Observations Tricot et tracas de l`application de la loi crédit

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Observations Tricot et tracas de l`application de la loi crédit
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à notre société endéans le mois, sinon nous nous verrons obligés de vous confirmer1que votre prêt devient exigible en capital, intérêts et accessoires …».
La demanderesse ne produit aucun courrier recommandé subséquent hormis une
lettre des Assurances du crédit datée du 15 décembre 2003, par laquelle cette
dernière précise être venue au droit du prêteur et invite le défendeur à effectuer
désormais les paiements au compte qui lui est indiqué.
La demande doit être déclarée non fondée à défaut de dénonciation régulière du
contrat.
Par ces motifs, …
Disons la demande recevable mais non fondée …
Siég. : M. D. Rubens. Greffier : Mme F. Bastien.
Plaid. : Me R. Cipriano (loco P. Rousseaux).
J.L.M.B. 05/833
Observations
Tricot et tracas de l’applica tion de la loi créd it
Abondante durant les années nonante, la jurisprudence en matière de crédit à la
consommation s’est considérablement réduite ces dernières années. Les réformes successives de la loi crédit ont clarifié des dispositions dont l’interprétation
a longtemps occupé les prétoires. La loi sur le règlement collectif de dettes
(R.C.D.) a aspiré les dossiers de crédit et réduit considérablement le contentieux. Il n’est guère efficace de rechercher, dans le cadre de la procédure en
R.C.D., des manquements éventuels des prêteurs afin d’obtenir au mieux la
suppression des intérêts, quand ces créanciers seraient déjà satisfaits par la
récupération du capital.
La justice de paix a été au cœur de débats passionnés et passionnants sur le
crédit comme à propos du devoir de conseil du prêteur ou des pénalités et
dommages et intérêts réclamés.
L’intensité de ces discussions va s’atténuant.
Restent les tracas, grands et petits de la loi.
Une loi technique et d’une rigueur tricotée article par article.
Cinq questions émanant des décisions publiées ci-avant seront abordées. Les
trois premières sont relatives à des dispositions récemment modifiées : les
pénalités (1), les facilités de paiement (2), les contrats d’assurances annexes (3).
Les deux dernières concernent des dispositions inchangées mais qui ont toujours
fait débat : la clause résolutoire (4) et le formalisme du contrat (5).
1 . L es pé na lit és
La loi du 7 janvier 2001, dite loi «SANTKIN»2, a réglé minutieusement les
exigences financières des prêteurs en cas de non-exécution d'un contrat de crédit
à la consommation, et mis un terme aux divergences de la jurisprudence.
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1. C'est le tribunal qui souligne.
2. Cette loi fut intégrée dans la loi sur le crédit à la consommation et, ensuite, toilettée dans des aspects
techniques par la révision de la loi sur le crédit à la consommation du 24 mars 2003, M.B. 2 mai 2003.
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Avant cette loi, le juge de paix usait régulièrement de son pouvoir de réduction
des frais et pénalités exigés.
Peut-il encore le faire aujourd’hui, à l’instar du juge de paix de Grâce-Hollogne
dans sa décision du 27 janvier 2005 ?
La réponse est positive. Le législateur n’a pas modifié ce pouvoir prévu par
l’article 90 de la loi crédit. La loi se limite à fixer un maximum des pénalités et
frais pouvant être exigés, laissant aux prêteurs le soin de fixer ces paramètres.
Le juge peut réduire les pénalités s’il les estime «excessives ou injustifiées».
Dans son appréciation, le juge peut prendre en compte tant les circonstances
internes qu’externes au contrat3.
2 . La p ro cé du re d’o ct roi de fa cilit és de pa i e me nt
La loi de 1991 sur le crédit a instauré, par son article 38, une procédure particulière d’octroi de facilités de paiement. En se référant à l’article 1244 du code
civil, le législateur avait-t-il ajouté comme critère d’appréciation celui de la
bonne foi ? La jurisprudence se divisa sur le caractère autonome de la procédure
de l’article 38. Le législateur, lors de la réforme de 2003, clarifia le texte en
supprimant la référence à la disposition du code civil. Le critère essentiel devient, dès lors, l’aggravation de la situation du débiteur. La réforme s’aligne
ainsi sur les procédures récentes d’insolvabilité, comme le R.C.D., où l’intérêt
économique des parties prévaut sur la bonne foi et la responsabilité de l’une ou
de l’autre.
