Octobre 2013 - vol. 25, no 3
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CONDITIONS DE PUBLICATION Toute personne intéressée à soumettre un article au Comité de rédaction doit en faire parvenir la version définitive, sur support papier ou électronique, avec ses coordonnées, au rédacteur en chef, au moins 60 jours avant la date de parution, à l’adresse suivante: Cahiers de propriété intellectuelle Rédacteur en chef Centre CDP Capital 1001, Square-Victoria – Bloc E – 8e étage Montréal (Québec) H2Z 2B7 Courriel: [email protected] L’article doit porter sur un sujet intéressant les droits de propriété intellectuelle ou une question de droit s’appliquant à de tels droits. Les articles de doctrine ne doivent pas dépasser 50 pages dactylographiées, sans les notes; les textes relatifs à des commentaires d’arrêts, à de l’information et à de la législation ne doivent pas être de plus de 20 pages dactylographiées. Les textes doivent être en langue française, dactylographiés à double interligne sur format 21 cm x 28 cm (81 2" x 11"). Le texte sur le support électronique ne doit être justifié à droite et il doit être aligné à gauche; aucun code ne doit être employé et l’auteur doit indiquer le type d’appareil et le programme utilisés. Les notes doivent être consécutives et reportées en bas de page. Les articles de doctrine doivent être accompagnés d’un résumé en langue française, libre à l’auteur de joindre une version anglaise. Les titres de volumes et de revues, les décisions des tribunaux, ainsi que les mots et expressions en langue autre que le français doivent être en italiques; les articles de revues doivent être cités entre guillemets. Enfin, il est inutile d’apposer les guillemets pour les citations en retrait du texte. L’auteur conserve son droit d’auteur mais accorde une licence de première publication en langue française, pour l’Amérique du Nord, accorde à la revue et à l’éditeur de même qu’une licence non exclusive de diffusion sur le site Internet des C.P.I. L’auteur est seul responsable de l’exactitude des notes et références ainsi que des opinions exprimées. Les Cahiers de propriété intellectuelle, propriété de la corporation Les Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont publiés et distribués par Les Éditions Yvon Blais inc. Les Cahiers peuvent être cités comme suit: (volume) C.P.I. (page). Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation du titulaire des droits. Une telle autorisation peut être obtenue en communiquant avec COPIBEC, 606, rue Cathcart, bureau 810, Montréal (Québec) H3B 1K9 (Tél. : (514) 288-1664; Fax : (514) 288-1669). © Les Éditions Yvon Blais, 2013 C.P. 180 Cowansville (Québec) Canada Tél. : 1-800-363-3047 Fax : (450) 263-9256 Site Internet : www.editionsyvonblais.com ISSN : 0840-7266 Publié trois fois l’an au coût de 199,95 $. 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CONSEIL D’ADMINISTRATION Georges AZZARIA, professeur Faculté de droit Université Laval, Ste-Foy Florence LUCAS, avocate Gowling Lafleur Henderson Montréal Louise BERNIER, professeure Responsable du Programme Droit et Biotechnologies Faculté de droit Université de Sherbrooke Ejan MACKAAY, professeur retraité Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal Laurent CARRIÈRE, avocat Robic, Montréal Hélène MESSIER, avocate directrice générale COPIBEC Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Hilal EL-AYOUBI, avocat Fasken Martineau Dumoulin Montréal Mistrale GOUDREAU, professeure vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Marie-Josée LAPOINTE, avocate secrétaire trésorière BCF, Montréal Annie MORIN, avocate ArtistI Montréal Daniel PAUL, avocat Vice-président – Affaires juridiques CGI Montréal Ghislain ROUSSEL, avocat président Montréal Daniel URBAS, avocat Borden Ladner Gervais, Montréal Rédacteur en chef Laurent CARRIÈRE Comité de rédaction et comité de lecture Georges AZZARIA, professeur Faculté de droit Université Laval, Ste-Foy Florence LUCAS, avocate Gowling Lafleur Henderson Montréal Louise BERNIER, professeure Responsable du Programme Droit et Biotechnologies Faculté de droit Université de Sherbrooke Ejan MACKAAY, professeur retraité Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal Laurent CARRIÈRE, avocat Robic, Montréal Hélène MESSIER, avocate directrice générale COPIBEC Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Hilal EL-AYOUBI, avocat Fasken Martineau Dumoulin Montréal Mistrale GOUDREAU, professeure vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Marie-Josée LAPOINTE, avocate secrétaire trésorière BCF, Montréal Annie MORIN, avocate ArtistI Montréal Daniel PAUL, avocat Vice-président – Affaires juridiques CGI Montréal Ghislain ROUSSEL, avocat président Montréal Daniel URBAS, avocat Borden Ladner Gervais, Montréal Comité exécutif de rédaction Louise BERNIER Laurent CARRIÈRE Mistrale GOUDREAU Ghislain ROUSSEL Comité éditorial international Bassem AWAD, Ph.D. Chef magistrat, ministère égyptien de la Justice consultant, Département de la Justice de Abu Dhabi Al Ain, Emirates of Abu Dhabi Christophe CARON Avocat à la Cour Professeur agrégé à la Faculté de droit de Paris-Est (Paris XII) Jacques DE WERRA, professeur Faculté de droit, Université de Genève Genève, Suisse Jane C. GINSBURG, professeure, Columbia University School of Law New York, USA Teresa GRZESZAK, professeure Faculté de droit Université de Varsovie, Pologne Lucie GUIBAULT, avocate Assistant professeure en propriété intellectuelle Instituut voor Informatierecht, Amsterdam, Pays-Bas Tomoko INABA, avocate Tokyo, Japon Jacques LABRUNIE, avocat Gusmao Labrunie Sao Paulo, Brésil Marshal LEAFFER Maurer School of Law Indiana University, USA Dr Fransumo LEE Conseil en propriété intellectuelle Cabinet ORIGIN Séoul, Corée du Sud André LUCAS Professeur de droit Université de Nantes France Victor NABHAN, Président de l’ALAI Internationale, professeur étranger OMPI Paris GianLuca POJAGHI, avocat Studio Legale Pojaghi Milan, Italie Antoon A. QUAEDVLIEG, avocat et professeur Faculté de droit Université catholique de Nimègue Nijmegem, Pays-Bas Alain STROWEL Avocat et professeur de droit Université Saint-Louis et UCLouvain Avocat Covington & Burling LLP Bruxelles, Belgique Paul Leo Carl TORREMANS, professeur, School of Law, University of Nottingham Nottingham, Grande Bretagne Silke von LEWINSKI, chercheure Chef de département Max-Planck Institute for Intellectual Property Münich, Allemagne Ghislain ROUSSEL Secrétaire du Comité Avocat conseil Montréal Stefan MARTIN, membre Première et cinquième chambre de recours Office de l’harmonisation dans le marché intérieur Alicante, Espagne TABLE DES MATIÈRES Articles Présentation Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 851 Présentation du numéro Georges Azzaria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 855 Retour sur le numéro de janvier 2013 sur les droits moraux Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 857 Rédaction législative et droit d’auteur : à la recherche du fil d’Ariane Mistrale Goudreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 861 Un tournant pour le droit d’auteur canadien Georges Azzaria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 885 Le droit de mise à disposition Claude Brunet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 903 Les artistes-interprètes et la réforme de la Loi sur le droit d’auteur (Droits exclusifs de l’artiste-interprète, droit à la rémunération, reproductions à des fins privées et droits moraux) Annie Morin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 933 847 848 Les Cahiers de propriété intellectuelle La protection des photographies suite aux modifications de 2012 à la Loi sur le droit d’auteur Vivianne de Kinder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 951 L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » par l’élargissement des exceptions au bénéfice des établissements d’enseignement, des bibliothèques, des musées et des services d’archives Véronyque Roy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 965 Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement Normand Tamaro et Julie-Anne Archambault. . . . . . . 981 Les nouvelles exceptions pour reproduction à des fins privées / Visionnement en différé / Copie de sauvegarde / Enregistrements éphémères par les radiodiffuseurs : un échec au test de la réalité Madeleine Lamothe-Samson . . . . . . . . . . . . . . . . 1001 Aspects internationaux de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur du Canada Ysolde Gendreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1027 C-11, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information et la responsabilité des intermédiaires techniques québécois : une dualité de régimes (in)utile(s) ? Nicolas Vermeys . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1051 La modernisation des recours en droit d’auteur au Canada : un survol en droit comparé Jean-Philippe Mikus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1099 Entertainment Software Association et les sonneries musicales : d’un litige à un autre Gilles Daigle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1119 Table des matières 849 Régime français de la responsabilité des intermédiaires techniques Catherine Jasserand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1133 Comptes rendus Le droit dans les mondes virtuels – Philosophie et économie Laurence Bich-Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1149 Principes généraux de la Loi sur le droit d’auteur Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1153 La protection du secret commercial dans les nuages publics de l’infonuagique (Cloud Computing) Vivianne de Kinder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1157 Actes illicites sur Internet : Qui et comment poursuivre Florence Lucas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1159 JurisClasseur Québec Propriété intellectuelle Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1163 Présentation Faire entrer un cheval dans une coquille n’en fait pas un escargot, tu sais. – Francis DESHARNAIES, Burquette (Montréal, Les 400 coups, 2008), p. 29. Rien ne contribue davantage à bien faire recevoir du Public un Livre de Jurifprudence, que l’utilité des chofes qu’on y traite, l’autorité de ses décifions, & la méthode qu’on y obferve. – Recueil d’édits et d’ordonnances royaux sur le fait de justice et autres manières les plus importantes (Paris, Montalant, 1720), tome 1, préface, par. 1 Une présentation du rédacteur en chef alors qu’il y en a déjà une pour le thème C-11 du présent numéro et même une rétroactive pour celui de janvier 2013 sur le droit moral ? L’éditeur insiste, je veux bien mais qu’ajouter qui n’est déjà couvert1 ? Montesquieu affirmant que « [l]es écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles »2, je m’exécute ad auxilium vocatus. 1. Peut-être en profiter pour annoncer un peu le contenu du numéro de janvier 2014 à partir des tapuscrits reçus et acceptés par le comité de lecture. 2. MONTESQUIEU (Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, dit), De l’esprit des loix, (Genève, Barillot, 1748) livre, XII, ch. 13. Ce qui me permet un premier œuf de Pâques : dans le prochain numéro un article qui portera sur l’évolution de la preuve, du témoin à l’écrit et du papier à l’électronique. 851 852 Les Cahiers de propriété intellectuelle Des projets de loi C-113 et C-564, certains ont dit : « Tout cela n’a plus de bon sens »5 et d’autres ont pensé « Vos idées sont tellement néfastes que nous croyons risqué de composter le papier où elles ont été couchées »6 : cela permet au rédacteur en chef de ne pas vraiment commenter7 et de laisser le lecteur décider en prenant connaissance de ce numéro8. Modernisation et environnement numérique. Il est ironique de constater ici que la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, qui porte le numéro 20 des lois de 2012, est précédée9 « numériquement » de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19, dont l’article 476 abroge l’obligation10 de diffusion d’un exemplaire des numéros de la Gazette du Canada où sont publiés des règlements ce qui a pour effet d’abroger la copie imprimée de la Gazette du Canada11. Bref et en clair, à compter du 1er avril 201412, la Gazette du Canada ne sera plus imprimée en version papier ni livrée par la poste13. Et pourtant « Voulons & ordonnons que en chacune Chambre de nos Cours de Parlement, & femblablement ès Auditoires de nos Baillifs, Senechaux & Juges y ait un livre defdites 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, maintenant L.C. 2012, ch. 20. Et on rappellera ici que le projet de loi C-11 a eu pour prédécesseur les projets de loi C-60 en 2005, C-61 en 2008 et C-32 en 2010. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, la Loi sur les marques de commerce et d’autres lois en conséquence, première session, quarante et unième législature, 60-61-62 Elizabeth II, 2011-2012-2013, mort au feuilleton. Droit de la famille – 132480, 2013 QCCS 4394 (2013-09-16), juge Denis, par. 9. Francis DESHARNAIES, Burquette (Montréal, Les 400 coups, 2008), p. 1. Même si un choix de citation peut parfois s’apparenter à un commentaire : « Dans l’histoire de l’humanité, il n’est aucun chapitre plus instructif pour le cœur et l’esprit que les annales de ses égarements. » eût dit Friedrich SCHILLER, Le criminel par infamie : une histoire véritable (Paris, José Corti, 1990), p. 9. « C’est le spectateur qui fait les tableaux » : Marcel DUCHAMP, Duchamp du signe (Paris, Flammarion, 1994), p. 247. Autre Easter egg : dans le numéro de janvier 2014, il sera discuté de la transposition en droit canadien des traités OMPI de 1996. Et suivie « numériquement », de la Loi sur la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, L.C. 2012, ch. 21. Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22, art 13. Règlement modifiant le Règlement sur les textes réglementaires (2013-05-08), 17:10 Gazette du Canada, Partie II, p. 1282 et ce, « afin d’appuyer les initiatives d’écologisation [wow, quel terme branché !] du gouvernement dans le cadre de sa Stratégie de développement durable ». Et on apprend aussi qu’en 2012, il n’y avait plus que 223 particuliers abonnés à la Gazette , comparativement à 1466 en 2007 – une diminution de 85 %. Beaux factoïdes utiles lors d’un cocktail de juristes. Date prévue d’entrée en vigueur. Ce qui permettra également au gouvernement du Canada de réaliser des économies de 300 000 $ par année et aux bibliothécaires de libérer de l’espace de rangement et d’épargner le coût annuel de reliure. Présentation 853 Ordonnances, afin que fi aucune difficulté y survenoir, on ait promptement recours à icelles »14. Quelques perles relevées à l’occasion de la confection du présent numéro : • les ramages exemplaires (plutôt que dommages), • le garnement (plutôt que gouvernement, sans doute inspiré de Sol15...), • le droit amoral de l’auteur et le droit de l’auteur immoral, • le café équitable (plutôt que l’utilisation équitable, sans doute par un auteur en manque !), • les mesures de détournement (plutôt que mesures anti-contournement, sans doute par un correcteur en manque de synonymes), • les autistes-interprètes (plutôt que artistes-interprètes), • les variations education, éducassion et educacion (ce qui est ironique vu le sujet) et • un en glaise pour anglaise. Sans compter une « fausse septique fonctionnelle » pour fosse septique (on aurait presque préféré une fausse sceptique)16. Je m’en voudrais de passer sous silence la traduction17 de hearsay par rumeur dans deux décisions récentes de la Commission des oppositions18, un Disposition qui devient en français un Règle14. Louis XII, Ordonnance donnée à Blois en mars 1498 (art. 72). 15. Oui, oui, le clown clochard du regretté Marc Favreau. « Sol « prend les mots pour d’autres », les mélange et les malaxe pour le plus grand délice de son public, et pour mieux lui dépeindre à quel point il (lui, le public) est en train de mettre le monde tout à l’envers ». Merci Wikipédia. 16. St-Colomban (Municipalité de) c. Gilbert, 2013 QCCS 1360 (2013-03-15), juge Gaudreau, par. 28. 17. Les décideurs ne sont pas responsables de la traduction de leurs décisions, faut-il le préciser. 18. Arbor Memorial Services Inc. c. NewPage Wisconsin System Inc., 2013 COMC 127 (Comm. opp. ; 2013-07-25), A. Flewelling, par. 13 et 17 ; voir aussi Ben Sherman Group Ltd. c. MicheleKnautz, 2013 COMC 122 (Comm. opp. ; 2013-07-11), C. Tremblay dont le paragraphe 43 : « While excerpts of third party websites are generally considered hearsay and cannot be relied upon as evidence of the truth of their contents » est devenu « Bien que les extraits de sites Web appartenant à des tiers soient généralement considérés comme des rumeurs et ne peuvent pas être 854 Les Cahiers de propriété intellectuelle ment19, un « ... de mieux cerner les enjeux en jeu... » et un « enclosed are the documents duly initialized and signed by our clients as well as a Declaration of Settlement out of course »20. Sur une note plus sérieuse, annonçons un important renouvellement au comité éditorial international, avec l’arrivée du professeur Marshall Leaffer du Maurer School of Law de l’Indiana University, de Christophe Caron, avocat et professeur agrégé à la Faculté de droit de Paris-Est et de Tomoko Inaba, avocate à Tokyo. Je conclus, par une citation de bon ton : « Courts created page limits to deal with scholars, scholars created footnotes and appendices to deal with page limits. »21. Sur ce, bonne lecture22 ! Laurent Carrière Rédacteur en chef 19. 20. 21. 22. utilisés comme preuve quant à la véracité de leur contenu ». Cet extrait, malheureusement pas unique, permet d’annoncer, comme dernier EE, que le numéro de janvier 2014 comportera un article sur les problèmes de preuve résultant de l’emploi des archives Internet (lire WayBack Machine). Conseil canadien des ingénieurs c. REM Chemicals Inc., 2013 COMC 145 (Comm. opp. ; 2013-09-03), A. Flewelling, par. 58. Cela peut se justifier mais cela n’est pas dans la commune parlance juridique. On lira ici, Umberto ECO, Dire presque la même chose – Expériences de traduction (Paris, Grasset, 2003), ce qui annonce, peut-être, un prochain numéro des CPI sur le thème de la traduction/adaptation avec ou sans commentaires sur la peine de mort pour les traîtres que sont parfois les traducteurs ! Bien sûr, parce que, parfois, les litiges, ce sont des marathons... C.S. Bradford, cité dans Amicus Humoriae: An Anthology of Legal Humor compilé par Robert M. JARVIS et al. (Durham, Carolina Academic Press, 2003), p. 9. À la demande du relecteur, pour ceux qui ne fraient pas trop avec le monde des technonologies de l’information et des communications (TIC), je précise qu’un « œuf de Pâques » (ou Easter egg ou EE) est, en informatique ou en jeu vidéo, une fonction cachée au sein d’un programme : « they don’t enhance the game, they are just there for fun ». L’unité familiale de recherche en divertissement audiovisuel interactif du rédacteur en chef des CPI, quelques heures après la sortie du jeu Grand Theft Auto V (GTA5), en était rendue à quinze, excluant les références et clins d’œil. Quel beau sujet d’article : des volontaires ? Présentation du numéro Ce numéro des Cahiers de propriété intellectuelle est essentiellement consacré à la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Cette loi, entrée en vigueur en novembre 2012, a modifié plusieurs pans de la législation canadienne et il a semblé nécessaire d’en publier une étude approfondie. Le législateur cherchait notamment à ratifier les traités internationaux de l’OMPI mais, ce faisant, il a saisi l’occasion pour apporter d’autres types de réformes. Certains textes ne manquent pas de critiquer les orientations choisies et leurs effets possibles ; toutefois, en règle générale, le propos des auteurs se veut descriptif. L’objectif demeure celui d’expliquer le droit nouveau, bien qu’il soit parfois démontré que la loi permet désormais des interprétations divergentes et que la jurisprudence aura le mandat de clarifier des zones d’ombre. La forme de la loi tout comme son style de rédaction sont analysés dans un premier article proposé par Mistrale Goudreau. La transformation dans les fondements du droit d’auteur que semble vouloir le législateur est ensuite commentée par Georges Azzaria. La loi introduit un droit de mise à disposition et Claude Brunet en discute les implications. De même, tel que l’expose Annie Morin, les artistes-interprètes se voient accorder de nouveaux droits. Vivianne de Kinder livre quant à elle un tour d’horizon complet de ce que devient le droit des photographes à la lumière des changements apportés. Les exceptions au droit exclusif des auteurs occupent une place importante dans la Loi sur la modernisation du droit d’auteur et quelques contributions en font état. Véronyque Roy aborde les exceptions qui visent les établissements d’enseignement, les bibliothèques, les musées et les services d’archives. Pour leur part, Normand Tamaro et Julie-Anne Archambault offrent une synthèse des exceptions dans les établissements d’enseignement. Enfin, Madeleine Lamothe-Samson présente les exceptions au profit des individus et des radiodiffuseurs. 855 856 Les Cahiers de propriété intellectuelle D’autres aspects de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur sont également traités. C’est ainsi que Ysolde Gendreau situe la loi canadienne dans le contexte des accords internationaux. Nicolas Vermeys aborde de son côté la question de la responsabilité des intermédiaires techniques. Enfin, Jean-Philippe Mikus parcourt, dans une optique de droit comparé, les recours offerts par la loi. Des remerciements vont d’abord aux auteurs qui ont bien voulu rédiger, sans filet, une première doctrine sur la loi, conscients de la part de risque qu’un tel exercice comporte. La préparation d’un numéro spécial est le résultat d’un travail d’équipe et des remerciements vont aussi à Hélène Messier qui a collaboré à la confection du plan. Soulignons enfin la contribution des membres du comité de rédaction des Cahiers de propriété intellectuelle à la publication de ce numéro et plus particulièrement au soutien de Florence Lucas, Annie Morin, Laurent Carrière, Hilal El Ayoubi et Ghislain Roussel. D’autres articles composent ce volume : un texte de Gilles Daigle portant sur les sonneries musicales qui traite aussi les nouvelles dispositions de la Loi sur le droit d’auteur et un autre de Catherine Jasserand sur la responsabilité des intermédiaires techniques en France, un article qui permet de constater la différence entre la position française et la position canadienne sur cette question. Des comptes-rendus de lecture préparés par Laurence BichCarrière, Laurent Carrière, Vivianne de Kinder, Florence Lucas et Ghislain Roussel complètent cette édition des Cahiers de propriété intellectuelle. Georges Azzaria Professeur Faculté de droit, Université Laval Retour sur le numéro de janvier 2013 sur les droits moraux Ghislain Roussel* Pris dans la tourmente de la révision et de la relecture de l’ensemble des textes reçus sur les droits moraux en vue de la sortie – même tardive – du numéro de janvier 2013 des Cahiers de propriété intellectuelle, je n’ai pu rejoindre tous les collaborateurs à cet impressionnant numéro pour les remercier une dernière fois, leur exprimer toute ma reconnaissance et leur transmettre mes excuses pour les délais de publication et l’acheminement des tirés à part. Ce numéroci de la revue me permet ainsi un certain retour en arrière. Le numéro de janvier 2013 portait essentiellement sur la thématique du traitement juridique national, communautaire et international du (des) droit (droits) moral (moraux), traitement effectué, d’une part, dans une perspective historique et évolutive et, d’autre part, sous l’angle de la législation et de la jurisprudence nationales. Qu’il s’agisse de la notion et de la portée du droit moral ou des droits moraux, de la théorie moniste ou dualiste du droit d’auteur, de la source et de la reconnaissance nationale du droit moral, de l’étendue, de la mise en œuvre et de l’exécution du droit moral, tout y passe et sous des angles et des perspectives divers. En effet, le droit moral peut être reconnu en tant que tel dans la législation nationale sur le droit d’auteur, mais il peut ne pas l’être, ou si peu, et l’être de manière accessoire ou incidente dans un texte législatif autre et, parfois, en conflit ou en complémentarité avec un texte législatif dont le Code civil dans des États. De plus, le droit moral peut avoir été « constitutionnalisé » dans certains pays à la suite de la ratification © Ghislain Roussel, 2013. * Avocat, président des Cahiers de propriété intellectuelle inc. et coordonnateur du numéro spécial de janvier 2013 (vol. 25, no 1) sur les droits moraux. 857 858 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’accords régionaux ou internationaux ou de décisions de tribunaux en découlant. Les composantes habituelles du droit moral sont ailleurs reconnues, en totalité ou en partie, comme des droits de la personne ou des droits de la personnalité et lesdites composantes peuvent recevoir un traitement distinct selon la catégorie d’œuvres créées et dans leur durée, leur titularité, leur respect, les recours, remèdes et preuves en cas de violation, etc. Il y a de tout, ou presque, et c’est ce qui s’est avéré fascinant à la lecture des contributions reçues. Ces variantes et ces divergences s’étendent également à l’essence du droit moral, son champ d’application, ses bénéficiaires du vivant de l’auteur et après sa mort, dont la gestion soit par les héritiers, soit par la nation gardienne du patrimoine nationale ou une association désignée, la durée du droit moral, sa mise en œuvre et son exécution. La jurisprudence et la doctrine semblent partout assez timides sur le sujet et peu amènes. L’étude du droit moral des auteurs porte aussi sur le droit moral des artistes-interprètes ou exécutants. Vous avez eu le loisir de découvrir ce faisceau de traitement du droit moral à l’échelle nationale et internationale et de lire sur la remise en question du droit moral, sur un re-questionnement, parfois très critique ou sévère, dans la société contemporaine, dans notre société de consommation et dans l’environnement numérique. Des pistes nouvelles – et pas toujours rassurantes, comme vous le constaterez – sont tracées ou mises de l’avant à cet égard. Les Cahiers de propriété intellectuelle, sous ma coordination, ont donc invité de nombreux collaborateurs de premier plan des cinq continents, ayant effectué des recherches et des publications en matière de droit moral, à soumettre un article à portée juridique et, également, pratique sur ce sujet d’un point de vue national et parfois d’un point de vue communautaire (Union européenne), mais aussi international. Plus de vingt-cinq personnes ont généreusement et gracieusement accepté de contribuer à ce numéro spécial des Cahiers de propriété intellectuelle. Les articles publiés sur cette thématique du droit moral reflètent ainsi divers modèles, régimes ou applications de nature législative du droit moral. Les Cahiers de propriété intellectuelle remercient chaleureusement tous ces précieux collaborateurs de leur apport scientifique, ainsi que de leurs enseignements, soit, par ordre alphabétique, Retour sur le numéro de janvier 2013 sur les droits moraux 859 Elizabeth Adeney de l’Australie, Margarida Almeida Rocha du Portugal pour les pays lusophones à l’exception du Brésil, Bassem Awad de l’Égypte pour l’ensemble du monde arabo-musulman, Nicolas Binctin de la France, Jihong Chen de la Chine, José Carlos Costa Netto du Brésil, Jacques De Werra de la Suisse, Gillian Davies du Royaume-Uni, Adolf Dietz de l’Allemagne pour la Russie, Daniel Gervais du Canada pour les États-Unis d’Amérique, Teresa Grzeszak de la Pologne, Janine Hollesen de l’Afrique du Sud, Tomoko Inaba du Japon, Marie-Christine Janssens de la Belgique, Dave Lee de la Corée du Sud, Agnès Lucas-Schloetter pour l’Allemagne, Juan José Marin Lòpez de l’Espagne, Graciela Melo-Sarmiento de la Colombie, Pierre-Emmanuel Moyse du Canada, Laurier Yvon Ngombé de la France pour les pays de l’Afrique anglophone et francophone à l’exception de l’Afrique du Sud, Antoon Quaedvlieg pour les Pays-Bas, Stina Teilmann-Lock du Danemark, Paul Torremans du Royaume-Uni, Michel Vivant de la France et Rachel Xalabarder Plantada de l’Espagne. Les Cahiers de propriété intellectuelle désirent également remercier vivement les membres du comité éditorial international et du comité de rédaction qui ont collaboré à ce numéro de la revue par la remise d’un article ou pour leurs démarches afin d’inviter des collaborateurs. Je désire rendre un tribut tout particulier, par ordre alphabétique, aux membres suivants du comité éditorial international : Bassem Awad, Jacques De Werra, Teresa Grzeszak, Fransumo Lee, Victor Nabhan, Antoon Quaedvlieg, Alain Strowel, Paul Torremans et Silke von Lewinski, et du comité national de rédaction : Florence Lucas, Hélène Messier, Annie Morin et Daniel Urbas. Les remerciements habituels vont finalement au rédacteur en chef Laurent Carrière pour la relecture, la vérification et le traitement uniforme des textes, la traduction dans un cas et sa patience dans les demandes de report de délais. Vol. 25, no 3 Rédaction législative et droit d’auteur : à la recherche du fil d’Ariane Mistrale Goudreau* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 863 1. La mise en œuvre pointilleuse des conventions internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 865 2. L’organisation aléatoire des droits économiques . . . . . . 872 3. L’enchevêtrement des exceptions législatives . . . . . . . . 876 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 882 © Mistrale Goudreau, 2013. * Professeur titulaire, Section de droit civil, Université d’Ottawa. 861 Introduction Le 29 juin 2012, la Loi sur la modernisation du droit d’auteur a reçu la sanction royale, mettant fin à une suite de projets morts au feuilleton1. C’est la dernière d’une série de modifications apportées au régime canadien de droit d’auteur, modifications qui furent un temps introduites par phases2, la première en 19883, la seconde en 19974. Parfois des changements plus ponctuels ont été faits, pour mettre en œuvre en droit interne des conventions internationales ou moderniser la loi5. Finalement un programme de réforme continu a été annoncé, classant les enjeux en catégories pour lesquelles on prévoyait des interventions législatives à court, moyen et long termes6. La loi modificatrice de 2012 correspond à l’un de ces projets à court terme. 1. Trois projets de loi déposés à la Chambre des communes, l’un en 2005, le suivant en 2008, le dernier en 2010 sont morts au feuilleton : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Chambre des communes du Canada, projet de loi C-60, Première session, trente-huitième législature, 53-54 Elizabeth II, 2004-2005, première lecture le 20 juin 2005, <http://www.parl.gc.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Language=F& Mode=1&billId=1951404> ; Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Chambre des communes du Canada, projet de loi C-61, Deuxième session, trente-neuvième législature, 56-57 Elizabeth II, 2007-2008, première lecture le 12 juin 2008, <http:// www.parl.gc.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Language=F&Mode=1&billId=318 8787>, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Chambre des communes du Canada, projet de loi C-32, Troisième session, quarantième législature, 59 Elizabeth II, 2010, dernière étape franchie, deuxième lecture et renvoi à un comité à la Chambre des communes (2010-11-05), <http://www.parl.gc.ca/LegisInfo/Bill Details.aspx?Mode=1&billId=4567265&Language=F>. 2. Gouvernement du Canada, Droit d’auteur équilibré, Cadre de révision du droit d’auteur (2002), <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/rp01101.html>. 3. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et apportant des modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988, ch. 15. 4. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, ch. 24. 5. Parmi les plus importantes, on trouve la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada – États-Unis, L.C. 1988, ch. 65 ; en 1993, la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44 ; et en 1994, la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47 ; la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, c. 15 ; la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1993, c. 23 ; Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 2002, ch. 26. 6. Industrie Canada, Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur (Loi sur le droit d’auteur – Rapport sur 863 864 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le gouvernement a ainsi formulé les objectifs de son intervention en 2012 : « [m]oderniser la Loi sur le droit d’auteur pour qu’elle tienne compte des progrès technologiques et des normes internationales ; [p]rotéger les intérêts des Canadiens, tant ceux des créateurs que des consommateurs ; [é]tablir un cadre souple et tourné vers l’avenir, qui aidera à protéger les emplois et à en créer, à stimuler l’économie et à attirer de nouveaux investissements au Canada ; [é]tablir des règles neutres sur le plan technologique afin qu’elles puissent s’adapter constamment aux progrès technologiques tout en assurant une protection adéquate aux créateurs et aux consommateurs »7. Bref, le gouvernement était animé par un souci de stimuler un essor économique et une volonté de modernisation. Il affirmait aussi que sa réforme prendrait en compte les activités quotidiennes des Canadiens : « Le projet de loi offre une approche équilibrée qui tient compte des activités quotidiennes des Canadiens.8 ». « Cette nouvelle version de la loi permettra aux Canadiens et Canadiennes d’aborder plus facilement les difficultés et les possibilités de l’ère numérique.9 » Nous entendons ici nous concentrer sur ce dernier objectif. Facilité pour l’entreprise ou individu ordinaire, prise en compte des activités quotidiennes de la population, le gouvernement a-t-il tenu parole ? Les modifications de la loi modificatrice de 2012 ont-elles rendu le droit d’auteur plus compréhensible, ses règles plus commodes à observer, le défi technologique plus facile à relever ? La rédaction de cette loi aide-t-elle le consommateur moyen à comprendre ses obligations et ses droits en matière de propriété littéraire et artistique ? Déjà, en 1998, nous avons publié un commentaire sur la forme de rédaction législative adoptée lors des modifications de 199710. Notre conclusion était que le langage hermétique et le style prolixe, pointilleux, de la loi, ainsi que le découpage à outrance des l’article 92), INDUSTRIE CANADA, Octobre 2002, <http://strategis.ic.gc.ca/eic/ site/crp-prda.nsf/fra/rp00863.html>. 7. GOUVERNEMENT DU CANADA, Droit d’auteur équilibré, Loi sur la modernisation du droit d’auteur – Fiche d’information, <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crpprda.nsf/fra/h_rp01237.html>, consulté le 21 juin 2013. 8. GOUVERNEMENT DU CANADA, Centre des nouvelles du Canada, Les ministres Paradis et Moore se réjouissent de l’adoption de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur par la Chambre des communes, <http://news.gc.ca/web/articlefra.do?mthd=tp&crtr.page=1&nid=681139&crtr.tp1D=1>. 9. GOUVERNEMENT DU CANADA, Droit d’auteur équilibré, Questions et réponses – La Loi sur la modernisation du droit d’auteur, <http://droitdauteurequi libre.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01153.html#amend>. 10. Mistrale GOUDREAU, « Et si nous discutions de rédaction législative... Commentaire sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur », (1998) 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 7-32. Rédaction législative et droit d’auteur 865 droits et des exceptions, étaient des preuves que toutes les leçons de la légistique n’avaient pas été retenues. Une quinzaine d’années plus tard, nous nous permettons une récidive en nous penchant sur les modifications de 2012, et notre conclusion n’est guère plus enthousiaste. En fait, une image s’impose à notre esprit : nous sommes devant le labyrinthe de Dédale à la recherche du fil d’Ariane11. Nous donnerons trois exemples des embrouillaminis ou obscurcissements auxquels nous soumet la loi sous étude : la mise en œuvre pointilleuse des conventions internationales, l’organisation aléatoire des droits économiques et l’enchevêtrement des exceptions législatives. Le premier exemple est technique, mais a été choisi parce qu’il explique en partie les raisons de la complexification à outrance de la loi canadienne. Il concerne la mise en œuvre des conventions internationales, notamment les traités communément appelés « Traités Internet de l’OMPI »12. 1. La mise en œuvre pointilleuse des conventions internationales Le sommaire de la loi de 2012 nous indique que le texte modifie la Loi sur le droit d’auteur pour « mettre à jour les droits et les mesures de protection dont bénéficient les titulaires du droit d’auteur, en conformité avec les normes internationales, afin de mieux tenir compte des défis et des possibilités créés par Internet ». En particulier, la loi modificatrice de 2012 vise à permettre la ratification et la mise en œuvre de deux traités, signés par le Canada en 1997, soit le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (TODA) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TOIEP). L’un de ces traités élargit les droits économiques reconnus aux 11. Pour ceux qui n’auraient qu’un vague souvenir de la mythologie grecque, rappelons que Minos, roi de Crète, ayant fait défaut de sacrifier le taureau que le Dieu Poséidon lui avait donné pour holocauste, fut puni. Poséidon rendit sa femme amoureuse du taureau et de leur union naquit le Minotaure, monstre mi-taureau, mi-homme. Minos demanda à Dédale de lui construire une enceinte pour enfermer le Minotaure et celui-ci construisit le Labyrinthe dont la sortie était introuvable. Chaque année, quatorze jeunes Athéniens étaient jetés dans le labyrinthe pour servir de pâture au Minotaure. Thésée, un héros athénien, se porta volontaire pour aller tuer le Minotaure et Ariane, fille de Minos et tombée amoureuse du héros, lui remit un peloton de fil dont Thésée devait attacher l’extrémité à la porte du Labyrinthe et qu’il devait dévider le long de son trajet. Grâce à cette astuce, Thésée et les jeunes Athéniens retrouvèrent la sortie du Labyrinthe et furent sauvés. Edith HAMILTON, La mythologie, Éd. Marabout, Verviers (Belgique), 1978, p. 182-184. 12. Ainsi désignés par l’OMPI elle-même : voir <http://www.wipo.int/copyright/fr/ activities/wct_wppt/wct_wppt.html>. 866 Les Cahiers de propriété intellectuelle artistes-interprètes, par rapport à ceux reconnus aux bénéficiaires de la Convention de Rome ou de l’OMC, conventions déjà mises en œuvre en droit canadien. Nous nous retrouvons donc dans la même loi avec trois régimes de protection économique pour les artistes-interprètes, décrits aux paragraphes 15(1) et 15(1.1) et à l’article 26, dans les sections intitulées Droits de l’artiste-interprète Droit d’auteur et Droits des artistes-interprètes – pays OMC. L’article 26 indique d’emblée son champ d’application à l’artiste-interprète « dont la prestation a lieu après le 31 décembre 1995 dans un pays membre de l’OMC », mais les paragraphes 15(1) et 15(1.1) contiennent ce qui est désigné dans le jargon des légistes comme des « connecteurs modulant la portée d’une règle »13. La disposition commencera par l’expression « sous réserve du paragraphe ... ». Voyons l’un de ces connecteurs, le paragraphe 15(2) concernant la Convention de Rome : (2) La prestation visée au paragraphe (1) doit être, selon le cas : a) exécutée au Canada ou dans un pays partie à la Convention de Rome ; b) fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le producteur, lors de la première fixation, soit est un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou un citoyen ou un résident permanent d’un pays partie à la Convention de Rome, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siège social au Canada ou dans un tel pays, ou fixée au moyen d’un enregistrement sonore publié pour la première fois au Canada ou dans un pays partie à la Convention de Rome en quantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public ; c) transmise en direct par signal de communication émis à partir du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome par un radiodiffuseur dont le siège social est situé dans le pays d’émission. La loi modificatrice de 2012, voulant régler le cas de l’OIEP, ajoute au paragraphe 2.1 : 13. Jacques LAGACÉ, « Phraséologie des renvois et connecteurs modulant la portée de la règle », dans Richard TREMBLAY (dir), Éléments de légistique : comment rédiger les lois et les règlements (Cowansville, Blais, 2010), à la p. 518. Rédaction législative et droit d’auteur 867 (2.2) Le paragraphe (1.1) s’applique également lorsque la prestation, selon le cas : a) est exécutée dans un pays partie au traité de l’OIEP ; b) est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le producteur, lors de la première fixation, soit est un citoyen ou un résident permanent d’un pays partie au traité de l’OIEP, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siège social dans un tel pays, ou est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont la première publication en quantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public a eu lieu dans un pays partie au traité de l’OIEP ; c) est transmise en direct par signal de communication émis à partir d’un pays partie au traité de l’OIEP par un radiodiffuseur dont le siège social est situé dans le pays d’émission. Pour les pays non membres de ces conventions internationales, on adopte la règle de la réciprocité, ce qui donne, dans sa version adoptée en 2012 et non encore en vigueur, cet article 22 : Réciprocité 22. (1) Lorsqu’il est d’avis qu’un pays, autre qu’un pays partie à la Convention de Rome ou au traité de l’OIEP, accorde ou s’est engagé à accorder, par traité, convention, contrat ou loi, aux artistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores, ou aux radiodiffuseurs, qui, selon le cas, sont des citoyens canadiens ou des résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou, s’il s’agit de personnes morales, ont leur siège social au Canada, essentiellement les mêmes avantages que ceux conférés par la présente partie, le ministre peut, en publiant une déclaration dans la Gazette du Canada, à la fois : a) accorder les avantages conférés par la présente partie respectivement aux artistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores, ou aux radiodiffuseurs, sujets, citoyens ou résidents permanents de ce pays ou, s’il s’agit de personnes morales, ayant leur siège social dans ce pays ; b) énoncer que ce pays est traité, à l’égard de ces avantages, comme s’il était un pays visé par l’application de la présente partie. 