Aspects culturels et symboliques de l`asperge et la fraise
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Aspects culturels et symboliques de l`asperge et la fraise
Le mariage des asperges et des fraises n’est ni nouveau, ni incongru. De vieux ouvrages tels que Les asperges et les fraises de Valentin-Ferdinand Lebœuf (1863) ou le Traité de culture rationnelle des asperges et des fraises d’Henri Ballédent (1901) permettent de le vérifier. Des publicités, qu’elles soient de 1882 (GodefroyLebœuf, Argenteuil) ou de 1963 (André Marionnet, Soings-en-Sologne) montrent également que ces deux cultures ont souvent été associées. Ceci est d’abord dû à leurs époques de production concomitantes mais aussi au type de sols alluviaux et sableux qu’elles affectionnent toutes deux. Dès le XVIIe siècle, certain artistes, comme Adriaen Coorte se sont plu à les représenter ensemble. Asperges avec fraises et groseilles Adriaen Coorte -1698 - Dordrechts Museum. 1 LES ASPERGES L’asperge a besoin d’un terrain léger et meuble, c’est pourquoi le Val de Loire orléanais et la Sologne lui sont propices. Connue dès la Rome et la Grèce antiques, elle serait arrivée en Europe par le Nord et fit l’objet d’une culture organisée dans la région d’Argenteuil dès le début du XIXe. L’histoire raconte que l’asperge d’Argenteuil aurait été introduite en Sologne en 1877 par un gendarme revenant du siège de Paris. Les journaux agricoles de la fin du XIXe siècle (1890-1895) révèlent, également, des producteurs d’asperges et de plants d’asperges dans le Val de Loire Orléanais à Bou, Chécy, Darvoy, St Denis-de-l’Hôtel, Sandillon et Vennecy. Comme en Seine et Oise il était à l’époque, coutumier d’associer la culture de la vigne à celle de l’asperge, pratique qui a perduré jusqu’en 1914. Bulletin Syndicat Agriculteurs du Loiret, 1894 Les asperges se développent à partir d’une racine appelée « griffe » et ne sont réellement productives qu’à partir de 4 années. Dans nos régions, où elles sont consommées blanches, on coupe le turion (ou tête) quand il a atteint 5 cm au dessus du sol, à l’aide d’une grande gouge dite « couteau à asperge ». Laissées en terre elles s’élèvent en manière d’arbrisseau écrit Louis Lémery en 1705, dans son Traité des aliments, ce qui fait dire à Robert Courtine dans sa Célébration de l’asperge que l’on voit là clairement, la manifeste supériorité de l’asperge sur tant d’autres fruits de la terre : « La pomme de terre pourrit, la carotte se fane, le petit pois éclate...l’asperge ne devient ni graine, ni détritus végétal, ni fumier : elle devient arbre. » Symbolique L’asperge est considérée comme annonciatrice du printemps. Il est toutefois peu fréquent d’en déguster dès le mois de mars. « La première asperge est liée au premier lilas, au chant du coucou, à l’éveil de la vigne. » écrit également Robert Courtine ajoutant, pour celle qui est montée en graine : « J’y vois là un symbole. Le printemps s’épanouit en arbre d’asperge ». En Orléanais, habituellement on estime que la période des asperges va de la Saint-Georges (23 avril) à la Saint-Jean (24 juin). Dans leur serment, les Compagnons de la confrérie de l’asperge d’Argenteuil, la reculent encore : « Quand reviendra le mois de mai / En bon Compagnon d’Argenteuil / Asperges je savourerai ». Au royaume des légumes les asperges bénéficient d’un statut particulier : bien qu’elles soient en terre on les cueille ou on les lève, on ne les épluche pas mais on les pèle ou on les plume, expression employée par Marcel Proust dans Du