Le parallèle avec le règlement collectif peut se poursuivre. La bonne foi procédurale y est un élément central.
L’examen auquel se livre le juge cantonal de Fontaine-l’Evêque pour apprécier
la demande de facilités de paiement consiste à éprouver la loyauté du débiteur,
particulièrement dans le cadre de la procédure diligentée devant lui. Le reproche
du juge ne concerne pas un endettement excessif mais l’absence de collaboration du débiteur pour apporter des éléments propres à démontrer l’aggravation
de sa situation.
Ce raisonnement s’inscrit dans l’objectif poursuivi par la révision de cet article
de la loi crédit.
3 . L es con tra ts d ’a ssu ra nc es a n nex es
La loi sur le crédit de 1991 interdit au prêteur d’imposer, lors de l’octroi d’un
crédit, la souscription d’un contrat d’assurances (une assurance solde restant dû,
une assurance perte de revenus…) sauf si le prix de l’assurance est compris dans
le taux.
S’il n’est pas compris, le consommateur doit avoir une liberté de choix raisonnable. Dans la pratique, de nombreux prêteurs et courtiers de crédit «encouragent» la prise d’une assurance (l'obtention du crédit est liée à la prise d'une
assurance).
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3. Voy. les références citées par CH. BIQUET-MATHIEU, "Les conséquences financières de l’inexécution
d’un contrat de crédit : le point après les lois des 7 janvier 2001 et 24 mars 2003", in Actualités du droit
du crédit à la consommation, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2004,
p.163.
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L’exposé des motifs de la réforme de 2003 de la loi crédit est, à cet égard, sans
ambages : «L'obligation de souscrire une assurance existe aujourd'hui plus que
jamais et faire une distinction entre une assurance souscrite librement et une
assurance imposée revient en pratique à déterminer le sexe des anges»4.
La jurisprudence a eu maintes fois l’occasion de se prononcer sur cette notion de
liberté de choix5.
Le juge de paix de Grâce-Hollogne, dans sa décision du 30 novembre 2004
déduit de l’organisation commune du crédit et de l’assurance l’absence de choix
du consommateur6. Estimant les primes payées «sans cause licite», le juge les
déduit du montant à rembourser. Il eût été plus conforme à la loi de considérer
que le coût des primes devait être intégré dans le TAEG puisque le consommateur n’avait pas de liberté de choix. Partant, le TAEG originel eût été incorrect
et la sanction de la suppression des intérêts applicable. C’est pour éviter un tel
détour que la réforme de 2003 prévoit explicitement que le non-respect de
l’article 31 entraîne la réduction de plein droit des obligations du consommateur
au prix au comptant ou au montant emprunté (article 87, 5°).
Par ailleurs, cette réforme tente de limiter les abus constatés.
Les primes d’assurances doivent être comprises dans le taux du crédit, sauf :
• pour les contrats de crédit portant sur des montants de crédit supérieurs à
5.000 euros. En effet dans ces cas, la souscription de tels contrats d'assurance
peut relever d'une saine gestion et de la prudence afin de prémunir les proches contre le risque de devoir faire face à des engagements financiers insurmontables;
• lorsque le contrat d’assurance est conclu postérieurement à la conclusion du
contrat de crédit, à la demande expresse du consommateur et par un écrit
distinct du contrat d’assurance et postérieur au contrat de crédit.
La preuve de cette demande incombe au prêteur. A cet effet, le prêteur devra
produire :
• un écrit distinct du contrat d'assurance,
• un écrit postérieur à la conclusion du contrat de crédit.