868 Les Cahiers de propriété intellectuelle Réciprocité (2) Lorsqu’il est d’avis qu’un pays, autre qu’un pays partie à la Convention de Rome, n’accorde pas ni ne s’est engagé à accorder, par traité, convention, contrat ou loi, aux artistesinterprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores, ou aux radiodiffuseurs, qui sont des citoyens canadiens ou des résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou, s’il s’agit de personnes morales, ayant leur siège social au Canada, essentiellement les mêmes avantages que ceux conférés par la présente partie, le ministre peut, en publiant une déclaration dans la Gazette du Canada, à la fois : a) accorder les avantages conférés par la présente partie aux artistes-interprètes, producteurs d’enregistrements sonores ou radiodiffuseurs sujets, citoyens ou résidents permanents de ce pays ou, s’il s’agit de personnes morales, ayant leur siège social dans ce pays, dans la mesure où ces avantages y sont accordés aux artistes-interprètes, producteurs ou radiodiffuseurs qui sont des citoyens canadiens ou de tels résidents permanents ou, s’il s’agit de personnes morales, ayant leur siège social au Canada ; b) énoncer que ce pays est traité, à l’égard de ces avantages, comme s’il était un pays visé par l’application de la présente partie. .... Voilà des textes de lecture indigeste, qui ne sont certainement pas à la portée de la personne ordinaire, ni même peut-être du juriste non spécialiste. On trouve 23 de ces paragraphes alambiqués, truffés de « sujets » « citoyens », « résidents permanents », de « ressortissants » dans la loi canadienne. Et la question se pose : comment en est-on arrivé à cet état de choses ? Bien sûr, il y a d’abord le fait d’une volonté politique, qui voit le droit d’auteur ou le droit voisin comme un pion sur un échiquier économique, pion qui se sculpte au fur et à mesure de l’adhésion à des conventions internationales. Ainsi le Canada a choisi de transcrire en droit interne, en régimes distincts, les différents droits et protections de droits voisins prévus par chaque convention. Il aurait été possible de ne concevoir qu’un seul et même régime sans distinguer entre les protections accordées par chaque texte international. La Rédaction législative et droit d’auteur 869 Belgique14, comme la France depuis 196415, a suivi ce modèle en adoptant le principe de la réciprocité sous réserve des conventions internationales. Le tout est réglé en une disposition législative de trois ou quatre paragraphes16. Par exemple, en droit belge, le ressortissant d’un pays signataire d’une convention jouit de l’assimilation de l’étranger au national et reçoit la protection du droit interne. C’est le juge qui évalue au cas par cas la portée de la convention internationale17. Pour les autres auteurs, le juge doit comparer ligne par ligne les législations et ne reconnaît que la protection commune aux deux lois18. Bien sûr, en France et en Belgique, de régime moniste, les conventions internationales ont force de loi en droit interne, mais le Canada a, à plusieurs reprises, donné force de loi directement en droit interne à des conventions internationales19. Il aurait pu faire de même en droit d’auteur. Certains objecteront que la loi de mise en œuvre qui adapte dans le détail en droit interne les obligations internationales offre plus de clarté et prévisibilité ; pas nécessairement 14. Art. 79 de la Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins (MB. 27.07.1994), disponible en ligne <http://just.fgov.be/>. 15. Voir l’article L. 111-4 du Code de la propriété intellectuelle, disponible en ligne <Legifrance.gouv.fr>, reprenant l’article 1 de la Loi 64-689 1964-07-08. 16. L’article 79 de la loi du 30 juin 1994 se lit comme suit : « Sans préjudice des dispositions des conventions internationales, les auteurs et les titulaires de droits voisins étrangers jouissent en Belgique des droits garantis par la présente loi sans que la durée de ceux-ci puisse excéder la durée fixée par la loi belge ; Toutefois, si ces droits viennent à expirer plus tôt dans leur pays, ils cesseront au même moment d’avoir effet en Belgique. En outre, s’il est constaté que les auteurs belges et les titulaires des droits voisins jouissent dans un pays étranger d’une protection moins étendue, les ressortissants de ce pays ne pourront bénéficier que dans la même mesure des dispositions de la présente loi. Nonobstant, l’alinéa 1er, la réciprocité s’applique aux droits à rémunération des éditeurs, des artistes-interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes ou des premières fixations de films visés aux articles 55, 59 et 61 bis, sans préjudice du Traite sur l’Union Européenne. » <http://www.ejustice.just. fgov.be/cgi_loi/loi_a.pl?language=fr&caller=list&cn=1994063035&la=f&fromtab=loi&sql=dt=’loi’&tri=dd+as+rank&rech=1&numero=1>. L’article L. 111-4 du Code de la propriété intellectuelle, est rédigé de façon différente, mais tout aussi succincte. 17. Alain STROWEL et Estelle DERCLAYE, Droit d’auteur et numérique (Bruxelles, Bruylant, 2001), aux p. 152-153. 18. Ibid. Pour un exposé du régime de réciprocité différent en droit français, voir André LUCAS et Henri-Jacques LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e éd. (Paris, Litec, 2006), aux p. 798 et s. 19. Voir, par exemple, la Loi sur la Convention relative aux contrats de vente internationale de marchandises, L.C. 1991, ch. 13. 870 Les Cahiers de propriété intellectuelle pourtant. On confond alors précision et clarté20. À légiférer dans le détail, on invite au raisonnement a contrario, qui peut limiter indûment une interprétation21. Dans le cas du droit d’auteur canadien, le législateur nous offre ce jeu complexe de régimes distincts de protection, avec des facteurs de rattachement précis. Devant ce foisonnement de règles, il aurait été préférable que le législateur, à tout le moins, nous annonce son plan pour nous aider à nous y retrouver. C’est d’ailleurs ce qu’il fait à l’occasion, par exemple en insérant l’article 26 dans une section intitulée : Droits des artistes-interprètes – pays OMC. Il aurait été sage de faire de même pour la Convention de Rome et le Traité de l’OIEP. Chaque idée maîtresse des dispositions servant de « connecteur modulant la portée d’une règle » aurait dû de même être annoncée. C’est ce que le législateur anglais a d’ailleurs fait dans sa réforme de 1988. L’article 153 de la loi de 198822 énumère les critères de rattachement exigés pour la protection de la loi anglaise : (1) Copyright does not subsist in a work unless the qualification requirements of this Chapter are satisfied as regards (a) the author (see section 154), or (b) the country in which the work was first published (see section 155), or (c) in the case of a broadcast or cable programme, the country from which the broadcast was made or the cable programme was sent (see section 156). Il aurait été possible de formuler toutes ces dispositions suivant ce modèle23, ce qui aurait, à notre avis rendu la loi beaucoup plus 20. « La précision est, en théorie, une condition de la clarté, qui est l’une des vertus cardinales d’un texte. En pratique, particulièrement en législation, les choses ne sont pas si simples : l’imprécision n’est pas toujours un défaut et il est tout à fait possible de pécher par excès de précision ». Daniel JACOBY, « Doit-on légiférer par généralités ou doit-on tout dire ? », (1983) 13 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 257 à la p. 259. 21. Par exemple, si l’article 2 du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), DORS/94-14, pris en application de la Loi sur les douanes, LRC 1985, ch. 1 (2e suppl), détermine qui sont les ressortissants d’un pays ALÉNA, pourquoi ne l’a-t-on pas aussi précisé pour les ressortissants visés par les paragraphes 17(4), 20(3) et 20(4) de la Loi sur le droit d’auteur ? Faut-il y voir une volonté de ne pas adopter ces définitions particulières ? 22. Copyright, Designs and Patents Act 1988, 1988, c. 48 (Ang.). 23. Suivant le modèle de la loi britannique, le paragraphe 15(2) se serait lu comme suit : « La prestation visée au paragraphe (1) doit satisfaire l’un des critères de rattachement concernant son exécution (a), le producteur responsable de sa première fixation (b) le lieu de sa première publication (c) ou sa transmission en direct (d). Rédaction législative et droit d’auteur 871 intelligible. D’ailleurs cela aurait peut-être même mis en lumière certains paradoxes. Par exemple, l’artiste-interprète canadien qui fait un enregistrement dans un pays non partie au Traité de l’OIEP avec un producteur de ce pays ne bénéficie d’aucune protection de son droit moral au Canada, même si sa prestation est déformée sur l’enregistrement qui est ensuite mis en circulation au Canada (après la première publication). En effet le paragraphe 17.1(1), qui lui reconnaît ses droits moraux, ne renvoie qu’aux « cas visés aux paragraphes 15(2.1) et (2.2) », lesquels, lorsqu’ils traitent du critère de rattachement relatif à la personne, ne s’intéressent qu’au statut du producteur. Heureusement, un grand nombre de pays ont adhéré au Traité de l’OIEP24. Mais il ne faut pas se surprendre que les légistes n’aient pas opté pour des solutions semblables à celles proposées ci-dessus. Une telle formulation des articles de la loi de 2012 n’aurait pu se faire isolément. Les quelques 20 autres paragraphes connecteurs auraient aussi dû être réécrits. C’est à l’ensemble de la loi qu’il aurait fallu s’attaquer, suivant un mouvement semblable à celui de la rédaction en langage simple25. Ce qui nous mène peut-être au nœud du problème. De réformes en lois d’actualisation, le gouvernement a joué au rapiéçage, n’a jamais remis sur la planche de travail le texte de base, c’est-à-dire la loi de 1921. Les ajouts ont été faits, au gré des circonstances, sans s’interroger sur la structure de base qui souffre aujourd’hui de scoliose aiguë. Nous abordons maintenant les deux thèmes les plus importants, soit l’organisation de la loi aux niveaux des droits économiques et des exceptions. a) La prestation est exécutée au Canada ou dans un pays partie à la Convention de Rome ; b) Le producteur de la première fixation de la prestation est un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou un citoyen ou un résident permanent d’un pays partie à la Convention de Rome, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siège social au Canada ou dans un tel pays. c) La prestation est fixée au moyen d’un enregistrement sonore publié pour la première fois au Canada ou dans un pays partie à la Convention de Rome en quantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public. d) La prestation a été transmise en direct par signal de communication émis à partir du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome par un radiodiffuseur dont le siège social est situé dans le pays d’émission. » 24. <http://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.jsp country_id=ALL&start_year= ANY&end_year=ANY&search_what=C&treaty_id=20le Traité de l’OIEP>. 25. Ruth SULLIVAN, « The Promise of Plain Language Drafting », (2001) 47:1 McGill Law Journal 97. 872 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2. L’organisation aléatoire des droits économiques On le sait, la loi présentement en vigueur a été rédigée en 1921 et mise en vigueur en 1924. Cette loi comprenait plusieurs divisions26, dont certaines plus pertinentes pour les droits économiques, soit les divisions : Droit d’auteur ; Ouvrages susceptibles de faire l’objet d’un droit d’auteur ; Violation du droit d’auteur ; Recours civils ; Recours sommaires ; Importation d’exemplaires. La loi, dès l’origine, inscrivait donc dans des parties distinctes les droits des auteurs, la violation des droits et les recours, réclamant à notre avis implicitement son appartenance au système de common law. Comme l’expliquent encore les auteurs au sujet du système juridique anglais : « The basic principle underpinning the early development of the common law was that a right only existed if there was a procedure for enforcing it (ubi remedium ibi ius) and for this reason substantive law became inextricably bound up with procedure. »27 Ce fut à tel point vrai qu’avant 1988, date de l’introduction du recours pour violation de droit moral, l’action en violation du droit à l’intégrité d’une œuvre fut refusée au Québec, vu l’absence de droit d’action dans la loi fédérale28. Cette division a été le point de départ d’une anomalie : les recours pouvaient être exercés contre des personnes autres que les contrefacteurs de droit d’auteur. Dès 1921, les recours criminels pouvaient être intentés contre la personne qui, bien que n’étant pas coupable de violation, sciemment faisait une opération commerciale portant sur des exemplaires contrefaits. Avec le temps, la loi a prévu la possibilité de recours civils contre ces personnes, introduisant le concept que la Cour suprême appelle une « violation à une étape ultérieure » (secondary infringement)29, la distinguant d’une « violation initiale » (primary infringement) du droit d’auteur30. 26. Les divisions étaient : Titre ; Définitions ; Droit d’auteur ; Ouvrages susceptibles de faire l’objet d’un droit d’auteur ; Durée du droit d’auteur ; Possession du droit d’auteur ; Licences obligatoires ; Licences ; Licences de série ; Violation du droit d’auteur ; Recours civils ; Recours sommaires ; Importation d’exemplaires ; Administration ; Enregistrement ; Taxes ; Erreurs d’écriture ; Règlements ; Abrogation des lois, Convention de Berne ; Mise en vigueur ; Annexe. 27. Richard WARD et Amanda AKHTAR, English Legal System (Oxford, Oxford University Press, 2011), aux p. 1-2. 28. Gnass c. Cité d’Alma, C.A. Québec, no 200-09-000032-745, 30 juin 1977, non rapporté. 29. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 80 [CCH]. 30. Voir Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, [2007] 3 R.C.S. 20, par. 17 ; Gahel c. Corporation Xprima.com, 2008 QCCA 1264, par. 31. Rédaction législative et droit d’auteur 873 Une division logique pouvait quand même être faite entre les deux concepts de violation. Le droit d’auteur était défini comme désignant en premier lieu les droits exclusifs de reproduire, de représenter en public et de publier les œuvres. La personne qui accomplissait ces actes sans le consentement de l’auteur commettait une violation initiale même si elle agissait dans l’ignorance du droit d’auteur31. Par contre, dans le cas de la « violation à une étape ultérieure », on visait principalement celui qui faisait des transactions commerciales portant sur des copies contrefaites et la poursuite devait alors prouver que le défendeur avait eu connaissance ou aurait dû se douter de l’existence des droits du titulaire et de la violation initiale. Mais au gré des accords internationaux, la logique du système n’a pas tenu. D’abord, on a inséré dans la notion de droit d’auteur (et donc parmi les actes de violation initiale) des droits sur des transactions touchant des exemplaires. Ainsi, se conformant aux articles 1705-1706 de l’ALÉNA et aux articles 11-14 de l’ADPIC, on reconnut parmi les droits d’auteur le droit de location commerciale, d’abord pour les seuls programmes d’ordinateurs, puis pour les enregistrements sonores, comme le précisent maintenant les alinéas 3(1)h), 3(1)i), 15(1)c) et 18(1)c) de la loi. La loi modificatrice de 2012 continue dans la même veine en insérant l’alinéa 3(1)j), qui correspond au paragraphe 6(1) du TODA et aux articles 8 et 12 du TOIEP. Celui-ci donne, concernant les œuvres sous forme d’un objet tangible, le droit exclusif, « d’effectuer le transfert de propriété, notamment par vente, de l’objet, dans la mesure où la propriété de celui-ci n’a jamais été transférée au Canada ou à l’étranger avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. » Il ne faut pas oublier qu’en plus, il y a des dispositions particulières concernant l’importation des œuvres32. Ainsi donc, la personne qui importe des œuvres au Canada fait face à des recours potentiellement basés, tant sur l’alinéa 3(1)j) (jumelé au paragraphe 27(1)) que sur le paragraphe 27(2) et l’article 27.1 ou sur les articles 44.1-44.2. Et à chaque fois, la formulation du type d’importation visée est différente33, de même que l’exigence ou non d’une mauvaise foi du défendeur. 31. Même la protection de l’article 39, qui ne permet que l’injonction contre le défendeur de bonne foi, ne joue dans les faits que lorsque ce dernier avait des motifs de croire que l’œuvre utilisée n’était pas protégée par le droit d’auteur. Voir notre explication Mistrale GOUDREAU, « Les droits patrimoniaux de l’auteur », dans JurisClasseur Québec – Propriété intellectuelle, Fasc. 6 (Montréal, LexisNexis Canada, 2013), par. 3. 32. Voir les articles 44 à 45. 33. Les articles visent non seulement les cas où l’exemplaire a été contrefait au Canada mais aussi les cas où la production aurait été une contrefaçon si elle avait 874 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ce genre d’application de dispositions éparses pour une même situation de faits se répète dans la loi modificatrice de 2012. Le fournisseur de services Internet, dont la Cour suprême, dans l’affaire SOCAN34, avait grandement limité la responsabilité potentielle en vertu de l’article 3 (notamment par le jeu de l’alinéa 2.4(1)b)), écope, dans la Partie Violation du droit d’auteur, d’un nouveau chef de responsabilité aux paragraphes 27(2.3) et 27(2.4), bien qu’il jouisse d’une exception de principe pour ses activités en vertu de l’article 31.3, tout en étant astreint, dans la section Recours, à suivre strictement une procédure en cas d’avis de prétendue violation, sous peine d’encourir à nouveau une responsabilité. En fait, depuis 1921, le Canada greffe de nouveaux droits dans la liste des droits patrimoniaux de l’auteur, mais il n’a jamais répondu clairement à la question : quelle est la relation entre ces nouveaux droits et les droits principaux de reproduction, représentation au public et publication, reconnus comme l’assise fondamentale du droit d’auteur35 ? Il a simplement rajouté à l’article 3, alinéa après alinéa, alors que certains droits étaient clairement des souscatégories des droits principaux (comme les adaptations, qui sont vraisemblablement des reproductions « sous une forme matérielle quelconque »36) et d’autres probablement pas. C’est ce qui a divisé la été faite au Canada. Les articles 27.1 et 44.2 envisage l’hypothèse où l’exemplaire aurait été produit au Canada par l’importateur et visent expressément les cas où « l’importation se fait sans le consentement du titulaire du droit au Canada ». Par contre, le paragraphe 27(2) vise le cas où l’exemplaire aurait été produit au Canada par la personne qui l’a produit ». Déjà les juges de la Cour suprême ont rendu une décision très partagée sur la portée du paragraphe 27(2) en cas d’importation parallèle d’une œuvre mise sur le marché par le titulaire international du droit d’auteur qui a accordé des exclusivités territoriales. La loi précise aussi au paragraphe 27(3) que « lorsqu’il s’agit de décider si les actes [de production de l’exemplaire], dans les cas où ils se rapportent à un exemplaire [importé], constituent des violations du droit d’auteur, le fait que l’importateur savait ou aurait dû savoir que l’importation de l’exemplaire constituait une violation n’est pas pertinent ». Enfin, l’alinéa 3(1)j) qui exige un premier transfert autorisé de l’exemplaire, n’est pas non plus nécessairement clair, puisqu’on ne sait quel sera le traitement d’une autorisation conditionnelle à une mise en marché dans un territoire seulement. 34. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427, 2004 CSC 45. 35. Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, par. 42 [Entertainment]. 36. Voir la partie introductive de l’article 3. C’est ainsi que les auteurs estiment que l’adaptation musicale, non prévue aux alinéas 3(1)b) et c), est tout de même un droit exclusif de l’auteur : John S. MCKEOWN, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3e éd. (Scarborough, Carswell, 2000), p. 468. Rédaction législative et droit d’auteur 875 Cour suprême en 2012 dans l’affaire Entertainment37. La version anglaise indiquant que le droit d’auteur « means » les droits généraux et « includes » les différents alinéas, la majorité a conclu que les alinéas de l’article 3 sont de simples illustrations des droits principaux. La version française de l’article 3 indique plutôt que le droit d’auteur « comporte, en outre » ces différents droits. Les juges minoritaires ont donc estimé que chacun de ces droits énumérés était un droit distinct, différent des autres, et donc que chacun mène à une rémunération additionnelle pour l’auteur. Le législateur n’a jamais éclairci la question. La loi de 2012 introduit une autre anomalie dans le régime canadien du droit d’auteur. Poursuivant sa lancée de recours contre ceux qui n’auraient pas violé le droit d’auteur, le législateur instaure un régime d’interdictions concernant le contournement de mesure de protection technique (MPT) ou l’atteinte à l’information sur le régime des droits. Par exemple, l’alinéa 41.1(1)a) interdit de contourner une MPT qui contrôle efficacement l’accès à une œuvre protégée, même si l’utilisateur le fait dans le but d’utiliser l’œuvre en vertu de l’une des exceptions prévues par la loi. La loi interdit aussi de fournir un service de contournement ou mettre sur le marché un dispositif de contournement38. Ce sont des interdictions en vue de freiner les « gestes préparatoires » aux éventuelles violations de droit d’auteur, avant même toute violation39. Où doit-on placer ces interdictions ? Bien sûr dans la section Recours, en précisant bien, dans la disposition qui crée le droit d’action, que le titulaire « est admis, ... à exercer contre le contrevenant tous les recours ... que la loi prévoit ou peut prévoir pour la violation d’un droit d’auteur »40. C’est le recours miroir du recours en violation de droit d’auteur. Et bien sûr, ce recours miroir est lui-même assujetti à des exceptions qui ne sont pas les mêmes que les exceptions aux violations de droit d’auteur41. 37. Supra note 35. 38. Par. 41.1(1). 39. Mihály FICSOR, Legends and reality about the 1996 WIPO Treaties in the light of certain comments on Bill C-32, disponible en ligne sur le site IP Osgoode, <http://iposgoode.ca/wp-content/uploads/2010/Ficsor-Legends-and-Realityabout-the-1996-WIPO-Treaties-C-32-and-TPMs.pdf>. 40. Par. 41.1(2). 41. Les exceptions sont prévues aux articles 41.11 à 41.18 et visent les enquêtes et les activités de protection de la sécurité nationale (art. 41.11) ; l’interopérabilité des programmes d’ordinateur (art. 41.12) ; la recherche sur le chiffrement (art. 41.13) ; la protection des renseignements personnels (art. 41.14) ; la sécurité des systèmes informatiques (art. 41.15) ; les personnes atteintes de déficiences 876 Les Cahiers de propriété intellectuelle Voilà qu’il faut maintenant expliquer au public que la Loi sur le droit d’auteur comporte des droits d’auteur (des droits exclusifs que seul l’auteur ou titulaire peut exercer), des violations de droit d’auteur, qui visent le fait d’accomplir un acte réservé à l’auteur sans son autorisation, mais aussi d’autres actes que ceux exclusifs aux auteurs, et finalement, des interdictions qui ne supposent plus de violation de droit d’auteur. Est particulièrement révélatrice la modification apportée en 2012 à l’article 34.1 qui traitait des présomptions dans le cadre d’une « procédure pour violation du droit d’auteur », et qui maintenant vise « toute procédure civile engagée en vertu de la présente loi ». Mais c’est au chapitre des exceptions aux droits d’auteur que la situation est la plus acrobatique, d’autant que c’est la partie que le public voudra le plus connaître et invoquer. 3. L’enchevêtrement des exceptions législatives Première difficulté, la loi prévoit une liste interminable d’exceptions particulières dans les domaines les plus variés. La liste des titres des divisions de la section Exceptions fournit un bon portrait de la situation : Utilisation équitable ; Contenu non commercial généré par l’utilisateur ; Reproduction à des fins privées ; Fixation d’un signal et enregistrement d’une émission pour écoute ou visionnement en différé ; Copies de sauvegarde ; Actes à but non lucratif ; Établissements d’enseignement ; Bibliothèques, musées ou services d’archives ; Disposition commune aux établissements d’enseignement, bibliothèques, musées ou services d’archives ; Bibliothèques, musées ou services d’archives faisant partie d’un établissement d’enseignement ; Bibliothèque et Archives du Canada ; Programmes d’ordinateur ; Recherche sur le chiffrement ; Sécurité ; Incorporation incidente ; Reproductions temporaires pour processus technologiques ; Enregistrements éphémères ; Retransmission ; Services réseau ; Personnes ayant des déficiences perceptuelles ; Obligations découlant de la loi ; Autres cas de non-violation. Dans cette dernière subdivision, le législateur, sans doute à bout d’organisation des idées, a regroupé une série d’exceptions introduites à des époques antérieures, telles que utilisations de moules, conférences, allocutions politiques, lectures ou récitations d’un extrait raisonnable, exécutions perceptuelles (art. 41.16) ; les enregistrements temporaires faites pour des raisons techniques par les radiodiffuseurs (art. 41.17) ; le déverrouillage des téléphones cellulaires et l’accès à un service de télécommunication au moyen d’un appareil radio (art. 41.18). Rédaction législative et droit d’auteur 877 musicales lors de foires, expositions, dans l’intérêt d’organismes religieux, charitables, ou établissements d’enseignement. A été ajouté en 2012 le droit pour une personne physique d’utiliser à des fins non commerciales ou privées la photographie ou le portrait qu’elle a commandé à des fins personnelles. D’autres exceptions ont trouvé domicile dans d’autres titres de la loi : représentation à l’aide d’un appareil radiophonique récepteur, exception classée dans la partie Commission du droit d’auteur et gestion collective (puisque des redevances doivent être payées par d’autres personnes, selon le tarif fixé par la commission)42, et copie privée43 qui a, elle, sa propre partie – Partie VIII Copie pour usage privé. On comprendra que le public soit dérouté, ne serait-ce que par la multitude des exceptions. Mais le problème vient surtout de la proximité de certaines exceptions, qui visent des situations similaires, mais qui attachent la légalité des utilisations à des conditions pourtant différentes. Prenons le cas banal de l’enregistrement à domicile. Un consommateur ordinaire veut pour ses fins personnelles (et bien sûr celles de sa famille), reproduire une œuvre musicale ou un film. Plusieurs exceptions sont susceptibles de s’appliquer : l’exception en vertu du régime de la copie privée, la reproduction à des fins privées, la fixation d’un signal et enregistrement d’une émission pour écoute ou visionnement en différé, le contenu non commercial généré par l’utilisateur et l’utilisation équitable. Voyons le régime de la copie privée : le consommateur peut faire une reproduction pour usage privé sur un support audio (ce qui, selon la Cour d’appel fédérale, ne couvre pas la mémoire des ordinateurs ni les enregistreurs audionumériques44, comme les MP3) et en contrepartie pour cette exception législative, une rémunération est versée aux représentants des auteurs par le fabricant ou importateur de supports audio vierges45. Il est clair de la définition législative46, que cela exclut les enregistrements vidéo – et donc la 42. Par. 69(2). 43. Art. 80. 44. Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, [2005] 2 R.C.F. 654, par. 159-160-164. 45. Art. 81. 46. « support audio » « Tout support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l’exception toutefois de 878 Les Cahiers de propriété intellectuelle reproduction de film. On ne s’intéresse pas à la source de la reproduction. C’est du moins l’interprétation donnée par la Commission du droit d’auteur, selon laquelle : Le régime ne traite pas de la source du matériel copié. La partie VIII n’exige pas que la copie d’origine soit une copie légale. Il n’est donc pas nécessaire de savoir si la source de la pièce copiée est une piste appartenant au copiste, un CD emprunté, ou encore une piste téléchargée d’Internet – peu importe la source de la copie.47 On peut donc supposer que le consommateur pourrait, en vertu de cette exception, faire une copie à partir d’un exemplaire sur lequel on aurait contourné une MPT de reproduction. De plus, selon le paragraphe 80(2), le consommateur ne doit en aucun cas faire cette copie pour distribution, dans un but commercial ou non. Bref le cadeau à un ami, ou même un membre de la famille, est exclu. Lorsqu’il voudra s’en débarrasser, le consommateur pourra-t-il le donner à un organisme charitable ? Peut-être que la destruction est la seule issue légale. La loi de 2012 a introduit une autre exception, cette fois sans contrepartie pour les auteurs : la Reproduction à des fins privées, comme l’indique l’intitulé de cette partie. Mais, en fait, on vise le transfert d’une œuvre d’un médium à un autre, lorsque, nous dit l’article 29.22, « la personne a obtenu la copie légalement, autrement que par emprunt ou location, et soit est propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel elle est reproduite, soit est autorisée à l’utiliser ». Une illustration serait le consommateur qui veut mettre la musique du CD qu’il a acheté sur son enregistreur audionumérique (par exemple un Ipod)48. Mais, selon les termes de la loi, cela ne vise pas l’œuvre tirée de la radio, télévision ou réseau internet. Plusieurs conditions s’appliquent, (qui ne sont pas exigées pour l’autre ceux exclus par règlement. » Autre source de confusion ; la définition ne se trouve pas dans la section Définition et dispositions interprétatives de la Loi mais dans la section Définitions de la Partie VIII. COPIE POUR USAGE PRIVÉ, ce qui oblige le législateur à faire dans l’énoncé de l’article 29.22 (1) un renvoi à l’article 79, alors que les mots « support audio » ne sont pas utilisés ailleurs dans la loi. Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple de définir ‘support audio’ dans la section générale des Définitions ? 47. Copie privée 2003-2004, [2003] DCDA 8, p. 20, infirmé [2005] 2 R.C.F. 654, sur d’autres points. 48. Ce qui n’est pas couvert par l’exception prévue au régime de la copie privée. Voir supra note 44. La loi précise d’ailleurs que l’exception ne s’applique pas si une reproduction est faite sur un support audio (par. 29.22(3)). Rédaction législative et droit d’auteur 879 copie privée) : « a) la copie de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur reproduite n’est pas contrefaite – peu importe que l’acheteur ait eu ou non des raisons de croire que l’exemplaire était une copie légitime ; c) le consommateur ne contourne pas une MPT contrôlant la reproduction ; d) il ne donne la reproduction à personne ; e) il n’utilise la reproduction qu’à des fins privées. Si un particulier copie son CD sur son Ipod, la conséquence est peut-être qu’il ne peut plus donner son Ipod, puisque l’enregistreur contient dans sa mémoire une copie du CD. Peut-il même prêter cet enregistreur audionumérique49 ? Et s’il veut se débarrasser de l’enregistrement, cette fois-ci, la loi est claire : si la personne donne, loue ou vend la copie initiale, elle doit détruire « toutes les reproductions faites au titre de ce paragraphe ». La loi prévoit une autre exception de copie privée, encore sans rémunération pour les auteurs : c’est la Fixation ou reproduction pour écoute ou visionnement en différé. Le paragraphe 29.23(1) permet de fixer ou de reproduire une œuvre à partir d’une radiodiffusion (la loi semble ici faire une différence entre radiodiffusion et télécommunication) pour l’écouter ou la regarder en différé, à des conditions strictes : a) la personne reçoit l’émission de façon licite ; b) elle ne contourne pas de MPT de contrôle d’accès ou de reproduction ; c) elle ne fait pas plus d’un enregistrement de l’émission (contrairement à l’exception précédente) ; d) elle ne conserve l’enregistrement que le temps vraisemblablement nécessaire pour écouter ou regarder l’émission à un moment plus opportun ; e) elle ne donne l’enregistrement à personne ; f) elle n’utilise l’enregistrement qu’à des fins privées. L’exception ne joue pas si la copie est reçue dans le cadre de la fourniture d’un service sur demande50. Bref on peut regarder l’émission en famille, mais surtout il faut s’abstenir de donner la copie, peut-être s’abstenir de la prêter51 et il faut détruire assez promptement52. 49. Alors que l’article 80 interdit la « distribution » de la copie faite à des fins privées, l’article 29.22 interdit de « donner » la copie. On peut s’interroger sur la raison de cette terminologie différente. Il est probable que le législateur ne vise pas ici le don au sens juridique, mais plutôt le don au sens populaire du terme, qui est de « faire en sorte que quelqu’un ait quelque chose » (CRNS, <http://www.cnrtl.fr/ definition/don>). Interprété de cette façon, le paragraphe pourrait même interdire le prêt à longue durée. 50. Par. 29.23(2). 51. Voir notre commentaire, supra, note 49. 52. Ce n’est pas le seul cas où l’exception ne joue que pour un laps de temps. L’étudiant qui a reçu une copie d’une œuvre dans le cadre de l’exception relative aux leçons, doit détruire cette copie « dans les trente jours suivant la date à laquelle les élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte ont reçu leur évaluation 880 Les Cahiers de propriété intellectuelle Il apparaît de l’exposé de ces exceptions que nous avons un législateur passablement déconnecté de la réalité. Le public en général traite volontiers sur le même pied les œuvres musicales et audiovisuelles et ne comprendra pas pourquoi il peut copier les unes mais pas les autres. Le consommateur se soucie peu de la source de ses enregistrements (puisés de la radio, ou de la télévision ou copiés d’enregistrements analogiques ou numériques, ou fournis dans le cadre d’un service sur demande). Faire dépendre la légalité d’un acte de la nature du support copié, ou du support de la copie, ne peut susciter qu’incompréhension et incrédulité chez le public. Enfin l’obligation de détruire des copies dans des délais précis nous semble en contradiction flagrante avec le peu d’aptitude de l’être humain à gérer minutieusement ses affaires... D’ailleurs, certains soulignent que de plus en plus le public consomme les œuvres en temps réel, en « streaming », ce qui pourrait rendre plusieurs de ces exceptions en fin de compte désuètes53. Mais là ne s’arrête pas la liste des exceptions potentiellement applicables à l’enregistrement à domicile. Le législateur a introduit en 2012 une nouvelle exception, celle relative au Contenu non commercial généré par l’utilisateur. Cette exception, qui elle non plus ne s’accompagne pas d’un mécanisme de compensation pour les auteurs, est de portée beaucoup plus vaste : elle permet à la personne physique d’utiliser une œuvre – déjà publiée ou mise à la disposition du public – pour en créer une autre, et de diffuser cette nouvelle œuvre sur un réseau social. Les conditions d’application de cette exception sont passablement différentes : a) si possible, il faut mentionner la source de l’œuvre copiée, b) la personne doit croire, pour des motifs raisonnables, que la copie qui a servi à la création n’était pas contrefaite (au contraire des certaines autres exceptions qui exigeaient strictement l’emploi d’une copie légitime ou qui, au contraire, ne l’exigeaient aucunement) ; la nouvelle œuvre (ou l’autorisation de la diffuser) ne doit être utilisée qu’à des fins non commerciales, (ce qui est différent de fins purement privées exigées pour les autres exceptions) et d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou finale » (voir art. 30.01). Il est évident ici que le législateur ne connaît pas le concept d’examen différé (pour cause de maladie de certains étudiants), qui peut repousser de plusieurs mois et parfois de plus d’une année, la date de la réception de la note finale par tous les étudiants. Cette remise plus tardive des notes à certains étudiants est d’ailleurs faite à l’insu des autres étudiants, les plaçant dans l’impossibilité de savoir quand « les élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte ont reçu leur évaluation finale ». 53. Georges AZZARIA, « Loi sur le droit d’auteur – Les auteurs mis sur la touche », Le devoir, 15 juin 2010 <http://www.ledevoir.com/politique/canada/290862/loisur-le-droit-d-auteur-les-auteurs-mis-sur-la-touche>. Rédaction législative et droit d’auteur 881 l’autorisation de diffuser, ne doit avoir aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre copiée (condition que, selon nous, le consommateur moyen aura peine à évaluer). Enfin, au contraire des autres exceptions qui ne visaient que l’utilisateur personnellement, celle-ci bénéficie aux personnes qui résident avec l’utilisateur et rien ne semble interdire que l’utilisateur contourne une MPT de reproduction pour générer sa nouvelle œuvre. Cette exception pourrait avoir une grande importance en pratique, puisqu’elle semble légaliser les utilisations privées (qui normalement devraient avoir peu d’impact négatif sur l’exploitation de l’œuvre initiale) pour autant que l’usager crée une œuvre. Or la création d’une œuvre n’exige qu’un « exercice non négligeable du talent et du jugement »54 et la loi reconnaît clairement que les compilations peuvent être des œuvres. Aussi la doctrine n’exclut pas que l’exception s’applique au « mix tape », la bande personnelle de morceaux choisis par une personne pour une occasion55. Une telle interprétation entérinée par les tribunaux permettrait facilement à un utilisateur de contourner plusieurs des exigences des autres exceptions pour copie privée ; il lui suffirait d’incorporer les reproductions dans des compilations personnelles, en usant de suffisamment de talent et jugement dans la sélection et l’organisation des morceaux. Enfin, reste encore à considérer l’exception pour utilisation équitable en vertu de l’article 29. En effet, il n’est pas exclu qu’un consommateur puisse justifier qu’une reproduction faite à la maison constitue une utilisation équitable de l’œuvre, notamment pour étude privée ou recherche. La loi de 2012 a d’ailleurs rajouté d’autres buts légitimes d’utilisation équitable, soit l’éducation, la parodie ou la satire, dont la portée reste à établir. Dans l’affaire SOCAN c. Bell Canada56 la Cour suprême a expressément reconnu qu’une recherche peut très bien n’être entreprise « pour aucun autre motif que l’intérêt personnel »57, ce qui semble annoncer une interprétation fort large de ces notions. Le consommateur devrait certes satisfaire 54. CCH, supra, note 29, par. 28. 55. Teresa SCASSA, « Acknowledging Copyright’s Illegitimate Offspring: UserGenerated Content and Canadian Copyright Law », dans Michael GEIST (éd.), The Copyright Pentalogy : How the Supreme Court of Canada Shook the Foundations of Canadian Copyright Law (Ottawa, University of Ottawa Press, 2013), 431, à la p. 440. 56. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326 [SOCAN c. Bell Canada]. 57. Ibid., par. 22. 882 Les Cahiers de propriété intellectuelle les six critères permettant de déterminer si une utilisation est « équitable »58, mais certains usages, même pour des reproductions d’une œuvre entière, pourraient être jugés acceptables59. Enfin il est bon de noter que selon la jurisprudence actuelle, les exceptions législatives sont cumulatives. Si un usager ne peut satisfaire les conditions attachées à une exception, il peut toujours s’en remettre à une autre exception60. Voici donc les explications qu’un bon juriste devrait fournir à son client, particulier ordinaire, qui lui demanderait s’il peut enregistrer des œuvres musicales ou des films à la maison. Même le citoyen le plus consciencieux aurait peine à s’y retrouver, et surtout à garder en mémoire les conditions précises qu’il doit satisfaire dans chaque cas. De plus, le domaine de l’enregistrement à domicile n’est pas le seul cas de multiplication à outrance d’exceptions pointilleuses ; le domaine de l’éducation a été tout aussi, sinon plus, accablé61. Le juriste plus averti sera lui peut-être frappé par le manque de constance du législateur qui a parfois accompagné une exception d’un régime de compensation pour les auteurs et parfois non. Dans un dossier où les oppositions des parties prenantes étaient déjà connues62, l’inconstance de l’arbitre ne peut être que source d’une plus grande mésentente. Conclusion La rédaction d’une loi est nécessairement tributaire des politiques législatives que l’on veut mettre en place. Dans le domaine du 58. Soit le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation, l’existence de solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. Voir CCH, supra, note 29, par. 53 et SOCAN c. Bell Canada, supra, note 56, par. 14. 59. Dans CCH, supra, note 29, par. 56, la Cour souligne expressément qu’aux fins de recherche ou d’étude privée, il peut être essentiel de reproduire en entier une œuvre, telle un exposé universitaire. 60. CCH, supra, note 29, par. 49. 61. Voir les articles 29.4 à 30.04 et 30.3 à 30.4, exceptions particulières de plus de 3500 mots, qui s’appliquent en concurrence avec la nouvelle exception d’utilisation équitable aux fins d’éducation prévue par l’article 29 modifié en 2012. 