Psychogénèse de l`anorexie mentale - Eki-Lib
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Psychogénèse de l`anorexie mentale - Eki-Lib
PAR B. BRUSSET Le scandale de l’anorexie mentale comme maladie psychique, alors qu’elle comporte des signes physiques spécifiques et souvent graves, a souvent conduit les médecins à la recherche d’une anomalie physiologique, et donc à multiplier les investigations de toutes sortes, entérinant ainsi le déni du problème psychologique. Mais dans une perspective diamétralement opposée, on a pu penser qu’Il s’agissait d’un syndrome lié à la culture. En première approximation, devant la fréquence actuelle des préoccupations de poids et des comportements alimentaires atypiques chez les adolescents et les jeunes femmes, la sociogenèse semble, en effet, mieux placée que la psychogenèse individuelle qui pourrait faire illusion, comme l’arbre cache la forêt. Les représentations sociales de la femme manifesteraient tout leur pouvoir chez les adolescentes en quête de leur identité. Ce qui chez la plupart reste de l’ordre d’un banal souci de régime et d’une crainte largement partagée de l’embonpoint, pourrait avoir une évolution plus grave par les effets d’un régime inadapté, d’une préoccupation exagérée, et du fait des dérèglements physiologiques induits, des conditionnements, de l’habituation qui mène à la chronicisation des restrictions et/ou des accès boulimique et des vomissements. Le syndrome neuroendocrinien ne serait que secondaire à l’amaigrissement, de même que les relations conflictuelles avec l’entourage et les diverses significations que peut prendre ce comportement. On voit bien les avantages de cette perspective : économie d’hypothèse, simplicité de l’explication de tout le gradient de gravité du normal au pathologique, ouverture sur la problématique plus large du statut de la femme dans le monde contemporain, mise en cause des réponses psychiatriques et des théories psychopathologiques et psychanalytiques qui n’auraient de pertinence que pour rendre compte de certains modes d’évolution chronique, éventuellement imputables à l’interférence de la dépression ou dune organisation pathologique de la personnalité. La psychogenèse des cas individuels graves devraient seulement rendre compte des prédispositions à cette évolution particulière et des facteurs de celle-ci, dont par exemple les réponses inadaptées de l’entourage et des médecins. Quels sont les arguments contre cette sociogenèse simple? 1. La permanence du tableau clinique de l’anorexie mentale en dépit des changements culturel : l’anorexie des Saintes italiennes du XIV ième siècle (Bell), l’anorexie dite hystérique de Lasègue et Gull (1873) ou la boulimie décrite par Wulff (1932). 2. L’antériorité du syndrome neuroendocrinien qui ne peut pas être entièrement expliqué par l’amaigrissement. 3. La coexistence habituelle de traits psychologiques et de conduites caractéristiques, les troubles plus généraux des rapports du sujet avec son corps et ses besoins. 4. Une histoire personnelle typique d’hyper normalité apparente, d’ »hyperlatence », donnée frappante de l’anamnèse qui ne retrouve généralement pas de trouble alimentaire de l’enfance. 5. Certaines caractéristiques fréquentes du milieu familial et les données de l’investigation psychologique et psychanalytique (dont l’importance des mécanismes de déni qui tendent à ôter toute signification à l’amaigrissement). Ces arguments montent la nécessité de distinguer des comportements alimentaires banalement atypiques, les anorexies mentales et certaines formes de boulimie, lesquelles requièrent une étude proprement psychopathologique. D’un point de vue descriptif, il s’agit d’un processus phasique surdéterminé qui polarise et absorbe à divers degrés la vie du sujet. Si la restriction alimentaire peut être initialement revendiquée comme un choix, l’adolescente l’éprouve plus ou moins rapidement comme une contrainte, une sorte de toxicomanie et parfois comme une aliénation angoissante. La genèse de ce processus doit être envisagée dans une double dimension : d’une part la logique du processus anorectique, d’autre part les conditions, éventuellement variées, qui ont déterminé, où contribué à déterminer, son apparition et son évolution. Le processus anorectique Le processus anorectique apparaît comme l’auto bouclage d’un système qui polarise les intentionnalités, court-circuite et écarte les autres intérêts du sujet. La restriction alimentaire comme moyen banal de contrôle du poids et du corps, exerce sur certaines adolescentes, pas n’importe lesquelles, une sorte de séduction, au sens de dévoiement. Elle les engage dans ce processus addictif solitaire