LITT6 : Lecture de vacances…

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LITT6 : Lecture de vacances…
 LITT6 : Lecture de
vacances…
Ce travail s’appuie sur le groupement de textes que vous trouverez juste après les questions. 1) Parmi ces poèmes lyriques s’est glissé un intrus... Lequel ? Justifiez.
2) Donnez le titre d’un sonnet en alexandrins présent dans ce groupement de textes.
Comment sont disposées les rimes dans le premier quatrain ?
3) Recopiez le poème que vous avez préféré en soignant la présentation.
4) Donnez votre interprétation de ce poème (ce que vous en avez compris).
5) Cherchez une chanson d’aujourd’hui qui, selon vous, se rapproche de la poésie
lyrique.
a) Présentez-la (auteur, interprète, date, thème, style musical…).
b) Expliquez en quoi cette chanson est poétique (c’est-à-dire en quoi elle témoigne
d’un vrai travail d’écrivain, loin des tubes commerciaux)
c) Prouvez qu’elle est lyrique, par au moins deux arguments (voir définition LITT 2)
Demain, dès l'aube...
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856 Portrait de Léopoldine Hugo, morte par noyade. Auguste de Chatillon, 1836 Il n’y a pas d’amour heureux…
Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux
Louis Aragon, La Diane Francaise, 1946 Un secret
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas ! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire.
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.
À l'austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle
" Quelle est donc cette femme ? " et ne comprendra pas.
Félix Arvers, Mes heures perdues, 1833 Johannes Vermeer, La lettre, 1667
PLAISIR D’AMOUR
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
J'ai tout quitté pour l'ingrate1 Sylvie.
Elle me quitte et prend un autre amant.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Je t'aimerai, me répétait Sylvie,
L'eau coule encore, elle a changé pourtant.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Jean-­Pierre Claris de Florian, Les nouvelles de M. Florian, 1784 Jeunes filles sur le pont, E. Munch, 1901
1 Ingrate : qui n’est pas reconnaissante, qui ne remercie pas « Dans la nuit parfumée »
Dans la nuit parfumée aux herbes de Provence,
Le lombric se réveille et bâille sous le sol,
Étirant ses anneaux au sein des mottes molles
Il les mâche, digère et fore avec conscience.
Il travaille, il laboure en vrai lombric de France
Comme, avant lui, ses père et grand-père ; son rôle,
Il le connaît. Il meurt. La terre prend l’obole
De son corps. Aérée, elle reprend confiance.
Le poète, vois-tu, est comme un ver de terre
Il laboure les mots, qui sont comme un grand champ
Où les hommes récoltent les denrées langagières ;
Mais la terre s’épuise à l’effort incessant !
Sans le poète lombric et l’air qu’il lui apporte
Le monde étoufferait sous les paroles mortes.
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde, 1990
« L’amour qui n’est pas un mot »
Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce cœur débile1 et blême
Quand on est l'ombre de soi-même
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenêtres
Tu me rends la caresse d'être
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu'à la fin
[…]
Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au cœur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j'ai flambé comme un genièvre2
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lèvre
Ma vie est à partir de toi
Aragon, Le Roman inachevé, 1956 1 Au sens propre, débile signifie : incapable 2
Alcool fort qu’on utilise pour flamber des fruits
« Dessein1 de quitter une dame qui ne le contentait que de promesses » Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine
A, comme l'océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre2 à soulager ma peine,
Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus3.
Vos yeux ont des appas4 que j'aime et que je prise.
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté :
Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l'amour autant que de beauté.
Quand je pense être au point que cela s'accomplisse
Quelque excuse toujours en empêche l'effet;
C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse,
Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.
Madame, avisez-y5, vous perdez votre gloire
De me l'avoir promis et vous rire de moi.
S'il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire
Et s'il vous en souvient, vous n'avez point de foi6.
J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m'en séparer qu'avecque7 le trépas
S'il arrive autrement ce sera votre faute,
De faire des serments et ne les tenir pas.
François Malherbe, Œuvres, 1630 1
Dessein = projet 2 De vous résoudre = de vous décider 3A ne la souffrir plus = à ne plus la supporter 4 Appas = qualités 5 Avisez-­‐y = faites-­‐y attention 6 Vous n’avez pas de foi = vous ne tenez pas vos promesses 7 avecque = avec (orthographe qui permet de rajouter une syllabe) Vénus et Adonis
La déesse Vénus est tombée amoureuse d’un humain, Adonis. Hélas, ce dernier est tué par un
sanglier alors qu’il chasse. Vénus exprime son désespoir.
Après mille sanglots enfin elle s'écrie :
«Mon amour n'a donc pu te faire aimer la vie !
Tu me quittes, cruel ! Au moins ouvre les yeux ;
Montre-toi plus sensible à mes tristes adieux ;
Vois de quelles douleurs ton amante est atteinte.
Hélas ! j'ai beau crier, il est sourd à ma plainte :
Une éternelle nuit l'oblige à me quitter ;
Mes pleurs ni mes soupirs ne peuvent l'arrêter.
Encor si je pouvais le suivre en ces lieux sombres !
Que ne m'est-il permis d'errer parmi les ombres !
Destins, si vous vouliez le voir sitôt périr,
Fallait-il m'obliger à ne jamais mourir ?
Malheureuse Vénus, que te servent ces larmes ?
Vante-toi maintenant du pouvoir de tes charmes :
Ils n'ont pu du trépas exempter tes amours ;
Tu vois qu'ils n'ont pu même en prolonger les jours.
Jean de La Fontaine, Adonis, 1658 Titien, Vénus et Adonis, 1550
« Je vis, je meurs… » Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief1 tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé, 1555 1 grief = douloureux 2 heur = plaisir « Eh bien ! régnez, cruel… »
Titus, empereur de Rome, annonce à sa bien-aimée Bérénice qu’il la quitte, pour des raisons
politiques. La réaction de Bérénice est violente.
Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien, et pour jamais : adieu...
Pour jamais ! Ah, Seigneur ! songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous1,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.
Jean Racine, Bérénice, 1670 1 Comment souffrirons-­‐nous = comment supporterons-­‐nous Représentation de Titus et Bérénice de Racine au Donmar à Londres