de ce qui se
passe en réalité dans l'esprit et dans le corps de ses
personnages ne saurait se confiner à une structure aussi
arbitraire qu'un enchaînement « logique ». Joyce a été
accusé d'être inintelligible, alors qu'il ne faisait que présenter un seul niveau d'événements cérébraux, à savoir
le discours conscient sub-vocal. Je pense qu'il est
possible de créer des événements et des personnages à
niveaux multiples que le lecteur pourrait saisir avec son
être organique entier.
— Comment les techniques du magnétophone et du
film peuvent-elles, comme vous le prétendez, falsifier
ou modifier la réalité ?
30
— Nous pensons au passé comme s'il était là et
inchangeable. En fait, il nous appartient de le former,
de le modifier comme nous le désirons. Deux hommes
parlent. Deux hommes assis sous un arbre usé par ceux
qui s'y sont assis avant ou après que le temps ait changé
de piste sonore à travers un pré de petites fleurs
blanches. Si aucun enregistrement de la conversation
n'est fait, elle n'existe que dans la mémoire des deux
acteurs. Admettons que je fasse un enregistrement de la
conversation, que je change et falsifie l'enregistrement
et que je repasse l'enregistrement aux deux acteurs. Si
mes altérations sont habiles et plausibles (oui...
Monsieur B. a bien pu dire exactement cela), les deux
acteurs se souviendront de l'enregistrement altéré.
Prenez un film de vous-même qui sortez un matin pour
acheter des cigarettes et les journaux. Projetez-le, et
vous vous rappellerez tout ce qui s'est passé, le voilà
sur l'écran et sur la bande-son... Maintenant, je peux
vous faire rappeler quelque chose en l'y insérant. Un
camion passait à ce moment-là : le voilà sur l'écran,
inséré pour que vous vous en souveniez. Il faut toujours
un prétexte. Eh bien, j'y mets un camion qui passait à ce
moment précis, qu'y a-t-il de si étrange à cela ? Rien,
sauf qu'il n'est pas passé à ce moment-là mais qu'il est
passé il y a un an et qu'y a-t-il de plus logique que le
camion heurte trois ans plus tard une femme à un
croisement parisien ? « Je me demande si la vieille
vache a crevé ou non » a-t-il dit distraitement tandis
que les médecins l'emmenaient. Vous voyez ce que je
veux dire une fois que le camion est sur la scène et
descend Canal Street sans freins avec « Larry the Lorry
» au volant du sang et des tennis partout dans la rue un
pied mou qui pendille ou disons que j'y insère un petit
mec qui vous demande l'heure ça arrive marrant je ne
m'en suis pas souvenu jusqu'à cet instant. Eh bien une
fois que ce petit mec qui n'était pas là est sur la scène il
peut aussi sortir un poignard et assassiner le consul de
France une fois qu'on a pratiqué le trou dans la réalité et
que le doute a été consommé tous les faits de l'histoire
perforés d'insertions rétroactives toutes les archives et
les enregistrements de quelque nature que ce soit
doivent être détruits immédiatement par ordre du
ministère de Salubrité d'Urgence les documents sont
contrefaits par définition avant ou après que cela
semble évident.
— Cette « nouvelle mythologie » que vous créez, cette
nouvelle formule d'associations et d'images peut-elle
atteindre la sensibilité du lecteur et le faire voyager
dans l'espace-temps ?
— Cela dépend entièrement du lecteur, de son
ouverture aux nouvelles expériences et de sa capacité à
sortir de son propre cadre de références. Bien sûr la
plupart des gens sont incapables de donner plus qu'une
très petite partie de leur attention à ce qu'ils lisent,
comme à tout ce qu'ils font, à cause de diverses
préoccupations compulsives. Avec le dixième de leur
attention, ils ne vont naturellement pas bien loin.
D'autres sont capables de donner beaucoup plus
d'attention.
— Vos personnages sont entraînés dans un raz de
marée d'événements infernaux. Ils s'enlisent dans la
substance du livre. Y a-t-il pour eux une possibilité de
salut ?
— Je ferais une objection au mot salut, qui a la
connotation messianique et chrétienne d'une sorte de
résolution finale. Je ne pense pas que les personnages
ou les livres dans lesquels ils paraissent reflètent un
esprit de désespoir. En fait, ils sont de bien des
manières dans la tradition du roman picaresque. Il s'agit
de l'interprétation « d'événements infernaux ». Il y a des
gens qui ont beaucoup plus de résistance aux
événements hors série que d'autres. Prenez par exemple
les gens d'un petit village : ils sont absolument ahuris
par le moindre changement, alors que les gens d'une
grande ville sont beaucoup moins touchés par les
changements. Il est certain que si les émeutes
continuent, les gens commenceront à les prendre pour
des choses tout à fait normales. ils le font déjà.
— Les hommes libres existent-ils dans vos livres ?
— Les hommes libres n'existent dans aucun livre, car
ils sont les créations d'un auteur. Je dirais que les
hommes libres n'existent pas sur cette planète, à cette
époque, car la liberté n'existe pas dans le corps humain.
Par le simple fait d'être dans un corps humain, vous êtes
contrôlé par toutes sortes de nécessités biologiques et
extérieures.
— Vous utilisez souvent le silence comme un
instrument de terreur, un « virus », comme vous dites,
qui désintègre certains personnages en signes
inintelligibles. Que représente ce silence ?
31
— Je ne pense pas du tout au silence comme à un
instrument de terreur. En fait, c'est tout le contraire. Le
silence ne fait peur qu'aux gens qui ont l'obsession de la
parole. Comme vous le savez, il existe des chambres
d'isolation sensorielle et des chambres d'immersion ; il
y en a à l'université d'Oklahoma. On y a mis des «
marines », qui étaient complètement affolés après une
dizaine de minutes. Ils avaient une telle série de contradictions intérieures, de nature verbale, que ce n'était
que par la distraction continuelle qu'ils étaient capables
d'en écarter leur esprit. Mais Gerald Heard y est entré
avec une bonne dose de LSD et y est resté trois heures.
Personnellement, je ne trouve rien de désagréable dans
le silence. En fait, rien pour moi n'est trop silencieux.
Le silence n'est un outil de terreur que pour les gens qui
ont l'obsession de la parole...
— L'intérêt que vous portez à la civilisation maya
est-il en rapport avec l'élargissement de la conscience
que vous essayez de provoquer chez le lecteur ?
CONTROLE
— Les anciens Mayas possédaient un des plus précis et
plus hermétiques calendriers de contrôle jamais utilisés
sur cette planète, calendrier dont l'effet était de
contrôler tout ce que la population pensait et ressentait
à n'importe quel moment. Etudier ce système
exemplaire éclaire les méthodes modernes de contrôle. Seule une caste de prêtres
avait le monopole de la connaissance du calendrier et
maintenait ainsi sa position avec le minimum de forces
policières et militaires. Les prêtres devaient partir d'un
calendrier très précis de l'année tropicale, comprenant
365 jours divisés en 18 mois de 20 jours, plus une
période finale de 5 jours, les « jours Ouab », qu'on
tenait pour particulièrement néfastes et qui s'avéraient
par conséquent l'être. Un calendrier précis était essentiel à l'établissement et au maintien du pouvoir des
prêtres. Les Mayas dépendaient presque
entièrement de la moisson du maïs et leur méthode
d'agriculture était celle du brûlis. La racine des plants
était coupée, on la faisait sécher, puis on la brûlait. On
plantait les graines avec un bâton. Les Mayas n'avaient
pas de charrues, non plus que d'animaux domestiques
capables de tirer une charrue. Le sol de surface étant
peu profond et recouvrant une strate de calcaire à
quinze centimètres de profondeur, les charrues ne sont
d'aucune utilité dans cette région et on y utilise encore
aujourd'hui la méthode du brûlis. Celle-ci dépend d'une
grande exactitude temporelle. Il faut laisser à ce qui est
coupé le temps de sécher avant que les pluies
commencent. Une erreur de quelques jours dans les
calculs peut faire perdre la moisson de toute une année.
En plus du calendrier annuel qui réglait l'agriculture, il
existait un almanach sacré de 260 jours. Ce calendrier
cérémoniel dirigeait treize fêtes qui duraient vingt
jours chacune. Il tournait tout au long de l'année
comme une roue et, par conséquent, les fêtes
revenaient toujours dans le même ordre, même si elles
se produisaient à des dates différentes d'une année à
l'autre. Ces fêtes consistaient en cérémonies religieuses
avec musique, festivités et parfois sacrifice humain.
Logiquement, les prêtres pouvaient donc calculer dans
l'avenir ou dans le passe exactement ce que la
population ferait entendrait verrait à une date donnée.
Cela leur suffisait pour pouvoir prédire l'avenir ou
reconstituer le passé avec une exactitude très grande,
puisqu'ils pouvaient déterminer le conditionnement
appliqué à n'importe quelle date à une population qui,
pendant
de
nombreuses
années,
demeura
hermétiquement enfermée par des montagnes et des
jungles infranchissables, à l'abri des vagues
d'envahisseurs qui déferlèrent sur le plateau central du
Mexique. Il y a toutes les raisons de déduire l'existence
d'un troisième calendrier secret ayant trait au
conditionnement par cet enchaînement précis appliqué
au peuple, sous le couvert des fêtes, et ressemblant
beaucoup au boniment et aux gesticulations qu'un
magicien emploie sur scène pour dissimuler des
mouvements qui seraient sans cela apparents au public.
Il existe de nombreuses manières d'effectuer un tel
conditionnement, la plus simple étant la suggestion
éveillée, qui sera entièrement expliquée un peu plus
loin. Pour résumer, la suggestion éveillée est une
technique permettant de faire pénétrer des suggestions
verbales ou visuelles qui prennent directement effet sur
le système nerveux autonome en attirant l'attention
consciente du sujet sur autre chose — dans le cas
présent, le contenu manifeste des festivités. (Il ne faut
pas confondre la suggestion éveillée et la suggestion
subliminale qui suggère en dessous du niveau conscient
d'éveil.) Les prêtres pouvaient donc calculer ce que le
peuple voyait et entendait un jour donné et aussi quelles
32
suggestions inculquer secrètement dans les esprits ce
jour-là. Pour vous faire une idée de ce calendrier secret,
examinez l'Esprit Réactif tel que le postule L. Ron
Hubbard, fondateur de la Scientologie. Mr. Hubbard
décrit l'E.R. comme un ancien instrument de contrôle
créé pour invalider et limiter le potentiel d'agir dans un
sens constructif ou destructeur. Le contenu exact de
l'E.R. tel qu'il le formule est tenu pour confidentiel car
il peut provoquer la maladie et des dérangements ; aussi
me limiterai-je à des considérations générales sans
reprendre les formulations exactes utilisées. L'E.R.
consiste en propositions conséquentes, séquentielles et
contradictoires possédant une valeur de commandement
au niveau automatique de comportement, aussi
automatique et involontaire que les commandements
métaboliques qui règlent la pulsation cardiaque, la
digestion, l'équilibre des composants chimiques du
sang, les ondes cervicales. Le centre de régulation du
système nerveux autonome qui contrôle les processus
physiologiques et le métabolisme est l'hypothalamus,
situé dans le cerveau postérieur. Il ne fait pas de doute
que l'hypothalamus est le point d'intersection neurologique où l'E.R. est implanté. On peut décrire l'E.R.
comme un système régulateur artificiellement élaboré
et hautement désavantageux greffé sur le centre de
régulation naturel. L'E.R. que décrit Mr. Hubbard est
extrêmement ancien et antidate toutes les langues
modernes, à travers lesquelles il se manifeste pourtant.
Il faut par conséquent qu'il renvoie à un système symbolique. Et s'il n'y avait pas eu l'intervention de l'évêque
Landa, nous pourrions déduire par analogie en quoi
consistait ce système symbolique, puisque tous les
systèmes de contrôle sont fondamentalement
semblables. L'évêque Landa a rassemblé tous les livres
mayas sur lesquels il a pu mettre la main, en a fait un
tas de 1,80 mètre et a brûlé le tout. Aujourd'hui, on n'a
retrouvé que trois codex mayas authentifiés ayant
survécu à cet acte barbare.
Mr. Hubbard postule logiquement que les ordres de
l'E.R. font effet parce qu'ils se rapportent à des buts,
besoins et états réels des sujets chez qui il agit. Un
ordre conséquent est un commandement auquel on doit
obéir du fait d'être né : « être ici dans un corps humain
». Un ordre séquentiel suit cette proposition
fondamentale : « chercher à manger, à s'abriter, à jouir
sexuellement », « exister en rapport avec d'autres corps
humains ». Des commandements contradictoires sont
deux commandements qui se contredisent l'un l'autre
parce que donnés au même moment. « GARDE A
VOUS ! » Le soldat se redresse automatiquement au
commandement. « REPOS ! » Le soldat se détend
automatiquement. Imaginez à présent un capitaine qui
entre à grandes enjambées dans la chambrée et lance «
GARDE A VOUS » d'un côté du visage et « REPOS »
de l'autre (tout à fait possible d'y arriver avec les
techniques de doublage). Le sujet est désorienté en
tentant d'obéir en même temps à deux commandements
platement contradictoires et qui possèdent tous deux un
certain degré de valeur de commandement au niveau
automatique. Le sujet pourra réagir par la rage,
l'apathie, l'angoisse, et pourra même s'effondrer. Un
autre exemple : je commande « assis » et quand l'ordre
est exécuté avec promptitude, le sujet est récompensé.
Dans le cas contraire, il reçoit une forte décharge électrique. Lorsqu'il a été conditionné pour obéir, j'ajoute
l'ordre « debout » et le conditionne à obéir à cet ordre
exactement de la même manière. Puis je donne les deux
ordres simultanément. Le résultat sera sans doute un
effondrement total, de même que les chiens de Pavlov
s'effondrèrent lorsqu'on leur donna des signaux contradictoires à intervalles si rapprochés que leur système
nerveux ne put s'adapter. Le but de ces ordres est, du
point de vue d'un système de contrôle, de limiter et de
restreindre. Toutes les unités de contrôle ont recours à
de tels commandements. Pour que les ordres
contradictoires
agissent, il faut que le sujet ait été conditionné à obéir
à ces deux ordres automatiquement et que ceux-ci aient
un rapport avec ses buts profonds. « GARDE A VOUS
» « REPOS » « ASSIS » « DEBOUT » sont des ordres
arbitraires qui ont un rapport ténu avec tout but
fondamental d'un sujet (bien entendu « GARDE A
VOUS » se rapporte au but d'être un bon soldat ou du
moins d'éviter le corps de garde, ce qui donne à cet
ordre la force qu'il possède). Examinez encore une
autre paire de commandements qui se contredisent : «
faire bonne impression » « faire très mauvaise
impression ». Cela a à voir avec des buts beaucoup
plus fondamentaux. Tout le monde veut faire bonne
impression. L'amour-propre, l'entrain, la satisfaction
sexuelle de l'individu dépendent de la bonne
impression qu'il fera. Pourquoi donc le sujet, quand il
essaye désespérément de faire bonne impression, fait-il
33
l'impression la pire qui soit ? Parce qu'il a aussi comme
but de faire mauvaise impression, but qui opère à un
niveau
involontaire
automatique.
Ce
but
autodestructeur est une telle menace contre son être
qu'il réagit contre. Il est peut-être conscient ou en
partie conscient de ce but négatif mais il ne peut
l'affronter en face. Le but négatif le force à réagir.
L'Esprit Réactif consiste en buts si répugnants ou
effrayants pour le sujet qu'il réagit compulsivement
contre eux et c'est précisément cette réaction qui fait
fonctionner ces buts négatifs. Ces derniers sont
implantés par la peur. Examinez une paire d'ordres
contradictoires que les prêtres mayas utilisaient sans
aucun doute sous une forme ou une autre : « se révolter
violemment » « se soumettre humblement ». Chaque
fois qu'un travailleur s'armait d'assez de courage pour
se révolter, la tendance à la soumission était activée, le
poussant à prôner la révolte avec de plus en plus de
conviction mais en excitant ainsi de plus en plus
compulsivement la tendance à la soumission. Et il
tremble, bredouille et s'effondre devant une figure de
l'autorité qu'il méprise consciemment. Aucun exercice
de la prétendue puissance de la volonté n'affecte ces
réactions automatiques. Le but de soumission fut
implanté par une menace si horrible qu'il ne put la
regarder en face, et les livres secrets mayas contenaient
de toute évidence de telles images d'épouvante. Les
rares qui y ont survécu en témoignent. On dépeint des
hommes se transformant en centipèdes, en crabes, en
plantes. L'évêque Landa fut tellement épouvanté par ce
qu'il vit que son propre esprit réactif lui dicta son acte
de vandalisme. Comme ses contreparties modernes qui
appellent à la censure et à la destruction de livres par le
feu, il n'a pas tenu compte du fait que toute menace,
quand elle est clairement vue et confrontée, perd de sa
force. Les prêtres mayas veillaient à ce que la
population ne voie pas les livres. L'E.R. de Mr.
Hubbard contient trois cents articles environ. Certains
sont des commandements disposés par paires, d'autres
sont des représentations visuelles. Sur le modèle de
l'E.R. — et le système maya devait y ressembler de
très près —, on postule que pendant un mois
cérémoniel de vingt jours, quatre articles étaient
répétés ou représentés vingt fois le premier jour, quatre
autres articles vingt fois le deuxième jour et ainsi de
suite, quatre-vingts articles pour le mois de vingt jours.
Le mois de vingt jours suivant, encore quatre-vingts
articles jusqu'à ce qu'ils aient été tous passés en revue,
après quoi on les répétait précisément dans le même
ordre, constituant ainsi un calendrier secret. Les prêtres
pouvaient alors calculer avec précision quels ordres
réactifs avaient été ou seraient restimulés à n'importe
quelle date passée ou future, et ces calculs leur
permettaient de
reconstituer le passé ou de prédire l'avenir avec une
exactitude énorme. Ils avaient toutes les cartes en
main. Les calculs de juxtaposition des calendriers
passés et futurs prenaient la plus grande partie de
leur temps, et ils se souciaient plus du passé que de
l'avenir. Il y a des calculs qui remontent à quatre
cents millions d'années. Ces coups de sonde dans le
passé le plus lointain peuvent être interprétés comme
des tentatives pour vérifier que les calendriers
avaient toujours existé et qu'ils existeraient toujours.
(Tous les systèmes de contrôle prétendent être le
reflet des lois immuables de l'univers.) Ces calculs
devaient avoir cette allure :
année, mois, jour du calendrier de 365 jours
calculé en partant de 5 Ahua 8 Cumhu
une date mythique où le temps a commencé
année, mois et jour de l'almanach sacré ou du
calendrier cérémoniel
année, mois et jour du calendrier secret. Des
étudiants mayas ont réussi à déchiffrer des dates du
calendrier de 365 jours. En l'absence de références
transversales comparables à la pierre de Rosette, la
plus grande partie de l'écriture reste indéchiffrée. Si
nous interprétons l'écriture comme orientée vers le
contrôle, nous postulerons que toutes les inscriptions
se rapportent à des dates, et que les événements,
cérémonies, suggestions, images et juxtapositions
planétaires étaient en corrélation avec ces dates.
Tout système de contrôle dépend d'un rythme précis.
Une image ou une suggestion peuvent être tout à fait
inoffensives une fois et dévastatrices la fois suivante. Par exemple, « faire excellente impression » «
faire très mauvaise impression » peuvent n avoir
aucun effet sur quelqu'un qui ne se trouve pas dans
un contexte compétitif. Le même homme qui vise
les galons de lieutenant ou l'apprenti-prêtre peuvent
être à coup sûr liquidés par la même paire de
commandements contradictoires qu'on restimulera.
34
Ce calendrier de contrôle apparemment hermétique
s'effondra avant même que les Aztèques envahissent
le Yucatan et longtemps avant l'arrivée des
Espagnols. Tous les systèmes de contrôle
fonctionnent sur punition-récompense. Quand les
punitions excèdent les récompenses, quand les
maîtres n'ont plus de récompenses à offrir, des
révoltes se produisent. La demande continue de
main-d'œuvre pour les temples et les stèles, alliée à
une période de famine, peuvent avoir été les facteurs
qui ont précipité les choses. Ou peut-être que
quelque Bolivar oublié divulgua le contenu des
livres secrets. En tout cas, les travailleurs se
révoltèrent, tuèrent les prêtres et défigurèrent stèles
et temples comme symboles d'esclavage.
Maintenant, transposez le calendrier de contrôle
maya en termes modernes. Les moyens de communication de masse, journaux, radio, télévision,
magazines, forment un calendrier cérémoniel auquel
tous les citoyens sont soumis. Les « prêtres » ont la
sagesse de se dissimuler derrière la masse
contradictoire des informations, et nient férocement
exister. Comme les prêtres mayas, ils peuvent
reconstituer le passé et prédire l'avenir sur une base
statistique, en manipulant les moyens de
communication. C'est la presse quotidienne
préservée dans les journaux-morgues qui rend
possible une reconstitution détaillée de dates
passées. Comment les prêtres modernes peuvent-ils
prédire des événements futurs apparemment
aléatoires ? Commencez par les nombreux facteurs
des moyens de communication de masse qui peuvent
être contrôlés et prédits :
1. La maquette : la présentation générale des
journaux et magazines peut être décidée d'avance.
La juxtaposition des programmes télévisés et des
nouvelles radiophoniques peut être décidée à
l'avance.
2. Les nouvelles à « gonfler » et les nouvelles à
estomper : il y a dix ans en Angleterre, les arrestations de drogués faisaient quatre lignes en dernière
page. Aujourd'hui, elles font les gros titres de la
première.
3. Editoriaux et lettres à l'éditeur : les lettres publiées sont bien sûr choisies en fonction d'une
politique préconçue.
4. Publicités. Le calendrier cérémoniel moderne
est donc presque aussi prévisible que le maya.
Mais le calendrier secret ? On peut insérer un
nombre infini de commandements réactifs dans
les publicités, les editoriaux, les articles de journaux. Ces ordres sont implicites dans la maquette
et la juxtaposition des articles. Les ordres contradictoires font partie intégrante de l'environnement industriel moderne : Stop. Avancez. Attendez ici. Allez là. Entrez. Attendez dehors. Soyez
un homme. Soyez une femme. Soyez blanc. Soyez
noir. Vivez. Mourez. Soyez vraiment vous-même.
Soyez un autre. Soyez un animal humain. Soyez
un surhomme. Oui. Non. Révoltez-vous. Soumettez-vous. EXACT. FAUX. Faites excellente impression. Faites très mauvaise impression. Assis.
Debout. Enlevez votre chapeau. Mettez votre chapeau. Créez. Détruisez. Vivez dans le présent.
Vivez dans l'avenir. Vivez dans le passé. Obéissez
aux lois. Brisez les lois. Soyez ambitieux. Soyez
modeste. Acceptez. Rejetez. Faites des projets.
Soyez spontané. Décidez-vous tout seul. Ecoutez
les autres. Parlez. SILENCE. Faites des économies. Dépensez tout. Accélérez. Ralentissez.
Par ici. Par là. A droite. A gauche. Présent.
Absent. Ouvert. Fermé. Entrée. Sortie. DEDANS.
DEHORS, etc., vingt-quatre heures sur vingtquatre. Cela crée un vaste ensemble de fauteurs de
nouvelles statistiques. Ce sont précisément les
réactions automatiques incontrôlables qui font les
nouvelles. Les contrôleurs savent quels ordres
réactifs ils vont restimuler et savent par conséquent
ce qui va se produire. La suggestion contradictoire
est la formule de base de la presse quotidienne : «
Droguez-vous ; tout le monde en fait autant. » « Il
est MAL de se droguer. » Les journaux répandent la
violence, la sexualité, les drogues, et puis nous la
ramènent avec le vieux refrain BIEN MAL
FAMILLE EGLISE ET PATRIE. Mais ça s'use. Le
calendrier de contrôle moderne part en morceaux.
Les punitions déséquilibrent maintenant les
récompenses dans la prétendue société « de
permission », et les jeunes ne veulent plus des
misérables récompenses qu'on leur offre. La révolte
est globale. Les contrôleurs actuels disposent d'un
avantage que n'avaient pas les prêtres mayas : un
arsenal écrasant d'armes que les révoltés ne peuvent
espérer obtenir ou reproduire. Massues et lances
peuvent être fabriquées par n'importe qui. Chars,
avions, cuirassés, artillerie lourde et armes
nucléaires sont un monopole entre les mains des
gens au pouvoir. A mesure que leur domination
psychologique s'affaiblit, les institutions modernes
35
s'appuient de plus en plus sur cet avantage et ne
maintiennent plus leur position que par la force
brute (que permet au juste la « société de permission
» ?). Pourtant, l'avantage de l'armement n'est pas si
écrasant qu'il paraît. Pour faire marcher les armes,
les contrôleurs ont besoin de soldats et de policiers.
Ces gardiens doivent être maintenus sous contrôle
réactif. C'est ainsi que les contrôleurs doivent se fier
à des individus de plus en plus stupides et dégradés
par le conditionnement essentiel à leur fonction de
répression.
Il existe des techniques pour effacer l'Esprit Réactif
et parvenir à une liberté complète de tout
conditionnement passé et se prémunir contre tout
conditionnement futur. La Scientologie accomplit cela.
L'effacement de l'E.R. est effectué par le « E Meter
», un testeur de réactions très sensible mis au point
par Mr. Hubbard. Si un point d'E.R. s'inscrit sur le E
Meter, c'est que le sujet y réagit encore. Quand un
point cesse de s'inscrire, le sujet n'y réagit plus. Il
peut être nécessaire de repasser des centaines de fois
sur tous les points de l'E.R. pour parvenir à un
effacement complet. Mais ça s'effacera. Cette méthode marche. Je peux en témoigner de par ma
propre expérience. Cela prend du temps, au moins
deux mois d'entraînement huit heures par jour, pour
apprendre à utiliser le E Meter et passer les articles.
C'est coûteux : 3 000 dollars environ pour
l'entraînement et les séances amenant à l'effacement
de l'E.R. Une reconstitution du système symbolique
qui doit être à la base de l'Esprit Réactif conduirait à
un effacement plus précis et plus rapide.
Deux expériences récentes indiquent les possibilités
de déconditionnement de masse. Dans une de ces
expériences, on a branché les volontaires sur un
électro-encéphalogramme enregistrant leurs ondes
cervicales. Lorsque les ondes alpha, qui
correspondent à un état mental et physique de
détente, apparurent sur l'écran, on dit au sujet de
rester dans cet état aussi longtemps que possible.
Après un peu de pratique, les ondes alpha pouvaient
être produites à volonté. La seconde expérience est
plus détaillée et plus définitive : Herald Tribune, 31
janvier 1969. « Un savant américain a démontré
qu'on pouvait apprendre à des animaux à contrôler
des réactions aussi automatiques que le pouls
sanguin, la tension artérielle, les sécrétions
glandulaires et
les ondes cervicales en réponse à des récompenses
et des punitions. Ce psychologue s'appelle le
Docteur N. E. Miller. Il déclare que ses découvertes
bouleversent les idées traditionnelles selon
lesquelles le système nerveux autonome qui
contrôle le fonctionnement du cœur, du système
digestif et autres organes internes est complètement
incontrôlé. Le Docteur Miller et ses collaborateurs
ont été en mesure d'apprendre à des animaux à
augmenter ou à diminuer la quantité de salive
produite, la pression artérielle, les contractions
intestinales, l'activité stomacale et la quantité
d'urine, ainsi qu'à modifier leurs schémas d'ondes
cervicales grâce à des récompenses prenant la forme
d'une stimulation électrique directe des zones de
récompenses supposées du cerveau, quand les
réactions désirées étaient obtenues. Des rats
parvinrent à apprendre à augmenter ou à abaisser
leur pouls de 20 % ren quatre-vingt-dix minutes
d'entraînement. Le D Miller a déclaré que des
contre-essais montraient que les rats se souvenaient
bien de leur leçon. » En quoi cette expérience
diffère-t-elle des expériences par lesquelles Pavlov
prouva le réflexe conditionné ? Je cite le Newsweek
du 10 février 1969 : « Jusqu'à présent, la plupart des
psychologues croyaient que le système nerveux
autonome ne pouvait être modifié que par les
techniques de conditionnement traditionnelles de
Pavlov. Un animal qui entend une sonnerie à
l'instant où on lui donne à manger finira par saliver
au seul son de la sonnerie. En conditionnement
classique, un stimulus qui produit naturellement une
réaction donnée doit toujours être utilisé en même
temps que le stimulus dit neutre (la sonnerie). Ainsi,
on pourrait utiliser un choc pour apprendre à un
animal à accélérer son rythme cardiaque à un coup
de sonnette, un choc provoquant normalement une
accélération. Mais le conditionnement classique ne
saurait
provoquer un ralentissement du pouls. » Le
Dr Miller a dit que sa démonstration de la capacité
du système nerveux autonome à apprendre grâce à
des récompenses et des punitions indique
qu'apprendre est une seule et même chose. Il a
également appris à des sujets humains à réduire leur
pouls. Eliminez les symptômes métaboliques de
l'angoisse et vous éliminerez l'angoisse. Vous seriez
incapable de ressentir de l'angoisse avec un pouls
normal, des muscles détendus, des ondes cervicales
alpha et un E Meter plat. La méthode du Dr Miller
pourrait permettre de parvenir à un contrôle complet
des réactions émotionnelles. Les réactions
36
d'angoisse peuvent être éliminées tout comme elles
ont été implantées, par la punition et la récompense.
Il est maintenant possible de déconditionner
l'homme de tout le cycle punition-récompense qui
l'a maintenu à un niveau d'animal pendant cinq cent
mille ans, en récompensant les manifestations de
déconditionnement et en punissant les vieilles
réactions automatiques. Seuls ceux qui veulent un
contrôle répressif s'opposeront à ce processus de
déconditionnement.
— Que pensez-vous de la Scientologie, dans
l'ensemble ?
— Certaines de ces techniques sont valables et une
étude approfondie dans cette direction pourrait
révolutionner la psychothérapie. Le E Meter est un
appareil utile... (de nombreuses variations en sont
possibles)... D'un autre côté, leur politique
d'organisation qui rejette toute personne en désaccord avec le dogme de la Scientologie entache à
mon sens le tout de nullité. Aucun corpus de savoir
n'a besoin d'une politique d'organisation et une
politique d'organisation ne peut qu'entraver la
diffusion du savoir. Les déclarations ouvertement
fascistes de Mr. Hubbard (la Chine est le seul vrai
danger contre la paix mondiale ; la Scientologie
protège les foyers, l'Eglise, la famille, la moralité —
pas d'échanges entre couples —, les frontières
nationales, le concept BIEN CONTRE MAL) et ses
prises de position contre les psychiatres
indépendants et maléfiques le rendent peu
recommandable aux étudiants militants. Il est
certainement temps que la Scientologie prenne des
positions claires et nettes pour un côté ou pour
l'autre, si elle espère la confiance et le soutien de la
jeunesse. De quel côté êtes-vous, Hubbard, de quel
côté êtes-vous ?
— Vous avez écrit : « Je suis un enregistreur... je
ne prétends imposer ni histoire, ni intrigue, ni
continuité. » Est-ce possible ?
— Je ne peux répondre à cette question qu'en disant
que lorsque j'ai dit cela, je suis sans doute allé un
peu loin. On essaie de ne pas imposer d'histoire,
d'intrigue ou de continuité par des moyens
artificiels, mais nous sommes bien obligés de
composer les matériaux. Vous ne pouvez pas laisser
tomber un pot-pourri de notes et de considérations
et vous attendre à ce que les gens le lisent.
— « Les mots — tout au moins tels que nous les
employons — risquent de nous cacher l'expérience
non corporelle ». Cette « expérience non corporelle
», lorsqu'on a détruit les barrières posées par
Aristote, Descartes et Cie, est-elle parallèle à
l'expérience physique ? Toute expérience physique
est-elle alors vécue sur plusieurs plans ?
— Oui, très précisément. Par exemple, les expériences prétendument psychiques ne sont possibles
qu'à travers les sens physiques. Les gens voient des
fantômes, entendent ce qu'ils entendent, ou
ressentent diverses émanations, diverses présences,
etc.
La pensée philosophique classique a-t-elle eu
un effet néfaste sur la vie des hommes ?
Eh bien, elle est complètement dépassée.
Comme Korzybski, l'homme qui a développé la
sémantique générale, l'a démontré, l'être d'identité
d'Aristote (c'est-à-dire qu'une chose est ou ceci ou
cela) est une des grandes erreurs de la pensée
occidentale. Ce n'est plus vrai du tout ; ce genre de
pensée ne correspond même plus à ce que nous
savons maintenant de l'univers physique.
— Pourquoi a-t-elle été acceptée si longtemps ?
— Il y a certaines formules, certains mots-verrous
qui enferment toute une civilisation pendant un
millénaire. L'être d'identité d'Aristote en est une :
ceci est une chaise. Eh bien, quoi que cela puisse
être, ce n'est pas une chaise, ce n'est pas le mot
chaise, ce n'est pas l'étiquette chaise. L'idée que
l'étiquette est la chose mène à toutes sortes de
discussions verbales où l'on parle exclusivement
d'étiquettes en pensant parler d'objets. Oui, je suis
d'accord qu'Aristote, Descartes, que toute cette
pensée est extrêmement abrutissante. Elle ne
correspond même pas à ce que nous savons de
l'univers physique et elle est particulièrement
désastreuse par le fait qu'elle dirige encore le monde
académique entier. Ce monde académique
s'opposait âprement à Korzybski et à sa sémantique
générale, qui semblerait consister en quelques
considérations assez évidentes — par exemple que
les étiquettes ne sont pas les choses auxquelles elles
37
sont attachées, que lorsque vous discutez des
étiquettes, lorsque vous discutez de la démocratie,
du communisme, du fascisme, il n'y a pas de
référence claire, rien de net à quoi elles se
rapportent, et vous ne parlez de rien.
— Les hommes vautrés dans ce que vous appelez
leur « poubelle à mots » sont-ils encore capables de
ressentir la violence de vos mots, ou est-il
nécessaire de recourir à la violence physique pour
qu'ils sortent de leur poubelle ?
— Je dirais, en généralisant, qu'une personne
vraiment empêtrée dans les mots ne trouvera rien du
tout dans mes livres, si ce n'est un désaccord
automatique. Il est sans doute nécessaire de recourir
à la violence physique, ce qui d'ailleurs arrive
partout. Il ne semble pas y avoir d'autres
possibilités, puisque les institutions ne changeront
pas leurs axiomes fondamentaux.
— Pensez-vous qu'un moyen quelconque, y compris la violence physique, puisse changer des individus complètement enchaînés ?
— Le but de la violence physique est de les déplacer. Mais vous avez des individus uniquement
composés de paroles, comme les juges et les politiciens, qui ne changeront pas leurs axiomes, et bien
sûr, lorsque les gens refusent absolument de changer
leurs axiomes, l'évolution a lieu malgré eux. Ils sont
finalement déplacés par la violence ou par un
désastre.
— Quelle est la part de l'humour dans votre œuvre
?
— Je crois que mon œuvre est humoristique. Je ne
dirai pas qu'elle l'est dans sa plus grande partie,
mais elle a certainement une part considérable
d'humour.
— L'enfer que vous décrivez, les accusations que
vous portez sont réversibles. Elles offrent alors à
l'homme une porte de sortie. On a dit que vous
étiez un grand moraliste ; qu'en pensez-vous ?
. Oui, je dirais que je le suis peut-être trop.
Il y a beaucoup de choses à faire dans la situation actuelle.
L'important est qu'on ne les fait pas. On ne fait rien. Et je
ne sais pas s'il y a une possibilité de faire quelque chose
étant donné l'étendue de la bêtise et les mauvaises
intentions des gens au pouvoir. Il semble que l'on se jette
contre un mur par le simple fait de le remarquer. Mais
toutes sortes de choses pourraient racheter la situation
actuelle. Des choses parfaitement simples étant donné les
techniques dont nous disposons. Il s'agit de briser trois
formules fondamentales. D'abord la formule de la nation.
Vous dessinez une ligne autour d'un morceau de terrain, et
vous dites « ceci est une nation ». Vous êtes donc obligés
d'avoir une police, une douane, une armée et
éventuellement des ennuis avec les autres gens qui se
trouvent de l'autre côté de la ligne. Voilà une formule, et
toute variation de cette formule revient au même. Les
Nations Unies n'arriveront à rien. Que font-elles ? Elles
créent toujours plus de ces foutues nations ! Cela est une
formule. La famille en est une autre. Et les nations sont
simplement une extension de la famille (il est possible que
cela soit un problème pour les techniques futures).
Ensuite, toute la méthode actuelle de naissance et de
reproduction est une des formules fondamentales qui ont
besoin d'être brisées.
— Vous pensez à des changements très poussés ?
— Oui, il faut certainement pousser très loin. Il y a des
moyens de briser la famille, les Chinois sont sur la voie.
C'est le seul peuple qui y ait fait quelque chose. Les
Russes ont dit qu'ils le feraient et n'ont rien fait. Ils
gardent toujours la même vieille famille bourgeoise.
— Que vouliez-vous dire lorsque vous écriviez : « Une
certaine utilisation des mots et des images peut conduire
au silence » ?
— Je pense que j'étais trop optimiste. Je doute que le
problème des mots soit jamais résolu sur son propre
terrain.
— Wright Morris a écrit que Le Festin nu était une
hémorragie de l'imagination. Le prenez-vous pour un
compliment ?
— Franchement, je ne sais pas comment le prendre.
— Je présume qu'il voulait dire une hémorragie fatale ?
38
— Les hémorragies ne mènent pas obligatoirement à la
mort. Vraiment, je ne le prendrais pas pour un
compliment. A quoi cela vous fait-il penser ? Vous pensez
à une hémorragie cérébrale d'une personne dont les
fusibles du cerveau sont grillés. Non, je ne le prends pas
du tout pour un compliment.
— Qui est Wright Morris ?
— Je n'en ai aucune idée. Jamais entendu parler de lui.
— Vous vous inscrivez en marge du roman américain
d'après-guerre qui ne sait pas vraiment ce qu'est
l'imagination. Les écrivains américains prétendent que le
public ne s'intéresse qu'aux faits vrais dans le sens le plus
matériel du mot. Vos livres sont très lus aux Etats-Unis ;
peut-être décrivent-ils un univers imaginaire et pourtant
réel ?
— Eh bien oui. Je pense que beaucoup de romans actuels
ressortissent plutôt au journalisme ; ils essaient de décrire
avec exactitude ce que les gens font en réalité. C'est plutôt
du journalisme et de l'anthropologie que de l'écriture. Il
me semble qu'un roman devrait retravailler cette matière,
et pas seulement laisser tomber sur le lecteur une masse
d'observations de faits.
— A quoi tient cet attachement des écrivains américains
à la réalité matérielle ?
— Hum... eh bien, nous avons eu un roman à tendance
sociale autour de 1930 et cette tradition est encore assez
forte. L'idée qu'un roman devrait s'occuper de la réalité,
avec des gens réels, avec des problèmes réels, surtout des
problèmes sociaux d'une sorte ou d'une autre, n'est en
réalité pas très éloignée des romans de Zola. C'est une
tradition relativement vieille. Je ne crois pas du tout que
cela se limite aux écrivains américains.
— Quels sont vos rapports avec le mouvement Beat,
auquel on vous associe ? Quelle est l'importance littéraire
de ce mouvement ?
— Je ne m'associe pas du tout à lui et je ne l'ai jamais
fait. Ni avec leurs buts, ni avec leur style littéraire. J'ai des
amis personnels parmi le mouvement Beat : Jack
Kerouac, Allen Ginsberg et Gregory Corso sont tous de
proches amis de longue date, mais nous ne faisons pas du
tout la même chose, ni dans l'écriture, ni dans nos points
de vue. Vous ne pourriez pas trouver quatre écrivains plus
différents, plus distincts. C'est simplement un cas de
juxtaposition plutôt qu'une association réelle de styles
littéraires ou de buts généraux. Son importance littéraire ?
Je dirais que l'importance littéraire du mouvement Beat
n'est peut-être pas aussi évidente que son importance
sociologique... Il a vraiment transformé le monde et l'a
peuplé de beatniks. Il a brisé toutes sortes de barrières
sociales pour devenir un phénomène planétaire d'une
énorme importance. Les beatniks vont en Afrique du Nord
et entrent en contact avec les Arabes à un niveau qui me
semble plus fondamental que celui des anciens colons qui
connaissent l'arabe et qui pensent encore de la même
façon que T.E. Lawrence. C'est un phénomène
sociologique d'une importance énorme et, comme je l'ai
dit, c'est un phénomène global.
— Lorsque vous dites qu'ils communiquent à un niveau
fondamental, voulez-vous dire que partout dans le monde
les individus partagent certains niveaux fondamentaux ?
— Eh bien, en partie... Ils se mettent en contact avec les
Arabes au sujet des drogues, c'est-à-dire du kif, ce qui est
un contact important. Comment vous mettez-vous en
contact avec les gens ? Après tout, vous les contactez à
certains niveaux fondamentaux, la sexualité, les
coutumes, les drogues. Mais plus que cela, les beatniks
sont coordonnés à la musique pop, à une manière de
s'habiller, à un mode de vie. C'est une chose qui a
influencé la jeunesse du monde, non seulement dans les
pays occidentaux, mais aussi dans les pays orientaux.
— C'est une ouverture d'esprit qui manque aux colons.