qui abrase les singularités individuelles. D’où la monomorphie du tableau clinique, les signes anonymes de l’expression symptomatique stéréotypée. Comme les toxicomanies, ces conduites suscitent de vives réactions de l’entourage, y compris le déni parfois prolongé qui retarde dangereusement le traitement. Comme celle-ci, elles comportent les phases successives typiques d’un processus qui tend d’une part à régir l’économie plaisirdéplaisir aux dépends de la pensée, des affects et des représentations, et, d’autre part, à colmater les brèches dans le sentiment de valeur de soi et identité. Dans l’investigation clinique, la modulation individuelle et ce qui échappe à la logique du processus a le plus grand intérêt pronostic et thérapeutique Ce n’est que dans les formes grave et chronicisées, qui relèvent souvent d’une hospitalisation,, qu’on ne trouve pas au moins quelques éléments qui montrent l’existence et l’efficacité relative d’un autre registre psychopathologique. Ils permettent quelques hypothèses sur l’histoire du développement comme autant de modes d’ouvertures possibles pour l’abord psychothérapique. Par-delà le processus anorectique, on retrouve la question soulevée par les toxicomanes : y a-t-il une structure spécifique, un profil psychologique, un passé particuliers? Il y a d’abord un contexte quasi constant : l’adolescence féminine. La question est donc d’abord de savoir quelle place et quelles fonctions remplit le processus addictif par rapport à l’adolescence. Processus anorectique et processus d’adolescence d’adolescence Cette étape du développement comporte nécessairement des conflits vis-à vis desquels les troubles alimentaires constituent une sorte de réponse, de réactions. Aussi leur gravité et leur durée dépendent de l’inexistence d’autre solution et de la difficulté des changements requis, soit, schématiquement : l’intégration de la sexualité génitale dans ses divers aspects, l’autonomisation, le deuil des images parentales idéalisées de l’enfance et des images correspondantes de soi. En première approximation, les troubles alimentaires seraient une solution aux difficultés dans les rapports de l’adolescent avec son corps et avec les autres dont les spécialistes de l’adolescence disent la fréquence (M. Laufer par exemple). En résulterait la conjonction, dans des séquences complexes, des effets corporels, physiologiques et psychiques, directs et indirects, de la restriction, de l’excès alimentaire ou de l’anarchie alimentaire (cf. B. Brusset 1989). On serait ainsi conduit à abandonner le point de vue catégoriel pour un poiint de vue dimensionnel qui accentue le rapprochement avec les autres forme d’addiction de l’adolescence : l’anorexie comme toxicomanie des filles, les garçons étant davantage portés, outre les pharmacodépendances, à certaines formes de délinquance, à la masturbation compulsive, ou donjuanisme, etc. Il y a des parentés frappantes entre les adolescentes anorectiques-boulimiques et les adolescentes toxicomanies alors que l’histoire familiale est apparemment bien différente. Mais dans tout les cas, une étude plus approfondie et l’expérience psychanalytique montre que l’accomplissement de l’adolescence, en tant que dernière étape du développement, dépend des premières, et, peut-être surtout des toutes premières. L’hypothèse psychogénétique classique invoque les effets après-coup, après les transformations de la puberté, des conflits infantiles notamment dans les premières interrelations avec les parents. La préhistoire infantile La question des deuils et des traumatismes revient régulièrement : récemment G Waller (1992) a montré la fréquence, significative par rapport à un groupe témoin, des agressions sexuelles de l’enfance chez 40 patientes gravement boulimiques et vomisseuses, chez lesquelles il décrit une sorte de frénésie autodestructrice qui dépasse largement le plan du rapport avec les aliments. Mais, plus largement, dans les anorexies mentales, au fur et à mesure du processus psychanalytique, les mêmes formes se déploient successivement comme des fractales, témoignant de la répétition dans différents registres de la même problématique fondamentale, comme si elle avait déterminé dans leur forme particulière toutes les étapes du développement, retrouvant avec la dernière, l’adolescence, l’impasse déjà inscrite dans les premières. Celles-ci, non remémorables, ne peuvent être que reconstruites pour introduire de l’intelligibilité dans le matériel, les phénomènes de transfert et de contre-transfert, en référence à des modèles génétiques. Or, si ceux-ci n’ont qu’une spécificité relative, liés qu’ils sont à une histoire singulière, ils s’ordonnent souvent autour de quelques axes caractéristiques. 