jung et la psychologie genetique

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jung et la psychologie genetique
Bulletin archive N°29 – page 13 – (Octobre 72)
JUNG ET LA PSYCHOLOGIE GENETIQUE
Par Geneviève Guy-Gillet
L'observation relatée dans "Conflits de l'âme enfantine"(1) fut écrite en 1910 et depuis cette
époque la pensée de Jung a évolué sur bien des points. Mais nous aimerions approfondir ici
certaines des questions et des hypothèses qui s’y trouvent posées en les confrontant à nos
données actuelles. Et, si à travers nos expériences cliniques nous en reconnaissons la vivante
actualité, nous aimerions en prolonger l'écho par nos propres interrogations.
Dans cette étude, rappelons le, Jung nous expose le développement de la pensée chez une
enfant de 3 ans, les questions qu'elle pose sur la naissance et la procréation ainsi que la façon
dont elle intègre ses expériences. C'est une observation que l'on serait tenté de qualifier de
freudienne dans sa perspective générale si la substitution du terme "polyvalente" à celui de
"polymorphe-perverse" pour qualifier la disposition première naturelle à l'enfant, l'importance
accordée au rôle du symbole, les commentaires sur la fonction de la pensée imageante,
n'orientaient nos réflexions vers d'autres visées.
En effet, ayant reconnu le rôle déterminant de la sexualité dans le développement de la
pensée de l'enfant, Jung pose comme hypothèse que, à côté de conduites sexuelles proprement
dites, "l'intérêt pour les questions sexuelles ne tend pas proprement et directement à une fin
sexuelle, mais bien plutôt au développement de la pensée même."
La force et la nécessité du conflit comme pivot de l'organisation psychique sont
parfaitement démontrées dans ce récit. Le discours tout entier - questions et réponses - sert à
dévoiler pas à pas le sens des désirs qui jouent dans les profondeurs de l'imaginaire et le rôle
de l'interprétation consiste à désinvestir ce qui serait une activité stérile pour permettre à la
libido de poursuivre son but.
Dans le récit, ces interprétations sont données par les parents et Jung écrit "ici encore9
l'intention qui détermine la question de l'enfant apparaît dans la réponse de la mère".
Nous commenterons plus loin cette phrase pour nous attacher d'abord aux remarques de
Jung concernant le déroulement de la pensée du jeune sujet. Il s'étonne de voir qu'à côté de la
"vérité du dire" (l'explication réelle des faits), l'enfant continue à jouer avec ses propres
images et à préférer, semble-t-il, ses propres solutions imaginaires et ses explications
fantaisistes à celles offertes par la réalité. En conclusion Jung se demande si l'ordre imaginaire
ne répond pas davantage aux besoins de l'enfant, ce qui tendrait à démontrer que "l'esprit
abandonné à son essor naturel, éprouve un irrésistible besoin de s'affranchir de la réalité des
faits pour se constituer un monde à lui".
Or, nos expériences cliniques recoupent ces notations en bien des points et nous pourrions,
employant une autre formulation qui prolongerait en l'explicitant la pensée de Jung, dire que
la "parole vraie" échangée entre l'enfant et ses parents rétablit la communication affective et
permet alors à la libido de poursuivre d'autres buts. Car, chaque expérience s'accomplit dans
un "lieu" qui l'autorise et dont le centre est constitué par la relation à la mère (aux parents, à
l'environnement social, au thérapeute). - C'est parce qu'il s'est reconnu dans le désir de sa
mère (de l'autre) et la "parole vraie" en témoigne - que le sujet pourra intégrer une part de son
expérience, celle qui le libère de la "répétition" et le laisse ainsi disponible pour de nouveaux
investissements. Mais, est-il besoin de le dire, la "parole vraie" est celle qui est dite au temps
et au lieu nécessaires, c'est-à-dire celle qui donne une réponse à la visée de l'interrogation.
Mais pourquoi, l'enfant ayant été réintégré dans la relation à son monde et par là au milieu
socio-culturel qui prolonge la parole dite, continue-t-il son jeu imaginaire?