— Oui, les colons sont coincés dans le xix' siècle. « Ces
gens sont vraiment charmants mais non, vraiment, ils ne
sont pas comme nous. » Suit quelque anecdote pour
illustrer combien les Arabes sont bizarres et ne pensent
pas comme nous. Ils observent les Arabes de l'extérieur
avec des idées préconçues quant à leur manière de penser.
Les beatniks n'ont pas ce point de vue folklorique. Us
pensent que le mode de penser arabe ne diffère pas
fondamentalement du leur et ils rentrent en contact direct.
Les vieux colons créent un fossé par la seule supposition
que ce fossé existe.
— Que représentent pour vous Norman Mailer, Truman
Capote et Saul Bellow ?
39
— Question très difficile... Vous devez faire attention à
ce que vous dites de vos confrères. Malheureusement, je
ne lis pas beaucoup, et lorsque je lis, j'ai tendance à lire de
la science-fiction. Alors, je ne peux pas parler vraiment
avec beaucoup d'autorité. J'ai lu le premier livre de
Mailer, Les Nus et les Morts ; je l'ai trouvé très bon.
L'Homme de Buridan de Bellow m'a plu. Je pense que les
premières œuvres de Capote montraient un talent
extraordinaire et inusuel, ce que je ne peux pas dire pour
De sang-froid, qui, me semble-t-il, aurait pu être écrit par
n'importe quel journaliste du New-Yorker.
— Les écrivains américains, comme les autres d'ailleurs,
semblent prendre un intérêt particulier à se juger, à se
soutenir, à se condamner mutuellement, chacun ayant
l'impression de détenir la vérité. Que pensez-vous de cela
?
— La tendance à former des cliques a toujours existé
chez les écrivains. Je pense que le développement le plus
extrême de cette tendance a eu lieu en France, chez les
Surréalistes qui s'attaquaient tous à d'autres écrivains.
Breton passait une grande partie de son temps à écrire des
lettres d'injures à d'autres écrivains... Je pense que les
discussions littéraires sont une manière fantastique de
gâcher son temps. Je n'ai aucune envie de m'engager dans
ces manifestes, ces polémiques et ces condamnations
d'autres écrivains ou d'autres écoles.
— Y a-t-il des écrivains de la tradition « classique » qui
ont réussi à échapper à la prison des mots ?
— Echapper à la prison des mots est un peu équivoque.
Je pense que certains écrivains de tradition classique ont
produit des effets extraordinaires avec des mots qui ont
parfois dépassé les mots. Un de mes écrivains préférés,
Joseph Conrad, qui est certainement dans la tradition
classique, a écrit des livres tout à fait remarquables en
collaboration avec Ford Madox Ford, livres qui sont
maintenant très peu lus. Je citerais The Inheritors et
Romance, dans lesquels il y a des passages qui semblent
presque échapper aux mots ou dépasser les mots, bien que
la forme de narration soit conventionnelle et classique.
— Finnegans Wake est généralement tenu pour un
magnifique cul-de-sac littéraire. Que pensez-vous de cette
expérience ?
— Je pense que Finnegans Wake représente plutôt un
piège dans lequel l'écriture expérimentale risque de
tomber lorsqu'elle devient purement expérimentale. J'irai
jusqu'à un certain point avec une expérience donnée, puis
je reviendrai. Je reviens maintenant à une écriture
narrative parfaitement conventionnelle et non ambiguë,
mais en appliquant ce que j'ai appris du cut-up et des
autres
techniques
au
problème
de
l'écriture
conventionnelle. Si vous allez trop loin dans une
direction, vous ne revenez jamais, vous êtes là, dehors,
dans une isolation complète, comme cet anthropologue
qui a passé les vingt dernières années de sa vie à la
controverse de la patate douce. Il voulait savoir si la
patate douce était originaire du Nouveau Monde ou si elle
était venue d'Indonésie en flottant dans un sens ou dans
l'autre. Cela a duré vingt ans... Il écrivait des lettres
acrimonieuses à diverses publications anthropologiques
très spécialisées et s'attaquait à ceux qui s'opposaient à ses
théories sur la patate douce. Je ne me rappelle plus dans
quel sens il pensait qu'elle était venue...
_ Que pensez-vous de Beckett et de Genêt ?
— Je les admire tous les deux sans réserve. Ce sont des
écrivains extraordinaires. Bien sûr, Genêt n'est pas,
d'ailleurs il ne prétend pas être, un innovateur verbal. Il
est dans la tradition classique. C'est encore un écrivain
qui, tout en étant dans cette tradition, échappe à la prison
des mots. Il a réalisé des choses qu'on n'aurait pas cru réalisables avec des mots.
— Quelle importance a pour vous l'engagement de
l'écrivain qui espère trouver par la voie de la politique un
remède ou une amélioration de notre civilisation ? Cette
activité ne met-elle pas une limite, ou n'est-elle pas le
signe d'une limite des possibilités créatrices ?
— Je pense qu'un engagement politique excessif limite
certainement la capacité créatrice. Vous avez tendance à
devenir un polémiste plutôt qu'un écrivain. Ayant
beaucoup de doutes au sujet de la politique, et étant contre
le concept de nation qu'elle présuppose, la politique me
semble être un cul-de-sac, en tout cas pour - moi-même.
Je suppose qu'il y a des écrivains qui tirent vraiment leur
inspiration de leurs engagements politiques et qui arrivent
parfois à de bons résultats. Malraux, dans ses premières
œuvres, en est un exemple. La Condition humaine est
manifestement issue de ses engagements politiques et est,
malgré cela, un très bon roman.
— Les techniques littéraires de Raymond Roussel
tendent à enfermer l'écrivain dans un système ; les vôtres,
40
au contraire, libèrent. Quelle peut être l importance d'une
technique pour un écrivain ?
— Les techniques littéraires peuvent être intéres-
41
santés, certaines donnent des résultats, d'autres n'en
donnent pas. On peut faire une expérience très
intéressante, mais le résultat peut être tout à fait illisible.
Je l'ai souvent constaté. J'ai écrit des textes que je trouvais
intéressants en tant qu'expériences, mais illisibles.
— Avez-vous besoin du lecteur ?
— Un romancier est essentiellement engagé à créer des
personnages. Il a besoin du lecteur dans la mesure où il
espère que quelques-uns de ses lecteurs deviendront ses
personnages. Il a besoin d'eux comme de réceptacles dans
lesquels il écrit. On pose souvent à un écrivain la question
suivante : « Ecririez-vous si vous étiez sur une île déserte
avec la certitude que personne ne vous lirait jamais ? » Je
dirais certainement : oui, j'écrirais afin de créer des
personnages. Mes personnages sont pour moi tout aussi
réels que les gens soi-disant réels. C'est une des raisons
pour lesquelles je ne suis pas sujet à ce qu'on appelle la
solitude. J'ai plein de compagnie.
Prisonniers de la terre
sortez
— Nous avons parlé des images et des mots qui
retiennent l'homme prisonnier et qui sont l'aboutissement
logique d'un vaste système d'anéantissement. Il faudrait
essayer maintenant de détecter les différents moteurs de
cette mécanique et, pour commencer, son origine.
Comment la voyez-vous ?
— L'image et le mot sont les instruments de contrôle
utilisés par la presse quotidienne et par les revues
d'actualité comme Time, Life, Newsweek, leurs équivalents
anglais et continentaux. Naturellement, un instrument peut
être employé sans la connaissance de sa nature
fondamentale ou de ses origines. Pour retourner à
l'origine, nous devons examiner les instruments
eux-mêmes, c'est-à-dire la vraie nature de la parole et de
l'image. Les recherches à ce propos sont découragées par
ceux qui se servent de la parole et de l'image comme
instruments de contrôle. Nous ne savons donc pas ce
qu'est une parole ou une image. L'étude des langues
hiéroglyphiques nous montre qu'un mot est une image... le
mot écrit est une image. Il y a cependant une différence
importante entre une langue hiéroglyphique et une langue
syllabique. Si je lève une pancarte portant le mot « ROSE
» et que vous la lisez, vous serez obligé de vous répéter à
vous-même le mot « ROSE ». Si je vous montre
43
l'image d'une rose, vous n'êtes pas obligé de vous
répéter le mot, vous êtes capable d'enregistrer l'image
en silence. Une langue syllabique vous oblige à
verbaliser dans des structures auditives. Une langue
hiéroglyphique ne vous y oblige pas. Je pense qu'une
personne qui s'intéresse à trouver les rapports précis
qui existent entre le mot et l'image devrait étudier une
écriture hiéroglyphique simplifiée. Une telle étude
aurait tendance à briser la relation automatique au mot.
C'est précisément cette relation automatique au mot
qu'utilisent ceux qui manipulent le mot à grande
échelle.
— Quelle est, dans la machine de destruction,
l'importance du pouvoir sous toutes ses formes ?
— L'emploi du pouvoir pour l'amour du pouvoir est
précisément la machine de destruction. Il nous semble
avoir vu cela dans toute l'histoire, et dans un sens c'est
vrai. La différence est dans le degré. Le pouvoir vieux
style, le generalissimo qui descend le gouverneur de
province dans son bureau, a des buts qui sont limités et
a au moins un petit élément d'autodéfense. Confondre
ce pouvoir vieux style avec les manifestations de la
folie de contrôle que nous voyons maintenant sur cette
planète, c'est confondre une verrue qui disparaît avec
un cancer qui explose. Vous pourriez aussi bien
chercher un petit élément de modération, ou du moins
d'autodéfense chez le virus de la rage qui crève quand
vous crevez, une fois sa mission accomplie. Ce que
nous voyons actuellement, c'est le pouvoir exercé dans
des buts purement s destructeurs. Qu'ils le sachent ou
non, ceux qui exercent actuellement le contrôle vont
droit à l'anéantissement.
— Quelle est, par rapport au pouvoir, l'importance de
l'argent, de la propriété, du bien ?
— L'intérêt du pouvoir et/ou de l'argent est peut-être le
facteur le plus puissant qui s'oppose à la liberté de
l'individu. Les découvertes et les produits nouveaux
sont passés sous silence parce qu'ils menacent les
intérêts. La profession médicale passe sous silence
l'accumulateur à orgones de Reich et ses découvertes
au sujet de l'emploi et du danger de l'énergie
orgonique. Elle passe sous silence la dianétiquc et la
Scientologie découvertes par Mr. L. Ron Hubbard. Elle
passe sous silence l'emploi de doses massives de vitamines E pour la prévention des maladies de cœur et
l'emploi de doses massives de vitamines A comme
remède contre le rhume. (J'emploie ce remède tout
simple depuis trente ans et ça marche. Tous ceux à qui
je l'ai passé ont constaté qu'il arrête ou modifie le
développement du rhume. Dès que vous sentez que
votre gorge est douloureuse, ce qui présage une attaque
de rhume commun, prenez 500 000 unités de vitamine
A. Rien que de la vitamine A. Pas de la vitamine C, qui
ne vaut à peu près rien pour le rhume. Un jour j'ai
pensé commercialiser ce remède mais on m'a dit que la
commercialisation serait rendue impossible par
l'American Médical Association qui s'oppose à
l'automédication. L'AMA s'y oppose si elle marche.)
La profession médicale passe sous silence
l'apomorphine pour le traitement de l'alcoolisme, de
l'accoutumance aux drogues, et pour la régularisation
de métabolismes dérangés. La maladie est l'intérêt de
la profession médicale, qui passe sous silence toute
découverte qui frappe aux racines de la maladie. Le
manque de logements est l'intérêt des professions
immobilières. La profession immobilière sabote tout
essai visant à fournir de bons logements bon marché.
Les maisons Lustron sont un exemple de ce sabotage.
Un homme nommé Lustron a inventé des maisons
préfabriquées en acier
émaillé avec une couche d'isolation à l'intérieur. Cette
maison était inaltérable aux termites, à la rouille et à l'âge.
Elle existerait encore dans un millénaire. Lustron avait
l'intention de sortir cette maison pour 5 000 dollars. Il n'en
a fabriqué que quelques centaines avant d'être évincé du
marché par la profession immobilière qui l'a empêché
d'obtenir les matériaux nécessaires. La voiture Tucker est
un autre exemple. Tucker a inventé une voiture tellement
supérieure à toutes les autres sur le marché qu'elle aurait
obligé les grandes compagnies à changer leurs moules et à
produire une voiture de qualité égale. Mais comme elles
vendaient les voitures inférieures qu'elles étaient équipées
pour produire, il était moins cher et plus facile de bloquer
Tucker... Plus de matériaux ! Tucker a perdu 20 000 000
de dollars et failli aller en prison. La voiture Tucker n'est
jamais sortie sur le marché. Un autre exemple est le
44
blocage de l'industrie de la ramie par les Dupont et autres
fabricants de matières synthétiques.
Où sont les hélicoptères-bicyclettes que nous devrions
avoir depuis longtemps ? Où sont les maisons en
aluminium ? La criminalité est l'intérêt de la police ;
l'accoutumance aux drogues est l'intérêt des brigades des
stupéfiants ; les nations sont l'intérêt des politiciens ; la
guerre est l'intérêt des officiers de l'armée. Les intérêts
opérés à travers le capital privé ou à travers l'Etat
étouffent toute découverte, tout produit ou toute manière
de penser qui menacent leurs zones de monopole. La
guerre froide est employée comme prétexte par l'Amérique comme par la Russie pour cacher et monopoliser les
recherches tout en conservant la science pour l'Etat. Il
n'est pas exagéré de dire que toute recherche importante
est actuellement secrète, jusqu'à ce que quelqu'un vende la
mèche.
L'infra-son, par exemple. Je cite un article du Sunday
Times du 16 avril 1967, « Acoustics », par Frank Dorsey,
sous-titré Josué savait une ou deux choses :
« Le monde ne manque manifestement pas d'armes fatales
; pourtant, une équipe de savants français met au point à
Marseille une machine à rayons mortels destinée à offrir
une méthode de destruction humaine tout à fait nouvelle.
Le projet a pris corps lorsque le laboratoire électroacoustique a déménagé, il y a trois ans. L'équipe s'est
plainte de maux de tête et de nausées. Une enquête fut
ouverte. Les ondes magnétiques et les ultra-sons furent
soupçonnés, puis éliminés. Un des techniciens sortit alors
un ancien appareil à détecter l'infra-son — c'est-à-dire des
vibrations de l'air qui oscillent à moins de dix périodes par
seconde, ou dix Hz (l'oreille humaine enregistre comme
son les vibrations allant de 16 à 20 000 Hz). Cet appareil
avait été employé pendant la première guerre mondiale
pour distinguer le bruit des canons des mouvements de
trains trop lointains pour être identifiés à l'oreille. On
identifia rapidement la source du malaise : le ventilateur
géant d'une usine proche. Après avoir changé la fréquence
du ventilateur, l'équipe de cinq hommes dirigée par le
professeur Vladimir Gavreau décida de rechercher
davantage les propriétés de l'infrason. »
Comme chacun sait, le son est une succession d'ondes par
lesquelles l'air est alternativement comprimé et
décomprimé. Les vibrations rapides passent à travers les
corps solides ou rebondissent dessus en faisant
habituellement peu de dégâts, même quand elles sont très
puissantes. Mais une vibration lente, inférieure au niveau
auditif, peut produire une sorte d'action de pendule, une
réverbération sur les objets solides qui augmente rapidement jusqu'à une intensité insupportable. Pour
étudier le phénomène, l'équipe a construit un sifflet
géant auquel elle a fixé un tuyau à air comprimé, avant
d'y mettre la pression. Le professeur Gavreau raconte :
« Heureusement, nous avons pu l'arrêter rapidement.
Nous fûmes tous malades pendant des heures. Tout
vibrait en nous : l'estomac, le cœur, les poumons. Les
personnes des autres laboratoires aussi étaient malades
et furieuses. »
Le premier coup était audible jusqu'à 190 Hz
seulement. Il avait une force acoustique d'environ 100
W, par rapport à 1 W pour le sifflet d'un arbitre de
football. A partir de ce moment, l'équipe a travaillé à
baisser la fréquence mais en prenant soin de garder une
faible puissance. Un sifflet plus grand, d'environ 1,50 m
de large, fut construit. Il produisait un son très bas mais
audible, d'environ 37 Hz. Mis en marche à sa puissance
maximale, il produirait 2 000 W, et les bâtiments
s'écrouleraient comme les murs de Jéricho devant la
trompette de Josué. Aux pressions employées, il n'a fait
fendre que le plafond. L'équipe a découvert que la
fréquence la plus dangereuse pour la vie humaine est de
7 Hz. A 7 Hz et à très basse puissance, on a une vague
impression de son et une sensation généralisée de
malaise. A 3,5 Hz, on n'entend rien directement, mais il
y a un curieux effet d'incidence. Des sons voisins,
comme l'air qui siffle dans les tuyaux, prennent une
caractéristique de pulsation, à 3,5 pulsations/seconde.
Tous les sons voisins semblent hululer rythmiquement.
L'équipe a souffert de ces expériences. Quelques-unes
de ses blessures invisibles paraissent persister. « Cela
ne nous attaque pas seulement les oreilles, dit le
professeur Gavreau, mais cela affecte directement les
organes internes. Il y a une friction entre les divers
organes causée par une sorte de résonance, qui
provoque une irritation si intense que tout son à basse
fréquence semble se répéter pendant des heures à
travers le corps. » En concevant une arme militaire, les
savants ont l'intention de revenir à une forme de sifflet
de police, large peut-être de 5,50 m, de le monter sur un
camion et de produire le souffle à l'aide d'un ventilateur
actionné par un petit moteur d'avion. Cette arme, dit-on,
produira 10 000 W acoustiques capables de tout
détruire. Capable de tuer un homme à une distance de 8
km. Il y a cependant un inconvénient : pour l'instant,
45
cette machine est aussi dangereuse pour l'utilisateur que
pour l'ennemi. L'équipe étudie divers systèmes pour la
diriger. Divers systèmes de déflecteurs ont été essayés,
mais la méthode qui paraît la plus prometteuse est la
propagation d'ondes opposées et complémentaires, une
onde qui partirait en arrière, changeant la fréquence des
ondes qui vont dans leur sens, et protégeant ainsi tous
ceux qui sont derrière.
Il y a, bien sûr, un moyen de protection beaucoup plus
simple, c'est de mettre la machine en marche à distance.
Ce résumé des expériences du professeur Vladimir
Gavreau avec les infra-sons a été fait à partir d'un
article du Sunday Times. Un article beaucoup plus
complet est paru dans un périodique américain, The
National Enquirer, vol. 42, n° 27, 10 mars 1968. La
découverte du professeur Gavreau a été déposée et tout
le monde peut s'en procurer, pour la somme modique
de deux francs, les plans et la description complète au
bureau français des brevets. Il ne fait pas de doute que
des projets secrets étudient les potentialités militaires
de l'infra-son. L'infrason non mortel paralysant les
fonctions mentales (comme le dit le professeur Gavreau
: « Je ne savais même plus combien font deux et deux
»), il vous suffit de savoir que deux et deux font quatre
pour conclure que l'infra-son est une arme idéale contre
des éléments dissidents du système. Il faut espérer que
les enragés de violons d'Ingres se procureront les plans
et feront des expériences. Les matériaux nécessaires ne
coûtent pas cher et sont faciles à trouver. Il se peut que
l'infra-son recèle des propriétés thérapeutiques à faible
volume et que l'infra-son-limite ajoute une dimension
nouvelle à la musique pop. Un autre savant qui publiait
librement ses découvertes était Wil-helm Reich. Il
mourut dans une prison fédérale. La plupart d'entre
vous connaissent un peu les expériences, découvertes et
théories de Reich, aussi n'en entreprendrai-je pas un
exposé détaillé ici. On peut encore acheter les livres de
Reich, en dépit des autodafés de livres exécutés par les
porcs du Service des drogues et de l'hygiène alimentaire, émules de leurs prédécesseurs nazis.
J'aimerais attirer l'attention sur les expériences faites
par Reich avec la ROM — Radiation Orgo-nique
Mortelle. On produit la ROM en mettant n'importe
quelle matière radioactive dans un accumulateur à
orgones. Les expériences de Reich employèrent de très
petites quantités de matière radioactive. L'effet n'en a
pas moins été décrit comme « être frappé sur la tête
avec un marteau de forgeron ». Un des sujets
d'expérience faillit en mourir. Une très minime
exposition produit des états de confusion mentale, de
dépression, d'angoisse et d'inquiétude. Comme
l'infra-son, la ROM a un champ d'action qui va du
presque imperceptible au mortel. Les expériences avec
la ROM sont amplement décrites dans The Selected
Writings de Wilhelm Reich, dans le chapitre intitulé
Physique des orgones. Toute personne possédant une
montre à cadran au radium peut reproduire ces
expériences. Il semble que l'immunisation à la ROM
s'obtienne par exposition graduelle. En fait, le but des
expériences ROM était de trouver un moyen
d'immunisation massive contre les radiations. Comme
vous le savez, les livres et papiers de Reich furent
brûlés, ses expériences mises hors la loi et il fut
lui-même emprisonné. On ne prend pas beaucoup de
risques en affirmant que des organismes étatiques doivent poursuivre des expériences secrètes avec la ROM.
Les expériences qui offrent la moindre possibilité
d'immunisation contre les radiations méritent
certainement d'être largement explorées et diffusées.
Mr. L. Ron Hubbard, fondateur de la dianétique et de la
Scientologie, a été également persécuté par le Service
des drogues et de l'hygiène alimentaire. Jusqu'à
aujourd'hui, Mr. Hubbard a refusé de publier ses
découvertes les plus avancées. Tout indique que les
découvertes de la Scientologie sont utilisées par la CIA
et autres organismes officiels. Avec ces découvertes
déjà entre les mains les pires qu'on puisse imaginer, il
faut espérer que Mr. Hubbard fera attention à sa
politique actuelle. A Mr. Hubbard revient d'avoir rendu
publique une arme secrète largement utilisée par
Américains et Russes dans leur sinistre farce de guerre
froide. Cette arme est l'hypnose par souffrance sous
drogue. L'hypnose ordinaire ne peut forcer un sujet à
agir contre son code moral ou ses propres intérêts de
survie. L'hypnose par souffrance sous drogue le peut.
Le sujet est rendu inconscient par une drogue, battu de
telle manière qu'aucune trace ne reste (annuaire
téléphonique, oreiller dur) et on lui inculque des
suggestions. Il obéira à ces suggestions sans savoir qu'il
a été drogué et soumis à ce genre d'hvpnose. Il obéira à
ces suggestions, aussi gravement puissent-elles entrer
46
en conflit avec son code moral ou ses intérêts. Même le
suicide peut être encouragé de cette manière.
Dans le cas de Reich et de Hubbard, des découvertes
ont été passées sous silence par les organismes officiels
très probablement pour masquer des expériences
secrètes similaires et parallèles. Un article récent écrit
dans Esquire par un ancien agent de la CIA contient
cette anecdote : un homme portant des photos de la
Baie des Cochons s'en allait vers les bureaux d'un
journal quand l'agent qui le filait appela un « numéro
spécial » à Washington. « Sur le chemin du journal, il
fut renversé par une camionnette de blanchisserie. » Pas
si facile d'épingler à coup sûr quelqu'un qui marche
dans la ville, après tout les gens regardent avant de
traverser, non ? J'oserais quant à moi avancer
l'hypothèse qu'il fut poussé devant la camionnette par
un laser. Les lasers peuvent faire changer les satellites
d'orbite. Ils pourraient bien pousser quelqu'un sous un
camion. Toutes ces connaissances sont-elles entre les
meilleures mains ?
Il y a neuf ans, à Amsterdam, j'ai parlé à un chimiste
hollandais qui m'a dit qu'on avait synthétisé une drogue
infiniment plus puissante que le LSD et qu'on ne
voulait pas prendre la responsabilité de l'expérimenter
sur des êtres humains à cause de la possibilité de dégâts
permanents du cerveau. J'ai appris plus tard que cette
drogue avait été cédée à des « agences officielles » aux
Etats-Unis. Cela pourrait bien être le « gaz toxique non
mortel » employé au Vietnam. Récemment, une
personne liée à un projet de recherche sur le laser
patronné par la marine américaine m'a dit : « On peut
effectivement envoyer une pensée. » Il y a quelques
années, des expériences en Norvège ont indiqué la possibilité d'activer des réactions verbales directement
dans la cervelle au moyen d'un champ
électromagnétique. Entendez-vous des voix ? La Boîte
Noire qui produit des ions positifs, et qui permet à toute
personne située dans son rayon d'action de travailler
sans fatigue à un niveau d'efficacité élevé, a été
employée par l'armée des Etats-Unis ; elle a été gardée
secrète pendant dix ans. Est-elle désormais sur le
marché ? Des recherches importantes, qui pourraient
être employées pour libérer l'esprit humain, sont monopolisées par des intellects mesquins sous l'égide de la
« Sécurité Nationale ». Que vous apporte la « sécurité
nationale » ? La guerre froide est un facteur essentiel au
maintien des institutions en Occident et en URSS. Cela
a toutes les marques d'un jeu de cartes truqué. Les
recherches secrètes ne le sont pas parce que les Russes
pourraient se mettre au parfum : les Russes sont déjà au
courant et le plus souvent, ils sont bien en avance sur
l'Occident. Les recherches secrètes sont secrètes parce
que les systèmes établis ne veulent pas que la jeunesse
du monde entier découvre ce qu'ils fabriquent.
— Le « Lémur » est un animal très curieux dont vous
parlez dans Le Festin nu ; que symbolise-t-il ?
— Il semblerait qu'il y a eu à une certaine époque de
nombreuses expériences humanoïdes. Les uns étaient
trop petits, les autres trop grands ou incapables de
travailler ensemble... Le Lémur est une telle possibilité.
Il a pu exister des êtres semblables au Lémur il y a 500
000 ans environ. Us ont probablement disparu par
manque d'agressivité. Il y a une théorie développée par
Robert Ardrey dans un livre très intéressant qui
s'appelle Genèse africaine. Selon cette théorie, l'homme
est né sur les prairies de l'Afrique et il a survécu parce
que c'était un tueur. Il l'appelle « le singe agressif du
Sud ». « L'homme ne naquit ni en Asie, ni dans
l'innocence. La terre natale de nos pères fut les hautes
terres africaines, une savane balayée par le ciel et
rougeoyante de menace. »
— Croyez-vous aux promesses fréquemment répétées
d'une humanité future meilleure grâce au
développement des procédés d'automation, ou de la
technologie en général ?
— Absolument pas. Cela dépend de qui dirige la
technologie, la technologie elle-même étant un
instrument plus ou moins neutre. Nous n'avons rien vu
de rassurant à ce sujet. Avec les gens qui détiennent
aujourd'hui le pouvoir, plus la technologie devient
efficace, plus ils sont une menace.
— Est-il possible d'échapper à la « Conspiration Nova
»?
— Eh bien, là encore, je crois qu'actuellement les
choses sont vraiment en équilibre.
— Il y a dans vos livres des individus classés en
catégories distinctes : les factualistes, les
47
liqué-factionnistes et les divisionnistes, par exemple.
Que représentent-ils ?
— C'était dans Le Festin nu. C'était une classification
assez grossière et incertaine. Actuellement, elle ne tient
plus très bien, et je ne me servirais plus des mêmes
catégories.
— De quelle manière a lieu actuellement l'extermination des résistants dans les Fours Nova ?
— La machine a beaucoup de moyens pour se
débarrasser de toute personne un tant soit peu
inconvenante. Les hommes comme Wilhelm Reich, par
exemple. Caractérologiquement, il n'était pas fait du
tout pour se défendre. Il n'avait pas le sens de l'humour,
et il ne se rendait pas compte contre qui ou quoi il se
battait. Au début, on l'a rendu paranoïaque, on lui a fait
faire des erreurs, on l'a poussé à ne pas reconnaître des
injonctions et des convocations fédérales. On l'a
finalement envoyé en prison, et il y est mort.
Il y a beaucoup d'autres exemples... Les lois sur les
narcotiques sont un prétexte pour élargir les pouvoirs
de la police, pour augmenter le personnel policier, et
pour créer un état policier avec l'aide d'une presse
dirigée. Les lois sur la drogue sont un prétexte pour
salir toute personne qui s'oppose à l'état policier. A la
une : « Le domicile de untel perquisitionné pour
drogue. Certaines substances — cire à cacheter,
herbes aromatiques, savon — ont été remises au
laboratoire d'analyses légales pour y être analysées. »
Deux semaines plus tard, en dernière page : «
Aucune accusation n'a été portée contre untel. »
Dans l'intervalle, untel a perdu son travail, a été
dévêtu et fouillé à sept aéroports, chaque fouille en
gros titre à la une. Jamais le principe McCarthy de
culpabilité par association n'a été appliqué de façon
plus éhontée que dans la presse anglaise
d'aujourd'hui.
Voici une citation : « Les douaniers fouillent encore
deux groupes pop. Deux groupes pop anglais, leurs
valises et leurs voitures, ont été fouillés par des
douaniers de l'aéroport de Sydney. La fouille a eu
lieu à la suite de la saisie de deux livres appartenant
à Eric Burdon : L'Histoire de l'érotisme par Kenneth
Anger, et une anthologie Olympia contenant une
sélection de nouvelles de Henry Miller et d'autres. »Les moyens par lesquels la presse est capable de
déranger ou d'immobiliser toute personne qui bloque
la machine sont nombreux.
— A quoi correspond la volonté de nivellement
intellectuel qui se ressent violemment dans toute
société fondée sur le pouvoir de l'argent ?
— Le nivellement intellectuel devient de plus en
plus nécessaire à mesure que les failles de notre
société deviennent de plus en plus évidentes. Nous
en sommes maintenant au point où c'est
48
pratiquement un crime que d'exprimer une opinion
sensée. Vous exprimez une opinion modérée à propos
des drogues, et vous vous trouvez accusé de vanter leur
emploi, et vous êtes dénoncé comme criminel.
Suggérez qu'il peut y avoir quelque chose de
fondamentalement mauvais dans la société, et vous êtes
un anarchiste qui frappe aux racines mêmes de la
civilisation organisée. Aucun relâchement n'est permis,
car les contradictions sont trop évidentes. Ce nivellement existe-t-il aussi dans d'autres formes de société
? Eh bien, naturellement. Il existe en Russie et en
Chine à un degré significatif. Il ne s'agit pas seulement
de l'argent, il s'agit de l'intérêt du pouvoir quel qu'il
soit. Les déviations ne sont pas tolérées.
— La machine, nous promet-on, délivrera l'homme
dans un avenir assez proche. Comment voyez-vous
cette délivrance ?
— Je ne vois pas comment elle pourrait avoir lieu à
partir du moment où la machine est dirigée par
quelqu'un et doit avoir un opérateur. Elle dépend de
l'intelligence et des intentions de l'opérateur. Wiener
nous a prévenus que la machine penserait mille fois
plus rapidement que nous, et qu'elle pourrait bien
conduire ses maîtres au désastre avant qu'ils ne se
rendent compte de ce qu'elle fait. Mettez dans votre
machine : « Gagnez la guerre au Viêt-nam à tout prix »,
elle s'y met et le fait, mais vous ne savez pas ce qui
peut arriver. Non, je ne vois pas de salut dans la
machine, la ferraille, la technologie ou les ordinateurs
aux mains des individus ou des groupes qui détiennent
actuellement le pouvoir sur cette planète.
— Beaucoup pensent que la censure est une 98
protection utile et que n'importe qui ne peut pas recevoir
n'importe quoi. Qu'en pensez-vous ?
Je pense que toute censure, toute forme de
censure devrait être abolie. Je ne crois pas que les livres
dits obscènes aient jamais inspiré à qui que ce soit de
commettre un crime plus sérieux que la masturbation.
Mais il y a une sorte d'écriture qui pousse les gens à
commettre des crimes : celle de la presse mondiale.
Robert Benjamin Smith, 18 ans, de Mesa, accusé du
meurtre de quatre femmes et d'une jeune fille le 12
novembre dans un institut de beauté de Mesa, a plaidé
innocent mercredi pour cause de démence. Smith a dit au
sergent de police Ray Gomez que les meurtres en série de
Chicago et Austin (Texas) lui en avaient donné l'idée.
Cherchez dans vos morgues et voyez combien de fois le
prisonnier a eu l'idée du crime en lisant les journaux.
L'homme qui a tiré sur Rudi Dutschke en a eu l'idée après
avoir lu l'assassinat du Docteur King.
L'excuse pour censurer la fiction, c'est-à-dire qu'elle
stimule les gens à commettre des crimes, est absolument
ridicule, étant donné les crimes commis chaque jour par
les gens qui ont lu un cas semblable dans les journaux. La
télévision est tout aussi mauvaise, à cause de la juxtaposition de l'actualité et de la fiction qui donne à la fiction plus
d'influence. Il y a eu quatre ou cinq cas récents de jeunes
gens qui se sont pendus après avoir vu un western à la
télévision. Le problème est celui d'émissions d'actualité
(quelque chose qui se passe réellement) mises en
opposition a de la fiction dont tout le monde sait que c'est
taux. Les gens ne se précipitent pas pour commettre un
meurtre après avoir lu Agatha Christie, mais ils
commettent certainement un meurtre après avoir lu le récit
d'autres meurtres dans les journaux. D'ailleurs, toute
censure, m'a-t-on dit, vient d'être abolie au Danemark sans
aucun effet En fait, les statistiques, jusqu'à présent incertaines, indiquent une baisse dans le nombre des viols et
des crimes comportant des violences sexuelles. Ce que les
gens au pouvoir essaient de masquer par le maintien de la
censure est que si toute censure était abolie, rien
n'arriverait.
— Il y a eu à Boston un procès à propos du Festin nu.
Norman Mailer et Allen Ginsberg ont pris votre défense.
Assistiez-vous à ce procès ? Quelle impression vous a-t-il
laissée ?
— Non, je n'y étais pas. On m'a demandé d'être présent,
mais j'ai refusé. J'ai eu l'impression que c'était une farce
complète. La défense a essayé de montrer que Le Festin
nu avait quelque importance sociale et cela me semble
tout à fait à côté de la question, et ne se rapporte pas au
fait fondamental du droit de censure, du droit du
gouvernement d'exercer une censure quelconque. Je suis
sûr que si j'avais été là, je n'aurais fait rien de bon.
— Lorsqu'on qualifie une œuvre de pornographique,
qu'entend-on par là ?
— Je ne pense pas que cela signifie grand-chose et les
autres ne le pensent pas non plus, parce que les définitions
de ce qui fait la pornographie, les définitions légales,
deviennent de plus en plus confuses. On dit maintenant
que si une chose a une importance sociale qui la rachète,
quoi qu'elle veuille dire, elle n'est pas pornographique. Il y
a de plus en plus de décisions juridiques contradictoires.
On parle de « l'exploitation de la pornographie pour le
profit ». Naturellement, tout éditeur s'attend à gagner de
l'argent avec ses livres. Je pense que c'est un de ces mots
ambigus avec une connotation dérogatoire qui n'a
absolument pas de signification précise.
Pensez-vous que la pornographie habituelle
soit présente dans des choses qui passent sous le nez des
censeurs, mais déguisée ?
Oh oui ! on y fait sans doute passer beaucoup
de choses. Bien sûr, il y a toute la question de la
pornographie de violence qui est probablement plus
susceptible d'avoir des effets néfastes que la pornographie
sexuelle, bien que je ne croie à aucune censure, ni dans les
films, ni au théâtre, ni dans la littérature. Oui, il y a
certainement une pornographie impunie, elle est
simplement un tout petit peu déguisée.
— Y a-t-il une voie politique à la libération du monde ?
Un changement d'idéologie complet, par exemple
l'anéantissement du monde capitaliste par le monde
socialiste, offrirait-il une solution ?
50
— Je ne le pense absolument pas, parce que ces gens-là
ne font que se renvoyer les mêmes vieilles formules. Que
se passe-t-il, par exemple, lorsque le gouvernement
accapare un prétendu moyen de production ? Rien. Nos
usines occidentales sont maintenant pratiquement
contrôlées par l'Etat. C'est-à-dire qu'une personne peut
être propriétaire d'une usine, mais on lui dit combien elle
doit payer les ouvriers, combien d'ouvriers elle peut
employer... Elle n'est pas beaucoup plus qu'un gérant, et sa
position n'est pas très différente de celle du gérant d'une
usine russe. Franchement, je ne pense pas que cela ferait
une différence.
L'anarchiste est peut-être un des seuls à proposer une
solution possible pour l'avenir. Croyez-vous aux solutions
qu'il propose ?
Je ne sais pas vraiment ce qu'elles sont. Je
dirais cependant que je ne crois à aucune solution
qui propose des demi-mesures. A moins que nous
n'abolissions les concepts de nation et de famille
nous ne ferons aucun progrès. C'est la même chose
sous un autre nom. Par exemple, je pense qu'il n'y a
pas de solution avec les Nations Unies. Les Nations
Unies — l'impossibilité est dans le mot nation, voilà
la difficulté. L'anarchiste dit : « Débarrassez-vous
de toutes les lois », mais les lois sont la
conséquence des nations. Il me semble qu'ils ne
vont pas jusqu'à la racine des difficultés, jusqu'à la
formule fondamentale qui est celle de la nation,
mais proposent plutôt une solution pour un fait
accompli qui ne marchera pas. Ils laissent subsister
la nation et disent : « Nous allons abolir les lois. »
C'est comme si on essayait d'abolir les symptômes
d'une maladie tout en ne touchant pas à la maladie
elle-même.
— La suppression de l'argent modifierait-elle les
structures de la société ?
— En 1959, dans Minutes To Go j'ai écrit : « Je suis
tout faible, chéri, je peux tout juste me traîner à la
maison, le dollar s'est effondré. » Minutes To Go qui
rassemble les premières expériences cut-up, s'est
avéré être un livre prophétique. Voyez-vous, il y a
quelque chose de fondamentalement faux avec le
concept de l'argent. Il en faut toujours plus pour
acheter toujours moins. L'argent est comme la came.
Une dose qui vous défonce le lundi ne vous fait plus
rien le vendredi. Nous sommes précipités à une
vitesse vertigineuse dans une inflation mondiale
comparable à ce qui s'est produit en Allemagne
après la première guerre mondiale. Les riches
entassent désespérément or, diamants, antiquités,
tableaux, médicaments, outils et armes.
Le rejeton d'une très célèbre famille de banquiers
m'a un jour confié un secret de famille.
Quand un certain stade de responsabilité et d'éveil
est atteint par un jeune banquier, on l'emmène dans
une pièce décorée des portraits de famille au milieu
de laquelle trônent des toilettes d'or chamarrées. Il y
vient chaque jour pour déféquer entouré des
portraits de famille jusqu'à ce qu'il comprenne que
l'argent est de la merde. Et que mange la machine à
argent pour avoir à le rechier ? Elle mange de la
jeunesse, de la spontanéité, de la vie, de la beauté et
par-dessus tout, elle mange de la créativité. Elle
mange de la qualité et chie de la quantité. Il fut un
temps où la machine mangeait avec modération ce
que contenait un garde-manger bien garni et où ce
qui était mangé était remplacé. A présent, la
machine mange plus vite beaucoup plus vite qu'on
ne peut remplacer ce qu'elle mange. C'est pourquoi
de par nature, l'argent vaut toujours moins. Les gens
veulent de l'argent pour acheter ce que la machine
mange afin de rechier le fric. Plus la machine
mange, moins il en reste. Et votre argent achète de
moins en moins. Ce processus suit maintenant une
escalade géométrique. Si l'Occident ne déclenche
pas auparavant une guerre nucléaire, son système
monétaire s'écroulera à cause de l'inexorable
consommation bar la machine d'art de vie de parfum
et de beauté pour fabriquer de plus en plus de merde
qui achète de moins en moins de vie d'art de parfum
et de beauté parce qu'il y en a de moins en moins à
acheter. La machine bouffe tout. Le temps viendra
certainement où l'argent n'achètera rien parce qu il
ne restera rien à acheter. L'argent s'auto-detruira.
L'axe Beat/Hip, notamment en la figure de
comme Allen Ginsberg, veut transformer
ce monde par l'amour et la non-violence.
Partagez-vous cette volonté?
— Certainement pas. Les gens au pouvoir ne
disparaîtront pas volontairement, et donner des
fleurs aux flics ne marchera pas. Cette pensée est
quelqu'un
encouragée par le système. Il n'y a rien qu'il aime
plus que l'amour et la non-violence. Le seul moyen
que j'aime voir pour donner des fleurs aux flics est
de leur balancer un pot depuis le dernier étage.
— Croyez-vous en la vertu pacificatrice d'un
désarmement ?
— Non. Il n'aura pas lieu, il n'a pas lieu, il ne peut
pas avoir lieu. Aussitôt que vous avez des armes, le
désarmement devient extrêmement peu probable.
L'absurdité totale de dépenser de l'argent pour des
armes est une des conséquences de la formule
fondamentale de la nation. Et jusqu'à ce que cette
formule soit attaquée à sa racine végétale, à savoir
la famille biologique, il n'y aura pas de vrai
désarmement, mais seulement des pourparlers, des
comités et du non-sens.
— Que pensez-vous de la peine de mort ?
— Une pratique barbare qui devrait être éliminée
partout.
— Le bien et le mal existent-ils réellement ?
— Pas dans un sens absolu. Une chose est bonne
ou mauvaise suivant vos besoins et la nature de
votre organisme. Ce qui attaque ou essaie d'anéantir
une personne ou une espèce est vu par cette
personne ou cette espèce comme mauvais. Je pense
qu'il est naïf de prêcher un absolu. Cela se rapporte
seulement aux conditions de vie d'un organisme,
d'une espèce ou d'une société donnés.
— Que pensez-vous du système pénal ?
