Avant de voler, l`oiseau doit savoir marcher
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Avant de voler, l`oiseau doit savoir marcher
SCÈNES D’APPRENTISSAGE « Avant de voler, l’oiseau doit savoir marcher ! » Depuis plus de trente ans, Marc Bonelli pratique le kung-fu, le tai-ji-quan et le qi-gong (les arts martiaux chinois internes et externes) et étudie la philosophie chinoise. Après avoir débuté son apprentissage en France, auprès de Maître Jung Yung-Hwan, il a effectué un premier séjour en Chine en 1994, auprès des maîtres de celuici. Conscient que pour évoluer, aussi bien dans la pratique que dans l’enseignement, s’imprégner de la culture chinoise et saisir le sens profond des arts martiaux, il fallait continuer à s’entraîner à la source de cette tradition, il s’est établi en 2000 en Chine, où il a vécu douze ans. A vant de partir pour la Chine, j’avais pris des cours de langue chinoise, et mangeais « chinois » régulièrement, ce qui m’a permis de m’intégrer plus rapidement. Mon niveau en arts martiaux, acquis lors de stages en France ou en Chine, m’a permis de ne pas tout recommencer depuis le début. Mais faire des stages et pratiquer régulièrement dans le pays d’origine n’a rien de comparable. La façon d’enseigner n’est plus du tout la même. Il faut répéter, répéter et répéter encore et encore, sans pour autant avoir beaucoup d’explications. De plus, il n’y a pas de salles chauffées, l’entraînement a lieu dehors, sur des parkings, dans des parcs ou sur des campus d’universités, par des températures allant de + 40° à -15°… Cela est très éprouvant et très démotivant, et très peu de personnes persistent. Les réponses à mes questions étaient souvent concises, ce qui les rendaient parfois difficiles à comprendre. Mais avec le temps, la patience, la volonté et un bon enseignement, on arrive à trouver son propre chemin. C’est exactement ce que les maîtres désirent, que la personne se réalise elle-même, sans intellectualiser – seulement sentir. Quand on parvient à cet état, on ne pratique plus, on est le mouvement ; il n’est plus pensé, il est inné, il fait partie de vous. C’est à partir de là que l’art devient une philosophie, ce qui apporte une élévation spirituelle, avec toutes les valeurs positives qu’un homme peut y trouver, et une ouverture sur d’autres horizons, comme la médecine, la calligraphie, la musique… Quand j’ai débuté le kung-fu avec Maître Jung, au commencement de chaque cours nous pratiquions un exercice appelé « Cai Ji Bu » (le pas du coq), avec une position et un déplacement bizarres qui faisaient très mal aux cuisses. Je n’y voyais aucun intérêt martial, à part travailler l’endurance et la puissance dans les jambes. Je me suis donc empressé, avec d’autres élèves, à la fin du premier cours, d’aller demander à Maître Jung quel était l’intérêt de cet exercice. La seule réponse que nous avons obtenue fut : « Avant de voler, l’oiseau doit savoir marcher ! » Malgré ma déception, grâce à ma confiance sans limite en mon maître, j’ai continué sans cesse cet exercice, pendant qu’au fil du temps les autres abandonnaient. Après quelques années, je me suis aperçu que, physiquement, j’avais énormément progressé en puissance, en rapidité et en endurance, mais aussi que ma santé était bien meilleure qu’avant. J’ai donc recommencé à en discuter avec Maître Jung. Il m’a alors expliqué tout ce qu’apportait ce mouvement, sur les plans technique, physique et spirituel, en se référent au Qi (l’énergie) et à la philosophie. Tout cela avec un mouvement… Quelle étonnement et quelle richesse ! Par l’entraînement physique, on pouvait aussi accéder à l’esprit ! À ce moment-là, j’ai compris que s’il m’avait tout expliqué dès le début, cela n’aurait servi à rien. Je n’aurais pu comprendre qu’une infime partie de ses explications, et pour lui cela aurait été une perte de temps. Depuis, en tant qu’enseignant, j’ai compris que donner trop d’explications est inutile. $ – 57 – Extrait de la revue Sources n°25