Ce lien étrange qui unit l`artiste à son modèle

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Ce lien étrange qui unit l`artiste à son modèle
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SEPULTURA EN TOURNÉE. Dans la foulée de son nouvel album Kairos
La Gruyère / Samedi 25 juin 2011 / www.lagruyere.ch
Ce lien étrange qui unit
l’artiste à son modèle
LIVRES. Que se passe-t-il dans la
tête d’une femme dévêtue devant un
peintre? Quelle relation se tisse entre
eux? Nancy Huston aborde ces questions dans Poser nue, texte bref et
intense qui côtoie des dessins de Guy
Oberson.
BANDE DESSINÉE
(sorti hier chez Warner), Sepultura est en tournée en Europe cet été. Après Interlaken
l’an dernier, le mythique (ou légendaire, c’est selon) groupe de metal brésilien jouera
à nouveau en Suisse, le 28 juillet, à Zizers, dans les Grisons. Sinon, plus proche,
un concert est prévu à Colmar le 7 août.
ÉRIC BULLIARD
“
bre de publications que nous souhaitions nous distinguer, mais par
leur qualité et la cohérence des
choix», écrit Florian Rodari, cofondateur de La Dogana. En trente ans
d’existence, la maison d’édition genevoise n’a pas dévié de cet objectif, comme le confirme Un visa
donné à la parole, catalogue de toutes ses publications.
Depuis 1981, La Dogana a publié
80 titres dans cinq collections. Elle
a accueilli la plupart des poètes
marquants de Suisse romande,
comme Philippe Jaccottet, Pierre
Nautiland, ses piscines, ses plongeoirs,
ses ballets nautiques, ses matchs de
waterpolo, ses fantômes… Construit audessus d’un cimetière pour animaux, ce
parc aquatique accueille une faune des
plus étranges: une grand-mère lanceuse
de carottes, une «baleine», des «cuisseuses» en pleine migration, trois devineresses engoncées dans leur jacuzzi…
Tous prisonniers d’un monde parfait,
sans espoir de jamais en sortir.
Avec Fables nautiques, Marine Blandin signe une œuvre fraîche et étonnante. Elle revisite la mythologie, réunit
les mondes d’Hadès et de Poséidon, recrée les pythies, mélange les légendes et détourne certains poncifs du
fantastique dans un récit d’une très
belle intelligence. Les histoires se superposent jusqu’à former une nouvelle
cohérence à laquelle le dessin épuré
mais évocateur réussit à donner vie.
Une baignade obligatoire. RM
Une épopée de violence et de sang. A
première vue, Northlanders ne sort pas
des clichés attachés aux Vikings, ni des
écarts d’une certaine BD racoleuse. En
adaptant la saga nordique de Sven,
Brian Wood (DMZ) et Davide Gianfelice
proposent pourtant plus qu’une simple
histoire de voyeurisme morbide. Ils
donnent une étonnante profondeur au
récit de ce pirate du nord naviguant depuis longtemps dans les eaux de
Constantinople, peu avant l’an mille, et
qui doit rentrer chez lui après l’assassinat de son père par son oncle.
Northlander montre la rencontre,
brutale, entre un passé moribond et un
nouvel avenir, entre paganisme et christianisme, entre misère des mers de
glace et luxe oriental, entre un monde
qui meurt et un autre qui se déploie.
Cette confrontation va nourrir la vengeance même de Sven. Avec ces interrogations: comment être un homme – et
un guerrier – au milieu de tout cela?
Quel choix a-t-on? Le prix à payer sera
assurément grand. RM
Guy Oberson, D’après Ousmane Sow, 2010
D’autres écrivains ont évoqué ce sujet. Nancy Huston cite
par exemple Anaïs Nin, qui,
dans son journal, raconte cette expérience
de jeunesse (en 1922)
avec des artistes qui
en profitent pour l’embrasser. Ce qui ne l’empêche pas d’écrire,
une fois devenue mannequin pour une boutique de prêt-à-porter:
«Les peintres me manquent,
leur gentillesse, leurs ateliers,
la vie de bohème!»
Quand l’esprit gambade
Le témoignage d’Anaïs Nin,
comme celui de Lee Miller (modèle de Man Ray, entre autres)
rappelle que la dimension érotique demeure souvent présente. Tout comme le frisson
de l’inconnu. «Personne n’est
vraiment maître de la situation,
écrit Nancy Huston. […] Vous
savez bien que vous vous met-
tez en danger. Vous le désirez
un peu, ce danger: c’est excitant, cela vous arrache à votre
train-train quotidien, à l’ennui
des rôles prévisibles…»
Quand la pose s’éternise,
«votre esprit gambade». Avec
ironie, Nancy Huston note
même: «Jour après jour, semaine après semaine, vous élaborez les concepts pour votre
mémoire de linguistique.»
Précieuse nudité
Mais les séances permettent
aussi au modèle, parfois, de
prendre conscience de son
corps, de sa beauté: «Votre nudité est précieuse, elle est parlante.» Nous voici bien loin de
la femme réduite à ses formes
et ses courbes. «La vérité, c’est
que vous aimez passer de longues heures seule à seul avec
l’artiste. Sentir le regard à la
fois intense et impersonnel
de l’homme sur votre peau,
vos formes. Sentir qu’ensemble
vous faites quelque chose de
fort.» Notons le «ensemble»:
par sa seule présence, le modèle participe à la création de
l’œuvre.
