Dossier professeur

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Dossier professeur
Bérénice
de RACINE
Développement des clés d’analyse
Par Cécile Lignereux
Petits Classiques Larousse
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Bérénice de Racine
Acte 1, scènes 1 et 2
Clefs d’analyse
Compréhension
Une exposition progressive
● Définir la configuration des lieux évoquée par Antioche (vers 1 à 10) et le climat
qu’elle crée.
Rappelons que la didascalie initiale précise que « La scène est à Rome, dans un
cabinet qui est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice. » Arsace ne se
contente pas de présenter les lieux à Antiochus (et donc au spectateur, en vertu de la
double énonciation propre au théâtre), il insiste également sur :
- le luxe et la majesté des lieux (« la pompe », « ce cabinet superbe »), qui les
rendent imposants, impressionnants, voire peut-être oppressants. On peut d’ailleurs
souligner que le thème de l’atmosphère oppressante qui règne à la cour est développé
de façon insistante tout au long de l’acte I. D’abord, la vie à la cour de Titus se
caractérise par la hiérarchie très stricte qui règle les rapports entre ses membres et qui
fixe des distances infranchissables entre des personnes qui ne sont pas du même rang
(v. 16, v. 90-91, v. 93-96, v. 251). Ensuite, la vie de cour est dominée par les intrigues
et les flatteries des courtisans, soucieux d’être en faveur auprès des plus puissants.
Ainsi Arsace évoque-t-il les courtisans qui s’empressent autour de la future
impératrice (v. 53-54) ou la « cour qui l’accable » (v. 68). De même, Bérénice se
présente dès son entrée en scène comme assaillie par les courtisans (v. 135-137, v.
148) convaincus que son mariage avec Titus va être célébré prochainement. Enfin, la
cour de Titus est présentée comme étant toujours en butte aux rumeurs, aux regards et
aux commentaires publics. La cour est, de fait, constamment exposée aux rumeurs (v.
128) et à une opinion publique puissante et tyrannique, à laquelle rien ni personne ne
peut s’opposer (v. 292-296) ;
- le caractère secret, protégé, intime, de ce lieu qui se soustrait aux regards de la
cour ; c’est un lieu privilégié qui offre un refuge à Titus (v. 4) et abrite ses rendezvous avec Bérénice (v. 5-6) – ce qui donne au spectateur l’impression de pénétrer dans
l’intimité du couple ;
- la situation carrefour de ce cabinet entre les appartements des deux amants, qui
sont tous les deux attenants à ce cabinet – ce qui fait apparaître ce lieu comme un
possible lieu d’attente de l’autre.
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Bérénice de Racine
● Relever les informations données sur l’action en cours dans ces deux premières
scènes.
On peut rappeler qu’une exposition de théâtre, parce qu’elle est située au début de la
pièce, a pour fonction de présenter l’action et les personnages au public. Elle doit
fournir les éléments nécessaires à la compréhension de la situation initiale
(protagonistes, époque, lieux, données de l’intrigue). Mais elle doit le faire de manière
progressive, naturelle et efficace. De manière progressive d’abord, dans la mesure où
le spectateur ne peut pas enregistrer trop d’informations visuelles et verbales à la fois.
De manière naturelle ensuite, afin d’éviter le caractère artificiel et conventionnel de
cette nécessaire transmission d’informations au spectateur par l’intermédiaire des
personnages. De manière efficace enfin, puisqu’il s’agit de piquer la curiosité du
spectateur et de lui faire attendre la suite. C’est ainsi que Racine, dans les deux
premières scènes, distille un certain nombre d’informations sur l’action en cours, qui
s’avèrent propres à susciter l’intérêt du spectateur. La première scène apprend au
spectateur le caractère oppressant du palais impérial (qui laisse deviner le poids de la
cour) ; les sentiments qui unissent Titus à Bérénice ; les sentiments qui ont uni
Antiochus à la reine (v. 13) ; le prochain mariage entre Titus et Bérénice. La deuxième
scène l’informe de l’amour d’Antiochus pour Bérénice, qui n’a jamais faibli en dépit
de cinq années de silence.