62. Plusieurs sites ont recensé les réactions divergentes des parties prenantes. Voir entre autres : <http://www.sodrac.ca/ProjetLoiC11.aspx> ; <http://www.culture equitable.org/documentation/> ; <http://www.iposgoode.ca/2010/06/bill-c-32-asampling-of-commentary-on-technological-protection-measures/>. Rédaction législative et droit d’auteur 883 droit d’auteur, les parlementaires responsables des réformes et actualisations successives de la loi semblent s’être alignés sur les textes des conventions internationales à mettre en œuvre ou s’être concentrés sur les points chauds de l’actualité. Mais il n’y a pas eu de réflexion en profondeur, de mise en place de principes fondamentaux qui ait présidé à l’élaboration des lois modificatrices. La nature des droits économiques a été et est encore fortement influencée par les conventions internationales que le Canada a signées et ratifiées. Mais les droits ont été superposés les uns aux autres sans logique apparente. De plus, la formulation différente des droits exclusifs ou des violations, pour des situations présentant des analogies, est éminemment déconcertante. Également, en créant des interdictions – miroirs des actions en violation – concernant les MPT, le législateur n’est-il pas en train de créer un droit exclusif d’accès aux œuvres, contrôlé par le titulaire ? Et s’il y a un droit d’accès aux œuvres, n’est-ce pas ce droit qui est de l’essence du droit d’auteur ? Pourquoi a-t-on reconnu les droits de reproduction et de représentation au public si ce n’est que par ces moyens, l’auteur permettait au public de prendre connaissance de son œuvre, d’y avoir accès ? La production et la publication du livre donnaient la possibilité de se saisir de l’œuvre à loisir, au lieu et temps choisis pour tourner les pages. Le fait d’assister à une représentation permettait au public de connaître l’œuvre, mais dans un mode plus éphémère. On a permis à l’auteur de contrôler ces actes précisément pour lui permettre de se faire rémunérer lorsqu’il donnait accès à son œuvre. Et si ce droit d’accès est véritablement un droit d’auteur, pourquoi ce régime connaît-il une gamme particulière d’exceptions, beaucoup plus restreinte que les exceptions aux violations de droit d’auteur ? Mais c’est lorsqu’on dresse le tableau des exceptions législatives que le manque de cohérence du législateur est particulièrement frappant. En quelles circonstances une exception est-elle justifiée63 ? Quand et pourquoi une exception doit-elle être accompagnée d’un mécanisme de compensation pour les auteurs ? Une exception joue-t-elle lorsqu’on utilise une copie contrefaite ou, à tout le moins, lorsqu’on a des raisons de croire qu’elle est contrefaite ? Quand peut-on partager une copie faite dans le cadre d’une exception ? 63. On peut citer en exemple d’un effort pour donner une base rationnelle aux exceptions au droit d’auteur, le European Copyright Code, produit de la collaboration de plusieurs universitaires européens et disponible en ligne : <http://www.copy rightcode.eu/index.php?websiteid=1>. 884 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette difficulté à identifier les principes de base de la loi, cette absence de fils conducteurs qui auraient permis de s’orienter dans le dédale législatif, est, à notre humble avis, le principal défaut de rédaction de cette loi, nullement adaptée aux activités quotidiennes des Canadiens. Mais le blâme ne doit pas nécessairement être jeté sur les légistes. À notre avis, le reproche doit être surtout adressé aux décideurs étatiques, qui, au lieu de poursuivre un tant soit peu un idéal de clarté et simplicité des lois, nous invitent, de par leurs circonvolutions politiques, à valser sans relâche dans les sinuosités d’un labyrinthe législatif, sans fil d’Ariane. Vol. 25, no 3 Un tournant pour le droit d’auteur canadien Georges Azzaria* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 887 1. Un aperçu des modifications . . . . . . . . . . . . . . . . . 889 2. Les auteurs en orbite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 892 3. Une gouvernance incertaine . . . . . . . . . . . . . . . . . 897 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 901 © Georges Azzaria, 2013. * Professeur, Faculté de droit, Université Laval, Québec. 885 « Dans le discours du Trône de 2011, le gouvernement du Canada s’est engagé à déposer de nouveau le projet de loi pour moderniser la Loi sur le droit d’auteur et à l’adopter rapidement afin d’établir l’équilibre entre les besoins des créateurs et des consommateurs. Le présent projet de loi respecte cet engagement »1 Introduction L’entrée en vigueur en novembre 2012 de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur2 permet de mieux comprendre l’étendue des variantes que cautionne le séduisant qualificatif de « moderne ». La volonté d’être moderne a été affichée par le Gouvernement canadien dans le Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur de 2002 où l’on peut lire : « Le gouvernement du Canada fera en sorte que le cadre du droit d’auteur demeure parmi les plus modernes et les plus progressifs du monde »3. Les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur poursuivent également l’objectif d’être « équilibrées », comme l’annonçaient nombre de rapports depuis que l’Internet est un objet de politique publique4. Or, la recherche d’un équilibre au sein d’une loi comporte une part d’idéologie, le point d’équilibre pouvant être situé à plus d’un endroit. 1. GOUVERNEMENT DU CANADA, Loi sur la modernisation du droit d’auteur – Fiche d’information, <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01237. html>. 2. L.C. 2012, ch. 20 (« Projet de Loi C-11 »). 3. GOUVERNEMENT DU CANADA, Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur, 2002, p. 47. 4. Voir notamment INDUSTRIE CANADA, Contact, communauté, contenu : le défi de l’autoroute de l’information : Rapport final du Comité consultatif sur l’autoroute de l’information, 1995, p. 131 : « Dans le contexte de la numérisation accélérée de l’information, le gouvernement fédéral devrait adopter des principes régissant le droit d’auteur, en se fondant sur ce qui suit : a) maintenir l’équilibre entre le droit des créateurs de bénéficier de l’usage de leurs œuvres et les besoins des usagers (y compris les milieux de l’enseignement et de la formation) d’avoir accès à ces œuvres et de les utiliser selon des modalités raisonnables [...] ». 887 888 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les modifications de 1997, les plus importantes avant celles qui viennent d’entrer en vigueur, procédaient aussi de ces impératifs de modernisation et d’équilibre5, adoptant un parti pris généralement favorable aux auteurs. Malgré la plus grande importance qu’occupe Internet dans la société actuelle, les enjeux juridiques de fond ne sont pas sensiblement différents aujourd’hui. Pourtant, l’approche a changé, démontrant à quel point la modernisation est un processus aléatoire et l’équilibre un concept à géométrie variable. Les modifications de 2012 au droit d’auteur font du Canada un pionnier, le chantre d’une loi que le législateur lui-même qualifie d’innovatrice6. Mais un pionnier de quoi au juste ? Un pionnier n’est pas nécessairement un modèle. Désormais plus complexes, les dispositions obéissent à des impératifs parfois contradictoires, elles semblent peu soucieuses des obligations internationales du Canada et posent les tribunaux comme passage obligé pour comprendre le sens de certains articles. Plus encore, la loi pousse les auteurs hors de son centre en proposant, comme nous le verrons, un modèle hésitant de gouvernance. Bien que les changements parviennent à satisfaire certains groupes d’intérêt qui deviennent partie prenante de la loi, elle cause un profond inconfort chez les auteurs7. En 1998, les Cahiers de propriété intellectuelle publiaient un numéro spécial consacré aux modifications qu’avait subies la Loi sur le droit d’auteur l’année précédente. Si ces modifications s’avéraient importantes – apparition des droits voisins et de la copie privée notamment – l’ensemble ne marquait pas une rupture trop sévère avec le principe d’une loi protégeant les auteurs. Des mises en garde étaient pourtant exprimées quant au manque de cohérence de 5. « Lors de son introduction à la Chambre des Communes, les ministres responsables avaient identifié trois objectifs à leur démarche : « renforcer la protection législative offerte aux créateurs canadiens [pour promouvoir le secteur des arts et de la culture] », moderniser la loi afin de « la mettre au diapason des législations des principaux pays occidentaux » et assurer « un équilibre entre les droits de ceux qui créent les œuvres et les besoins de ceux qui les utilisent » » Mistrale GOUDREAU, « Et si nous discutions de rédaction législative... Commentaire sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur », (1998) 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 7, 8. 6. Voir le discours tenu sur le site du Gouvernement du Canada : « Des produits et services novateurs changent la manière dont les Canadiens se servent du contenu. Le projet de loi prévoit des exceptions visant à donner aux consommateurs la souplesse nécessaire pour utiliser raisonnablement le contenu protégé par un droit d’auteur obtenu de manière légitime, reflétant ainsi une démarche canadienne innovatrice à l’égard des droits d’auteur à l’ère numérique. » GOUVERNEMENT DU CANADA, Ce que la Loi sur la modernisation du droit d’auteur signifie pour les consommateurs, <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/rp01186.html>. 7. Voir notamment les associations et titulaires de droits regroupés au sein de Culture équitable : <http://www.cultureequitable.org/>. Un tournant pour le droit d’auteur canadien 889 la loi8 et quant à la conformité de certaines dispositions avec les obligations internationales du Canada9. On se questionnait aussi sur la place des utilisateurs dans le droit d’auteur10. Ces mêmes thématiques demeurent à l’ordre du jour. 1. Un aperçu des modifications Les changements à la loi sont considérables et nous n’en présentons ici qu’un bref compte rendu. D’abord, de nouveaux droits font leur apparition. Du côté des droits liés à l’essor des technologies, un droit de mise à disposition vient préciser que la diffusion d’une œuvre sur Internet a lieu dès que l’œuvre est disponible au public11. D’autres droits, qui ne sont pas à proprement parler liés aux technologies, sont également inclus : se trouvent ainsi ajoutés un droit de première vente pour les œuvres sous formes tangibles12 et des droits moraux aux artistes interprètes13. Enfin, par l’abrogation de l’article 10 et du paragraphe 13(2), la propriété initiale est reconnue aux auteurs de photographies, gravures et portraits commandés contre rémunération, sauf pour des fins non commerciales ou privées de la personne qui a passé la commande14. Les exceptions sont, pour leur part, plus abondantes. La première consiste en l’élargissement – aux fins d’éducation, de parodie et de satire – de la notion d’utilisation équitable inscrite à l’article 29. Viennent ensuite des exceptions plus spécifiques, dont les conditions d’application sont souvent pointues. Ces exceptions, tout comme celle d’utilisation équitable, ne sont pas assorties d’un méca8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. Mistrale GOUDREAU, « Et si nous discutions de rédaction législative... Commentaire sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur », (1998) 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 7-32. Benoît CLERMONT, « Parties II et VIII de la Loi sur le droit d’auteur : le Canada respecte-t-il ses obligations internationales ? », (1998) 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 287-326. Marcel DUBÉ, « Modifications aux exceptions ou limitations qui existaient avant la réforme de la Loi sur le droit d’auteur de 1997 : cosmétique législative ou nouveau parti pris en faveur des utilisateurs ? », (1998) 1:1 Cahiers de propriété intellectuelle 157-173. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, par. 2.4(1.1) : « Pour l’application de la présente loi, constitue notamment une communication au public par télécommunication le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. » Al. 3(1)j). Par. 17.1 et 17.2. Voir l’alinéa 32.2(1)f). 890 Les Cahiers de propriété intellectuelle nisme de rémunération pour les titulaires de droits. La première de ces exceptions, laquelle à notre connaissance n’a pas d’équivalent ailleurs au monde, autorise la création et la diffusion de mash-up, c’est-à-dire d’œuvres créées à partir d’œuvres existantes et conçues à des fins non commerciales afin d’être diffusées sur des sites Internet tels YouTube15. D’autres exceptions permettent aux consommateurs de faire une reproduction d’une œuvre à des fins privées16, de reproduire une œuvre pour la visionner en différé17 ou pour constituer une copie de sauvegarde18. Tel que souligné plus haut, bien que la titularité des droits sur une photographie ou un portrait appartienne à l’auteur, la personne qui a commandé contre rémunération la photographie ou le portrait peut l’utiliser à des fins non commerciales ou privées. D’autres exceptions visent spécifiquement les établissements d’enseignement. La loi permet à ces établissements de numériser les œuvres pour lesquelles ils détiennent une licence négociée avec une société de gestion19. Ces établissements sont également autorisés à diffuser en salle de classe une œuvre qui se retrouve sur Internet20 ou une œuvre cinématographique21. De plus, ils peuvent transmettre aux étudiants une « leçon » qui contient des œuvres protégées22. De leur côté, les bibliothèques, musées et services d’archives peuvent transmettre une copie numérique lors des prêts entre les établissements23. À ces nouvelles exceptions s’en ajoutent d’autres, destinées au public en général, pour des finalités techniques : une exception de reproduction pour rendre des programmes d’ordinateur interopérables24, pour faire une recherche sur le chiffrement25, pour évaluer la sécurité d’un ordinateur ou d’un système informatique26 ou dans le cadre d’un processus technique27. Parmi les ajouts importants, on retrouve l’instauration des mesures techniques de protection, permettant au Canada de se 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. Art. 29.21. Art. 29.22. Art. 29.23. Art. 29.24. Art. 30.02. Art. 30.04. Al. 29.5d). Voir l’article 30.01. Cette exception vise notamment l’enseignement à distance. Par. 30.2(5.02). Art. 30.61. Art. 30.62. Art. 30.63. Art. 30.71. Un tournant pour le droit d’auteur canadien 891 conformer aux obligations internationales provenant de deux traités de l’OMPI28. Une mesure technique de protection consiste en un mécanisme qui empêche ou limite l’accès à une œuvre ou la possibilité de reproduire ou de communiquer l’œuvre29. La loi dispose qu’il est interdit de briser le cadenas numérique, c’est-à-dire de « contourner » la mesure technique de protection30. Dans l’esprit des traités de l’OMPI, ce mécanisme constitue une mesure supplémentaire qui renforce la protection accordée par le droit d’auteur. Or, comme nous le verrons plus loin, la Loi sur le droit d’auteur introduit ces mesures dans un objectif tout autre, les posant comme un passage obligé pour qu’une exception ne s’applique pas à une œuvre. Le législateur a aussi revu le calcul des dommages, essentiellement en abaissant le seuil des dommages préétablis31. Par ailleurs, les fournisseurs de services Internet font leur entrée dans la loi, afin de prendre part à un système les obligeant à relayer à la personne à qui appartient un site Internet un avis de violation de droits qu’un titulaire leur fait parvenir32. Comparativement à d’autres juridictions – aux États-Unis et en Europe notamment – où les fournisseurs de services Internet peuvent retirer des sites Internet des œuvres qui contreviennent au droit d’auteur, la position canadienne est moins interventionniste. Notons enfin que le législateur a supprimé la rémunération pour l’enregistrement éphémère33, laquelle faisait en sorte qu’une redevance était perçue des radiodiffuseurs lorsqu’ils effectuaient une copie temporaire d’une œuvre musicale. 28. Il s’agit des deux traités suivants : Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (TODA) et Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TOIEP). 29. Art. 41 : « « mesure technique de protection » Toute technologie ou tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement : a) soit contrôle efficacement l’accès à une œuvre, à une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou à un enregistrement sonore et est autorisé par le titulaire du droit d’auteur ; b) soit restreint efficacement l’accomplissement, à l’égard d’une œuvre, d’une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou d’un enregistrement sonore, d’un acte visé aux articles 3, 15 ou 18 ou pour lequel l’article 19 prévoit le versement d’une rémunération. » 30. Voir l’article 41.1. 31. Sans entrer dans les détails, mentionnons que les dommages préétablis sont réduits lors d’une violation à des fins non commerciales (par. 38.1(1)) ou dans des cas où le défendeur ne savait pas qu’il commettait une violation (par. 38.1(2) et art. 41.19). 32. Système appelé « avis et avis ». Voir les articles 41.25 et 41.26. Ces dispositions ne sont toutefois pas entrées en vigueur en novembre 2012. 33. Le paragraphe 30.9(6) a été abrogé. 892 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2. Les auteurs en orbite L’un des constats qui s’imposent à la lecture des modifications à la Loi sur le droit d’auteur est l’éviction des auteurs de la place centrale qu’ils occupaient. Jusqu’à la fin du XXe siècle, il demeurait possible d’affirmer, sans trop se tromper, que la loi canadienne était une loi conçue pour permettre aux auteurs de tirer des revenus des diverses formes d’exploitation de leurs œuvres. Pour s’en convaincre, la Cour suprême rappelait en 1990 que cette loi « a un but unique et a été adoptée au seul profit des auteurs de toutes sortes »34. De même, lors des modifications législatives de 1997, le législateur instaurait deux mesures favorables aux titulaires : les exceptions de copie pour usage privé sur support audio, un régime qui compense les auteurs pour les reproductions faites sans leur consentement et les droits voisins en faveur des interprètes, des producteurs d’enregistrements sonores et des radiodiffuseurs. Cela ne signifie pas que l’ensemble de la loi de 1997 prenait le parti pris des auteurs, car la présence d’exceptions dans les modifications de 1988 et 1997 pouvait s’interpréter comme un affaiblissement de leur loi. Toutefois, ces exceptions confirmaient la règle, alors que dorénavant l’exception constitue la règle. Les modifications de 2012 représentent ainsi un point de bascule dans l’histoire du droit d’auteur canadien et deux facteurs semblent avoir contribué plus particulièrement à ce phénomène. D’abord, un facteur jurisprudentiel. Depuis 1997, la Cour suprême du Canada a porté deux coups importants à la conception d’un droit d’auteur où trône l’auteur. Dans l’affaire Théberge en 2002, la Cour affirme, sans études à l’appui et comme si elle était omnisciente : On atteint le juste équilibre entre les objectifs de politique générale, dont ceux qui précèdent [d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur35], non seulement en reconnaissant les droits du créateur, mais aussi en accordant l’importance qu’il convient à la nature limitée de ces droits. D’un point de vue grossièrement économique, il serait tout aussi inefficace de trop rétribuer les artistes et les auteurs pour 34. Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467. 35. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, par. 30. Un tournant pour le droit d’auteur canadien 893 le droit de reproduction qu’il serait nuisible de ne pas les rétribuer suffisamment. Un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société, ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime.36 En décrétant « la nature limitée de ces droits », la voie était ouverte pour que le plus haut tribunal du pays refoule les auteurs. C’est d’ailleurs ce que la cour fera dans la décision CCH, où est introduit un « droit des utilisateurs »37, un pôle qui s’installe à demeure dans le territoire du droit d’auteur. Ensuite, un facteur social. Les technologies numériques créent une importante pression sur la circulation des œuvres. Dès l’apparition d’Internet, dans le discours et dans les pratiques des internautes, les œuvres ont commencé à changer de statut pour s’apparenter davantage à une information, à un contenu destiné à circuler38. Les adeptes d’une extension du domaine public abondent39. On retrouve leur argumentaire dans le film canadien RiP ! : A Remix Manifesto40, qui dénonce l’emprise du droit d’auteur sur la culture. Le film comporte plusieurs raccourcis intellectuels et entretient la confusion entre téléchargement illégal, utilisation équitable et accès. Le contenu juridique est approximatif, mais, pour le pro36. Ibid., par. 32. 37. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339. 38. Ce thème a été évoqué dès la fin des années 1990. Voir Alain STROWEL, « Droit d’auteur et accès à l’information : de quelques malentendus et vrais problèmes à travers l’histoire des développements récents », (1999) 12:1 Cahiers de propriété intellectuelle 185, aux p. 192-193. Voir aussi : Marie CORNU et Nathalie MALLET-POUJOL, « Le droit d’auteur à l’épreuve du droit à la culture », dans Jean-Michel BRUGUIÈRE (dir.), Droit d’auteur et culture (Paris, Dalloz, 2007), p. 129-146. Voir également le texte suivant : Martin TÉTU, « Des vertus culturelles du piratage à l’ère numérique : ou comment le Peer-to-Peer peut contribuer à la circulation du patrimoine québécois et à la diversité culturelle », (2012) 14:2 Éthique publique 125-140. 39. Parmi d’autres : Joost SMIERS et Marieke VAN SCHIJNDEL, Un monde sans copyright ... et sans monopole (s.l., Framabok, 2010) et Michele BOLDRIN et David K. LEVINE, Against Intellectual Monopoly (Cambridge University Press, 2008). Voir aussi la Washington Declaration on Intellectual Property and the Public Interest de 2011 : <http://infojustice.org/washington-declaration-html>. 40. RiP ! : A remix manifesto, un film de Brett Gaylor produit en 2008 par l’Office National du film du Canada. Voir <http://www.onf.ca/film/rip_remix_manifesto/>. 894 Les Cahiers de propriété intellectuelle fane, il en ressort le sentiment que le droit d’auteur est un frein à la culture. Ce film participe d’une lame de fond qui, à tort ou à raison, incite à considérer comme passéiste la trop grande protection des titulaires de droits et comme progressiste l’idée d’un accès élargi aux œuvres. La monopolisation des droits, détenus par les géants de l’industrie du divertissement, a sans doute aussi contribué à rendre moins impérieuse la protection des droits et à discréditer le fonctionnement actuel du droit d’auteur. Cette dynamique n’a donc pas échappé aux rédacteurs de la loi canadienne et ce qui en ressort est une forme de convergence, entre l’arrêt CCH qui invente un droit des utilisateurs et une pression sociale qui fait la part belle à la libre circulation du contenu. Derrière ces deux facteurs – juridique et social – lesquels n’expliquent évidemment pas l’entièreté des enjeux, se profile un clivage entre deux visions du droit d’auteur. En un mot, le droit canadien passe définitivement d’un modèle basé sur la prééminence de l’auteur à un modèle où la circulation de l’œuvre devient un enjeu central. Du coup, s’estompe le fondement d’un droit d’auteur pensé comme un droit naturel, c’est-à-dire comme un droit qui revient, par essence, à la personne de l’auteur41. Il n’est pas dit que le droit canadien ait déjà été un droit totalement centré sur l’auteur comme peuvent l’être plusieurs législations européennes. Néanmoins, les empreintes de ce type de droit ont jadis été assez fortes pour en faire un droit de filiation anglo-saxonne dans lequel le civiliste québécois pouvait se retrouver42. La nouvelle manière d’appréhender le droit d’auteur, laquelle pousse les auteurs en périphérie, emporte deux conséquences. La première est d’ouvrir la loi à une pléthore d’acteurs sociaux intéressés par le droit d’auteur : parmi d’autres, les utilisateurs, les établissements d’enseignement et les fournisseurs de services Internet font désormais partie de l’équation. Un des aspects qui singularise la loi canadienne est ainsi la diversité des intérêts qu’elle chapeaute. Cette diversité se fait au détriment de la cohérence de 41. Sur cette question, voir Mireille BUYDENS, La propriété intellectuelle : évolution historique et philosophique (Bruxelles, Bruylant, 2012). Voir également Pierre-Emmanuel MOYSE, « La nature du droit d’auteur : droit de propriété ou monopole », (1998) 43 Revue de droit de l’Université McGill 507, 558. 42. Notons toutefois que le clivage canadien est manifeste dans l’affaire Théberge où une lecture « politique » de la décision met en évidence l’adéquation de la position des juges avec leur provenance géographique. Un tournant pour le droit d’auteur canadien 895 l’ensemble, car elle se déploie à partir d’une mosaïque de groupe d’intérêts43. La tendance avait été décriée dès les changements de 1997 alors qu’on parlait d’un « amoncellement de droits particuliers au profit des titulaires multiples, dans une logique toute vacillante »44. Force est de constater que la logique est maintenant plus éclatée. En évacuant l’auteur du centre de la loi et en l’absence d’un principe directeur clair, le législateur ouvre la voie aux interprétations les plus diverses45. Interpréter c’est d’abord choisir, consciemment ou non, un angle pour décider, l’acte d’interpréter n’étant pas neutre. Quel point de vue adopteront les juges chargés de trancher un litige portant sur le droit d’auteur : épouseront-ils soit le point de vue de l’auteur ou celui de l’utilisateur ou d’autres acteurs sociaux ? Le rôle des mesures techniques de protection représente la seconde conséquence de cette manière de rendre compte du décentrement de l’auteur. La position du législateur est la suivante : afin que certaines exceptions ne s’appliquent pas, les auteurs doivent poser un cadenas numérique sur l’œuvre. Dans les nouvelles dispositions de la loi, on relève quatre mentions de l’emploi de mesures techniques de protection pour faire obstacle à une exception : la reproduction à des fins privées46, l’enregistrement d’une émission pour l’écoute ou le visionnement en différé47, la copie de sauvegarde48 et le visionnement d’œuvres sur Internet à des fins pédagogiques49. Les auteurs doivent poser ces verrous afin de conserver le droit que cette exception leur retire. On peut penser que les institutions d’enseignement doivent également utiliser des mesures techniques de protection lors de la communication d’une leçon50, tout comme les 43. Voir sur cette question Daniel J. GERVAIS, « A Canadian Copyright Narrative », (2009) 21 International Property Journal 269 ; Vanderbilt Public Law Research Paper No. 10-06 : <http://ssrn.com/abstract=1551313>. 44. Mistrale GOUDREAU, « Et si nous discutions de rédaction législative... Commentaire sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur », (1998) 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 7, 29. 45. Voir sur cette question le développement proposé par Mistrale Goudreau dans ce numéro. 46. Art. 29.22. Cela dit, comment un auteur d’une œuvre artistique peut-il empêcher la copie à des fins privées d’une œuvre exposée ? Sa mesure technique de protection est-elle un agent de sécurité ? 47. Art. 29.23. 48. Art. 29.24. 49. Al. 30.04(4)a). En plus d’une mesure technique de protection, l’exception peut être contrecarrée par « un avis bien visible – et non le seul symbole du droit d’auteur – stipulant qu’il est interdit d’accomplir cet acte figure sur le site Internet, l’œuvre ou l’objet. ». Art. 30.04(4)b). 50. Par. 30.01(6) : « L’établissement d’enseignement et la personne agissant sous son autorité, à l’exclusion de l’élève, sont tenus : [...] 896 Les Cahiers de propriété intellectuelle bibliothèques lors des prêts entre institutions51. Dans sa volonté de modernisation, le législateur n’a sans doute pas remarqué que ces verrous, aussi nommés Digital Rights Managements (DRM), sont abandonnés depuis quelques années par l’industrie de la musique52. Cela dit, l’obligation de poser ces verrous n’est pas anecdotique, car elle contribue au changement de perspective opéré par la loi, ouvrant la porte au formalisme : l’auteur est en effet dans l’obligation de poser un verrou pour obtenir le bénéfice du droit d’auteur. Or, plus le droit d’auteur exige des formalités pour s’exercer, moins son fondement en est un de droit naturel, le formalisme représentant un rejet du droit d’auteur comme d’un droit revenant naturellement à l’auteur. De plus, ce formalisme semble contrevenir à l’une des assises de b) de prendre des mesures dont il est raisonnable de croire qu’elles auront pour effet de limiter aux personnes visées à l’alinéa (3)a) la communication par télécommunication de la leçon ; c) s’agissant de la communication par télécommunication de la leçon sous forme numérique, de prendre des mesures dont il est raisonnable de croire qu’elles auront pour effet d’empêcher les élèves de la fixer, de la reproduire ou de la communiquer en contravention avec le présent article. » 51. Par. 30.2(5.02) : « La bibliothèque, le musée ou le service d’archives, ou toute personne agissant sous l’autorité de ceux-ci, peuvent, au titre du paragraphe (5), fournir une copie numérique à une personne en ayant fait la demande par l’intermédiaire d’une autre bibliothèque, d’un autre musée ou d’un autre service d’archives s’ils prennent, ce faisant, des mesures en vue d’empêcher la personne qui la reçoit de la reproduire, sauf pour une seule impression, de la communiquer à une autre personne ou de l’utiliser pendant une période de plus de cinq jours ouvrables après la date de la première utilisation. » 52. « L’absence de standardisation des systèmes de DRM, les risques qu’ils engendrent, la réticence des consommateurs à acheter des œuvres musicales dotées d’une [t]elle protection, la possibilité de la surmonter et son inefficience n’ont laissé d’autres choix à l’industrie musicale que de vendre ses fichiers musicaux sans DRM. Ainsi, Amazon a été la première boutique en ligne, en 2008, à offrir ses fichiers musicaux libres de DRM [référence omise]. Peu à peu, tous les dispositifs de vente en ligne lui ont emboîté le pas. Le 20 mai 2008, Napster a annoncé que tous les contenus offerts pour téléchargements, soit plus de six millions de fichiers, seraient libres de DRM [référence omise]. iTunes a quant à elle rapidement commencé à offrir des pièces musicales sans DRM, en les vendant toutefois 0,70 $ de plus que les fichiers protégés par DRM. Cet incitatif à l’achat de pièces protégées n’a guère duré et iTunes 8, la plus récente version de iTunes, offre maintenant la totalité de ses pièces musicales avec un encodage de qualité supérieure (256 kbps AAC), libres de DRM et sans aucune limite de reproduction. La technologie des systèmes DRM se révèle ainsi un échec en matière de protection des œuvres musicales en ligne, notamment en ce qui a trait à la facturation des droits d’auteur et à la rémunération des ayants droits. » Voir Joëlle BISSONNETTE et Marc MÉNARD (dir.), « L’industrie du disque à l’ère du numérique : l’évolution des droits d’auteur et l’édition musicale », École des medias, UQAM, 2009, p. 21, en ligne : <http://www.chairerenemalo.uqam.ca/ upload/files/Strategies/industriedudisque.pdf>. Un tournant pour le droit d’auteur canadien 897 la Convention de Berne, à savoir que « la jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité »53. La dilution de l’auteur et le formalisme naissant sont les indices d’un tournant en droit canadien et ce constat remet en question la raison d’être du droit d’auteur. Refusant de faire du droit d’auteur un droit de la personne54, le législateur s’éloigne aussi d’une valorisation économique du métier d’auteur, dont les enquêtes démontrent pourtant combien les revenus sont faméliques55. 3. Une gouvernance incertaine Les modifications à la Loi sur le droit d’auteur laissent présager deux tendances lourdes dans la gouvernance du droit d’auteur : des recours aux tribunaux et une perte d’importance des sociétés de gestion collective. Si ces deux tendances se concrétisent, les modifications incarneraient alors une politique publique dont le destin est incertain. L’hypothèse d’un recours plus important aux tribunaux se vérifie difficilement au moment même où la loi vient d’entrer en vigueur. Jouer au devin en matière juridique est un pari à la fois tentant et risqué. Cependant, certains indicateurs permettent de poser comme inéluctable un passage par le prétoire. En matière de droit d’auteur, comme dans bien d’autres domaines, les tribunaux ont généralement pour tâche de régler des litiges entre des parties, litiges qui confrontent des faits et la norme inscrite par le droit. Les modifications à la Loi sur le droit d’auteur pourraient donner lieu à des recours poursuivant un objectif différent, des recours qui chercheraient, d’une part, à déterminer si certaines dispositions peuvent effectivement se retrouver dans la loi et, d’autre part, à délimiter la portée de certaines autres dispositions. Se dessine peut-être à l’horizon une période de clarification, voire de réécriture législative. 53. Art. 5(2) Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886, en ligne : <http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/trt docs_wo001.html>. 54. Voir, sur cette question, la discussion menée par Michel VIVANT, « Le droit d’auteur, un droit de l’homme ? », (1997) 174 Revue internationale du droit d’auteur 61-122. 55. Voir les trois enquêtes menées par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec en 2010 et sondant les écrivains, les artistes en arts visuels ainsi que les danseurs et chorégraphes : <http://www.stat.gouv.qc.ca/observatoire/ publicat_obs/index.htm>. 898 Les Cahiers de propriété intellectuelle La trop grande importance des exceptions risque d’ouvrir la voie à des contestations sur le bien-fondé de certaines dispositions. L’éducation comme motif d’utilisation équitable, l’exception de reproduction à des fins privées tout comme celle de mashup pourraient être mise en doute sur la base de l’article 9.2 de la Convention de Berne ou de l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC, lesquels instaurent ce que l’on nomme le test en trois étapes56. À première vue, ces ajouts semblent en contradiction avec les engagements du Canada et ils exposent le gouvernement canadien à défendre ses choix devant les tribunaux. Parce que des contestations judiciaires sont tout à fait plausibles, on peut se questionner sur l’intention qui habite le législateur lorsqu’il adopte des dispositions aussi incertaines sur le plan juridique. Ensuite, les contresens apparents de certaines nouvelles dispositions avec d’autres dispositions nécessiteront sans doute l’assistance des tribunaux pour clarifier la loi et dénouer les contradictions. Parmi les conflits interprétatifs possibles, notons les suivants : • Comment distinguer les fins d’éducation prévues comme motifs d’utilisation équitable à l’article 29 et les fins pédagogiques dont la loi fait référence à plusieurs reprises57 ? Quels liens ces notions entretiennent-elles avec la leçon58 et les établissements d’enseignement59 ? Est-ce que l’étude privée contenue à l’article 29 a encore sa raison d’être dans ce contexte ?60 56. Les deux articles prescrivent sensiblement la même chose. L’article 9.2 de la Convention de Berne indique ceci : « Est réservée aux législations des pays de l’Union la faculté de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ». Pour sa part, l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC prévoit que « Les Membres restreindront les limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit ». 57. Voir les articles 29.4, 29.5, 29.6, 29.7, 30.04, 30.01, 30.02, 30.04 et 41.21. 58. Art. 30.01. 59. Voir notamment la définition à l’article 2. 60. Faut-il se référer à la version anglaise, laquelle comporte moins de notions ? Un tournant pour le droit d’auteur canadien 899 • Comment distinguer la notion de fins non commerciales61 de l’utilisation à des fins privées62, et ce, considérant que la loi incluait déjà la notion d’usage privé63 et d’étude privée64 ? L’enjeu de cette rédaction polysémique est double : il faut non seulement tenter de comparer le sens des mots entre eux, mais il faut de plus les interpréter en fonction d’un principe directeur. Or, tel qu’indiqué plus haut, ce principe est ardu à saisir, entre l’auteur et les autres acteurs sociaux qui cohabitent dans la loi. La mise en garde avait pourtant été servie après les modifications de 1997 : « [...] le législateur a développé cette fâcheuse habitude de traiter chaque cas comme un cas d’espèce, sans souci de cohérence »65. Probablement conscient de son penchant pour les textes abscons, le gouvernement canadien proposait en 2002 de modifier la Loi sur le droit d’auteur en relavant le défi de « clarifier la législation là où cela peut réduire le risque de litiges inutiles »66. À l’évidence, l’objectif n’a pas été atteint. Il existe une autre conséquence du style de rédaction confus. Les modifications opèrent dans le menu détail, accroissent de beaucoup la complexité de la loi et, du coup, rendent celle-ci plus opaque et parfois laborieuse à déchiffrer, tellement le principe est alambiqué et les exceptions pointues. C’est l’obéissance de la loi qui est mise en cause lorsqu’on rédige avec un scalpel aussi affûté et les titulaires de droits peuvent craindre de faire les frais d’une législation trop difficile à comprendre. Un exemple : la reproduction à des fins privées est permise67, à moins que l’œuvre contienne une mesure technique de protection et si, par ailleurs, la copie est effectuée pour un visionnement en différé, il faut éventuellement la détruire68 et, enfin, lorsque la copie est effectuée sur un support audio vierge, les titulaires sont compensés69. Les titulaires devront-ils recourir aux tribunaux pour s’assurer que ces règles sont bien comprises par le public ? 61. Voir l’article 29.21, l’alinéa 32.2(1)f) et le paragraphe 38.1(1). 62. Voir les articles 29.22 et 29.23, les alinéas 32.2(1)f) et 38.1(5)d) et le paragraphe 41.1(3). 63. Voir les articles 79 et suivants. 64. Voir les articles 29, 30.2 et 30.21. 65. Mistrale GOUDREAU, « Et si nous discutions de rédaction législative... Commentaire sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur », (1998) 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 7, 29. 66. GOUVERNEMENT DU CANADA, Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur, 2002, p. 39. 67. Art. 29.22. 68. Art. 29.23. 69. Voir le régime de la copie privée aux articles 79 et suivants. 900 Les Cahiers de propriété intellectuelle Derrière ces recours aux tribunaux pour définir le droit se cache une curieuse manière de pratiquer la common law. Il s’agit en effet non pas de codifier les décisions des tribunaux en mettant en place des règles dont le détail peut surprendre, mais plutôt de codifier d’emblée des règles alambiquées qui imposeront un passage par les tribunaux pour y trouver une logique. Le second défi de gouvernance occasionné par les modifications concerne le maintien de sociétés de gestion collective fortes. La gestion collective se veut une manière de rendre le droit d’auteur fonctionnel, en permettant au public d’avoir accès aux œuvres et aux auteurs d’être rémunérés70. En anticipant des pertes de revenus71, parce que des droits sont transformés en exceptions non rémunérées, les sociétés de gestion seront inévitablement affaiblies. Les nouvelles exceptions dans le milieu de l’éducation, la nouvelle exception de reproduction à des fins privées – laquelle pourrait tranquillement faire disparaitre le régime de 1997 de la copie privée – et le retrait de la copie éphémère constituent des exemples d’utilisation pour lesquels les sociétés de gestion ne participent pas à la rémunération des titulaires. Il en va de même pour l’exception dite de « contenu non commercial généré par l’utilisateur »72, qui ne passe pas par les sociétés de gestion collective, même si dans d’autres pays ce type d’utilisation a donné lieu à des ententes entre les sociétés de gestion collective et des diffuseurs tels YouTube. Il y a là quelque chose qui ressemble à un désaveu de la gestion collective. 70. Pour une approche générale de la question, voir Mario BOUCHARD, « La gestion collective au Canada », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit du divertissement (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011), p. 187-218 et Daniel J. GERVAIS, Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins au Canada : perspective internationale (Ottawa, Ministère du Patrimoine canadien, 2002), p. 71-93. 71. Il est difficile de prédire l’impact économique des changements apportés à la loi. La Conférence canadienne des arts prévoit ceci : « Nous avons estimé de façon conservatrice l’an dernier que s’il n’est pas amendé, ce projet de loi peut entraîner pour nos artistes et nos créateurs une perte d’au moins 126 millions de dollars par année, et cela par le biais de leurs sociétés de gestion collective uniquement. » Voir CONFÉRENCE CANADIENNE DES ARTS, « Projet de loi C-11 : Loi sur la modernisation du droit d’auteur : Présentation au Comité sénatorial permanent sur les banques et le commerce », 22 juin 2012 : <http://ccarts.ca/wp-content/ uploads/2012/06/C-11-Presentation-CCA-au-S %C3 %A9nat-FR-22-06-12.pdf>. De son côté, la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) calcule à 40 % des perceptions l’impact des nouvelles exceptions (voir leur mémoire : <http://www.sodrac.ca/Telechargement/ SODRAC_MÉMOIRE_C-11.pdf>). 72. Art. 29.21. Un tournant pour le droit d’auteur canadien 901 Or, à qui va réellement profiter cette situation ? Depuis la première technologie de diffusion de masse qu’a constituée la radio, la gestion collective a été partie prenante de la gouvernance du droit d’auteur. Certes, ces mécanismes sont imparfaits, mais le principe même de la gestion collective aurait, par exemple, fort bien pu être associé à la « modernisation » du droit d’auteur. Avec les modifications apportées à la loi, le législateur minimise l’importance de l’intermédiaire qui assure le lien entre l’utilisation et la rémunération. On mesure alors toute la distance qui sépare la loi actuelle du discours tenu dans le Livre blanc sur le droit d’auteur de 1984 : Certaines dispositions existantes seront modifiées, mais les principes qui les sous-tendent ne seront pas pour autant remis en question. Ainsi, l’expérience a démontré l’utilité des sociétés de gestion des droits des auteurs, notamment lorsqu’il est impossible pour les auteurs de traiter directement avec les utilisateurs. C’est le cas, par exemple, de la musique diffusée par les stations de radio. On pourrait citer d’autres situations où, de toute évidence, les créateurs pourraient bénéficier de telles sociétés. Il faut donc favoriser l’essor de ces organismes.73 Ce qui étonne à l’analyse des modifications est le fait que la fragilisation de la gestion collective s’opère sans que d’autres modèles soient proposés, comme si le marché allait se réinventer dans un environnement où l’ensemble des titulaires de droits exerce moins d’influence. La gestion collective est pourtant un partenaire tout désigné – et probablement le seul – dans le contexte de la circulation numérique des œuvres. Or, il semble que pour ces nouveaux secteurs, la loi se substitue à la négociation entre titulaires et usagers. Sans vouloir une fois de plus jouer au devin, il est possible d’anticiper, avec la perte d’importance de la gestion collective, un déclin de l’institution même du droit d’auteur. Conclusion Le droit d’auteur canadien est en quête d’identité. Certes, il n’existe pas une seule manière de rédiger une loi portant sur le droit d’auteur et les législations de partout au monde démontrent bien la diversité des modèles, alors que les approches anglo-saxonnes et 73. MINISTÈRE DES COMMUNICATIONS, De Gutenberg à Télidon : livre blanc sur le droit d’auteur (Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services, 1984), p. 2. 