— Ridicule ! Ça date du Moyen Age. Pour commencer, c'est la société qui fait tous ces criminels,
très délibérément, ces grands camps de
concentration, où l'on entasse les gens connus
comme criminels. Un grand nombre d'entre eux sont
des psychopathes, c'est-à-dire qu'ils sont réfractaires
au contrôle. Dès qu'ils deviennent des criminels, ils
cessent d'être source d'ennuis. Les voilà entrés dans
le jeu du gendarme et du voleur, entrés pour la vie
dans un camp de concentration. Mais voilà qu'ils se
sont mis à agrandir ce camp de concentration, à
l'agrandir à perte de vue, en faisant de plus en plus
de lois qui rendent de plus en plus de gens criminels
; et si toutes les lois étaient appliquées, presque tout
le monde serait dans le camp de concentration, que
tous les autres devraient garder. Us sont maintenant
dans une impasse : ils doivent soit reconnaître que
tout le truc est une farce et que les lois ne sont pas
faites pour être appliquées, ou alors les changer, ou
les appliquer. Et ils ont peur de ces trois solutions.
Us ne peuvent reconnaître que la chose est une
farce, ils ne feront pas de changements
fondamentaux. Appliquer ces lois serait bien sûr la
chose la plus dangereuse à faire ; en Amérique ils se
retrouveraient avec trente à quarante millions de
gens au moins en taule, et combien de personnes
faudrait-il pour arrêter, garder et poursuivre ces
contrevenants ? Eh bien, tout le pays deviendrait
une carapace entourant un très attristant noyau
immense de criminels. Comment pourraient-ils
maintenir la défense nationale s'ils mettaient tous les
jeunes en prison ? Où seraient leurs soldats dans
l'éventualité d'une attaque ? Ils temporisent, tout
comme le fait 1 Angleterre. Les Anglais ne font pas
de changements fondamentaux. Ils répètent : ça ne
peut pas arriver ici ; c'est arrivé en France mais en
Angleterre, c'est différent. Le monde occidental tout
entier fond sous une stupidité absolue, à essayer de
taire marcher des choses qui ne le peuvent pas.
— On cite souvent les pays Scandinaves comme
exemples de pays réussis.
— C'est facile, c'est plus petit. Par exemple au
Danemark, il y a 4 millions de gens plus ou moins
homogènes. Ils n'ont pas de problème de criminalité, on ne peut pas commettre un crime au
Danemark, ça se saurait immédiatement. Ils n'ont
pas de taudis. Ils n'ont pas de pègre, ils n'ont aucun
lieu où receler des bien volés, ils y ont vraiment
rendu le crime, à quelque échelle que ce soit,
impossible. Bien sûr, ils ont un système pénal très
éclairé pour les individus qui commettent
effectivement des crimes, LE crime occasionnel,
comme en Suède. Ce sont simplement des pays plus
petits et plus homogènes où il est beaucoup plus
facile de contrôler les facteurs. Il n'y a pas de
pauvreté, il est interdit d'être pauvre. Les gens ne
sont pas très heureux mais on s'occupe certainement
bien d'eux.
— Y a-t-il un endroit où ils soient heureux ?
52
— Ils sont certainement plus heureux en Espagne
avec toute la pauvreté qu'en Suède avec toute la
prospérité et le niveau de vie élevé.
— Oui, mais l'Espagne est un bon exemple de pays
hautement contrôlé avec gouvernement répressif,
religion cauchemardesque — tout, quoi !.
— Oui, tout. Ils sont emmerdés de tous les côtés.
Seulement voyez-vous, la pauvreté occupe les gens.
Vous voyez du bonheur sur les visages dans les rues
en Espagne, ce que vous ne voyez pas dans les rues
en Suède.
— « / / faut toujours créer autant de conflits nouveaux que possible et il faut toujours aggraver les
conflits existants. » Cela pourrait-il être une définition de la politique ?
Oui. Je crois que quelqu'un vient d'écrire un
livre qui fait remarquer que la guerre est absolument
essentielle au maintien de la société moderne et qu'il
lui faut toujours en avoir une quelque part. Elles
sont
nécessaires
autant
psychologiquement
qu'économiquement. La conception entière d'une
nation dépend de l'hostilité d'une autre nation située
de l'autre côté d'une ligne. S'il n'y avait pas ce
facteur d'hostilité, s'il n'y avait pas de conflits
d'intérêts et si les politiciens n'arrivaient pas à créer
des conflits, les lignes s'écrouleraient et il n'y aurait
plus de nation.
— A quoi aboutirait un Etat dans lequel les
hommes « normaux » gouverneraient ?
— Je refuse le mot normal ; je ne sais pas ce qu'il
veut dire.
— Des gens moyens qui ne toléreraient pas et
étoufferaient les gens extraordinaires.
— Je pense que cela serait un cauchemar absolu, et
il est très probable que cela aura lieu car avec la
surpopulation, il y a de plus en plus d'hommes
soi-disant normaux, c'est-à-dire de connards -purs et
simples. C'est un autre grand problème, cette
surpopulation, qui résulte du concept de nation, de
la nécessité des armées, de la nécessité d'un grand
nombre de gens pour produire et consommer les
marchandises. Avec la surpopulation, la qualité de
la race humaine baisse prodigieusement. Les gens
deviennent de plus en plus stu-pides, de plus en plus
incompétents et il y en a de plus en plus.
Que représente pour vous l'Amérique actuelle ?
Au niveau officiel, un cauchemar. Difficile de
croire que les gens qui occupent le pouvoir qui
décide de la politique étrangère et domestique de 1
Amérique puissent être si imbéciles et si fondamentalement mal intentionnés. Le conformisme
d'une énorme classe moyenne (la foule Wallace) et
la contestation chez les jeunes, les intellectuels et
les professions libérales ont atteint une échelle sans
précédent. Je ne connais pas d'autre pays où la
contestation soit si largement répandue et détienne
une meilleure chance de provoquer des
changements fondamentaux. Je pense qu'il se passe
aujourd'hui en Amérique, dans la sphère de la
politique et des arts, davantage que nulle part
ailleurs. La censure a presque cessé d'exister. Bien
sûr, toute personne de l'ancien monde qui est de
passage — et revenant ici après tant d'années en
Europe et en Afrique, j'ai le regard d'un visiteur —
est impressionnée par le niveau de confort et de
service. Chauffage central. Bonne nourriture peu
coûteuse à votre porte à toute heure du jour ou de la
nuit. Je déclare sans réserves que l'Amérique a
maintenant la meilleure nourriture au monde et pour
l'argent qu'on y dépense, c'est peut-être le pays le
meilleur marché du monde. Certainement beaucoup
moins cher que Londres, Rome ou Paris.
L'Amérique a tellement changé qu'elle est
méconnaissable. Elle est peut-être bien l'espoir du
monde. Elle est aussi la source de pestes
émotionnelles telles que l'hystérie anti-drogues, le
racisme, la moralité biblique, l'éthique capitaliste
protestante, le christianisme musclé qui se sont
répandus partout, transformant cette planète en une
annexe de l'Enfer.
— Concevez-vous une voie par laquelle les
Etats-Unis pourraient surmonter les problèmes
causés par la politique étrangère et par
l'intégration sans opérer un changement radical de
gouvernement ?
— Non, je n'en conçois pas. Il n'y a pas un politicien en Amérique qui avouera qu'il y a quelque
chose de radicalement faux. Ils pensent que l'on
peut toujours recoudre les choses, refusent d'examiner
leurs axiomes fondamentaux et ne se rendent pas
compte que toute leur affaire ne peut pas tenir debout.
53
Ça ne peut tout simplement pas marcher et
naturellement, s'ils ne font que recoudre les choses, et
c'est tout ce qu'ils feront, tout deviendra de pire en pire.
Je pense que le changement le plus probable sera une
forme quelconque de fascisme d'extrême droite, une
prise de pouvoir par l'armée. Cela me semble très
probable. Contrairement à ce que Marx croyait,
évidemment, les pays industrialisés deviennent
fascistes, et ce sont des pays non industrialisés qui
deviennent communistes. Vous aurez peut-être le communisme en Amérique du Sud, mais il est très peu
probable que vous l'ayez en Amérique du Nord à
l'époque actuelle.
— Est-ce que la question vietnamienne vous parait
être un problème que les Etats-Unis rencontreront
toujours ?
— Ils le rencontreront évidemment sans cesse. C'était
d'abord la Corée, maintenant c'est le Vietnam et si
jamais ils arrivent à résoudre le problème, ce sera
ailleurs. L'idée de contenir' le communisme à l'échelle
mondiale ne peut aboutir qu'à se lancer dans toutes les
aventures les plus idiotes, les unes après les autres.
Cela arrivera certainement ailleurs, c'est inévitable.
N'importe quel gouvernement de droite n'a qu'à dire
qu'il est en train de se battre contre le communisme
pour y impliquer les Américains.
Quelle est votre position vis-à-vis du Vietnam ?
~~ D'habitude, je ne me mêle pas de politique. Une fois
qu'un problème a atteint le stade politico-militaire, il
est déjà insoluble. Cependant, il m' arrive parfois de
penser à haute voix : les français sont restés en
Indochine pendant un bon nombre d'années, si je me
rappelle bien, avant de se rendre compte qu'ils étaient
en train de perdre A quel prix ? Ils perdaient leurs
soldats. Ils en ont fait de nouveau l'expérience en
Algérie. Prenez une formule comme Nationalisme Armée - Troubles avec d'autres tribus de l'âge de
pierre... et lorsque l'on commence à se servir de
bombes atomiques au lieu de haches de pierre — on
ferme, Messieurs... Il paraît qu'il y a des gens qui se
figurent que la solution à toute cette pagaille est de
faire sauter le théâtre et de recommencer par le début.
Cela a déjà pu arriver plusieurs fois, l'espèce ayant
environ 500 000 ans, et ce que nous appelons l'histoire
ne datant que de 10 000 ans. Un peu plus, un peu
moins — qu'ont-ils fait pendant 490 000 ans ? Nous
sommes passés de la hache de pierre aux armes
nucléaires en 10 000 ans. Cela a pu se produire
plusieurs fois auparavant. Ça nous a d'ailleurs un air
plutôt familier là d'où qu'on vient. Si vous ne voulez
pas voir sauter le théâtre tout entier, il faut bien sûr que
les Américains quittent le Viêt-nam avant que... « les
unités américaines et chinoises se battent au nord
d'Hanoï »... « le discours de Johnson le plus dur »... «
Kossy-guine mis en garde avec rudesse »... Naturellement, toutes les nations devraient détruire toutes leurs
armes atomiques et peut-être aussi leurs physiciens
atomiques comme garantie, mais cela poserait un drôle
de problème de débarras. Je dois ajouter qu'il est peu
probable que cela ait lieu. On fait des armes pour s'en
servir, et on s'en servira, tôt ou tard, parce que la
formule du nationalisme ne pourra jamais être dissoute
en ses propres termes, c'est-à-dire en termes
politico-militaires.
— La destruction de la machine policière est-elle
encore possible ?
___ Cela se peut, oui. La machine, à 1 époque actuelle,
est certainement sur la défensive ; mais, avec une
résistance suffisante à l'échelle mondiale, c'est encore
possible. Bien sûr, la machine policière ne sera pas
brisée si on ne brise pas avec elle la conception de la
nation. Je vois un avenir dans lequel des armées de
guérilleros libéreront l'Amérique du Sud, l'Amérique
centrale et l'Afrique. « Nous marcherons partout sur la
machine policière et nous la détruirons. Nous
détruirons la machine, ses archives et tous les organes
de la machine policière qui se cachent sous le nom de
presse mondiale. »
— Willy l'Uranien essaie de donner la vie à l'homme :
« Prisonniers de la Terre, sortez— » s'écrie-t-il. Y a-t-il
encore assez d'Uraniens sur la terre pour que les
grilles de la prison soient arrachées ?
— Eh bien, ils ont l'air d'avoir fait du bon travail à ce
propos, récemment. En France, à Stockholm, en
Allemagne, en Amérique... C'est presque un
phénomène mondial. Il semble que le message de
résistance totale ait été diffusé sur l'onde courte
mondiale.
54
— Quelle est votre position à propos des émeutes
estudiantines ?
— Il devrait y avoir encore plus d'émeutes et plus de
violence. Les jeunes de l'Occident ont été trompés,
vendus et trahis. La meilleure chose qu'ils puissent
faire, c'est de démanteler les lieux avant qu'ils ne soient
eux-mêmes détruits dans une guerre nucléaire. La
guerre nucléaire est inévitable si les contrôleurs actuels
restent au pouvoir.
Les jeunes gens lancent le seul défi efficace à 1 autorité
établie. L'autorité établie en a bien conscience.
L'autorité établie se dirige partout contre les jeunes
gens. Aujourd'hui, c'est pratiquement un crime que
d'être jeune. C'est la guerre totale dans laquelle
l'opposition emploie les tactiques les plus sauvages
dont elle dispose. Le seul pays qui soutienne la
jeunesse est la Chine rouge, et c'est pour cela que le
Département d'Etat a interdit les voyages en Chine
rouge. On ne veut pas que les Américains s'aperçoivent
que tout pays qui offre quoi que ce soit à ses jeunes
gens gagne leur soutien. Les institutions occidentales
n'offrent rien. Elles n'ont rien à déclarer à l'exception
de leurs mauvaises intentions. Eh bien ! Qu'ils le
fassent ouvertement. Si on en vient là, tous les atouts
seront bons. La révolte estudiantine est maintenant un
mouvement mondial. Jamais auparavant dans l'histoire
connue l'autorité établie n'a été défiée si
fondamentalement à une échelle mondiale. Pourtant,
les incidents qui déclenchent les soulèvements
d'étudiants sont souvent insignifiants : le renvoi d'un
professeur libéral, le refus de changer le système
d'examens ou de satisfaire d'autres demandes mineures
de transformation. Un motif crucial de se révolter pour
la jeunesse est la question des recherches secrètes
poursuivies dans les universités ou autre part. Toutes
les connaissances toutes les découvertes appartiennent
à tout le monde. Les recherches secrètes signifient
recherches contraires aux intérêts de la jeunesse,
connaissances retirées à la jeunesse, découvertes
utilisées contre la jeunesse. Le monopole mondial des
connaissances et des découvertes dans des buts
contre-révolutionnaires est la question fondamentale.
La trahison et la tromperie qui sont ici en jeu dépassent
de loin la mauvaise volonté traditionnelle des éléments
conservateurs à satisfaire les demandes de la jeunesse
de plus de liberté. Toutes les connaissances toutes les
découvertes vous appartiennent de droit. Il est temps
d'exiger ce qui vous appartient. Pour parler
grossièrement, les cartes sont truquées. Qui est
l'agresseur dans ce jeu à trois ? Le « péquenot » qui
s'aperçoit qu'il a été refait et qui essaie de récupérer sa
mise, ou les donneurs escrocs ? Je cite un article récent
paru dans Mayfair sous le titre « Le feu éclate » :
« Le printemps difficile de 1969. Sous le prétexte du
contrôle des drogues, des Etats policiers répressifs ont
été montés dans tout le monde occidental. Le
programme précis de pensées, de sensations et
d'impressions sensorielles apparentes proposé par la
technologie décrite dans le Bulletin 2332 rend les Etats
policiers capables de maintenir une façade
démocratique derrière laquelle ils dénoncent à haute
voix comme criminelle, pervertie et intoxiquée toute
personne qui s'oppose à la machine de contrôle. Des
armées souterraines opèrent dans les grandes villes,
abreuvant la police de faux renseignements au moyen
de lettres et de coups de téléphone anonymes. La
police, revolver au poing, surgit à la soirée du
sénateur... une soirée bien spéciale d'ailleurs, qui devait
couronner une jolie petite affaire d'avions d'occasion. "
On nous a indiqué qu'il y avait ici une soirée nue de
marijuana. Démolissez tout, les gars, et vous, restez
habillés ou je fais éclater vos sales tripes ! " On diffuse
de fausses alertes sur les ondes courtes pour diriger les
voitures de police vers des crimes et des émeutes
inexistants, ce qui nous permet de frapper ailleurs. Des
escadrons de faux policiers fouillent et assomment les
bourgeois. De faux ouvriers des Ponts et Chaussées
détruisent les rues, cassent les tuyaux d'eau, sectionnent
les câbles électriques. Des machines à infra-sons font
sauter toutes les sonnettes « alarme de la ville. Notre
but est le chaos total. Au Mexique, en Amérique du
Sud et en Amérique centrale, des unités de guérilleros
forment une armée pour libérer les Etats-Unis. En
Afrique, des unités semblables, de Tanger à
Tombouctou, se préparent à libérer l'Europe de l'Ouest
et le Royaume-Uni. Malgré la diversité des buts et celle
du personnel constituant cette armée, on s'accorde sur
des objectifs fondamentaux... Nous avons l'intention de
marcher sur la machine policière où qu'elle soit. Nous
avons l'intention de détruire la machine policière et
toutes ses archives. Nous avons l'intention de détruire
partout l'organe de la machine policière mondiale qui
se cache sous le nom de presse conservatrice. Nous
avons l'intention d'anéantir tout système verbal
dogmatique. Nous allons arracher à la racine végétale
l'unité de la famille et son extension cancéreuse en
55
tribus, pays et nations. Nous ne voulons plus entendre
de discours famille, de discours mère, de discours père,
de discours flic, de discours prêtre, de discours pays ou
de discours parti. Pour parler clairement, nous avons
entendu assez de merde ! »
— Qu'avez-vous à dire de l'assassinat de Robert
Kennedy ?
— Il semble probable que l'assassinat a été arrangé par
l'extrême droite, et que ses organisateurs s'en servent
pour faire passer la législation de l'arme à feu, afin de
désarmer la nation en vue d'une prise de pouvoir
fasciste qui aura certainement lieu si l'Amérique entre
en guerre contre la Chine. En ce qui concerne les
moyens par lesquels de tels assassinats sont arrangés, il
y a pour cela des techniques bien précises. Les
assassins entendent souvent des voix qui leur disent de
tuer. Ces voix sont-elles forcément imaginaires ? Des
haut-parleurs directionnels peuvent projeter des voix.
Les recherches secrètes sur le laser concernent le
problème de transmission de pensée. Des expériences
faites en Norvège indiquent la possibilité d'activer des
réactions verbales dans le cerveau avec des techniques
de magnétophone. L'histoire suivante explore ces
possibilités...
as SKIDOO
Je travaille au 23 Département des Déboussolés. Nous
avons des archives sur tous les cinglés et chaque cas est
classé comme 23: pourrait écrire une lettre menaçante
ou refiler un pistolet chargé à blanc à une pédale à
condition qu'on l'énerve assez pour cela certainement
pas 23...::: c'est de la graine d'assassin pour ça le plus
sûr est le type tranquille qui lit la Bible toujours à part
avec dans les yeux un air lointain, un petit air rêveur et
en même temps désagréable mais personne n'aimait
regarder ça alors c'est passé inaperçu jusqu'au jour où
au moment précis où le Consul sortait de sa voiture à
10 h 23 il eut la surprise de voir approcher ce qu'il prit
pour un grossier clochard portant une Bible dans une
main et dans l'autre ce qu'on a identifié après l'avoir
sorti de l'épine dorsale du Consul et avoir pénétré à
plusieurs reprises le foie et l'abdomen comme un
couteau à désosser de 20 cm de long. Au moment où il
frappait on entendit l'assassin dire : « Après tout, Dieu
créa les couteaux. » Maîtrisé par les gardes consulaires
et remis à la police, l'assassin a avoué qu'il était
membre du redoutable « Mouvement Fly Tox » une
secte extrémiste qui a horreur du hachisch et qui se
défonce à la carence vitaminale avec une telle
Préparation vous trouvez sa longueur d'onde sans
Problèmes. « Tu m'entends Homer ? Bien sûr que tu
m'entends. Je te dis ce qu'il faut faire Homer.
Nous te protégerons Homer. Des soucoupes volantes t'attendront lorsque tu auras fait ce que nous
te dirons. »
Il arrive parfois qu'on perde un taré et qu'on ne
retrouve pas sa longueur d'onde alors dans ce cas-là
on met tous les gars qui ont du flic dans le coffre
dans la rue pour suivre la piste de l'égaré avant qu'il
ne dise quelque chose de trop vraisemblable au
sujet de nos activités dans ce département ce qui
serait impensable puisque nous étions là les
premiers lourds et froids comme une matraque de
flic une nuit d'hiver nous recherchions un cinglé
égaré contacté la dernière fois dans un accumulateur
à orgones l'écran s'est éteint habituellement un cas
de cette sorte s'avère imputable au sabotage
interdépartemental ou au recrutement illégal le
département entier est pourri par ça peut-être le
Département d'Ethnologie l'a-t-il sacrifié dans un
meurtre rituel nous sommes des hommes du monde
ces choses-là arrivent...
« Joe que ma chair pourrisse si ce département sait
de quoi tu parles. » A travers tous les départements
haine froide d'un comptable interrogé qui sait ses
livres en ordre. Nous devions envisager la
possibilité que notre zigoto ait été déglingué et soit
utilisé pour exterminer un de nos propres gars à
cheveux blancs comme le Vieux Patron Gâteau. A
la soirée du bureau Mr. Blankslip de la comptabilité
mélangea son « cocktail-déconnexion » et une petite
voix froide lui dit qu'il fallait tuer cet homme pour
sauver l'Agneau de Dieu de la Bête 666 comme
membre de l'escadron spécial ton devoir est évident
camarade un homme doit faire son simple boulot
pour Pétrole Total la compagnie veille toujours aux
siens tu ne penses pas que je te lâcherais fils ? Dieu
? Eh bien pas exactement juste un type comme toi
avec son boulot à faire comme tu as maintenant le
56
tien vis-à-vis de cet indicible Vieux Patron Gâteau
après trois martinis fait savoir à ses confrères
comme il nous appelle que nous sommes tous de
simples bons gars comme lui il avait ses manières
visqueuses si l'un de ses employés arrivait au
bureau les chaussures sales le patron arrêtait de
faire cirer les siennes et s'excusait toujours lors de la
réception d'un dignitaire étranger de l'état de ses
chaussures expliquant « il s'agit d'une procédure de
bureau vous comprenez » jusqu'à ce que tu saisisses
l'allusion et que tu viennes au bureau avec des
souliers comme des miroirs d'obsidienne et que le
patron sourie lentement comme de la mélasse figée
et dise « Ravi de vous voir » ou il laissait un petit
montant d'argent sur le bureau qu'il piquait
probablement lui-même.
« Oh euh Grimsy ? » «
Oui Monsieur. »
« Vous n'avez pas vu 15 shillings sur mon bureau
par hasard ? Je pensais que vous auriez pu les
remettre dans la caisse ? Non ? Là sur le bureau... »
« Je ne les ai pas vus Monsieur. »
« Eh bien cela n'a pas d'importance... Bonsoir
Grimsy... »
« Bonsoir Monsieur. » «
Oh... Grimsy... » « Oui
Monsieur. »
« Si vous avez besoin d'un acompte sur votre salaire
vous pouvez me le demander vous savez... » Il avait
une manière de tomber sur les employés a n importe
quelle heure aucun d'eux ne pouvait avoir de serrure
à sa porte même pas à celle des w.-c. à toute heure
du jour ou de la nuit le Vieux Patron Gâteau ouvre
ta porte d'un coup et te sourit.
« Eh bien on écrit son journal jusqu'à une heure
avancée ? Ça doit être d'une lecture intéressante. »
De toute évidence les LE. — Influences Extérieures
— sont à l'œuvre. Des sections entières de la
machine sont maintenant criblées et entravées par
ce que le Chef du Parti appelle « des bouffons
communistes aux yeux de morue qui sabotent
d'importants projets. » Nous sommes obligés de
traquer tous les cas de perte de contact pourtant
comme je l'ai dit il s'agit dans la plupart des cas de
mauvais coups interdépartementaux vous entrez
dans un truc à la con de ce genre mais vous ne
savez jamais si un fada égaré est tombé sous des
LE. avant que les dégâts ne soient faits. Lorsque
vous voyez le fada mon vieux c'est trop tard. «
Enlève tes pattes de là vieux clodo dégueulasse. »
ça arrive tout juste comme ça rue vide le portier
s'absente à l'angle pour un « rouge »... transporté
saignant à profusion dans l'entrée où il décrivit son
agresseur comme un type « qui portait un complet
bleu clair taché sur la poitrine d'œufs brouillés et
puant abominablement les oignons crus et l'alcool
bon marché ». L'agresseur avait disparu.
« A employer de nouveau sous un autre équipement
bien sûr. »
Mon supérieur acquiesça. « Un vieux taré avec des
tracts. Essayez de le frôler... » Les LE. pourraient
foutre en l'air tout notre département depuis que
nous nous sommes perfectionnés et avons démontré
dans l'opération classée Masse 23 Skidoo...:::
Indonésie:::... provoqué par des techniques
d'ordinateurs chez une population autrement
normale une fuite à ce stade est tout simplement
impensable cela « impenserait » le département
entier préoccupé par ses pensées il s'étonna de se
faire arrêter assez rudement par un gendarme.
« Ecoutez je suis du Ministère de l'Intérieur. »
Il jeta un coup d'œil perçant à l'agent « Mais cet
uniforme est truqué. »
Il chercha autour de lui un véritable flic et mourut
sans reprendre conscience. L'assassin, décrit par la
police comme « le frère professionnel d'un flic » dit
le sous-secrétaire, avait fait un geste menaçant et il
tira par légitime défense. Un jour comme les autres
un Américain bien tranquille mangeait des œufs
brouillés chez Nedick soudain le cuistot des
Philippines parut derrière le comptoir avec un drôle
de pas décidé... « Nouvel employé... a envie de
plaire » pensa l'Américain bien tranquille. Il sourit
chaleureusement. « Voulez-vous me réchauffer ces
œufs Jojo ? »
Œufs froids café froid Américain froid par terre. «
Bonjour senor vous aimer mon pays ? » « Oui bien
sûr Mère et moi adorons tous deux le Mexique.
Voulez-vous boire une bière avec nous ? »
« Deux gringos de plus ou de moins entre machos
j'étais crudo. »
Sa première pensée fut qu'elle avait dû laisser
quelque chose dans le restaurant et que cet épouvantable jeune homme en veste de cuir noir sortait
en courant pour le lui rendre elle était bien trop
riche pour lui donner un pourboire mais qu'avait-il
exactement dans sa main ? La grenade fit voler son
manteau de vison à 50 mètres. Le type qu'il avait
57
pris pour un nouveau portier lui bloquant l'entrée du
Yale Club sortit soudain une bouteille l'arrosa
d'essence et lui mit le feu. Vous ne savez jamais
quand les dégâts sont faits pour ça le plus sûr est en
retard et un accumulateur à orgones l'écran s'est
éteint une nuit d'hiver de cette sorte s'avère
imputable à une panne d écran et le département
entier est illégal. . Mr. Blankslip mélangea sa
déconnexion Agneau de Dieu de la Bête 666
vis-à-vis de cet indicible Département d'Ethnologie tous ses confrères comme il nous
appelle savent que ces choses-là arrivent par des types
comme lui il avait une manière visqueuse de parler à
travers ma chair le Vieux Patron Gâteau après trois
martinis. « Nous sommes tous de simples bons gars évidemment cons. »
grenade... foyer de consulat un nouveau portier lui
bloquant l'entrée complet bleu clair taché sur la poitrine
l'arrosa d'essence j'étais crudo un gendarme.
« Voulez-vous une bière ? »
Reprenant conscience les assassins marchent fièrement les
passants tous frères d'un flic dit le Consul suédois qui
mangeait tranquillement des œufs brouillés chez Nedick...
Les Oswald et les Ruby n'étaient que des plaques tombées
de nos poches des bombes humaines à retardement
explosées sous le contrôle d'un ordinateur. Maintenant
toute précision est perdue. Des assassins et des bouffons
de hasard rôdent dans les rues et toute cette anarchie à
cause d'un seul fada égaré.
Et qui d'après vous était le premier agent sur le terrain de
golf ? Tout à fait par hasard le même inconnu qu'ici ?
Après tout je suis 23...:::
— L'homme ne préfère-t-il pas sa prison à la découverte
d'un espace nouveau ?
— Je ne le crois pas. Je pense que seul l'homme qui a été
si complètement écrasé et conditionné par la machine qu'il
n'a plus de pensée propre pense ainsi. Bien sûr, c'est ce
qui arrivera à la plupart des gens puisque du point de vue
des statistiques, la plupart des gens croient ce qu'on leur
dit et seront écrasés par leur condition. Pourtant, l'Etat ne
peut obtenir un pourcentage suffisant de soumission afin
d'éviter une résistance très sérieuse, et sa position n'a
jamais été plus menacée qu'en ce moment.
; la torture du « standard téléphonique » que
vous décrivez dans Le Festin nu est-elle le processus
normal pour parvenir à la « civilisation » ?
_ C'est le processus normal pour conditionner
les gens à croire ce qu'on leur dit.
_ Vous parlez souvent dans vos livres de « devenir soi-même ». Qu'est-ce que cette recherche de
soi implique ?
— Je crois que ce qui est impliqué est un soi qu'on est en
dehors de la pensée imposée.
PAS BESOIN DE PENSER
Je reviens d'une promenade dans le jardin. Il est 6 heures
et dans ma section chacun prend sa douche. Je croise
plusieurs jeunes gens en slip et en peignoir portant des
serviettes. Je ne transpire pas beaucoup. Je vais dans ma
chambre je m'assieds ouvre la fenêtre et allume une
cigarette. Sur le sol de ma chambre les deux domestiques
qui préparent et servent le repas donnent à leur Petite fille
une leçon de géographie cartes dépliées sur le sol. Je les
regarde à travers la fumée de ma cigarette. Leur présence
ne me touche pas. Le centre se trouve en Autriche et à
cette époque du milieu de l'été il y fait une chaleur
visqueuse. Je suis ici depuis un mois environ, pour
apprendre une nouvelle méthode de pensée. Il n'y a ni
eçons ni professeurs. Il n'y a ni livres ni devoirs.
e ne fais presque rien. La première étape est de cesser de
faire tout ce que vous « avez à faire ».
"muiez une façon de penser à laquelle vous êtes
58
contraint. C'est un exercice tiré de la Scientologie que
nous avons tous étudiée à un moment ou à un autre.
L'exercice relâche l'emprise de la pensée contrainte et
élargit la portée de la pensée non forcée.
Exemple : Vous devez penser aux choses que vous
allez faire aujourd'hui écrire des lettres appeler untel
apporter du linge à la blanchisserie et veiller à faire
réparer les radiateurs. Vous y pensez dix fois alors
qu'une fois est déjà trop. Improvisez donc une série de
courses imaginaires. Maintenant improvisez des
pensées que vous n'êtes pas obligé d'avoir. Choisissez
une personne dont la façon de vivre est complètement
différente de la vôtre et improvisez ses pensées.
(Exemple : Vous devez improviser des interviews ou
des situations dans lesquelles vous jouez un rôle
efficace devant des spectateurs imaginaires. Eh bien,
improvisez ! Maintenant improvisez des pensées
imposées que vous n'êtes pas obligés d'avoir, les
pensées imposées de quelqu'un d'autre ce que Dutch
Schultz le gangster a pensé, ce que pense un gérant
d'hôtel ce que pense un pauvre fermier marocain.)
Le résultat est que vous n'avez pas besoin de penser du
tout. Et alors ? Dans cette section il y a des étudiants
comme moi. Je partage ma chambre avec l'un d'eux. Il
prend une douche. C'est une chambre longue et étroite
comme un couloir plafond haut cheminée de marbre
tacheté sur la cheminée des articles de toilette deux lits
étroits deux penderies un poêle en porcelaine
débranché pour l'été. Sur le poêle une plante grasse en
pot. Je suis assis dans un fauteuil en cuir usé à côté de
la fenêtre dont les vitres sont faites du même plastique
que celui qu'on utilise pour couvrir les serres ou les
châssis dans le jardin. Il y a un évier avec une glace
pendue à un clou pour se laver et se raser. La porte
donne sur une terrasse et au-delà il y a le jardin où
nous prenons nos repas sous la treille. Le dîner est à 7
heures, compote de fruits, viande, salade, bière,
pudding ou brioche. Après dîner j'irai me promener
dans le jardin du château au bord des étangs et je
jetterai du pain aux poissons ou j'irai m'asseoir dans la
salle commune dans laquelle il y a des canapés de cuir
des statues de bronze des vieux numéros de
l'Illustrated London News et des revues illustrées
allemandes et italiennes. Je ne peux pas dire
grand-chose de mon compagnon de chambre. C'est une
vague forme sous une couverture légère. La plupart du
temps nous ne nous voyons pas car il n'est jamais dans
la chambre quand j'y suis. Je sais pourtant qu'il est
étudiant comme moi et non pas membre du personnel.
Les membres du personnel se distinguent des étudiants
en ce qu'ils ont des obligations si petites soient-elles.
Ce sont des courriers des expéditeurs et autres à savoir
qu'ils distribuent quelquefois des messages ou portent
des paquets d'un endroit à l'autre. Les membres du
personnel n'aiment pas les étudiants et ils nous saluent
sans nous regarder en maugréant. J'ai vu une seule
personne donner des ordres au personnel. C'est une
jeune femme qui habite le château au-dessus du jardin.
De temps en temps elle sort pour envoyer quelqu'un
chercher quelqu'un d'autre ou pour donner des instructions au jardinier. Il s'est plaint à moi cet
après-midi « elle attend de moi que je rentre sous terre
et que je pousse ». Les terres ne sont pas bien
entretenues et l'ensemble donne l'impression d être
négligé. C'est une grosse bonne femme d'un certain
âge qui nous fait la cuisine. Son mari sert
les repas et fait juste ce qu'il faut pour que nos
chambres soient habitables. Il porte une culotte de cuir
et fume une pipe d'argile. Café et petits pains le matin,
soupe froide poissons et fruits Pour le déjeuner, soupe
et dessert pour le dîner.
La bière est servie seulement avec le dîner. Au
déjeuner nous avons du cidre. La nouvelle façon de
penser n'a rien à voir avec la pensée logique. Il ne
s'agit pas d'une pensée du corps subconsciente
organique ou océanique. Cette pensée est précisément
délimitée par ce qu'elle n'est pas. Ne pas savoir ce qui
est et ce qui n'est pas sachant que nous ne savons pas.
Comme dans un film le courant de pensée semble être
continu alors qu'en fait la pensée coule s'arrête change
et coule de nouveau. Il y a une fraction de seconde là
où la pensée s'arrête. La nouvelle façon de penser se
développe dans cet intervalle. Je regarde les
domestiques désignant la carte par terre et je ne pense
rien du tout de ce que je vois. Mon esprit se meut dans
une série d'intervalles factuels vides sans étiquettes et
sans questions. Les objets qui m'entourent le corps et
l'esprit des autres sont simplement là et je me déplace
parmi eux sans efforts ni commentaires. Ici il n'y a rien
à faire, pas de lettres auxquelles répondre pas de
factures à payer pas de buts pas de barrières pas de
punitions. Ici il n'y a pas de considérations qui
pourraient obliger la pensée à suivre certaines lignes de
nécessité structurelle ou environnante. La nouvelle
façon de penser est la pensée que vous auriez si vous
59
n'étiez pas obligé de penser aux choses auxquelles
vous devez penser d'ordinaire et si vous n'aviez rien à
faire rien à craindre et pas de projets. Tous les
exercices pour atteindre ce but doivent eux-mêmes être
exclus. Ce serait la façon de penser que vous auriez si
vous n'étiez pas obligés d'imaginer une manière de ne
pas avoir à penser. Nous apprenons à arrêter les mots à
les voir à les toucher à les déplacer à les employer
comme des objets.
Les domestiques sont allés préparer le dîner. J'enlève
mes pantoufles et me lève. J'enlève ma chemise fais
glisser mon pantalon et mes sous-vêtements et
m'assieds nu sur le siège dont je ressens sur mon dos le
cuir rafraîchi par la brise du début de soirée. Nous
avons tous eu plus ou moins le même entraînement. Je
vois un bâtiment en brique rouge au-delà de la rivière
vague saccadé lointain : l'Académie. Le programme
original de l'académie a été postulé en supposant
qu'une telle académie pourrait être établie sans opposition. Cette supposition s'est révélée fausse. Jamais
autant de forces de répression n'ont été aussi
désespérément mobilisées pour bloquer tout
entraînement qui pourrait permettre aux étudiants de
s'opposer à la persistance parasite d'institutions
impraticables. Par conséquent l'entraînement de
l'académie a dû être décentralisé et camouflé. Nous
suivons l'entraînement de karaté et d'aikido dans les
écoles éparpillées dans les grandes villes du monde et
l'entraînement de Scientologie dans les centres de
Scientologie. D'autres cours sont assurés par un réseau
d'instituts et de fondations souvent éphémères.
L'entraînement est souvent interrompu. Trois mois de
karaté puis de Scientologie me prennent tout mon
temps et juste avant les cours avancés de Scientologie
on me déplace au Caire pour un cours intensif
d'hiéroglyphes égyptiens. Ce centre est fermé par le
gouvernement. Après cela il y a un cours de
maniement d'armes financé par un milliardaire
d'extrême droite dans le Texas de l'est où nous
apprenons à utiliser toutes les armes depuis l'arc
jusqu'au fusil laser, un séminaire de magie noire
africaine subventionné par un institut d ethnologie de
Londres qui manque toujours de fonds, une expérience
volontaire d'immersion sensorielle organisée par la
marine des Etats-Unis qui a abouti à une enquête du
Congrès sur le lavage de cerveau, un club de chute
libre dans le Dakota du Nord, plongée sous-marine et
juste au moment où je m'habitue à la bonbonne nous
sommes expulsés de Ceylan où le cours a lieu et je vais
faire un stage de yoga au nord de l'Inde. Après cela je
suis exposé à la ROM en Norvège. Le livre de
référence sur la ROM est Les œuvres choisies de
Wilhelm Reich publiées par Noonday Press New York
page 351 La Physique de l'Or-gone. Dans sa forme la
plus simple l'accumulateur à orgones de Reich est une
boîte de bois ou de n'importe quel autre matériau
organique doublé de fer. Des accumulateurs plus
puissants peuvent être obtenus par addition de couches
de fer et de matériaux organiques et des accumulateurs
de cent couches alternées ont été construits. En 1950
Reich a découvert qu'une petite quantité de matériau
radioactif placé dans un accumulateur à orgones
pouvait produire ce qu'il appelle la ROM — Radiation
Orgonique Mortelle —. L'exposition à la ROM peut
produire de graves symptômes ou la mort, mais
l'exposition graduelle à des doses contrôlées crée une
immunité généralisée. Je cite la Physique de l'Orgone :
« Ces expériences ont été faites dans l'espoir de trouver
un antidote puissant contre les maladies de la radiation
nucléaire. » Ces expériences se sont montrées plus
dangereuses que prévu. Les chercheurs ont ressenti les
symptômes suivants : un goût salé pénétrant qui
devient légèrement amer ou acide sur la langue, des
conjonctivites graves, des nausées, des maux de tête
très violents, des frissons alternés avec de la fièvre.
Dans certains cas la peau devenait marbrée. En plus de
ces symptômes généraux la ROM « attaquait chaque
personne à son point le plus faible ». Ceux qui avaient
une maladie de foie eurent une jaunisse, etc. Pourtant,
le but de la ROM était d'éclairer la maladie afin de
l'éliminer. « Les chercheurs retrouvaient non
seulement la santé mais après quelques semaines ils se
sentaient particulièrement forts et actifs après que la
ROM eut été neutralisée. Nous avions la très nette
impression que ceux qui avaient participé à ces
expériences avaient développé une certaine immunité
aux effets de la ROM. Nous avons obtenu une arme
fort puissante contre les maladies causées par les
radiations. Pourtant les qualités sanitaires de la ROM
ne s'obtiennent que par dosage prudent. Un médecin
qui travaillait sur ce projet est presque mort à la suite
d'une surexposition à la ROM. 19 février 1951 : 12 h
30.
60
Protocole sur .......................... , D.M.
« J'ai mis la tête dans l'accumulateur pendant un instant
et j'ai soudain eu l'impression d'être assommé par un
marteau. J'ai commencé à ressentir une peur qui devint
une véritable angoisse de la mort comme je n'en avais
jamais encore ressentie. J'étais à moitié conscient,
étourdi, aveuglé. Les battements de mon cœur étaient
très faibles et lents, entre 45 et 48. J'avais du mal à
respirer. J'eus l'impression que j'allais mourir, que
j'allais cesser.
Un criminel ou un ennemi politique pourrait facilement laisser tomber des appareils de ROM en activité
qui auraient l'apparence de simples boîtes doublées de
métal... Il n'y a aucune possibilité de se protéger contre
la ROM. Elle pénètre tout et ne peut être neutralisée ni
par des briques ni par un tablier ou par un masque de
plomb. L'étendue de l'énergie de la ROM dans son
intensité comme dans son extensité est dans le même
rapport avec 1 étendue de l'énergie atomique que
l'infini avec un grain de sable »... Souvenez-vous que
même un bracelet-montre avec un cadran en radium
placé dans un accumulateur peut produire des
symptômes très nets de ROM. Reich faisait ses
expériences avec de très petites quantités de radium.
Evidemment une pile de matières radioactives placée
dans un accumulateur à 1 000 couches pourrait produire un désastre inimaginable «
D'autre part, par une exposition graduelle, on
pourrait peut-être obtenir une immunisation massive
contre la maladie causée par les radiations. » Le
centre est entièrement fait de verre et d'acier qui
brillent à la lumière froide du soleil nordique. Rien
qu'en le regardant je vois des savants fous au regard
bleu sauvage qui trinquent dans l'air liquide en
même temps qu'ils sortent la dernière arme d'une
installation polaire. Le directeur a l'air du fantôme
d'Hammarskjöld. Il a la voix la plus morte que j'aie
jamais entendue. « La euh... suppression des
expériences du Docteur Reich et le retrait de ses
livres de la circulation mettent en évidence la
probabilité que les euh... autorités en question ont
l'intention d'employer la ROM contre les euh...