En quelques pages intelligentes et subtiles, intimes mais
écrites à la deuxième personne
du pluriel (avec le détachement qu’implique ce «vous»),
Nancy Huston esquisse ainsi
des réflexions sur l’art et la
création. Pour, au final, rappeler le rôle d’un moteur essentiel: le désir. «A partir de la
matière inanimée, le désir entre vous et lui fera naître une
troisième entité qui n’est pas
enfant, mais effigie, magiquement vivante. Du coup, votre
beauté fait partie de la beauté
du monde.» ■
Nancy Huston et Guy Oberson,
Poser nue, Biro & Cohen Editeurs,
56 pages
NOTRE AVIS: ✔✔✔✔
De qualité et de cohérence
LIVRES. «Ce n’est pas par le nom-
En eaux troubles
Entre les mondes
votre peau, vos formes. Sentir
qu’ensemble vous faites quelque
chose de fort.
NANCY HUSTON
”
NOTRE AVIS: ✔✔✔✔
NOTRE AVIS: ✔✔✔✔
Sentir le regard à la fois intense
“
et impersonnel de l’homme sur
dez la pose le temps que l’on
vous dit de la garder, […] prenez les sous et partez.» A New
York puis à Paris, elle a «fait
partie de ce sous-ensemble de
l’humanité»: les modèles de
peintres. Mais l’anecdote biographique importe peu: Nancy
Huston livre certes un texte
personnel, mais d’une portée
bien plus large. Qui s’inscrit
parfaitement dans son œuvre,
dans sa manière de questionner les relations hommes-femmes, en particulier.
Marine Blandin
FABLES NAUTIQUES
Delcourt
Wood et Gianfelice
NORTHLANDERS, T. I,
SVEN LE REVENANT
Panini Comics
Voélin, Frédéric Wandelère, Pierre
Chappuis, José-Flore Tappy, Sylviane Dupuis… Ainsi que des traductions d’auteurs aussi prestigieux que Rilke, Keats, Leopardi,
Gongora, Dickinson ou Mandelstam. Elle a aussi publié des lectures-conférences, quelques beaux livres et CD.
Pour cet ouvrage anniversaire,
La Dogana ne s’est toutefois pas
contentée d’un simple catalogue:
Un visa donné à la parole contient
des textes inédits, souvenirs ou témoignages, d’une dizaine d’auteurs,
dont Jaccottet, Wandelère, Tâche,
Yves Bonnefoy et Jacques
Réda. Le tout forme à la fois
une référence pour tout
amateur de poésie et un recueil de haut vol.
Par ailleurs, La Dogana a l’excellente idée de rééditer son premier
ouvrage, Les marges du jour, de
Jean-Pierre Lemaire. Avec, en postface, la bienveillante notice que Philippe Jaccottet lui avait consacrée
dans la NRF en décembre 1981.
«Dans un petit cercle de lecteurs
exigeants, [ce recueil] fut salué
comme un événement rare», rappelle Florian Rodari. Le ressortir au-
jourd’hui permet de
constater que, dès ce
premier ouvrage, la voix
de Lemaire se révélait
limpide, aussi délicate
que puissante. «Tu ne
peux traverser / l’infime frontière /
Tu écris seulement / pour en suivre
l’ombre / et les révéler de ce côtéci / comme des perce-neige». EB
Un visa donné à la parole. Trente ans
d’édition et Jean-Pierre Lemaire,
Les marges du jour, La Dogana
NOTRE AVIS: ✔✔✔✔
LIVRES
La plupart du temps,
les scènes de pose
se passent comme la
prostitution: l’artiste est un
homme, son modèle est une
femme. L’homme détient le pinceau, l’appareil photo, le regard, l’argent, le pouvoir. Il
“croque”; la femme se laisse
“croquer”. Il la paie et, en
échange, elle est nue, silencieuse, passive.»
Domination, mais aussi fascination. Attirance, peut-être. Il
y a tout cela dans l’étrange lien
qui se noue entre un peintre et
son modèle. La romancière
Nancy Huston le décrit avec finesse dans Poser nue. Un bref
texte accompagné de sanguines du Fribourgeois Guy Oberson (actuellement en résidence
à Berlin), vibrantes et magnifiques.
La romancière d’origine canadienne (prix Fémina 2006
pour l’excellent Lignes de faille)
a vécu cette expérience: «Vous
vous déshabillez mécaniquement devant des inconnus, gar-
Culture
Daniel Depp
BABYLON NIGHTS
Presses de la cité / 324 p.
NOTRE AVIS: ✔✔✔✔
Vu de l’intérieur
David Spandau est de retour. Ancien
cascadeur, ce détective privé se retrouve au service d’Anna Mayhew. Une
star d’Hollywood, oscar de la meilleure
actrice il y a quelques années. Mais une
star déclinante: à 43 ans, chez ces genslà, on est bien vieux. Tout le monde ne
l’a pas oubliée: Anna est poursuivie par
un admirateur ravagé et menaçant.
Spandau va accompagner l’actrice à
Cannes, où elle est membre du jury.
Plus que par le suspense (on connaît le
coupable et on devine très vite comment
tout cela va finir), Babylon Nights vaut surtout par sa description féroce de «l’usine
à rêves» américaine. Comme dans Les loosers d’Hollywood, son premier roman
(2009), Daniel Depp (demi-frère de l’autre)
s’amuse à brocarder sans pitié ce milieu
cruel et artificiel. Et comme il est scénariste et producteur, on se dit que le bougre sait de quoi il parle. Le résultat en devient aussi effrayant que plaisant. EB