902 Les Cahiers de propriété intellectuelle continentales font office de repères74. Il est donc vraisemblable qu’une loi délaisse l’auteur pour y préférer d’autres pôles. Ce qui est toutefois frappant au Canada est l’incertitude et la confusion générées par le décentrement de l’auteur. Quel type de modernité le législateur a-t-il privilégié ? Les modifications consacrent beaucoup de soin à traiter de reproduction, alors que le streaming prend de plus en plus de place et devance maintenant les téléchargements dans certains secteurs75. La notion de copie pourrait devenir désuète, tout comme le fait de mettre l’accent sur les mesures techniques de protection, alors que celles-ci semblent en perte de vitesse. Plus encore, dans les ajouts à la loi, les technologies sont prises en compte essentiellement pour créer des exceptions en faveur des usagers ou des institutions d’enseignement. Le principal élément technologique en soutien aux auteurs est l’arrivée d’un droit de mise à disposition, lequel recoupe en partie une protection déjà offerte aux auteurs depuis une décision de la Cour suprême de 200476. Il est difficile de soutenir la thèse voulant que les mesures techniques de protection ou le rôle des fournisseurs de services Internet constituent des gains pour les auteurs. Le versant technologique des modifications, sa modernité, joue donc essentiellement contre les auteurs. Dans la transformation du droit d’auteur canadien auquel on assiste depuis le début du XXIe siècle, le rôle des auteurs se trouve minimisé dans la seule loi conçue pour reconnaitre la valeur économique de leur travail. Le législateur déplace ainsi le point d’équilibre, au nom de l’équilibre, démontrant s’il le fallait la haute teneur rhétorique de la notion. Toute œuvre législative peut prétendre être moderne et équilibrée. S’agissant du droit d’auteur canadien, c’est en combinant ces deux termes que se dévoile l’intention du législateur : sa modernité consiste à éloigner les auteurs du point d’équilibre. 74. Voir Alain STROWEL, Droit d’auteur et Copyright : divergences et convergences (Bruxelles, Bruylant, 1993). 75. Voir l’étude sur le sujet de juin 2013 préparée en France par la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) : <http://www.hadopi.fr/actualites/actualites/carnets-de-consommation> et à propos de la Norvège et de la Suède : Sophian FANEN, « Le streaming, passion nordique au long cours », Libération, 21 février 2012 : <http://next.liberation.fr/ musique/01012391151-le-streaming-passion-nordique-au-long-cours>. 76. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427. La décision indique que la communication a lieu « lors de la transmission de l’œuvre musicale du serveur hôte à l’utilisateur final ». Vol. 25, no 3 Le droit de mise à disposition Claude Brunet* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 905 1. La « mise à disposition » d’après les traités de 1996 . . . . 908 2. Le droit de mise à disposition dans la loi canadienne . . . . 912 2.1 La jurisprudence canadienne avant la ratification des Traités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 912 2.2 Une rédaction hésitante. . . . . . . . . . . . . . . . . 917 2.3 Analyse détaillée des nouveaux articles de la LDA . . 920 2.3.1 La ratification du WPPT. . . . . . . . . . . . . 921 2.3.2 La ratification du WTC . . . . . . . . . . . . . 922 2.3.3 Pour une prochaine révision . . . . . . . . . . . 925 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 928 Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 929 © Claude Brunet, 2013. * Associé principal, Norton Rose Fulbright ; l’auteur remercie Roxane Loiseau, avocate chez Norton Rose Fulbright, qui l’a grandement aidé dans ses recherches et qui a eu la patience de l’écouter et de l’aider à préciser sa pensée autour de ce sujet nouveau et difficile. Bien que cet article soit le développement d’un court mémoire déposé le 23 août 2013 à la Commission du droit d’auteur pour le compte de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et de la Société Civile des Auteurs Multimédia, son contenu ne représente pas nécessairement les positions de ces deux sociétés et n’engage que l’auteur. 903 Introduction La Loi sur le droit d’auteur1 (ci-après la « LDA ») a été profondément amendée le 7 novembre 2012 par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur2 (aussi connue sous le nom de Projet de loi C-11, ci-après « C-11 »). Dans l’énorme catalogue d’exceptions au droit d’auteur apportées par C-11, l’un des rares amendements qui avantage les créateurs est l’ajout d’un droit de mettre à la disposition du public une œuvre, une prestation ou un enregistrement sonore de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. C-113 était la quatrième tentative d’amender la LDA depuis 1997. Les projets C-604, C-615 et C-326 étaient morts au feuilleton au fur et à mesure du déclenchement des élections fédérales qui ramenaient constamment des gouvernements minoritaires ayant une courte durée de vie. Entre-temps, l’évolution de l’Internet avait apporté un phénomène nouveau, celui du partage de fichiers, et en particulier le 1. L.R.C. (1985), ch. C-42. 2. L.C. 2012, ch. 20 (sanction : 29 juin 2012). 3. Projet de loi C-11 : déposé en première lecture le 29 septembre 2011 par le ministre de l’Industrie, Christian Paradis, lors de la première session du 41e Parlement. Il a reçu la sanction royale le 29 juin 2012 et est entré en vigueur le 7 novembre 2012 en tant que Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, ch. 20. 4. Projet de loi C-60 : déposé en première lecture le 20 juin 2005 par la ministre du Patrimoine Canadien, Liza Frulla, lors de la première session du 38e Parlement. Le projet est mort au feuilleton avec la dissolution du Parlement (gouvernement Martin) après un vote de défiance le 29 novembre 2005, qui a conduit aux élections fédérales du 23 janvier 2006. 5. Projet de loi C-61 : inscrit au feuilleton dès le 7 décembre 2007, il n’a été formellement déposé en Chambre par le ministre de l’Industrie, Jim Prentice, et n’a reçu sa première lecture que le 12 juin 2008, lors de la deuxième session du 39e Parlement. Il est mort au feuilleton à la dissolution du Parlement le 7 septembre 2008 en vue de la tenue d’élections en octobre 2008. 6. Projet de loi C-32 : déposé en première lecture le 2 juin 2010 par le ministre de l’Industrie, Tony Clement, lors de la troisième session du 40e Parlement. Il a reçu sa deuxième lecture le 5 novembre 2010 mais est mort au feuilleton à la dissolution du Parlement le 26 mai 2011. 905 906 Les Cahiers de propriété intellectuelle partage de fichiers de musique, que l’industrie du disque n’arrivait pas à endiguer, entre autres à cause d’une faiblesse perçue du droit d’auteur. En matière de musique, il y a trois catégories d’ayants droit : les auteurs d’œuvres musicales, les artistes-interprètes en ce qui concerne leurs prestations et les producteurs en ce qui concerne leurs enregistrements sonores. Alors que les premiers disposent d’un droit d’autoriser ou d’interdire la communication de leurs œuvres au public par télécommunication, les artistes-interprètes et les producteurs ne disposent que d’un simple droit à rémunération lorsque leurs prestations et leurs enregistrements sonores sont communiqués. Et même si tous ces ayants droit étaient investis d’un véritable droit exclusif de communiquer leurs œuvres, leurs prestations et leurs enregistrements au public, pour faire valoir ce droit et vraiment contrôler l’épidémie de partage des fichiers, ils auraient à faire la preuve qu’une communication a effectivement eu lieu, ce qui soulève une difficulté de preuve importante. Par ailleurs, le droit d’autoriser n’est pas ici d’un grand secours. En effet, la jurisprudence anglo-canadienne a au fil des ans vidé ce droit de son contenu. Là où les États-Unis d’Amérique ont développé des recours efficaces pour les ayants droit en reconnaissant le « contributory infringement » et le concept de « vicarious liability », le Canada, de Vigneux7 à CCH8, a considérablement restreint la portée du droit d’autoriser. Les ayants droit canadiens, à la fin des années 1990, sentent donc le besoin pressant d’un nouveau droit qui permettrait un contrôle efficace de l’offre sur l’Internet de contenus piratés. Ce besoin n’était pas propre au Canada et, sous la pression des États-Unis d’Amérique, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle allait à la même époque proposer un nouvel outil qui permettrait aux ayants droit de contrôler cette offre pirate. Deux traités ont été adoptés à Genève le 20 décembre 1996 et soumis à la signature des États : le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WIPO Copyright Treaty » ou « WCT »9) et le Traité de 7. Vigneux c. Canadian Performing Right Society (1945), 4 C.P.R. 65 (C.J.C.P.). 8. CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13. 9. L’auteur est conscient que le respect de la langue française devrait lui suggérer d’employer l’acronyme TODA pour « Traité OMPI Droit d’Auteur », mais il accepte malgré lui que cet acronyme n’est pas usité en Amérique du Nord et qu’on lui préfère l’acronyme anglais. Le droit de mise à disposition 907 l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (« WIPO Performances and Phonograms Treaty » ou « WPPT »10). Le Canada les a signés le 22 décembre 1997. Ce sont ces Traités que le gouvernement Harper a voulu ratifier en déposant son projet de Loi sur la modernisation du droit d’auteur. La nécessité de ratifier les Traités de 1996 est d’ailleurs la première explication donnée dans C-11, lequel commence par un préambule curieusement nommé « Sommaire » et qui ne fait qu’énumérer les raisons pour lesquelles on apporte des modifications à la Loi. La toute première de ces raisons est la suivante : Le texte modifie la Loi sur le droit d’auteur pour : a) mettre à jour les droits et les mesures de protection dont bénéficient les titulaires de droit d’auteur, en conformité avec les normes internationales, afin de mieux tenir compte des défis et des possibilités créés par Internet ; [Les italiques sont nôtres.] De fait, les normes internationales en droit d’auteur avaient évolué en 1996 vers un niveau de protection accrue des œuvres, des prestations des artistes-interprètes et des enregistrements sonores. Cela est du reste conforme à l’historique de l’évolution des conventions internationales en droit d’auteur : chaque nouvelle révision de la Convention de Berne a toujours apporté un accroissement de la protection minimale accordée aux auteurs. Les Traités de 1996 s’inscrivent eux aussi dans cette tendance. Ils augmentent encore d’un cran la protection minimale que les États signataires doivent accorder à leurs ressortissants et à ceux des autres États signataires. Parmi les éléments qui, en 1996, bonifient la protection des ayants droit, on trouve au premier chef ce droit de « mise à disposition » du public des œuvres, des prestations et des enregistrements sonores, « de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée »11. Donc, ce que C-11 veut accomplir c’est d’inscrire dans la loi nationale les nouveaux minima de protection accrue que l’on 10. Pour les mêmes raisons que décrites dans la note 9 ci-dessus, l’auteur est conduit malgré lui à ne pas utiliser l’acronyme français qui serait TOIEP. 11. Art. 8 du WCT ; art. 10 et 14 du WPPT. 908 Les Cahiers de propriété intellectuelle retrouve dans les Traités de 1996 et que le Canada s’est engagé à accorder en devenant signataire des Traités le 22 décembre 1997. En ce sens, la loi canadienne est entièrement tributaire des engagements internationaux pris par le Canada ; ce sont les Traités de 1996 qui déterminent le droit que le Canada doit reconnaître en modifiant sa loi. Par voie de conséquence, c’est dans les Traités de 1996 qu’on doit rechercher la nature du nouveau droit de « mise à disposition ». 1. La « mise à disposition » d’après les Traités de 1996 Vers 1990, alors que les négociations autour du GATT12 et des ADPIC13 étaient relancées, l’OMPI a convoqué un Comité d’experts chargé d’examiner la possibilité d’ajouter un nouveau Protocole à la Convention de Berne pour clarifier certaines de ses dispositions. Ce n’est qu’en septembre 1995, après l’adoption des ADPIC, que le Comité s’est saisi de questions relatives à l’exploitation des œuvres dans un monde numérisé. Ces questions étaient regroupées dans ce que l’on a nommé le « Digital Agenda ». Les auteurs Reinbothe et von Lewinski résument ainsi la genèse du droit de mise à disposition : For the Fifth Session of the Committee, the USA submitted a comment according to which the recognition of a “digital transmission” right should be considered because of its implications for the effectiveness of the reproduction right under Article 9 Berne Convention. The comment was entitled “reproduction by transmission”. [...] Discussions in the Fifth and Sixth Sessions showed broad agreement only on the fact that digital transmission should be covered by an exclusive right of authors of all kinds of works. Broad agreement could also be observed on the appropriateness of technology-neutral provisions, and on the applicability of the reproduction right in addition to any other rights which might apply to digital transmission. However, concerning the question of what right (apart from the reproduction right) should cover digital transmission, a whole range of different 12. General Agreement on Trade and Tariffs, négociation qui a mené à l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (15 avril 1994). 13. « Accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce », incorporé comme Annexe 1 C à l’Accord de Marrakech instituant l’OMC. Le droit de mise à disposition 909 options were suggested, including a distribution right by transmission, a right of communication to the public, the right of display as one relevant aspect of digital transmission and a particular, new right of transmission. In addition, the possibility of a so-called “umbrella solution” was mentioned, through which the countries could choose the applicable right, if subject only to the condition that they would cover the act of transmission to the public by an exclusive right.14 En mai 1996, lors de la septième réunion du Comité, la délégation de la Commission de la Communauté européenne proposa une formulation qui allait devenir celle de l’article 8 du WCT. Dans les mots de Reinbothe et von Lewinski, le rapport officiel de cette septième réunion indique que : The European Commission explained that the right covered the “making available” of works to the public for subsequent transmission and that it did not require that the actual transmission took place. Overall this proposal was received positively by most delegations.15 Quelques mois plus tard, lors de la Conférence diplomatique elle-même, la délégation des États-Unis d’Amérique : [...] expressed its understanding that the right of making available as contained in Article 10 Basic Proposal16 could be implemented into national law by any exclusive right, hence not necessarily by the right of communication to the public. This understanding was not opposed by other delegations.17 Cette position selon laquelle le droit de mise à disposition ne devait pas nécessairement être un droit de « communiquer au public » faisait l’affaire de plusieurs États, et notamment du Canada, pour qui, en matière de communication au public par télécommunication, les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores ne disposent pas d’un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la communication de leurs prestations et de leurs enregistrements, mais seulement d’un droit à rémunération. 14. Jorg REINBOTHE et Silke von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996 – Commentary and Legal Analysis (Londres, Butterworths/LexisNexis, 2002), aux p. 100101. 15. Ibid., p. 101. 16. L’article 10 de la Proposition est devenu sans modification de fond l’article 8 du WCT. 17. REINBOTHE et von LEWINSKI, op. cit., note 14, p. 102. 910 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dans leur analyse de la portée du nouveau droit de « mise à disposition », Reinbothe et von Lewinski insistent sur le fait que le droit est un droit « exclusif »18, c’est-à-dire un droit d’exclure ou, selon l’expression consacrée en droit d’auteur, un droit d’autoriser ou d’interdire. Il s’agit donc d’un contrôle absolu de l’acte et non seulement d’un simple droit à obtenir une rémunération lorsque l’acte est accompli. Ils notent aussi la neutralité technologique de la formulation, rappelant que le moyen technique par lequel l’œuvre est mise à disposition n’a aucune pertinence et que le droit doit pouvoir couvrir dans l’avenir tout moyen d’accéder à une œuvre en ligne, que ce soit par câble, par satellite ou par quelque moyen non encore découvert19. Mais surtout, ils établissent que l’élément fondamental du droit est l’accès et non la communication subséquente, même si l’accès suppose bien sûr la possibilité d’une éventuelle transmission20. Bien que le droit de mise à disposition ne nécessite pas qu’il y ait effectivement une transmission, si cette transmission a effectivement lieu, elle sera couverte par le même droit de mise à disposition et non par un autre droit : First of all, the act of “making available” to the public for access covers the offering of works for access and extends to the entire transmission to the user, if such transmission takes place. Accordingly, the mere establishment of a server which may be accessed individually by members of the public and at their choice regarding time and place constitutes the act of making available under Article WCT 8. If a work is actually accessed, the whole act of communication is covered by the exclusive right, including the offering of the work in a server and its 18. Ibid., p. 107. 19. Ibid. 20. On n’hésitera pas à voir un parallèle intéressant dans la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes (29 octobre 1971 – le Canada a signé cette convention mais ne l’a pas ratifiée) : l’article 2 de la Convention prévoit que « Chaque État contractant s’engage à protéger les producteurs de phonogrammes qui sont ressortissants des autres États contractants contre la production de copies faites sans le consentement du producteur et contre l’importation de telles copies, lorsque la production ou l’importation est faite en vue d’une distribution au public, ainsi que contre la distribution de ces copies au public. » À l’article 1b) de la Convention, on définit ainsi « distribution au public » : « tout acte dont l’objet est d’offrir des copies, directement ou indirectement, au public en général ou à toute partie de celui-ci. » Le droit de mise à disposition 911 entire transmission up to the terminal from which the member of the public gets access to the work.21 [Les italiques sont nôtres.] Ainsi, lorsque l’activité soumise au contrôle de l’ayant droit est « complétée » et que l’accès a effectivement eu lieu, c’est le droit de « mise à disposition » et seulement le droit de « mise à disposition » qui couvre l’ensemble de la chaîne. Dans cette perspective, subordonner au droit de mise à disposition la transmission qui complète l’activité d’accès – lorsque cette transmission a lieu – n’a pour but que d’empêcher le cumul de l’exercice de plusieurs droits pour des actes qui sont intimement liés. Mais il reste que l’activité visée par les Traités de 1996 est fondamentalement la « mise à disposition » elle-même, c’est-à-dire l’offre et non la transmission de contenu protégé. Tout l’exposé qui précède est élaboré à partir de l’article 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. Mais les passages cités ici de Reinbothe et von Lewinski se retrouvent à l’identique dans leur ouvrage lorsqu’il est question du droit de mise à disposition des prestations d’artistes-interprètes ou du droit de mise à disposition des enregistrements sonores22. En résumé, les États signataires des Traités de 1996 se sont engagés à assurer, dans leur loi nationale sur le droit d’auteur, aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores : • un droit « exclusif », c’est-à-dire un droit d’autoriser ou d’interdire ; • la « mise à disposition », c’est-à-dire l’offre, de contenu protégé ; • lorsque chacun peut avoir accès au contenu de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ; • qu’il y ait ou non transmission effective du contenu à l’individu ; 21. Ibid., p. 108. 22. En ce qui concerne les prestations des artistes-interprètes, voir REINBOTHE et von LEWINSKI, op. cit., note 14, p. 333 à 341 incl. ; en ce qui concerne les enregistrements sonores, voir REINBOTHE et von LEWINSKI, op. cit., note 14, aux p. 364 à 373 incl. 912 Les Cahiers de propriété intellectuelle • étant entendu que, s’il y a effectivement transmission du contenu à l’individu, ce droit de « mise à disposition » couvrira à la fois l’offre de contenu et sa transmission subséquente à l’individu. Voyons maintenant comment le Canada, signataire des Traités de 1996, s’acquitte de cette obligation. 2. Le droit de mise à disposition dans la loi canadienne 2.1 La jurisprudence canadienne avant la ratification des Traités Pour comprendre par quels moyens le Canada a choisi d’‘inscrire le droit de mise à disposition dans sa loi domestique, il convient de remonter un peu dans l’histoire et de voir comment les cours canadiennes interprétaient les droits existants en vertu de la LDA et qui auraient pu offrir aux ayants droit une mesure de contrôle de ce qui était mis à disposition sur l’Internet. C’est la Commission du droit d’auteur qui, la première, s’est penchée sur le phénomène de l’Internet au regard du droit d’auteur. Elle le fait à la suite du dépôt de projets de tarifs des redevances que la SOCAN se proposait de percevoir pour l’exécution publique ou la communication au public par télécommunication des œuvres de son répertoire. Ces projets de tarifs contenaient un nouveau Tarif 22 visant la communication d’œuvres au moyen d’ordinateurs connectés à un réseau de télécommunications, de manière que chacun puisse accéder à ces œuvres indépendamment de toute autre personne. Le premier de ces projets de tarifs a été déposé en 1995 et visait l’année 1996. Il y eut deux autres projets visant respectivement les années 1997 et 1998. Comme il s’agissait de la première tentative de percevoir des redevances pour des activités sur l’Internet, la Commission a voulu d’abord se pencher sur des questions juridiques soulevées par la nature de l’Internet. L’une de ces questions était la suivante : « Y a-t-il communication au public par télécommunication lorsqu’une œuvre musicale est transmise, rendue disponible, téléchargée en amont ou en aval, ou est parcourue par voie électronique ?23 ». La question, telle que posée, est évidemment fonction de la loi de 23. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Canadian Association of Internet Providers (1999), 1 C.P.R. (4th) 417 (Comm. du droit d’auteur ; 1999-10-27), à la p. 419. Le droit de mise à disposition 913 l’époque, qui connaît le droit de communication au public par télécommunication, mais loi dans laquelle il n’y a aucune référence à un droit de mise à disposition. Pour réussir à faire homologuer son projet de tarif, la SOCAN devait donc satisfaire la Commission que les œuvres de son répertoire étaient « communiquées au public par télécommunication » sur l’Internet. Après une longue analyse technique, la Commission conclut qu’une œuvre est « communiquée » non pas au moment où elle est rendue disponible, mais au moment où elle est transmise24. La Commission reconnaît ainsi une distinction de nature entre le fait de « communiquer » et le fait de « mettre à disposition ». C’est ce qui la conduit à ne pas se laisser influencer par le WCT qu’elle connaît pourtant : Ceux qui soutiennent qu’une œuvre est communiquée au moment où elle est mise à disposition ou rendue disponible, par exemple, au moment où elle est enregistrée sur un serveur hôte où les personnes du public peuvent y avoir accès, s’appuient tant sur un traité international que sur la jurisprudence canadienne. Ils citent l’article 8 du Traité de L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur adopté en décembre 1996. Cet article dispose que les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs œuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée. Toutefois, le Traité ne lie pas le Canada car le gouvernement canadien l’a signé mais ne l’a pas ratifié.25 Selon la Commission, la personne qui rend l’œuvre disponible « autorise » (au sens du droit d’auteur) la communication : L’« autorisation » constitue une utilisation protégée distincte sous le régime de la Loi. Autoriser, c’est sanctionner, appuyer et soutenir. La personne qui rend disponible une œuvre musicale sur un site accessible par l’Internet en autorise la communication. Elle le fait uniquement afin que celle-ci puisse être 24. Ibid., p. 34. 25. Ibid. 914 Les Cahiers de propriété intellectuelle communiquée, en sachant fort bien et en espérant qu’une telle communication aura lieu. La personne qui rend l’œuvre disponible ne fait pas que fournir les moyens d’assurer la communication de l’œuvre ; elle contrôle ou prétend contrôler le droit de la communiquer.26 Enfin, la Commission conclut qu’une communication est « autorisée » dès que l’œuvre est rendue disponible : Les fournisseurs de contenu ne fournissent pas des outils pour qu’il puisse y avoir utilisation ; ils fournissent l’œuvre. Ils déterminent le contenu.. Ils décident si le site comprendra des œuvres musicales. Ils choisissent ces œuvres, qu’elles soient protégées ou non. Ils savent et prévoient que les fichiers qu’ils rendent disponibles serviront à permettre une utilisation qui est protégée si l’œuvre n’est pas tombée dans le domaine public, renseignement qu’il leur incombe de vérifier [...] En fait, dès qu’elle est rendue disponible, la musique, en supposant qu’elle est protégée, ne peut être utilisée sans violation du droit d’auteur. De plus, c’est l’acte même de rendre disponible qui constitue un autorisation. En agissant de la sorte, la personne se trouve à offrir à ceux qui ont accès à l’Internet de leur communiquer l’œuvre.27 En Cour d’appel fédérale, le juge Evans écrira qu’il a du mal à suivre l’analyse que la Commission a faite de la question de l’autorisation. Dans un passage qui en dit long sur le refus anglo-canadien de voir un droit utile dans le droit d’autoriser, le juge Evans écrit : La Commission a d’abord statué qu’en rendant des données disponibles sur Internet, le fournisseur de contenu en autorise la communication à l’utilisateur final qui les a demandées. Cette conclusion n’a pas été contestée. Néanmoins, comme il a été jugé que le fournisseur de contenu communique les données lorsque celles-ci sont demandées et reçues par l’utilisateur final, il est sans intérêt de savoir si, en rendant les données disponibles sur l’Internet, le fournisseur de contenu est également tenu d’en autoriser la communication.28 26. Ibid., p. 44. 27. Ibid., p. 46. 28. SOCAN c. Association canadienne des fournisseurs Internet, 2002 CAF 166 (ci-après « SOCAN – CAF »), par. 152. Le droit de mise à disposition 915 Cela dit, la difficulté qu’exprime le juge Evans à suivre l’analyse de la Commission est compréhensible. Pour reprendre l’expression utilisée à l’époque tant par la Commission que par la Cour d’appel fédérale, il s’agit de savoir par quel « bout de la lorgnette » on doit analyser les activités des parties à une transaction Internet. Qui communique ? Qui autorise ? Qui est autorisé ? La Commission s’était penchée, elle, sur l’activité du fournisseur de contenu et avait conclu que c’est lui qui autorise la communication en mettant l’œuvre à disposition. La Commission avait aussi conclu que le fournisseur de services ne faisait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que ce tiers effectue une communication et que, conséquemment, il ne violait pas le droit de communiquer, à cause de l’exception particulière à ce sujet dans la LDA29. Cela conduit la Commission à conclure que c’est le fournisseur de contenu qui communique ; et, pour boucler la boucle, lorsque la communication n’a pas effectivement lieu, la Commission conclut que le fournisseur de contenu, en mettant l’œuvre à disposition, est au moins responsable d’autoriser la communication. Ainsi, pour la Commission, le droit d’autoriser est un droit distinct, complètement indépendant de l’activité qui est autorisée. Mais une difficulté demeure : celle de savoir qui, selon la Commission, a été autorisé à communiquer. D’autant que, dans le cas en l’espèce, la SOCAN cherche à percevoir des redevances des fournisseurs de services et non des fournisseurs de contenu. Il semblerait que, selon la Commission, le fournisseur de contenu, en mettant l’œuvre à disposition, autorise le fournisseur de services à la communiquer mais que, comme le fournisseur de services n’est qu’un simple fournisseur de moyens de communiquer, il n’est pas responsable de la communication et que l’on revienne alors au fournisseur de contenu, responsable de la communication parce qu’ayant rendu l’œuvre disponible ! On peut comprendre le malaise du juge Evans. De leur côté, la Cour d’appel fédérale et, plus tard, la Cour suprême, examineront donc plutôt l’activité des fournisseurs de services et se demanderont si ces fournisseurs de services « autorisent » les fournisseurs de contenu « parce que les intermédiaires Internet savent que les utilisateurs finaux consulteront les fichiers (y compris ceux protégés par le droit d’auteur) des fournisseurs de contenu30 ». Au final, sans être d’accord avec le raisonnement de la Commission, 29. LDA, al. 2.4(1)b). 30. SOCAN c. Assoc. Canadienne des fournisseurs Internet 2004 CSC 45 (ci-après « SOCAN – Cour suprême »), juge Binnie, par. 121. 916 Les Cahiers de propriété intellectuelle la Cour suprême se dira d’accord31 avec la conclusion suivante de la Commission : Au bout du compte, il faut prendre chaque transmission isolément afin de décider si, en l’occurrence, un intermédiaire donné est un simple agent permettant à autrui de communiquer ou s’il agit à un autre titre. D’une façon générale cependant, on peut dire à coup sûr, en ce qui a trait à la plupart des transmissions, que seule la personne qui rend disponible une œuvre musicale communique celle-ci.32 Malheureusement, ni le juge Evans, ni le juge Binnie n’auront saisi l’occasion de confirmer les autres conclusions importantes (parce que prémonitoires) de la Commission en ce qui concerne le droit d’autoriser, savoir que 1) c’est la personne qui « met à disposition » qui « autorise » une communication au public par télécommunication d’une œuvre et 2) que le simple fait de « mettre à disposition » constitue l’« autorisation » de communiquer l’œuvre au public par télécommunication. Au passage, le juge Binnie aura quand même pris la peine de rappeler que le droit d’« autoriser » est, au Canada, un droit sans contenu : « Notre Cour a toutefois statué qu’il n’est pas facile d’établir l’acte d’« autoriser » au sens de la Loi sur le droit d’auteur33 ». Et le juge de citer sa juge en chef, puis de rappeler les affaires Vigneux34 et Muzak35. Quoiqu’il en soit de ce glissement – du fournisseur de contenu au fournisseur de services – qui s’est opéré entre la décision de la Commission et le contrôle judiciaire de cette décision par la Cour d’appel fédérale et, ensuite, par la Cour suprême, il faut noter que les deux conclusions de la Commission quant au droit d’autoriser qui est engagé par la simple mise à disposition n’ont pas été infirmées par les cours de révision. D’ailleurs, la Commission récidiva en 2006 en homologuant le Tarif 24 de la SOCAN sur les sonneries musicales. Jugeant que sa 31. 32. 33. 34. 35. Ibid., par. 111. SOCAN – Commission, à la p. 40. Ibid., par. 122. Voir précitée, note 7. Muzak Corp. c. Composers, Authors and Publishers Assoc. (Canada), [1953] 2 R.C.S. 182. Le droit de mise à disposition 917 décision sur le Tarif 22 était mal interprétée par les entreprises de télécommunications sans fil, elle écrira en effet : La Commission n’a pas conclu que les droits établis dans le Traité de l’OMPI avaient été ajoutés à la Loi d’une manière quelconque. Elle a même précisé que le Traité ne s’appliquait pas au Canada. Ce que la Commission a décidé est que la personne qui affiche une œuvre sur un serveur, en autorise la communication au public. En d’autres termes, en ce qui concerne les œuvres, le droit d’autoriser comprend déjà le droit de mise à disposition prévu au Traité.36 Au moment où le Canada dépose des projets de loi pour ratifier les Traités de 1996, il était donc permis de croire que le droit de mise à disposition existait déjà au Canada sous la forme du droit d’autoriser une communication au public par télécommunication37. Cela explique en bonne partie le flottement dans la formulation choisie par le Canada pour inscrire dans sa Loi le droit de mise à disposition exigé par les Traités de 1996. 2.2 Une rédaction hésitante Les Traités de 1996 exigent clairement que le droit de mise à disposition soit un droit exclusif, c’est-à-dire un droit de contrôler la mise à disposition en l’autorisant ou en l’interdisant, et non un simple droit à obtenir une rémunération lorsqu’une œuvre, une prestation ou un enregistrement sonore a été mis à disposition. Cela, du reste, correspond exactement aux demandes des ayants droit canadiens qui réclamaient une façon efficace de contrôler l’offre pirate de contenus numériques en ligne. 36. Public Performance of Musical Works (Ringtones), Re, 52 C.P.R. (4th) 375 (Comm. droit d’auteur ; 2006-08-18), au par. 62. 37. Certains, plutôt que de se fonder sur les conclusions de la Commission du droit d’auteur, s’appuieront sur la dissidence du juge LeBel dans l’affaire SOCAN. Dans sa dissidence, le juge LeBel écrivait ce qui suit : « Le Parlement est présumé légiférer sans porter atteinte à un traité, à la courtoisie entre les États ou aux principes du droit international. Il s’agit d’une règle d’interprétation bien établie [...] Même si la Loi sur le droit d’auteur n’a pas encore été modifiée pour tenir compte de la signature du Traité sur le droit d’auteur, je crois que cette règle d’interprétation s’applique également en l’espèce. », 2004 CSC 45, par. 150. L’Union des consommateurs, sous la plume d’Anthony Hémond, dira que « Concernant ce droit de mise à disposition, le juge LeBel, bien que dissident, souligne que la Loi canadienne comporte déjà ce droit de mise à disposition.[...] Suivant cette interprétation, force est de conclure qu’il n’est pas nécessaire de créer ce droit de mise à disposition, puisqu’il est déjà inclus dans le droit de communication au public. » (Mémoire de l’Union des consommateurs, septembre 2009, p. 8). 918 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les États étant laissés libres de mettre en œuvre le droit de mise à disposition par l’un quelconque des droits se trouvant dans leur loi nationale, la question se posait au Canada si le droit de communiquer au public par télécommunication n’embrassait pas déjà le nouveau droit de mise à disposition. En ce qui concerne les prestations des artistes-interprètes et les enregistrements sonores des producteurs, cela ne pouvait pas être le cas puisque le droit de communication au public, pour ces objets protégés par le droit d’auteur, n’est qu’un simple droit à rémunération et non un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire ainsi que l’exige le WPPT. Par contre, en ce qui concerne les œuvres traditionnelles, le droit de communiquer au public est effectivement un droit exclusif. Le Canada a donc d’abord pensé qu’aucune modification n’était requise à la LDA pour reconnaître le nouveau droit de mise à disposition en ce qui concerne ces œuvres. Toutefois, dès lors que le nouveau droit devait être nommément ajouté à la protection des prestations et des enregistrements sonores, on s’est inquiété que le fait de le nommer pour ces objets de protection et de ne pas le nommer pour les œuvres pourrait conduire à une interprétation a contrario selon laquelle le droit n’existerait que pour les prestations et les enregistrements sonores. On voit cette hésitation en comparant les divers projets de loi qui ont été déposés pour ratifier les Traités de 1996 : ainsi, l’article 2 du projet de loi C-60 inclut un amendement à l’alinéa 2.4(1)a) de la LDA ; en vertu de cet amendement, « effectue une communication au public par télécommunication la personne qui met une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur à la disposition du public de manière que chacun puisse y avoir accès par télécommunication individuellement de l’endroit et au moment qu’il choisit ». Son successeur, le projet de loi C-61 ne contient pas de tel amendement. Puis, en 2010, avec le projet de loi C-32, on réintroduit l’amendement38. Au terme de cette valse-hésitation, le droit de mise à disposition sera nommé spécifiquement en ce qui concerne les prestations des artistes-interprètes et les enregistrements sonores des producteurs et il sera l’objet d’une référence très indirecte en ce qui 38. L’article 3 du projet de loi C-32 propose de modifier l’article 2.4 de la LDA en y ajoutant, après le paragraphe (1), un paragraphe (1.1) qui se lirait comme suit : « Pour l’application de la présente loi, constitue notamment une communication au public par télécommunication le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ». Le droit de mise à disposition 919 concerne les œuvres. Comme on le verra plus loin, cela ne va pas sans créer des difficultés d’interprétation. Quoi qu’il en soit, tant pour les œuvres traditionnelles que pour les prestations et les enregistrements sonores, le nouveau droit sera perçu par les justiciables canadiens et annoncé comme tel par le gouvernement comme étant un droit de contrôler l’offre numérique en ligne, en l’autorisant ou en l’interdisant. Une telle compréhension est claire dès le dépôt du premier projet de loi, le projet de loi C-60. Dans la note explicative préparée à l’intention des parlementaires par les fonctionnaires du Parlement, on explique ainsi pourquoi il faut modifier l’alinéa 2.4(1)a) : Clause 2 of the bill changes the definition of communication to the public found in section 2.4(1)(a) of the Act to include making the work available in a way that allows members of the public to access it on demand. The change is necessary for Canadian ratification of the WCT and WPPT, and also serves to reverse the BMG decision39 of the Federal Court of Canada, which held that merely making a file available in a shared folder on a computer does not constitute communication to the public.40 Le même résumé, plus loin, ajoute : Although the government reserved the issue of private copying for the medium-term study, the related issue of file-sharing is directly addressed in the so-called “making available” right that is among the centrepieces of the proposed amendments to the Copyright Act. This provision means that the sound recording makers and performers have the right to control the 39. Dans l’affaire BMG Canada Inc. c. John Doe, 32 C.P.R. (4th) 64 (C.F. ; 2004-0331), le juge von Finkenstein déclarait, au paragraphe 28 de la décision : « The mere fact of placing a copy on a shared directory in a computer where that copy can be accessed via a P2P service does not amount to distribution. Before it constitutes distribution, there must be a positive act by the owner of the shared directory, such as sending out the copies or advertising that they are available for copying. [...] The exclusive right to make available is included in the World Intellectual Property Organization WIPO Performances and Phonograms Treaty, Geneva, December 20, 1996, however that treaty has not yet been implemented in Canada and therefore does not form part of Canadian copyright law. » 40. Parliament of Canada : Bill C-60: An Act to amend the Copyright Act ; Sam N.K. BANKS et Andrew KITCHING ; Law and Government Division, 20 September 2005 ; p. 4 ; LS-512E ; <www.parl.gc.ca/About/Parliament/LegislativeSummaries/bills>. 920 Les Cahiers de propriété intellectuelle making available of their material on the Internet. The bill makes it illegal for anyone other than the copyright holder to place a music file in a shared folder on a computer to which other users of a file-sharing program have access. Thus it will be illegal to upload music files onto on-line shared directories, as is the case when using KaZaa (sic) or BitTorrent, unless the person uploading the material is the rights holder of that material.41 2.3 Analyse détaillée des nouveaux articles de la LDA Rappelons d’abord les éléments qui, selon les Traités de 1996, doivent se retrouver dans la loi nationale. Il faut un droit exclusif (d’autoriser ou d’interdire) portant sur la mise à disposition (c’està-dire, sur l’offre) lorsque chacun peut avoir accès au contenu de l’endroit et au moment qu’il choisit, qu’il y ait ou non transmission effective du contenu, étant entendu que, s’il y a transmission, le droit de mise à disposition couvrira à la fois l’offre de contenu et sa transmission subséquente. 2.3.1 La ratification du WPPT En ce qui concerne les prestations des artistes-interprètes et les enregistrements sonores, tous et chacun des éléments requis par le WPPT se retrouvent dans la LDA. Pour les prestations, le nouvel article 15(1.1) de la LDA prévoit ce qui suit : 15. Droit d’auteur sur la prestation (1.1) Sous réserve des paragraphes (2.1) et (2.2), l’artisteinterprète a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de sa prestation ou de toute partie importante de celle-ci : [...] d) d’en mettre l’enregistrement sonore à la disposition du public et de le lui communiquer par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ; [Les italiques sont nôtres.] 