Cette disposition vise à permettre au consommateur d’apprécier davantage
l’opportunité de souscrire une assurance en toute liberté, nonobstant le montant
du crédit égal ou inférieur à 5.000 euros.
De plus, le contrat de crédit doit mentionner explicitement que l’assurance n’est
pas obligatoire, et que, conformément à la loi sur les assurances, le preneur a le
droit de résilier le contrat dans les trente jours (article 14, paragraphe 3, 1° b).
4 . La cla use résol uto i re
Depuis la loi de 1957 sur les ventes à tempérament la clause résolutoire est
strictement réglementée.
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4. Doc. parl., Ch., 50 1730/001, p. 30.
5. Voy. les références citées par FRÉDÉRIC DE PATOUL : "La loi sur le crédit à la consommation et le
traitement du surendettement. Tendances et perspectives dégagées par la jurisprudence", J.J.P., 2002, p.
23.
6. Voy. dans le même sens J.P. Gand, 5 janvier 1998, J.J.P., p. 596; J.P. Gand, 30 décembre 1996, J.J.P.,
1997, p. 404; J.P. Eeklo, 10 septembre 1998, Ann. crédit, 1998, p. 196.
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Son application a suscité de nombreuses difficultés, qui, au fil du temps, ont été,
globalement, aplanies7. La mise en demeure doit respecter les conditions et les
mentions imposées suivant l’article 29 de la loi crédit. La jurisprudence sanctionne sévèrement l’absence de clarté ou la confusion de la mise en demeure.
Dans l’espèce soumise au juge de paix de Fontaine-l’Evêque, le prêteur s’était
engagé, dans la mise en demeure, à confirmer l’exigibilité des sommes si le
remboursement n’avait pas lieu dans le mois. La loi n’exige pas une telle
confirmation. Mais dans la mesure où le prêteur se l’est imposée et où il ne l’a
pas réalisée, le juge estime que la dénonciation est irrégulière.
Si, après avoir payé, dans le mois de la mise en demeure, les montants réclamés,
le débiteur accuse un nouveau retard, le prêteur doit recommencer la procédure
de l’article 29 de la loi crédit, comme le souligne la décision de Grâce-Hollogne
du 30 novembre 20048.
5 . L e fo r m a lis me du co nt ra t
Le formalisme du contrat de crédit et la rigueur de la sanction attachée au
manquement ont suscité quelques irritations, surtout lorsque l’absence de
certaines mentions a un caractère bénin ou non pertinent9.
Le formalisme du contrat indique la fragilité de l’équilibre des parties.
L’efficacité de ce système commande qu’il ne se divise point.
Dans l’espèce soumise au juge de Grâce-Hollogne, le contrat était truffé de
manquements au point qu’il était insalubre. Si le juge avait investigué davantage
il aurait mis en évidence que le taux exigé dépasse le taux maximum autorisé.
Mais la coupe était déjà pleine.
PIERRE DEJEMEPPE
Directeur au cabinet de la ministre de la Consommation
Dernière minute
Cour du travail de Mons (1ère chambre)
1er octobre 2004
I. Compétence ratione materiae – Agents et fonctionnaires publics –
Rémunération – Juridictions du travail.
II. Contrat de travail - Droits et obligations des parties – Rémunération –
Non-paiement – Eléments constitutifs de l'infraction – Dol général –
Prescription - Matières pénales – Infraction continue.
cette revue, p. 192, fait l'objet d'un pourvoi en cassation.
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7. Voyez l’excellente synthèse de Pierre-Louis BODSON : « Dénonciation du crédit à la consommation et
cession de rémunération » in Le crédit à la consommation, Commission Université-Palais, Larcier,
Bruxelles, 2004, pp. 173-234.
8. Voyez également Civ. Courtrai, 1er octobre 1999, J.J.P., 2000, p. 145 ; J.P. Westerlo, 27 avril 2001,
D.C.C.R., 2003, p. 78.
9. Michel VAN DEN ABBEELE, “C’est Byzance”, commentaire sous J.P. Izegem, 14 mars 2001, Ann.
Crédit, 2001, p. 112.