1. Ce qui se donne à voir dès la clinique immédiate dans les alternances de la restriction et de l’excès comme antagonisme du narcissisme et des mouvements vers les objets de désir, d’amour et de haine, détermine des alternances de vide et d’excès dans le rapport à soi comme aux objets. Les violentes contradictions qui caractérisent les rapports à l’objet, et à soi-même comme objet, ne trouvent d’issue suffisante ni dans l’élaboration psychique et la formation de compromis, ni dans les mécanismes psychotiques de déni, de clivage et de projection, ni dans le repli auto-érotique qui ne peut évacuer la référence à l’objet qu’au prix de l’autodestruction et de stratégies défensives parfois évocatrices de l’autisme. Le déplacement sur le vécu corporel de cette conflictualité fondamentale rend possible le maintien d’une position active de contrôle relatif. De manière schématique, on peut dire qu’elle est déterminée par le retournement sur le corps propre de ce qui a été subi passivement de la part des parents. Notamment de la mère telle qu’elle est constituée en imago primitive. D’où les conduites d’auto sadisme qui peuvent être déplacées, notamment, sur un animal domestique gavé et maltraité dans des alternances de rejet et d’appropriation tyrannique (de la même façon les dons, notamment alimentaires, de la mère sont sollicités et détruits) 2. Le rapport à soi, signifié dans le rapport au corps propre, passe par l’alternance typique de la fierté anorexique et de la honte boulimique en fonction d’un idéal de minceur qui est à la fois esthésique, esthétique et éthique. Ce stéréotype social de l’idéal féminin est, certes, largement partagé, mais il est ici impératif catégorique et échelle unique de valeur. L’analyse valide souvent le rapprochement avec cette donnée typique de l’anamnèse : l’autonomie précoce encouragée par les parents. Elle trouve expression condensée et exemplaire dans l’image de la petite danseuse légère, agile. Gracieuse, et asexuée que ces parents ravis présente à l’admiration de tout le monde et, négativement, dans l’image inverse du gros bébé avide, hydrocéphale et délaissé, ou de la femme grosse, passive, soumise, sensuelle et bête. S’y articulent les désirs de minceur que la restriction alimentaire réaliste-toujours insuffisamment-le fantasme d’autoréengendrement, et s’y alimente l’autodénigrement tantôt persécutif tantôt dépressif. Envisagé de plus près l’idéal de minceur a surtout fonction de répudiation de certains aspects du corps en tant que féminin. Il combine la double dimension contradictoire de la demande de protection et d’amour, et celle de la maîtrise omnipotente et autosuffisante d’une sorte de féminité phallique. Cette quête sous-tend le refus du corps réel et tend à se fixer dans l’opposition binaire de sensations élémentaires concrètes anti-métaphoriques : entre le gros et le mince, le plein et le vide, le mou et le dur (le muscle et l’os). 3. Le corps est d’autant plus inacceptable dans sa féminisation que celle-ci le rend identique à celui de la mère, réactivant, par-delà l’identification secondaire postœdipienne, une indifférenciation insupportable. On est ainsi conduit à la question de savoir de quelle manière les expériences de la future anorexique avec sa mère ont été marquées par l’investissement narcissique et ambivalent de celle-ci. Des recoupements avec les données sur le milieu familial objectivés dans les thérapies familiales et les groupes de parents d’anorexiques trouvent là leur intérêt en dépit des différences de plan et de cadre, donc de niveaux d’analyse : la même expérience y est souvent retrouvée : celle d’avoir été sacrifiée au narcissisme du groupe familial, exclue, oubliée, ignorée. Tout ce passe comme si la mère avait retrouvé avec son bébé fille ce qui de ses relations à sa propre mère était resté de l’ordre d’un contentieux indépassable : un noyau dépressif donnant lieu à divers aménagements défensifs et dont ne sont pas exclus le choix et les modes de relation conjugaux. La valorisation maternelle de l’autonomie précoce semble avoir déterminé en sous-œuvre le désir insupportable et activement contre-investi, d’être câliné, protégé et calmé par la mère d’un contact corporel et psychique. Il n’en reste pas moins vrai que les modèles qui permettent de reconstruire le passé infantile doivent être fondés sur les données de la cure et pas sur les éléments épars d’une biographie artificiellement recomposée, ni sur la clinique des attitudes parentales forcément marquées par les troubles actuels. Mais l’actuel de la cure c’est aussi ce qui se dit de ce qui se joue dans les conduites alimentaires