41. Ibid., p. 8. Le droit de mise à disposition 921 Pour les enregistrements sonores, le nouvel article 18 (1.1) de la LDA prévoit ce qui suit : 18. Droit d’auteur sur l’enregistrement sonore (1.1) Sous réserve des paragraphes (2.1) et (2.2), le droit d’auteur du producteur d’un enregistrement sonore comporte également le droit exclusif, à l’égard de la totalité ou de toute partie importante de celui-ci : a) de le mettre à la disposition du public et de le lui communiquer par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ; [Les italiques sont nôtres.] Dans les deux articles, la référence aux réserves des paragraphes (2.1) et (2.2) est simplement une référence aux critères d’admissibilité des prestations et enregistrements sonores, critères qui dépendent de la résidence des ayants droit et du lieu de première publication de l’enregistrement sonore. Dans les deux articles, il s’agit d’un droit exclusif et non d’un simple droit à rémunération. Dans les deux articles, le droit permet d’autoriser ou d’interdire la mise à disposition, c’est-à-dire « l’offre ». Dans les deux articles, et selon le sens ordinaire des mots, la transmission du contenu, si elle a lieu, est une activité distincte et subséquente à l’offre ; en effet, une distinction très nette est établie entre le fait de mettre à disposition et le fait de communiquer. L’offre n’est donc pas la transmission. Ce sont là deux activités distinctes. Mais si l’emploi de la conjonction « et » entre « mettre à disposition » et « communiquer » a pour premier effet de bien montrer la distinction entre ces deux activités, cela a aussi pour effet de joindre les deux activités lorsqu’elles se sont toutes deux produites. Et donc, dans les deux articles, c’est le même et seul droit de « mise à disposition » qui couvre à la fois l’offre et la transmission éventuelle, si transmission il y a. Finalement, dans les deux articles, la protection ne s’applique que lorsque l’accès est possible de l’endroit et au moment choisi individuellement par le membre du public. 922 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ces deux articles sont clairs. On n’y trouve aucune ambiguïté. Sous réserve de commentaires importants que nous ferons plus loin, ils sont à première vue en accord avec les exigences du WPPT et reflètent les obligations souscrites par le Canada. 2.3.2 La ratification du WCT On s’attendrait à trouver la même formulation claire et complète reflétant l’obligation souscrite par le Canada relativement au droit de mise à disposition des œuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques. Hélas, non. En ce qui concerne les œuvres, la LDA adopte une structure curieusement alambiquée qui engendre la confusion. D’abord, le droit de mise à disposition n’est pas inséré, comme on s’y serait attendu, à l’article 3(1), c’est-à-dire à l’article qui énumère tous les droits patrimoniaux42 qui composent le droit d’auteur sur les œuvres. C’est plutôt l’action (et non le droit) de mise à disposition qui est référencée à l’article 2.4, dans un nouveau paragraphe (1.1) qui se lit comme suit : 2.4 Communication au public par télécommunication (1.1) Pour l’application de la présente loi, constitue notamment une communication au public par télécommunication le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. [Les italiques sont nôtres.] Comme on l’a dit plus haut, même cette référence à la mise à disposition dans une définition de ce qu’est une communication au public par télécommunication a bien failli ne pas avoir lieu. D’abord incluse dans le projet de loi C-60, elle n’a pas été reprise dans le projet de loi C-61, pour finir par réapparaître dans le projet de loi C-32 et être maintenue dans le projet de loi C-11. À dire vrai, les rédacteurs de l’époque pouvaient penser que, en ce qui concerne les œuvres, la combinaison du droit de communiquer 42. Droits « patrimoniaux », par opposition aux droits qui composent le « droit moral » de l’auteur. Le droit de mise à disposition 923 au public par télécommunication et du droit d’autoriser cette communication pouvait donner le contrôle exigé par le WCT sur l’offre de contenus numériques dans l’Internet et qu’il n’était pas nécessaire de nommer un nouveau droit comme on avait dû le faire pour les prestations et les enregistrements sonores parce que, en ces cas, le droit de communiquer au public par télécommunication n’est qu’un droit à rémunération, contrairement à l’exigence du WPPT qui impose un droit exclusif. Quelles que soient les raisons qui ont mené les rédacteurs à nommer l’activité de mise à disposition plutôt que le droit de mettre à disposition, on notera que l’article 2.4 n’est qu’une série de règles d’interprétation, ainsi qu’il ressort des mots introductifs de l’article dans sa version française : « Les règles qui suivent s’appliquent dans les cas de communication au public par télécommunication ». On notera aussi l’incohérence apparente créée par les mots introductifs du paragraphe 2.4(1.1) : « Pour l’application de la présente loi... ». Si, dans toute la loi, et donc aux articles 15 et 18, une mise à disposition constitue une communication au public par télécommunication, l’emploi du diptyque « mettre à disposition et communiquer » devient, à ces articles 15 et 18, d’une redondance fâcheuse. La solution logique – à défaut de redonner de l’élégance à une rédaction particulièrement bancale – est de voir ici l’intention du Législateur de faire en sorte que, lorsque l’offre se concrétise par une transmission effective de contenu, c’est l’ensemble des activités (mettre à disposition et transmission) qui est considéré comme activité unique et donc assujettie à un seul droit, empêchant – conformément au WCT et au WPPT – l’exercice de plusieurs droits exclusifs qui auraient vocation à régler chacun une partie de la chaîne. Mais si l’on revient au droit de mise à disposition en ce qui concerne les œuvres, on doit nécessairement y trouver le même contenu que celui qui protège les prestations et les enregistrements sonores. Il serait en effet inconcevable que les œuvres soient moins protégées que les autres objets du droit d’auteur. On doit donc interpréter la LDA comme reconnaissant aux auteurs un droit exclusif (c’est-à-dire un droit d’autoriser ou d’interdire) la « mise à disposition », c’est-à-dire l’offre, de contenu protégé lorsque chacun peut avoir accès au contenu de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement, qu’il y ait ou non transmission effective du contenu à l’individu, étant entendu que, s’il y a effectivement transmission du contenu à l’individu, ce droit de « mise à disposition » couvrira à la fois l’offre de contenu et sa transmission subséquente à l’individu. 924 Les Cahiers de propriété intellectuelle C’est ce qu’exige le WCT ; c’est ce qui a été reconnu aux prestations et aux enregistrements sonores, conformément au WPPT, aux articles 15 et 18 respectivement. Conformément aux Traités de 1996, ce droit peut prendre n’importe quelle forme, depuis un droit de reproduire, un droit de distribuer, un droit de communiquer au public, jusqu’à un droit d’afficher, un droit de transmettre ou n’importe quelle combinaison de ces droits43. On ajoutera que rien n’empêcherait de rattacher le droit de mise à disposition à un droit de « publier » lorsque la mise à disposition a pour effet de faire passer l’œuvre de la sphère privée de l’auteur à la sphère publique. En d’autres mots, le droit de mise à disposition peut facilement, selon les circonstances, être vu comme l’illustration de l’un ou l’autre des trois droits du paragraphe introductif du paragraphe 3(1) de la Loi, droits que la Cour suprême a qualifiés « d’assise fondamentale du droit d’auteur » en précisant que l’énumération des autres droits qui suit ce paragraphe introductif n’est qu’une série d’exemples des trois droits du paragraphe introductif44. Si, en vertu du paragraphe 2.4(1.1), une « communication au public par télécommunication » inclut notamment une « mise à disposition », cela n’empêche pas, selon les enseignements de la Cour suprême, que le droit de contrôler cette mise à disposition puisse être vu, lui, comme un exemple d’un droit autre que le droit de communiquer au public par télécommunication ; ainsi, le droit de contrôler la mise à disposition pourrait bien parfois être vu comme un exemple du droit de reproduire l’œuvre, ou parfois être vu comme un exemple du droit de la représenter en public ou encore, en d’autres circonstances, comme un exemple du droit de la publier si elle n’était pas encore publiée. Les droits sur les œuvres, y compris le droit de mise à disposition, doivent en effet, selon la Cour suprême, être rattachés à l’un des trois droits de l’assise fondamentale du droit d’auteur. Il n’est pas inexact de dire, comme le fait le paragraphe 2.4(1.1), qu’une « communication au public par télécommunication » est « notamment » constituée de la mise à disposition d’une œuvre par télécommunication. Cela est conforme aux Traités de 1996 qui visent entre autres à empêcher l’exercice d’un cumul de droits différents lorsque la mise à disposition a effectivement résulté en une transmission de l’œuvre au membre du public qui y avait accès. En ce cas, 43. Voir supra, note 6. 44. ESA c. SOCAN, 2012 CSC 34, par. 42. Le droit de mise à disposition 925 toute la chaîne d’activités, depuis la mise à disposition jusqu’à la réception de l’œuvre par celui qui y avait accès, forme un seul ensemble couvert par un seul droit. C’est en ce sens seulement que la mise à disposition de l’œuvre et sa communication (si elle a lieu) ne font qu’un. Mais c’est aller trop loin que de déroger au sens ordinaire des mots et d’affirmer que, en tout temps, offrir une œuvre est l’équivalent de la communiquer. Bien que la communication au public par télécommunication ait vocation à englober la mise à disposition lorsque cette mise à disposition s’est effectivement traduite par une communication, il n’en reste pas moins qu’il faut assurer que l’un des droits de l’assise fondamentale du droit d’auteur permette de contrôler (en l’autorisant ou en l’interdisant) cette mise à disposition, surtout lorsqu’elle n’est qu’une « offre » et qu’elle n’est pas complétée par une transmission subséquente de l’œuvre à l’usager qui y a accès. Car il ne faut pas oublier que le droit imposé par les Traités de 1996, s’il couvre la mise à disposition qui se traduit par une transmission de l’œuvre, couvre surtout la mise à disposition qui reste du domaine de la seule « offre » et qui ne se traduit pas par une transmission de l’œuvre. Citons encore Reinbothe et von Lewinski : The act of making available to the public, including the actual transmission (if it takes place), has to be looked upon in its entirety. Accordingly, even if the actual transmission, when looked upon as an isolated act, is not considered to be made “to the public” (meaning that members of the public would have to receive the transmission simultaneously), it is sufficient for the application of the right of making available that the initial part of this kind of communication (the “making available”) is made to the public.45 [Les italiques sont nôtres.] 2.3.3 Pour une prochaine révision Malgré la rédaction malheureuse du paragraphe 2.4(1.1), une interprétation prudente permet de trouver dans la LDA le contrôle que le Canada s’est engagé à assurer aux auteurs, aux artistes45. REINBOTHE et VON LEWINSKI, op. cit., note 14, p. 373. 926 Les Cahiers de propriété intellectuelle interprètes et aux producteurs sur l’offre en ligne de leurs œuvres, de leurs prestations et de leurs enregistrements sonores. Pour cela, il faut voir dans le paragraphe 2.4(1.1) la consignation du principe que, lorsqu’il y a effectivement transmission du contenu protégé subséquemment à sa mise à disposition, les deux activités ne deviennent qu’une et sont donc assujetties à un seul droit. Par ailleurs, le droit de mise à disposition est engagé dès lors qu’il y a une offre, que cette offre résulte ou non en une transmission. Et, enfin, ce droit de mise à disposition peut être, selon le contexte, rattaché directement à l’un ou l’autre des trois droits de l’assise fondamentale du droit d’auteur conformément à la hiérarchie nouvellement imposée par la Cour suprême. Les Traités de 1996 laissant libre cours aux États signataires pour rattacher le droit de mise à disposition à un droit d’auteur quelconque, jusqu’à ce qu’une jurisprudence s’établisse en la matière, ce droit de mise à disposition peut indifféremment être considéré au Canada comme un exemple du droit de reproduire, du droit de représenter ou du droit de publier (lorsque l’œuvre n’a pas déjà été publiée), lesquels sont les trois droits qui forment l’assise fondamentale du droit d’auteur. Nul n’est besoin d’assimiler le droit de mise à disposition au droit de communiquer par télécommunication pour procéder à un tel rattachement. Le droit de mise à disposition et le droit de communiquer au public par télécommunication ne sont d’ailleurs chacun qu’un « exemple » de l’un ou l’autre des droits du paragraphe introductif du paragraphe 3(1). En fait, dans la mesure où le droit de communiquer au public par télécommunication sous-entend que le public a effectivement obtenu communication du contenu protégé, assimiler le droit de mise à disposition au seul droit de communiquer au public par télécommunication dénature et restreint la portée du droit de mise à disposition qui doit permettre aux ayants droit d’autoriser ou d’interdire l’offre au public d’une œuvre, d’une prestation ou d’un enregistrement sonore, que cette offre se traduise ou non par une transmission du contenu. C’est donc en rattachant le droit de mise à disposition directement à l’un ou l’autre des trois droits de l’assise fondamentale qu’on réussit à lui donner son plein effet tout en reconnaissant le principe décrit au paragraphe 2.4(1.1) qu’un seul droit couvrira et la mise à disposition et la transmission subséquente du contenu le cas échéant. Le droit de mise à disposition 927 Il serait quand même souhaitable que, lors d’une prochaine révision de la LDA, on vienne nettoyer les ambigüités soulevées par le paragraphe 2.4(1.1). Toutefois, le problème le plus urgent ne se trouve pas au paragraphe 2.4(1.1). En effet, le nouveau paragraphe 67.1(4) de la Loi prévoit que, sauf autorisation expresse du ministre, les ayants droit ne peuvent intenter aucun recours pour la violation du droit de mise à disposition des prestations ou des enregistrements sonores si un projet de tarif n’a pas été déposé auprès de la Commission du droit d’auteur. Or, en vertu du nouveau paragraphe 68.2(2), il ne peut être intenté aucun recours contre quiconque a payé ou offert de payer les redevances figurant à un tarif homologué. Donc, par le jeu combiné des paragraphes 67.1(4) et 68.2(2), ce qui, en vertu du WPPT, devait être un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire et qui est annoncé comme tel aux alinéas 15(1.1)d) et 18(1.1)a) se transforme en pratique en un simple droit à rémunération. Cela va clairement à l’encontre du WPPT. En ce qui concerne le droit de mise à disposition des prestations, Reinbothe et von Lewinski écrivent : The right of making available under Article 10 WPPT has to be an exclusive right which includes the right not only to authorise the relevant act, but also to prohibit it.46 Un commentaire équivalent est fait au sujet du droit de mise à disposition des enregistrements sonores : Article 14 WPPT grants the exclusive right of making available to producers of phonograms. This right has to be an exclusive right which includes the right not only to authorise the relevant act, but also to prohibit it.47 Curieusement, l’industrie canadienne du disque ne semble pas avoir vu que la LDA ne lui donnait pas la pleine mesure des droits que le Canada s’était engagé à accorder en signant le WPPT. À l’heure actuelle, il semble bien que les artistes-interprètes et les producteurs ne peuvent que monnayer la mise à disposition en ligne de 46. Ibid., p. 338. 47. Ibid., p. 369. 928 Les Cahiers de propriété intellectuelle leurs prestations et de leurs enregistrements sonores et qu’ils ne pourraient pas interdire cette mise à disposition. Il sera intéressant de voir comment ces ayants droit chercheront à organiser de façon ordonnée de telles mises à disposition en l’absence d’un droit exclusif mais il est certain qu’une prochaine révision de la LDA devra corriger ce manquement flagrant aux obligations contractées par le Canada sur la scène internationale48. Conclusion Les États signataires des Traités de l’OMPI de 1996 doivent absolument accorder aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores un droit d’autoriser ou d’interdire la mise à disposition par télécommunication d’œuvres, de prestations ou d’enregistrements sonores. La « mise à disposition » existe dès lors qu’il est possible d’avoir accès par télécommunication à l’œuvre, à la prestation ou à l’enregistrement sonore. Il n’est pas nécessaire que l’œuvre, la prestation ou l’enregistrement sonore soit transmis au public qui y a accès pour que le droit de mettre à disposition soit engagé. Mais si l’œuvre, la prestation ou l’enregistrement sonore fait effectivement l’objet d’une transmission subséquente à l’offre, c’est le droit de « mise à disposition », et lui seul, qui couvrira toute la chaîne d’activités en ligne ; il ne doit pas y avoir cumul de l’exercice de plusieurs droits. C’est en ce sens qu’il faut interpréter le paragraphe 2.4(1.1) LDA qui ne « crée » pas le droit de mise à disposition en ce qui concerne les œuvres mais qui est une règle d’interprétation rappelant que la communication (si elle a lieu – et qui sera nécessairement subséquente à la « mise à disposition ») et la mise à disposition ne font qu’un. Une interprétation du paragraphe 2.4(1.1) qui conduirait à dire que le droit de mise à disposition est nécessairement inclus dans le droit de communiquer au public par télécommunication mènerait à des incohérences irréconciliables aux articles 15 et 18 LDA, lesquels 48. Il s’en trouvera pour faire remarquer que ce n’est que lorsque le droit est géré collectivement qu’il se transforme en un simple droit à rémunération et qu’il est toujours possible pour un ayant droit de choisir de gérer ce droit lui-même, individuellement, afin de conserver sa capacité d’autoriser ou d’interdire la mise à disposition. Mais ce serait refuser de voir que la gestion individuelle, à l’heure de l’Internet et de la mondialisation des exploitations, n’a aucune chance d’être efficace et serait en fait l’équivalent d’un abandon de droits. Le droit de mise à disposition 929 font une nette distinction entre le fait de mettre à disposition et le fait de communiquer une prestation ou un enregistrement sonore. De plus, l’assimilation du droit de mise à disposition au droit de communiquer au public par télécommunication crée le risque que le droit ne trouve pas application lorsqu’il n’y a pas eu transmission effective du contenu, alors que le WCT et le WPPT n’exigent pas qu’une telle transmission ait lieu pour que le droit de mise à disposition s’applique. Pour ces raisons, il serait judicieux de réviser le paragraphe 2.4(1.1) qui est source d’ambiguïtés inutiles. Mais, de façon plus urgente, il faut constater que le droit de mise à disposition des prestations et des enregistrements sonores n’est pas, dans la loi canadienne, le droit exclusif qu’il est censé être aux termes du WPPT. Loin d’être un droit d’autoriser ou d’interdire, il n’est qu’un droit à obtenir une rémunération par le biais de l’homologation par la Commission du droit d’auteur d’un tarif de redevances à percevoir lorsqu’il y a eu mise à disposition, tous autres recours étant exclus sauf permission expresse du ministre. En l’état, le Canada ne respecte pas les engagements qu’il a souscrits en signant le WPPT. Épilogue Au moment de la rédaction de cet article, la Commission du droit d’auteur était saisie d’une demande de la SOCAN alléguant que la décision de la Cour suprême dans l’affaire ESA49 et selon laquelle un téléchargement n’engageait pas l’exercice du droit de communiquer au public par télécommunication, n’était plus applicable à partir du moment où la LDA était modifiée pour inclure un nouveau droit de mise à disposition50. La Commission demanda à toutes les parties intéressées et non seulement à celles qui pourraient revendiquer un droit de communiquer ou qui pourraient être affectées par l’exercice d’un tel droit de commenter la question de savoir si le droit de mise à disposition rendait caduque la décision de la Cour suprême. L’échéancier établi par la Commission pour organiser le débat menait au dépôt le 16 août 2013 (cette échéance a été reportée au 49. ESA c. SOCAN, précitée, note 44. 50. Avis de la Commission, 7 décembre 2012. 930 Les Cahiers de propriété intellectuelle 23 août) d’importants mémoires en réponse aux prétentions de la SOCAN. Au moment d’écrire cet article, les mémoires en réplique devaient être déposés le 30 août mais une demande a été formulée par Apple, ESA, Cinéplex, Microsoft et une coalition composée de Bell Canada, Google, Rogers Communications, Shaw Communications, Yahoo ! et Quebecor Media, pour reporter cette échéance au 18 octobre. Parmi les mémoires du 23 août, il s’en trouve d’importants qui sont appuyés par des rapports d’experts, signés notamment par Silke von Levinski51, par Sam Ricketson52 et par Jeremy DeBeer53. La SOCAN avait déjà, elle, accompagné son mémoire d’un rapport d’expert signé par Mihaly Ficsor, directeur général adjoint de l’OMPI au moment de la négociation et de l’adoption des Traités de 1996 et à qui on attribue la formulation du droit de mise à disposition dans les Traités, formulation connue sous l’expression « umbrella solution » parce qu’elle visait à permettre aux États toute latitude pour déterminer dans leur loi nationale par quel moyen le droit serait mis en œuvre. Aucun de ces rapports d’experts, et en particulier celui souscrit par Silke von Levinski ne contredit ou change ce qui est dit dans le présent article au sujet de la genèse à l’OMPI du droit de mise à disposition. De façon générale, les opposants à la SOCAN affirment dans leurs mémoires que le droit de mise à disposition est clairement au Canada un sous-ensemble du droit de communiquer au public par télécommunication et que, en vertu de ESA, ce droit n’est pas en cause lors d’un téléchargement. Ceux qui soutiennent la position de la SOCAN voient, comme elle, dans le droit de mise à disposition, la résurrection du droit de communiquer que la Cour suprême avait anéanti dans ESA. L’auteur de cet article s’en tient à son analyse qui le conduit à conclure que, selon la directive de la Cour suprême dans ESA – selon laquelle un droit, quel qu’il soit, doit être rattaché à l’assise fondamentale du droit d’auteur, c’est-à-dire à l’un des trois droits du paragraphe introductif de l’article 3(1) de la LDA –, le droit de mise à 51. Mémoire de Music Canada (la ci-devant Canadian Recording Industry Association, regroupement des majors du disque). 52. Mémoire des réseaux (Bell, Rogers, Shaw, Quebecor, Google et Yahoo) ; Sam Ricketson est professeur à la Melbourne Law School. 53. Ibid. ; Jeremy de Beer enseigne à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Le droit de mise à disposition 931 disposition peut être considéré comme une illustration de l’un ou l’autre du droit de reproduire, du droit de représenter ou du droit de publier l’œuvre. Il maintient aussi que ce droit est essentiellement un droit d’offrir l’œuvre et qu’il n’est pas nécessaire que l’offre soit accompagnée d’une transmission effective. Il maintient enfin que, pour empêcher de graves incohérences avec les paragraphes 15(1.1) et 18(1.1) qui créent le droit de mise à disposition pour les prestations et les enregistrements sonores, la règle d’interprétation donnée au paragraphe 2.4(1.1) doit être lue comme consacrant le principe voulu par les Traités de 1996 que, lorsqu’une mise à disposition a été suivie par une transmission de l’œuvre, la mise à disposition et la transmission forment un tout qui ne donne prise qu’à un seul droit exclusif. Mais il va sans dire que le débat n’est pas terminé et que quiconque veut comprendre la nature du droit de mise à disposition tel qu’il est inscrit dans la loi canadienne devra lire avec attention les répliques qui auront été déposées auprès de la Commission du droit d’auteur après que cet article fut envoyé à l’éditeur54. 54. 2 septembre 2013. Vol. 25, no 3 Les artistes-interprètes et la réforme de la Loi sur le droit d’auteur (droits exclusifs de l’artiste-interprète, droit à la rémunération, reproductions à fins privées et droits moraux) Annie Morin* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 935 1. La réforme et les droits exclusifs des artistesinterprètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 936 2. Le droit à la rémunération équitable . . . . . . . . . . . . 941 3. La nouvelle exception pour les reproductions à des fins privées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 943 4. Droits moraux des artistes-interprètes . . . . . . . . . . . 946 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 949 © Annie Morin, 2013. * Avocate, l’auteure est directrice de Artisti. 933 Introduction Après quelques projets de loi déposés par des gouvernements successifs (projets de loi C-60, en 2005, C-61, en 2008 et C-32, en 2010) et morts au feuilleton non sans avoir suscité des débats houleux, la réforme de la Loi sur le droit d’auteur1 qui était annoncée depuis moult années se voyait concrétisée le 29 juin 2012 par la sanction royale du projet de loi C-11 – la Loi sur la modernisation du droit d’auteur – dont certaines dispositions entraient en vigueur le 7 novembre de la même année. Alors que cette réforme aurait pu résulter en une véritable amélioration de la protection offerte à l’ensemble des artistesinterprètes, seuls ceux dont les prestations sont fixées sur des enregistrements sonores se sont vus octroyer de nouveaux droits exclusifs. Pourtant, des organisations représentant les artistesinterprètes2 avaient insisté pour que la protection offerte soit également étendue aux artistes du secteur de l’audiovisuel et compte tenu de la conclusion quasi-concomitante du Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles (ci-après nommé Traité de Beijing)3, le gouvernement canadien aurait pu faire preuve de clairvoyance dans son approche. Mais leurs revendications jumelées à l’imminence du Traité de Beijing ne constituaient possiblement pas un signal assez fort quant aux besoins de cette catégorie d’artistes. Après tout, alors même que l’un des buts de la réforme aurait dû être de permettre au Canada de ratifier le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (ci-après nommé Traité de l’OIEP) adopté à Genève le 20 décembre 19964, les dispositions 1. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42. 2. Pour consulter les commentaires qu’avaient formulé l’Union des artistes, Artisti et la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec en lien avec le projet de Loi C-32 : <http://www.parl.gc.ca/Content/HOC/Committee/411/CC11/WebDoc/ WD5401532/403_C32_Copyright_Briefs %5CArtistIF.pdf>. 3. Adopté à Beijing, le 24 juin 2012. 4. Le sommaire de présentation du Projet de loi C-11 <http://www.parl.gc.ca/House Publications/Publication.aspx?Docid=5144516&Language=F&File=19> précise : « Le texte modifie la Loi sur le droit d’auteur pour : a) mettre à jour les droits et les mesures de protection dont bénéficient les titulaires du droit d’auteur, en 935 936 Les Cahiers de propriété intellectuelle visant à étendre la protection octroyée aux artistes-interprètes par la Loi sur le droit d’auteur aux pays parties audit traité ne sont toujours pas en vigueur5. Néanmoins, il sera permis de constater que la réforme devait avoir des effets sur les droits exclusifs des artistes-interprètes, leurs droits à rémunération et leurs droit moraux et c’est un survol de ceux-ci qu’il est, ici, proposé d’effectuer. 1. La réforme et les droits exclusifs des artistesinterprètes Avant la réforme, les droits exclusifs des artistes interprètes étaient uniquement listés au paragraphe 15(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Avec l’adoption du projet de loi C-11, certains de ces droits furent simplement réitérés dans le cadre du nouveau paragraphe 15(1.1) alors que d’autres s’y sont ajoutés, de telle sorte que l’artiste interprète dont la prestation est fixée sur un enregistrement sonore se retrouve désormais avec la brochette complète des droits exclusifs liés à ses prestations, au même titre que les auteurs sont dotés de l’ensemble des droits se rapportant à leurs œuvres. Les droits qui furent dupliqués sont ceux qui s’appliquent lorsque la prestation n’a pas encore été fixée ou enregistrée [et qui se retrouvent désormais tant en a) du paragraphe 15(1) qu’en a) du paragraphe 15(1.1)] ainsi que le droit qu’a l’artiste-interprète de louer l’enregistrement sonore de sa prestation. Ainsi, lorsque la prestation n’a pas encore été fixée ou enregistrée, l’artiste interprète avait, et a toujours, le droit exclusif de la communiquer au public par télécommunication, de l’exécuter en public et de la fixer sur un support matériel quelconque. Il n’y a donc aucune nouveauté ici, hormis le fait que la protection offerte par ces conformité avec les normes internationales, afin de mieux tenir compte des défis et des possibilités créés par Internet ; ». De plus, dans sa fiche technique intitulée « Ce que la Loi sur la modernisation du droit d’auteur signifie pour les titulaires du droit d’auteur, les artistes et les créateurs » <http://www.droitdauteurequilibre. gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/rp01189.html> le gouvernement du Canada spécifiait : « Le projet de loi mettra en œuvre les droits et les mesures de protection énoncés dans les traités Internet de l’OMPI, qui sont le fruit d’un consensus international sur la protection nécessaire pour surmonter les difficultés et saisir les occasions que présentent Internet et les autres technologies numériques. » 5. Pour consulter les dispositions du Projet de loi C-11 qui ne sont pas en vigueur à ce jour : <http://lois-laws.justice.gc.ca/fra/lois/C-42/nifnev.html>. Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 937 droits sera éventuellement étendue aux prestations qui sont exécutées dans un pays partie au Traité de l’OIEP lorsque le nouveau paragraphe 15(2.2)6 entrera en vigueur, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Quant aux principaux changements aux droits des artistes interprètes, ils se retrouvent en b), en d) et en e) du paragraphe 15(1.1). Ainsi, en b), est énoncé le droit de reproduction de l’artisteinterprète qui, s’il était déjà présent auparavant sous 15(1), s’y trouve morcelé en trois sections distinctes : La première section7 prévoit que l’artiste a le droit de reproduire les fixations faites sans son autorisation. À l’évidence, l’on visait ici les cas d’enregistrements faits à l’insu de l’artiste, plus communément appelés « bootlegs ». La seconde section8 prévoit, elle, que lorsqu’il a autorisé la fixation de sa prestation, l’artiste conserve néanmoins le droit de reproduire toutes reproductions de celle-ci faites à des fins autres que celles visées par l’autorisation. Pour cerner la portée de ce droit de reproduire de l’artiste-interprète, il faut donc aller voir le contrat portant sur la fixation et la reproduction de la prestation, constater ce qui y a été autorisé puis conclure que toute autre reproduction demeure protégée – un processus pour le moins alambiqué ! Quant à la troisième section9, elle force, elle aussi, à quelques contorsions puisqu’il est nécessaire d’analyser la portée des parties 3 et 8 de la Loi afin de voir si la fixation de la prestation y est permise, 6. Paragraphe 15(2.2) : « (2.2) Le paragraphe (1.1) s’applique également lorsque la prestation, selon le cas : a) est exécutée dans un pays partie au traité de l’OIEP ; b) est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le producteur, lors de la première fixation, soit est un citoyen ou un résident permanent d’un pays partie au traité de l’OIEP, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siège social dans un tel pays, ou est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont la première publication en quantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public a eu lieu dans un pays partie au traité de l’OIEP ; c) est transmise en direct par signal de communication émis à partir d’un pays partie au traité de l’OIEP par un radiodiffuseur dont le siège social est situé dans le pays d’émission. » 7. Sous-alinéa 15(1)b)i). 8. Sous-alinéa 15(1)b)ii). 9. Sous-alinéa 15(1)b)iii). 938 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’artiste conservant le droit de reproduire toutes reproductions faites à des fins autres que celles prévues dans ces parties de la Loi. Si le droit de reproduction de l’artiste-interprète, tel qu’énoncé dans ces trois sections, était et demeure biscornu, l’alinéa b) du paragraphe 15(1.1) est, par chance, beaucoup plus simple et c’est là la principale innovation de C-11 relativement à ce droit : L’on y dit clairement et simplement que l’artiste-interprète a le droit de reproduire sa prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore, lui évitant ainsi un détour par ses contrats pour être à même d’évaluer la portée de son droit. Il convient de rappeler que ce droit de reproduction clair et simple est limité aux prestations fixées au moyen d’un enregistrement sonore. C’est donc dire que lorsqu’un enregistrement comporte un aspect visuel, comme pour les DVDs musicaux par exemple, l’artiste ne peut bénéficier de ce droit de reproduction ni d’aucun autre droit exclusif. Il semble qu’en ce qui a trait aux artistesinterprètes, le législateur ait tout juste voulu s’assurer que le Traité de l’OIEP puisse éventuellement être ratifié. Rien de plus. L’autre changement important apporté aux droits exclusifs des artistes interprètes se retrouve à l’alinéa 15(1.1)d) où l’on précise que l’artiste a le droit de mettre l’enregistrement sonore de sa prestation à la disposition du public et de lui communiquer par télécommunication de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Il n’était fait nulle mention d’un tel droit au paragraphe 15(1). Concrètement, il s’agit du droit qu’a un artiste de rendre l’enregistrement sonore de sa prestation disponible sur Internet. Mais aux fins de l’exercice du droit exclusif, il est essentiel que l’accès par Internet à l’enregistrement sonore de la prestation se fasse à partir de l’endroit et au moment choisi par l’individu. Cela veut donc dire que si l’individu peut accéder à l’enregistrement sonore de la prestation à partir de son poste d’ordinateur mais qu’il ne peut pas y accéder au moment qu’il choisit – comme par exemple lorsqu’il va sur un site de streaming de musique et qu’il doit patiemment attendre que l’enregistrement sonore qu’il souhaiterait entendre soit diffusé – il ne s’agit alors pas d’une mise à la disposition visée par cet article. En effet, les mises à la disposition visées ici sont, par exemple, celles où l’enregistrement est accessible à la demande ou de façon permanente, une précision qui sera Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 939 utile plus tard, lorsque seront expliquées les modifications apportées à l’article 19. Enfin, la dernière nouveauté ayant trait aux droits exclusifs de l’artiste interprète se retrouve à l’alinéa 15(1.1)e) qui porte sur son droit de distribution, c’est-à-dire son droit d’effectuer le tout premier transfert de propriété des objets sur lesquels sont fixés les enregistrements sonores de ses prestations. Il importe d’insister sur les mots « le tout premier » car si l’objet a été vendu à un premier acheteur, ce dernier pourra en transférer la propriété sans que l’autorisation de l’artiste soit requise puisque le droit de celui-ci aura été épuisé à la suite du transfert initial de propriété. Une fois survolées les principales modifications apportées par le paragraphe 15(1.1) aux droits exclusifs de l’artiste-interprète, il faut désormais se demander à quelles prestations les nouvelles protections sont étendues. À l’heure actuelle, les conditions pour qu’une prestation bénéficie de la protection offerte sont limitées à ce qui est énoncé au paragraphe 15(2.1), qui réfère à des critères de rattachement strictement canadiens. C’est uniquement lorsque le paragraphe 15(2.2) sera mis en vigueur que la protection offerte référera aux pays parties au Traité de l’OIEP. Cela étant, si les nouveaux droits du paragraphe 15(1.1) s’appliquent présentement uniquement aux prestations exécutées, fixées ou transmises en fonction de critères de rattachement référant au Canada, il demeure que le paragraphe 15(1) s’applique toujours et que sa protection s’étend [par le biais du paragraphe 15(2)] aux prestations que l’on peut rattacher au Canada ou aux pays parties à la Convention de Rome. D’un point de vue pratique, cela signifie que dans les cas d’une prestation qui est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le producteur est, lors de la première fixation, citoyen du Canada, les protections offertes par les paragraphes 15(1) et 15(1.1) trouveront application. Toutefois, si le producteur était citoyen d’un pays partie à la Convention de Rome, autre que le Canada, seul le paragraphe 15(1) devra être pris en considération pour cerner l’étendue des droits qu’a l’artiste sur cette prestation en regard de la loi canadienne. Par extension, ceci veut dire qu’il faudra alors s’en remettre au contrat qu’il aura signé en lien avec sa prestation pour connaître l’étendue de son droit de reproduction et que l’artiste ne bénéficiera pas du droit de mise à la disposition du public et du droit de distribution prévus au paragraphe 15(1.1) concernant ladite prestation. 940 Les Cahiers de propriété intellectuelle Maintenant, si l’on prend l’exemple d’une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le producteur, lors de la première fixation, n’était ni Canadien, ni citoyen d’un pays partie à la Convention de Rome mais citoyen d’un pays partie au Traité de l’OIEP (les États-Unis d’Amérique, par exemple), cette prestation fixée ne bénéficiera d’aucune protection au Canada à l’heure actuelle. Il faudra attendre que le paragraphe 15(2.2) soit mis en vigueur afin que cette prestation, qui ne peut prétendre à la protection du paragraphe 15(1), puisse enfin bénéficier de celle plus complète du paragraphe 15(1.1). En effet, le cas échéant, l’artiste bénéficiera de la brochette complète des droits exclusifs et son droit de reproduction sera beaucoup plus simple. Enfin, dans un autre ordre d’idées, il est légitime de s’interroger sur ce que ces nouveaux droits vont rapporter aux artistes interprètes du secteur de l’enregistrement sonore qui, rappelons-le, sont les seuls à en bénéficier ? D’aucuns diront qu’avant l’avènement de ces droits, les artistes négociaient néanmoins des redevances en contrepartie de la commercialisation des enregistrements sonores de leurs prestations et que les nouveaux droits ne changeront rien à la donne. S’il est vrai que des redevances étaient négociées, voire payées, il demeure toutefois que ces redevances concernaient essentiellement les artistes vedettes et rarement, sinon jamais, les choristes et musiciens accompagnateurs qui sont également impliqués lorsqu’il est question d’enregistrements sonores. L’octroi de nouveaux droits leur permettra-t-il d’asseoir la légitimité de telles redevances pour eux aussi ? Autrement, maintenant que le droit de reproduction est clairement défini et que le droit de mise à la disposition est attribué, cela pourrait permettre aux artistes de toutes catégories (qu’ils soient vedettes, choristes ou musiciens accompagnateurs) de confier d’emblée la gestion de ces droits à des sociétés de gestion collective qui conviendraient de tarifs avec les utilisateurs. S’il est raisonnable de croire que cette perspective serait de peu d’intérêt pour les vedettes jouissant d’un bon pouvoir de négociation, elle pourrait néanmoins présenter une option intéressante pour tous les autres. S’en prévaudront-ils ? Seul l’avenir le dira. Par ailleurs et tel que mentionné plus tôt, les droits exclusifs des artistes-interprètes ne sont pas les seuls droits économiques qui furent affectés par la réforme. Leurs droits à rémunération furent Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 941 également touchés par les modifications apportées à l’article 19 ainsi que par l’ajout d’une nouvelle exception pour les reproductions à des fins privées. 2. Le droit à la rémunération équitable En parallèle avec l’ajout d’un droit de mise à la disposition du public pour les artistes-interprètes, des modifications étaient apportées à l’article 19 de la Loi (qui porte sur le droit à rémunération équitable) et ce, notamment pour tenir compte dudit ajout. Tant une lecture des paragraphes 15(1) que 15(1.1) permettent de constater que lorsque la prestation a été fixée sur un enregistrement sonore, l’artiste-interprète n’a pas le droit exclusif de communiquer au public par télécommunication ni d’exécuter en public cette prestation fixée. Ainsi, une station de radio n’a pas besoin de l’autorisation de l’artiste-interprète pour diffuser sur ses ondes ses prestations fixées sur enregistrements sonores. Toutefois, l’article 19 prévoit que l’artiste et le producteur d’enregistrement sonore ont tous deux droit à une rémunération équitable pour de telles utilisations. Les modifications qui devaient être apportées à l’article 19, afin de l’arrimer aux modifications aux droits exclusifs des artistesinterprètes consistaient essentiellement, pour ces derniers, en l’ajout d’une précision à l’effet que la communication au public visée à l’alinéa 15(1.1)d) est exclue10. Se trouve donc exclue la « mise à la disposition du public par télécommunication de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ». À la lumière de ce qui précède, il faut déduire que lorsqu’il y a mise à la disposition du public par télécommunication de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit qu’il souhaite mais non pas au moment désiré – comme sur les sites de streaming par exemple – le droit à la rémunération équitable s’applique. Toutefois, si l’accès peut se faire au moment désiré par la personne, le droit à rémunération équitable ne s’applique pas dans la mesure où l’artiste peut jouir du droit exclusif de l’alinéa 15(1.1)d). L’on peut se demander pourquoi le législateur a estimé nécessaire d’exclure la mise à la disposition du public en vertu de laquelle le public a accès à un enre10. Par. 19(1), al. 19(1.1)a) et par. 19(1.2). 