éléments dissidents. Vous apprécierez facilement la
euh... recommandation de vous pourvoir des
immunités correspondantes »... Il appuie sur un
bouton. « Le Docteur Anderson va vous parler. » Le
Docteur Anderson me regarde et dit « Salut mon
gars ». Il me conduit à travers un long couloir blanc
dans une chambre ensoleillée dont une paroi vitrée
donne sur l'inévitable fjord. Il y a un canapé près de
la fenêtre et une table de bois clair sur laquelle des
jacinthes d'eau poussent dans une coupe jaune. La
chambre sent l'ozone et les fleurs. Le Docteur
Anderson me fait signe de prendre place en face de
ce qui ressemble à un buste emballé dans des
bandages. « Nous l'appelons la Méduse, n'est-ce pas
drôle ? » Il manipule quelques boutons au-dessus de
la tête de la Méduse et se met à côté d'elle. Quelque
chose se détache de l'épaule droite de la Méduse et
me frappe droit au cœur. Je meurs. Le cœur la
respiration le cerveau s'arrêtent. J'essaie de lui dire
que je crève sans gorge sans langue. Je reviens à
moi sur le canapé où le médecin est en train
61
W.B. devant la Machine à rêver de Brion Gysin en 1975 à Genève. (Ph. Anne Nordmannj
Page suivante :
Le Colloque de Tanger à Genève en septembre 1975.
De g. à dr. : Philippe Mikriammos, W B . t Brion Gysin et Gérard-Georges ternaire. (Ph. Anne
Nordmann)
W.B. el David Bowie à Londres en 1974. (Ph. Terry O'Neiil)
prendre mon pouls. Il met les mains sur les hanches et me
regarde.
« Eh bien mon petit canard je pense que tu vas
t'en tirer. »
Je me redresse puis me lève.
« Comment vous sentez-vous ? »
« Je plane, mon pote, je flotte. »
Je regarde à travers la paroi vitrée et ce fjord de
carte postale éclate dans ma cervelle verte rose et
bleu.
« Vous auriez bien besoin d un sauna maintenant. »
Je reçois jusqu'à neuf expositions dans une période de
trois semaines. A la fin de la période je ne ressens
presque plus rien. Le directeur me dit que je suis
maintenant immunisé. « C'est trop tôt pour dire
exactement quelle est la portée des effets... l'expérience
n'étant pas encore concluante tendrait à suggérer que le
processus du vieillissement est arrêté ou en tout cas
retardé par une exposition graduelle à la ROM. Je vous
dirai très confidentiellement que vous êtes peut-être dans
un certain sens immunisé à la mort elle-même. »
Et j'ai dit : « Qui est-ce qui l'aurait cru ? » Il y a des cours
de virologie, de linguistique et de sémantique générale,
un cours de technique d'assassinat, d'armes improvisées
et un cours d'émeute. N'importe laquelle de ces
disciplines pourrait devenir une façon de vivre mais il y a
quel-qu un que nous ne voyons jamais qui veille à ce que
nous soyons en mouvement et en continuelle rotation. Le
but est d'appliquer ce que nous avons appris d'une
discipline à l'autre et de ne pas nous laisser coincer dans
une seule façon de faire les choses. Parfois je retrouve les
autres étudiants dans un cours mais la plupart du temps
pas. Je n' ai jamais vu aucun de ces étudiants auparavant.
Us ont tous l'air de l'académie à la fois sondeur et
impersonnel lointain et vif. Je peux dire quel
entraînement les autres ont eu un merci sciento-logue, un
détail d'aikido, une façon de s'habiller du cours
d'hiéroglyphes, une manière de regarder les extincteurs,
les couteaux de cuisine et les pompes de bicyclette du
cours
d'utilisation
d'armes
improvisées
—
(Souvenez-vous des lasers de fabrication artisanale qui
diffusaient des rayons de côté, des sifflets à infra-sons qui
déclenchaient des sonneries d'alarme à des milles à la
ronde, des fusils projecteurs de ROM, de l'écran à
signaux interchangeables qui montrait alternativement
des visages aimables et menaçants vingt-quatre fois par
seconde, des catapultes et des fusils à air comprimé, des
appareils à produire des coups de grisou et de sciure.)
Mon compagnon de chambre rentre à ce moment précis
avec une serviette autour des hanches. Je ne l'ai encore
jamais vu. Je sais qu'il s'appelle Harper. Son corps est un
moule rempli de lumière, un moule qui sera bientôt vide.
Je crois que c'est le dernier cours. Les cours sont tous des
jouets dans un jeu de survie. Le chasseur doit chasser
pour survivre. Les tigres préhistoriques menacent le
chasseur. Regardez les usines et les bombes atomiques.
Outils, jouets dans le jeu de la survie. Les nations doivent
produire pour vivre. Les Chinois et les Russes menacent
nos cités paisibles. Regardez le cerveau humain. C'est
aussi un outil. « L'académie de Saint-Louis était une
vaste construction en brique rouge s'étendant sur une
falaise dominant le fleuve. Un crépuscule de poussière
bleue descendait sur la vallée quand Bill Harper un
étudiant débutant descendit d'une voiture attelée frais
dimanche lointain vents frais du sud il y a longtemps. »
A des années-lumière l'académie qui n'a jamais été et qui
n'aurait jamais pu être. Le Cerveau ne pouvait pas
permettre cela ou ce serait arrive
'1 y a des milliers d'années. Le Cerveau ne vous
permettra pas de découvrir combien il est facile de
résoudre les problèmes. Une fois les problèmes résolus le
cerveau-outil devient désuet. Qu'est-ce qu'un problème ?
Mr. Hubbard en a donné la définition suivante : c'est
postulat contre postulat, intention contre intention. Le
cerveau-outil est muni d'un mécanisme propre qui
l'empêche de résoudre les problèmes et ce mécanisme est
Le Mot. Le Cerveau ne peut que produire plus d'outils de
survie qui produisent encore plus de problèmes. Dans ce
dernier cours nous avons supprimé le mot. Le
cerveau-outil avec son appareil verbal qui se limite
lui-même est maintenant désuet. Il n'est ni en métal ni en
silex. Il ne laissera aucune trace excepté le moule calcaire
d'une maison vide.
— Vous avez écrit : « Je ne suis pas deux, je suis un. »
Quelles sont les conséquences de cette unité ?
70
— J'ai parlé de formules impraticables et il se peut que
la plus impraticable de toutes soit le concept d'univers
dualiste. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment de la place
pour plus d'une personne, donc plus d'une volonté, sur
une planète. Aussitôt que vous en avez deux vous avez
des ennuis. Le dualisme est la base de cette planète : bien
et mal, communisme et fascisme, homme et femme, etc.
Aussitôt que vous avez une formule de ce genre, vous
allez certainement avoir des ennuis. La planète est
peuplée de divers groupes dont les conditions de vie sont
tout à fait incompatibles. Us ne s'entendront pas. Il ne
s'agit pas qu ils se réunissent et qu'ils s'aiment : ils ne le
peuvent pas car leurs intérêts ne sont pas les mêmes.
Prenez simplement l'homme et la femme, par exemple ;
ils ne s'entendront jamais, leurs intérêts sont différents.
— Quelle est la valeur de l'intelligence dans la
recherche de soi-même ?
— Je définirais simplement l'intelligence comme la
faculté de s'adapter à de nouvelles situations et à de
nouveaux milieux en résolvant des problèmes. C'est
de toute évidence un instrument utile qui finira par
être mis à l'écart. Le cerveau humain tout entier est
en fait un outil, et vous jetez un outil lorsque vous
n'en avez plus besoin.
— Celle de la science ?
— La science ? Je ne sais pas comment vous la
définiriez. En général, nous voulons dire par là une
méthode globale pour évaluer des informations selon
des données expérimentales, et comme telle, elle est
évidemment valable.
— « Rien n'est vrai — tout est permis » dit Hassan i
Sabbah. Est-ce le principe de la liberté ?
— Oui, je le pense. Si rien n'est vrai, tout devient
permis. Si nous nous rendons compte que tout est
illusion, toute illusion est permise. Aussitôt que nous
disons qu'une chose est vraie ou réelle, d'autres
choses deviennent immédiatement interdites.
— L'amour est-il une solution ?
— Je ne le pense pas du tout. Je pense que l'amour
est un virus. Je crois que l'amour est une arnaque
montée par le sexe féminin. Je ne crois pas qu'il soit
une solution à quoi que ce soit.
— Qu'éprouvez-vous pour les êtres humains ?
— Ils ont des possibilités de développement, mais
ils ne les réaliseront pas s'ils ne se débarrassent pas
des facteurs et des individus qui les étouffent et qui
les retiennent délibérément où ils sont, non
seulement en les opprimant mais en les enfonçant de
plus en plus, de sorte qu'ils deviennent de plus en
plus stupides. Rien n'est fondamentalement faux
dans l'être humain, mais il lui faudrait certainement
faire un très radical pas en avant dans l'évolution. Il
est probable que le vrai point de départ de ce que
nous appelons l'homme moderne a été le langage.
Au commencement était le Verbe. Je pense que la
prochaine étape devra se situer au-delà. Le mot est
maintenant un outil dépassé. Toute forme de vie qui
s'enferme dans un outil périmé est destinée à la
destruction. Les dinosaures ont survécu parce qu'ils
étaient grands, puis ils sont devenus de plus en plus
grands et ils ont finalement disparu. La forme
actuelle de l'être humain est sans doute la
conséquence des mots, et à moins qu'il ne se
débarrasse de cet outil périmé, l'homme s'éteindra.
— Vous parlez de la nécessité de briser la formule
des pays et des nations. Comment cela se ferait-il ?
— A l'époque actuelle, nous sommes emprisonnés
dans des camps de concentration appelés nations.
Nous sommes obligés d'obéir à des lois auxquelles
nous n'avons pas consenti, et de payer des impôts
démesurés pour maintenir les prisons dans lesquelles
nous sommes confinés. Le prétexte selon lequel il y
a une part quelconque de consentement qui joue ou
de bénéfice obtenu est usé jusqu'à la corde. Le
peuple américain ne savait même pas que la bombe
atomique existait, encore moins a-t-il été consulté
sur son utilisation. Ainsi, une des décisions les plus
désastreuses de 1 histoire humaine a été prise par un
petit nombre d'hommes incompétents, mal informés
et mal intentionnés. Comment pourrait-on s'attaquer au concept de nation ?
blables le retrait des individus d'opinions semblables en communautés à l'intérieur des nations.
Les Black Muslims sont déjà sur cette voie. Les
hippies de même. D'autres unités préférentielles
pourraient être organisées : communautés exclusivement
masculines,
communautés
parapsycho-logiques, communautés diététiques,
communautés karaté et judo, communautés de
71
planeurs, communautés yogiques, communautés
reichiennes, communautés de silence et d'isolation
sensorielle De telles communautés deviendraient
rapidement internationales et feraient s'effondrer les
frontières nationales. C'est une application des principes énoncés dans la série académique. 2. En 1961,
Herr Doktor Kurt Unruh von Stein-platz a énoncé sa
théorie des unités d'autorité ou de gouvernements
simultanés. L'unité d'autorité est une équipe, simple
ou élaborée, qui donne l'apparence de l'autorité.
L'apparence de l'autorité est l'autorité. La forme la
plus simple serait une boîte policière qui pourrait
être montée dans les régions en développement pour
extorquer de l'argent aux touristes. Fondu sur une
nuit brumeuse au Mexique. Trois jeunes hommes
ont réuni leurs ressources et ont acheté une Boîte
Unruh. Ils s'affairent, essayant de donner à la
bicoque un air habité. Une voiture ne devrait pas
tarder à passer.
« Ah voici notre premier client. »
Chaîne à travers la route torche électrique en
plein visage.
« Descendez, senores. Contrôle des passeports. »
Deux touristes américains en route pour Acapul-co.
Le conducteur du taxi sert d'interprète. « Lui dire
quelque chose pas bon votre passeport. Passeport
muy malo. Vous payez amende cent dollars
mexicains. »
« Mais enfin c'est ridicule ! Dites-lui que je ne
paierai pas un centime. »
« Lui dire pas payer vous aller six mois dans la
prison. »
Juste à côté de la baraque de police se trouve une cour
avec lourde grille en fer et cadenas. A 1 inte-°° iir se
trouvent tous les estropiés lépreux idiots et débiles
du village assemblés par l'offre de bouffe et de
pulque gratis. « Hello Johnny nous te baiser a 1
intérieur. » « J'exige le consul américain. » «
Bonsoir Rodriguez. Il se trouve que je passais
"Voici justement votre consul, Misteur. » Le consul
le dévisage de son regard myope : « Eh bien nous au
Département d'Etat, nous ne donnons pas de conseils
aux citoyens américains mais il nous arrive de penser
tout haut. Nous savons qu'on persécute les
Américains mais qu'y pouvons-nous ? Si on fait du
chambard à ce niveau, ça va plus haut et ça veut dire
plus d'argent. En attendant vous croupissez
là-dedans et ça peut prendre des mois avant qu'on
arrive à vous sortir. Un pauvre type a perdu la boule,
là-dedans. Ça revient moins cher d'allonger le fric en
douce... Oh, euh, vous voudrez bien m'excuser. » Il
y a un aparté devant la baraque de la police pendant
qu'un des flics tripote la crosse de son revolver tout
en fredonnant La Cucaracha. Le consul revient.
« C'est plus grave que je ne le pensais. Semblerait
que le conducteur avait de la cocaïne dans sa
voiture. Il dit que vous lui avez dit de la planquer.
Vous pouvez en prendre pour dix ans selon les lois
mexicaines. En attendant, vous êtes au trou peut-être
pendant deux ans avant de passer en jugement. » Le
consul regarde les touristes. « Combien pouvez-vous
allonger à vous deux, les gars ?... Six cents dollars
en traveller checks ? Ça peut marcher, je ne sais pas.
Signez donc les chèques. »
Opérant d'une baraque à Casablanca, le Herr Uoktor
a commencé à produire ses boîtes policières
préfabriquées munies de trois uniformes de fusils et
de formulaires officiels. Il en est venu à la
production d'unités plus élaborées. Ayant loué des
immeubles anonymes dans des grandes villes, il a
monté des prisons et des tribunaux. La cible est
arrêtée par des détectives, conduite en prison (où on
lui permet de consulter un avocat), jugée, contrainte
à payer une amende, emprisonnée ou même
exécutée. Pour 5 millions de dollars, le Herr Doktor
peut livrer un petit pays complet avec armée, police
et douanes. Pour 23 milliards, une unité de luxe avec
une bombe atomique vieux style et un programme
spatial. Ces unités d'autorité ont miné le monde
occidental en détruisant la conception même de
l'autorité, comme un déluge d'argent contrefait et
indétectable détruirait le système monétaire. (Il faut
remarquer en passant que le bon docteur n'était pas
d'un tact à toute épreuve. Quand la rédactrice d'un
magazine féminin lui demanda ce qu'il pensait de la
« question féminine », il répondit jovialement :
« Bourquoi bas gouber la dêde ? Les boulets vivent
zans la dêde nourris bar dubes et c'est éfidemment le
même afec les femmes. Ramenée ainzi à zon vrai
dezdin de meddre au monde de bedits mâles forts,
elle redrouverait za joie nadu-relle, nicht wahr ? Je
vais abbel à la femme de bonne volondé pour
fazilider mes exbérienzes. ») Dans son traité en
quatre volumes sur la nature, le développement et
les stades terminaux du. Virus de l'Autorité, le
docteur prédit que la Maladie Morale Américaine
ruinera l'Occident intellectuellement, artistiquement
et techniquement par la persécution systématique de
toute personne qui s'élèvera au-dessus d'un niveau
72
moyen de production humaine. Cette persécution
s'appliquera d'abord directement aux artistes et gens
du spectacle en tant que fragment de la
73
population le plus réfractaire au contrôle, mais
s'étendra rapidement aux savants et techniciens. Les
riches seront dépouillés de leur argent par les
mêmes officiels qu'ils auront mis en place pour
protéger leurs privilèges. Il prédit que de vastes
armées de guérilleros surgiront en Amérique du Sud
et en Afrique ; que ces armées attireront les jeunes
Américains et les jeunes Européens, que des
millionnaires en cavale financeront les guérilleros,
que savants et techniciens en fuite apprendront aux
guérilleros des méthodes de combat et des tactiques
incroyables. Il prédit que l'Occident, privé de ses
avantages techniques, envahira l'Amérique du Sud
et l'Afrique dans des croisades modernes, s'opposant
ainsi aux guérilleros sur leur propre terrain et
répétant l'erreur du Viêt-nam. Il prédit que
l'Occident sera totalement détruit à la fin du xxix'
siècle. Il prédit que les guérilleros détruiront tous les
vestiges de l'ancienne économie fondée sur la
production et la consommation de masse. Il prédit
une nouvelle économie visant à transcender le
niveau humain de production dans tous les
domaines. Quant aux mesures nécessaires pour
parvenir à cette victoire, il écrit : « Qui s'oppose à la
force par la contreforce seule forme ce à quoi il
s'oppose qui le forme en retour. L'histoire montre
que quand un système de gouvernement est renversé
par la force, un système par bien des aspects
semblable le remplace. D'un autre côté, qui ne
résiste pas à une force qui enchaîne et extermine
sera enchaîné et exterminé. Pour qu'une révolution
provoque des changements fondamen-aux dans une
situation donnée trois tactiques sont indispensables :
1° Démembrer. 2° Attaquer. 3° DISParaître. Ne
plus regarder. Ignorer. Oublier.
es trois tactiques à employer alternativement. »
a donc énoncé le concept d'unités « Rien Que
es Oignons », constituées d'individus aux pré
74
occupations communes et formant des communautés
séparées. « Les communautés RQMO doivent se
camoufler pour survivre. Par exemple les RQMO
s'emparent d'un immeuble de fond en comble, puis
de l'immeuble voisin, puis de tout un pâté de
maisons, en surface des gens parfaitement normaux
et stupides. Ou alors ils s'emparent d'une petite ville,
shérif, prison et banque. Pas de barbes pas de
cheveux longs rien qu'une petite ville ordinaire.
De nouveaux concepts ne peuvent apparaître que
lorsqu'on parvient à un certain degré de désengagement par rapport aux conditions ennemies. D'un
autre côté le désengagement n'est pas très facile dans
un camp de concentration, pas vrai ?... 1°
Démembrer... Cinquante jeunes hommes enregistrent
des effets sonores d'émeute sur des magnétophones
portables. Ils s'attachent les magnétophones sous des
gabardines. Ils se jettent dans la cohue à l'heure de
pointe appareils à fond, cris, sifflets de police, verre
qui se brise, coups mats des matraques, gaz
lacrymogène qui sort de leurs vêtements... 2°
Attaquer dans la confusion qui s'ensuit... 3° Se retirer
dans la communauté RQMO. Apprendre le chinois...
Démembrer à nouveau... Attaquer... Disparaître.
Détourner le regard. Ignorer. Oublier. »
— Vous avez décrit l'Amérique comme un cauchemar. Pourriez-vous développer ce point ?
— L'Amérique n'est pas tant un cauchemar qu'un
non-rêve. Le non-rêve américain est précisément un
mouvement pour abolir le rêve de l'existence. Le
rêve est un événement spontané et donc dangereux
pour un système de contrôle créé par des
non-rêveurs. Des expériences faites par le Docteur
Gross à New York au Mont Sinaï Hospital indiquent
que tout rêve chez l'homme est accompagne d'une
érection. Le programme non-rêve est dirige
spécifiquement contre le principe mâle. Il est avant
tout anti-sexuel et anti-mâle. Tout progrès ou
système de pensée doit avoir un terrain pour se
développer et surtout un programme végétal comme
cette main morte qui s'étend sur le peuple végétal. Le
terrain pour le programme non-rêve était bien
préparé à la fin du siècle dernier, prêt à recevoir des
graines qui reproduiraient avec le temps des fruits
hideux. Les première, deuxième et troisième guerres
mondiales étaient déjà inévitables avec la formule
fondamentale du nationalisme. Le développement
simultané du communisme servait de prétexte pour
établir davantage de mesures de contrôle tandis que
les communistes étaient obligés de prendre des
mesures semblables et de ser-vir ainsi le projet
capital. Examinons quelques jalons du projet
anti-rêve :
Les Lois d'Exclusion des Orientaux : L'équani-mité
des Chinois est due bien sûr à leur langue qui permet
des périodes de silence et de pensées non dirigées,
lesquelles sont intolérables aux non-rêveurs qui
doivent programmer toute pensée. J'ai déjà parlé de
la différence entre écriture sylla-bique et écriture
hiéroglyphique. (Si je vous montre une pancarte
portant le mot « ROSE », vous êtes obligé de vous
répéter le mot à vous-même. Si je vous montre une
pancarte hiéroglyphique, vous n'êtes pas obligé de
vous répéter le mot, et vous avez même la possibilité
du silence.) Sans conteste, des systèmes de contrôle
modèles comme celui des Mayas et celui des
Egyptiens étaient fondés sur une écriture
hiéroglyphique.
Pourtant,
ces
systèmes-là
supposaient l'analphabétisme des populations
contrôlées. L'alphabétisation universelle avec en
même temps un contrôle de la parole et de l'image
sont maintenant l'instrument de contrôle. Une
caractéristique essentielle de la machine de contrôle
occidentale est de rendre le langage aussi peu imagé
que possible, afin de séparer autant que possible les
mots des objets et des processus visibles.
L'Inspecteur de District bureau minable fin
d'après-midi ombre dans le regard calme et gris
comme un vieux rat sage tendit une page dactylographiée par-dessus le bureau. Les relations entre
êtres humains qui sexualisent une accessibilité
congruente fécondent de façon ambivalente des
perspectives d'orifices — c'est à mon sens poser la
question des configurations latentes et contributives
réciproquement privées de sens ou de vecteur par le
souvenir humain reconnaissable d'exaspérations
aussi approximatives, somnolence de société
désespérément caduque négation en supination par
tout consensus latent qu'on estime bien informé
investi de manière inhérente de techniques humaines
coutu-mières entrelaçant des remises en vigueur de
correspondances nécessaires interdérivant d'intériorisations complémentaires communiquées confluence de métaphores analogues réciproques à quoi
s'ajoutent
des
schémas
diagrammatiques
inflexiblement réussis reconnaissables par délit à des
juxtapositions pour diffamer ou transfigurer une
75
multiplicité de pulsions contradictoires inhérentes à
des engagements linguistiques fléau disproportionné
des expressions familières graveleuses que borde un
outrage grammairien bouillonnant par en dessous de
concordance nécessairement intériorisée dérivée
conséquemment de génitoires de faubourgs
méprisées ou infanti-lement dévastatrices qui
sexualisent des exaspérations en une multiplicité
diagrammatiquement
en
contrepoint
et
linguistiquement communiquée d'altérité qui
escalade les préparations délinquantes en une
privatisation simultanément banale, concentrés
d'hystérie non pertinente contribuant à des
perspectives mal informées de négation ambivalente
en
supination
par
opposition
entrelaçant
désespérément reconnaissables dérivée investi fléau
strident d'êtres humains analphabètes qui diffamerait
ou transfigurerait fécondant avec des potentialités
d'orifices des correspondances qu'on estime bien
informées, correspondances de consensus de société
sans parler des configurations structuralisées
complémentaires juxtaposant inflexiblement une
interdépendance
de
consensus
réciproques
nécessaires et précis dérivant par contingence d'une
concordance linguistique communiquée de telles
préparations analogiquement contractuelles et nécessairement infantiles prolifiquement accessibles à des
correspondances humaines ou des rapports entre une
concordance humaine intériorisée nécessairement
privée de sens ou de vecteur par des exaspérations
approximativement non pertinentes et confluentes
par dérivation latente et mal informée d'une
inaccessibilité contingente communiquant des
intériorisations de société dévastant nécessairement
des préparations infantiles fléau disproportionné
bouillonnant d'outrage, sans parler des juxtapositions
stridentes de contrepoids d'une interdépendance
investie par dérivation reconnaissable en société
réciproquement struc-turalisée mal informée
nécessairement conforme à une multiplicité
d'altérités perspectives simultanément banales
concentrés non pertinents d'orifices et d'interstices
graveleux rectilinéairement inaccessibles.
Ces perles ont été extraites d'un des périodiques
subventionnés de notoriété publique par la CIA. Si
vous voyez la fonction du mot comme une extension
de nos sens pour connaître et faire l'expérience des
choses à travers le regard de l'écrivain, on peut
appeler ce qui précède de la prose aveugle, Elle ne
voit rien et le lecteur non plus. Pas une seule image
dans cette bétonneuse de pâte de mots. Comme
exercice littéraire, je prends la traduction Penguin de
Rimbaud et sélectionne des images à placer par
juxtapositions congruentes dans cette prose
vampirique incolore qui, n'avant pas de couleur
propre, doit voler la couleur chez les lecteurs de
telles préparations contractuelle-ment accessibles et
linguistiquement structurées par les soirs bleus d'été,
j'irai dans les sentiers, rêveur, j'en sentirai la
fraîcheur à mes pieds privé de sens ou de vecteur par
des exaspérations coniluentes par dérivation au
cabaret-vert, cinq heures du soir, chope immense,
avec sa mousse que dorait un rayon de soleil arriéré
la perspective d'êtres humains analphabètes
diffamerait ou transfigurerait des orifices
potentiellement fécondants éternel veilleur, rame aux
cieux lumineux et de sa drague en feu laisse filer les
astres et précisément consensus réciproque latent si
des fléaux de société stridents conformes à l'abattis
des mangliers fouillés des hydres et des lames
dia-grammatiques en contrepoint... désespérément la
pauvreté des images... dans le bronze par consensus
méprisé ou dévasté de configurations contribuantes...
ainsi leurs frissons de volets qu'un peuple de
colombes, et l'éveil jaune et bleu sexua-lisant une
accessibilité contingente informé échouages hideux
au fond des golfes bruns où les serpents géants
dévorés des punaises choient des arbres tordus avec
de noirs parfums communiqué des remises en
vigueur d'orifices des faubourgs de génitoires
infantiles contradictions intériorisées tributaires du
flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants
des écumes de fleurs — diffamerait ou
transfigurerait des concentrés récents de privatisation
banale monté de brumes violettes, moi qui trouais le
ciel rougeoyant comme un mur en supination ambivalente contractuellement inaccessible flache noire et
froide où un enfant accroupi plein de tristesses,
lâche un bateau frêle comme un papillon de mai
entre des exaspérations confluentes privées de
dérivations linéaires communiquées par engagements réciproques a craché le sang hystérie
concomitamment non pertinente au pied de
murailles sombres où l'on bat les maigres chiens
vecteur intériorisé préparation mal informée il
pleut doucement sur la ville le clair de lune quand
le clocher sonnait douze concentrés d'alté-rité avec
amères perspectives d'orifices la route silencieuse
est blanche sous la lune vide une petite mare de
76
sang sale intériorisé infantile
dia-grammatiquement nécessaire cri perçant sur la
place obscure a craché le sang par confluence piquant comme le sel des larmes d'enfance
sexuali-sant une interdépendance dérivée par
contingence sur un canot immobile à l'eau couleur
de cendre infantile par concordance perspectives
mal informées vent du nord à travers les épaves
que périsse le pouvoir que s'évanouisse la justice
en supination ambivalente et fécondante humainement ils sont des frères : Noirs inconnus, si nous
allions ! bouillonnant par en dessous privatisation
nécessairement banale concentrés de soldats
blonds, des bruyères amaigries, déserts, prairie,
horizons sont à la toilette rouge de l'orage d'une
pulsation oppositionnelle de délinquance des colonnades sous la nuit bleue, des gares le vent, du
ciel, jetait des glaçons aux mares vecteur dérivé a
communiqué la question de la direction intériorisée à quatre heures du matin, l'été, le sommeil d
amour dure encore le vent s'aventure sous le Ht on
s'accorde à reconnaître qu'une telle concordance
humaine contractuellement accessible est a mon
sens poser la question puis ils auront affaire au
malin rat feu follet blême comme un coup de fusil,
après des vêpres configurations de congruen-ces
intériorisées.
Bleu presque de Sahara où mille diables bleus
dansent dans l'air en supination oppositionnelle a
dévasté d'inaccessibles chacals piaulant par les
déserts de thym préparations stridentes mal informées ont communiqué la question d'un consensus dévasté il pleut concordance intériorisée Aube
exaltée ainsi qu'un peuple de colombes, doucement sur la ville frissons de volets à quatre
heures du matin et l'éveil jaune et bleu concentrés
de sommeil d'amour sur des orifices l'été
accessibilité des maigres chiens fleurs de feu intériorisées.
Tout ce qu'ils arrivent à faire, vous pouvez mieux
y arriver. Prenez votre Larousse mélangez vos
propres concentrés de virus linguistique, faites
bouillir brûler et incinérer, bouillonner et mélanger bien noir et bien fort les amis, dans ces
parages vous ont fait du mal rendez par
confluence le complément : e.
Elite fristique par impact banal limitrophe imposture impuissance fléau effluve laitance de boue
titulaire caillot MN surcomprenant abrasive-ment
fricative incube interpositionnel inconsum-mé
lubrique investiture déchargé extériorisé informe
anastrophe épaissi mal informé palato-gramme
ME de l'anfractuosité épidémique escha-tologique
obscurant orbitèle désaffecté débardeur uxorieux
urubu anachronique prologiste consensuel jamais
plus bouillonnant par en dessous umlaut non
navigable inextricablement démesuré interstices
de société réciproquement ablatifs fléau informe
de contagoniste oppositionnel précatif qui va de
mal en pis coucou désobligé catoptique zillah
consensus dévasté de justicier justifiable kavass
jarreux libatoire antagonisme orifices aventureux
hypothécaire anachronique hystérie de vecteur son
cœur mal informé pâte irréfrangible désaffecté
échidné rencontre inéluctable obtumtescence
arachnoïde troglodyte fléau effluve non officiel
investiture désobligée rectilinéaire additif désadhésion par impact limitrophe
élite irréfrangible contagoniste anachronique troglodyte uxorieux sexualisant qui va de mal en pis
affinités surcomprenant inoccupation abrasive par
congruences désintériorisée nécessités mal informées
pâte
extrapolant
des
préhensions
diagram-matiques efférentes obtumescentes du
palato-gramme
préfiguré
eschatologue
uxorieusement désobligé investiture jamais plus
bouillonnant par en dessous effluve non navigable
vindicte impuissante hystérie irréfrangible
tellement additive désadhésion inéluctable
irréfrangible limitrophe incube bouillonnant
uxorieux
pâte
ablative
pala-togramme
oppositionnel par impact adhésion par effluve
inconsommé lubrique fléaux de mal en pis
contagoniste
orbitèle
umlaut
préfiguré
eschato-logiste éristique, voici le temps des assassins au
cache-cache tous les coups sont bons... de la prose
aveugle mais qui possède un sens et un but. Son
but est de protéger une thèse camouflée de l'embarrassante mise à l'épreuve des faits. Si je déclare
« l'Angleterre est une île », je suis en mesure de
fournir des preuves de ma déclaration si quelqu'un
la mettait en doute. Si on écrit un article
s'attaquant aux éditions Olympia Press comme
sexualisant une accessibilité congrue à son cœur
de pâte à papier féconde en perspectives d'orifices
au nom de l'intimité humaine, ils placent leur
thèse au-delà des faits puisque les mots employés
ne renvoyent à rien de vérifiable. Les mots
employés là ne renvoient à rien. Les mots utilisés
n'ont aucune référence. Les Lois d'Exclusion des
Orientaux ont bloqué un afllux dangereux et ont
préparé le terrain de conflits futurs. Le programme
démontre une telle série de conflits pour prouver
77
la nécessité d'une escalade continuelle des
mesures de contrôle. Les Lois sur les Impôts : Ces lois
profitent à ceux qui sont déjà riches. Plus vous
êtes riche, plus il vous est facile de réduire au
minimum vos impôts. En effet les riches ont fermé
la porte de la richesse extrême. Cela est nécessaire
pour assurer que personne n'acquière une richesse
qui puisse servir à mener une action subversive
contre les intérêts de l'argent et des monopoles. Il
n'y a pas de hiérarchie plus surveillée que celle de
la richesse extrême, et personne n'y accède sans
être consacré aux intérêts de l'argent. Les
Contrôles des passeports et de douane après la
première guerre mondiale : La formule essentielle
de laquelle dépend le projet de contrôle est la
communication unilatérale. Tout le monde doit
être forcé à recevoir des communications de la
machine de contrôle. Il est facile de voir que toute
mesure de contrôle élargit la portée de la communication obligatoire. Votre passeport ou votre visa
n'est pas tout à fait en ordre ? Vous avez perdu
votre fiche de contrôle de devises ? Combien de
fois allez-vous répéter compulsivement l'explication que vous avez préparée pour le cas où le
douanier commencerait à vous poser des questions
? Donc les mesures de contrôle créent des
interrogateurs fantômes qui envahissent et détruisent votre liberté intérieure.
Le jalon le plus important du projet non-rêve était
de loin la loi Harrison des narcotiques.
— La destruction totale vous paraît-elle une fin
souhaitable ?
— Je dirai que la seule alternative est probablement entre une destruction très rapide et totale des
institutions existantes et une guerre atomique qui
serait encore plus destructrice. Si le désordre
arrive à un certain point, les gens qui détiennent le
pouvoir ne pourront pas déclencher une guerre
nucléaire, ce qui est, je crois, leur très ferme et
évidente intention. En Amérique en tout cas, ils
78
ont absolument l'intention de déclencher une guerre
nucléaire. Une bombe sur New York résoudrait pas
mal de leurs problèmes. Rappelez-vous que la plus
grande partie de l'opposition à la machine est
concentrée^ dans les grandes villes. Je crois qu'ils
sont prêts à risquer une guerre nucléaire, pourtant
ils ne le pourront pas si la structure entière
s'écroule. De ces deux solutions, je préférerais
certainement la destruction totale du système actuel
de société, à une guerre nucléaire qui serait le
résultat inévitable de sa continuité.
Une nouvelle grenouille
_ La sexualité a-t-elle une grande importance
dans votre œuvre ?
— Oui.
— Faites-vous une différence entre l'érotisme, la
sexualité et la pornographie ?
— Tous ces mots sont chargés de significations cachées.
Le mot pornographie, par exemple, a une double
signification, il y a une implication défavorable à
l'intérieur du mot même. Etant donné la confusion de ces
mots, je ne peux pas les distinguer. La différence entre la
sexualité et l'érotisme, par exemple, est un autre cas du
ou/ou de la pensée occidentale : c'est ou l'amour ou la
sexualité... Je pense que ce à quoi nous avons ici affaire,
c'est surtout la confusion verbale impliquée par ces mots.
— Dans votre œuvre, l'érotisme est devenu une machine
géante qui se détruit elle-même. Votre érotisme
débouche-t-il sur quelque chose d'autre, a-t-il une autre
signification, ou est-il l'expression d'une destruction ?
— Je pourrais vous répondre par une autre question...
Nous ne savons pas assez pour dire ; nous ne savons pas
ce qu'est l'érotisme, nous ne savons pas ce qu'est la
sexualité, nous ne savons pas pourquoi elle procure du
plaisir, et la raison de notre ignorance est que c'est une
zone tellement chargée que personne ne peut la regarder
en face... L'idée d'une simple enquête scientifique jette les
gens dans des convulsions de puritanisme. Aucune
objectivité n'est possible. Je dirais que si nous
comprenions vraiment quelque chose à l'érotisme — ce
qu'est la sexualité, pour quelle raison elle est agréable
(c'est de toute évidence un phénomène électromagnétique,
Reich l'a mesuré) —, et à quoi elle va cela nous mènerait
peut-être à quelques reconnaissances fondamentales.
— Quels sont les écrivains « erotiques » ou «
pornographiques » qui vous paraissent importants ?
— Eh bien, encore une fois, je fais des objections au mot
érotique et au mot pornographique. Je parlerais
simplement d'écrivains qui ont abordé plus ou moins
explicitement ou franchement les questions sexuelles. Eh
bien, certainement Genet. Je reconnais l'importance de
Sade, mais je le trouve d'une lecture très ennuyeuse.
Certainement Joyce, Miller et D.H. Lawrence sont très
importants en tant que pionniers. Ils ont fait des ouvertures
considérables, de sorte qu'actuellement presque n'importe
quoi peut être publié.
— Il y a un parallèle évident entre votre œuvre et celle de
Jérôme Bosch. Personne ne songerait à dire que Jérôme
Bosch est pornographique. Les gens les plus prudes et les
plus « respectables » regardent les toiles de Bosch avec
une admiration inconsciente, alors que la lecture d'une
seule de vos pages les scandalise. D'où vient cette inconséquence du jugement ?
— Elle a de nombreuses sources. En premier lieu, la
personne respectable ne voit pas du tout ce qui se passe
chez Bosch. Elle ne se rend pas compte que ce sont
précisément les choses que
J'ai décrites dans Le Festin nu, elle ne le voit pas De plus,
c'est ancien. Ça, c'est très important. Les gens respectables
peuvent regarder des statues priapiques sans être émus
parce qu'elles sont dans les musées et qu'elles sont
anciennes. Henry Miller, je crois, a remarqué cela dans un
de ses articles. C'est un exemple supplémentaire de la
schizophrénie et de la déraison complète des processus de
pensée des gens soi-disant respectables. Quelque chose est
dans un musée, c'est célèbre et ancien, alors ça va. Il y a
aussi la différence entre la peinture et l'écriture, bien sûr.
_ Il y a dans votre œuvre un rite sexuel qui
aboutit souvent au sacrifice humain. La civilisation
a-t-elle supprimé ces rites à tendance sexuelle et ces
sacrifices ?
— Je pense qu'elle ne les a pas supprimés. Elle a
simplement supprimé les manifestations ouvertes de tels
rites. Les Aztèques, bien sûr, faisaient leurs sacrifices
humains d'une façon ouverte. Nous ne le faisons pas, mais
nous détruisons des races. Nous avons détruit les Indiens,
les terribles Boers ont détruit les Boshimans, les colons
australiens ont détruit les aborigènes australiens. La
81
destruction est plus étendue. Elle n'a plus de signification
rituelle, mais elle est plus destructrice en ce qui concerne,
les hommes qu'elle ne le serait avec de vrais sacrifices
humains. D'un autre coté, bien sûr, je ne suggère pas que
ces rites Plutôt répugnants et sots soient réinstitués. Plus
Personne ne les prendrait au sérieux : de la pous-sière des
dieux morts.
L' acte sexuel atteint souvent dans vos livres un
mouvement de fornication universelle à la-quelle tous les
êtres vivants, parfois même d'une planète, participent.
Quels sont l'importance et le sens de cette vision ?
— Je ne pourrais pas vous dire l'importance de cela. Il
s'agit simplement de la perception que le sexe est un
phénomène beaucoup plus étendu que nous le pensons
dans la connexion des matières vivantes et des matières
non vivantes.
— Carl, dans La Machine molle, est enfermé dans de la
gélatine. Son corps est pris dans une forme féminine qu'on
modèle sur lui et qui le transforme lentement. Cette
transformation peut-elle s'appliquer à l'homme
d'aujourd'hui ?
— Même au niveau scientifique, nous sommes très
proches de la possibilité de faire de nombreuses
altérations du corps humain. Il est maintenant possible de
remplacer certains organes, comme les pièces d'une vieille
voiture lorsqu'elle s'use. La prochaine étape, bien sûr, sera
la transplantation de cerveaux. Nous supposons que ce
que nous appelons l'ego, ou le moi, ou le toi, se trouve
quelque part dans le cerveau moyen, il ne se passera donc
pas longtemps avant que nous puissions transférer un moi
d'un corps à l'autre. Les hommes riches pourront acheter
de jeunes corps. Beaucoup de passages de mon œuvre,
purement imaginaires à l'époque, sont maintenant
possibles.
— L'orgasme est souvent lié à la mort dans les
nombreuses pendaisons que l'on rencontre dans votre
œuvre. Quel est le lien entre orgasme et mort ?
— C'est un problème bien obscur. Il me semble que la
plupart des gens ayant étudié les preuves pensent que
nous avons vécu d'autres vies. Le lien possible serait
qu'on meurt dans l'orgasme dans lequel on naît. On meurt
dans sa propre conception, pour ainsi dire ; ce serait la
continuité dont il s'agit. Freud a parlé de l'orgasme comme
de « la petite mort ». C'est un moment d'inconscience qui
dans certains cas se rapproche de quelques-unes des
manifestations de la mort. Bien sûr, l'orgasme peut avoir
lieu au moment de la mort comme dans la pendaison,
l'empoisonnement par cyanure et divers états convulsifs ;
c'est aussi une chose assez fréquente chez les cardiaques.
C'est pire que de monter six étages en courant. Et
beaucoup de femmes ont été très embarrassées de trouver
leur vieux en panne. Vous savez, « mort dans
l'appartement d'une telle... » Je ne citerai personne, mais
c'est un peu comme « tué alors qu'il nettoyait son fusil »...
— Dans La Machine molle, deux personnages sont
partagés dans le sens de la longueur et réunis pour
former deux êtres nouveaux. Quel est le symbolisme de
cette union ?
