Passage du Détroit de Gibraltar

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Passage du Détroit de Gibraltar
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Passage du Détroit de Gibraltar
20h. Il y a cependant une notion dont le Cap' avait oublié
l'existence, après quatre ans en molle Méd. Nous avons 2
kts de courant contre nous. Si je compte bien, 5.5 kts moins
2 kts égale 3.5 kts. Nous marchons à 3.5 kts à peine plus vite
qu'Arlette quand elle fait du lèche vitrine. L'absence de vent
est donc doublement ressentie. La renverse devrait être pour
minuit. Encore quatre heures à la vitesse d'un escargot
unijambiste pédalant dans la choucroute.
21 septembre. 1h30. A 73 milles du détroit, nous avons toujours 3 kts de courants contre. Arrivera-t-on un jour ? Le
Cap' a décidé de se rapprocher progressivement de la côte
sans trop prolonger cette interminable route.
4h. La renverse semble avoir eu lieu (2 kts de courant),
Thoè bondit à 4 kts. J'utilise volontairement le même vocabulaire que les éditorialistes, quand ils informent le monde
financier qu'un titre à bondit de 3.2%, alors qu'il avait perdu
8% la veille. Reculer pour mieux faire sauter la banque !
6h30. Nous avons toujours un courant de près de 2.5 kts
contre nous. Le Cap' conclut que le courant permanent entrant en Méditerranée doit être entre 2 et 3 nœuds. Juste
pour compenser l'eau qui s'évapore !
7h30-8h. Nous faisons face à 2 kts de courant à 40 milles du
détroit. Il y a juste assez de vent pour que les voiles aident le
moteur en apportant une contribution de 1 kts. Je ne m'explique pas ce courant. Et je me demande comment il peut
porter vers l'W dans le détroit pendant 4 heures par marée,
alors qu'il porterait en permanence vers l'E à de telles distances de Gibraltar.
D'après les calculs du Cap', le courant devrait porter vers
l'W dans le détroit entre 13h30 et 18h30. A la vitesse actuelle, nous arriveront trop tard, à mi-parcours. Le retour en Atlantique reste laborieux, comme si la Méditerranée ne voulait pas nous lâcher les baskets. Chaque dixième de kts étant
bon à prendre, le Cap' envoie le genaker. Thoè est tiré par
toute sa toile et poussé par le moteur. Nous avons gagné entre 0.5 et 1 kts...
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11h. Rien ne change, nous voguons toujours en nous dépêchant lentement à une honorable vitesse de 5 kts, avec un bon kts
dans le pif, à 15 milles du célèbre rocher. On le voit. Il se cache derrière un manteau de brume et porte un nuage lenticulaire
en guise de chapeau. La grisaille fait lentement son apparition. Cela fait du bien de voir d'autres couleurs que du bleu et de
l'incandescent !
12h. Je croise les doigts ! Thoè retrouve progressivement une vitesse « normale » sur le fond, alors que le vent a molli et ne
contribue plus à aider le moulin. Nous sommes proche de la renverse, et le courant va bientôt nous aider. En tout cas, il ne
devrait plus nous freiner. La chance sourit aux audacieux. Il fallait un peu d'audace pour quitter Formentera dans un coup de
vent. Et, croisons une nouvelle fois les doigts, si tout va bien pour les 25 milles qui nous séparent de Tarifa, je dormirai ce
soir en Atlantique !
Le Détroit de Gibraltar est un cap pour le Cap'. Cela le remplit d'une émotion qui se colle à sa peau chaque fois qu'une étape
importante se franchit. Il a besoin de changement. Si trop de gris du nord tue le nord, trop de bleu du sud tue le sud.
Porte conteneur MAYSSAN (300 x 40 mètres et 14,5 mètres de titant d'eau)
14h. Nous avons le rocher sur l'avant du travers, avec de nouveau 1.8 kts de courant de face. Le Cap' y perd son latin. Encore
16 milles à tirer. Quelques minutes plus tard, ayant le rocher par le travers, nous avons récupéré 1 kts et la vitesse de Thoè
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semble augmenter petit à petit. Pas seulement parce que le Cap' a monté le régime à 2800 trpm ! A en croire la carte des
courants, nous devrions être dans le bon. Mais qui croire ?
Oui, la chance sourit aux audacieux. Thoè jette l'ancre devant la plage à l'entrée du port de Tarifa, l'objectif annoncé
trois jours plus tôt. Il n'y avait qu'à arriver à l'heure et que le
courant de marée ne soit pas (trop) contraire.
La température de l'air a fortement diminué, son humidité
est plus crue, l'eau a diminué de 27° à 22° et mon niveau
d'énergie a remonté d'un cran.
Tarifa, le 22 septembre. Le Cap' a pleinement récupéré de la
fatigue et du manque de sommeil des trois jours précédents.
Il est déjà prêt à lever l'ancre dès le petit déjeuner avalé.
Mais il a du travail : il faut soigner les blessures de la GV.
La matinée passera à dégraisser le tissu à l'acétone, à découper des rustines de tissu autocollant et les appliquer le mieux
possible sur une voile qui prend le peu de vent disponible et un bateau qui s'émeut dès qu'un pêcheur passe ou un ferry entre
dans le port. Résultat : nous levons l'ancre trop tard pour Barbate. Le Cap' prend néanmoins son pied à tirer des bords sur un
plan d'eau sans clapot et sans courtes vagues, sous un ciel parsemé de nuages. Et d'arriver au moteur à la fin du crépuscule,
quasi dans le noir.
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