Une explication peut être tentée dans des directions différentes. l'une, allant dans la
perspective de la psychologie génétique, signe le stade du développement de la pensée chez
l'enfant de cet âge: pensée organisée sur un mode préconceptuel, autour de constructions
imageantes et où le temps "intuitif" est lié aux objets et aux mouvements particuliers (2). Ce
sont les étapes de la pensée symbolique et intuitive. Si Jung n'en fait pas état dans ce texte,
nous pouvons retrouver dans les "Métamorphoses de l'âme et ses symboles" au chapitre II
(des "deux formes de la pensée") une très intéressante étude de la"pensée subjective", que
recoupent en bien des points les observations de Piaget (3).
Jung y montre comment la tendance naturelle à organiser la pensée suivant les désirs plus
que suivant la réalité, se trouve chez l'enfant de façon dominante. Le mode de représentation
magique, les constructions mythiques, la façon dont "il anime ses poupées. et généralement
tous ses joujoux" (Jung) constituent les tentatives de l'enfant pour appréhender et maîtriser le
monde. C'est ainsi que la petite Anna, observée par Jung, se sert tour à tour de la cigogne quiapporte-les-enfants, des anges, des fleurs du jardin ou des tremblements de terre pour
construire des théories avec lesquelles elle "anime" ses désirs et exerce ses pouvoirs.
Mais une autre direction qui se fait jour dans le texte de Jung nous montre que dans
l'imaginaire la libido de l'enfant trouve d'autres terrains d'exercices: ceux qui concernent la
participation aux contenus collectifs tels que contes, fables, récits, qui, sous une forme
symbolique retracent le déroulement des événements ou en donnent des explications et
interprétations situés à d'autres niveaux que ceux de la réalité révélée. Mais quel est l'attrait de
cette participation? Est-ce le côté dramatique ou la richesse affective attachée à la permanence
d'images anciennes réactualisées dans une même communauté d'émotions? Certes ces deux
aspects ont leur rôle, et nous ne pouvons qu'être frappés par la facilité de communication qui
s'établit entre l'enfant et ces récits symboliques, approche privilégiée constituée par la similitude des organisations construites autour d'images hautement signifiantes.
Enfin nous restons persuadés que c'est dans le libre jeu de la fantaisie que se forme et
s'exerce la créativité et c'est pourquoi la distance entre la réalité et l'imaginaire demande à être
maniée avec précaution par tous ceux qui s'occupent d'enfants - et les prolongements en
clinique d'adultes sont évidents. On connaît le danger de certaines interprétations faites au
niveau du savoir du thérapeute qui ne tiennent pas assez compte du langage des représentations du sujet et risquent alors de "réduire" l'essor de la pensée.
Si nous sommes reconnaissants à Jung d'avoir si profondément exploré le monde des
symboles, cherchant surtout à en démontrer la continuité du sens, il est une perspective qui
demande à être dégagée et nous voudrions conclure ces propos sur cette question: y a-t-il des
constantes d'apparitions des symboles propres à certains âges ou à certaines organisations
psychiques correspondant à des niveaux de maturation ? Les études faites en psychologie génétique ouvrent des voies dans cette direction et nous nous sentons profondément solidaires
du mode de pensée de Jung en continuant cette recherche. N'a-t-il pas écrit en posant la
question "quelle est la nature des fantaisies ?" ... "l'expérience des psychothérapeutes ( ) nous
a appris qu'il "existe des cycles typiques " (4). C'est ce que nous nous efforçons de trouver.
Geneviève GUY-GILLET.
(1)
(in "Psychologie et éducation" p. 119 et suiv.)
(2)
Piaget: "la psychologie de l'intelligence" (chap. 5 - 3e partie).
(3)
(Cf. également de Piaget "la formation du symbole chez l'enfant" - 2e partie,
chap. 7)
(4)
Les métamorphoses de l'âme et ses symboles p. 77.

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