— Le corps humain est fait de deux moitiés. Les deux
moitiés ne sont pas semblables. Le côté droit et le côté
gauche ne se ressemblent pas, entre autres parce que la
plupart des gens emploient leur main droite. Le côté droit
du cerveau, si vous êtes droitier, est presque inutilisé. Il y
a une grande différence entre le côté droit et le côté
gauche de votre visage. Quelqu'un a fait récemment des
photos en prenant deux côtés droits d'un visage, puis deux
côtés gauches, et ils avaient l'air très différents. Vous
pouvez prendre deux personnes, les couper en deux
parties égales dans le sens de la longueur et mettre la
moitié d'une personne à une moitié de l'autre, vous créez
ainsi de nouveaux personnages. Il n'y a Pas de
symbolisme particulier, c'est simplement une possibilité
que j'imagine bientôt à la PORTEE DE la science médicale. Ils
finissent par avoir des mécaniciens très compétents, je
leur accorde
-- La pendaison est aussi une espèce d'alchimie
82
qui opère le transfert d'une pensée dans un autre corps
au moment de l'éjaculation. Qu'est-ce qUe cela
représente ?
— Il se peut que cela représente le transfert du moi
dans un autre corps au moment de l'éjaculation. J'ai
exploré plus particulièrement cette possibilité dans La
Machine molle. Mais elle est maintenant plutôt
dépassée, puisqu'on peut opérer ce transfert par des
moyens chirurgicaux. Ils prennent simplement le
cerveau : prélevez le cerveau de Hearst et foutez-le
dans un autre corps ; c'est ce qu'il a toujours voulu.
Tous ces vieux personnages qui refusent de mourir...
On pourrait considérer cela comme une tentative assez
primitive de transfert d'un moi d'un corps à un autre.
— Quelle est l'importance du sadisme dans votre
œuvre ?
— Il n'y a pas tellement de sadisme dans mon œuvre.
Bien que j'aie cette réputation, je ne pense pas que
j'insiste beaucoup sur la torture avec connotation
sexuelle. Ce n'est certainement pas une chose qui
m'intéresse personnellement. Battre les gens, être
battu, tout cela me semble terriblement ennuyeux et
désagréable.
— Les actes sexuels que vous décrivez paraissent être
soumis à une physique précise, une série de contacts
qui déclenchent des mécanismes. Parfois même, les
nerfs sont caressés à vif. Concevez-vous les relations
sexuelles de vos personnages comme des réflexes
purement mécaniques ?
— Le corps humain est de toute évidence une
machine très complexe, ce qui ne veut pourtant pas
dire que vous êtes votre corps. Car un corps ne se
déplace pas de lui-même ; il est fait de la même
matière que cette table, et nous ne nous attendons pas à
ce qu'elle se déplace d'elleMême c'est une machine très compliquée occu-pée par
un p
ilote d'ordinaire très incompétent, La stimulation
sexuelle peut être provoquée par l a manipulation
électrique directe des centres nerveux, de la même
façon que l'on manipule une machine, et c'est une
machine. Les aspects sexuels de la machine sont peu
connus, uniquement parce qu'il n'y a pas eu de
recherches, parce qu 'elles ne sont pas autorisées. C'est
un des aspects les plus importants de la
monopolisation des intérêts qui stimulent la sexualité
et la rendent difficile à obtenir. Par ces moyens, on
oblige les gens à y penser tout le temps. Le sexe les
préoccupe et les empêche de provoquer des troubles.
— La liaison sexe-couleur intervient à plusieurs
reprises et semble vous fasciner. Pourquoi ?
— Encore une fois, voyez-vous, ce que j'essaie de
faire, c'est sortir une certaine approximation des lois et
des faits concernant la sexualité — ce qu'elle est,
comment elle fonctionne. Sans aucun doute, il y a un
rapport entre le sexe et la couleur. Par exemple, des
photos sexuelles en couleur sont plus stimulantes que
des photos en noir et blanc. Elles sont d'ailleurs
accessibles à tous avec les nouveaux polaroïds en
couleur. J'imagine les gens prenant des photos
d'eux-mêmes sous toutes les coutures. Ce n'est pas
sans danger... J'ai vu des gens se rendre très malades
avec cela. Il s'agit d'un domaine que l'on connaît très
mal, un domaine épineux.
-- Les femmes sont peu nombreuses dans vos livres.
lorsqu'elles apparaissent, c'est Mary qui, dans la
mac hine molle, dévore le sexe de Johnny qu'elle vient
de pendre, ou c'est la ménagère amé-caine constipée
craignant que son mixer se fau-file sous ses ses jupes
en attendant que sa machine à laver ait fini son cycle.
Qu'éprouvez-vous
les femmes ?
— Je reprendrai les mots d'un grand misogyne; Mr.
Jones dans Victoire de Conrad : « Les femmes sont
une parfaite malédiction. » Je pense qu'elles ont été
une erreur fondamentale, et l'univers dualiste entier est
parti de cette erreur. Les femmes ont cessé d'être
indispensables à la reproduction, comme l'indique cet
article : « Un savant d'Oxford reproduit des grenouilles
à partir de cellules uniques », par Walter Sullivan
Oxford, Angleterre, 8 octobre (NYT). — Des
chercheurs de l'université d'Oxford pensent avoir
enlevé tout doute quant à la validité des expériences
par lesquelles des grenouilles ont été produites à partir
de cellules uniques extraites d'une autre grenouille.
Les expériences de ce domaine, connu comme la
reproduction végétative, portent sur un des problèmes
fondamentaux de la biologie, à savoir ce qui déclenche
et ce qui arrête le matériau génétique enfoui au fond de
chaque cellule du corps. Ces grenouilles ont été, selon
les chercheurs, produites à partir des cellules qui
recouvrent l'intestin. Voilà qui a démontré que même
des cellules hautement spécialisées comme celles-là
contiennent, au sein de leur noyau, l'information
nécessaire à la construction d'un individu entièrement
nouveau. Cette information reste normalement au
83
repos, mais elle a été activée dans les expériences
d'Oxford.
Discussion
Jusqu'à présent, certains savants ont considère que,
dans ce genre de cellules spécialisées, l'information
génétique non en rapport avec la fonction précise de la
cellule était effacée de manière permanente. Les
opposants aux expériences d'Oxford, entreprises
depuis plusieurs années, prétendent
les grenouilles élevées ici sont sorties de
cellules non spécialisées qui seraient parvenues à
s'infiltrer dans l'intestin.
LE DR John Gurden d'Oxford, responsable des
recbercbes a répondu toutefois qu'il est évident
maintenant que ce n'est pas le cas, car plus DE 30
% des cellules intestinales peuvent atteindre au
moins le stade du têtard.
Cela est incompatible, selon lui, avec 1 idée que
ces têtards ont grandi à partir de cellules non spécialisées, qu'on trouve très rarement. 1 ou 2 %
seulement des cellules donnent des grenouilles
pleinementr matures et fertiles mais, selon les
vues du D Gurden, c'est en raison d'un infime
endommagement du noyau de la cellule pendant
la manipulation.
Ces expériences ont créé ici une grande sensation
car elles impliquent qu'on puisse, en théorie sinon
en pratique, produire en masse des jumeaux
identiques doués de capacités ou d'une beauté
exceptionnelles.
Le Dr Gurden a fait de grands efforts pour se
dissocier d'une telle spéculation. Son but, a-t-il
déclaré, est de comprendre comment l'information génétique est contrôlée dans les cellules.
Alors que le noyau d'une cellule qui borde l'intestin humain contient toute l'information nécessaire
pour produire un jumeau identique, seule une
infime portion de cette information est active.
Cette information dit : « Tu es un revêtement
intestinal ; tu dois croître d'une certaine manière
et remplir
certaines fonctions chimiques. » e que
le Dr Gurden et ses collaborateurs ont fait, est de
prélever un noyau de ce type dans l'intes- tin d'un
un têtard et de l'implanter dans un œuf de
grenouille dont le propre noyau avait été détruit.
Une partie du matériau de l'œuf, le cytoplasme,
dit au noyau : "tu n'es plus un noyau de cellule
intestinale, tu es un noyau de cellule d'œuf ; au
travail ! » Le résultat est, si tout va bien une
nouvelle grenouille.
— Pour Antonin Artaud, la sexualité est ce
qui-sépare l'homme de la femme. Qu'en
pensez-vous >
— Je ne m'intéresse pas à leur rapprochement Je
ne vois pas la sexualité comme une barrière ; je
pense que l'orientation anti-sexuelle de notre
société est fondamentalement manipulée par les
intérêts féminins, car c'est dans l'intérêt des
femmes de réprimer la sexualité. C'est de cette
manière qu'elles retiennent un homme ou qu'elles
en attrapent un, et à partir de ce moment, ils ne
doivent plus faire autre chose. C'est l'intérêt du
sexe féminin, qui est anti-sexuel.
— Dans vos livres, les émotions entre les personnages qui s'unissent sexuellement n'existent
pas.
— Je ne dirais pas que l'émotion entre les gens
qui s'unissent sexuellement n'existe pas. Dans le
livre que j'écris maintenant, il y a énormément
d'émotion. Je pense que ce que nous appelons
l'amour est une supercherie perpétrée par le sexe
féminin, et que le but de toute relation sexuelle
entre hommes n'a rien à voir avec ce qu'on peut
appeler l'amour, mais qu'il s'agit plutôt de ce que
l'on pourrait appeler de la reconnaissance.
— Qui sont les agents lesbiennes au visage de
pénis greffé buvant du fluide spinal ?
— Oh, en réalité ce n'est qu'un peu de
science-fiction.
— Qu'est-ce qui cause la peur et l'angoisse qui
saisissent certaines personnes lorsque des auteur
, appelés par elles « pornographiques », sont ev
qués ?
_ La peur généralisée de la sexualité, bien sûr.
Une peur qui est soigneusement entretenue par leur
éducation et leur instruction, contrôlées à la base
par les femmes. Si elles n'avaient pas peur de la
sexualité; elles chercheraient à en savoir plus, et si
elles en savaient plus, ce serait une menace
considérable contre tous les intérêts.
_ Vous avez dit que la famille était l'un des
principaux obstacles à tout progrès réel de l'humanité. Pourquoi ?
_ En premier lieu, cela signifie que les enfants
84
sont élevés par des femmes. En second lieu, cela
signifie que la moindre connerie dont souffrent les
parents, toutes les névroses ou les désordres, sont
transférés sur-le-champ à l'enfant sans défense. Tout
le monde semble considérer que les parents ont le
droit d'infliger à leurs enfants toutes sortes d'idioties
pernicieuses desquelles ils souffrent eux-mêmes et
qui leur ont été transmises par leurs parents, de
sorte que la race humaine entière est estropiée dans
l'enfance. Et cela est fait par la famille. De plus, les
nations et les pays ne sont qu'une extension de la
famille, et s il y a une formule qui retient vraiment
le monde, c'est la formule des nations, des pays, qui,
comme je l'ai dit, n'est qu'un prolongement de la
famille biologique. Nous ne ferons aucun progrès
tant que cette unité ridicule ne sera pas abolie. Il y a
de nombreuses façons d'y remédier. La Plus
évidente serait que les enfants soient enle-vés a
leurs parents biologiques à la naissance, et qu'ils
soient élevés dans une crèche d'Etat. Cela a été
souvent proposé, mais là encore il faut voir le genre
d'écucation et d'environnement qu'on a dans les
crèches officielles.
Une autre solution, proposée par Mr. Brion Gysin,
est que les enfants devraient être payés aller à
l'école. Autrement dit, plus ils avan
85
ceraient dans l'éducation, plus ils toucheraient d'argent. Ils
commenceraient à briser, dès leur première jeunesse, l'état
de dépendance économique envers leurs parents, et
lorsqu'un garçon sortirait de l'université, il aurait assez
d'argent pour commencer sa carrière sans dépendre de ses
parents. La dépendance économique est vraisemblablement ce qui conserve les liens entre parents et
enfants. Cela doit être aboli.
— Il y a déjà eu quelques tentatives de suppression de la
famille, mais elles n'ont pas été très fructueuses. Pourquoi
ces échecs ?
— Ceux qui ont fait ces tentatives ne sont pas allés assez
loin. J'imagine que la Chine s'en est rapprochée plus que
tout autre pays, bien que je n'aie pas eu l'occasion de voir
ce qui se passe là-bas. La Russie a prétendu le faire et n'a
rien fait. La même vieille famille bourgeoise a l'air
d'exister en Russie comme dans le monde occidental. Bien
sûr, celles dont l'intérêt est la famille sont les femmes. Il
est évident que tout essai d'attaquer la famille les rend
folles de rage.
— Que faut-il pour remplacer la famille ?
— Rien. Rien. Je ne vois aucune nécessité à son
existence. Partez, par exemple, de l'insémination
artificielle, qui est maintenant tout à fait possible. Vous
choisissez les donneurs et les femmes ; lorsque les
femmes sont enceintes, on les garde dans un hôpital
jusqu'à la naissance de l'enfant — on leur interdit de se
promener partout, parce qu'il y a beaucoup de choses
qu'un enfant peut subir avant sa naissance. L'enfant devrait
naître dans le silence, c'est une autre chose très importante
; personne ne devrait parler, car les mots, en cet instant
extrêmement traumatisant, laissent une impression
permanente. Mr. L. Ron Hubbard, le fondateur de la
Scientologie, dit qu'il est absolument criminel de parler pendant toute période
d'inconscience, car les mots s'impriment dans
l'organisme et, lorsqu'ils sont restimulés et répétés
par la suite, la douleur est revécue, et c'est très
handicapant. Une fois que l'enfant est né, on le
transfère dans une crèche, ou dans quelque chose
d'analogue, pour qu'il soit élevé. C'est tout... Pas de
famille.
— Pensez-vous que nous arriverons, ou que nous sommes déjà
arrivés à la création d'êtres artificiels sans la fécondation
normale ? Cela vous paraît-il souhaitable ?
— Je pense que c'est tout à fait à la portée de la
technologie moderne, et cela me semble très
souhaitable, car ce serait vraiment l'abolition de la
famille. Mais la recherche dans ce domaine est
bloquée, bien sûr, par les intérêts, et surtout par ceux
du sexe féminin. Les enfants sont leur monopole.
Or, s'il était possible de produire des êtres artificiels,
nous pourrions les produire à un âge raisonnable, et
vous n'auriez plus toute cette petite enfance. Oui,
cela me paraît très désirable.
— Quelles sont les relations de la drogue et de l'homosexualité
?
— Aucune que je puisse voir. Je veux dire par là
que tout organisme, humain ou animal, est sujet aux
effets des drogues, et il ne semble pas y avoir de
rapports entre la drogue et l'homosexualité, ou
l'hétérosexualité.
— Quel est l'effet de la drogue sur les perceptions lors des
relations sexuelles ?
~~ Cela dépend de la drogue. Quelques drogues
hallucinogènes ont certaines propriétés aphrodisiaques, elles accroissent la conscience et peuvent
donc augmenter la conscience de l'expérience
sexuelle. Les opiacées, bien sûr, sont totalement
anti-sexuelles. L'idée que l'on trouve dans les
histoires idiotes de la presse, selon laquelle les
intoxiqués commettent des viols, est une erreur
absolue (ils sont incapables d'avoir une érection, ne
trouvent aucun intérêt à la sexualité et un intoxiqué
par l'héroïne ne s'intéresse pas plus à la sexualité
qu'à un vieux navet). La cocaïne et la benzédrine ont
quelques propriétés aphrodisiaques. Toutes les
drogues sédatives sont antisexuelles : l'alcool, les
barbituriques et les tranquillisants dépriment
l'impulsion sexuelle.
— A. J. est obligé d'appeler ses suisses pour se
libérer des femmes américaines en rut qui se précipitent sur lui. Quelle opinion avez-vous de la
femme américaine ?
— Je pense qu'elle est peut-être une des pires
expressions du sexe féminin parce qu'on lui a permis
d'aller plus loin que les autres. L'adoration des
femmes qu'il y avait jadis dans le Sud, et pendant les
luttes de frontières lorsqu'elles étaient peu
nombreuses, est encore fondamentale dans la vie
américaine. L'adoration de la femme dans le Sud et
la suprématie blanche constituent encore la politique
86
américaine. Les Sudistes ont perdu la guerre civile,
mais leur politique continue à déterminer
l'Amérique. C'est un pays matriarcal et partisan de la
suprématie blanche. Deux choses qui paraissent
d'ailleurs liées d'une façon bien définie.
— La théorie des orgones du docteur Wilhelm
Reich est évoquée à plusieurs reprises dans vos
livres. Quelle importance lui attachez-vous ?
— Je pense que c'est une découverte d'une
importance capitale, peut-être pas aussi importante
que le docteur Reich le pensait, mais elle mérite
certainement beaucoup de recherches. Le fait qu'elle
ait été si violemment réprimée par le
87
Service fédéral américain des drogues et de
l'hygiène alimentaire est, je crois, une indication de
son importance. Vous pouvez presque juger de
l'importance d'une découverte par l'effort que l'on
fait pour l'étouffer. La théorie des orgones de Reich,
de même que l'apomorphine pour le traitement de
l'intoxication, sont des exemples de découvertes
étouffées avec acharnement.
L'Académie 23
_ Pensez-vous que par la création d'un centre
de recherches sexuelles pratiques et théoriques, on
pourrait sonder les lois encore obscures de la
sexualité ?
_ Indiscutablement. Je crois qu'en très peu d'années, cela mènerait à des percées fondamentales,
car il n'y a jamais eu de vraies recherches. Il y
avait un projet à Saint-Louis, Missouri, où on a
fait des films en couleurs de personnes — entre
dix-huit et quatre-vingts ans — qui avaient des
relations sexuelles. Je présume que personne, à
moins d'être chercheur ou quelque chose du genre,
ne peut les voir. D'après ce que je sais, ils n'ont
pas découvert grand-chose.
— Y a-t-il, dans l'opposition encore très vive qui
existe vis-à-vis de l'érotisme, dans l'art comme
dans la vie, une manifestation du contrôle de la
conscience ?
~ Oh, incontestablement, c'est le point le plus
important du contrôle. Lorsqu'on perd le contrôle
de cela, on perd tout contrôle, et les gens au
pouvoir sont décidés à ne pas le perdre.
— Comment voyez-vous l'avenir des relations entre
l'homme et la femme ?
~~~ Dans La Machine molle, j'ai proposé que les
sexes soient séparés, que les enfants mâles soient
élevés par des hommes et que les enfants femelles
90
soient élevés par des femmes. Je pense que moins les
deux sexes sont en rapport, mieux ça vaut.
— Vous n'auriez donc plus besoin de femmes
aussitôt que cela se ferait automatiquement ?
— Non. C'est peut-être présupposer que vous
puissiez avoir des utérus en bouteille, ainsi nous
n'aurions plus besoin de ces femmes...
BULLETIN N° 18 DE L'INSTITUT ACADEMIQUE D'ETUDES SEXUELLES AVANCEES.
Le but de l'institut est d'examiner les manifestations
sexuelles avec les mêmes opérations objectives et
expérimentales que celles qui ont donné des résultats
marquants dans les sciences physiques. Nous ne
pouvons nous empêcher d'être impressionnés par
l'inefficacité de l'état de choses actuel, par la longue
période de faiblesse infantile pendant laquelle
l'enfant est exposé à toute une variété de maladies
physiques et psychiques, à toute influence malsaine
en présence. Notre but est précisément de créer des
enfants d'un âge raisonnable avec une certaine
immunité contre les influences malheureuses que
nous pouvons contrôler immédiatement. Dans
l'intervalle, tous les efforts doivent être faits pour
briser l'unité de la famille biologique. Il n'est pas
exagéré de dire que l'unité familiale, avec sa
production
malheureusement
prévisible
de
traumatisme enfantin, et les tensions tout à fait
superflues de la vie moderne superposées à ces
blessures également superflues, est un des facteurs
fondamentaux les plus dangereux de la vie moderne.
Combien de citoyens potentiellement doués et utiles
ne font rien d'autre durant leur vie que de protester
contre le conditionnement de leur enfance ? On a
souvent proposé que les enfants soient élevés par
l'Etat. Mais qu'est-ce que l'Etat sinon la simple
extension d'une tribu qui est à son tour l'extension de
la famille ? Transférer la garde des enfants de la
famille privée à la famille d'Etat n'a rien à voir avec
notre but. Cela signifierait que nos enfants en
ressortiraient avec une camisole de force de formules
verbales dogmatiques comme celle qui est
actuellement imposée par la famille biologique. Une
des suggestions les plus prometteuses pour la
liquidation à longue échéance du problème de la
famille a été proposée par Mr. Brion Gysin. Il
suggère que les enfants soient payés pour aller à
l'école, avec une augmentation graduelle en rapport
avec leur avance dans l'enseignement, afin qu'ils
obtiennent
progressivement
l'indépendance
économique de leur famille. La solution du problème
de la famille doit être considérée comme une
condition première de toute approche objective des
phénomènes et des manifestations sexuels. Notre travail a été handicapé par la puissance des monopoles
anti-sexuels car il pouvait mener à une
compréhension fondamentale des mécanismes en jeu
et à la libération concomitante des conditionnements
de l'enfance. Le médecin a demandé à ses patients de
porter des vêtements en plastique transparent, afin
d'observer si le rêve était ouvertement sexuel ou non.
On se demande jusqu'à quel point le contenu des
rêves pourrait être dicté par l'insertion à courts
intervalles de certains mots et de certaines images.
Puisque les résultats de cette expérience nous sont à
tous bien connus, il suffit de dire que de telles
expériences ont été réalisées en fonction de facteurs
fondamentaux et prévisibles... Je me réfère à des
expériences qui n'ont pas abouti comme nous
l'avions espéré. La science, la science pure. Dans
cette histoire vous apprenez à prendre les choses
comme elles viennent.
« Comment va le couple de la chambre à immersion
double n° 187 ? »
« Ne regardez pas, patron, c'est trop horrible. Ils
fondent l'un dans l'autre, et l'un mange les entrailles
de l'autre. »
« Selbstverstdndlich » dit aigrement le Herr Doktor.
« Et que bensiez fou qu'il arriferait, sdubide gochon
d'amérigain ? » A ce moment, une bagarre
regrettable éclate dans la chambre d'opération, les
réservoirs d'aliments, les bocaux, les aquariums sont
renversés, une monstrueuse créature larvaire barbote
par terre les savants glissent dessus et se filent de
grands coups de scalpel et de scie à os en hurlant. «
Eh bien, nous avons reçu des ordres, et j'ai fait le
travail avec ma femme et mes gosses sur le dos »
« Regardez quelle Dummheit ! » « Ça sent les
chiottes, docteur » « Sauvez-vous, les gars. Ils sont
actifs. » Vu pour la dernière fois nageant
désespérément dans des eaux d'égout sexuelles. Le
projet entier avait échoué. Qui est le patron ici ?
Voyez ce que je veux dire ?... De telles
connaissances dans de mauvaises mains pourraient
être très dangereuses !
91
— Nous avons parlé du pouvoir et de ses conséquences désastreuses ; nous arrivons maintenant aux
drogues. Sont-elles un élément du pouvoir ?
— Il me semble que les drogues sont un des
éléments du pouvoir par excellence. Le prétendu
problème de la drogue est un prétexte, qui devient de
plus en plus mince, pour étendre la puissance du
pouvoir policier sur des zones d'opposition réelle ou
potentielle. Dans les pays occidentaux, l'opposition
est concentrée entre dix-huit et vingtcinq ans. Faites
donc davantage de lois contre la drogue, faites de la
publicité aux histoires de drogue, et un bon
pourcentage de l'opposition est ainsi rendu criminel
par définition légale. Selon un article paru dans Life
(24 juillet 1967), les autorités estiment qu'environ 10
millions d'Américains ont essayé la marijuana au
moins une fois, et que le nombre de ses utilisateurs
augmente rapidement. Bien sûr, on ne peut pas
mettre 10 millions de gens en prison ; ce serait aller
trop loin à découvert. S'il y a une chose que les autorités occidentales ne veulent pas, c'est agir d'une
manière ouverte. Mais elles peuvent garder les
jeunes gens sous une continuelle menace de fouille
ou d'action policière, et détourner en même temps la
révolution dans les voies en cul-de-sac de
l'intoxication et de la criminalité. L'autorité
occidentale n'a jamais été plus menacée
qu'aujourd'hui, et d'après l'habitude de son espèce
parasitaire, elle réagit avec une rage hystérique.
L'autorité réactionnaire n'hésite pas à marquer au fer
comme criminelle toute personne qui favorise
publiquement la légalisation de la marijuana ou se
risque simplement à remarquer que l'héroïne et le
cannabis ne devraient pas avoir la même définition
légale, ni pharmaceutique. En voici un exemple :
Un médecin appelle Mick Jagger criminel pour
avoir encouragé la liberté de l'emploi des drogues.
Genève, 3 août (UPI). — Un médecin canadien, le
Docteur Paul Campbell, a traité de « criminels » les
gens qui ont plaidé en faveur du LSD. Le Docteur
Campbell s'est aussi fortement attaqué au chanteur
pop anglais Mick Jagger, du groupe des Rolling
Stones, qui aurait déclaré que les gens devraient être
libres de prendre des drogues s'ils le voulaient.
Le docteur canadien prenait la parole au cours d une
conférence sur l'emploi des drogues organisée par le groupe de réarmement moral qui a son
siège à Caux.
— Je crois qu'il faut établir la différence qui existe
entre les divers drogues et hallucinogènes.
Comment peut-on les répartir en tenant compte de
leurs e f f e t s physiologiques ?
— Voici une citation d'un exposé fait à la société
américaine de psychologie en 1961 : « Le mot
drogue provoque malheureusement un réflexe de
peur, de désapprobation et de puritanisme dans les
systèmes nerveux occidentaux. » Le mot drogue
n'est, bien sûr, qu'un terme générique désignant
n'importe quel agent chimique. L'alcool est une
drogue sédative dont l'action ressemble à celle des
barbituriques ; mais à cause d'associations purement
verbales, nous ne considérons pas l'alcool comme
une drogue, car c'est notre drogue nationale.
Le Département Américain des Narcotiques a classé
sous le nom de narcotiques des substances dont les
effets physiologiques sont opposés. La morphine est
en fait un antidote contre l'empoisonnement de
cocaïne. Le cannabis est une drogue hallucinogène
sans aucune affinité chimique ou physiologique
avec la cocaïne ou la morphine. Néanmoins
cocaïne, morphine et cannabis sont tous classés
sous le nom de drogues narcotiques. Sans aucun
doute, ce terme a une force émotive. Mais employé
d'une manière si générale, il n'a ni précision ni
signification utiles. Je voudrais pour commencer
distinguer clairement entre les sédatifs et les agents
hallucinogènes, entre les drogues qui produisent
une accoutumance et celles qui n'en produisent pas.
Qu'est-ce que l'accoutumance ? L'emploi de l'opium
et de ses dérivés mène à un état qui limite et décrit
l'accoutumance. L'intoxiqué par la morphine ou par
l'héroïne donne le modèle
le miroir de l'accoutumance. L'intoxiqué fonctionne a l'héroïne : sans elle, il est aussi désem-aré
qu'un poisson hors de l'eau. Cette situation de
dépendance totale n'existait pas avant le contact
avec l'héroïne et sa conséquence, l'accoutumance.
Après un mois environ d'injections ou de prises
journalières de la drogue, l'intoxiqué est accroché,
c'est-à-dire accoutumé pour la vie. Même s'il subit
une cure et n'utilise plus de drogue pendant des
années, il peut être intoxiqué à nouveau par une ou
deux piqûres... Comme l'alcoolique, il est
sensibilisé pour la vie à la drogue.
Les chercheurs ne savent toujours pas comment naît
l'accoutumance à l'héroïne. Le docteur Isbell de
Lexington (Kentucky), où la plupart des intoxiqués
américains subissent leur traitement, a suggéré que
la morphine agissait sur les récepteurs des cellules,
peut-être par une altération de la structure
92
moléculaire de certains groupes de cellules du
corps. Alors que l'action de la morphine n'est pas
entièrement connue, nous savons que l'alcool et les
barbituriques sont des sédatifs définis du cerveau
antérieur, et que des doses toujours plus grandes
sont exigées pour arriver à la sédation. En fait, on
peut dire que toutes les drogues sédatives agissent
par sédation, c'est-à-dire par la mise hors d'action
d'une fonction du système nerveux déterminant une
réduction de la conscience de l'environnement et
des procédés corporels. L'accoutumance ne
semblerait pas être une prérogative des sédatifs, et
peut-être les opiacées sont-elles les seules drogues
produisant une accoutmance vraie. Les symptômes
qui sui-vent la cessation de l'emploi des
barbituriques peuvent être considérés comme une
réaction mecanique à sune sédation massive du cerveau
anté-rieur plutôt que comme un besoin biologique
Qu'est-ce qu'un hallucinogène ? C'est une drogue
qui élargit la conscience, augmente la conscience de
l'environnement et des procédés corporels. Je
voudrais suggérer que l'expression drogue élargissant la conscience soit substituée à celle
d'hallucinogène, qui déjà est très difficile à prononcer. Les vraies hallucinations sont très rares et
aucune définition précise de l'hallucination n'a été
formulée. Sous l'influence du LSD, de la mescaline
et du cannabis, le sujet a une conscience aiguë des
couleurs, des sons, des odeurs, et on pourrait dire
que l'effet de la drogue réside en ce phénomène
d'augmentation de la conscience, qui peut être
agréable ou désagréable suivant le contenu de la
conscience. Couleurs et sons prennent une intense
signification et on garde une grande partie de cette
sensibilité après que les effets de la drogue sont
passés. J'ai fait l'expérience de découvrir un tableau
pour la première fois sous l'influence de la
mescaline, et je me suis rendu compte plus tard que
j'étais capable de revoir le tableau sans utiliser la
drogue. La même compréhension de la musique, de
la beauté d'un objet, ordinairement ignorée, persiste
de sorte qu'une exposition à une drogue puissante
élargissant la conscience produit souvent une
augmentation permanente de la portée de
l'expérience. La mescaline transporte l'utilisateur
dans des régions psychiques inexplorées, d'où il
peut souvent revenir sans guide chimique. Je
décrirai une expérience simple qui différenciera
avec plus de précision les drogues sédatives des
drogues élargissant la conscience. A ma
connaissance, cette expérience n'a pas été réalisée
dans les détails. Voici l'expérience que je propose :
administrez une drogue élargissant la conscience en
même temps qu'une série pré-cise de stimuli — de
la musique, des tableaux, des odeurs, des goûts... le
tout ordonné et enregistré pour que cette série de stimuli puissent être
reproduits exactement.
Quelques jours plus tard, lorsque les effets de la
drogue se sont totalement dissipés, exposez le sujet
aux mêmes stimuli, dans le même ordre. Jusqu'à
quel point l'expérience hallucinogène est-elle
réactivée ?
Toute personne qui a fait usage de drogues élargissant la conscience sait qu'un stimulus quelconque, expérimenté sous l'influence de la drogue,
réactive cette expérience. Il y a tout lieu de croire
que l'expérience de la drogue peut être répétée en
détail avec la répétition précise des stimuli associés.
Répétez la même expérience avec un morphinomane
; administrez une dose de morphine en même temps
que les stimuli ; attendez que les symptômes de
désintoxication se produisent. Maintenant répétez
les stimuli. Est-ce que le sujet ressent un
soulagement quelconque des symptômes ? Au
contraire, les stimuli associés réactivent et
intensifient le besoin de drogue. La même chose,
bien sûr, est vraie pour l'alcool. Les stimuli associés
à la consommation de l'alcool en réactivent le
besoin et conduisent à la rechute. L emploi des
drogues sédatives mène à une dépendance
augmentée de la drogue utilisée. L'emploi des
drogues élargissant la conscience pourrait montrer
la voie des aspects utiles des expériences
hallucinogènes sans l'emploi d'un agent chimique,
tout ce qui peut être fait par des moyens chimiques
peut l'être autrement, avec une connaissance
suffisante des mécanismes en question. Récemment, un dentiste de Cambridge a extrait des dents
sans autre anesthésie que de la musique reproduite
dans
un
casque
d'écoute.
L'expérience
d'élargissement de la conscience peut être
93
pro-voquée par le clignotement, c'est-à-dire par projection rythmée de lumière sur la rétine à une
vitesse variant entre 10 et 25 éclairs par seconde
Je cite Gray Walters, The Living Brain : « La
série rythmique d'éclairs paraît briser quelquesunes des barrières physiologiques entre les diverses régions du cerveau. Cela signifie que le stimulus de clignotement reçu par la région de projection visuelle du cortex brise ces limites ____
rides jaillissant sur d'autres régions. » Or, c'est
précisément ce jaillissement sur des régions du
cerveau — l'audition des couleurs, la vision des
sons et même des odeurs — qui est une
caractéristique particulière des drogues
élargissant la conscience. Avec le clignotement,
Gray Walters a produit un grand nombre des
phénomènes associés aux drogues élargissant la
conscience : « Les sujets ont rendu compte de
lumières ressemblant à des comètes, de couleurs
ultra-extraterrestres, de couleurs mentales, et non
de couleurs visuelles opaques. » La littérature de
la mescaline et du LSD est remplie de
descriptions regrettablement vagues d'expériences
visionnaires de ce genre. Des expériences
supplémentaires avec des doses infinitésimales de
mescaline, accompagnées de clignotements
administrés en dose massive, et répétés par la
suite, pourraient bien mener à une méthode non
chimique d'élargissement de la conscience et
d'augmentation de la sensibilité. Il y a de
nombreuses drogues élargissant la conscience.
Chacune possède ses propriétés distinctes,
et les savants commencent à peine à explorer la
chimie de ces drogues. J'ai fait personnellement
des expériences avec la mescaline, le LSD, la
bannisteria caapi, le kawa kawa, la
diméthyltriptamine et plusieurs autres drogues
sous la forme de préparations d'herbes dont les
propriétés m'étaient inconnues. Chacune de ces
drogues a ouvert des régions psychiques différentes. Certaines d'entre elles sont agréables,
d'autres ne le sont pas. Une surdose de drogue
élargissant la conscience pourrait être un
cauche-mar en raison de la conscience accrue des
symp-tômes désagréables ou dangereux. Je
voudrais mentionner une drogue qui n'est ni un
stimulant du cerveau antérieur comme la cocaïne,
ni un sédatif comme la morphine et les
barbituriques, ni un tranquillisant, ni un excitant,
ni un hallucinogène... une drogue qui agit comme
un agent utile et stabilisant lorsque vous usez de
drogues élargissant la conscience.
Cette drogue est l'apomorphine. Je cite Anxiety
and its Treatment, par le docteur John Dent de
Londres : « L'apomorphine est fabriquée avec de
la morphine portée à ébullition avec de l'acide
chlorhydrique, mais son effet physiologique est
tout à fait différent. L'apomorphine agit sur
l'hypothalamus, normalise le métabolisme et régularise le sérum sanguin. » Administrée en
même temps qu'une drogue élargissant la
conscience, l'apomorphine stabilise l'expérience
et réduit l'angoisse. J'ai observé chez d'autres
personnes, et j'ai expérimenté moi-même, un
soulagement dramatique de l'angoisse conséquente à l'emploi des drogues élargissant la conscience après une dose d'apomorphine. Cette
drogue n'a aucune fonction sédative et ne produit
pas d'accoutumance. Aucun cas d'accoutumance à
l'apomorphine n'a jamais été enregistré ;
néanmoins, à cause d'associations purement verbales, cette drogue a été placée sous la loi
Harri-son des narcotiques, et elle est rarement
prescrite dans ce pays. L'apomorphine est une
drogue unique, en ce qu'elle agit comme un
régulateur du métabolisme qui stabilise mais ne
stérilise pas l' expérience de l'élargissement de la
conscience, En conclusion, les drogues sédatives
diminuent conscience, et exigent généralement
une aug-mentation de dose pour maintenir cet état
conscience diminué. Les drogues élargissant la conscience augmentent la sensibilité, et cet état
peut être une acquisition permanente. Il est malheureux
que le cannabis, qui est certainement une des drogues
hallucinogènes les plus sûres, soit sujet aux sanctions
légales les plus lourdes. Sans aucun doute, cette drogue
est très utile à l'artiste car elle active des chaînes
d'associations qui seraient autrement inaccessibles. Je
dois beaucoup de scènes du Festin nu directement à
l'emploi du cannabis. Quant aux opiacées, qui
réduisent la conscience de l'environnement et des
processus corporels, elles ne peuvent être qu'un
obstacle pour l'artiste. Le cannabis sert de guide des
régions psychiques qui peuvent être ensuite retrouvées
sans lui. Moi-même, actuellement, j'ai cessé
d'employer le cannabis depuis quelques années, et je
94
suis capable d'obtenir les mêmes résultats par des
moyens non chimiques : clignotement et musique dans
des écouteurs, par découpage et pliage de mes textes,
et surtout par l'entraînement à penser par blocs
d'associations plutôt que par mots. La prise du
cannabis, comme celle de tous les hallucinogènes, peut
être arrêtée lorsque l'artiste est familiarisé avec les
régions ouvertes par la drogue. Le cannabis, s'il est pris
en grande dose, crée parfois de l'angoisse, mais celle-ci
peut être rapidement soulagée par l'apomorphine. Il me
semble que le cannabis et les autres hallucinogènes
donnent une clef des processus créateurs, et qu'une
étude systématique de ces drogues ouvrirait la voie à
une méthode non chimique de l'élargissement de la
conscience.
— Les hallucinogènes ne sont-ils pas, pour les pays
alcooliques de l'Occident, un danger pour leur système
plus qu'une menace physique, comme on voudrait le
faire croire ?
— L'opposition officielle aux drogues, comme je
l ' a i dit, est ambiguë. Elle condamne les drogues comme un danger pour
l'autorité, mais les drogues sont-elles un réel danger pour l'Etat ? Un drogué
5
st-jl dangereux ? Oisif, peut-être, mais l'Etat n'a pas besoin de travailleurs ;
au contraire. Le dro-gué est-il un fauteur d'émeutes ? Je crois que l'opposition officielle aux drogues est une feinte, que toute la politique du
Département Américain des Narcotiques, ainsi que celle des pays qui la
suivent (comme l'Angleterre qui suit servilement le mauvais exemple de
l'Amérique, comme le ferait une république à bananes), est expressément
conçue pour répandre l'emploi de la drogue, et pour créer simultanément des
lois inavisées contre son emploi.
Ainsi, la jeunesse est conduite délibérément dans des voies en cul-de-sac et
à partir de ce moment, elle est déclarée criminelle par les lois du Congrès
ou du Parlement. Ce jeu d'échecs élémentaire met dans un camp de
concentration de criminalité l'opposition potentielle, affaiblie par les effets de
drogues meurtrières comme la méthédrine (il n'y a absolument aucune excuse
à la fabrication d'une variation quelconque de la formule de la benzé-drine),
bercée dans des états malsains d'amour et d'unité avec le tout et d'acceptation
de n'importe quoi par le LSD, prise dans l'engrenage de 1 héroïne, laquelle,
étant illégale, accapare tout le temps de l'intoxiqué et le rend absolument
inof-fensif En bref, les drogues sont pour l'Etat un excellent instrument de
contrôle et il se battra avec acharnement contre la légalisation, qui mettrait
en évidence cet état de fait.
La russir semble avoir une position plus réaliste. Elle ne s' oppose pas à
l'emploi du cannabis parce q u ' i l r e n d u n p a y s p l u s d i f f i c i l e à
industrialiser. L e s d a n g e r s p h y s i q u e s e t s o c i a u x d e
l ' e m p l o i d e s d r o g u e s o n t é t é confondus d'une façon désespé-
rante à cause des renseignements systématique ment
inexacts publiés par la presse... mensonges stupides et
sinistres. Elle prétend que les morphinomanes
meurent après quelques années. C'est absurde. Un
intoxiqué peut vivre jusqu'à 90 ans J'en ai connu un.
Leur santé générale est excellente. L'héroïne est plus
nocive que la morphine mais n'a pas de résultats fatals
immédiats, si le dosage reste raisonnable et si son
emploi n'est pas accompagné de l'emploi de cocaïne.
La presse prétend que le cannabis crée une accoutumance. Il ne crée aucune accoutumance, et aucun
effet néfaste de son emploi n'a jamais été établi. Dans
les pays où son emploi est généralisé, les gens le
fument toute leur vie sans aucun dommage physique
qui puisse être démontré, excepté ceux qui résultent
du tabac auquel il est mélangé. Cependant la cocaïne,
la méthédrine et toutes les variations de la formule de
la benzédrine sont nuisibles pour la santé, elles sont
même plus nuisibles que l'alcool.