942 Les Cahiers de propriété intellectuelle gistrement donné au moment désiré ? En se penchant sur le nouveau paragraphe 2.4(1.1), l’on voit qu’il y est dit que cette mise à la disposition du public constitue une communication au public par télécommunication. Or, comme il y a normalement une rémunération équitable rattachée à la communication au public par télécommunication, il y a fort à parier que le législateur a souhaité s’assurer que dans la mesure où l’artiste pouvait exercer son droit exclusif de mise à la disposition du public et le monnayer, il n’allait pas également pouvoir percevoir une rémunération équitable pour la même utilisation. Quant aux critères d’admissibilité pour la rémunération équitable, ils furent également modifiés pour étendre la protection aux pays parties au Traité de l’OIEP11 mais les articles qui réfèrent à ces pays ne sont toujours pas en vigueur. À l’heure actuelle, les seuls enregistrements sonores qui y sont donc admissibles sont ceux dont le producteur est citoyen ou résident permanent du Canada ou citoyen ou résident permanent d’un pays partie à la Convention de Rome ou ceux dont toutes les fixations réalisées en vue de leur confection ont eu lieu dans un pays partie à la Convention de Rome. À l’éventail de ces possibilités, s’ajoutera éventuellement le critère de la citoyenneté, de la résidence ou de la fixation dans un pays partie au Traité de l’OIEP lorsque les paragraphes le permettant seront en vigueur. Ceci aura des répercussions importantes. En effet, pour le moment, l’enregistrement sonore produit par un producteur états-uniens (pays qui n’est pas partie à la Convention de Rome) n’est pas admissible à la rémunération équitable sauf si le producteur avait pris la peine d’en réaliser toutes les fixations dans un pays partie à la Convention de Rome – ce qui n’est pas si fréquent – et les artistes-interprètes prenant part à cet enregistrement sonore ne peuvent percevoir de rémunération équitable lorsqu’il est communiqué au public par télécommunication ou exécuté en public. Or, près de la moitié des enregistrements utilisés par les stations de radio commerciale sont produits aux États-Unis. Comme ce pays est partie au Traité de l’OIEP, à partir du moment où les paragraphes en question seront mis en vigueur, tous les enregistrements sonores produits par nos voisins du Sud seront, en principe12, admissibles et ce, même s’ils sont enregistrés sur place. Les artistesinterprètes prenant part à ces enregistrements pourront donc 11. Par. 19(1.2), art. 19.2, par. 20(1.2) et 20 (2.1), passage du paragraphe 22 (1) précédant l’alinéa a) et passage du paragraphe 22(2) précédant l’alinéa a). 12. À moins d’application du paragraphe 20(2.1). Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 943 désormais percevoir des redevances de la rémunération équitable au Canada, en lien avec ceux-ci. Pour conclure quant aux modifications apportées à ce droit à rémunération, le nouvel article 19.1 vient clarifier que la mise à la disposition du public ou la communication au public par télécommunication d’un enregistrement sonore de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement, fait en sorte qu’il est réputé publié aux fins du paragraphe 19(1). 3. La nouvelle exception pour les reproductions à des fins privées Une autre modification à la Loi sur le droit d’auteur qui aura un impact important sur les artistes-interprètes (et tout le secteur de la musique) est l’ajout de l’article 29.22 qui crée un nouvelle exception pour les reproductions à des fins privées. Il faut préciser d’emblée que la partie VIII de la Loi permettait déjà de faire des reproductions de musique pour des fins privées et ce, dans la mesure où ces reproductions étaient faites sur un « support audio vierge »13, cette appellation ayant notamment englobé les cassettes audio et les CD audio vierges mais ne couvrant pas les enregistreurs audionumériques tels que les iPods et ce, selon une interprétation qui en fut donnée par la Cour d’appel fédérale14. Cette partie VIII de la Loi prévoyait, et prévoit toujours, un mécanisme permettant aux ayants-droit du secteur de la musique de recevoir des redevances perçues auprès des fabricants et importateurs de supports audio vierges. Par cette contrepartie financière, l’on se trouvait, en quelque sorte, à reconnaître que les copies de musique avaient une valeur qui devait profiter aux créateurs de la musique copiée. La partie VIII de la loi ne fut pas éliminée à la suite de la réforme. Elle reste toujours en vigueur bien que l’interprétation donnée à la définition de support audio vierge (laquelle exclut les nouveaux appareils qui sont désormais massivement utilisés pour copier la musique15), condamne les redevances de la copie privée à 13. Pour une définition de ce qu’est un support audio vierge, voir l’article 79 de la Loi sur le droit d’auteur. 14. Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, [2005] 2 C.F. 654, 2004 CAF 424, par. 160 à 164. 15. Loc. cit. 944 Les Cahiers de propriété intellectuelle s’étioler, voire à disparaître, à plus ou moins court terme. Mais en parallèle avec le régime de copie privée, la nouvelle exception pour les reproductions à des fins privées, qui se trouve à l’article 29.22, permet, elle, de reproduire une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur en tout ou en partie16 et ce, sans aucune contrepartie financière pour les créateurs de ces contenus. Cela dit, il faut que certaines conditions soient réunies pour que ces reproductions ne constituent pas une violation du droit d’auteur. Ainsi, l’exemplaire reproduit ne doit pas être une contrefaçon17. La personne qui reproduit doit être propriétaire de l’exemplaire à reproduire – elle ne peut l’avoir emprunté ou loué – et elle doit également être propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel le contenu est reproduit ou encore, être autorisée à l’utiliser18. Une remarque s’impose quant à ce dernier point : l’on comprend ici que le législateur a probablement voulu couvrir les cas des enfants qui font des reproductions privées sur des appareils « familiaux » dont ils ne sont pas propriétaires en soi, mais cette approche comporte des lacunes. Que dire, en effet, de l’étudiant qui reproduit une émission pour des fins privées sur l’ordinateur du local informatique de son école qu’il est, par ailleurs, tout à fait autorisé à utiliser ? Son but était peut-être de reproduire pour ses fins à lui mais la reproduction est désormais accessible à tous les élèves qui ont accès au local informatique de l’école. Ne s’en trouve-t-elle pas à perdre sa vocation de « reproduction à des fins privées » quand elle est sur un appareil accessible au public ? Quant aux autres conditions qui s’ajoutent à celles précédemment citées, elles prévoient qu’il ne doit pas y avoir contournement de mesures techniques de protection pour faire la reproduction19, que celle-ci ne doit être donnée à personne20 et qu’elle doit être utilisée uniquement à des fins privées21. Enfin, l’article 29.22 prévoit deux cas où il ne peut trouver application. L’un des cas exclus est celui où l’exemplaire reproduit serait donné, loué ou vendu par la personne qui a reproduit sans qu’elle ait préalablement détruit les reproductions qu’elle en a 16. 17. 18. 19. 20. 21. Par. 29.22(1). Alinéa 29.22(1)a). Alinéa 29.22(1)b). Alinéa 29.22(1)c). Alinéa 29.22(1)d). Alinéa 29.22(1)e). Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 945 faites22. L’on a ainsi prévenu les contournements trop aisés de l’alinéa 29.22(1)d) qui interdit de donner la reproduction et vise à empêcher la distribution du contenu copié par la personne qui reproduit. En effet, avec la qualité actuelle des reproductions, il serait trop facile de la garder pour soi et d’arguer que ce n’est pas celle-ci qui fut donnée mais bien l’exemplaire à partir duquel elle fut effectuée. L’autre cas où l’article 29.22 ne peut trouver application est celui où une reproduction de musique serait faite sur un support audio visé à l’article 79 de la loi. Et c’est par le biais de cette exclusion que le nouvel article 29.22 interagit avec la partie VIII (qui permettait déjà de faire des copies privées de musique tout en prévoyant une contrepartie financière d’importance capitale, notamment pour les artistes interprètes). Ainsi, en cas de reproduction privée de musique sur un CD vierge, l’article 29.22 ne s’applique pas car c’est la partie VIII qui a trait à cette reproduction. En contrepartie de cette dernière, les créateurs de la musique copiée auront donc droit à des redevances. Toutefois, si cette même reproduction est faite sur un iPod, l’article 29.22 trouvera application et les créateurs de musique visés ne recevront rien. Aussi, il est exact de dire que si le texte même de l’article 29.22 ne concerne pas que les artistes interprètes, il a néanmoins un impact important sur leurs droits. Mais il y a plus. Là où l’article 29.22 exige que celui qui effectue la reproduction ait obtenu l’exemplaire qu’il veut reproduire légalement et autrement que par emprunt ou location, la partie VIIII ne posait aucune telle exigence quant à la provenance de l’exemplaire copié. Était-ce une reconnaissance du fait que ces copies sont pratiquement impossibles à contrôler ? En effet, comment savoir si ce que les membres du public ont reproduit est bel et bien leur propriété ou qu’ils ont détruit toutes les reproductions d’un exemplaire avant de donner celui-ci ? La résultante de l’article 29.22 semble être que ceux qui contreviennent à la loi (ex. : en copiant sur leur iPod des contenus dont ils ne sont pas propriétaires), pourront le faire impunément et que, pendant ce temps, les artistes-interprètes et autres créateurs de musique ne recevront pratiquement plus de redevances en contrepartie des copies de leur musique qui sont effectuées, et ce, parce que 22. Par. 29.22(4). 946 Les Cahiers de propriété intellectuelle le législateur n’a pas cru bon étendre le régime existant de la copie privée aux iPods et autres appareils désormais utilisés pour copier la musique. S’il est une modification à la Loi sur le droit d’auteur qui aurait pleinement bénéficié aux artistes-interprètes et aux autres créateurs de musique, il s’agit bien d’un amendement qui aurait réellement modernisé le régime actuel de la copie privée afin qu’il soit étendu pour mieux épouser les nouvelles habitudes de consommation de ceux qui copient la musique. Mais, laissant de côté les modifications apportées aux droits dits économiques, il convient désormais de se pencher sur les droits moraux octroyés aux artistes-interprètes à la suite de la réforme. 4. Droits moraux des artistes-interprètes L’ajout d’un droit moral sur certaines prestations des artistesinterprètes est l’une des grandes nouveautés introduites par les articles 17.1 et 17.2. À la lecture de l’article 17.1, l’on constate, encore une fois, que ce droit n’est accordé qu’aux prestations sonores en direct et aux prestations fixées au moyen d’un enregistrement sonore. L’artiste ne bénéficie donc pas d’une telle protection eu égard à ses prestations fixées sur une vidéo, dans une émission ou dans un film. Lorsqu’elle trouve application toutefois, la protection en question comporte : 1) Le droit à l’intégrité de la prestation, lequel s’interprète à la lumière de l’article 28.2 qui fut lui-même modifié afin de tenir compte de l’extension de cette protection aux prestations. En vertu de ce dernier, il n’y aura violation du droit à l’intégrité que si la prestation est, d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’artiste-interprète, déformée, mutilée ou autrement modifiée, ou utilisée en liaison avec un produit, une cause, un service ou une institution. 2) Le droit de revendiquer la création de la prestation, même sous pseudonyme, ainsi que le droit à l’anonymat23. En vertu de ce droit, l’artiste pourrait exiger d’être mentionné (ou de ne pas l’être) en lien avec sa prestation. Ainsi, il pourrait exiger que son 23. Par. 17.1(1). Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 947 nom paraisse sur la pochette d’un CD auquel il prend part – ce qui faciliterait grandement la tâche des sociétés de gestion collective chargées d’identifier les différents artistes prenant part à des enregistrements sonores aux fins de répartition des redevances qui y sont liées. Toutefois, la mention, faite au paragraphe 17.1(1), que ce droit peut être exercé « compte tenu des usages raisonnables » nous permet de penser que l’artiste accompagnateur participant à une piste sonore diffusée à la radio aurait peu de chance de pouvoir revendiquer avec succès que l’animateur de radio le nomme en lien avec celle-ci. Comme la protection du droit moral est limitée au secteur du sonore, cela veut donc dire qu’un artiste pourrait participer à une vidéo et voir sa voix substituée pour une voix préjudiciable à sa réputation sans pouvoir invoquer le droit à l’intégrité de sa prestation conféré par la Loi sur le droit d’auteur. Par contre, si l’on modifie la même voix issue d’un enregistrement sonore, la protection en question pourra être invoquée. Bien entendu, cela ne veut pas dire pour autant que l’interprète d’une vidéo soit privé de tout recours si sa prestation est, par exemple, déformée ou utilisée avec une cause qu’il désapprouve. Il ne pourra certes pas invoquer le droit moral qui lui est nié par la Loi sur le droit d’auteur mais, au Québec, il pourra, à titre d’exemple, invoquer ses droits de la personnalité que sont le droit à l’image ou le droit à la voix, lesquels se trouvent à être protégés par le Code civil du Québec, par le jeu des articles 35 et 36. Autrement, le paragraphe 17.1(2) indique que, bien qu’il soit impossible de céder un droit moral, l’on peut y renoncer en tout ou en partie. Or, compte tenu du fait qu’au Québec, le droit moral cohabite avec les droits de la personnalité, cela pourrait poser problème. Prenons l’exemple d’une prestation vocale strictement sonore utilisée pour vendre un produit sans que l’autorisation de l’artisteinterprète n’ait été obtenue. Évidemment, dans les cas où l’artiste n’a pas renoncé à son droit moral, tant le droit moral de la Loi sur le droit d’auteur que le droit à la voix enchâssé dans le Code civil du Québec pourront être invoqués. Mais dans le cas où l’artiste aurait renoncé globalement à son droit moral, pourra-t-il alors invoquer son droit à la voix du Code civil du Québec pour contrer cette renonciation à son droit moral ? 948 Les Cahiers de propriété intellectuelle Des litiges où l’utilisateur, d’une part, prétendra qu’il pouvait faire ce qu’il voulait d’une prestation compte tenu de la renonciation au droit moral par l’artiste et où ce dernier, d’autre part, invoquera son droit de la personnalité et le fait qu’il aurait fallu obtenir son autorisation spécifique pour cette utilisation sont possiblement à prévoir. À cet égard, peut-être aurait-il été souhaitable qu’afin d’assurer une cohérence entre la Loi sur le droit d’auteur et les dispositions du Code civil du Québec, le législateur prévoit plutôt que l’artiste peut autoriser certains actes qui auraient autrement contrevenu à son droit moral, sans inclure pour autant une possibilité de renoncer à ce droit. Par ailleurs, l’article 17.1 s’applique uniquement aux cas visés aux paragraphes 15(2.1) – qui est en vigueur – et 15(2.2) – qui ne l’est pas. C’est donc dire que seules les prestations pouvant être rattachées au Canada bénéficient présentement de droits moraux en vertu de la loi canadienne. Enfin, l’article 17.2 indique que seules les prestations exécutées après l’entrée en vigueur de l’article portant sur les droits moraux bénéficieront de cette protection. Cela veut donc dire que les artistes interprètes ne pourront invoquer aucun droit moral sur les prestations qui furent fixées antérieurement sur des enregistrements sonores. Ces dernières pourraient donc être déformées, mutilées ou utilisées en liaison avec un produit, une cause, un service ou une institution sans que l’artiste interprète puisse compter sur un quelconque secours de la Loi sur le droit d’auteur. Mais au Québec, encore une fois, il pourra toujours recourir aux dispositions qui protègent ses droits de la personnalité. L’avènement de nouveaux droits tant exclusifs que moraux demande maintenant de se pencher sur ce que le législateur a prévu relativement aux dépenses ou obligations qui auraient été contractées en lien avec des actes qui, accomplis après l’entrée en vigueur des paragraphes 17.1(1) (dont il vient d’être question) ou 15(1.1) (qui fut abordé au tout début de cet article), violeraient les droits qui y sont énoncés. Dans de telles situations, le législateur a prévu, à l’article 32.6 de la Loi, que le seul fait que ces dispositions s’appliquent désormais ne porterait pas atteinte aux droits ou intérêts de la personne qui a encouru les dépenses ou contracté les obligations et ce, pendant les deux années suivant l’entrée en vigueur de cet article. Les artistes-interprètes et la réforme de la LDA 949 Conclusion En dépit des apparences qui pourraient laisser croire que la réforme a résulté en des gains importants pour les artistes interprètes, il est aisé de constater que le plus clair du temps, les droits qui leur ont été octroyés leur auront été soustraits par anticipation dans le cadre des contrats qu’on leur aura fait signer en lien avec l’exploitation de leurs prestations, aucune disposition invalidant de telles transactions n’ayant été incorporée à la loi, et ce, contrairement à ce qui avait été fait lors des modifications précédemment apportée à la Loi sur le droit d’auteur, en 199724. De plus, la création de nombreuses exceptions (qui ne purent toutes être abordées dans ces lignes) aura potentiellement pour effet de réduire à néant certaines sources de rémunération qui leur étaient cruciales, leur laissant pour tout espoir la perspective que cinq ans après l’entrée en vigueur des articles qui leur sont préjudiciables, le réexamen de l’application de la loi prévu à l’article 92, permettra au gouvernement en place de faire certains constats le menant à la modifier à nouveau tout en s’inspirant des célèbres vers de Nicolas Boileau-Despréaux25 tirés de L’art poétique : Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse, et le repolissez, Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. Il y a fort à parier que les organisations représentant les artistes-interprètes seront alors présentes pour le conseiller quant à ce qui devrait être ajouté ou effacé pour donner un sens aux mots : « modernisation du droit d’auteur ». 24. L’article 58.1 de la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (L.C. 1997, ch. 24) prévoyant que : « 58.1 Les ententes en matière de cession d’un droit qui, en vertu de la présente loi, constitue un droit d’auteur ou à rémunération, ou en matière de licence concédant un intérêt dans un tel droit, conclues avant le 25 avril 1996, ne valent pas cession ou concession d’un droit conféré à l’origine par la présente loi, sauf mention expresse du droit à cet effet. » 25. 1636-1711. Vol. 25, no 3 La protection des photographies suite aux modifications de 2012 à la Loi sur le droit d’auteur Vivianne de Kinder* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 953 1. L’auteur de la photographie . . . . . . . . . . . . . . . . . 953 2. Du photographe et du possesseur du droit d’auteur. . . . . 954 2.1 Photographie créée contre rémunération dans le cadre d’une commande . . . . . . . . . . . . . . . . . 955 2.2 Photographie dont le photographe n’était pas au moment de la création, le propriétaire du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original. . . . . . . . . . . . 955 3. De la photographie et de la durée de protection . . . . . . . 956 3.1 Du 1er janvier 1924 au 31 décembre 1993 . . . . . . . 956 3.2 Du 1er janvier 1994 au 1er septembre 1997 – Loi de 1993. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 956 3.3 Du 1er septembre 1997 au 6 novembre 2012 – Loi de 1997. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 956 © Vivianne de Kinder, 2013. * Avocate. 951 952 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.4 Depuis le 7 novembre 2012 (modifications de 2012) . . 957 4. Question incidente en matière d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles à caractère artistique . . . . . . 957 4.1 Avant le 1er janvier 1994 . . . . . . . . . . . . . . . . 958 4.2 Depuis le 1er janvier 1994 . . . . . . . . . . . . . . . . 958 5. Utilisation de photographies commandées à des fins « non commerciales ou privées » . . . . . . . . . . . . . . . 959 5.1 La nouvelle exception . . . . . . . . . . . . . . . . . . 959 5.2 Incidence de l’article 29.21 (« contenu non commercial généré par l’utilisateur ») . . . . . . . . . . . . . . . . 961 5.3 L’exception de l’alinéa 32.2(1)f) (« utilisation à des fins non commerciales ou privées ») et contournement de mesures techniques de protection . . . . . . . . . . 963 Introduction En vigueur depuis le 7 novembre 2012, les modifications à la Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42, ci-après « LDA ») mettent fin à une discrimination qui prévalait jusqu’alors à l’égard des photographies. Les photographies ont toujours fait l’objet de la protection du droit d’auteur, comme œuvres artistiques. Toutefois, cette protection échappait antérieurement au régime général de la LDA par un traitement singulier au sujet des aspects suivants : • La qualité d’auteur • La possession du droit d’auteur • La durée de protection J’examinerai ces aspects dans le présent document au regard des modifications de 2012 et des versions antérieures de la LDA. Je commenterai également l’exception prévue à l’alinéa 32.2(1)f) (« actes licites »), dont l’ajout résulte des modifications de 2012. 1. L’auteur de la photographie L’auteur d’une œuvre n’est nullement défini dans la LDA. Il en était de même avant les modifications de 2012 sauf pour les photographies, en vertu du paragraphe 10(2) désormais abrogé. Ce paragraphe se lisait : Auteur de la photographie 10(2) Le propriétaire, au moment de la confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original est considéré comme l’auteur de la photographie, et si ce propriétaire est une personne morale, celle-ci est réputée, pour l’application de la présente loi, être un rési- 953 954 Les Cahiers de propriété intellectuelle dent habituel d’un pays signataire, si elle y a fondé un établissement commercial. Selon cette disposition, la qualité d’auteur échappait au photographe dans tous les cas où il exécutait l’œuvre alors qu’il n’était pas le propriétaire du cliché initial, de la planche ou, lorsqu’il n’y avait pas de cliché ou de planche, de l’original. En d’autres termes, la qualité d’auteur était impartie à la personne qui, au moment de la création de l’œuvre, détenait la propriété matérielle de celle-ci ou encore du support ou de l’élément technique d’où elle était tirée. Cette définition n’existe plus dans la LDA depuis le 7 novembre 2012 mais subsiste toutefois à l’égard de photographies antérieurement exécutées et encore protégées au jour précité par le droit d’auteur1. 2. Du photographe et du possesseur du droit d’auteur En principe, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur celle-ci, en vertu du paragraphe 13(1) de la LDA, dont texte : 13. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre. Font exception au principe du paragraphe 13(1), les œuvres exécutées dans le cadre d’un emploi2 ou encore préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement3. 1. L.C. 2012, ch. 20, par. 59(2) et (3) : Photographie dont une personne morale est réputée être l’auteur « 59(2) Si une personne morale est, en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur le droit d’auteur dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 6, considérée comme l’auteur d’une photographie sur laquelle existe un droit d’auteur à l’entrée en vigueur de cet article 6, le droit d’auteur sur la photographie subsiste pour la période déterminée en conformité avec les articles 6, 6.1, 6.2, 9, 11.1 et 12 de la Loi sur le droit d’auteur comme si l’auteur était la personne physique qui aurait été considérée comme l’auteur de la photographie n’eût été ce paragraphe 10(2). Photographie dont une personne physique est réputée être l’auteur 59(3) Si une personne physique est, en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur le droit d’auteur dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 6, considérée comme l’auteur d’une photographie, elle continue de l’être pour l’application de la Loi sur le droit d’auteur à l’entrée en vigueur de cet article 6. » 2. Par. 13(3) de la LDA. 3. Art. 12 de la LDA. La protection des photographies suite aux modifications... 955 Par ailleurs, avant les modifications de 2012, la titularité originelle du droit d’auteur sur une photographie n’était pas impartie au photographe dans les cas suivants : 2.1 Photographie créée contre rémunération dans le cadre d’une commande Cette exception était mentionnée au paragraphe 13(2) de la LDA en vigueur avant les modifications de 2012 : Gravure, photographie ou portrait (2) Lorsqu’il s’agit d’une gravure, d’une photographie ou d’un portrait et que la planche ou autre production originale a été commandée par une tierce personne et confectionnée contre rémunération et la rémunération a été payée en vertu de cette commande, celui qui a donné la commande est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d’auteur. Selon cette exception, le titulaire du droit d’auteur sur la photographie ainsi exécutée était la personne qui avait donné la commande sous réserve du paiement de la rémunération convenue et en l’absence de tout arrangement à l’effet contraire avec le photographe. Désormais, l’application de cette exception ne perdure qu’à l’égard des photographies commandées avant le 7 novembre 20124. 2.2 Photographie dont le photographe n’était pas au moment de la création, le propriétaire du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original Cette exception est tributaire de la définition prévue au paragraphe 10(2) plus haut exposé au sujet de l’auteur de la photographie. Je répète que cette exception ne prévaut désormais qu’à l’égard des photographies créées avant le 7 novembre 2012 et encore protégées au jour précité par le droit d’auteur. 4. L.C. 2012, ch. 20 art. 60 : « 60. Le paragraphe 13(2) de la Loi sur le droit d’auteur, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 7, continue de s’appliquer à l’égard des gravures, photographies et portraits dont la planche ou toute autre production originale a été commandée avant l’entrée en vigueur de cet article 7. » 956 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. De la photographie et de la durée de protection En principe, les œuvres sont au Canada protégées dès leur création pendant la vie de l’auteur jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant le décès de celui-ci, tel qu’il apparaît de l’article 6 de la LDA. Depuis les modifications de 2012, les photographies sont désormais protégées pour une même durée. Il n’en fut pas ainsi dans le passé et à ce sujet, je crois utile de faire un petit survol historique des divers régimes d’exception qui ont antérieurement prévalu. 3.1 Du 1er janvier 1924 au 31 décembre 1993 Une photographie était protégée pour une période de 50 ans à compter de la confection du cliché original dont la photographie avait été tirée. 3.2 Du 1er janvier 1994 au 1er septembre 1997 – Loi de 1993 La durée de protection subsistait jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la confection du cliché initial ou de la planche dont la photographie avait été tirée ou de l’original lorsqu’il n’y avait pas de cliché ou de planche. Cette modification bénéficiait aux photographies créées avant ou après l’entrée en vigueur de la Loi de 19935 le 1er janvier 1994, à l’exclusion toutefois de celles dont la durée de protection était déjà expirée en vertu du régime antérieur. 3.3 Du 1er septembre 1997 au 6 novembre 2012 – Loi de 1997 6 L’article 10 de la Loi est modifié de façon à mettre fin en partie au régime qui prévalait depuis le 1er janvier 1994, selon le statut de la personne qui, au moment de l’exécution de la photographie, était le propriétaire du cliché initial ou de la planche ou de l’original (s’il n’y avait pas de cliché ou de planche) : a) maintien du régime d’exception si le propriétaire est une personne morale non contrôlée par le photographe i.e. une personne 5. L.C. 1993, ch. 44, par. 60(1), en vigueur le 1er janvier 1994. 6. L.C. 1997, ch. 24, article 54.1 dont l’entrée en vigueur est le 1er septembre 1997. La protection des photographies suite aux modifications... 957 morale dont le photographe ne détient pas la majorité des actions votantes7 ; b) application du principe général prévu à l’article 6 si le propriétaire est une personne physique ou encore une personne morale contrôlée par le photographe8. Cette modification prévaut à partir du 1er septembre 1997 à l’égard des photographies encore protégées par le droit d’auteur au jour précité et à celles créées après cette date9. 3.4 Depuis le 7 novembre 2012 (modifications de 2012) Le régime d’exception du paragraphe 10(2) est abrogé à l’égard des photographies créées encore protégées au 7 novembre 2012 et celles créées après cette date10. 4. Question incidente en matière d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles à caractère artistique Je crois utile d’examiner l’objet et l’étendue de la protection du droit d’auteur en audiovisuel au regard de celle qui prévalait pour les productions à caractère « artistique » créées avant le 1er janvier 1944. Les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles n’ont à ce jour fait l’objet dans la LDA d’aucune catégorie distincte d’œuvres protégées. Elles sont assimilées à des œuvres « dramatiques » lorsque les incidents y représentés procèdent d’une mise en scène ou d’une mise 7. « 10(1) Dans les cas où le propriétaire visé au paragraphe (2) est une personne morale, le droit d’auteur sur la photographie subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la confection du cliché initial ou de la planche dont la photographie a été directement ou indirectement tirée, ou de l’original lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche. » 8. « 10(1.1) Toutefois, l’article 6 s’applique dans les cas où le propriétaire est une personne morale dont la majorité des actions avec droit de vote sont détenues par une personne physique qui, sauf pour le paragraphe (2), aurait été considérée l’auteur de la photographie. » 9. L.C. 1997, ch. 24, art. 54.1 et 58. 10. L.C. 2012, ch. 20, par. 59(1) : « L’abrogation de l’article 10 de la Loi sur le droit d’auteur par l’article 6 n’a pas pour effet de réactiver le droit d’auteur sur une photographie éteint à la date d’entrée en vigueur de cet article 6. » 958 Les Cahiers de propriété intellectuelle en forme ou d’une combinaison présentation qui lui confèrent un caractère original11. Autrement, i.e. en l’absence de tels ingrédients, les œuvres seront assimilées à des œuvres « artistiques ». La durée de protection ne sera pas la même selon le caractère « dramatique » ou « artistique » de l’œuvre concernée. Celle prévue à l’article 6 de la Loi prévaudra à l’égard d’un film ou d’une production à caractère « dramatique ». Il reste toutefois à déterminer l’identité de l’auteur de ces œuvres. À ce sujet, la LDA est muette. Et ne sachant qui est l’auteur, il demeure impossible de déterminer la durée de protection pour ces œuvres. Un film à caractère « artistique » sera toutefois protégé pour la durée suivante. 4.1 Avant le 1er janvier 1994 La protection était celle prévue pour les photographies, laquelle était de 50 ans à compter de la confection du cliché original dont la photographie avait été tirée12. Ainsi, par exemple, un film réalisé le 31 décembre 1943 et ayant pour objet une captation sur le vif d’un événement réel (assassinat, fête de famille, etc.) sans mise en scène ou sans mise en forme serait à caractère « artistique » et protégé jusqu’au 31 décembre 1993. 4.2 Depuis le 1er janvier 1994 Un film à caractère « artistique » réalisé après le 31 décembre 1943 est protégé jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle 11. Selon l’article 11.1 de la LDA en sa version actuelle et la définition statutaire d’« œuvre dramatique » avant la Loi modificatrice de 1993. 12. Alinéa 3(1)e) et paragraphe 3(2) de la LDA, avant les modifications de 1993 dont l’entrée en vigueur est le 1er janvier 1994 : « 3.(1) Pour les fins de la présente loi, le « droit d’auteur » désigne le droit exclusif de [...] ; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif [...] : e) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique et sous réserve du paragraphe (2) de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’œuvre par cinématographie, si l’auteur a donné un caractère original à son ouvrage ; » [...] La protection des photographies suite aux modifications... 959 de sa création et, si elle est publiée avant l’expiration de cette durée, jusqu’à la fin de la cinquantième année de sa publication, en vertu de l’article 11.1 de la Loi. Cette modification ne prévaut qu’à l’égard des films ou productions audiovisuelles à caractère « artistique », encore protégés par le droit d’auteur au 1er janvier 1994 et ceux créés après cette date et ce, tel qu’il apparaît des dispositions transitoires suivantes : L.C. 1993, ch. 44, art. 76 : (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 75(2), la Loi sur le droit d’auteur, dans sa version modifiée par la présente loi, s’applique à toute œuvre cinématographique créée avant ou après l’entrée en vigueur du présent article. (2) L’article 10 de la Loi sur le droit d’auteur, en son état à l’entrée en vigueur du présent article, continue de s’appliquer, en ce qui a trait à l’auteur d’une photographie, à toute œuvre cinématographique créée et protégée à titre de photographie avant cette date. 5. Utilisation de photographies commandées à des fins « non commerciales ou privées » 5.1 La nouvelle exception La Réforme de 2012 prévoit au paragraphe 32.2(1) un nouveau cas d’exception à l’application du droit d’auteur. Cet ajout concerne les photographies commandées par un particulier (« personne physique ») et est énoncé à l’alinéa f) libellé comme suit : Actes licites 32.2 (1) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur : [...] f) le fait pour une personne physique d’utiliser à des fins non commerciales ou privées – ou de permettre d’utiliser à de telles « 3(2)Si le caractère original fait défaut dans le cas d’une œuvre décrite à l’alinéa (1)e), la production cinématographique dont il y est question jouit de la protection accordée aux œuvres photographiques. » 960 Les Cahiers de propriété intellectuelle fins – la photographie ou le portrait qu’elle a commandé à des fins personnelles et qui a été confectionné contre rémunération, à moins que la personne physique et le titulaire du droit d’auteur sur la photographie ou le portrait n’aient conclu une entente à l’effet contraire. La personne qui entend se prévaloir de cette exception, doit établir l’existence de chacun des éléments suivants : a) elle est la personne physique qui a commandé l’œuvre ou un tiers-utilisateur autorisé par cette personne ; b) il n’existe entre l’auteur de la commande et le photographe aucun arrangement interdisant l’utilisation des œuvres commandées aux fins assignées à l’alinéa 32.2(1)f) ; c) ces œuvres ne sont utilisées qu’à des fins privées ou non commerciales. J’examinerai la portée de l’exception à partir du cas fictif d’une commande entre un individu et un photographe, ayant pour objet des photographies de mariage et conclue contre rémunération sans restriction ni interdiction au sujet de l’utilisation des œuvres. L’auteur de la commande pourrait certes reproduire les photographies pour son usage personnel. Pourrait-il toutefois en donner des copies aux mariés, à ses amis ou à sa famille ? Je répondrais par l’affirmative car une telle distribution d’exemplaires constituerait, à mon avis, une utilisation à des fins « non commerciales ». L’exception visée serait d’une portée plus large que celle prévue à l’article 29.22 de la LDA, et introduite à celle-ci depuis les modifications de 2012. Cet article se lit comme suit : Reproduction à des fins privées 29.22 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, de reproduire l’intégralité ou toute partie importante d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur si les conditions suivantes sont réunies : a) la copie de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur reproduite n’est pas contrefaite ; La protection des photographies suite aux modifications... 961 b) la personne a obtenu la copie légalement, autrement que par emprunt ou location, et soit est propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel elle est reproduite, soit est autorisée à l’utiliser ; c) elle ne contourne pas ni ne fait contourner une mesure technique de protection, au sens de ces termes à l’article 41, pour faire la reproduction ; d) elle ne donne la reproduction à personne ; e) elle n’utilise la reproduction qu’à des fins privées. Les fins assignées à cet article seraient limitées à la reproduction d’une œuvre ou autre objet du droit d’auteur et à l’utilisation de cette reproduction à des fins privées. En serait expressément exclue, la faculté pour l’utilisateur de donner à quiconque la reproduction ainsi effectuée, tel qu’il apparaît de l’alinéa 29.22d). L’affichage des photographies du mariage sur la page personnelle Facebook du marié, avec le consentement de l’auteur de la commande, s’inscrirait-il dans les fins assignées à l’alinéa 32.2(1)f) ? Je le croirais. Évidemment, un tel affichage, pour peu qu’il soit disponible au public, soulève des questions en matière de protection du droit à l’anonymat ou à la vie privée. La protection de ce droit relève du droit commun. Elle prévaut dans la province de Québec en vertu des articles 35, 36 alinéa 3 du Code civil du Québec et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ, c. C-12). En principe, le consentement de chacune des personnes représentées ou apparaissant aux œuvres affichées serait requis. 5.2 Incidence de l’article 29.21 (« contenu non commercial généré par l’utilisateur ») L’utilisation des œuvres concernées ou d’une partie d’icelles dans une production de l’industrie du cinéma, de la vidéo, de la télévision et des nouveaux médias serait, à mon avis, de nature commerciale. À cette fin, l’autorisation du photographe serait requise. Il en serait toutefois autrement si les œuvres étaient utilisées dans une production « maison », i.e. non commerciale, réalisée par l’auteur de la commande et utilisée seulement à des fins de visionnage privé. 962 Les Cahiers de propriété intellectuelle L’auteur pourrait-il bénéficier de l’exception prévue à l’article 29.2113 de la LDA en matière de « contenu non commercial généré par une personne physique » ? Cet article est une autre création des modifications de 2012. Son bénéficiaire doit être une personne physique à qui l’exception confère les droits suivants : • utiliser une œuvre protégée ou un autre objet du droit d’auteur dans la création par elle d’une autre œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur ; • utiliser la nouvelle œuvre ainsi créée à des fins non commerciales ; et • autoriser à telles fins un intermédiaire à en faire la diffusion. Les expressions « intermédiaire » et « utiliser » sont définies au paragraphe 29.21(2) en les termes suivants : Les définitions qui suivent s’appliquent au paragraphe (1). « Intermédiaire » Personne ou entité qui fournit régulièrement un espace ou des moyens pour permettre au public de voir ou d’écouter des œuvres ou d’autres objets du droit d’auteur. « Utiliser » S’entend du fait d’accomplir tous actes qu’en vertu de la présente loi seul le titulaire du droit d’auteur a la faculté d’accomplir, sauf celui d’en autoriser l’accomplissement. 13. « 29.21(1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci – déjà publiés ou mis à la disposition du public – pour créer une autre œuvre ou un autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies : a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des fins non commerciales, ou l’autorisation de le diffuser n’est donnée qu’à de telles fins ; b) si cela est possible dans les circonstances, la source de l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur sont mentionnés ; c) la personne croit, pour des motifs raisonnables, que l’œuvre ou l’objet ou la copie de ceux-ci, ayant servi à la création n’était pas contrefait ; d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet, ou l’autorisation de le diffuser, n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer. » La protection des photographies suite aux modifications... 963 La production « maison » constituerait certes un « contenu non commercial généré » par une personne physique. Cependant, son créateur ne pourrait se prévaloir de l’exception que si les photographies utilisées dans la production ont déjà fait l’objet d’une publication ou d’une mise à la disposition du public par le photographe ou par un tiers avec le consentement de celui-ci14. Je crois utile de mentionner au passage que les définitions statutaires de « publication »15 et « communication au public par télécommunication »16 font entre autres état de la « mise à la disposition du public » d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur. Par ailleurs, le créateur de ce contenu doit agir dans le respect du droit à l’anonymat ou à la vie privée des personnes apparaissant aux photographies concernées. Je m’écarte ici du droit d’auteur, mais crois nécessaire de faire ce rappel au droit commun que j’ai mentionné plus haut. 5.3 L’exception de l’alinéa 32.2(1)f) (« utilisation à des fins non commerciales ou privées ») et contournement de mesures techniques de protection Par ailleurs, je m’interroge au sujet de l’application de l’alinéa 32.2(1)f) dans l’éventualité où le photographe livrerait les œuvres commandées après y avoir installé, à l’insu du client, des mesures techniques de protection ? Dans ce contexte, l’utilisation des photographies nécessiterait le contournement de ces mesures. Un tel contournement serait-il une violation de l’interdiction prévue à l’alinéa 41.1(1)a) de la LDA17 ? Cet alinéa se lit comme suit : 41.1 (1) Nul ne peut : a) contourner une mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme à l’article 4118 ; [...] 14. En l’absence de ce consentement, les œuvres ne sont pas réputées publiées ou mises à la disposition du public. Par. 2.2(3) de la LDA : « Pour l’application de la présente loi – sauf relativement à la violation du droit d’auteur –, une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur n’est pas réputé publié, représenté en public ou communiqué au public par télécommunication si le consentement du titulaire du droit d’auteur n’a pas été obtenu. » 15. Voir par. 2.2(1) de la LDA. 16. Voir par. 2.4(1.1) de la LDA. 17. Disposition nouvelle prévue aux modifications de 2012. 18. « 41. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 41.1 à 41.21. a) S’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la 964 Les Cahiers de propriété intellectuelle Techniquement, elle le serait si elle est effectuée en l’absence du consentement du photographe. Cependant, en l’absence d’une entente entre les parties de quelque restriction ou interdiction au sujet de l’utilisation des œuvres commandées aux fins assignées à l’alinéa 32.2(1)f), le photographe serait présumé avoir acquiescé à ces utilisations. Ce consentement serait-il irrévocable ? Au regard de la doctrine et de la jurisprudence en matière de licence ou permission implicite19, celle-ci ne serait révocable que dans le cas d’une commande effectuée à titre gratuit ou encore dans le cas d’une commande effectuée contre rémunération mais restée impayée. L’on pourrait également conclure que le geste du photographe serait contraire aux conditions de l’alinéa 32.2(1)f) en ce qu’il procéderait d’une décision unilatérale par celui-ci d’interdire les utilisations concernées. Si le consentement du photographe s’avérait irrévocable, l’auteur de la commande pourrait-il désactiver ou contourner les mesures de protection sans encourir une poursuite en vertu du paragraphe 41.1(2)20 ? Cet article mentionne que les recours en cas de contournement sont les mêmes que ceux prévus à la LDA pour une violation du droit d’auteur. Ces recours seraient-ils distincts d’une telle violation ? Pour peu qu’ils le seraient, les utilisations des photographies aux fins permises à l’alinéa 32.2(1)f) seraient licites mais le contournement effectué porterait atteinte au droit du photographe sur le maintien de ses mesures de protection. Ainsi, nous serions confrontés à deux droits irréconciliables. définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure – notamment décoder ou déchiffrer l’œuvre protégée par la mesure – sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur ; » 19. Katz v. Cytrynbaum, 1983 CanLII 557 (C.A. C.-B.). Harold G. FOX, Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (Toronto, Carswell, 1967), p. 339-340 : « If the consent is given without consideration, it can be withdrawn at any time but if it is given for valuable consideration, it will be irrevocable and will convey an equitable interest in the copyright. » 20. « 41.1(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des règlements pris en vertu de l’article 41.21, le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre, une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou un enregistrement sonore est admis, en cas de contravention de l’alinéa (1)a) relativement à l’œuvre, à la prestation ou à l’enregistrement, à exercer contre le contrevenant tous les recours – en vue notamment d’une injonction, de dommages-intérêts, d’une reddition de compte ou d’une remise – que la loi prévoit ou peut prévoir pour la violation d’un droit d’auteur. » Vol. 25, no 3 L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » par l’élargissement des exceptions au bénéfice des établissements d’enseignement, des bibliothèques, des musées et des services d’archives Véronyque Roy* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 967 1. Les établissements d’enseignement . . . . . . . . . . . . . 967 2. Les bibliothèques, musées et services d’archives . . . . . . 975 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 978 © Véronyque Roy, 2013. * Avocate. 965 Introduction L’année 2012 aura été marquante dans l’histoire du droit d’auteur canadien. Entre autres, par l’ajout d’exceptions à la Loi sur le droit d’auteur1 ciblant les établissements d’enseignement, les bibliothèques et les services d’archives par le biais de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur2. Ce qui crée autant de nouveaux bénéficiaires du droit des utilisateurs, concept créé par la Cour suprême du Canada il y a près de dix ans déjà3. Les exceptions que nous qualifierons d’« institutionnelles » touchent les établissements d’enseignement (1) les bibliothèques, musées et services d’archives (2). Nous tenterons une description concise de la majorité de ces exceptions et une présentation de certaines des interprétations potentielles des termes utilisés par le législateur dans ces exceptions et des questions que ces exceptions suscitent. 1. Les établissements d’enseignement Comme nous le verrons plus en détails, certaines exceptions prévues à la Loi sur la modernisation du droit d’auteur4 sont des nouveautés, mais la majorité ne représente que des élargissements d’autres exceptions qui existaient depuis 19975 et du coup, que des élargissements de leurs ambiguïtés plutôt que des éclaircissements qui auraient été bien appréciés par les auteurs et les utilisateurs du fruit du travail de ces derniers. 1. L.R.C. (1985), ch. C-42 (ci-après « Loi sur le droit d’auteur »). 2. L.C. 2012, ch. 20. 3. CCH c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 70. La notion d’équilibre entre les droits des auteurs et ceux des acheteurs d’œuvres avait déjà été amenée par la Cour suprême dans l’arrêt Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, [2002] 2 R.C.S. 336. 4. Précitée, note 2. 5. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, ch. 24. 967 968 Les Cahiers de propriété intellectuelle Par exemple, l’alinéa 29.5d) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit maintenant qu’aucune permission n’est requise (ni, du coup, de redevances dues) lorsque les sept conditions6 prévues à la loi sont rencontrées. Une précision sur la nécessité d’originalité a aussi été ajoutée relativement à l’enregistrement sonore qu’il est possible d’exécuter en public (sous les mêmes conditions) au sens de l’alinéa 29.5b). Or, les principales difficultés d’interprétation existaient avant ces modifications. Ces difficultés portent plutôt sur l’application du critère de l’intention d’en tirer un profit7. En pratique, pour pallier ce manque de précision, au Québec, le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a convenu d’une entente avec l’Association québécoise des auteurs dramatiques8 : Par conséquent, l’entente conclue entre le MELS et la SoQAD couvre financièrement toutes les autres représentations d’œuvres dramatiques qui ont lieu dans les établissements 6. Lorsqu’un « établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci » (première condition) ; « dans les locaux de celui-ci » (deuxième condition) ; « à des fins pédagogiques » (troisième condition) (ou à des fins de formation, au sens de la version anglaise (« training purpose »)) ; « et non en vue d’un profit » (quatrième condition) ; « devant un auditoire formé principalement (cinquième condition) d’élèves de l’établissement, d’enseignants agissant sous l’autorité de l’établissement ou d’autres personnes qui sont directement responsables de programmes d’études pour cet établissement (sixième condition) effectue ; « d) l’exécution en public d’une œuvre cinématographique, à condition que l’œuvre ne soit pas un exemplaire contrefait ou que la personne qui l’exécute n’ait aucun motif raisonnable de croire qu’il s’agit d’un exemplaire contrefait. » (septième et plus récente condition). 7. Cette interrogation ne date pas d’hier. En 1951, la Cour suprême du Canada se prononçait déjà sur l’expression « performance without motive of gain » qui se retrouvait dans la Loi sur le droit d’auteur, S.R.C. 1927, ch. 32, tel qu’amendée par S.C. 1938, ch. 27 et qui se retrouve toujours à l’article 29.3 de la Loi sur le droit d’auteur : CAPAC c. Western Fair Association, [1951] R.C.S. 596. 8. « L’AQAD est reconnue comme l’association représentative des dramaturges, librettistes, traducteurs et adaptateurs québécois, anglophones et francophones, dans les domaines du théâtre et du théâtre lyrique en vertu de la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (L.R.Q., c. S-32.1) et de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’arts et de la littérature et sur les contrats avec les diffuseurs (L.R.Q., c. S-32.01). » <http://aqad.qc.ca/quisommesnous.asp> (consulté le 15 juillet 2013). L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » 969 d’enseignement et sous leur autorité, à savoir les représentations à des fins parascolaires ou à des fins pédagogiques qui ne satisfont pas aux conditions énoncées à l’article 29.5 déjà mentionnées (par exemple, les représentations à des fins pédagogiques données devant un auditoire composé principalement de parents et d’amis).9 En l’absence d’une définition de « fins pédagogiques » dans la Loi, les parties à l’entente ont convenu, pour pouvoir déterminer les représentations qui sont couvertes financièrement par cette dernière, qu’une représentation d’œuvre dramatique à des fins pédagogiques est une représentation dont la planification et l’exécution visent l’atteinte, par les élèves, d’un ou de plusieurs objectifs d’un programme d’études ou d’un programme de formation10. Pour ce qui est des coûts afférents11 à la représentation d’un film, de tels coûts étant beaucoup moins élevés que ceux liés à la production d’une pièce de théâtre (costumes, décors...), nous croyons que rares sont les représentations publiques (pour lesquelles un prix d’entrée serait demandé) qui seraient tout de même couvertes par cette nouvelle exception. Qui plus est, selon Normand Tamaro : [i]l faut prendre en considération toutes les sommes perçues par l’organisme dans le contexte visé par une exception. Il faudrait donc comptabiliser les subventions gouvernementales, les paiements ou transferts de toutes provenances qui seraient attribuables à l’activité, les frais payés par les utilisateurs, ainsi que les dons ou autres sommes de toutes provenances qui pourraient être attribuables à la tenue de l’activité.12 La preuve de ces coûts repose par ailleurs sur les épaules de celui qui invoque l’exception13. Parmi les exceptions « élargies » par la révision de la législation sur le droit d’auteur à l’avantage des établissements d’enseignement, on retrouve la récente neutralité « technologique » de l’ar9. 10. 11. 12. 13. <http://www.mels.gouv.qc.ca/drd/aut/ent_thea.html> (consulté le 28 juillet 2013). <http://www.mels.gouv.qc.ca/drd/aut/ent_thea.html#obj> (Direction des ressources didactiques – Entente financière concernant les représentations d’œuvres dramatiques), consulté le 28 juillet 2013. Par. 29.3(2) de la Loi sur le droit d’auteur. Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 9e éd. (Toronto, Carswell, 2012). Ibid. 970 Les Cahiers de propriété intellectuelle ticle 29.414 qui se limitait auparavant à la possibilité de « faire une reproduction manuscrite d’une œuvre » ou la projection par rétroprojecteur. Cette nouvelle version facilite (et du coup élargit) l’exercice de l’exception précédente. Aussi, via le nouvel article 29.615 de la Loi sur le droit d’auteur, on a facilité l’accès aux établissements d’enseignement à la reproduction d’émissions d’actualités en abrogeant la nécessité de détruire ou de payer des redevances qui était auparavant présente au paragraphe 29.6(2). Peut-être que la nature même de la production d’une émission d’actualité limite aussi l’utilisation prolongée de la reproduction ? Une des exceptions qui constitue une complète nouveauté et dont l’avènement en 2012 a fait beaucoup réagir les intéressés est celle portant sur la leçon16. Alors que certains jugent les termes 14. Art. 29.4 de la Loi sur le droit d’auteur : « (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci, de reproduire une œuvre pour la présenter visuellement à des fins pédagogiques et dans les locaux de l’établissement et d’accomplir tout autre acte nécessaire pour la présenter à ces fins. [...] (3) Sauf cas de reproduction manuscrite, les exceptions prévues aux paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas si l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché – au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme à l’article 2 – sur un support approprié, aux fins visées par ces dispositions. » 15. Art. 29.6 de la Loi sur le droit d’auteur : « (1) Les actes ci-après ne constituent pas des violations du droit d’auteur s’ils sont accomplis par un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci : a) la reproduction à des fins pédagogiques, en un seul exemplaire, d’émissions d’actualités ou de commentaires d’actualités, à l’exclusion des documentaires, lors de leur communication au public par télécommunication en vue de leur présentation aux élèves de l’établissement ; b) les exécutions en public de l’exemplaire devant un auditoire formé principalement d’élèves de l’établissement dans les locaux de l’établissement et à des fins pédagogiques. » 16. Art. 30.01 de la Loi sur le droit d’auteur : « (1) Au présent article, « leçon » s’entend de tout ou partie d’une leçon, d’un examen ou d’un contrôle dans le cadre desquels un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci accomplit à l’égard d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur un acte qui, n’eussent été les exceptions et restrictions prévues par la présente loi, aurait constitué une violation du droit d’auteur. (2) Le présent article n’a pas pour effet de permettre l’accomplissement des actes visés aux alinéas (3)a) à c) à l’égard d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur dont l’utilisation dans le cadre de la leçon constitue une violation du droit d’auteur ou est subordonnée à l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. (3) Sous réserve du paragraphe (6), ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous son autorité : a) de communiquer une leçon au public par télécommunication à des fins pédagogiques si le public visé est formé uniquement d’élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte ou d’autres personnes agissant sous l’autorité de l’établissement ; L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » 971 du législateur suffisamment précis17, plusieurs questions naissent pourtant des portes ouvertes par le législateur : Le libellé de l’article [30.01] est ambigu et soulève des questions quant à sa véritable portée. Que signifie le terme « leçon » ? S’agit-il simplement de filmer la prestation de l’enseignant et de la transmettre à des élèves hors classe ? Si une œuvre artistique est projetée en classe, va-t-elle être filmée et distribuée de cette façon aux élèves hors classe ou peut-on joindre à la télécommunication des œuvres en fichier attaché ? Peut-on faire de même pour une œuvre musicale ou littéraire qui fait l’objet du cours ? Peut-on capter des élèves qui interprètent une œuvre dramatique et communiquer par télécommunication cette œuvre ? Peut-on transmettre une œuvre dans sa totalité ? [...] Que veut dire prendre « des mesures qu’il est raisonnable de croire qu’elles auront pour effet... » ? Mesure-t-on ce caractère raisonnable en regard des technologies existantes, des moyens dont disposent les écoles ? Comment s’assurer de leur caractère b) de faire une fixation de cette leçon en vue d’accomplir l’acte visé à l’alinéa a) ; c) d’accomplir tout autre acte nécessaire à ces actes. (4) L’élève inscrit au cours auquel la leçon se rapporte est réputé se trouver dans les locaux de l’établissement d’enseignement lorsqu’il reçoit la leçon ou y participe au moyen d’une communication par télécommunication au titre de l’alinéa (3)a). (5) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour l’élève qui reçoit une leçon au moyen d’une communication par télécommunication au titre de l’alinéa (3)a), d’en faire la reproduction pour l’écouter ou la regarder à un moment plus opportun. L’élève doit toutefois détruire la reproduction dans les trente jours suivant la date à laquelle les élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte ont reçu leur évaluation finale. (6) L’établissement d’enseignement et la personne agissant sous son autorité, à l’exclusion de l’élève, sont tenus : a) de détruire toute fixation de la leçon dans les trente jours suivant la date à laquelle les élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte ont reçu leur évaluation finale ; b) de prendre des mesures dont il est raisonnable de croire qu’elles auront pour effet de limiter aux personnes visées à l’alinéa (3)a) la communication par télécommunication de la leçon ; c) s’agissant de la communication par télécommunication de la leçon sous forme numérique, de prendre des mesures dont il est raisonnable de croire qu’elles auront pour effet d’empêcher les élèves de la fixer, de la reproduire ou de la communiquer en contravention avec le présent article ; d) de prendre toute mesure réglementaire relativement à la communication par télécommunication sous forme numérique. » 17. « While the reference to “a lesson, test or examination” is fairly broad as these words are not defined, the balance of the definition and the use of the word “means” restrict the definition as a whole » : John S. MCKEOWN, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4th ed. (feuilles mobiles) (Toronto, Carswell, 2013), p. 23-40. 972 Les Cahiers de propriété intellectuelle raisonnable ? [...] Bref, beaucoup d’incertitude subsiste dans le libellé et la portée de cet article.18 Des restrictions visant à encadrer l’usage de la leçon ont aussi été prévues19. Cependant, elles nous apparaissent quelque peu idéalistes, puisqu’il nous semble ardu pour le titulaire de droits tant d’accéder à ces copies que d’en vérifier la destruction, alors que d’autres les trouveraient adéquates : [The restrictions set out in Section 30.01] relating to the destruction of lessons and subsection 27 (2.2) which provides for additional protection to the copyright owner by providing for a statutory claim for secondary infringement of a lesson are designed to control the application of the new exception. 20 De son côté, la nouvelle exception de reproduction numérique d’œuvres21 fait très mal aux principes de gestion collective et de 18. Hélène MESSIER, « Le projet de loi C-60 et les exceptions pour le milieu de l’éducation », (2006) 18:1 Cahiers de propriété intellectuelle 185, 188. 19. Par. 27 (2.2) de la Loi sur le droit d’auteur : « Constitue une violation du droit d’auteur le fait pour une personne d’accomplir tout acte ci-après à l’égard de ce qu’elle sait ou devrait savoir être une leçon au sens du paragraphe 30.01(1) ou la fixation d’une telle leçon : a) la vente ou la location ; b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur qui est compris dans la leçon ; c) la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public, dans un but commercial ; d) la possession en vue de l’un des actes visés aux alinéas a) à c) ; e) la communication par télécommunication à toute personne qui n’est pas visée à l’alinéa 30.01(3)a) ; f) le contournement ou la contravention des mesures prises en conformité avec les alinéas 30.01(6)b), c) ou d). » 20. MCKEOWN, op. cit., note 17, p. 23-41. 21. Art. 30.02 de la Loi sur le droit d’auteur : « 30.02 (1) Sous réserve des paragraphes (3) à (5), ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour l’établissement d’enseignement qui est titulaire d’une licence l’autorisant à reproduire par reprographie à des fins pédagogiques des œuvres faisant partie du répertoire d’une société de gestion : a) soit de faire une reproduction numérique – de même nature et de même étendue que la reproduction autorisée par la licence – de l’une ou l’autre de ces œuvres qui est sur support papier ; b) soit de communiquer par télécommunication la reproduction numérique visée à l’alinéa a) à des fins pédagogiques à toute personne agissant sous son autorité ; c) soit d’accomplir tout autre acte nécessaire à ces actes. (2) Sous réserve des paragraphes (3) à (5), ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour la personne agissant sous l’autorité de l’établissement d’enseignement à qui l’œuvre a été communiquée au titre de l’alinéa (1)b), d’en faire une seule impression. L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » 973 liberté contractuelle. La gestion collective est éprouvée par cette volonté apparente du législateur d’assimiler la numérisation à la (3) L’établissement d’enseignement qui fait une reproduction numérique d’une œuvre au titre de l’alinéa (1)a) doit : a) verser à la société de gestion, à l’égard des personnes auxquelles il a communiqué la reproduction numérique au titre de l’alinéa (1)b), les redevances qu’il aurait été tenu de lui verser s’il avait remis à chacune de ces personnes un exemplaire reprographique de l’œuvre, et respecter les modalités afférentes à la licence autorisant la reprographie qui sont applicables à la reproduction numérique de l’œuvre ; b) prendre des mesures en vue d’empêcher la communication par télécommunication de la reproduction numérique à des personnes autres que celles agissant sous son autorité ; c) prendre des mesures en vue d’empêcher l’impression de la reproduction numérique à plus d’un exemplaire par la personne à qui elle a été communiquée au titre de l’alinéa (1)b), et toute autre reproduction ou communication ; d) prendre toutes les mesures réglementaires. (4) L’établissement d’enseignement n’est pas autorisé à faire une reproduction numérique d’une œuvre au titre de l’alinéa (1)a) si, selon le cas : a) il a conclu avec une société de gestion un accord de reproduction numérique l’autorisant à faire une reproduction numérique de l’œuvre et à la communiquer par télécommunication aux personnes agissant sous son autorité et autorisant celles-ci à en imprimer un certain nombre d’exemplaires ; b) un tarif homologué en vertu de l’article 70.15 est applicable à la reproduction numérique de l’œuvre, à la communication de celle-ci par télécommunication aux personnes agissant sous son autorité et à l’impression par celles-ci d’un certain nombre d’exemplaires de l’œuvre ; c) la société de gestion autorisée à conclure un accord de reproduction par reprographie de l’œuvre l’a avisé qu’elle a été informée par le titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre, au titre du paragraphe (5), que celui-ci lui interdit de conclure un accord de reproduction numérique de celle-ci. (5) Si le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre informe la société de gestion autorisée à conclure un accord de reproduction par reprographie de l’œuvre qu’il lui interdit de conclure un accord autorisant la reproduction numérique de celle-ci, la société de gestion informe les établissements d’enseignement avec lesquels elle a conclu un accord de reproduction par reprographie de l’œuvre qu’ils ne sont pas autorisés à faire de reproductions numériques de celle-ci au titre du paragraphe (1). (6) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre qui, à l’égard de celle-ci, permet à une société de gestion de conclure un accord de reproduction par reprographie avec un établissement d’enseignement est réputé lui avoir permis, sous réserve des restrictions applicables à cet accord, de conclure un accord de reproduction numérique avec cet établissement, sauf s’il a opposé l’interdiction mentionnée au paragraphe (5) ou s’il a permis à une autre société de gestion de conclure un tel accord. (7) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre qui poursuit un établissement d’enseignement pour avoir fait une reproduction numérique d’une copie de l’œuvre sur support papier, ou pour avoir communiqué par télécommunication une telle reproduction à des fins pédagogiques à toute personne agissant sous son autorité ne peut recouvrer une somme qui dépasse : a) dans le cas où il existe une licence de reproduction numérique – conforme aux conditions mentionnées à l’alinéa (4)a) – de l’œuvre ou, à défaut, d’une œuvre de la même catégorie, la somme qui aurait été versée au titre de cette licence pour 974 Les Cahiers de propriété intellectuelle reprographie, qui, elle, est régie par des ententes négociées et gérées par des sociétés de gestion depuis longtemps au Canada22 : [Par l’exception prévue à l’article 30.0223], le gouvernement bafoue des principes fondamentaux du droit, notamment la liberté de négociation et, dans le cadre du droit d’auteur, le droit exclusif pour un titulaire d’autoriser ou non la reproduction de son œuvre. Le gouvernement intervient en effet dans le cadre d’un contrat privé librement négocié entre deux parties pour en changer les termes en faveur d’une partie. Les parties ont négocié une licence de reprographie, celle-ci se transforme en licence de numérisation et de communication par télécommunication. Du jamais vu et un très dangereux précédent. [Les italiques sont nôtres.]24 Le nouvel article 30.0425 de la Loi sur le droit d’auteur permet l’utilisation par les établissements d’enseignement d’œuvres accessi- 22. 23. 24. 25. l’accomplissement de l’acte en question ou, s’il existe plus d’une telle licence, la somme la plus élevée de toutes celles prévues par ces licences ; b) dans les autres cas, s’il existe une licence de reproduction reprographique de l’œuvre ou, à défaut, d’une œuvre de la même catégorie, la somme qui aurait été versée au titre de cette licence pour l’accomplissement de l’acte en question ou, s’il existe plus d’une telle licence, la somme la plus élevée de toutes celles prévues par ces licences. (8) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre ne peut recouvrer de dommagesintérêts auprès d’une personne agissant sous l’autorité de l’établissement d’enseignement qui a fait une seule impression d’une reproduction numérique de l’œuvre qui lui a été communiquée par télécommunication si, au moment de l’impression, il était raisonnable pour la personne de croire que cette communication avait été faite en conformité avec l’alinéa (1)b). » Les sociétés de gestion de la reprographie sont la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction Copibec au Québec, depuis 1997 (www.copibec.qc.ca) et The Canadian Licensing Agency (Access Copyright) depuis 1988 (www.accesscopyright.ca). Auquel s’ajoute, selon nous, l’article 30.03 de la Loi sur le droit d’auteur qui porte autant atteinte à la liberté des parties. MESSIER, op. cit., note 18, p. 190. Art. 30.04 de la Loi sur le droit d’auteur : « (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait pour un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous son autorité d’accomplir les actes ci-après à des fins pédagogiques à l’égard d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur qui sont accessibles sur Internet : a) les reproduire ; b) les communiquer au public par télécommunication si le public visé est principalement formé d’élèves de l’établissement d’enseignement ou d’autres personnes agissant sous son autorité ; L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » 975 bles sur Internet dans la mesure qu’elles effectuent une référence complète tel que requis par cette même loi pour se prévaloir de l’exception d’utilisation équitable aux fins de critique ou de compte-rendu26 ou aux fins de communication des nouvelles27. Aussi, le titulaire de droits peut éviter l’application de l’exception sur son œuvre reproduite et publiée sur Internet par des mesures techniques de protection28 ou par « un avis bien visible – et non le seul symbole du droit d’auteur – stipulant qu’il est interdit d’accomplir cet acte figure sur le site Internet ».29 2. Les bibliothèques, musées et services d’archives La Loi sur le droit d’auteur maintenant en vigueur facilite l’accès par les usagers des bibliothèques, musées et services d’archives aux exceptions qui existaient déjà et qui limitaient déjà le 26. 27. 28. 29. c) les exécuter en public si le public visé est principalement formé d’élèves de l’établissement d’enseignement ou d’autres personnes agissant sous son autorité ; d) accomplir tout autre acte nécessaire à ces actes. (2) Le paragraphe (1) ne s’applique que si l’établissement d’enseignement ou la personne agissant sous son autorité, dans l’accomplissement des actes visés à ce paragraphe, mentionne : a) d’une part, la source ; b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source : (i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur, (ii) dans le cas d’une prestation, le nom de l’artiste-interprète, (iii) dans le cas d’un enregistrement sonore, le nom du producteur, (iv) dans le cas d’un signal de communication, le nom du radiodiffuseur. (3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans le cas où le site Internet sur lequel est affiché l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur, ou l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur sont protégés par une mesure technique de protection qui restreint l’accès au site ou à l’œuvre ou à l’autre objet du droit d’auteur. (4) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’autoriser l’accomplissement d’un acte à l’égard d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur si, selon le cas : a) le site Internet sur lequel est affiché l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur, ou l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur sont protégés par une mesure technique de protection qui restreint l’accomplissement de cet acte ; b) un avis bien visible – et non le seul symbole du droit d’auteur – stipulant qu’il est interdit d’accomplir cet acte figure sur le site Internet, l’œuvre ou l’objet. (5) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans le cas où l’établissement d’enseignement ou la personne agissant sous son autorité sait ou devrait savoir que l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur ont été ainsi rendus accessibles sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. (6) Le gouverneur en conseil peut, pour l’application de l’alinéa (4)b), préciser par règlement ce en quoi consiste un avis bien visible. » Art. 29.1 de la Loi sur le droit d’auteur. Art. 29.2 de la Loi sur le droit d’auteur. Al. 30.4(4)a) de la Loi sur le droit d’auteur. Al. 30.4(4)b) de la Loi sur le droit d’auteur. 976 Les Cahiers de propriété intellectuelle contrôle des auteurs sur leurs œuvres, entre autres, par l’ajout d’un critère subjectif : 30.1 (1) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur les cas ci-après de reproduction, par une bibliothèque, un musée ou un service d’archives ou une personne agissant sous l’autorité de ceux-ci, d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur, publiés ou non, en vue de la gestion ou de la conservation de leurs collections permanentes ou des collections permanentes d’autres bibliothèques, musées ou services d’archives : [...] c) reproduction sur un autre support, la bibliothèque, le musée ou le service d’archives ou toute personne agissant sous l’autorité de ceux-ci étant d’avis que le support original est désuet ou en voie de le devenir ou fait appel à une technique non disponible ou en voie de le devenir ; [Les italiques sont nôtres.] L’ancienne version de ce paragraphe référait plutôt à un critère objectif30. Par les changements apportés au paragraphe 30.2(4) de la Loi sur le droit d’auteur, le législateur a allégé le fardeau des employés de bibliothèque, de musée et de services d’archives : Under the Copyright Modernization Act condition (a) has been made less onerous and the library, archive or museum is now required to inform the person that the copy is to be used solely for research or private study and that any use of the copy for a purpose other than research or private study may require the authorization of the copyright owner of the work in question.31 Le législateur a de plus supprimé la réserve qu’il prévoyait pour limiter les copies numériques fournies aux usagers d’autres bibliothèques, musées ou services d’archives : « Under the Copyright Modernization Act digital copies can be made under subsection 30.2(5) in limited circumstances »32. Le pourvoyeur de la copie doit prendre « des mesures en vue d’empêcher la personne qui la reçoit de 30. Al. 30.1(1)c) de la version précédente de la Loi sur le droit d’auteur : « reproduction sur un autre support, le support original étant désuet ou faisant appel à une technique non disponible ». 31. MCKEOWN, op. cit., note 17, p. 23-51. 32. Ibid. L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » 977 la reproduire, sauf pour une seule impression, de la communiquer à une autre personne ou de l’utiliser pendant une période de plus de cinq jours ouvrables après la date de la première utilisation »33. Il est dommage que le législateur n’ait pas profité de la nouvelle mouture de la loi pour éclaircir certaines imprécisions de la loi qui demeurent, comme celles de l’alinéa 30.2 b) : It is not entirely clear how the terms “scholarly, scientific or technical periodical” or “a newspaper or periodical” will be interpreted by the courts. However, the regulation [datant de 1999] provides that “newspaper or periodical” means a newspaper or periodical, other than a scholarly, scientific or technical periodical, that was published more than 1 year before the copy is made.34 Finalement, bien que plusieurs dispositions touchent tant les bibliothèques et musées que les services d’archives, l’article 30.2135 ajoute des précisions relatives à la reproduction d’archives d’œuvres non publiées. John McKeown precise et résume le tout ainsi : However, it seems that in order to apply, the archive must give the person who deposits a work in an archive notice at the time of deposit that it may copy the work in accordance with this section. The archive may only copy the work if: 33. Par. 30.2 (5.02) de la Loi sur le droit d’auteur. 34. MCKEOWN, op. cit., note 17, p. 23-51. 35. Art. 30.21 de la Loi sur le droit d’auteur : « 30.21 (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (3.1), ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour un service d’archives, de reproduire et de fournir à la personne qui lui en fait la demande à des fins d’étude privée ou de recherche, une œuvre non publiée déposée auprès de lui. (2) Au moment du dépôt, le service d’archives doit toutefois aviser le déposant qu’une reproduction de l’œuvre pourrait être faite en vertu du présent article. Conditions pour la reproduction (3) Il ne peut faire la reproduction que si : a) le titulaire du droit d’auteur ne l’a pas interdite au moment où il déposait l’œuvre ; b) aucun autre titulaire du droit d’auteur ne l’a par ailleurs interdite. (3.1) Il doit aussi se conformer aux conditions suivantes : a) ne remettre qu’une seule copie de l’œuvre reproduite au titre du paragraphe (1) à la personne à qui elle est destinée ; b) informer cette personne que la copie ne peut être utilisée qu’à des fins d’étude privée ou de recherche et que tout usage de la copie à d’autres fins peut exiger l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre en cause. (4) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, préciser la façon dont le service doit se conformer aux conditions visées aux paragraphes (3) et (3.1). » 978 Les Cahiers de propriété intellectuelle (a) the person who deposited the work, if a copyright owner did not, at the time the work was deposited, prohibit its copying; (b) copying has not been prohibited by any other owner of copyright in the work; and (c) the archive is satisfied that the person for whom is made will use the copy only for purposes of research or private study and makes only one copy for that person. [...] [T]he Governor in Council may prescribe by regulation the manner and form in which the conditions set out in subsections 30.21(3) and (3.1) may be met.36 En pratique, il appert que la gestion des œuvres non publiées telles que les archives privées était déjà effectuée d’une manière très balisée, qui laissait une grande place à la volonté du dépositaire 37. Conclusion À toutes ces nouvelles exceptions s’ajoutent de nouvelles dispositions qui montrent bien la volonté actuelle des dirigeants canadiens de ne pas punir pour des violations au droit d’auteur puisque les sanctions se voient maintenant diminuées. Par exemple, on prévoit que les dommages-intérêts préétablis sont dorénavant, en cas de « violations commises à des fins non commerciales » (comme ce serait le plus souvent en contexte institutionnel), plafonnés à 5 000 $38 (alors qu’ils étaient avant de 20 000 $)39 ou on limite tout simplement les motifs de poursuite en dommages40 ou les cas d’applicabilité des dommages intérêts préétablis41. Un autre exemple patent de cette volonté gouvernementale de faire pencher la balance vers les utilisateurs (que ce soit pour « rétablir l’équilibre » entre ces derniers et les auteurs ou pour décriminaliser les atteintes au droit d’auteur) est la décision de fixer les dommages-intérêts maximaux en cas de poursuite d’un établissement d’enseignement pour reproduction numérique ou communication par télécommunication de cette repro36. MCKEOWN, op. cit., note 17, p. 23-52. 37. François DAVID et al., « Gestion du droit d’auteur sur les archives privées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec : pratiques archivistiques et étude de cas », (2007) 19:3 Cahiers de propriété intellectuelle 863. 38. Al. 38.1(1)b) de la Loi sur le droit d’auteur. 39. Par. 38.1(1) de la version précédente de la Loi sur le droit d’auteur. 40. Par. 30.02(8) de la Loi sur le droit d’auteur. 41. Par. 38.1(1.12) et 38.1(1.2), al. 38.1(6)d) de la Loi sur le droit d’auteur. L’expansion du répertoire gratuit des « usagers » 979 duction au montant de la licence prévue pour cet acte ou pour une reproduction reprographique, selon la licence existante 42. L’ajout de tant de nouvelles exceptions, bien que semblant louables parce qu’au bénéfice d’institutions investies dans la culture, pourrait, selon nous, nuire grandement aux titulaires de droits d’auteur, justement, parce que ces institutions sont si grandes consommatrices de culture. Alors que la majorité au parlement fédéral a montré ses couleurs par l’adoption de ce projet de loi, les parlements provinciaux de la majorité des provinces a aussi fait son lit en prétendant, devant la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Manitoba c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright)43, que la Loi sur le droit d’auteur ne s’appliquait pas aux gouvernements des différentes provinces canadiennes, au nom de l’immunité de la Couronne. La prétention des gouvernements des provinces du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de Nouvelle-Écosse, de l’Île-duPrince-Édouard et de la Saskatchewan (ainsi que d’autres provinces et territoires non parties à la procédure)44 était qu’ils étaient soustraient de l’application des tarifs homologués par la Commission du droit d’auteur pour rétribuer les auteurs en contrepartie des photocopies effectuées (redevance demandée et gérée par Access Copyright). Selon eux, la Loi sur le droit d’auteur n’était pas applicable à sa Majesté, tout comme l’ensemble de la Loi sur le droit d’auteur, étant donné l’article 17 de la Loi d’interprétation45 : « 17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives. » Les arguments retenus par la Cour d’appel fédérale nous apparaissent des plus intéressants, entre autres, relativement à l’intention du législateur dans l’adoption des exceptions institutionnelles dont il a été ici question. Plus que simplement le « bon sens » par l’étude des conséquences dévastatrices d’une telle interprétation46, les critères d’interprétation qui sont émis par la Cour47 émanent de plusieurs arrêts 42. 43. 44. 45. 46. Par. 30.02(7) de la Loi sur le droit d’auteur. 2013 CAF 91. Ibid., par. 2. L.R.C. (1985), ch. I-21. « Cela signifierait aussi que les sociétés d’État comme Téléfilm Canada, l’Office national du Film et la SRC pourraient utiliser des œuvres protégées sans égard aux droits de leurs auteurs ou des titulaires du droit d’auteur. Cela porterait « un dur coup à la capacité de faire respecter les droits d’auteur », Manitoba c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), op. cit., note 43, par. 20. 47. Ibid., par. 28. 980 Les Cahiers de propriété intellectuelle clés cités et ces critères guident la Cour vers l’analyse du contexte d’adoption de la loi pour déceler l’intention du législateur : Je constate toutefois qu’il ressort de ces débats que le grand nombre d’exceptions prévues au projet de loi C-32 – adopté en 1997 – à l’égard de la Couronne ou de ses mandataires a suscité une vive opposition. On y voyait une limitation injustifiée des droits des titulaires de droits d’auteur en faveur des organisations gouvernementales (Débats de la Chambre des communes (4 juin 1997), p. 3442-3443 (M. Louis Plamondon (Richelieu, BQ)), p. 3460. [...] Cela dit, non seulement les exceptions sontelles nombreuses, ainsi que l’a signalé la Commission, mais beaucoup d’entre elles sont également très détaillées. Elles sont aussi assorties de conditions qui seraient illogiques en l’absence d’intention claire de lier la Couronne.48 [Les italiques sont nôtres.] Dans un contexte judiciaire d’étude de l’intention du législateur, le grand nombre d’exceptions à la Loi sur le droit d’auteur est flagrant. Il ne s’agit donc pas seulement d’une impression de ceux qui les subissent comme autant d’entraves à l’exercice de leur droit d’auteur... 48. Ibid., par. 38. Vol. 25, no 3 Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement Normand Tamaro et Julie-Anne Archambault* 1. Introduction et mise en contexte des exceptions . . . . . . 983 2. Les utilisateurs visés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 989 3. Les exceptions spécifiques couvrant les établissements d’enseignement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 994 3.1 La reproduction d’une œuvre à des fins pédagogiques en vue d’une présentation visuelle . . . . . . . . . . . 994 3.2 Reproduction et exécution ou communication publique d’une œuvre ou de tout objet du droit d’auteur dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle . . . . . . . . . . 995 3.3 Représentation ou exécution en public . . . . . . . . . 995 © Normand Tamaro et Julie-Anne Archambault, 2013. * Normand Tamaro est avocat au sein du cabinet Mannella Gauthier Tamaro. Julie-Anne Archambault est avocate ; elle termine présentement une maîtrise en commerce électronique. Hormis la mise en contexte présentée en introduction, le présent texte est consacré strictement aux exceptions qui couvrent exclusivement les établissements d’enseignement, à l’exclusion d’exceptions pouvant incidemment s’appliquer aux établissements d’enseignement, telles, pour utiliser ces exemples, celle couvrant la publication d’un recueil principalement composé de matières libres de droits, de courts extraits d’œuvres littéraires protégées et non destinées à l’usage des établissements d’enseignement (art. 30), et celles visant les bibliothèques, musées ou services d’archives qui s’appliquent également aux bibliothèques, musées ou services d’archives qui font partie d’un établissement d’enseignement (art. 30.4.) 981 982 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.4 L’exécution en public d’une œuvre musicale dans l’intérêt d’une entreprise éducative . . . . . . . . . . 996 3.5 Émissions d’actualité et de commentaires . . . . . . 997 3.6 La captation/reproduction en vue de déterminer la valeur pédagogique . . . . . . . . . . . . . . . . . 997 3.7 Les leçons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 998 3.8 La reproduction numérique d’œuvres. . . . . . . . . 998 3.9 La reproduction par photocopieur. . . . . . . . . . . 