aberrantes. Celles-ci s’en trouvent éclairées d’une manière qui relativise la distinction précédente du processus addictif et de ses conditions d’apparition. Le processus addictif et la conflictualité intrapsychique Quelle que soit la pertinence des modèles explicatifs en terme de développement qui donnent au psychanalyste un espace de pensée qui rend possible l’interprétation, il est clair que cette dimension doit être située par rapport à la première ici envisagée, celle du processus addictif, ce qui n’est possible que secondairement et progressivement (d’où la nécessaire prudence de l’interprétation dans la psychothérapie). Les fonctions des comportements par rapport aux vécus et aux conflits psychiques se révèlent alors. Ainsi, la recherche du vide corporel, maîtrisé et activement contrôlé, est aussi une défense par rapport au vide mental qui est cause et conséquence des conduites de remplissage et de vidage du corps. Dans l’anorexie, la satiété est d’emblée présente comme si la satisfaction du besoin alimentaire avait été réalisée hallucinatoirement (ce que le ralentissement objectif du transit digestif ne peut que renforcer sinon induire), elle est introuvable sans la boulimie : fringale ne s’arrêtant qu’avec la douleur. Il est vraisemblable que des modifications métaboliques déterminent de petits changements dans les sensations corporelles, et que celles-ci sont l’objet d’un surinvestissement tel qu’elles prennent sens dans la logique contraignante qui aliène le sujet à des degrés divers et en relance le détermisme. Cependant, au moins dans les cas qui laissent la possibilité d’un travail psychanalytique, il est évident que les événements psychiques et l’évolution psychologique jouent un rôle décisif dans les changements observés, révélant la différence entre les deux plans, celui du processus addictif et celui des conditions actuelles et passées qui facilitent l’apparition et le développement de celui-ci. Parce que la méthode psychanalytique en favorise délibérément l’émergence, en mettant à l’écart le corps comme réalité physique et physiologique aussi bien que le social dans tous ses aspects, les effets du cadre et de la liberté associative laissent voir les modalités particulières du fonctionnement psychique et des phénomènes de transfert : en premier lieu les transferts sur la conduite alimentaire, sur le corps, sur la mère dans la réalité. Plus le processus anorectique et boulimique pers de ses pouvoirs et plus apparaissent les manifestations de la conflictualité intrapsychique et celles des transferts sur des personnes. Les configurations assez diverses, en fonction des aménagements névrotiques et de l’histoire subjective, comportent cependant des régularités que l’on retrouve tôt ou tard. Les repères cliniques du besoin de contrôle, de la lutte contre la régression, de l’idéal omnipotent d’autarcie, de la relation fétichique d’objet et de l’autoérotisme archaïque (E Kestemberg et coll, 1974) ainsi que ceux dont il a été question cidessus m’ont conduit finalement à un modèle général des conflits fondamentaux dans une double dimension : 1. Celle de l’indifférenciation partielle sujet-objet électivement et défensivement localisée dans le corps sexué qui identifie l’adolescente à sa mère malgré ses désirs conscients. Les identifications secondaires en rapport avec l’organisation œdipienne sont compromises par l’identification primaire fusionnelle (l’autre comme soi, soi comme l’autre), l’organisation œdipienne ne peut jouer son rôle structurant et l’image du père tend à n’être plus qu’un double de la mère. 2. Celle de l’ambivalence pulsionnelle qui correspond dans ses formes évoluées à l’amour et à la haine, mais qui implique ici l’angoisse de la perte de l’objet qui vaut pour la perte de soi, d’où le défaut d’élaboration symbolique, d’activité transitionnelle et introjective. D’où également le défaut d’intégration de l’analité dans sa portée structurant de l’autonomie, et le renforcement régressif de la dépendance. Ainsi s’explique que la bonne distance sujet-objet soit introuvable : trop près ou trop loin, trop ou pas assez : boulimie ou anorexie : la satiété tout de suite ou jamais. Coller à la mère c’est être à l’abri de l’intrusion comme de l’abandon, au prix de la perte du sentiment de la limite. Les formes graves d’érotisation de la sensation de faim ou des passages à l’acte boulimiques et de vomissements illustrent bien la dimension destructrice des autoérotismes, déconnectés des fantasmes, dans leur vaine visée expulsive de l’objet qui évoque parfois les défenses autistiques. C’est à partir de ce niveau archaïque de l’organisation des relations d’objet et, corrélativement, du