Le problème de la drogue est camouflé et comme tous
les problèmes, il n'existerait pas si les choses avaient
été bien conçues dès le début. Prenons comme
problème type le problème de la drogue aux
Etats-Unis, où l'intoxiqué est par définition légale un
criminel et où la prolifération des lois d'Etats fait un
crime de la vente, de la possession ou de l'emploi
d'opiacées, de marijuana, de barbituriques, de
benzédrine, de LSD et de nouvelles drogues
constamment ajoutées à cette liste. Le tollé continuel
de la presse stimule l'intérêt et la curiosité — les gens
ont envie d'essayer ces drogues, de sorte qu'il y a
toujours plus de drogués, plus de tollés, plus de lois et
plus de jeunes gens dans les prisons, jusqu'à ce que les
sénateurs se demandent d'une voix plaintive : «
Voulons-nous vraiment mettre un bon pourcentage de
nos jeunes gens en prison ? »
Est-ce que cela est notre seule solution au Problème
des narcotiques ? >> LE Département Américain des
Narcotiques re-pond franchement oui. L'utilisateur de
drogues est un criminel et devrait être traité comme tel
: la prison est le meilleur traitement pour les
intoxi-qués. Les experts déclarent que les lois doivent
être le reflet de la désapprobation de la société envers
l'intoxiqué. La possession d'une cigarette de came dans
le Texas suffit à vous faire subir quinze ans de la
désapprobation de la société reflétée dans des yeux
95
religieux et respectables. Tout essai sérieux
d'appliquer réellement ce fatras de lois d'Etats et de
lois fédérales entraînerait une invasion de la vie privée
contrôlée par ordinateur, une terreur policière totale ;
la machine policière mettrait la population entière sur
l'orbite des malfaiteurs, police, emprisonnements,
tribunaux, liberté surveillée et probation, jugements. Il
suffirait de dire à la machine de mettre en vigueur
toutes les lois par n'importe quel moyen et la machine
nous amènerait au désastre d'un Etat policier contrôlé
par ordinateur. Le cannabis est certainement la drogue
hallucinogène généralement employée la moins
dangereuse ; un grand nombre de gens en Afrique et
dans les pays du Moyen-Orient le fument toute leur vie
sans effets nocifs apparents. Je n'ai pas d'opinion en ce
qui concerne sa légalisation en Occident. Si les
médecins anglais peuvent prescrire l'héroïne et la
cocaïne, ils devraient aussi être autorisés à prescrire le
cannabis. Les drogues hallucinogènes les plus fortes,
le LSD, la mescaline, la psylocy-bine, la
diméthyltriptamine, la bannisteria caapi, présentent
des dangers plus sérieux que ne veu-lent pas admettre
leurs défenseurs angéliques. Les états de panique se
produisent assez souvent et la mort a suivi la prise
d'une
"sûre"
de LSD.
Je me dose
rappelle,
lorsque
je voyageais dans le
Putumayo, être tombé, alors que j'étais alité à
Macoa à cause d'une fièvre, sur un jeune étudiant
californien si je me souviens bien, un jeune étudiant
sérieux qui croyait à la télépathie lisait du Lorca
avait envie d'expérimenter « la plante de l'âme », la
bannisteria caapi, que les Indiens appel, lent là-bas
« Yage ». Le brujo lui confectionna la même dose
qu'il prenait lui-même depuis quarante ans et la
donna au malheureux voyageur : un seul cri
épouvantable de souffrance hideuse et il s'enfuit
dans la jungle en courant. On l'a retrouvé dans une
petite clairière qu'il déblayait par ses convulsions.
Personne n'a porté plainte contre le brujo ; le mec
de la ville a eu ce qu'il cherchait. Ce vieux type
méchant et mielleux survécut pour m'empoisonner
moi-même quelques années après. Pourtant,
connaissant le destin de mon prédécesseur, je
m'étais pourvu de six capsules de nem-butal et de
vingt tablettes de codéine, une petite prévoyance à
laquelle je dois peut-être la vie. Malgré cela, je suis
resté paralysé dans un étau hermétique de douleur
et de peur devant la hutte du brujo durant plusieurs
heures. Une haute tolérance s'acquiert à l'usage et la
dose journalière que le brujo employait pour
stimuler son pouvoir pouvait facilement être fatale
pour un débutant.
Mis à part le facteur de tolérance, il y a une variation considérable de réaction d'un individu à l'autre,
une dose sûre pour l'un pouvant être dangereuse
pour un autre. L'emploi prolongé du LSD mène
dans certains cas à une bienveillance saugrenue et
malsaine — le vieux tripeur vous regarde en
souriant voit toutes vos pensées vous aime et vous
accepte intérieurement comme extérieurement.
Sans conteste, ces drogues peuvent être
dangereuses et peuvent mener à des états d'esprit
déplorables.
Pour améliorer l'emploi de ces drogues, je propose que des académies soient créées dans
les-quelles les jeunes gens apprendraient à partir
réellément... partir comme le maître zen lorsque sa
flèche touche la cible dans l'obscurité... partir
comme le maître de karaté lorsqu'il brise une brique
avec son poignet... partir... être en état
d'apesanteur... dans l'espace. Nous sommes dans
l'ère spatiale. C'est le moment de voir plus loin que
par le petit bout de la lorgnette de cette planète
détraquée radioactive pourrie par les flics. C'est le
moment de voir plus loin que ce corps animal.
Souvenez-vous que tout ce qui peut être obtenu
chimiquement peut l'être autrement. Vous n'avez
pas besoin de drogues pour partir mais les drogues
peuvent servir de raccourcis utiles à certains stades
de l'entraînement. Les étudiants recevraient un
cours fondamental de disciplines non chimiques,
yoga, karaté, isolation sensorielle prolongée,
lumière strobosco-pique, travail permanent de
magnétophones pour briser les lignes d'associations
verbales. Les techniques employées actuellement
pour contrôler la pensée pourraient être employées
pour la libérer. Avec des magnétophones branchés
sur ordinateurs et des microphones ultra-sensibles
adaptés au larynx, nous pourrions avoir un aperçu
de la nature de la parole humaine et faire du mot un
outil efficace plutôt qu'un instrument de contrôle
aux mains d'une presse mal informée et mauvaise
informatrice.
Les techniques verbales sont maintenant employées
pour obtenir des techniques d'ordinateurs Plus
efficaces en vue du contrôle et de la manipu- lation
des opinions, on appelle ça « la guerre de
Propagande ». La CIA ne donne pas de l'argent pour
rien. Elle donne de l'argent pour diriger l'opi-nion
dans certaines directions. Le contrôle d'opi-nion est
une opération technique qui s'étend sur de
nombreuses années. D'abord une partie de la
population — « préparation de section » — est
96
conditionnée à réagir aux mots plutôt qu'à leurs
références. Vous remarquerez dans les périodiques
subventionnés une prose curieuse et sans images. Si
je dis le mot « chaise » vous voyez une chaise. Si je
dis « la somnolence coexiste avec la suffisance en
soi ambivalente d'un totalitarisme inavoué », vous
ne voyez rien du tout. C'est du conditionnement
verbal pur pour que le lecteur réagisse aux mots.
Les « formations » ainsi conditionnées réagiront
alors aux mots d'une manière prévisible. La «
préparation » conditionnée est imperméable aux
faits.
Le but de l'entraînement de l'académie est précisément la libération de l'opinion, les étudiants étant
conditionnés à regarder les faits avant de formuler
un ensemble de mots. L'entraînement initial aux
méthodes non chimiques d'élargissement de la
conscience durerait au moins deux ans. Pendant
cette période l'étudiant devrait s'abstenir d'employer
toute drogue l'alcool y compris étant donné que la
santé physique est fondamentale pour la diminution
des perturbations mentales. Après l'entraînement de
base l'étudiant serait préparé à des voyages de
drogue afin d'atteindre les régions difficiles à
explorer par d'autres moyens au stade actuel de nos
connaissances. Le programme proposé est
essentiellement une désintoxication de la peur
intérieure et du contrôle intérieur, une libération de
la pensée et de l'énergie pour préparer une nouvelle
génération à l'aventure de l'espace. Si de telles
possibilités leur étaient ouvertes, je doute que les
jeunes gens auraient encore envie de drogues
destructrices. Souvenez-vous que sur cette terre où
Boot s est ouvert toute la nuit la came vous retient
dans une chair de camé, et vous ne pouvez voyager
dans l'espace avec un scaphandre de came. Le
problème de ceux qui sont intoxiques
meure. Les intoxiqués ont besoin d'un traitement
médical et non de prisons et de prières. J'ai sou-vent
parlé du traitement apomorphine comme de la
méthode la plus rapide et la plus efficace pour
soigner les intoxiqués. Des variations et des synthèses de l'apomorphine pourraient produire une
drogue miracle pour la désintoxication. La drogue
lomotil, qui produit une réduction importante du
besoin d'opiacées, sans créer elle-même d'accoutumance, pourrait être utile. Une cure sans douleur
en résulterait certainement après expérimentation.
Ce qui fait qu'une cure marche est que le
désintoxiqué découvre quelque chose de mieux à
faire et se rend compte qu'il n'aurait pas pu le faire
en état d'intoxication. Les académies du genre de
celles que j'ai décrites donneraient aux jeunes gens
quelque chose de mieux à faire et réduiraient le
problème de la drogue à l'insignifiance.
— Votre réponse semble indiquer que la législation
anti-drogue est plus dangereuse que la drogue.
Est-ce bien votre opinion ?
— Oui, certainement. Que se passerait-il si les lois
anti-drogues étaient appliquées à la lettre ? Que se
passerait-il si toutes les lois étaient vraiment
appliquées à la lettre ?
Mettez à exécution la loi dans ses moindres détails
:... Toutes les lois des E.U. :... Arrêtez tous les
contrevenants de toute loi écrite dans vos codes :...
Arrêtez tous les contrevenants sans respecter ni la
race, ni la couleur, ni la religion, ni la richesse ou le
position...
" La Police Chose nous a refaits. Magne-toi Joe ».
Harry Browers, 52 ans, était propriétaire et gérant
d'un hotel. C'était un bon homme d'affaires qui
gardait ses livres parfaitement en ordre. Par une
chaude Journée de juin à Saint-Louis un jour
comme tous les autres il prenait à la cafétéria
Waldorf son petit déjeuner bacon œufs toasts café
et il était sur le point de reprendre un café lorsque
trois flics du service de la comptabilité aux épaules
étroites aux yeux froids grisâtres et soufrés possédant de mauvaises dents s'assirent à sa table
Brad et Greg étaient de prudentes pédales à cheveux en brosse travaillant dans un bureau gouvernemental oh rien de secret à part l'éducation ils
avaient un appartement de bon goût à Georgetown
un peu comme à Hampstead vous savez ils vivaient
ensemble depuis quinze ans et leur liaison était
plutôt platonique maintenant, ils montraient tous
deux beaucoup de tact à propos des affaires de
l'autre lorsqu'ils prirent leurs vacances à Tanger rien
de local bien sûr ils l'avaient décidé depuis
longtemps pas de bar à tapettes ils avaient des jobs
à responsabilités se dirent-ils eh bien ce soir-là
après trois martinis et un ragoût de bœuf préparé
par Greg qui faisait la cuisine tandis que Brad
rangeait tout ils avaient un programme de rotation
bien entendu ils avaient beaucoup parlé de leurs
relations et avaient décidé de prendre les choses en
face et d'arranger leur vie commune jour après jour
97
ils l'appelaient « notre jour » selon un arrangement
préétabli afin d'éviter toute friction entre eux durant
l'année de travail pendant laquelle le sang-froid
diminuait à cause du bannissement local de leur
métier ce soir-là après le dîner alors que Brad n'en
avait même pas bu deux de trop il feuilletait une
nouvelle revue de culturisme... « Mais c'est moi ! »
« Mon Dieu c'est moi aussi, là ! » Ils se retirèrent
dans la privauté apparente de leur chambre à
coucher.
Jerry Wentworth était un chouette fumeur
H'herbe qui avait un job dans une agence de
publicité. Il possédait une chouette piaule insonorisée avec hi-fi et un mince mannequin pour sa
présence je ne risque pas ma peau pour le légaliser
je préfère avoir mon job et mon appartement. Eh
bien un soir au beau milieu d'Oignons Verts
« Bonsoir Harry. Je suis Joe. » L'agent montra sa
plaque. « Oui Harry nous travaillons pour ce
gouvernement de cinglés. Tu paies un autre café
Harry ? » L'agent montrait ses dents mortes et
grises « Voilà je suis Joe Rogers du Département
des Impôts et contributions et je suis ravi de faire
votre connaissance ça ne me gêne pas de vous dire
que quelques-uns des types les plus chics que je
connaisse sont des contrevenants... les meubles du
bar que vous avez vendus à l'inventaire quand vous
avez fermé après la guerre... la partie de poker chez
Marty's... vous jouez bien au poker n'est-ce pas
Harry ?... le jour aux courses... ça monte avec les
années. » L'agent jette un carnet de notes sur la
table et arrête de sourire. « Dans les trente années
passées, Harry, plus de dix mille dollars non
déclarés sont passés à côté de vos livres de compte
falsifiés. » Les agents passent froidement l'addition
de leurs cafés à Harry Bowers.
Des projecteurs les frappent d'un éclat argenté : «
Que faites-vous là devant des gens respectables ? »
La porte s'ouvre brusquement et six agents format
armoire à glace forcent l'entrée de sa chouette
piaule exhibant leurs plaques et leurs permis de
Perquisition. Un agent ramasse un joint. « T'es au
Irais pour vingt ans camé. »
La mise en application des lois existantes inspirait
les salons . Les Etats faisaient concurrence entre
eux et à Washington pour voter les lois les
98
plus sévères... noix de muscade... pissenlits... jardins
d'herbes interdites... narcotiques encore non classés...
peines rétroactives... surveillance permanente de ceux
qui ont été inculpés deux fois La surveillance est
effectuée par ordinateurs les types étant constamment
observés par télévision dans les endroits qu'on leur
permet de fréquenter. Une seconde hors de l'écran et la
machine délivre un mandat d'arrêt.
« Qu'aucun de vous n'ait l'idée de boire une bière ou
quoi que ce soit d'autre souvenez-vous que nous avons
des écrans dans chaque endroit où vous pouvez vouloir
aller si vous êtes corrects et honnêtes et rappelez-vous
que nous avons des écrans partout sur la route la plus
courte entre ces endroits-là. Alors apprenez votre
parcours et restez sur l'écran. »
Depuis que l'activité de la police était largement
dirigée contre les narcotiques, les tricheurs aux impôts,
l'obscénité et les atteintes à la morale et qu'aucun
citoyen sensé n'avait envie d'approcher un poste de
police, les crimes contre la personne et la propriété
progressaient dans une impunité presque totale, et
beaucoup de criminels vieux style se faisaient une
place dans les échelons de la collaboration jusqu'à
atteindre de hautes positions dans la police. Les
citoyens, écrasés par l'escalade des impôts, assaillis par
des détrousseurs, fouillés et interrogés par la police à
chaque coin de rue, retournaient à quatre pattes dans
leurs appartements dévalisés. Le programme spatial fut
oublié. La défense nationale fut négligée en faveur de
« la grande besogne américaine ».
« Qu'arriverait-il si ce pays était attaqué ? demanda le
sénateur Bradly. 90 % des jeunes gens entre 18 et 25
ans sont en prison et les 10 % qui restent sont flics. »
Il fut dénoncé par la presse comme « un cœur mou
avocat des pédés, des criminels et des droLa machine surchargée s'écroule. Les erreurs sont
maintenant endémiques. Le locataire innocent
frissonne en sachant que son sucre pourrait être de
l'héroïne à 100 %. Les citoyens qui se présentent pour
payer leurs contraventions de stationnement sont jetés
dans des cellules de condamnés à mort tandis que la
machine affolée crache au hasard des lois, des mandats
d'arrestation et des condamnations... Le nombre de prisonniers augmente dangereusement... 10 millions, 20
millions, 40 millions...
L'Amérique devient une coquille autour d'un noyau
explosif de prisonniers rancuniers. Le sénateur Bradly
se lève une dernière fois pour dire « Que Dieu nous
aide ! »
La Maladie Morale Américaine se répand dans les
autres pays. La peur de la police assombrit la terre. J'ai
écrit en 1959 : « L'infection consacrée au trafic dans
l'échange des narcotiques nous a démontré une Mary
Typhoïde qui répandra le problème des narcotiques
jusque dans le Royaume-Uni »... Nova express... Cette
même année le docteur John Dent a rencontré un
médecin du Département des Narcotiques américain.
Ce médecin lui a dit : « J'ai l'impression que vous
autres Anglais aurez notre problème des narcotiques
d'ici dix ans. »
Londres 1969. Partout des chiens traîtres reni-fleurs de
came entrainés maintenant à renifler le LSD, la cocaïne,
l'héroïne, l'opium et les pilules de toutes sortes. Les
chiens à l'aéroport qui renireniflent les touristes les
chiens à la banque qui jreniflent les chèques qui
fourrent la truffe dans le bas-ventre d'un vieil homme à
l'East India Club ouvrant les sacs à main avec leurs
dents à Fortnum's Fountain la police bloque une rue
avec ses cjiens et les les citoyens sont obligés d'ouvrir
leur
manteau pendant que le chien les flaire de la tête aux
pieds puis de retour dans leur appartement non chauffé
(coupures de courant très répandues vous savez) une
femme flic fouille dans la pharmacie et voudrait que le
locataire explique la présence de cette seringue rectale.
Un chimiste des services de la police dit carrément : «
je parle pour tous les gars du labo de médecine légale :
nous en avons marre des cendres, des ordures, des
corbeilles à papiers, des vêtements des rideaux, des
tapis, des sacs à poussières et de l'eau prise dans les
W.-C, déposés dans les laboratoires de médecine
légale. Nous avons maintenant des hangars entiers
bourrés de cette merde et il nous faudra des années
pour l'analyser. » Les chuchotements rancuniers
éclatent en révolte ouverte. Une foule enragée attaque
le ministère de l'Intérieur en criant : « MORT AUX
CHIENS TRAITRES ! »
A Hyde Park six chiens sont arrachés de la laisse d'une
femme flic, arrosés d'essence et brûlés devant une
foule immense qui applaudit. Les patrouilles de
destruction attaquent la machine américaine. En
99
Amérique du Sud et en Afrique des unités de
guérilleros encouragent les contrevenants de toutes les
nations à les rejoindre dans des armées de libération. «
Nous marcherons sur la machine policière et la
détruirons partout. Nous détruirons ses archives. Nous
détruirons l'organe de la machine policière qui se
cache sous le nom de presse conservatrice. Tout d'un
vieux film cédera au toucher.
— Les e f f e t s des drogues sont-ils pires que ceux de
l'alcool ?
— L'alcool tranquillise le cerveau antérieur, soulageant l'angoisse et le mécontentement, et constitue
certainement un facteur de la préservation du statu quo
des pays occidentaux. De toutes les drogues
généralement utilisées, l'alcool possède les pires
statistiques en ce qui concerne les dégâts physiques,
mentaux et moraux de l'individu et de la société.
Combien de crimes sont commis chaque jour par des
gens sous l'influence de l'alcool, des crimes
directement imputables à l'alcool, des crimes qui
n'auraient pas été commis si la personne avait été sobre
? Des bagarres d'alcooliques, des meurtres
d'alcooliques, des accidents d'alcooliques. Combien
d'actes déplorables, stupides et ennuyeux sont dus à
l'alcool ? Combien de gens sont avilis par son emploi ?
Combien d'argent et de temps dépensés à cause de
l'alcool ? Quelle inefficacité est causée par son emploi
ou les effets de son emploi ? Et combien de maladies
peuvent être attribuées directement à l'alcool ? La
cirrhose du foie, les maladies de reins, l'alcoolisme, la
psychose de Korsokov, les ulcères de l'estomac. Le fait
que l'on puisse s'opposer à l'usage du chanvre sans
s'opposer en même temps à l'usage de l'alcool dépasse
ma compréhension.
— L'intoxication est une prison. Est-ce que le fait
d'être dominé par la drogue peut être comparé à la
domination des images et des mythes créés par notre
civilisation ? Est-ce pire ?
~ Il est très dangereux d'utiliser le mot « intoxication »
sans précision, comme l'intoxication aux images, aux
mythes, etc., bien que cela puisse se produire.
L'intoxication est une chose qui produit un inconfort
physique et mental aigu lorsque LA DROGUE MANQUE.
Peut-être le parallèle le plus le plus proche est t'il ce
que j'appellerai l'intoxication de la droiture,
l'intoxication d'être dans la vérité. Un tel intoxiqué -et ils sont légion - subit un inconfort aigu si le fait
d'avoir raison lui est retiré. Sans cela il n'est rien, et il
ne peut pas
revenir à un métabolisme normal — c'est-à-dire au fait
de comprendre que le bien et le mal sont des concepts
relatifs qui n'ont de signification que par rapport à une
position et à un but. Je me rappelle un fasciste français
qui disait : « je ne comprends pas ces dégénérés de la
drogue comme William Burroughs ». (A cette
époque-là je n'employais pas de drogue.) « Moi, j'ai
une seule drogue, c'est l'indignation. » C'est la drogue
la pire de toutes.
— Comment êtes-vous venu à la drogue ?
— L'intoxication est une maladie contagieuse. J'étais
ami avec des intoxiqués et à partir du moment où la
morphine m'était disponible, j'en ai pris de temps en
temps et je suis devenu intoxiqué.
— Y a-t-il beaucoup de drogués réellement désintoxiqués par les cures habituelles ? En avez-vous fait ?
— Très peu d'intoxiqués sont guéris par les méthodes
conventionnelles car le besoin physiologique reste
comme la tête d'un ténia. Je les ai toutes essayées, les
cures de désintoxication lente, les cures de
désintoxication rapide, la cure de sommeil, la
cortisone, les antihistamines. Aucune n'a marché.
— Que représente la découverte de l'apomorphine
dans votre vie ?
— Le point de retour entre la vie et la mort. Je
n'aurais jamais été guéri sans elle. Le Festin nu n'aurait
jamais été écrit.
100
ANTI-CAME
L'intoxication est une maladie métabolique et n'est
pas plus un problème pour la police que la
tuberculose ou l'empoisonnement par le radium. Le
Département Américain des Narcotiques a insisté
pour considérer l'intoxication comme criminelle en
soi en appuyant plus sur la punition que sur le
traitement. On nous dit que les lois sur
l'intoxication doivent refléter la désapprobation de
la société vis-à-vis de l'intoxiqué, c'est-à-dire
causer la désapprobation de la société vis-à-vis de
l'intoxiqué. Récemment, lors de l'essai de création
d'un centre de traitement à Hoboken, les habitants
de la localité ont jeté des pierres sur le centre en
criant « Etes-vous défoncés ? » « Avez-vous
apporté votre seringue ? » « Nous n'accepterons
jamais d'hommes ni de femmes criminels à
Hoboken ! »
Lorsque j'étais au lycée dans les années 20, l'emploi
d'autres drogues que l'alcool était inconnu. Lorsque
je suis devenu intoxiqué par l'héroïne pour la
première fois vers 1940, les intoxiqués adolescents
étaient encore inconnus. Aujourd'hui la fréquence
ascendante de l'intoxication chez les adolescents a
conduit à une expansion des mesures de contrôle
qui a donné des résultats lamentables.
L intoxication est une maladie contagieuse. Les
mesures sévères du Département Américain des
Narcotiques, son insistance vociférante sur le fait
Que 1 intoxication est un problème policier et non
Pas médical, ont répandu l'infection chez les
Jeunes.
Entre 1920 et 1940 l'héroïne était beaucoup plus
facile à obtenir pour ceux qui étaient déjà intoxiqués qu'elle ne l'est maintenant. Les trafiquants
vendaient la came aux intoxiqués, et la plupart de
leurs affaires venaient de la classe moyenne
minable et furtive des arnaqueurs, des voleurs, des
maquereaux et des prostituées. C'était un monde
minable de la rue et des meublés bien éloigné des
lycées. A cette époque-là, il était très facile
d'entretenir une accoutumance à la morphine avec
des ordonnances médicales et beaucoup de vieux
escrocs itinérants employaient exclusivement cette
méthode. Lorsque le Département Américain des
Narcotiques, affolé par la loi de Parkinson,
commença un programme d'arrestations en série et
de peines démesurées pour la possession de
drogues, beaucoup de ces anciens intoxiqués et de
ces trafiquants furent retirés de la circulation...
Quelques-uns, dégoûtés, ont lâché la profession.
Même la Mafia décida qu'il y avait des moyens plus
sûrs et plus faciles de gagner de l'argent.
Par conséquent, toute une nouvelle génération de
trafiquants naquit. Cette nouvelle génération de
revendeurs dirigea ses efforts vers le marché des
jeunes. Ce développement était facile à prévoir pour
tout esprit lucide. Suis-je en train de dire que le
Département Américain des Narcotiques a
délibérément introduit l'intoxication chez les jeunes
? Savoir si quelqu'un agit délibérément ou non est à
peu près aussi intéressant que de savoir combien
d'anges peuvent danser sur la pointe d'une aiguille.
Vous le saurez par les conséquences d'un acte, et les
conséquences de ceux du Département Américain
des Narcotiques sont déplorables.
Cela nous mène à la possibilité de mettre en
quarantaine ou de contenir l'intoxication, ce qui est
le système anglais. En Angleterre un médecin peut
prescrire n'importe quel montant d'héroïne
Pour un patient intoxiqué, mais il ne le prescrira
pas avant d'être certain de l'intoxication du patient.
Puisque l'héroïne est légalement disponible pour
l'intoxiqué et qu'il peut l'acheter à son prix de
pharmacie, il n'a plus besoin de l'acheter au marché
noir — bien que l'on sache qu'un intoxiqué peut très
bien revendre une ou deux pilules de sa dose à
d'autres intoxiqués. Récemment des pressions
d'origine américaine ont essayé d'influencer
l'Angleterre et on parle de la possibilité de changer
le système actuel. Les médecins anglais sont contre
ce changement, puisqu'ils savent qu'il donnera aux
policiers le droit de leur dire ce qu'ils peuvent ou ne
peuvent pas prescrire. Ce droit a été conféré depuis
longtemps au Département Américain des
Narcotiques et un médecin peut perdre le droit
d'exercer s'il prescrit de la drogue à des intoxiqués.
101
Le prétexte de chercher des narcotiques donne aux
policiers le droit de fouiller toute personne et tout
logement à toute heure. Le Département exerce une
influence continue pour qu'un plus grand nombre de
lois antinarcotiques soient votées et pour que des
peines sévères soient infligées. La plupart des lois
votées sous cette influence sont vraiment très
dangereuses pour notre prétendue liberté. En
Louisiane et en Californie, c'est un crime sérieux
d'être intoxiqué. Punir un état d'être, en dehors d
actes illégaux prouvés, crée un précédent qui
pourrait s'étendre à d'autres catégories de « mal-a
faiteurs », y compris toute personne qui s'oppose
la politique officielle. Classer toute opposition
comme criminelle est bien sûr la méthode la plus
simple dont use un régime fasciste pour prendre LE
Pouvoir et créer une majorité. En décembre 1964, je
suis retourné aux Etats-Unis et j'ai été retenu trois
heures à la douane tandis que les agents des
narcotiques lisaient mes notes, mes lettres et mon
journal. Ne trouvant pas de narcotiques, ils m'ont
alors annoncé que j'étais sujet à une amende et à
l'emprisonnement pour ne pas m'être inscrit au
Département en quittant le pays, et pour ne pas
avoir informé le douanier de mon enregistrement
comme intoxiqué. La loi qui exige l'enregistrement
des intoxiqués ne s'applique qu'à ceux qui ont été
inculpés pour violation, fédérale, d'Etat ou civile, de
la loi sur la marijuana de 1937. J'ai été arrêté deux
fois aux Etats-Unis, une fois il y a dix-sept ans et
une autre fois il y a vingt ans. Je n'ai été inculpé ni
dans un cas ni dans l'autre. En tout cas, cette loi fait
un crime du fait d'avoir été intoxiqué. Et qu'offre le
centre de traitement de Lexington dans le Kentucky
? Une cure de réduction de dix jours à la
méthadone, qui produit une rechute presque totale à
la première occasion, comme les médecins de
Lexington l'avouent ouvertement. Le chef du
département des recherches de Lexington est le
docteur Isbell. Le docteur Dent, fondateur de la
Société Anglaise pour l'Etude des Intoxications, n'a jamais
pu l'intéresser au traitement d'apomorphine qu'il a
découvert et utilisé avec succès pendant quarante
ans. Je sais que le docteur Isbell a eu l'occasion de
parler à deux patients guéris par le docteur Dent, et
a dit au docteur Dent qu'il considérait le traitement
comme « trop dangereux ». Dangereux pour qui ?
Les expériences de Lexington semblent être orientées vers la détermination de la susceptibilité
d'intoxication d'un chien auquel on a enlevé le
cerveau ! Oui, même un chien sans cerveau peut
être intoxiqué. J'aurais pu vous le dire avant que
vous plantiez l'aiguille, toubib. Le traitement de
Lexington consiste maintenan en une détention de
six mois après la réduction initiale de dix jours par
drogues substituées. Les membres du Département
de la Santé Publique veulent maintenant rallonger
cette période,tendant qu'une détention involontaire
prolongée est nécessaire car l'intoxiqué n'a pas «
envie » d'être guéri. Il est évident que les intoxiqués
n'ont pas « envie » d'être guéris, puisque ce sont
précisément les centres de la « volonté » qui sont
accaparés par la drogue. Lorsqu'ils commencent à
perdre le besoin de morphine au cours du traitement
d'apomorphine, beaucoup d'entre eux ont « envie »
de continuer le traitement et de ne plus toucher aux
drogues. Le traitement par apomor-phine dure de
huit à dix jours. Après un tel traitement, l'intoxiqué
guéri constate qu'il est capable de résister à la
rechute. L'apomorphine active précisément les
centres de résistance. Si les agences officielles n'ont
pas réussi à résoudre le problème des narcotiques,
pour parler honnêtement, les agences non officielles
n'ont guère fait mieux. Des centres de traitement
dans lesquels les intoxiqués ne reçoivent pas
d'autres remèdes que la prière sont apparus
récemment. Cette approche inspirée et quasi
religieuse d'une maladie métabolique est mal
avisée. Il serait tout aussi logique de prescrire la
prière contre la malaria. Récemment à New York,
les médecins ont été autorisés à prescrire la
méthadone pour le traitement de l'intoxication par
l'héroïne. Les intoxiqués perdent l'envie de l'héroïne
au cours de ce traitement. Pendant une période de
cinq ans, us espèrent réduire la dose de méthadone.
La méthadone est une opiacée plus forte que la
mor-phine et tout aussi capable de créer une
accoutu-ance. Dire que des intoxiqués ont été guéris
de l'neroine par l'emploi de la méthadone est
comme dire qu'un alcoolique s'est guéri du whisky
par la consomation du gin. Si les intoxiqués perdent
leur envie d'héroine, c''est parce que la dose de
méthadone est plus forte que l'héroine diluée qu'ils
reçoivent des trafiquants.
102
Came est un terme générique pour toutes les
préparations et tous les dérivés de l'opium qui créent
une accoutumance, les produits synthétiques
compris. Il y a aussi des dérivés et des préparations
d'opium qui ne créent pas d'accoutumance. La
papavérine, qui se trouve dans l'opium cru, ne crée
pas d'accoutumance. L'apomorphine qui est un
dérivé de la morphine, n'en crée pas' non plus.
Néanmoins en Amérique ces substances sont toutes
deux placées comme narcotiques par la loi Harrison
des narcotiques. Toutes les sortes de came peuvent
créer l'accoutumance. Il n'y a guère de différence
lorsqu'elle est injectée, prisée ou avalée. Le résultat
est toujours le même : l'accoutumance.
L'intoxiqué fonctionne à la came ; comme un
plongeur dépend de son tuyau d'air, l'intoxiqué
dépend de son tuyau de came. Lorsque sa came est
retirée, il subit d'atroces symptômes de manque :
yeux larmoyants et brûlants, une légère fièvre, des
frissons chauds et froids, des crampes dans les
jambes et dans l'estomac, des coliques, de l'insomnie, de la prostration, et dans certains cas la
mort par arrêt du système circulatoire et trau-ma.
Les symptômes de manque se distinguent de tous
les autres syndromes de gravité comparable par le
fait qu'ils sont immédiatement supprimés par
l'administration d'une quantité suffisante d'opiacés.
Les symptômes de manque arrivent à leur apogée le
quatrième jour, puis disparaissent progressivement
pendant une période de trois à six semaines. Le
stade terminal de manque est marqué par une
profonde dépression. Le temps nécessaire pour créer
l'accoutumance varie en fonction de la sensibilité
individuelle et de la force d'accoutumance de la
drogue. Normalement, toute personne à 1laquelle on
injecte chaque jour la valeur d'un grain de
morphine
pendant un mois souffrira d'un inconfort considérable si les piqûres sont arrêtées. Quatre à six
mois d'emploi suffisent pour produire une accoutumance totale. En général, ceux qui peuvent
obtenir de la came deviennent intoxiqués. En Iran,
où l'opium était vendu ouvertement dans les
marchés, il y avait trois millions d'intoxiqués. Il n'y
a pas plus de personnes ayant tendance à devenir
intoxiquées que de personnes ayant tendance à avoir
la malaria, malgré toutes les conneries que raconte
la psychiatrie. (D'après moi neuf psychiatres sur dix
devraient devenir vétérinaires et leurs livres être
réduits en pâte à papier.) Pour le dire clairement, la
plupart des gens aiment bien la came. Ayant
expérimenté une fois ce plaisir, l'organisme humain
aura tendance à le répéter et à le répéter encore. La
maladie de l'intoxiqué est la came. Frappez à
n'importe quelle porte, et donnez à celui qui ouvre
deux grains de Médecine du Bon Dieu tous les jours
pendant six mois et vous aurez la prétendue « personnalité de l'intoxiqué »... un vieux camé qui vend
des timbres de Noël dans North Clark Street, le «
Prêtre » comme on l'appelait, minable et furtif aux
yeux froids de poisson qui semblaient regarder
quelque chose que les autres ne voyaient pas. Ce
qu'il regardait, c'était la came.
Toute la personnalité de l'intoxiqué peut être
résumée en une phrase : l'intoxiqué a besoin de
came. Il fera beaucoup pour en obtenir comme vous
feriez beaucoup pour obtenir de l'eau si vous aviez
suffisamment soif. Vous voyez, la came est une
personnalité — un homme gris et minable ne
pourrait être autre chose que la came un meublé une
rue pouilleuse une chambre sous les
toits ces marches toux le « Prêtre » se traînant
parla balustrade de la salle de bain les panneaux
de vois jauni les toilettes qui suintent le matériel
fourré sous l'évier revenu dans sa chambre il pré
pare maintenant sa piqûre ombre grise sur un mur
lointain c'était moi Monsieur. J'ai pris de la came
pendant presque quinze ans. Pendant cette période
j'ai fait dix cures. Je suis allé à Lexington : le jour
suivant ma sortie, vêtu de mon costume de banquier
et portant le Wall Street Journal j'achetai du
parégorique. « C'est ma femme elle euh... »
« Je comprend très bien Monsieur. Voulez-vous la
boîte familiale de 60 g ? » « Ma foi oui je crois. »
J'ai subi des cures rapides, des cures prolongées,
cortisone, tranquillisants, antihistamines et des cures
de sommeil prolongées. Dans tous les cas, j'ai eu
une rechute à la première occasion. Pourquoi les
intoxiqués font-ils volontairement une cure puis
rechutent ? Je pense qu'à un niveau biologique
11 grain = 0,064 gramme (NdT).
200
103
profond, la plupart des intoxiqués ont envie d'être
guéris. La came est la mort et votre corps le sait. Je
rechutais parce que je n'ai jamais été guéri
physiologiquement avant de subir le traitement
d'apomorphine. L'apomorphine est le seul agent que
je connaisse qui expulse la « personnalité de
l'intoxiqué », mon vieil ami Opium Jones. Nous
étions drôlement proches, à Tanger en 1957, nous
piquant chaque heure 15 grains de méthadone par
jour ce qui fait 30 grains de morphine et ça fait pas
mal de Médecine du Bon Dieu. Je ne changeais plus
de vêtements. Jones aime que ses vêtements
s'assaisonnent dans la chair rassise des meublés
jusqu'à ce que vous puissiez savoir par un chapeau
sur la table un manteau sur une chaise que Jones
habite là. Je ne prenais jamais de bain. Le Vieux
Jones n aime pas la sensation de l'eau sur sa peau. Je
passais des journées entières à regarder le bout de
ma chaussure et à communier avec Jones. Puis un
jour j'ai remarqué que Jones n'était pas un vrai 202
ami que nos intérêts en fait divergeaient. Alors j'ai
pris l'avion pour Londres et j'ai été trouver le
docteur Dent feux de charbon de bois dans la
cheminée fox terrier et tasse de thé. Il m'a décrit le
traitement et le lendemain j'entrais à la clinique.
C'était un immeuble de quatre étages dans
Cromwell Road chambre au troisième étage tapissée
de papier rose. J'avais une infirmière de jour et une
infirmière de nuit et je recevais une injection
d'apomorphine d'un vingtième de grain toutes les
deux heures jour et nuit. Le docteur Dent m'avait dit
que je pourrais avoir de la morphine si j'en avais
besoin mais que la quantité serait faible, un
douzième de ce que j'avais l'habitude d'employer,
avec une grande réduction le lendemain.
Or chaque intoxiqué a son symptôme spécial,
celui qui le frappe le plus durement lorsqu'on
lui coupe sa came. Pour moi c'est la sensation
lente et douloureuse de la mort de M. Jones.
Ecoutez les vieux gars de Lexington qui parlent
de leurs symptômes :
« Pour moi le pire c'est de dégueuler. »
« Moi je ne dégueule jamais. C'est la brûlure
glacée de la peau qui me fait grimper aux murs. »
« Mon problème c'est l'éternuement. »
« Moi je me sens enfermé dans le vieux cadavre
gris de M. Jones. Aucune autre personne de ce
monde que j'aie envie de voir. Aucune autre chose
dont j'aie envie à part ramener M. Jones à la
vie. »
Troisième jour tasse de thé à l'aube miracle calme d
apomorphine j'apprenais à vivre sans Jones, usant
les journaux écrivant des lettres, dans la plupart des
cas je ne peux pas écrire durant un mois entier et
j'écris une lettre le troisième jour et je prévois avec
plaisir une conversation avec
docteur Dent qui n'est pas du tout Jones.
L'apomorphine s'était occupée de mon symptôme
spécial. Sept jours après être entré à la clinique
j'ai eu ma dernière piqûre d'un huitième de grain
Trois jours plus tard j'ai quitté la clinique. Je
retournai à Tanger où la came était facile à obtenir à cette époque. Je n'eus pas à faire d'effort de
volonté, quoi que cela veuille dire. Simplement
je n'avais pas envie de came. Le traitement
d'apo-morphine m'avait donné un regard long et
calme sur tous les jours passés gris de came, un
regard long et calme sur Mr. Jones là dans son
complet noir minable et son chapeau à poils gris
chair rassise du meublé yeux froids sous-marins.
Je l'ai bouilli dans de l'acide chlorhydrique. Seul
moyen de le nettoyer vous comprenez des
couches et des couches de cette odeur grise de
came et de meublé.
L'apomorphine est faite avec de la morphine portée
à ébullition avec de l'acide chlorhydrique, et ses
effets physiologiques sont tout à fait différents. La
morphine tranquillise le cerveau antérieur.
L'apomorphine stimule le cerveau postérieur et les
centres vomitifs. Un douzième de grain
d'apomorphine injecté produit des vomissements
après quelques minutes, et pendant bien des années
le seul emploi que l'on ait fait de cette drogue était
en tant qu'émétique dans des cas d'empoisonnement.
Lorsque le docteur Dent a commencé à employer le
traitement d'apomorphine, il y a quarante ans, tous
ses patients étaient des alcooliques. Il mettait une
bouteille de whisky près du lit et invitait le patient à
boire tout ce qu'il voulait. Mais avec chaque verre le
patient recevait une injection d'apomorphine. Après
quelques jours il concevait un tel dégoût pour
l'alcool qu'il demandait qu'on enlève la bouteille de
la chambre. Au début le docteur Dent pensait que
104
cela était dû à une aversion conditionnée, puisque
l'alcool était associé à une dose d'apomorphine qui
produisait souvent des vomissements. Il a cependant
découvert nue quelques-uns de ses patients n'avaient
aucune nausée après la dose d'apomorphine. Mais
ils avaient le même dégoût de l'alcool et arrêtaient
de boire volontairement après quelques jours de
traitement. Il a donc pensé que ses patients avaient
un dégoût de l'alcool parce qu'ils n'en avaient plus
besoin et que l'apomorphine agissait sur le cerveau
antérieur et régularisait le métabolisme, de sorte que
le corps n'avait plus besoin d'un sédatif auquel il
était accoutumé. A partir de cet instant il insista sur
le fait que l'apomorphine est un régulateur du
métabolisme, et que c'est la seule drogue connue qui
régularise
un
métabolisme
bouleversé.
L'apomorphine n'est pas un traitement par aversion.
Si un programme était correctement présenté,
beaucoup d'intoxiqués se présenteraient volontiers
pour le traitement. Ceux qui sont volontaires pour le
traitement donnent le plus d'espoirs de succès et
donneront le plus de témoignages de ce succès. Si
on dit à l'intoxiqué qu'il aura de la came s'il en a
besoin, il est beaucoup plus disposé à subir un
traitement. Après un mois on peut laisser partir les
patients en leur donnant une ordonnance pour des
tablettes d'apomorphine à avaler en cas de rechute.
L'apomorphine ne crée absolument aucune
accoutumance et aucun cas de ce genre n'a jamais
été enregistré.
Comme un bon policier, l'apomorphine fait son
travail et s'en va. Le fait qu'il ne s'agit pas d'une
drogue substituée susceptible de produire une
accoutumance est crucial. Dans toute cure par
réduction, l'intoxiqué sait qu'il reçoit toujours des
narcotiques, et il appréhende le moment où la
dernière dose sera retirée. Dans le traitement d
apomorphine, l'intoxiqué sait qu'il se guérit sans
morphine.
Je pense que toute forme de prétendue psychothérapie est à déconseiller fortement pour les
intoxiqués. Les intoxiqués ne devraient pas être
amenés à se concentrer sur ou à revivre l'expérience
de l'intoxication car elle conduit à une rechute. La
question « Pourquoi avez-vous commencé à prendre
de la drogue ? » ne devrait jamais être posée. C'est
aussi hors de propos que de demander à un malade
de la malaria pourquoi il est allé dans une région
dans laquelle il y avait la malaria.