Certes, en rappelant les événements passés, les protagonistes de l’exposition
dévoilent les données de l’intrigue et annoncent un événement imminent dont dépend
la suite de la pièce (le mariage de Titus et Bérénice). Mais l’acte d’exposition dépasse
largement son but informatif en entretenant un certain mystère autour des personnages
principaux et en provoquant chez le spectateur des attentes nouvelles.
L’entrée en scène d’Antiochus
● Définir en quoi l’image d’Antiochus donnée par Arsace et celle donnée par son
monologue s’oppose fortement.
Au cours de ces deux premières scènes, deux images d’Antiochus s’opposent :
- l’image donnée par Arsace est celle d’un « ami fidèle » de la reine, qui fut
« son amant autrefois », mais qui se contente aujourd’hui de lui manifester un « soin
généreux ». Et surtout, Arsace insiste sur le rang et la puissance d’Antiochus (v. 14).
Bref, Arsace ne semble voir en lui qu’un homme puissant qui devrait tirer profit de sa
situation auprès de Titus (c’est ainsi qu’à la scène 3 Arsace, qui ne raisonne qu’en
termes de stratégie et de pouvoir, croit pouvoir persuader Antiochus de rester à Rome
en cherchant à éveiller en lui le goût de la gloire) ;
- l’image que donne Antiochus de lui-même au cours de son monologue est
celle d’un homme à la fois éperdument amoureux, d’un amant angoissé et indécis qui
hésite entre les deux possibilités qui s’offrent à lui, d’un homme désespéré et lucide
qui, parfaitement conscient que son amour est voué à l’échec, sombre facilement dans
la mélancolie.
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Bérénice de Racine
Réflexion
Le monologue d’un amoureux qui souffre
● Analyser les manifestations de l’émotion dans la parole d’Antiochus (jeu des
pronoms, vocabulaire, ponctuation, interjections, répétitions, effets de versification).
Le thème de l’amour sans espoir qui condamnant l’amant infortuné à la souffrance est
rendu encore plus pathétique par la forme même du monologue d’Antiochus, qui
contient de nombreuses manifestations d’émotion, telles que :
- le jeu des pronoms, qui traduit l’état de trouble, voire d’égarement mental du
locuteur ; Antiochus s’adresse à lui-même (v. 19) avant de s’adresser à Bérénice qui
est absente (v. 38-46),
- le vocabulaire (qui développe les thèmes profondément élégiaques du regard, de la
fuite et de l’amour malheureux mais aussi du silence imposé),
- la ponctuation très expressive, qui fait apparaître l’état de confusion et d’hésitation
du locuteur (on compte quinze interrogatives),
- les interjections, qui laissent entrevoir à quel point Antiochus est bouleversé (« Hé
bien », « Ah ! », « Hé quoi ? », « hélas ! »),
- les répétitions, qui contribuent au pathos du monologue (« trembler/tremble »,
« aime/amour/amant »,
« partir/partons »,
« toujours »,
« cinq
ans »,
« espérance/espoir »),
- les effets de versification ; on peut relever notamment des coupes inattendues (v. 9,
v. 29, v. 34, v. 35, v. 37, v. 40) et un rejet (v. 46) qui met particulièrement en valeur la
proposition principale, retardée par une accumulation de propositions subordonnées
circonstancielles de temps et une apposition.
Le monologue d’un être indécis
● Analyser comment la composition du monologue d’Antiochus met en valeur à la
fois la douleur et les craintes de celui-ci.
La composition du monologue met en valeur la douleur et les craintes d’Antiochus.