côté de chez Swann. Expressions et traditions populaires Avoir « grandi comme une asperge » lorsque l’on parle d’un adolescent ou d’une « asperge » à propos d’une personne grande et maigre, sont des expressions suffisamment explicites. La forme même du légume a donné lieu à quelques interprétions grivoises. Ainsi, en argot, « aller aux asperges » est la principale activité des prostituées. L’hymne à l’asperge chanson à boire bien connue de Paul Clérouc (1934) est sur ce point quelque peu ambigüe : Asperge, asperge divine/ Pour nous tu as que des appâts / Si les roses ont des épines / Asperge tu n’en as pas. L’asperge est mise à l’honneur depuis 1953 à Tigy avec une grande « Foire aux asperges » qui se tient le 3ème dimanche de mai. La liliacée sert à cette occasion à la réalisation d’œuvres artistiques éphémères dans le cadre d’un concours de présentation de maquettes auquel s’est adjoint depuis quelques années un concours gastronomique. 2 Argenteuil (en compagnie de Monet) qu’il consacra plusieurs de ses œuvres aux asperges (1880). D’Adriaen Coorte dès le XVII e siècle, à Dalazs Buda de nos jours en passant par François Bonvin et Hippolyte Delanoy au XIXème, les bottes d’asperges ont inspirées bien d’autres artistes. Maquette « La traversée de l’asperge », foire aux asperges de Tigy 17 mai 2015 L’asperge dans les arts. En littérature Marcel Proust, donc, mais aussi Alexandre Dumas ou encore Michel Leiris se sont intéressés à l’asperge et de façon indirecte, Frédéric Dard avec San Antonio dans Laissez pousser les asperges. La botte d’asperges, Edouard Manet, 1880, Wallraf-Richartz Museum, Cologne Pour ce qui est de la peinture, sans doute est-ce parce qu’Edouard Manet (1832-1883) alla travailler à LES FRAISES La fraise est un fruit fortement célébré sur tout le territoire français. Si nous pouvons nous targuer d’en avoir en Val de Loire et en Sologne la culture de celle-ci est énormément répandue et très souvent valorisée. De nombreux ouvrages existent relatifs à la culture de la fraise que ce soit dans le Périgord (C. Hilaire), le Vaucluse (E. Zaxcahrewicz), la Corrèze (G. Quincy) ou à Plougastel-Daoulas (M-J QuintinKervela). On constate également que des grandes « Fêtes de la Fraise » sont tout aussi bien organisées dans les Alpes-Maritimes (Carros), le Calvados (Grentheville), la Corrèze (Beaulieu-sur-Dordogne), la Dordogne (Vergt), le Finistère (PlougastelDaoulas), le Nord (Tressin, Lecelles, Verlinghem), le Vaucluse (Carpentras, Velleron) ou l’Essonne (Bièvres). La fraise du Périgord (dite « rubis du Périgord ») bénéficie d’un label d’Indication Géographique Protégée (IGP) et réunit plus de 200 récoltants en organisations de producteurs. Symbolique « Petit fruit rouge et blanc, qui croît dans les jardins et dans les bois. Il ressemble au bout des mamelles des nourrices », telle est la définition que donne, en 1702, Antoine Furetière, de la fraise dans son Dictionnaire universel. Bien avant, en 1587, Jean Bonnefons avait écrit dans La Pancharis : « Au bout de chaque téton / Rougit un petit bouton / Qui parait sur sa mamelle/ Comme une fraise nouvelle ». Cette interprétation érotique se retrouve chez plusieurs auteurs : Marot, Ronsard, Michelet et Sade. Les appellations données aux variétés de fraises sont innombrables et bien souvent féminisée : Madame Meslé, Madame Moutot, Marguerite Lebreton, Carolina superba, Jucunda, Victoria, sans compter les nombreuses « Belle » qu’elles soient de Meaux, de la Péraudière, de Coar, de Paris ou encore « Belle Bordelaise », « Belle Lyonnaise » ou « Belle Rochelaise ». Dans le catalogue général de la grande graineterie Cruchet, 5 rue des Carmes à Orléans, pas moins de 61 variétés sont citées en 1906. Parmi elles nous trouvons la « Gloire d’Orléans : fruit allongé de bonne qualité, recommandé par sa beauté et sa fertilité ». Expressions populaires Selon Jean-Luc Hennig, « Aller aux fraises » ou « cueillir la fraise » supposait bien qu’on allait voir la « feuille à l’envers ». La fraise était un prétexte et l’amour une gourmandise : « Ah ! Qu’il fait bon / Cueillir la fraise / Au bois de Bagneux / Quand on est deux » dit un air connu du Bijou perdu, opéra 3 comique d’Adolphe Adam. La chanson grivoise Ah ! Les Fraises et les framboises (1926) est il est vrai, quant à elle, sans équivoque. Dans les années 1920-1930 plusieurs autres chansons reprennent ce thème : Allons cueillir les fraises, En cueillant des fraises, Fraise d’amour, etc. les fraises », citons Bernard Londinsky, Dalàzs Buda et Christian Labelle. Panier de fraises des bois - Jean-Baptiste-Siméon Chardin - 1761 D’autres expressions se retrouvent dans le langage populaire telles « sucrer les fraises », signe de tremblotement et de vieillesse. On pense d’une personne qui a « un nez comme une fraise » qu’elle s’adonne plus que de raison à la boisson. "Ramener sa fraise" peut signifier arriver dans un groupe mais le plus souvent, veut dire intervenir de façon inopportune dans une discussion. Quant aux « envies de fraises », se sont des signes prémonitoires forts connus pour les femmes enceintes. Outre l’ouvrage de Jennifer Weiner Envies de fraises (2005), Au secours ! Elle veut des fraises de Gaëlle Renard (2006) et J’ai envie de fraises ! de Marion Cailleret (2009) traitent aussi de ce sujet. Peinture Les fraises ont toujours inspirées les peintres qui les ont représentées le plus souvent dans des coupes ou paniers. C’est le cas au XVIIe siècle avec le suisse Joseph Plepp, le hollandais Adriaen Coorte ou le français Du Melezet. Au siècle suivant Jean-BaptisteSiméon Chardin peint son Panier de fraises des bois. Une autre œuvre de l’Ecole française du XVIIIe siècle Les fraises dans un saladier est conservée au Musée des arts de Quimper. Plusieurs artistes peintres contemporains « donnent aujourd’hui dans La fraise et la culture. Pour ce qui est de la littérature, il convient d’ajouter, Zola avec un de ses « Nouveaux contes à Ninon » (1874) intitulé Les Fraises et en poésie Les fraises des bois du chansonnier Pierre Dupont (1850). Dans le domaine de la littérature enfantine, outre les albums Charlotte aux fraises (Fraisinette au Canada) reprenant la série télévisée américaine diffusée par M6 de 1980 en 1985, on peut citer d’autres auteurs et illustrateurs qui ont utilisé ce thème des fraises : Audrey et Don Wood, Bruno Heitz, Bénédicte Guettier, Gilles Baum et Thierry Dedieu, lesquels, eux aussi, comme Nathalie Leone et Jérémy Parigi ou Jean-Charles Sarrazin ont parfois des petits personnages nommés « Fraise ». Les fraises ont atteint d’autres secteurs culturels comme le théâtre, d’André Theurier (Les fraises 1878) à Jean-Michel-Ribes (Les fraises musclées 1970), le cinéma avec Les fraises sauvages d’Ingmar Bergman (1957) et Des fraises et du sang de Stuart Hagman d’après James Kunen (1970), ainsi plus récemment que la chanson avec Les Fraises d’Areski Belkacem (2010). Texte : Christian CHENAULT, ethnologue, Vice-président de l’A.G.R.A.C.O Mise en page : Christelle LECOCQ (Journal consultable sur agraco.free.fr ) 4