L'apomorphine s'est montrée utile dans le traitement
d'autres
accoutumances
et
d'intoxications
chroniques. Il y a des milliers d'intoxiqués par les
barbituriques aux Etats-Unis, et le traitement de
cette accoutumance est encore plus difficile et prend
encore plus de temps que le traitement de
l'accoutumance à l'héroïne. La suppression des
barbituriques doit être effectuée très lentement et
sous une surveillance constante, sans quoi
l'intoxiqué est sujet à des crises convulsives qui
peuvent causer de sérieux dommages. Les intoxiqués par les barbituriques traités par l'apomorphine
peuvent être immédiatement isolés des barbituriques
sans convulsions ou symptômes sérieux. Pendant la
cure, les intoxiqués par les barbituriques souffrent
de graves insomnies et quelques semaines peuvent
se passer avant que le cycle du sommeil soit rétabli.
Traités
par
l'apomorphine,
ils
dorment
normalement. D'autre part, les utilisateurs des
amphétamines tombent souvent dans un sommeil si
lourd à l'arrêt de la drogue qu'on ne parvient pas à
les réveiller pour manger. Traités à l'apomorphine,
ils dorment normalement et on peut les réveiller
facilement Cela nous ramène encore une fois à la
valeur unique de l'apomorphine en tant que drogue
normalisant le métabolisme, ce qui pourrait justifier
son emploi dans d'autres domaines que celui de
l'intoxication.
Le docteur Feldman en Suisse a remarqué que je
traitement d'apomorphine avait résolu des cas
d'excès de cholestérol dans le sang. Le docteur
Xavier Coor de Paris m'a dit récemment qu'il
trouvait que l'apomorphine était une drogue
extrêmement utile dans la pratique générale. Il
prescrit l'apomorphine pour l'angoisse, le chagrin, la
nervosité et l'insomnie — en bref, pour tous les états
dans lesquels on donne généralement des
tranquillisants et des barbituriques. C'est
certainement une drogue beaucoup plus sûre
puisqu'elle ne provoque pas de dangers
d'accoutumance ou de dépendance. Lorsque vous
prenez de l'apomorphine pour calmer un état
émotionnel grave, vous avez fait face au problème,
vous ne l'avez pas évité. L'apomorphine a normalisé
votre métabolisme, qui est toujours perturbé par
n'importe quel bouleversement émotionnel, et vous
pouvez faire face aux problèmes avec calme et bon
sens.
L'apomorphine est enregistrée comme un narcotique
aux Etats-Unis, où elle est sujette au même
règlement que la morphine et que l'héroïne en ce qui
concerne sa prescription et son emploi. En France et
en Angleterre, l'apomorphine n'est pas sur la liste
des drogues dangereuses. Une ordonnance est
exigée mais elle peut être utilisée aussi souvent que
vous le désirez. Il est difficile de ne pas conclure
qu'un effort délibéré a été fait aux Etats-Unis pour
égarer l'opinion médicale et pour minimiser la
valeur du traitement d'apomorphine.
Aucune variation de la formule de l'apomorphine n
a jamais été fabriquée et la formule n'a jamais été
synthétisée. Avec des synthèses et des variations
l'effet secondaire de vomissement pourrait
Probablement être éliminé, et il serait possible de
mettre au point des drogues produisant de dix à
cinquante fois l'action régulatrice de la préparation
existante. Ces drogues pourraient abolir de la
planète ce que nous appelons l'angoisse Etant donné
que l'angoisse est la base fondamentale de tout
système monopoliste et hiérarchique il n'est pas
surprenant que l'on s'oppose sans cesse dans
certains lieux malheureusement prévisibles au
traitement par l'apomorphine ou par ses synthèses.
— Comment avez-vous connu ce vaccin ?
— J'avais été recommandé par mon médecin de
Palm Beach à un médecin anglais qui à son tour m'a
recommandé le docteur Dent.
— Avez-vous subi plusieurs fois le traitement
d'apomorphine ?
— Oui. Le traitement ne garantit pas qu'une rechute
ne se produise pas. Il la rend moins probable. Une
rechute après un traitement conventionnel est
presque inévitable. L'apomorphine peut éviter une
rechute. Si un intoxiqué s'est fait plusieurs piqûres,
une administration rapide d'apomorphine peut éviter
une rechute complète.
— Comment se fait-il qu'un vaccin apparemment
aussi e f f i c a c e ne soit pas plus répandu ?
— L'Association Médicale Américaine et le Département Américain des Narcotiques se sont
constamment opposés à son emploi. Depuis que j'ai
écrit l'article précité, j'ai reçu beaucoup de lettres
d'intoxiqués
et
d'alcooliques
qui
avaient
désespérément besoin et envie d'aide. J'ai répondu à
ces lettres. Je cite quelques réponses :
« A ma demande mon médecin de famille a essayé
de trouver des renseignements supplémentaires sur
cette drogue et le traitement dans ce pays. Nous
n'avons malheureusement pas eu de succès. »
< Les recherches que j étais sur le point d'entreprendre au sujet des anciens patients du docteur
Dent n'ont pas pu être menées à bien pour diverses
raisons.»
L'Association Médicale Américaine semble
craindre cette drogue. »
Bref, des gens qui ont désespérément besoin de ce
traitement ne peuvent pas l'obtenir.
Vos e f f o r t s pour faire connaître l'apomorphine sont nombreux. Quelles ont été vos relations avec ceux qui seraient habilités à prescrire
ce vaccin dans les hôpitaux réservés à la désintoxication ?
— J'ai en effet reçu des lettres des agents de
probation et des médecins engagés dans le traitement et la réhabilitation des intoxiqués. Dans tous
les cas jusqu'à présent, les résultats ont été négatifs.
On a fait pression sur eux, quelques-uns ont même
perdu leur travail. Le docteur Isbell, qui est chef de
service à Lexington Narcotics Center pour le
gouvernement américain, dit que l'apomorphine est
« trop dangereuse ». Dangereuse pour qui,
exactement ? Dangereuse pour ceux qui veulent que
l'intoxication demeure un « problème insoluble ».
N'y a-t-il pas moyen de faire connaître l'apomorphine par la voie de la presse, toujours à l
a f f û t d'un scandale ?
~~ Non. La presse travaille avec le Département
Américain des Narcotiques pour faire de la publicité
et répandre le problème de la drogue. Ce n'est pas
dans leur intérêt d'arrêter cette source «articles et de
diffusion par le soutien de mesures qui freineraient
l'intoxication causée par es drogues et la réduiraient
à un problème sanitaire mineur. Que vend la presse
? Violence, sexe et drogue. Ces sujets assurent la
vente. C'est dire que les mesures efficaces pour
réduire la criminalité ou l'emploi des drogues ne
font pas de bons articles.
— Quels sont les avis des sociétés de recherche
pharmaceutiques à propos des mérites de l'apomorphine ?
— Les intérêts dictent aux chercheurs en pharmacie
quelles recherches ils doivent poursuivre et ces
intérêts donnent aussi des ordres au Département
106
Américain des Narcotiques. Des milliards pour les
variations de la formule de la benzédrine, pour des
tranquillisants de valeur douteuse, et pas dix
centimes pour une drogue dont les possibilités sont
illimitées, non seulement dans le traitement de
l'intoxication mais aussi dans le traitement de tout le
problème de l'angoisse.
— S'il était employé largement, le vaccin d'apomorphine serait une source de bénéfice considérable pour ces sociétés. Comment se fait-il qu'elles
ne s'y intéressent pas ?
— Ils n'ont aucun mal à vendre tous les produits
qu'ils fabriquent, de toute façon. Souvenez-vous que
l'intérêt des compagnies pharmaceutiques est la
maladie. Les drogues qui détruisent la racine même
de la maladie sont « dangereuses ».
— Est-ce pour des raisons d'intérêt financier que
le blocus existe autour de l'apomorphine ?
— Des intérêts financiers et des intérêts de pouvoir.
Comme je l'ai montré, les drogues sont une des
armes potentielles les plus efficaces contre la
révolte des groupes d'individus entre 18 et 25 ans.
— L'Etat participe-t-il aux bénéfices immenses
rapportés par la drogue ? Est-ce une des raisons du
silence qui entoure l'apomorphine ?
— Indirectement seulement. Le trafic de la
drogue donne du travail à des milliers d'agents et
sert de prétexte à des appropriations presque
illimitées.
Peut-on utiliser l'apomorphine pour soigner
d'autres personnes que les drogués ?
C'est sûr. Le docteur Xavier Coor, en France,
déclare qu'il a constaté que c'était une des drogues
les plus utiles dans la pratique générale, la
prescrivant pour l'insomnie, le chagrin, la nervosité,
l'angoisse générale — en bref, tous les états pour
lesquels on prescrit actuellement des tranquillisants.
L'apomorphine ne crée pas d'accoutumance ni
aucune sorte d'habitude. On ne s'en sert que quand
il faut. Elle fait son travail et se retire.
— La toxicomanie se développe-t-elle rapidement à
l'échelle mondiale ?
— La toxicomanie augmente certainement à travers
le monde occidental, c'est-à-dire dans les régions où
elle était anciennement limitée à un petit nombre de
cas. Par ailleurs, elle a été éliminée en Chine. Elle
est probablement stationnaire dans des pays comme
l'Inde et la Perse, où l'usage de l'opium a été
endémique pendant des centaines et peut-être des
milliers d'années.
— La mescaline est-elle nocive ?
—La mescaline peut être dangereuse; elle produit
des nausées et peut causer une anxiété aiguë et des
troubles mentaux.
~~ Considérez-vous que l'utilisation de certains
hallucinogènes puisse faire prendre conscience aux
niasses des problèmes fondamentaux ?
— Non. Dans les pays où le cannabis est légal ou
du moins est employé sans opposition des autorités, il n'y a aucune preuve d'une conscience
quelconque des problèmes fondamentaux. Que se
passerait-il si le cannabis était légal ? Rien
d'extraordinaire.
— Le fait d e fumer ou d e triper montre-t-il la
vérité et fait-il paraître dérisoires les préoccupations
humaines, la vanité et le comique d u pouvoir et de la
propriété ?
— Les drogues peuvent donner des aperçus des
réalités fondamentales et de la vanité des prétentions
humaines. Pourtant, ces intuitions ne sont pas
nécessairement permanentes, et dans beaucoup de cas
elles sont déformées.
— Dans Les Lettres du yage, vous racontez les
aventures qui vous ont conduit dans le Putumayo, en
haute Amazonie, à la recherche du yage. Cette
découverte a-t-elle été importante ?
— Le yage est un des hallucinogènes les plus
intéressants, et l'on a fait très peu de recherches à son
sujet.
— Avez-vous beaucoup écrit sous l'emprise de la
drogue ? Quels résultats avez-vous obtenus ? Ces
résultats peuvent-ils être rapprochés de ceux que vous
avez obtenus par cut-up ?
— Classer l'écriture produite sous l'influence de la
drogue dans une catégorie spéciale est absurde.
L'écriture est l'écriture, bonne, mauvaise, réussie ou
ratée. J'ai beaucoup écrit sous l'influence du cannabis ;
de nombreuses parties du Festin nu ont été écrites
ainsi. J'ai souvent entendu dire que ce qui est écrit sous
l'influence des drogues semble très valable à l'écrivain
au moment où » le fait, alors qu'à la lecture, lorsque les
effets de la drogue ont disparu, c'est un non-sens
prétentieux. La même chose est vraie de toute écriture.
J'ai souvent écrit sans drogue un passage que je
trouvais merveilleux ; en le relisant le lendemain, à la
poubelle ! D'un autre côté, certains passages écrits
sous l'influence du cannabis ont résisté à l'épreuve
d'une lecture critique. Certains ont résisté, d'autres
non. J'ai essayé d'écrire après avoir pris de la
mescaline, mais j'en ai été empêché par la nausée et
par le manque de coordination physique. D'un autre
côté, une fois les effets de la drogue disparus, j'étais
capable de décrire les régions psychiques qui
m'avaient été dévoilées par la drogue. L'amphétamine
et la cocaïne sont absolument sans valeur pour l'écriture et il n'en reste rien de valable. Je n'ai jamais pu
écrire une ligne sous l'influence de l'alcool. Sous
l'emprise de la morphine, on peut rédiger, taper à la
machine et organiser les matériaux d'une manière
efficace, mais comme cette drogue diminue la
conscience, le facteur de créativité est affaibli. Le
Camé est le seul de mes livres qui ait été écrit sous
l'influence des opiacées. Les autres livres n'auraient
jamais pu être écrits si à l'époque j'avais été intoxiqué
par la morphine.
— Que pensez-vous des textes essayant de décrire les
visions o f f e r t e s par la drogue ?
— La plupart d'entre eux sont bien ennuyeux. L
écrivain oublie qu'il est un écrivain ; il pense que sa
vision est intéressante par elle-même, ce qu'elle n'est
généralement pas.
L'utilisation du magnétophone peut-elle remplacer
efficacement la drogue pour briser les barrières de la
conscience et étendre le champ des perceptions ?
--- Oui. Des expériences comme1 celles que j'ai décrites
dans The Invisible Génération prouvent vraiment
des voyages et élargissent effectivement le champ de
la perception...
Voir Le
Ticket qui explosa (NdT).
Ainsi que je l'ai expliqué dans ce texte, une technique
permettant d'orienter directement les pensées et de
produire des événements à une grande échelle est à la
portée de quiconque possède un magnétophone portatif
ou dispose d'une voiture équipée d'appareils
enregistreurs. L'essentiel de cette technique est la
suggestion éveillée ainsi que l'a utilisée, le premier, le
docteur John Dent de Londres, qui introduisit
également l'utilisation de l'apomorphine dans le
traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie. La
suggestion éveillée, comme la pratiqua le docteur Dent
: on demande au patient de lire à voix haute des
passages d'un livre en concentrant dessus son attention
comme s'il avait à lire ce texte à une personne
imaginaire qui serait assise en face de lui. Le docteur
se tient debout derrière le patient et répète, à un degré
vocal équivalent, certaines suggestions convenues à
l'avance entre eux... (« Vous pourrez dormir. Vous ne
vous remettrez pas à boire. » Etc.) Le patient, qui lit à
haute voix et concentre son attention sur cette lecture,
n'entend pas consciemment ces suggestions. C'est la
raison pour laquelle elles entrent en prise directe avec
son inconscient ou son esprit réactif. I l ne s'agit pas là
de suggestion subliminale. Subliminal signifie
inférieur au seuil conscient de vision et d'écoute.
Même si le sujet concentrait toute son attention sur la
source du son ou des images subliminales, il ne
pourrait pas voir ni entendre quelque chose
consciemment. La suggestion éveillée consiste en des
sons ou des images qui ne sont pas enregistrés
consciemment, puisque l'attention du sujet est ailleurs.
Si cette attention était tendue vers la source, il pourrait
la voir ou l'écouter d'une façon immédiate. La
suggestion éveillée et non subliminale est la technique
utilisée pour repasser des bandes magnétiques
pré-enregistrées dans la rue, les coc tails, les bars, les
gares, les aéroports, les parcs, je métro, les meetings
politiques, les entractes, etc. Les gens n'entendent pas
consciemment ces suggestions enregistrées parce que
leur attention est fixée sur autre chose : ils traversent la
rue, vont prendre un train, tendent l'oreille à l'appel des
hôtesses, écoutent de la musique, regardent la
télévision, bavardent avec des amis. Le volume de la
diffusion est adapté sur celui des bruits de la rue, des
conversations, etc., et une bande de suggestion bien
montée aura enregistré des bruits de rue ou tout ce qui
concorde avec la situation de l'expérience.
108
Une bande suggestive est bien plus efficace si elle
comporte des ordres contradictoires. Par exemple «
rester ici aller là ; s'arrêter partir ; faire une chose
immédiatement la remettre à plus tard ; tourner à
droite tourner à gauche ; rester sortir ; ralentir accélérer
; permis interdit ; avoir raison avoir tort ; être présent
pour le présent, être absent pour le passé l'avenir ; se
dépêcher attendre etc. »
Ces ordres sont imposés constamment par l'environnement. Si la bande comporte par exemple les
phrases : « Regardez cette lampe en face de vous.
STOP... Restez ici Allez là-bas... », et qu'on la diffuse
derrière des personnes qui attendent à un feu rouge,
elles sont obligées d'obéir à la suggestion que vous
lancez- Plus encore, les ordres contradictoires au
niveau inconscient produisent un moment de
désorienta-tion pendant lequel vos suggestions font
effet. Les bandes qui contiennent des ordres contradictoires ont plus de force que celles qui n'en contiennent
pas. Les bandes insultantes entrecoupées de
commandements contradictoires sont particulièrement
efficaces.
On obtient des résultats en diffusant constamment des
bandes préparées avec soin. Tous les
trucs sur magnétophone sont utiles : chambres
d'échos pour les gares et les aéroports, superpositions, accélérations, décélérations, oscillations
etc. Obtenir des résultats est affaire de persévérance et d'expérimentation. Pour en obtenir à
large échelle, utilisez une voiture diffusant vos
bandes de suggestions sur des rengaines populaires et des bruits de rue. Certains effets ne
peuvent être obtenus qu'à pied. Lorsque l'enregistrement est chargé d'insultes, l'opérateur a
intérêt à quitter les lieux rapidement.
— Pour vous, la drogue est le problème médical le plus
important de notre époque, et vous dénoncez sans cesse son
horreur. « Tout ce qui peut être obtenu chimiquement peut
l'être autrement. »
— En ce qui concerne les méthodes non chimiques d'élargissement de la conscience, j'ai déjà
décrit quelques expériences de magnétophones.
Comme réponse additionnelle à cette question,
voici un article de Mr. Brion Gysin sur la
Machine à Rêver, et deux de mes articles, le
premier sur l'usage de l'écriture hiéroglyphique
intitulé Scribe Street, et le second intitulé Comment
devenir Humphrey Bogart.
La Machine à Rêver, mise au point par Brion
Gysin et Ian Sommerville, est un cylindre perforé
qui tourne rapidement autour d'une source
lumineuse en produisant un « clignotement »
stroboscopique sur les paupières fermées du
spectateur. Le « clignotement » a un rythme bien
établi qui produit un changement fondamental
dans les rythmes « alpha » ou rythmes d'enregistrement du cerveau comme l'ont montré les
recherches de l'électro-encéphalographie. Les
sujets rendent compte de lumières éblouissantes
d'un éclat et d'une couleur extraterrestres, qui se
développent en magnitude et en complexité de
formes aussi longtemps que dure la stimulation.
Lorsque le clignotement est synchronisé avec les
rythmes alpha du sujet il voit des régions
étendues de formes colorées qui se développent
dans le champ visuel complet, 360 degrés de
vision hallucinatoire dans laquelle apparaissent
des constellations d'images. Des constructions
géométriques élaborées d'une complexité
incroyable se forment à partir d'une mosaïque
multi-dimensionnelle à l'intérieur de boules de
feu vivantes comme les mandalas du mysticisme
oriental ou se résolvent momentanément en
images apparemment individuelles et en scènes
d'une grande puissance dramatique comme des
rêves de couleur vive.
Nos ancêtres ont vu des créatures dans la disposition apparemment inorganisée des astres. Il a
été démontré par des expériences de perception
de points blancs distribués au hasard sur un écran
que l'homme a tendance à trouver des formes et
des images où objectivement il n'y en a pas : son
processus mental forme ce qu'il voit. Les rythmes
alpha, 13 environ par seconde, sont notre vitesse
de perception qui peut varier d'un individu à
l'autre, selon l'âge et peut-être selon la culture. Ils
sont les plus élevés lorsque le cerveau est
inoccupé, à la recherche d'un modèle qui peut être
auditif, se déplaçant à la vitesse du son, ou visuel,
se déplaçant à la vitesse de la lumière. Les sons
rythmés, les films et la télévision imposent des
rythmes extérieurs au cerveau, alternant les ondes
du cerveau qui autrement auraient été pour le
moins aussi uniques que nos empreintes digitales.
Il est tout à fait possible que les enregistrements
109
électro-encéphalographiques d'une génération de
spectateurs de télévision soient semblables ou
même identiques.
Une société orale, se déplaçant à la basse vitesse
du son, pourrait fonctionner dans l'obscurité. Au
commencement était le Verbe et le Verbe s'est
fait chair dans l'obscurité, mais, avec l'invention
de l'écriture sous toute forme, la lumière fut
nécessaire pour voir l'image qui devint une autre
forme de prolifération dont la limite est la vitesse
de la lumière. La seule et unique chose qui ne
puisse être enlevée de l'image est la lumière —
tout le reste peut être entièrement transformé ou
peut disparaître.
Le changement est une fonction du nombre, et
aujourd'hui à l'âge électronique, notre seule constante intéressante est 300 000 km à la seconde, la
vitesse de la lumière, qui laisse loin derrière elle
la vitesse de l'électricité. Le mot va donc à sa
vitesse la plus lente, lorsqu'il est parlé, à 38 m/seconde ; à la vitesse du son à sa rapidité maximale
lorsqu'il est vu ou projeté comme une image à la
vitesse de la lumière. Mais nos rythmes alpha ou
rythmes de parcours du cerveau ; sont ; affaiblis
durant la pensée intensive, yeux ouverts, lors de
l'étude de dessins, et sont le plus lent pendant la
lecture qui est le déchiffrage d'une série de
dessins signifiants.
Le « clignotement » est une expérience - limite
provoquée par l'altération de la vitesse de la
lumière pour adapter l'étendue maximale de nos
rythmes alpha. Le « clignotement » crée une multiplicité éblouissante d'images dans des relations
changeant constamment, ce qui rend les assemblages et les collages du prétendu art « moderne »
retardés et stériles. L'histoire de l'art ne se crée
plus. L'histoire de l'art comme énumération
d'images individuelles a cessé avec l'introduction
directe de la lumière comme agent principal de la
création d'images qui sont devenues infiniment
variées, complexes et omniprésentes. La comète
est la Lumière.
110
SCRIBE STREET
Bulletins Fondamentaux de l'Académie formulés en
1899 :
« La coéducation n'est pas l'éducation. Il n'y a pas
d'académies de coéducation. » « Les étudiants ne
doivent jamais être réveillés par des sons bruyants et
discordants. La musique peut être employée pourvu
qu'elle ne soit pas trop forte ou alors un étudiant est
délégué pour réveiller les autres étudiants de sa section.
» « Un étudiant qui entreprend simultanément l'étude
d'une grande variété de sujets sans rapports les uns
avec les autres n'acquerra une connaissance utile
d'aucun. Il faut étudier un sujet à la fois jusqu'à ce qu'il
soit compris et maîtrisé à fond dans la théorie comme
dans la pratique. Aucun sujet ne peut être étudié avant
que l'étudiant ne possède les outils nécessaires et qu'il
ne sache s'en servir. Le premier outil dont l'étudiant
doit apprendre l'emploi est son propre corps. Dans le
cours de base on insiste sur les exercices physiques car
le contrôle du corps mène à celui de l'esprit. »
« Tous les étudiants apprennent une écriture
hiéroglyphique simplifiée et s'entraînent à cette écriture
dès leur inscription. Les étudiants apprennent à lire et à
écrire cette écriture et parlent en translittération
d'icelle. Le but est le déconditionnement des réactions
verbales automatiques de 'étudiant en lui apprenant à
penser en images. L étudiant apprend à regarder avant
de parler. Lorsqu'il aura appris à utiliser les mots au
lieu d'être utilisé par eux la maîtrise de tout autre sujet
deviendra facile. »
Extraits d'un journal d'étudiant : 17 septembre 1969...
« Je fus réveillé à 6 h 30 par des sifflets de train. Il y a
un certain nombre de sons enregistrés sur
magnétophone destinés à cet usage Nous nous levons
nous nous lavons nous nous habillons puis nous nous
rendons au gymnase où nous passons une demi-heure à
faire des exercices de karaté. L'instructeur insiste pour
que chaque exercice soit connu à fond avant de passer
au suivant et comme certains de nous apprennent plus
vite que d'autres la classe de karaté est divisée en
plusieurs sections. Après le petit déjeuner et après une
période de lecture d'une demi-heure nous nous rendons
à l'étude. Il y a six étudiants par groupe. L'instructeur
nous donne à chacun un exemplaire du bulletin suivant
:
Bulletin « Scribe Street » : Vous allez apprendre une
écriture simplifiée dérivée du système hiéroglyphique
égyptien. Le but de cette écriture est de vous donner
l'habitude de penser en images sans mots puis de
translittérer cela en formules verbales arbitraires. Des
sons de voyelles sont arbitrairement insérés pour
former des mots prononçables et cela constitue le
langage parlé que vous apprendrez également. En 1959
Mr. Brion Gysin a dit « J'ai trouvé le moyen d'effacer
les mots. » Il s'agissait d'une substitution de symboles
arbitraires de la machine à écrire — (°/o & " : ... 7) aux
mots d'une phrase et de la permutation subséquente de
ces symboles. En poussant le postulat de Mr. Gysin
plus loin nous devons examiner les questions de
grammaire et de structure. Par exemple prenez la
phrase suivante : « Vous (pluriel) dites votre nom à ce
scribe. » En tant que phrase française, un certain
nombre de permutations sont possibles et elles gardent
à la phrase tout son sens::::: « Dites votre nom à ce
scribe, vous. » « Vous dites à ce scribe votre nom. » «
A ce nom vous dites votre scribe. » « A ce scribe votre
nom dites-vous. » « Vous dites à ce nom votre scribe.
» etc. Maintenant considérez cette phrase écrite en
hiéroglyphes égyptiens simplifiés :
Une phrase dans une langue composée d'images est
une déclaration d'événements dans un certain ordre
temporel. L'ordre des mots est fixe puisque le sens
d'une langue composée d'images dépend des
juxtapositions et de juxtapositions qui ne changent pas.
En permutant cette phrase vous n'en tirerez pas de
significations nouvelles ou modifiées. Vous n'en
tirerez ni signification ni sens. Le pronom vous est ici
un pronom suffixe et ne peut jamais venir avant le
verbe. L'objet nom suit le pronom et est suivi par le
pronom suffixe génitif votre (littéralement de vous).
L'adjectif démonstratif ce comme il est employé ici
doit toujours suivre le nom auquel il se rapporte. Si
111
vous permutez la phrase et la montrez à une personne
lisant les hiéroglyphes elle en conclura simplement
qu'elle est en train de lire une liste de mots sans
rapports entre eux. L'ordre des mots est la
signification. Admettons maintenant que nous
développions une écriture composée d images
dessinées de manière à produire les événements décrits
— les dits « Livres Tableaux ». il est évident que les
mêmes considérations s'appliqueraient et que toute
altération dans l'ordre des symboles en détruirait
l'intention : les événements ne se passeraient pas ou se
passeraient différemment. Il alla au coin à 16 h. = &
= + : 16 h.
Toute modification de l'ordre des symboles en altérera
le sens c'est-à-dire ne le mettra pas au coin dont il
s'agit à 16 h. I l alla lui donne un choix. Au doit avoir
la signification de direction. Coin pourrait le faire
atterrir ailleurs. 16 h doit achever la phrase pour
indiquer son arrivée à cet endroit-là à ce moment
précis. Les systèmes de contrôle égyptien et maya
étaient fondés sur le fait que seule la classe régnante
savait lire la langue écrite. Nous pouvons supposer que
le système de contrôle actuel que nous avons
l'intention de renverser est précisément fondé sur la
même idée : seule l'élite écrite par elle-même a accès
aux « Livres Tableaux ». Les phrases de contrôle que
l'on met dans les revues, les journaux et les chansons
populaires correspondent précisément à un langage
secret d'images. Pour cette raison un certain ordre des
mots est essentiel dans ces phrases de contrôle.
L'intention de la machine de contrôle est évidemment
de conserver le plus grand écart possible entre le mot
et la chose à laquelle il se rapporte afin de distraire
l'attention des « Livres Tableaux » d'infé-rence.
Il est remarquable que la grammaire des virus ait le
même ordre inaltérable. Voici le cycle d'action d'un
virus de la grippe : exposition — (ACHOUM) — : : :
sujet susceptible : : : accro-chement du virus à la
couverture de la cellule : : : accrochement sur d'autres
cellules : : : réplica-tion à l'intérieur de la cellule : : :
réplication à l'intérieur des autres cellules : : : décharge
des autres cellules : : : décharge du sujet pour s'attaquer à un autre sujet susceptible. Toute modification
ou permutation de cet ordre fait perdre l'intention :
l'infection n'a pas lieu ou s'arrête. Mr. L. Ron Hubbard
nous a donné une excellente définition de la
communication : cause, distance, effet avec intention,
attention et duplication.
D'une façon plus complète : « La communication est la
considération et l'action de propulser un signal ou une
particule d'un point de départ à travers une certaine
distance jusqu'à un point de réception avec l'intention
d'y créer une réplique du signal de départ. » En
appliquant cette définition on verra que le virus a atteint
une précision dans la communication spécifique d'une
réplique du signal de départ qui est de beaucoup en
avance sur le discours humain. Cette précision dépend
d'un ordre rigide et sans variation de programme au
niveau cellulaire. Vous étudierez le langage du virus en
détail dans un cours futur. Pour abolir de votre système
nerveux l'effet d'une formule verbale, et toute aberration
est fondée sur des formules verbales, vous n'avez qu'à
mettre les mots en hiéroglyphes puis permuter l'ordre des
symboles. Pourtant, cette opération ne réussira pas si
vous ne possédez pas une connaissance totale d'une
langue d'images. Maintenant, regardez encore une fois la
phrase.
Dites vous nom votre à scribe ce Lisez-la plusieurs fois
jusqu'à ce que vous identifiiez les symboles aux mots.
Couvrez la traduction française. Vous verrez que vous
pouvez lire maintenant sans paroles intérieures. Vous
verrez aussi, bien que l'ordre des symboles soit comme en
français de gauche à droite, que vous n'êtes Pas obligé de
les lire symbole par symbole de gauche à droite. En fait
vous pouvez lire la phrase en bloc en voyant le début et la
fin de la phrase en même temps. Une fois que vous aurez
appris une langue d'images vous saurez lire beaucoup
plus rapidement. En fait vous serez capable d'absorber
une page entière en quelques secondes... » On nous
ordonna de lire ce bulletin plusieurs fois jusqu'à ce que
nous ayons la certitude de savoir ce qu'il signifiait et
de chercher dans le dictionnaire tous les mots que nous
112
ne comprenions pas. L'instructeur nous donna à chacun
un exemplaire de l'alphabet.
« Portez cela sur vous et étudiez-le à vos moments
oisifs. En apprenant des matières par cœur trente
expositions d'une minute valent plus que trente
minutes d'étude continue. La mémoire n'est pas une
affaire d'efforts. Les premiers glyphes que vous
étudierez seront les commandements des exercices que
vous ferez cet après-midi. Levez-vous. Allez vers cette
chaise. Asseyez-vous. Enlevez vos chaussures.
Enlevez vos chaussettes. Levez-vous. Enlevez votre
chemise. Mettez-la sur le dossier de la chaise. Enlevez
votre pantalon. Pliez-le sur la chaise. Enlevez votre
slip. Mettez-le au-dessus du pantalon. Remettez votre
slip. Remettez votre chemise. Remettez votre pantalon.
Asseyez-vous. Remettez vos chaussettes. Remettez
vos chaussures. Levez-vous. Allez vers cette chaise.
Asseyez-vous. »
L'instructeur écrivit ces phrases en glyphes et en
translittération sur le tableau noir, et les y laissa trente
secondes. Puis il demanda à chacun d'écrire la phrase
en glyphes et en translittération. Il parcourut les
phrases plusieurs fois. Cet exercice dura quatre heures
avec une pose de quinze minutes. A la fin de la période
d'étude on nous donna à chacun une chemise, un
pantalon, des chaussures, des chaussettes, un slip,
chaque chose marquée des glyphes correspondants :
ma chemise, mon pantalon, etc. On nous ordonna de
nous rendre vêtus de ces vêtements à la période de
lecture qui suit le déjeuner. En nous rendant à la salle
d'étude nous reçûmes un autre bulletin :
Bulletin « Mettez une chemise propre et sortez » . : : Vous allez
maintenant apprendre à vous habiller et vous déshabiller. Il est
possible que vous croyiez le savoir déjà. Il est probable que vous ne le
savez pas. Vous avez peut-être entendu parler de l'homme dont parle
Lord Chesterfield dans ses lettres qui s'est suicidé parce qu'il ne
pouvait pas supporter de s'habiller et de se dés-habiller de se laver et
de se raser. Ce n'est pas la monotonie de ces opérations qui l'a tué.
C'est le fait qu'il ne les exécutait pas correctement. Toute action que
l'on n'exécute pas correctement devient de plus en plus douloureuse. Il
n'exécutait pas ces simples actions correctement parce qu'il n'était pas
là. Il considérait ces actions comme étant sans importance aussi
pensait-il à autre chose lorsqu'il les exécutait. Lorsque vous faites une
chose en pensant à quelque chose d'autre, vous ne la faites pas
correctement. Voilà la raison pour laquelle vous mettez vos chaussures
et vos chaussettes d'une manière maladroite. Voilà pour-quoi vous
laissez votre chemise à moitié bouton-née pour chercher votre cravate
ou vos boutons de manchettes. Voilà pourquoi vous errez dans le
couloir avec une chaussure qui manque pour regarder s'il y a du
courrier. En vous habillant comme dans toute autre opération achevez
toujours un cycle d'actions. Quand vous avez com-mencé à boutonner
votre chemise, finissez de la boutonner. On vient de vous enseigner
des exercices de karaté et de vous faire exécuter des mouvements auxquels vous n'êtes pas habitués. Comme vous l'avec remarqué c'est très
douloureux au début. Bientôt vous saurez faire ces exercices sans
effort et avec beaucoup de plaisir. Quand vous étudiez une nou-velle
discipline vous vous rendez compte de la né-eessité de concentrer
votre attention sur ce que vous êtes en train de faire. Pourtant, des
actions comme celle de s'habiller que l'on exécute tous les jours, sont
souvent maladroitement exécutées précisément parce qu'elles semblent
être sans' importance et que vous pensez savoir les faire et elles
deviennent de plus en plus douloureuses et monotones. C'est pourquoi
les gens qui peuvent exécuter des gestes exigeant une coordination
assez difficile perdent leur équilibre en mettant leur pantalon, se
coupent en se rasant, écrasent leur chapeau en sortant d'un taxi. Le
temps présent devient ainsi insupportable. Pourtant, une action
correctement exécutée sans mouvements gaspillés et avec l'utilisation
exacte de l'effort nécessaire ne cause jamais de douleur. Mettez un
nombre d'objets de divers poids sur une table. Soulevez-les un par un.
Remarquez que vous êtes obligés de faire plus d'efforts pour soulever
les objets les plus lourds. Ne faites exactement que l'effort exigé par
chaque objet. Votre pantalon est plus lourd que votre chemise.
N'utilisez pas la force exigée pour ramasser un pantalon lorsqu'il s'agit
de ramasser une chemise. Si vous faites cela, vous utilisez une force
arbitraire sans considération de l'objet lui-même. Ne ramassez pas
votre pantalon avec la force que vous emploieriez pour une chemise. Il
vous tomberait des doigts. Vous avez déjà achevé un cours à
l'Académie de Scientologie. Vous reconnaîtrez ces exercices comme
des extensions de ceux que vous avez déjà étudiés, lesquels étaient
destinés à vous mettre en contact avec les objets qui vous entourent et
à vous apprendre à contrôler ces objets et à contrôler les mouvements
et les intentions de votre propre corps. »
Après avoir lu le bulletin, et que l'instructeur se fut assuré que nous
l'avions compris, on nous ordonna d'aligner six chaises contre un mur
et six contre le mur d'en face, chaque étudiant face à une chaise vide.
L'instructeur donna chaque commandement en translittération des
113
glyphes en même temps que chacun apparaissait sur un écran de
télévision.
« Etudiant 1, levez-vous. Allez vers cette chaise. Asseyez-vous sur
cette chaise. Enlevez vos chaussures. Enlevez vos chaussettes.
Levez-vous. Enlevez votre chemise. Mettez votre chemise sur la
chaise. Enlevez votre pantalon. Mettez votre slip. Remettez votre
chemise. Remettez votre pantalon. Asseyez-vous. Remettez vos
chaussettes. Remettez vos chaussures. Levez-vous. Allez vers cette
chaise. Asseyez-vous. Etudiant 2 », et ainsi de suite.
Les ordres et les suggestions que nous n'avions pas appris en glyphes
étaient donnés en anglais : « Ne cherchez pas la vitesse. Cherchez la
précision. Pas de mouvements gaspillés. Pas de maladresses. Achevez
chaque cycle d'actions. Prenez contact avec chaque vêtement. Faites
qu'il soit à vous. Identifiez-le à son symbole. Faites-lui faire ce que
vous voulez qu'il fasse. »
Après nous être déshabillés et rhabillés plusieurs fois en suivant les
ordres de l'instructeur on nous dit de recommencer le cycle sans
attendre les ordres afin que nous soyons dans un mouvement continu.
Nous avons passé une semaine aux exercices d'habillage et de
déshabillage en ajoutant des vêtements supplémentaires, vestes,
cravates, chapeaux, écharpes, manteaux, pulls, toujours en apprenant le
glyphe pour chaque chose et chaque opération à exécuter en glyphes et
en translittération. Après la première semaine les vêtements semblaient
glisser sur le corps de leur propre volonté. J'étais capable de m'habiller
et de me déshabiller avec une adresse et une rapidité incroyables. Les
exercices s'élargissaient. Nous Puions les vêtements et nous les
mettions dans
114
des tiroirs ou sur des rayons. Nous vidions les sacs à linge,
faisions des listes de linge, remettions le linge, vidions le sac à
nouveau et faisions de nouvelles listes. Nous faisions et
défaisions des lits. Nous remplissions et vidions des valises.
Nous exécutions une variété d'actions en série, employant
clefs, passeports, montres, portefeuilles, tickets, valises.
Lorsque les actions devenaient plus complexes nous
écrivions en glyphes et en translittération l'ordre précis des
actions exécutées. Nous avons créé des faux restaurants dans
lesquels les étudiants étaient les serveurs, les clients et les
caissiers. Nous apprenions à manier l'argent et à faire de la
monnaie. Pour l'entraînement, les caissiers et les serveurs
étudiants essayaient toujours de prendre trop d'argent ou de
ne pas donner la monnaie exacte. « Ne permettez jamais que
l'on vous fasse payer trop ou qu'on vous vole sur la monnaie.
La défaite générale dans la vie est le fait de beaucoup de
petites défaites. » Au bout de deux mois nous pouvions
penser exclusivement en glyphes et parler en translittération.
Les mots que j'emploie maintenant se rapportent aux objets
réels et aux opérations que j'ai contrôlées et rendues
miennes. Maintenant nous sommes prêts à des exercices plus
poussés. Nous apprendrons à écrire les actions d'une journée
entière en glyphes et à les exécuter avec précision. Nous
apprendrons à confondre nos adversaires en leur parlant un
banal langage « amical » tout en pensant en glyphes hostiles
et injurieux et en communiquant ces images aux ennemis. »
115
COMMENT DEVENIR HUMPHREY BOGART
La scène représente une salle de projection face à un
écran un auditoire de douze hommes froids et
impassibles dans de profonds fauteuils de cuir. B. J.
est assis à la droite de l'estrade face à un panneau de
contrôle. Il peut voir à la fois l'estrade et les
spectateurs.
« C'est le truc le plus fantastique dans le business du
spectacle depuis que le Vieux sortit Eve d'Adam et
juste sous notre nez depuis la première lanterne
magique. »
Un jeune homme apporte une chaise sur l'estrade et
se place devant l'écran face aux spectateurs. Une
photo en couleurs de Jesse James projetée sur son
visage est réglée pour qu'elle s'y adapte exactement.
« Vous voyez ce que je veux dire ? Une image projetée sur la chair est la chair. Donnons maintenant
un peu de fond à J. J. »
Sur l'écran reconstitution d'une chambre de ferme
du Missouri en 1882 la Mort de Stonewall Jackson
sur le mur. L'image est poussiéreuse. « Ce que vous
venez de voir se fait avec deux lanternes magiques
l'une projetée sur le visage de l'acteur et l'autre sur le
deuxième plan... les images fixes montrent
l'application la plus simple. » Stonewall Jackson,
Daniel Boone et Daniel Webster suivent Jesse
James sur l'estrade. « Vous parlez d'imiter les
grands Américains... Maintenant un film parlant en
couleurs. » Un autre jeune homme apporte une
chaise sur l'estrade et s'assied face à l'écran. Ils sont
de la même grandeur et de la même stature et
portent les mêmes complets blancs. L'un est blond
l'autre brun.
« Je suis Joe » dit le blond. « Je suis John » dit le
garçon brun. Une photo en couleurs de John est
projetée sur Joe. Le visage dit « Je suis John ». Une
photo en couleurs de Joe est projetée sur John. Le
visage dit « Je suis Joe ». « Ce que vous voyez et
entendez maintenant est un film et une bande-son
préenregistrée. Les acteurs ne parlent pas dans cette
séquence. » Maintenant Joe et John changent
lentement de place.
« Remarquez comment le projecteur les saisit et les
porte d'une place à l'autre. Même avec les photos vous
le sentez qui s'empare de vous et vous moule le visage.