Son monologue est en effet fondé, d’une part, sur les hésitations du personnage face
aux deux possibilités qui s’offrent à lui et, d’autre part, sur le va-et-vient entre passé,
présent et avenir :
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Bérénice de Racine
- il avoue son émotion, liée à la crainte de révéler ses sentiments à la reine (v. 19-22),
- il revient sur les cinq dernières années pendant lesquelles il a respecté le silence sur
ses sentiments que lui a imposé la reine (v. 23-26),
- il insiste sur le mariage à venir entre Titus et Bérénice (v. 27-29),
- il envisage tour à tour les deux possibilités qui s’offrent à lui (se taire, v. 29-34, ou
parler à Bérénice, v. 35-47),
- il prend finalement sa décision en toute lucidité (v. 48-50), ne se faisant aucune
illusion sur son sort.
Ainsi se trouvent évoqués aussi bien le passé lointain (l’ordre de Bérénice et les
cinq années de silence qui ont suivi), le présent (la souffrance et le désespoir
d’Antiochus), le futur proche (le mariage à venir de Titus et de Bérénice, l’aveu
qu’Antiochus s’apprête à faire à celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer, son départ
imminent) et le futur (la vie d’Antiochus, condamné au désespoir et à la mélancolie,
loin de Bérénice).
● Imaginer le jeu de l’acteur interprétant le rôle d’Antiochus (aspect physique, ton,
attitude, gestes) et l’impression produite sur le public.
On peut imaginer de la part de l’acteur jouant le rôle d’Antiochus un jeu très contrasté
selon les différents moments de ce monologue.
- D’abord, il peut (jusqu’au vers 37) apparaître comme un homme qui souffre,
submergé par l’émotion. Pour cela, on peut imaginer un jeu tout en retenue, plein de
tristesse et de mélancolie – l’acteur pouvant par exemple parler d’un ton morne et
grave, paraître replié sur lui-même, ne faire que très peu de gestes, adopter une
attitude angoissée.
- Ensuite, au moment où il feint de s’adresser à Bérénice (v. 38-46), l’acteur peut
changer radicalement de jeu afin de faire ressortir l’emportement éloquent, plein d’un
lyrisme exacerbé, des paroles qu’Antiochus semble s’entraîner à prononcer. On peut
ainsi imaginer un changement radical dans le débit et l’intensité de la voix, mais aussi
dans la posture de l’acteur, qui pourrait alors se redresser et prononcer son discours
avec véhémence, voire violence.
- Enfin, au moment où Antiochus juge de l’effet que pourra produire ce discours sur la
reine, le désespoir lucide, le défaitisme et la souffrance le submergent à nouveau – ce
qui pourrait se traduire par un jeu à nouveau plein d’abattement et de mélancolie.
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Bérénice de Racine
Acte I, scène 5
Clefs d’analyse
Compréhension
La valeur prémonitoire des inquiétudes de Phénice
● Quels nouveaux renseignements donnés par Phénice viennent compléter
l’exposition ?
Phénice, au moment où elle laisse transparaître ses inquiétudes quant au sort de
Bérénice, fournit au spectateur (en vertu de la double énonciation propre au théâtre)
trois renseignements nouveaux : premièrement, Titus « n’a point encore expliqué sa
pensée » ; deuxièmement, Rome n’apprécie guère Bérénice (v. 293) ; enfin, les lois
romaines interdisent à l’empereur d’épouser une reine (v. 295-296) – autant
d’informations propres à susciter l’inquiétude du spectateur et à accroître la tension
dramatique.
● Définir le double intérêt psychologique et dramatique de cette scène.
D’un point de vue dramatique, cette scène permet de commencer à nouer l’intrigue en
faisant apparaître les obstacles qui s’opposent au bonheur de l’héroïne. D’un point de
vue psychologique, elle permet de faire comprendre au spectateur combien Bérénice
est enfermée dans sa passion pour Titus : elle montre à quel point Bérénice reste
sourde aux avertissements et aux paroles pleines de bon sens de Phénice. Aveuglée par
la passion, elle se complaît en effet dans l’illusion, le fantasme et la rêverie
amoureuse. Son discours, plein d’exaltation lyrique, est celui d’une amante passionnée
qui aime à s’autopersuader de son bonheur au point d’être incapable d’entendre la
voix de la raison et de la prudence.
