Narduc a disparu - Archives du Journal d`Eyragues

Narduc a disparu !
Ainsi, il avait disparu !
Un clair matin d'août, Narduc partit dans son auto, sans un mot. Sans raison, affirmait-on.
On aurait voulu savoir pourquoi ! Où alla-t-il ? On trouva son auto dans un vallon voisin, mais
point son corps. Sa disparition surprit tout un chacun. Il n'avait jamais dit qu'il comptait un jour fuir,
abandonnant tout, maison, travail, amis, pour partir, au loin - ou pas loin -, choisissant soudain
l'abandon total du connu pour l'inconnu... Un inconnu qui avait dû nourrir son imagination : un pays
qui lui paraissait un paradis... A moins qu'un truand l'ait occis ou qu'il ait choisi sa mort !
Un mois passa, puis on classa son cas d'un coup de tampon administratif : disparu !
Non, il n'a pas choisi la mort ! Pas fou ! Moi, j'ai su !
Il avait fui un train-train banal, aussi plat qu'un trottoir ! Il voulait voir si, là-bas, sur un îlot,
il connaîtrait un vrai nirvana, sans aucun souci, total ! Il pourrait, affirmait-il, dormir tout son saoul
sous son parasol ou dans son hamac. Pour six sous par jour, on vivait. Pour trois, on avait l'amour.
Pourquoi croupir ici quand, d'un vol d'avion, à Touanatoumoutoutou, îlot au corail fort blanc, au
lagon fort pur, aux poissons abondants, aux corps sans fards, on vit un infini chant d'amour...?
Ici, il souffrait ; là-bas, il riait. Ici, il psalmodiait : "Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?..." ; là-bas,
il n'y a, pour Narduc, jamais un "pourquoi ?", ni matin, ni midi, ni soir, ni nuit ! Toujours cool ! A tout
instant surgit un bonus, un plus... Corps bruns quasi nus, poissons rutilants et vifs ou grillant
aux rayons d'or, tout concourt à l'abandon... Ni auto, ni radio, ni journaux... Mais la paix, sans fin...
Là-bas, Narduc oublia sa villa, son jardin, son piano, son voisin, son copain, son canari...
A Touanatoumoutoutou, on le surnomma "Nanar"...
Ici, on l'oublia... Sauf moi, qui pourrait aussi, un jour, partir, fuir, là-bas, là-bas...
Disparition sans raison, dirait-on.
Ah ! voir Touanatoumoutoutou, son blanc lagon, son pur corail !
A chacun son paradis !
André Bonafos