Si le projecteur se déplace légèrement vers la gauche il
fera tourner votre tête vers la gauche. D'accord
déplacez-vous. » Us changent de chaise plus
rapidement cette fois. « Je suis Joe » « Je suis John »
« plus vite plus vite tournez tournez » « Je suis Joe. Je
suis John » « plus vite plus vite » « JesuisJoejesuisJohn
»
Us se tiennent maintenant sur le devant de l'estrade et
s'inclinent dans leurs visages projetés. « Quelqu'un
sait-il qui est Joe et qui est John ? Un autre visage sur
votre visage qui parle vous donne l'impression que
vous êtes cette personne. Voyons maintenant ce que
Joe et John peuvent faire sans projecteur. » Us
s'assoient côte à côte. Joe dit « Je suis John » avec la
voix de John. John avec la voix de Joe dit « Je suis Joe
». « Remarquez que vous pouvez voir Joe dans le
visage de John et John dans le visage de Joe. Ça
tourne les gars. »
Joe se dresse en projection entière d'un chanteur pop
et chante un morceau de rock.
John le rejoint en un autre chanteur pop et ils font un
duo en se passant les visages les mots et les coups de
hanche à tour de rôle. « Cela vous donne une drôle
d'impression n'est-ce pas ? »
Un homme enlève un cigare de ses lèvres la cendre
forme un cône délicat et gris comme il se doit sur un
cigare de prix. « Peut-être un peu trop drôle B. J. »
« Il tourne il tourne le projecteur ; où il s'arrête
est un mystère. »
Les projecteurs s'arrêtent.
« Voyons maintenant comment ils s'en sortent sans
projecteurs. »
Les garçons chantent des imitations presque parfaites
des vedettes pop.
« Vous voyez le truc ? Nous sortons des unités de
projection avec bande-son synchronisée. Vous pouvez
être votre vedette pop préférée. Vous pouvez être votre
acteur préféré vivant ou mort. » Joe et John sont assis à
la table d'un café derrière un décor de marché arabe.
John est un catholique déchu et patraque tiré d'un
roman de Gra-ham Greene qui accomplit une mission
dangereuse à laquelle il ne croit pas réellement. Joe est
un jeune marin américain aux yeux gris pâle. Nous ne
savons pas ce qui va se passer. Joe et John ne le savent
116
pas non plus. Us le découvrent pendant que l'action se
déroule. « Un essai au stade expérimental... » Le plus
âgé regarde à travers le square : une image de
carcasses de voitures qui brûlent corps noircis « je
veux dire que si l'essai était seulement partiellement
réussi... » Il tripote distraitement une bague à cyanure.
Le marin semble regarder un point distant lointain et
perdu dans le passé.
« Les réussites sont toujours partielles. »
« Vous ne regardez pas seulement l'action vous
y participez. Bien sûr cela va révolutionner les films
pornographiques. Déshabillez-vous et plongez
dedans...
Mise en garde du ministère de la Santé : « La
projection de films pornographiques sur la chair peut
causer des maladies vénériennes encore inconnues. Il
est formellement conseillé que les projections de corps
nus soient laissées de côté en attendant des données
plus précises provenant d'expériences moins
dangereuses. » Les unités de projection s'avérèrent une
méthode idéale pour l'étude des langues. Le professeur
que vous désirez une multitude d'images à choisir vous
remplissez un arrière-plan quelconque et vous voilà
dans un café du Quartier latin bavardant en français
parce que vous connaissiez la langue. Vous n'avez qu'à
vous installer et qu'à écouter votre peau enseignante
qui parle. Vous comprendrez bientôt ce que dit votre
peau et vous pourrez bientôt le dire vous-même. Il y a
un moment où vous sentez que cela accroche. En fait
les projections représentent une méthode accélérée
pour acquérir n'importe quelle capacité : parler en
public, la vente, l'escroquerie, la séduction, l'hypnotisme, le jeu, le yoga, l'équilibre parfait. N'importe
quelle adaptation verbale ou faciale qui vous botte
vous ne faites qu'acheter le film correspondant. Vous
voulez avoir l'air plus jeune ? Achetez le Film
Jeunesse. Vous voulez avoir l'air digne ? Achetez le
Film Dignité. Vous voulez avoir l'air heureux ?
Achetez le Film Sourire. Vous voulez avoir l'air
séducteur ? Achetez le Film Séduction. Vous voulez
avoir l'air troublant ? Achetez le Film Confusion qui
alterne des expressions à 24 images par seconde. Vous
voulez avoir l'air saint ? Achetez le Film Sainteté.
Vous voulez avoir l'air insondable ? Achetez le Film
Insondabilité. Vous voulez avoir l'air courageux ?
Achetez le Film Courage. Vous voulez embarrasser
votre ennemi ? Achetez le Film Laid-Maladroit et projetez-le sur lui. Vous voulez emmerder un orateur ?
Achetez le Film Balbutie-Trébuche-Bafouille-Voix
Cassée-Bêtise-Tremblote-Crispé. Vous voulez rendre
votre ennemi malade ? Il y a un film pour toutes les
maladies connues. Vous voulez tuer votre ennemi ?
Achetez le Film Mort. Toutes les variétés de fusils
projecteurs, des armes à main de 8 mm de courte
portée jusqu'au laser avec lunette télescopique à
questar sont employées. Des agents secrets ont leur
masque projeté sur eux-mêmes jusqu'à ce qu'il ait pris
racine. Toute personne qui désirerait changer sa vie
pourrait choisir parmi les Films de Nouvelle Identité.
Des groupes pop à projecteur poussaient partout
attirant leurs fans dans le spectacle qui s'enflait de
centaines puis de milliers de gens avec camions de
transport et cantine défiant tout contrôle d'émigration
et de douane. Personne ne voulait discuter avec les
chanteurs errants. Pour n'en mentionner que
quelques-uns : Les Cygnes Paraplégiques laissèrent
derrière eux un sillage de plateaux et de verres volant
en l'air, genoux, coudes et pieds incontrôlés détruisant
les vitrines se jetant par les fenêtres.
Les Beaux Moches sortirent un morceau horrible
intitulé « Ici moi suis ». Il paraît que le tout jeune fils
du Beau Moche Bradly se cachait derrière un canapé
ou sous un bureau et surgissait en criant « Ici moi suis
» et cela lui en donna l'idée. La scène est une salle vide
et puis les Beaux Moches surgissent avec des visages
d'enfants en disant « Ici moi suis » et en tirant sur les
spectateurs avec des fusils à projections. Des milliers
de fans s'affolaient, mettaient des couches et se ruaient
à travers les rues se chiant et se pissant dessus en criant
: « ICI MOI SUIS » « ICI MOI SUIS » « ICI MOI
SUIS ».
Le ministère de la Santé a publié une mise en garde
extrêmement énergique au sujet du « danger pour la
santé mentale morale et physique représenté par
l'horrible habitude des adultes de parler comme des
bébés ou ce qui est pis de chanter comme des bébés ».
Les Rolling Bones tuèrent dix mille fans dans leur
fauteuil avec une interprétation vibrante de « Ma petite
bonne mauvaise » alternant douceur et méchanceté 24
fois par seconde. Au début les projections étaient
montées par des acteurs professionnels mais rien ne
vaut le vrai truc, de vrais visages heureux, de vrais
visages douloureux, de vrais visages de morts. Des
camions de studios modifiés rôdent dans les rues prêts
à sauter sur n'importe qui. Le jeune terroriste fusillé
par un peloton d'exécution au Vietnam est à peine froid
117
qu'un million de tantes affolées absorbent sa mort. Ils
se promènent avec l'air rajeuni pendant quelques jours
puis il leur en faut PLUS PLUS PLUS. C'était plutôt
comme les Aztèques une fois que les gens avaient
flairé le sang il était impossible de les retenir et bientôt
ils tuaient ouvertement les gens pour les images et
éventraient des communautés entières comme un fléau
de sauterelles. Aujourd'hui à l'ONU le représentant de
l'Union soviétique s'est levé pour dénoncer ce qu'il
appelle « les vampires infâmes qui sucent le sang de la
jeunesse du monde au moyen de projecteurs de films ».
Le vieux millionnaire a un studio de film à son lit de
mort pour enregistrer ses dernières paroles et ses
héritiers sont obligés de subir les images de la mort du
vieux à chaque anniversaire afin qu'ils n'oublient pas
d'où est venu l'argent. Les PDG se projettent sur tous
leurs employés. Les hommes politiques peuplent des
pays entiers de leur image projetée. Et vous ne savez
jamais lorsqu'un petit malin se projette sur vous de
l'autre côté de la ville avec son Questar. Cela revient à
une compétition acharnée d'images et il ne peut y avoir
qu'une fin à cela. La fin est un seul visage : Monsieur
Qui ?
Le premier emploi dans le business du spectacle de
projections comme celles décrites ci-dessus fut un
spectacle monté par Brion Gysin et Ian Sommerville
au Centre Américain, rue du Dragon, Paris, France, en
janvier 1962. Les spectateurs ne pouvaient croire ce
qu'ils voyaient. Ils pensaient que tout le spectacle avait
été photographié d'avance. On utilisa dans ce spectacle
des projecteurs de diapositives.
Pour obtenir de bons résultats n'employez que des
images en couleurs. Il est de la plus grande importance
que la projection soit adaptée avec précision sur un
visage. Ceci est facile avec des diapositives. Les films
demandent plus de précision dans la préparation de la
séquence qui va être projetée.
— Vous avez dit que la « série de l'académie »
o f f r a i t une solution au problème de la jeunesse
aliénée et à d'autres problèmes. Vour riez-vous
développer ?
— Les premières académies ont été fondées én
septembre 1899, l'une sur une mesa au nord de Santa
Fé dans le Nouveau Mexique, une autre dans la
banlieue de Saint-Louis dans le Missouri et la dernière
sur l'Hudson, dans la banlieue de New York. Les
systèmes orientaux comme le yoga, le judo, le karaté,
l'aikido et le zen faisant partie de l'entraînement, des
instructeurs furent invités d'Orient et des étudiants
orientaux
vinrent
apprendre
les
techniques
occidentales. Le but fondamental des académies était
de synthétiser les aspects les plus utiles des
entraînements orientaux et occidentaux. Les diplômés
des académies, en retournant à diverses professions, se
montrèrent incomparablement plus efficaces que ceux
qui n'avaient pas reçu la formation de l'académie, si
bien qu'on créa de plus en plus d'académies. D'autres
pays suivirent l'initiative de l'Amérique dans la
création d'académies l'échange continuel des étudiants
et des instructeurs tendant à briser les frontières
nationales. A la fin des années 20 il y avait des
académies dans le monde entier qui dirigeaient toute
recherche, toute éducation, toute action policière et
toute formule politique. Les académies étaient situées
dans des sites d'une grande beauté et d'une architecture
adaptée au paysage. L'académie de Marrakech était
construite autour d'une vaste cour avec jardins arbres
bassins fontaines et portiques. Il existait un certain
nombre d'académies dans la forêt d'Amazonie
complexes structures de bois lourds et de bambous
fendus reliées par des passerelles et des échelles. L'entraînement physique y prenait la forme d'excursions en
canoë de chasse de pêche et de culture, le programme
d'exercice étant adapté au pays et au paysage. Les
académies orientales utilisaient souvent les temples et
monastères existants et l'une des plus spectaculaires
académies était construite dans les ruines restaurées de
Samarkand. Pour l'académie grecque on rassembla
toutes les antiquités grecques dispersées dans les
musées du monde entier. Des débris morts de
curiosités du dimanche furent transformés partout en
structures vivantes. La cité lacustre de Mexico fut
reconstituée et les ruines mayas résonnèrent de
l'ancienne langue que tous les étudiants de cette
académie étaient tenus de connaître parfaitement (le
maya n'est nullement une langue morte et on ne parle
rien d'autre dans les villages perdus du Yucatan).
L'accent était toujours porté sur l'échange des cultures
des langues et des méthodes d'entraînement.
L'académie de Saint-Louis était une vaste construction
en brique rouge s'étendant sur une falaise dominant le
fleuve. Une poussière bleue crépusculaire descendait
sur la vallée quand Bill Harper un étudiant débutant
descendit d'une voiture attelée frais dimanche lointain
vents frais du sud il y a longtemps chambre tapissée en
rose cuvettes de lavabo en cuivre lustré un jeune Indien
se leva d'un des lits en cuivre et se présenta : « Je suis
118
Johnny Bufeo originaire de l'Ucayali. J'irai à la faculté
de médecine car je suis fils d'un brujo. Il avait
beaucoup de remèdes mais seuls quelques-uns étaient
bons. Il pouvait faire venir la pluie et il pouvait appeler
les animaux et quelquefois il pouvait tuer un ennemi
malade. Je l'ai vu amener la peur d'un patient avec ses
sales vieilles mains et tant de fois j'ai dû dire aux
patients " très désolé le brujo a la gueule pétée
borracho " . Il est mort il y a de nombreuses années.
Les docteurs américains pouvaient apprendre de lui. Je
suis ici pour enseigner et pour apprendre. Vous
devenez très fort très dur ici. Puis vous entrez dans des
pièces de silence apprenez à quitter le corps aller n'importe où que vous
voulez. Tu viens avec moi Misteur William ? »
Les compagnons de chambre étaient changés tous
les mois la rotation étant un principe fondamental des académies. De nombreux étudiants occidentaux choisirent de suivre les académies orientaies où ils apprirent la langue et les disciplines
locales. Certains étudiants passaient d'une academie à l'autre tous les trois mois et les instructeurs étaient également en rotation de Marrakech
aux fjords de Norvège du Missouri à Samarkand.
Instructeurs et étudiants avancés des académies
spécialisées revenaient au cours de base de l'academie pour se rafraîchir avec l'entraînement physique et faire partager leurs connaissances aux
débutants par contact direct. Toutes les académies
échangeaient des bulletins hebdomadaires sur leurs
recherches, leurs expériences et leurs nouvelles
méthodes d'entraînement. Avec l'arrivée des
magnétophones et des caméras, films et bandes furent
constamment échangés. Des étudiants avec caméra et
enregistreur passaient d'une académie à l'autre et des
salles d'hôtes recevaient des étudiants de passage.
Alors que l'entraînement variait d'une académie à
l'autre il y avait certains cours d'entraînement commun
: le karaté, le judo, l'aikido, le zen, les exercices de
respiration pour parvenir à une santé et un contrôle du
corps parfaits, des exercices de silence dans des
chambres d'isolation sensorielle et réservoirs à
immersion, et la maîtrise d'une écriture hiéroglyphique
simplifiée afin d'apprendre aux étudiants à penser en
images silencieuses. Le cours fondamental de
l'académie durait quatre ans. Après avoir quitté
l'académie de base les étudiants pouvaient demander
un entraînement plus poussé dans une académie
spécialisée. A l'école de médecine les étudiants
apprenaient, à part les techniques occidentales, toutes
les formes de massage, d'ostéopathie, d'exercices
rééducatifs et de régimes. Ils étudiaient les techniques
des sorciers des guérisseurs et examinaient des
échantillons de médicaments à base d'herbes comme
les remèdes de la jungle afin d'isoler leurs principes
actifs et de les appliquer à la thérapeutique. A l'époque
où les premières académies furent fondées, l'héroïne, la
cocaïne et la morphine étaient vendues librement dans
les pharmacies. Une étude révéla qu'il y avait 200 000
intoxiqués aux Etats-Unis parmi lesquels beaucoup
s'étaient intoxiqués avec des remèdes patentés. Les
intoxiqués étaient en général d'un âge moyen ou étaient
des gens âgés qui souffraient de diverses maladies
chroniques. Sur la recommandation des académies les
opiacées à l'exception de la codéine ne furent
distribuées que sur prescription. Une fois que la
novocaïne fut synthétisée l'extraction de la cocaïne fut
interrompue et cette drogue disparut de la
pharmacopée. Les intoxiqués invétérés furent autorisés
à une dose de soutien d'opium ou de morphine tandis
que l'emploi de l'héroïne était restreint à l'emploi
médical pour soulager les douleurs extrêmes. Un
programme d'étude fut mis en application pour
déterminer le traitement le plus efficace de
l'intoxication avec une attention particulière pour les
jeunes intoxiqués. Le traitement de l'apomorphine fut
employé et vers les années 30 la formule fut
synthétisée et un grand nombre de variations furent
mises au point. L'action régulatrice de l'apomorphine
mena au concept de médecine préventive insistant sur
le maintien de la santé plus que sur la guérison des
maladies.
« Tout ce qui peut être obtenu chimiquement peut l'être
autrement... ce qui manque dans le retrait est une
certaine fréquence. » Bulletin de l'académie 19 juin
1922.
On a découvert que la fréquence des opiacées était une
oscillation spéciale d'ultra-sons. Cette fréquence était
aussi capable de créer une accoutumance que la
morphine elle-même mais il était possible de la réduire
graduellement sur une période de plusieurs mois ce qui
avait pour résultat une cure sans douleur. Puisque le
règlement des académies stipulait que tous les
étudiants débutants devaient cesser l'usage de toute
drogue y compris l'alcool et le tabac et que tous les
jeunes gens avaient envie d'être diplômés des
académies, ils étaient facilement conditionnés à éviter
119
les drogues créant une accoutumance une fois que la
cure avait été accomplie. La découverte que les effets
de la morphine pouvaient être produits par une
fréquence sonore mena à la découverte que les effets
de toute drogue pourraient être produits ainsi et la
thérapeutique par fréquences finit par supplanter la
thérapeutique par drogues. L'entraînement de toute la
police se faisait dans les académies, et seuls les
diplômés des académies policières pouvaient être
nommés officiers de police. Les officiers aspirants
étaient entraînés à empêcher le crime et à empêcher les
gens d'aller en prison. Arrêtez cet escroc à Toronto
avant qu'il ne sorte des actions sans valeur. Cet homme
qui a le tempérament d'un tueur ne devrait pas être le
gérant d'un bar. On devrait enlever les enfants aux
parents qui n'ont pas envie d'en avoir avant qu'il ne se
passe du vilain. Tous les cas de cruauté envers des
enfants recevaient une attention spéciale et chaque
agent devait connaître les infractions de son district. La
protection des enfants était une mesure intérimaire en
attendant la lente abolition du vieux système de la
famille après quoi l'éducation des enfants à partir de
leur naissance serait entre les mains de centres
spéciaux créés par les académies. De tels centres
existaient déjà pour prendre soin des enfants
abandonnés ou indésirés. Les signes d'un pays en
bonne marche sont une police réduite et des lois peu
nombreuses mais ces lois doivent être réellement
appliquées et cette police doit être réellement efficace.
Tout le système des législations d'Etats fut aboli et l'on
créa un code de lois uniforme pour sanctionner les
crimes contre la personne et contre la propriété. Toutes
les prétendues atteintes résultant de la conduite
sexuelle privée, des drogues et du jeu furent retirées du
code pénal.
La SA — Sécurité de l'Académie — était l'agence
policière la plus haute qui s'occupait de toutes les
influences malsaines menaçant le travail des
académies. La SA ne fut pas capable d'arrêter la
Première Guerre mondiale mais parvint à empêcher les
Etats-Unis de s'y mêler. Après la guerre
la SA put éviter la débâcle de la prohibition et
l'infiltration simultanée de la Mafia « Une
organisation pestilentielle qui doit être détruite à
ses racines mêmes » La SA prit des mesures pour
réduire l'influence de la presse quotidienne en
éliminant tout reportage de crime ou d'accident
« La presse quotidienne est largement responsable
des événements déplorables qu'elle décrit... Nous
recommandons que tous les quotidiens soient
supprimés »
On rendait compte des découvertes faites par les
académies dans des bulletins hebdomadaires de
sorte qu'une découverte faite n'importe où dans le
monde fût connue immédiatement dans le monde
entier. Aucune des recherches des académies
n'était secrète.
« Il est certain que toute découverte importante
est susceptible d'être mal utilisée. Cependant, si
l'on fait un secret des possibilités destructrices
d'une découverte, la monopolisation et l'abus de
celle-ci par une soi-disant élite représentent une
menace plus forte que la possibilité qu'un individu
quelconque utilise à de mauvaises fins la
découverte lorsqu'elle devient connue de tous. Par
exemple les possibilités destructrices de l'infra-son furent décrites publiquement dans nos
bulletins et nous pensons que cette politique
d'ouverture est la meilleure assurance contre
l'abus de la connaissance puisque toute personne
utilisant l'infra-son à des buts indignes serait
immédiatement détectée. »
La deuxième guerre mondiale fut facilement empêchée par les efforts médiateurs des académies
françaises allemandes et anglaises et par conséquent aucune arme atomique ne fut mise au point.
« Aucune production de radioactivité ne sera
tolérée. » Bulletin de l'Académie 4 août 1945.
L'Institut de Linguistique entreprit des recherches
sur le son et le langage humain afin de découvrir
ce que sont les mots. Le langage intérieur fut
étudié avec des microphones ultra-sensibles
adaptés au larynx. On accorda une attention particulière aux sujets schizophrènes puisque dans cet
état, les mouvements involontaires de l'appareil
vocal sont extrêmement prononcés, donnant la «
voix » typique à cette maladie. Ces « voix »
furent enregistrées et repassées au patient en
subissant des coupures des ralentissements des
espacements des accélérations. Le playback
donna souvent une amélioration nette. On
prescrivit alors aux sujets des exercices de
silence. A l'idée du silence beaucoup devinrent
hystériques c'est-à-dire que les « voix » devinrent
hystériques et purent être enregistrées plus
facilement « VOUS NE POUVEZ PAS ! VOUS
NE POUVEZ PAS ! VOUS NE POUVEZ PAS !
» crient-elles. Des injections de curare furent
120
administrées dans ces cas pour paralyser l'appareil
vocal pendant qu'on plaçait le sujet dans un
poumon d'acier. Le silence résultait souvent en
une accalmie complète de la maladie.
« Les schémas verbaux compulsifs sont en fait
des virus verbaux qui se maintiennent dans le
système nerveux central par la manipulation des
centres de la parole, des muscles de la gorge et
des cordes vocales. »
Le style particulier du langage schizophrénique
fut analysé. On remarqua que la verbalisation qui
a lieu pendant les rêves et surtout entre le sommeil et l'éveil est du même style et qu'elle est en
fait une langue spéciale qui agit probablement
sans cesse chez les individus dits normaux. L'Institut de Linguistique entreprit d'isoler cette langue
et l'étudia. Les étudiants avaient des magnétophones auprès de leur lit puisque la verbalisation
durant cette période est normalement oubliée si
elle n'est pas immédiatement enregistrée ou transcrite. Cette langue n'a pas de points de repère par
lesquels elle pourrait être saisie, comme si un
habitant inconnu de l'esprit parlait dans une
langue inconnue — non pas inconnue en ce qui
concerne les mots mêmes mais en ce qui concerne
les références la construction et la syntaxe.
L'Institut de Linguistique donnait également des
cours avancés d'entraînement au silence. Ceux-ci
avaient pour cadre des zones de silence naturel le
Sahara et le désert de Gobi, les sommets du Tibet
et de la Cordillère des Andes. Le silence est un
état où les étudiants apprennent lentement à
respirer jusqu'à ce qu'ils soient capables d'y rester
des heures sans mouvements des muscles de la
gorge et des cordes vocales. On mit au point une
fréquence infra-son de silence laquelle libère par
vibrations les mots du corps et ce système fut
utilisé aux derniers stades de l'entraînement, une
lente résonance qui monte dans le cou et la
colonne vertébrale et descend au fond des organes
internes faisant vibrer tout le corps et détachant
les mots visibles comme une brume. A ce
moment de nombreux étudiants ont l'impression
qu'un être parasitaire a été arraché de leur corps
pour se dissoudre avec mauvaise volonté dans
l'air. Après le baptême du silence l'étudiant se
déplace avec aisance dans ce milieu insonore
mais les mots sont à sa disposition quand il en a
besoin avec une précision absolue. Durant les
premières années de l'aviation les académies
établirent des centres d'entraînement de pilotes et
lorsque les voyages dans l'espace devinrent
possibles elles se chargèrent de la direction du
programme spatial. Le but du programme spatial
académique n'était pas l'espace dans un scaphandre relié par des fils aux épouses et aux
mères.
« Mettre des individus tout à fait ordinaires
dansl'espace au prix d'immenses dépenses ne sert
à rien. N'importe quel diplômé de l'académie
pourrait en apprendre davantage sur les conditions
de l'espace et voyager plus loin dans l'espace
après une heure de silence et d'apesanteur que des
équipes d'astronautes en orbite ne rêvant pas dans
l'espace. L'espace est rêve. L'espace est illusion.
Pourquoi emmener un PX 2 bourré de tous vos
tristes préjugés verbaux jusqu'à la lune ? » Les
astronautes étaient tous des célibataires puisqu'on
les entraîne à exister dans l'indépendance et la
solitude totales alors que le mariage conditionne à
la dépendance. « Pour voyager dans l'espace il
faut apprendre à abandonner toutes les vieilles
ordures verbales : le discours Dieu, le discours
prêtre, le discours mère, le discours famille, le
discours amour, le discours parti, le discours
pays. Vous devez apprendre à exister sans
religion sans pays sans alliés. Vous devez
apprendre à voir ce qui est devant vous sans parti
pris. » Comparez maintenant les possibilités
ouvertes par de telles académies avec ce que le
monde actuel nous montre. Des recherches qui
pourraient être utilisées pour libérer l'esprit
humain sont monopolisées par des intellectuels
misérables au nom de la « sécurité nationale ».
Mais que vous rapporte la sécurité nationale ?
Une seule académie pourrait rendre l'espoir aux
rues mortes par la radioactivité et les émeutes de
cette planète contaminée surpeuplée et mal
dirigée. Vont-ils vous donner cet espoir ? Si leurs
prestations passées indiquent quoi que ce soit, ils
ne vont rien vous refiler que de la merde, noirs et
blancs vous avez été vendus. Si vous voulez le
monde que vous pourriez avoir en fonction des
2Magasin à bas prix géré par l'Etat que l'on trouve dans les
bases militaires américaines.
121
découvertes et des ressources existant aujourd'hui
soyez prêts à vous battre pour ce monde. Vous
battre pour ce monde dans les rues.
William S. Burroughs
Londres, 15 octobre 1968
BIOGRAPHIE
William Seward Burroughs naît le 5 février 1914
à Saint Louis, Missouri. Enfance très protégée au
sein d'une cellule familiale composée d'un père
assez effacé, Mortimer, d'une mère femme forte,
Laura, née Lee, et d'un frère, Mortimer junior.
Etudes secondaires dans diverses écoles de Saint
Louis et de Los Alamos, Nouveau-Mexique ;
premières écritures vers l'âge de dix ans ; première
liaison amoureuse, à quinze ans, avec un camarade
de classe.
Etudes supérieures à Harvard, en littérature
anglaise, sanctionnées par le titre de " Bachelor of
Arts " en 1936. Séjour d'une année environ en
Europe, dont six mois d'études à la faculté de
médecine de Vienne. 1938, retour à Harvard,
nouvelles études d'anthropologie.
Installation à New York, divers petits métiers :
détective privé, barman, copiste dans une petite
agence de publicité.
1942-1943 : bref passage dans l'armée américaine, au Texas ; réformé pour troubles mentaux ;
puis séjour de quelques mois à Chicago, où il exerce
la profession d'exterminateur de parasites.
1943, retour à New York ; rencontre de Jack
Kerouac (juillet 1944), puis d'Allen Ginsberg (Noël
1944) ; les trois se lient bientôt d'une amitié
profonde.
En 1945, Burroughs commence à se droguer ;
il épouse Joan Vollmer ; vaine tentative pour écrire
un roman en collaboration avec Kerouac.
Premiers ennuis avec la police ; départ pour le
Texas (été 1945) ; installation dans une ferme de
New Waverly, dans la vallée du Rio Grande.
Cultures diverses : luzerne, citrons, cannabis.
21 juillet 1947, Joan Burroughs met au monde
William junior. 1948, installation à Algiers, à côté
de La Nouvelle-Orléans. Nouvelle arrestation de
Burroughs. Départ, l'été 1949, pour Mexico.
Cours à l'université sur les Mayas et les Aztèques
: langue et histoire. Vers 1950, Burroughs se met
vraiment à écrire. A une date et dans des
circonstances dont l'exactitude semble impossible à
déterminer, Burroughs tue sa femme d'une balle
dans la tête.
Départ du Mexique en juillet 1952 ; voyage à
Panama, en Colombie, en Equateur et au Pérou.
Retour à New York en juillet 1953. Parution de son
premier livre, Junkie.
Janvier 1954, Burroughs débarque à Tanger. Il y
connaît, jusqu'en 1956, sa période d'intoxication à
l'héroïne la plus aiguë. C'est l'apomorphine, dont il
n'a cessé depuis de vanter les mérites, qui l'en sortira
à la suite d'un séjour dans la clinique londonienne
du Dr Dent. Depuis, William Burroughs a
uniquement consacré sa vie à l'écriture.
Du début 1958 à l'automne 1959, séjour à Paris. Il
y termine The Naked Lunch, publié à Paris.
Retrouvant le peintre américain Brion Gysin rencontré à Tanger, il est immédiatement séduit par la
technique du cut-up mise au point aléatoirement par
le premier, et commence à l'appliquer
systématiquement à ses manuscrits. En sortiront
Minutes T o Go, The Exterminator, The S o f t Ma-
123
chine, The Ticket That Exploded, Nova Express,
Dead Fingers Talk et The Third Mind.
Automne 1959-printemps 1961 : Londres ; été
1961 : Tanger ; automne 1961 : USA ; fin 1961-été
1962 : Angleterre ; puis retour à Tanger, que l'auteur
quitte définitivement en décembre 1964.
Noël 1964 : bref séjour-souvenir à Saint Louis ;
début 1965 : New York, jusque septembre, où
nouvelle installation à Londres.
1967, séjours à Tanger et Marrakech, début de
l'épopée des Garçons sauvages. Début 1968,
engouement pour la Scientologie. Août 1968,
reportage à Chicago sur la Convention démocrate.
Vie à Londres dépourvue d'événements marquants et
entièrement consacrée à l'écriture.
1974, installation à New York. Vie plus tournée
vers l'extérieur. Cours sur l'écriture. Lectures dans
de nombreuses salles et facultés américaines et
canadiennes. Rubrique mensuelle dans le magazine
Crawdaddy à partir de juin 1975. Participation aux
sessions estivales de l'Institut Naropa à Boulder,
Colorado. Colloque de Tanger à Genève, septembre
1975. Lecture à Berlin, septembre 1976. Centre
Georges-Pompidou, juin 1977. Newcastle, juin
1978. Amsterdam, festival One World Poetry, 15 et
16 septembre 1978. Et, en attendant la Nova
Convention new-yorkaise (décembre 1978), William
Burroughs toujours écrivant...
124
ERGOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE de William S. Burroughs.
Junkie, par William Lee, Ace Books, New York, 1953.
Junkie, traduit par Catherine Cullaz et Jean-René
Major, Pierre Belfond, Paris, 1972. The Naked Lunch, The Olympia
Press, Paris, 1959.
Le Festin nu, traduit par Eric Kahane, Gallimard,
Paris, 1964.
Minutes To Go, par Sinclair Beiles, William Burroughs, Gregory Corso,
Brion Gysin, Two Cities Editions, Paris,
1960.
The Exterminator, par William Burroughs et Brion Gysin, The
Auerhahn Press, San Francisco, 1960.
The Soft Machine, Olympia Press, Paris, 1961. La Machine molle,
traduit par Mary Beach, adaptation de Claude Pélieu, Christian Bourgois,
Paris, 1968.
The Ticket That Exploded, Olympia Press, Paris, 1962. Le ticket qui
explosa, traduit par Mary Beach, adaptation de Claude Pélieu, Christian
Bourgois, Paris, 1969.
The Yage Letters, par William Burroughs et Allen Gins-berg. City Lights
Books, San Francisco, 1963. Les lettres du Yage, traduit par Mary
Beach, adaptation de Claude Pélieu, L'Herne, Paris, 1967.
Dead Fingers Talk, Calder and Boyars, Londres, 1963.
Nova Express, Grove Press, New York, 1964. Nova Express, traduit par
Mary Beach et Claude Pélieu, L'Herne, 1967.
Time, ' C ' Press, New York, 1965. Voir
Révolution électronique.
Apo-33, Beach Books, 1966.
Apomorphine, traduit par Mary Beach et Claude Pélieu, L'Herne, 1969.
The Dead Star, The Nova Broadcast Press, San Francisco, 1969.
Voir Révolution électronique. The Last Words of Dutch Schultz,
Cape Goliard Press, Londres, 1970.
Les Derniers Mots de Dutch Schultz. traduit par Mary Beach et Claude
Pélieu, Christian Bourgois, Paris, 1972.
The Job, Grove Press, New York, 1970.
Entretiens avec William Burroughs, par Daniel Odier,
Pierre Belfond, Paris, 1969. The Wild Boys, A Book of the Dead,
Grove Press, New
York, 1971.
Les Garçons sauvages, un livre de morts, traduit par Mary Beach et
Claude Pélieu, Christian Bourgois, Paris, 1973.
Electronic Révolution, coll. OU, Grande-Bretagne, 1971. Révolution
électronique, suivi de Time et de Etoile morte, traduit par M"' Jean
Chopin, Champ libre, Paris, 1974.
Exterminator !, The Viking Press, New York, 1973. Exterminateur !,
traduit par Mary Beach et Claude Pélieu-Washburn, Christian Bourgois,
Paris, 1974.
White Subway, Aloes, Londres, 1973.
Le Métro blanc (version considérablement modifiée du précédent),
assemblé et traduit par Mary Beach et Claude Pélieu-Washburn, Fiction &
Cie, Bourgois/ Seuil, Paris, 1976.
Port of Saints, Covent Garden Press-Am Here Books, 1973.
Havre des saints, traduit par Philippe Mikriammos, Connections,
Flammarion, Paris, 1977.
The Job, nouvelle édition revue et augmentée (« Playback From Eden to
Watergate » et « Electronic Révolution »), Grove Press, New York, 1974.
Le Job, nouvelle édition mise a jour par Philippe Mikriammos,
(augmentée seulement de Playback d'Eden à Watergate), Pierre
Belfond, Paris, 1979.
The Book of Breething, Grande-Bretagne, 1974.
Le Livre des respirations, traduit par Jean Chopin, coll. OU,
Grande-Bretagne, 1974.
The Last Words of Dutch Schultz, A Fiction in the Form of a Film
Script, illustré, Viking Press, New York, 1975.
Sidetripping, par Charles Gatewood et William S. Burroughs, Strawberry
Hill, New York, 1975.
Ah Pook Is Here, 1975, inédit. Ah Pook est là, traduit par Philippe
Mikriammos, Christian Bourgois, Paris, à paraître.
The Retreat Diaries, The City Moon, New York, 1976. Les journaux de
retraite, traduit par Gérard-Georges Lemaire, Christian Bourgois, Paris, à
paraître.
Cobble Stone Gardens, Cherry Valley Editions, 1976. Cobble Stone
Gardens, traduit par Gérard-Georges Lemaire, Christian Bourgois, Paris,
à paraître.
Junky, première édition complète et non expurgée, Pen-guin Books, 1977.
Le Camé, mis à jour par Philippe Mikriammos, Pierre Belfond, Paris, 1979.
The Third Mind, par W. Burroughs et B. Gysin, Viking Press, New York,
1978.
Œuvre croisée, traduit par Gérard-Georges Lemaire et Christine Taylor,
Connections, Flammarion, Paris, 1976.
FILMS
Towers Open Fire, par Antony Balch, 1964. Cut Ups, par Antony Balch,
1965. Chappaqua, par Conrad Rooks, 1966.
DISQUES
Call Me Burroughs, Paris, 1965.
William S. Burroughs/John Giorno, Giorno
Poetry
Systems, New York, 1975.
QUELQUES PUBLICATIONS CONTENANT DIVERS TEXTES DE WILLIAM BURROUGHS
So Who Owns Death TV?, par William S. Burroughs, Claude Pélieu et
Cari Weissner, Beach Books, 1967.
William Burroughs, Claude Pélieu, Bob Kaufman, L'Herne, Paris,
1967.
The Academy Séries, publié dans le magazine britannique Mayfair,
octobre 1967-décembre 1970.
Some of it, Knullar, Grande-Bretagne, 1969.
Ginger Snaps, Kontext Publications, Grande-Bretagne, 1972.
Let The Mice In, par Brion Gysin, Something Else Press,
USA, 1973. Soft Need, n°
8, 1973.
A Descriptive Catalogue o f the W.S. Burroughs Archive, Covent
Garden Press, 1973.
Oui, vol. 2, n° 8, août 1973.
Jean Genêt in, Tangier, par Mohamed Choukri, The Ecco
Press, New York, 1974. Désert dévorant, par Brion
Gysin, traduit par Livia Standersi, Connections, Flammarion, 1975. Arcade, vol. 1,
n° 4, hiver 1975, Berkeley. A Décade & Then Some,
Intrepid Anthology, 1976. S o f t Need, n° 9,os 1976. Tel
Quel, n° 66, été 1976, Paris. Interférences, n 5-6, octobre
1976. Rush, vol. 1, n° 3, décembre 1976, New York.
Transatlantic Review, n" 60, juin 1977, Londres-New
York. New Times, vol. 9, n° 10, novembre 1977, New
York. Crawdaddy, juin 1975...
ENTRETIENS ET INTERVIEWS
Paris Review, vol. ix, n° 31, automne 1965.
Penthouse, vol. 3, n° 7, mars 1972.
Rolling Stone, n° 108, 11 mai 1972.
Le Monde, 18 janvier 1974.
Rolling Stone, 28 février 1974.
Gay Sunshine, n° 21, printemps 1974.
The Real Paper, 6 novembre 1974.
The Beat Book, 1974.
Snack, Aloes Books, 1975.
Mainmise, Canada, n° 47, mai 1975.
Journal de Genève, 4 octobre 1975.
Kontexts, n° 8, printemps 1976.
The Beat Diary, 1977.
Andy Warhol's Interview, New York, février 1977.
Village Voice, New York, 16 mai 1977.
Libération, 6 juillet 1977.
The Paris Métro, vol. 2, n° 16, 3 août 1977.
La Quinzaine littéraire, n" 266, 1" novembre 1977.
Le Matin, 3 et 4 juillet 1978.
OUVRAGES CONSACRES A WILLIAM BURROUGHS
126
par Philippe Mikriammos, Littérature, Seghers, Paris, 1975.
Le Colloque de Tanger, réuni par Gérard-Georges Lemaire,
Christian Bourgois, Paris, 1976.
The Algebra o f Need, par Eric Mottram, Marion Boyars,
Londres, 1977.
A la recherche d'un corps, par Serge Grunberg, Fiction
& Cie, Seuil, Paris, 1979. Le Colloque de Tanger,
10-18, Paris, 1979.
William S. Burroughs,
CHOIX D'ETUDES, TEXTES OU ARTICLES RECENTS SUR WILLIAM BURROUGHS
Luna-Park, n° 1, hiver 1974, Bruxelles. Entretiens, n° 34,
1975, Rodez. Naked Angels, par John Tytell,
McGraw-Hill, 1976. International Herald Tribune, 3 mars
1976. The New Review, vol. 3, n° 25, avril 1976, Londres.
Revue française d'études américaines, n° 1, avril 1976,
Paris.
Le Monde, 12 novembre 1976.
Cahiers critiques de la littérature, n° 2, décembre 1976.
L'aliénation dans le roman américain contemporain, par
Pierre Dommergues, 10-18, Paris, 1977. L'œiLisant,
mars 1977. Po&sie, n° 1, juin 1977.
Les écrivains beats et le voyage et Chronologie des écrivains beats jusqu'en 1969, par Jacqueline Starer, Didier,
Paris, 1977.
Les nouvelles littéraires, n° 2592, 7 juillet 1977.
Cahiers critiques de la littérature, n° 3/4, été 1977.
Exit, n° 12/13, automne 1977.
Opus, n° 64, automne 1977.
Tréma, n° 2, 1977.
T X T , n° 10, 1978.
Critique, n° 372, mai 1978.
Le Nouvel Observateur, 29 juillet 1978.
Les Iconoclastes, par Jean-Joseph Goux, Seuil, Paris,
1978.
Cahiers critiques de la littérature, n° 5, automne 1978.
127
ACHEVE D'IMPRIMER SUR LES
P R E S S E S DE L'IMPRIMERIE S.E.G. 33,
RUE
BERANGER,
A
CHATILLON-SOUS-BAGNEUX
Numéro d'imprimeur : 858 Numéro
d'éditeur : 164 Dépôt légal : 1er
trimestre 1979
WILLIAM BURROUGHS
entretiens avec
D A N I E L ODIER
Quand fut publiée, en 1968, la première édition des entretiens de
Daniel Odier avec William Burroughs, son œuvre ne connaissait
encore qu'une circulation souterraine. Aujourd'hui, ses textes sont
plus lus et commentés en France que partout ailleurs. C'est pourquoi
s'imposait la réédition de ce texte capital.
Mis à jour, augmenté et accompagné d'un appareil critique sous la
direction de Philippe Mikriammos, ces entretiens comprennent de
nombreux inédits, dont Playback d'Eden à Watergate.
Du Festin nu aux Garçons sauvages, William Burroughs a intriqué
les récits hiéroglyphiques de voyages hallucinés dans l'espace
textuel. Nul n'est allé plus loin que lui dans l'expérience de la langue,
au moment où la langue se dédouble, crée les figures terribles d'une
mythologie ambiguë et projette l'écriture dans un conflit qui oppose
des êtres de fantasme et des monstres issus d'un trop de réalité à
venir.
Gérard-Georges LF-MA1RF!
Photo de couverture : Charters
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