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Bérénice de Racine
L’aveuglement de Bérénice, qui refuse d’entendre les
conseils et les avertissements de sa confidente.
● Expliquer comment Bérénice réagit aux propos de Phénice, qui s’inquiète de
l’optimisme prématuré et excessif de sa maîtresse (commenter notamment les vers
289-291 et 297-300)
Bérénice paraît sûre d’elle et de son bonheur tout proche, au point de ne pas
comprendre les avertissements de Phénice :
- v. 289-291, alors que Phénice, prévoyante et lucide quant aux obstacles qui
s’opposent au mariage de Bérénice et de Titus, se montre soucieuse de préparer
l’avenir en soulignant que Bérénice aurait dû retenir Arsace, Bérénice refuse de
« flatter une ardeur insensée ». En effet, l’amour l’empêche de faire preuve de
réalisme et la rend aveuglément confiante en celui qu’elle aime ;
- v. 297-300, alors que Phénice lui expose clairement les obstacles qui s’opposent à
son mariage avec Titus, Bérénice a confiance non seulement en l’amour mais aussi en
la puissance de Titus – elle a toute confiance en lui (elle ne « tremble » plus),
persuadée que, puisqu’il l’aime (v. 298), Titus saura convaincre « le Sénat » et « le
peuple » de l’accepter. Pour elle, il ne fait aucun doute que Titus imposera sa volonté
et fera triompher leur amour.
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Bérénice de Racine
Réflexion
Le déploiement du lyrisme amoureux
● Analyser l’évocation lyrique de Titus par Bérénice.
Lorsque Bérénice se laisse aller à évoquer l’homme qu’elle aime, elle le fait grâce à un
discours plein de lyrisme, exprimant les émotions intimes qu’elle ressent lorsqu’elle se
remémore « un souvenir charmant », de façon à les faire partager par le spectateur. Le
lyrisme de son évocation est repérable à travers :
- les choix lexicaux (qui développent des thèmes en accord avec la passion dévorante
qui l’anime, tels que celui de la lumière et du feu, celui de la victoire et de la gloire
impériale, et celui de la puissance de Titus),
- les choix syntaxiques (énumérations, exclamations),
- les choix rhétoriques (on peut relever, parmi les figures de style les plus expressives,
les interrogations rhétoriques, les emplois anaphoriques des démonstratifs et surtout
les hyperboles et les gradations, comme aux vers 303-305),
- les choix rythmiques (notamment en ce qui concerne les énumérations),
- le choix des temps verbaux (fondé sur un va-et-vient entre présent, passé et avenir
propre à traduire les folles espérances de Bérénice).
Une hypotypose particulièrement efficace
● Dans la tirade de Bérénice (vers 301-316), analyser les procédés descriptifs qui font
de son récit une véritable hypotypose, c’est-à-dire un tableau tellement vivant que ce
qui est décrit semble se passer sous les yeux du spectateur.
L’évocation du triomphe de Titus par Bérénice se présente comme une hypotypose,
c’est-à-dire un tableau tellement vivant que ce qui est décrit semble se passer sous les
yeux du spectateur. Parmi les procédés descriptifs caractéristiques de l’hypotypose,
citons notamment l’évocation d’une réalité passée, l’énumération descriptive,
l’importance du regard, les qualités picturales des couleurs et des oppositions entre
ombre et lumière.
On peut par ailleurs souligner que de nombreux procédés accentuent
l’expressivité de cette hypotypose (travail du rythme, usage des démonstratifs,
répétitions, anaphores, oppositions, effets de sonorités) qui, loin d’être une description
objective, est une véritable recréation subjective des faits, transfigurés par les
fantasmes de Bérénice.
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Bérénice de Racine

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