narcissisme que la notion d’oralité peut trouver pertinence. Elle se manifeste dans les rapports avec les aliments mais aussi aux vêtements, aux livres, au savoir, dans les rapports du sujet avec son corps (l’apparence extérieure et l’intérieur) dans les relations affectives et thérapeutiques : avidité, frénésie dévoratrice et expulsive, impatience, (tout, tout de suite), intolérance à la passivité, à la dépendance, à l’altérité, d’où les besoins de maîtrise, de contrôle tout puissant, désir d’être regardée et devinée sans avoir à demander ni à dire. Mais ces manifestations classiques de l’oralité loin de pouvoir être simplement considérées comme répétition pure et simple de schèmes de la première enfance et lieux de fixation, peuvent être compris comme des tentatives d’élaboration des contradictions et des paradoxes qui spécifient les rapports pulsionnels primitifs aux objets (par exemple : aimer, c’est détruire : recevoir c’est perdre, le bon devient mauvais dès que reçu). Ils trouvent secondairement inscription oroalimentaire, et par-là, possibilité relative de symbolisation et de dialectisation, c’est –àdire de réduction des dénis et des clivages. En effet, la notion de fixation ne peut rendre compte des rapports entre trouble alimentaire et sexualité orale infantile que dans la mesure où des représentations inconscientes, régressivement activées, déterminent un conflit intrapsychique constitué comme tel. C’est le cas des troubles alimentaires névrotiques, mais, dans les anorexies mentales, l’évitement des conflits dépressiogènes de l’adolescence suscitent la recherche, d’une issue dans l’extériorisation et les passages à l’acte. Les conduites agies anorectique et boulimiques composent une situation actuelle dans laquelle les rapports avec le corps propre et les besoins sont au premier plan des préoccupations, suscitant ainsi à l’impossible activité de représentation, de pensée et de relation, les sensations et les actions concrètes, leur anticipation, la scrutation de leurs variations dans l’intolérance à certaines sensations et la recherche de celles qui leur sont opposées : le dur opposé au mou. Le processus défensif et compensatoire peut rester localisé et provisoire, mais il peut aussi être lieu de transfert, actualisant et donnant figuration à la problématique narcissique des limites comme à celle d’attentes anachroniques vis-à-vis des objets parentaux. Il en résulte souvent des contradictions inélaborables dans les relations actuelles avec la mère à la fois avidement sollicitée et violemment rejetée dans la réalité. Ce transfert est fait d’éléments archaïques, mais on peut faire l’hypothèse que sa localisation alimentaire pourrait avoir des effets récursifs sur l’oralité de ce fait sollicitée et activée d’une manière que renforce le processus en multipliant les fonctions qu’il a dans l’économie psychique, notamment de figuration, de symbolisation, mais aussi de mise à l’écart de la génitalité. La psychogenèse ainsi conçue rend compte aussi bien des variations rapides des comportements alimentaires dès que certaines de ces patientes se sentent entendues et comprises, que, dans d’autres cas, de leur persistance jusqu’à ce que d’autres formes de transfert apparaissent, et que leur vie psychique puisse s’en dégager et affronter les désarrois et les contradictions qui à l’adolescence, ne leur avaient pas laissé d’autre recours que ces processus addictifs dont la logique destructrice est redoutable. D’où la nécessité que la prise en charge thérapeutique ménage et aménage la possibilité de la psychothérapie psychanalytique chaque fois qu’elle est possible. CONCLUSION La psychogenèse de l’anorexie mentale comporte typiquement deux dimensions auxquelles correspondent des facteurs différents : celle du processus d’allure addictive, d’anorexie et/ou de boulimie, et celles des conditions de survenue de celui-ci. Toutes les deux prennent sens et fonctions par rapport aux difficultés des changements psychiques que requiert l’adolescent mais celles-ci s’expliquent par le développement antérieur. Au cours du travail psychanalytique, la psychopathologie des boulimies isolées s’avère diverses alors que celle de l’anorexie mentale est relativement spécifique, justifiant comme effet direct de la régression vers des fixations orales, elle peut être expliquée par le transfert sur la conduite alimentaire et sur les rapports avec corps d’une problématique pulsionnelle archaïque qui compromet les relations d’objet et le sentiment de valeur de soi. Cette problématique en spécifient psychogenèse et donne fondement aux reconstructions conjecturales d’avatars des premières interrelations familiales.