999 3.10 Œuvre ou tout objet d’un droit d’auteur sur Internet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 999 4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1000 1. Introduction et mise en contexte des exceptions The encouragement of learning by encouraging learned men to write useful books, is declared to be the object of the statute, and that object it pursues by giving the author and his assigns a monopoly for a limited period. The legislature gives the encouragement at the expense of its own subject, to whom the monopoly raises the price of books.1 Parler d’exceptions au droit d’auteur n’est pas chose nouvelle. En réaction avec des titulaires de droits d’auteur qui prétendaient disposer d’un monopole sur des sujets dès les tous débuts du droit d’auteur au Royaume-Uni, les tribunaux britanniques ont eu rapidement à prendre position. Ils en sont par exemple venus à déclarer que les droits d’auteur ne s’étendaient pas aux sujets ou aux idées véhiculées dans les œuvres2. Le droit d’auteur n’existait pas pour freiner les connaissances. Innovation du Siècle des Lumières, il favo1. Jefferys c. Boosey (1854), 4 H.L.C. 815, 24 L.J. Ex. n.s. 81, 103 (H.L.). 2. Voir ce principe repris très tôt par la Cour suprême du Canada : Garland c. Gemmil (1887), 14 R.C.S. 321, 327 : « In works of this nature, where so much may be taken from common sources and where much of the information given, if given correctly, must be given in the same words we must be careful not to restrict the right of the defendant to publish a work similar in its nature to that of the plaintiff if, in truth, he obtains the information from common, independent sources open to all and does not, to save himself labor, merely copy from the plaintiff’s book that which has been the result of his skill, diligence and literary attainments. We must be careful not to put manacles upon industry, intelligence and skill in compiling works of this nature. » Le même principe est repris en droit américain : Campbell c. Acuff-Rose Music Inc. (1994), 127 L. Ed. 2d 500, 1169 (U.S. S.C.) : « For as Justice Story explained, « [i]n truth, in literature, in science and in art, there are, and can be, few, if any, things, which in an abstract sense, are strictly new and original throughout. Every book in literature, science and art, borrows, and must necessarily borrow, and use much which was well known and used before. » Emerson v. Davies, 8 F. Cas. 615, 619 (No. 4,436) (C.C.D. Mass. 1845). Similarly, Lord Ellenborough expressed the inherent tension in the need simultaneously to protect copyrighted material and to allow others to build upon it when he wrote, « while I shall think myself bound to secure every man in the enjoyment of his copyright, one must not put manacles upon science. » Carey v. Kearsley, 4 Esp. 168, 170, 170 Eng. Rep. 679, 681 (K.B. 1803). » 983 984 Les Cahiers de propriété intellectuelle risait tout au contraire l’émergence d’auteurs qui, pouvant dorénavant vivre de leur art, viendraient enrichir les connaissances de la société. À la manière de ce qu’ils avaient constaté en relation avec tout droit de propriété, qui poussé dans ses extrêmes pouvait conduire à des excès, les tribunaux se sont montrés vigilants3 à l’égard de ceux qui prétendaient étendre leurs droits indûment. Ils ont notamment fait appel à la notion de « fair dealing », traduit en français par « utilisation équitable ». Repris par le législateur canadien dès l’adoption de la Loi sur le droit d’auteur en 19214, ce principe a pour source l’idée que peuvent être équitables pour les auteurs et socialement acceptables certaines utilisations qui sont faites d’œuvres sans l’autorisation de leur ayant droit. Ainsi en va-t-il par exemple de l’emprunt à des œuvres à des fins de critique que d’aucuns pourraient être tentés de freiner pour des raisons qui leur appartiennent, notamment en prétendant à des reproductions non autorisées de leur œuvre. Constatant possiblement que des titulaires de droits prétendaient à des droits d’une portée indue malgré les limites législatives et jurisprudentielles connues, la Cour suprême du Canada, à la manière d’un virement de cap, fait actuellement le choix de laisser une grande place aux utilisateurs, qualifiant de droits des utilisateurs les exceptions prévues à la loi5. Ce virement a été initié par le juge Binnie dans des motifs qu’il défendait à quatre contre trois. Dans l’arrêt Théberge livré en 2002, il écrivait notamment : On atteint le juste équilibre entre les objectifs de politique générale, dont ceux qui précèdent, non seulement en reconnaissant les droits du créateur, mais aussi en accordant l’impor3. Canadian Assn. of Broadcasters c. SOCAN (1994), 58 C.P.R. (3d) 190 (C.A.F.), j. Létourneau, au paragraphe 196 : « [...] In this context, the observation of Lord Justice Lindley in Hanfstaengl v. Empire Palace ; Hanfstaengl v. Newnes, [1894] 3 Ch. 109 (C.A.) at p. 128 is still appropriate: Copyright, like patent right, is a monopoly restraining the public from doing that which, apart from the monopoly, it would be perfectly lawful for them to do. The monopoly is itself right and just, and is granted for the purpose of preventing persons from unfairly availing themselves of the work of others, whether that work be scientific, literary, or artistic. The protection of authors, whether of inventions, works of art, or of literary compositions, is the object to be attained by all patent and copyright laws. The Acts are to be construed with reference to this purpose. On the other hand, care must always be taken not to allow them to be made instruments of oppression and extortion. » 4. L.R.C. (1985), ch. C-42 (ci-après la « loi ») ; aujourd’hui à l’article 29 de la loi. 5. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 (ci-après « CCH »). Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 985 tance qu’il convient à la nature limitée de ces droits. D’un point de vue grossièrement économique, il serait tout aussi inefficace de trop rétribuer les artistes et les auteurs pour le droit de reproduction qu’il serait nuisible de ne pas les rétribuer suffisamment. Une fois qu’une copie autorisée d’une œuvre est vendue à un membre du public, il appartient généralement à l’acheteur, et non à l’auteur, de décider du sort de celle-ci.6 Nous ne pouvons dire si la Cour suprême considère toujours que les auteurs et les artistes ne doivent pas être trop rétribués. Ce qu’il y a de certain c’est que nous pouvons estimer que l’idée initiée en jurisprudence canadienne par le juge Binnie est aujourd’hui la position défendue par la Cour suprême du Canada, ce qu’elle exprime clairement en 2012 : Dans l’arrêt Galerie d’Art du Petit Champlain inc. c. Théberge, [2002] 2 R.C.S. 336, la Cour signale que l’application du droit d’auteur commande « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » (par. 30). Dans cet arrêt, la Cour rompt avec une conception jusque là centrée sur l’auteur de l’œuvre ainsi que sur le droit exclusif de l’auteur et du titulaire du droit d’auteur de décider de l’usage qui peut être fait de l’œuvre sur le marché : voir p. ex. Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, aux p. 478-479. Pour les tenants de cette conception, tout avantage que pouvait tirer le public du régime de protection du droit d’auteur ne représentait qu’une [traduction] « conséquence heureuse, mais fortuite de la reconnaissance d’un droit privé » : Carys J. Craig, « Locke, Labour and Limiting the Author’s Right: A Warning against a LockeanApproach to Copyright Law », (2002) 28 Queen’s L.J. 1, aux p. 14 et 15. Dans l’arrêt Théberge, la Cour s’attache plutôt à l’importance du droit d’auteur lorsqu’il s’agit de promouvoir l’intérêt public et elle souligne que la diffusion des œuvres artistiques joue un rôle crucial dans l’établissement d’un domaine public vigoureux sur les plans culturel et intellectuel. Le professeur David Vaver fait observer que, à cette fin, un équilibre judicieux 6. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, par. 31 (ci-après « Théberge »). 986 Les Cahiers de propriété intellectuelle s’impose entre, d’une part, la protection des œuvres et, d’autre part, l’accès à ces dernières (Intellectual Property Law: Copyright, Patents, Trade-marks (2e éd. 2011), à la p. 60).7 Cette philosophie n’est en fait pas nouvelle au Canada. Elle est en ligne directe avec des idées politiques qui prévalent au Canada depuis le début du XXe siècle, alors que certains politiciens canadiens avaient une vision nationaliste du droit d’auteur, car ils avaient l’objectif économique de favoriser des mesures protectionnistes. Selon eux, le fait d’assurer un haut niveau de protection aux auteurs – alors majoritairement étrangers – provoquait la sortie de capitaux et, conséquemment, une détérioration de la balance des paiements. Le rapport de la Commission Isley8 est révélateur de cette vision politique qui prévalait encore dans les années 1950, alors que la Commission relève que le gouvernement voulait étendre les exceptions à l’exclusivité des droits d’auteur, mais sans trop savoir comment formuler un texte pour y parvenir, compte tenu de l’interprétation restrictive que la jurisprudence retenait des exceptions aux droits d’auteur et des obligations découlant de la Convention de Berne. Avec la nouvelle vision dégagée par la Cour suprême du Canada, l’écueil que rencontrait la Commission Isley eu égard à la philosophie que défendait la jurisprudence n’existe plus, alors qu’à côté des exceptions couvertes par la notion d’exception équitable existent dorénavant dans la loi de multiples exceptions, dont plusieurs visent les établissements d’enseignement. La Loi sur le droit d’auteur en vigueur depuis 1924 consacre notamment l’existence de droits exclusifs. Concomitamment avec le changement d’orientation initié par la Cour suprême du Canada depuis l’arrêt Théberge, l’année 2012 a vu l’adoption de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur9, très habilement ainsi intitulée par un gouvernement sans doute soucieux de se rallier l’opinion publique avec un « titre accrocheur » – quel citoyen peut être contre la modernisation d’un secteur couvert par une loi ? –, confronté qu’il 7. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, par. 8-10. 8. Commission ISLEY, Commission Royale sur les Brevets, le Droit d’Auteur, les Marques de Commerce et les Dessins Industriels, Rapport sur le droit d’auteur (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1958). 9. Projet de loi C-11, Première session, quarante et unième législature, 60-61 Elizabeth II, 2011-2012. Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 987 était à des critiques du milieu10 en réaction à des tentatives précédentes de modifier la loi par l’ajout d’exceptions à l’exclusivité des droits d’auteur alors reconnus. En relation avec le domaine des institutions d’enseignement que cible le présent texte, de toute évidence, après une première vague d’exceptions spécifiques adoptées en 199711, l’objectif du gouvernement était de limiter la portée des droits d’auteur en faveur d’utilisateurs qui ont accès aux nouvelles techniques de communication. Cela dit, il n’y a pas d’un côté des exceptions d’utilisations équitables et de l’autre des exceptions spécifiques visant tel ou tel domaine. La Cour suprême avait laissé entendre que c’est en fait à toute fin pratique au moment où les exceptions d’utilisation équitable ne trouveraient pas application dans un cas donné qu’il y aurait lieu de se tourner vers les exceptions spécifiques, dont celles visant les établissements d’enseignement12. Dorénavant, nous pouvons soumettre que les exceptions spécifiques encadrent, voire, selon le cas, étendent ou limitent la portée des exceptions d’utilisation équitable. En d’autres termes, il demeure nécessaire de lire les dispositions applicables en parallèle et d’en dégager l’interprétation spécifique au cas en l’espèce, et donc ne pas se réfugier derrière une interprétation trop spécifique de l’utilisation, qu’elle soit équitable ou d’exception. 10. Voir par exemple : Copibec, « Mieux vaut être un chien mort qu’un créateur vivant », en ligne : <http://www.raav.org/pls/htmldb/f?p=105:39:0::NO::P39_ID_ NOUVELLE,LAST_PAGE:45070,34> (consultée le 2 septembre 2013). 11. L.C. 1997, ch. 24. 12. CCH, par. 84 : « Dans le cadre du pourvoi principal, j’ai conclu au caractère équitable de l’utilisation des œuvres des éditeurs par le Barreau. Celui-ci n’a donc pas à invoquer l’exception prévue pour les bibliothèques, mais il pourrait l’invoquer au besoin. La Grande bibliothèque n’est ni constituée ni administrée pour réaliser des profits. Elle est administrée et contrôlée par les conseillers du Barreau. Bien que certains des conseillers exercent par ailleurs le droit dans un but lucratif, ils ne peuvent, lorsqu’ils agissent à titre d’administrateurs de la Grande bibliothèque, être assimilés à un organisme constitué ou administré pour réaliser des profits. La Cour d’appel a tiré une conclusion juste à cet égard. Je suis d’avis de rejeter ce moyen d’appel incident. » ; voir également au paragraphe 49 : « À titre de partie intégrante du régime de droit d’auteur, l’exception relative à l’utilisation équitable créée par l’article 29 peut toujours être invoquée. Ainsi, une bibliothèque peut toujours tenter d’établir que son utilisation d’une œuvre protégée est équitable suivant l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur. C’est seulement dans le cas où elle n’est pas en mesure de prouver l’application de cette exception qu’il lui faut s’en remettre à celle que prévoit l’article 30.2 au bénéfice des bibliothèques. » 988 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le législateur a choisi en 2012 d’étendre les exceptions d’utilisation équitable prévues à l’article 2913, qui couvraient déjà l’étude privée et la recherche, par l’ajout de l’éducation, de la parodie et de la satire. Depuis l’arrêt Avanti14, nous savions que l’exception de critique visée expressément à l’article 29.1 englobait la parodie d’une œuvre. La parodie et la satire sont en effet dorénavant expressément reconnues par le législateur à l’art. 29, alors qu’il ne nous apparaît pas que la conclusion de la Cour d’appel soit à rejeter quant à sa portée. La critique s’assimile au droit de citation et celle-ci peut porter tant sur le contenu ou sur les idées de l’œuvre utilisée15. La satire se rattache aux mots, tandis que la parodie, pour sa part, est l’imitation burlesque d’une œuvre. Cependant, il demeure important de garder à l’esprit que la parodie ne doit pas chercher à profiter commercialement de l’œuvre reproduite et qu’ « [elle] ne doit pas être un paravent pour éviter le travail intellectuel et bénéficier de la renommée de l’œuvre parodiée »16. Par ailleurs, nous savions aussi clairement depuis l’arrêt Alberta17 que la notion d’étude privée déjà couverte par l’article 29 n’excluait en aucune manière les études poursuivies dans des institutions d’enseignement public. Et voilà qu’à côté de l’étude privée, le législateur prévoit dorénavant l’exception d’utilisation équitable à des fins d’éducation. C’est déjà dire que devant un cas donné, il faut non seulement s’interroger sur la portée possible des dispositions de la loi qui couvrent expressément les établissements d’enseignement, il faut aussi se tourner vers les diverses exceptions d’utilisation équitable couvrant des activités susceptibles de se tenir au sein de ces établissements : éducation, étude privée, recherche, critique, compte rendu, sans oublier la parodie ou la satire qui se réalise au sein des 13. L’article 29.1 de la loi prévoit l’utilisation équitable si la source de l’emprunt et le nom de l’auteur y figurent. D’aucuns considéraient que l’article 29 de la loi visait des utilisations qui ne comportaient pas des publications, contrairement au paragraphe 29(1) de la loi qui exige des mentions à la source. Il découle implicitement de l’arrêt CCH qu’une telle restriction limite n’existerait pas. 14. Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939 (C.A.) (ci-après « Avanti »). 15. Hubbard c. Vosper, [1972] 1 All E.R. 1023 (C.A.). 16. Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939 (C.A.). 17. Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37 (ci-après « Alberta »). Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 989 institutions d’enseignement, de même que la communication de nouvelles couverte de son côté par l’article 29.218. Ces exceptions d’utilisations équitables sont d’une portée très large, alors que d’aucuns auraient pu soutenir qu’il était inutile d’y ajouter des exceptions spécifiques couvrant les établissements d’enseignement. Nous vivons avec le choix du législateur et ce sont les exceptions couvrant spécifiquement les établissements d’enseignement qui nous intéressent ici, même si le lecteur aura compris qu’elles doivent se lire en conjonction avec les exceptions d’utilisation équitable19. Et qu’il nous suffise de souligner que la nouvelle philosophie de la Cour suprême du Canada, plus libérale quant aux droits des utilisateurs, aura un impact sur l’interprétation que recevront les exceptions prévues à la loi20, alors que de nouvelles exceptions, en fait, limitent souvent la portée des exceptions d’utilisation équitable selon la lecture qu’en fait actuellement la Cour suprême du Canada. Cela dit, la loi prévoit effectivement des exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement. Avant de discuter de ces exceptions visant ces établissements, nous allons cibler les utilisateurs visés par les exceptions relatives aux établissements d’enseignement. Ensuite, nous allons passer en revue les utilisations couvertes par des exceptions spécifiques. 2. Les utilisateurs visés Les exceptions relatives aux établissements d’enseignement sont encadrées, alors qu’il faut circonscrire l’utilisateur visé, ce qui 18. Cet article énonce également comme conditions de mentionner la source de l’emprunt et le nom de l’auteur. 19. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13. 20. CCH, par. 48 : « Avant d’examiner la portée de l’exception au titre de l’utilisation équitable que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, il importe de clarifier certaines considérations générales relatives aux exceptions à la violation du droit d’auteur. Sur le plan procédural, le défendeur doit prouver que son utilisation de l’œuvre était équitable ; cependant, il est peut-être plus juste de considérer cette exception comme une partie intégrante de la Loi sur le droit d’auteur plutôt que comme un simple moyen de défense. Un acte visé par l’exception relative à l’utilisation équitable ne viole pas le droit d’auteur. À l’instar des autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, cette exception correspond à un droit des utilisateurs. Pour maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs, il ne faut pas l’interpréter restrictivement. Comme le professeur Vaver, op. cit., l’a expliqué, à la p. 171, [TRADUCTION] « [l]es droits des utilisateurs ne sont pas de simples échappatoires. Les droits du titulaire et ceux de l’utilisateur doivent donc recevoir l’inter- 990 Les Cahiers de propriété intellectuelle passe notamment par la définition d’établissement d’enseignement prévue à l’article 2 de la loi. Selon la version française de la loi, « établissement d’enseignement » signifie : a) Établissement sans but lucratif agréé aux termes des lois fédérales ou provinciales pour dispenser de l’enseignement aux niveaux préscolaire, élémentaire, secondaire ou postsecondaire, ou reconnu comme tel ; b) établissement sans but lucratif placé sous l’autorité d’un conseil scolaire régi par une loi provinciale et qui dispense des cours d’éducation ou de formation permanente, technique ou professionnelle ; c) ministère ou organisme, quel que soit l’ordre de gouvernement, ou entité sans but lucratif qui exerce une autorité sur l’enseignement et la formation visés aux alinéas a) et b) ; d) tout autre établissement sans but lucratif visé par règlement.21 Le mot « éducation » apparaît une seule fois dans cette définition, cela en référence à « des cours d’éducation ou de formation permanente ». Nous soulevons notamment ce point parce que l’article 29 de la loi fait référence à des fins d’éducation au titre d’un domaine couvert par les exceptions d’utilisation équitable, que ce soit dans la version française ou anglaise de la loi. La version anglaise de la définition d’« établissement d’enseignement » nous aide à circonscrire la portée de la définition d’« enseignement », alors qu’il est fait référence à « education » et à « training » : “educational institution” means (a) a non-profit institution licensed or recognized by or under an Act of Parliament or the legislature of a province to provide preschool, elementary, secondary or post-secondary education, (b) a non-profit institution that is directed or controlled by a board of education regulated by or under an Act of the legislaprétation juste et équilibrée que commande une mesure législative visant à remédier à un état de fait. » 21. Art. 2 de la loi. Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 991 ture of a province and that provides continuing, professional or vocational education or training, (c) a department or agency of any order of government, or any non-profit body, that controls or supervises education or training referred to in paragraph (a) or (b), or (d) any other non-profit institution prescribed by regulation. 22 Mariant les deux définitions, puisque nous ne présumons pas qu’une version ou l’autre soit erronée, nous en venons à la conclusion qu’« enseignement » équivaut à « education » et vice versa, d’où un lien évident avec la pédagogie, qui s’intéresse autant aux enfants, aux moins jeunes, qu’aux adultes. Notre conclusion est renforcée par le fait qu’ailleurs dans le texte de la loi nous sommes invariablement ramenés à la « pédagogie » via des références à « education » ou « training ». C’est le cas par exemple aux paragraphes 29.4(1), 29.5, 29.6(1), 29.7(1) alors que là où la version française de la loi fait référence « à des fins pédagogiques », la version anglaise nous renvoie de nouveau à « education or training ». Le texte de la loi conserve la même logique alors qu’à la manière des définitions anglaise et française le paragraphe 32.2(3) fait correspondre « institution d’enseignement » et « educational institution ». Par ailleurs, que l’on traite d’« enseignement » ou d’« education or training », les établissements d’enseignement englobés par les exceptions sont circonscrits. Selon la définition retenue, ils sont : des établissements sans but lucratif dans tous les cas,et des établissements agréés que sont les écoles, les Cégeps et les institutions universitaires, ou des établissements placés sous l’autorité d’un conseil scolaire par une loi provinciale et qui dispense des cours d’éducation ou de formation permanente, technique ou professionnelle ; ou un ministère ou organisme qui exerce une autorité sur l’enseignement et la formation visés ; ou, enfin, tout autre établissement sans but lucratif visé par règlement.23 22. Art. 2 de la loi. 23. Art. 2 de la loi. 992 Les Cahiers de propriété intellectuelle On le constate, un établissement d’enseignement est sans but lucratif. Mais cela ne suffit pas dans tous les cas à satisfaire aux conditions imposées quant à certaines utilisations couvertes par des exceptions spécifiques. En effet, le législateur prévoit que des utilisations permises par exception à ces établissements doivent l’être alors que l’établissement utilise l’œuvre sans l’intention de faire un gain : 29.3 (1) Les actes visés aux articles 29.4, 29.5, 30.2 et 30.21 ne doivent pas être accomplis dans l’intention de faire un gain. (2) Les établissements d’enseignement, bibliothèques, musées ou services d’archives, de même que les personnes agissant sous leur autorité sont toutefois réputés ne pas avoir l’intention de faire un gain lorsque, dans l’accomplissement des actes visés aux articles 29.4, 29.5, 30.2 et 30.21, ils ne font que recouvrer les coûts y afférents, frais généraux compris. Voilà qui selon nous limite la capacité des établissements d’enseignement de profiter de certaines exceptions, car, pour utiliser cet exemple, selon la Cour suprême, et cela sous réserve des faits de l’espèce, dans son arrêt CCH, rien ne s’oppose à ce que la personne qui invoque une exception d’utilisation équitable visée aux articles 29 à 29.2 le fasse avec l’intention d’en tirer un profit24. Il découle des constats qui précèdent que des personnes qui ne sont pas des établissements d’enseignement pourraient dans un but lucratif poser des actes d’exploitation couverts par les articles 29.4, 29.5, 30.2 et 30.21 et invoquer avec succès le motif d’éducation énoncé à l’article 29 au titre d’une utilisation équitable, ce que ne peuvent pas faire les établissements d’enseignement s’ils avaient ce faisant l’intention de faire un gain. Il existe donc des cas où des exceptions spécifiques limitent la portée des principes généraux découlant des exceptions fondées sur l’utilisation équitable. 24. CCH, par. 51 : Toute personne qui est en mesure de prouver qu’elle a utilisé l’œuvre protégée par le droit d’auteur aux fins de recherche ou d’étude privée peut se prévaloir de l’exception créée par l’article 29. Il faut interpréter le mot « recherche » de manière large afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restreints. J’estime, comme la Cour d’appel, que la recherche ne se limite pas à celle effectuée dans un contexte non commercial ou privé. La Cour d’appel a signalé à juste titre, au paragraphe 128, que « [l]a recherche visant à conseiller des clients, donner des avis, plaider des causes et préparer des mémoires et des factums reste de la recherche ». L’avocat qui exerce le droit dans un but lucratif effectue de la recherche au sens de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur. Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 993 D’autres exceptions spécifiques précisent que l’utilisation doit viser des fins pédagogiques. Non seulement telles exceptions visent les établissements d’enseignement, mais encore faut-il que l’utilisation vise spécifiquement des fins pédagogiques. En regard de l’exception d’utilisation équitable fondée sur la recherche et l’étude privée, la jurisprudence nous apprenait que « dans le contexte scolaire, enseignement et recherche ou étude privée sont tautologiques »25. Si l’utilisation se rapportait au contexte scolaire, les exceptions d’utilisation équitable devaient pouvoir trouver application. Mais si, comme le fait le législateur, en précisant que l’établissement ou la personne agissant sous son autorité doit poursuivre une fin pédagogique, est-ce encore vrai que dans un cadre de recherche au sein d’un établissement pédagogique visant l’exploitation commerciale d’un bien, pour utiliser cet exemple, il sera possible d’invoquer une fin pédagogique ? Déjà que dans notre exemple l’exercice est fait dans l’intention d’en tirer un gain, une première limite, nous en doutons donc. Les établissements d’enseignement sont aussi dans certains cas limités quant au lieu où s’exerce l’utilisation de l’œuvre, alors que la notion de « locaux » est parfois en cause et devient une condition à remplir pour satisfaire aux conditions d’application de l’exception. La loi donne la définition suivante : « locaux » S’il s’agit d’un établissement d’enseignement, lieux où celui-ci dispense l’enseignement ou la formation visés à la définition de ce terme ou exerce son autorité sur eux.26 Cette définition englobe les situations d’apprentissage à distance ; il s’ensuit qu’un élève se trouvant chez lui ou encore dans un café à étudier sera « réputé se trouver dans les locaux de l’établissement d’enseignement lorsqu’il reçoit la leçon ou y participe au moyen d’une communication par télécommunication »27. D’autres conditions sont susceptibles d’encadrer les exceptions visant les établissements d’enseignement. Nous les aborderons au moment où nous traiterons des diverses exceptions. 25. Alberta, par. 23. 26. Art. 2 de la loi. 27. Par. 30.01(4) de la loi. 994 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. Les exceptions spécifiques couvrant les établissements d’enseignement 3.1 La reproduction d’une œuvre à des fins pédagogiques en vue d’une présentation visuelle Pour reprendre les mots de la loi, des reproductions à des fins pédagogiques sont permises, alors qu’il est possible de reproduire tout ou partie de toute œuvre sans l’autorisation du titulaire des droits si l’établissement d’enseignement ou la personne qui agit sous son autorité le fait à des fins pédagogiques en vue de la présenter visuellement dans les locaux28. On le constate du texte de la loi, cette exception est strictement encadrée par des conditions. Ainsi, la reproduction : – vise uniquement des œuvres, à l’exclusion de tout objet du droit d’auteur ; – doit être réalisée à des fins pédagogiques ; – doit être réalisée dans le but de présenter l’œuvre publiquement dans les locaux de l’établissement ; – ne doit pas être réalisée dans l’intention de faire un gain. À ces conditions s’ajoute celle voulant que mises à part des reproductions manuscrites, ces exceptions ne s’appliquent pas dans le cas où « il est possible de se procurer [l’œuvre], au Canada, à un prix et dans un délai raisonnables, et de [la] trouver moyennant des efforts raisonnables »29. 28. Par. 29.4(1) de la loi. 29. Par. 29.4(3) et 2 de la loi : définition de « Accessible sur le marché ». Une décision récente de la Commission du droit d’auteur est venue se prononcer sur cette nouvelle disposition introduite en 2012. La Commission a rendu une décision provisoire en faveur des titulaires de droits (Access) et a homologué le tarif demandé, tout en réduisant les redevances devant être perçues sur les copies d’examen, ces dernières n’étant plus indemnisables depuis les derniers changements législatifs. Voir Tarif des Redevances à Percevoir Par Access Copyright pour la Reproduction, Au Canada, d’Œuvres de Son Répertoire, 2013 CarswellNat 1657 (29 mai 2013). Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 995 3.2 Reproduction et exécution ou communication publique d’une œuvre ou de tout objet du droit d’auteur dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle Pour ce qui concerne spécifiquement un examen ou un contrôle30, toujours si l’acte est posé sans motif de gain le texte de la loi autorise la reproduction, la traduction ou l’exécution d’une œuvre ou, cette fois, de tout objet du droit d’auteur dans les locaux de l’établissement d’enseignement. De nouveau, les exceptions ne s’appliquent pas dans le cas où « il est possible de se procurer [l’œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur], au Canada, à un prix et dans un délai raisonnable, et de [le] trouver moyennant des efforts raisonnables »31. Toujours dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle, le législateur permet la communication d’une œuvre ou de tout objet du droit d’auteur par télécommunication au public se trouvant dans les locaux. 3.3 Représentation ou exécution en public L’établissement d’enseignement ou une personne agissant sous son autorité peut procéder à certaines exécutions ou représentations en public, alors que sont imposés un cadre et des formes d’utilisations32. Les exécutions ou représentations visées doivent se tenir dans les locaux de l’établissement, à des fins pédagogiques, non en vue d’un profit, et devant un public principalement composé d’élèves de l’établissement d’enseignement et d’enseignants agissant sous l’autorité de l’établissement ou d’autres personnes directement responsables de programmes d’études pour cet établissement. Les exécutions ou représentations couvertes par cette exception sont : 30. Par. 29.4(2) de la loi. 31. Par. 29.4(3) et article 2 de la loi : définition de « Accessible sur le marché ». Une décision récente de la Commission du droit d’auteur est venue se prononcer sur cette nouvelle disposition introduite en 2012. La Commission a rendu une décision provisoire en faveur des titulaires de droits (Access) et a homologué le tarif demandé, tout en réduisant les redevances devant être perçues sur les copies d’examen, ces dernières n’étant plus indemnisables depuis les derniers changements législatifs. Voir Tarif des Redevances à Percevoir Par Access Copyright pour la Reproduction, Au Canada, d’Œuvres de Son Répertoire, 2013 CarswellNat 1657 (29 mai 2013). 32. Art. 29.5 de la loi. 996 Les Cahiers de propriété intellectuelle – l’exécution ou la représentation en direct et en public d’une œuvre alors que les interprètes sont principalement des élèves de l’établissement ; – l’exécution en public tant de l’enregistrement sonore que de l’œuvre ou la prestation qui le constituent si l’enregistrement n’est pas contrefait ou que la personne qui l’exécute n’a pas de motif raisonnable de croire qu’il s’agit d’un exemplaire contrefait ; – exécution en public d’une œuvre ou tout objet du droit d’auteur lors de leur communication au public, alors que la captation doit avoir été faite de façon licite, ce qui exclut notamment toute forme de piratage et de contournement de licence33. – exécution en public d’une œuvre cinématographique si l’exemplaire n’est pas contrefait ou que la personne qui l’exécute n’a pas de motif raisonnable de croire qu’il s’agit d’un exemplaire contrefait. 3.4 L’exécution en public d’une œuvre musicale dans l’intérêt d’une entreprise éducative L’ancienne exception d’exécution d’une œuvre musicale au bénéfice des institutions religieuses et fraternelles a été étendue non seulement quant aux actes visés, mais aussi par l’ajout des établissements d’enseignement. Il est donc dorénavant spécifiquement prévu34 qu’un établissement d’enseignement peut, dans l’intérêt d’une entreprise éducative35 et sans avoir à payer de compensation : – exécuter une œuvre musicale en direct et en public36 ; – exécuter tant l’enregistrement sonore que l’œuvre musicale ou la prestation qui le constitue ; 33. Voir les articles 29.5 à 29.8 de la loi. 34. Par. 32.2(3) de la loi. 35. Le texte parle d’une « entreprise éducative ». Eu égard au texte anglais, nous faisons référence à une entreprise notamment au sens d’une opération, d’une activité, d’un événement, etc. 36. La référence au caractère public est superflue, car les exécutions privées ne sont pas couvertes par un droit d’auteur. Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 997 – exécuter un signal de communication porteur d’une exécution en direct et en public37 d’une œuvre musicale ; et – exécuter un signal de communication porteur tant d’un enregistrement que de l’œuvre musicale ou la prestation qui le constitue. 3.5 Émissions d’actualité et de commentaires Un établissement d’enseignement peut au moment de sa communication au public par télécommunication reproduire en un seul exemplaire des émissions d’actualités ou de commentaires, à l’exclusion de documentaires38, en vue de leur présentation aux élèves de l’établissement. Cette reproduction peut être exécutée en public dans les locaux de l’établissement et à des fins pédagogiques, pourvu que la captation l’ait été par des moyens licites39. 3.6 La captation/reproduction en vue de déterminer la valeur pédagogique L’établissement peut aussi à des fins pédagogiques reproduire en un seul exemplaire lors de sa communication au public une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur, capté de façon licite40, afin de déterminer la valeur du point de vue pédagogique, mais la copie ne doit pas être conservée au-delà de 30 jours41. À l’expiration de ce délai et à défaut de violer le droit d’auteur, l’établissement qui n’a pas détruit la copie et qui désire la conserver doit prendre des mesures afin d’acquitter les redevances et de respecter les modalités fixées sous le régime de la loi pour la reproduction et certaines obligations relatives à l’étiquetage des reproductions et destructions42. Sous réserve d’acquitter les redevances et de respecter les modalités fixées sous le régime de la loi pour l’exécution, l’exemplaire, une fois évalué, peut faire l’objet d’une exécution publique à des fins pédagogiques dans les locaux de l’établissement devant un auditoire formé principalement d’élèves de l’établissement43. 37. Serait-ce à dire que le signal porteur d’une exécution privée ne sera pas couvert par cette exception ? Puisque les versions française et anglaise correspondent à cet égard, il semble que oui, sauf à récrire la loi en lieu et place du législateur. 38. Par. 29.6(1) de la loi. 39. Art. 29.8 de la loi. 40. Art. 29.8 de la loi. 41. Al. 29.7(1)b) de la loi. 42. Par. 29.7(2) et art. 29.9 de la loi ; d’autres conditions applicables à l’exécution en public se trouvent au paragraphe 29.7(3) de la loi. 43. Par. 29.7(3) de la loi. 998 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.7 Les leçons Le législateur s’est intéressé spécifiquement aux leçons, qui incluent des examens et des contrôles44. Ainsi, l’établissement d’enseignement ou une personne agissant sous son autorité peut communiquer une leçon au public par télécommunications, si cette communication est faite, à des fins pédagogiques d’une part, et, d’autre part, devant un public formé uniquement d’élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte45. Il sera également permis à l’établissement de faire une fixation de cette leçon ou tout autre acte nécessaire à l’accomplissement de la communication46. La reproduction faite par un élève ou par l’établissement d’enseignement, selon le cas, devra cependant être détruite dans les 30 jours suivant l’évaluation finale47. L’établissement doit prendre les mesures adéquates afin que les copies en sa possession ne soient accessibles qu’au public visé et d’empêcher ce public de les reproduire48. 3.8 La reproduction numérique d’œuvres Les établissements d’enseignement autorisés par une société de gestion à reproduire les œuvres de son répertoire peuvent les reproduire numériquement, si ces reproductions sont de même nature et de même étendue que celles envisagées par la licence pour la reproduction sur un support papier49. L’établissement peut aussi communiquer la reproduction numérique par télécommunication à des fins pédagogiques à toute personne agissant sous son autorité50. La personne agissant sous l’autorité de l’établissement peut faire une seule impression de la reproduction numérique51, alors que l’établissement doit payer les mêmes redevances que si cette reproduction était communiquée de manière conventionnelle, comme par exemple en distribuant un format papier aux élèves52. L’établissement d’enseignement doit prendre les mesures adéquates afin que les copies en sa possession ne soient accessibles qu’au public visé et 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. Par. 30.01(1) de la loi. Al. 30.01(3)a) de la loi. Al. 30.01(3)b) et c) de la loi. Respectivement par. 30.01(5) et al. 30.01(6)a) de la loi. Par. 30.01(6) de la loi. Par. 30.02(1) et 30.03 de la loi. Par. 30.02(1) de la loi. Par. 30.02(2) de la loi. Par. 30.03(3) de la loi. Les exceptions spécifiques aux établissements d’enseignement 999 d’empêcher ce dernier de les reproduire53. Il est important de noter que cette exception relative à la reproduction numérique d’œuvres ne s’applique pas dans le cas où l’établissement d’enseignement a conclu une entente avec une société de gestion concernant la reproduction numérique et sa communication publique par télécommunication ou s’il existe un tarif homologué à cet égard54. 3.9 La reproduction par photocopieur En ce qui a trait aux photocopieuses installées dans les établissements d’enseignement et gérées par ceux-ci, les enseignants, élèves et membres du personnel peuvent reproduire une œuvre imprimée sans violer le droit d’auteur, pourvu que l’avertissement réglementaire ait été affiché selon les modalités55, et sous réserve que l’établissement ait une entente de licence avec une société de gestion56 ou le titulaire des droits sur l’œuvre ainsi reproduite57, ou encore qu’un tarif soit homologué ou qu’un projet de tarif ait été déposé par une société de gestion. 3.10 Œuvre ou tout objet d’un droit d’auteur sur Internet À certaines conditions et en ce qui concerne les œuvres ou tout objet d’un droit d’auteur accessibles sur Internet58, un établissement d’enseignement ou toute personne agissant sous son autorité peut à des fins pédagogiques les reproduire, ou encore les communiquer par télécommunication ou exécuter en public, si ce public est principalement formé d’élèves de l’établissement en question. La personne qui reproduit ou communique l’œuvre ou tout objet du droit d’auteur doit mentionner la source de l’emprunt et, s’ils sont mentionnés, le nom de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur dans le cas d’un enregistrement sonore, et du radiodiffuseur dans le cas d’un signal de communication. Cette exception n’est pas applicable si, d’une part, le site Internet sur lequel est affichée la page est protégé par une mesure technique de protection59 ou par avis visible et explicite 53. Par. 30.02(3) de la loi. 54. Par. 30.02(4) et (5) de la loi. 55. Par. 30.3(1) de la loi ; Règlement sur les cas d’exception à l’égard des établissements d’enseignement, des bibliothèques, des musées et des services d’archives, DORS/99-325, art. 8. 56. Par. 30.3(2) de la loi. 57. Par. 30.3(4) de la loi. 58. Art. 30.04 de la loi. 59. Par. 30.04(3) de la loi. 1000 Les Cahiers de propriété intellectuelle qui interdise la reproduction et la télécommunication60, ou si l’établissement ou la personne qui agit sous son autorité sait ou devrait savoir que l’œuvre ou tout objet du droit d’auteur a été rendu accessible sur Internet sans l’autorisation du titulaire des droits61. 4. Conclusion En cette époque où les tribunaux prennent sur eux de revoir la philosophie qui sous-tendait le droit d’auteur depuis le Siècle des Lumières, il faudra voir comment les exceptions seront circonscrites par les tribunaux et comment la prétendue « modernisation » de la loi sera mise au profit de l’expérience pédagogique. Il demeure important, pour reprendre l’expression du gouvernement, de retenir que ces nouvelles latitudes données aux établissements d’enseignement ne sont pas un « chèque en blanc »62. 60. Par. 30.04(4) de la loi. 61. Par. 30.04(5) de la loi. 62. Gouvernement du Canada, « Droit d’auteur équilibré ; fiche technique », en ligne : <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/rp01185.html> (consultée le 2 septembre 2013). Vol. 25, no 3 Les nouvelles exceptions pour reproduction à des fins privées / visionnement en différé / copie de sauvegarde /enregistrements éphémères par les radiodiffuseurs : un échec au test de la réalité Madeleine Lamothe-Samson* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1003 2. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1003 3. Les nouveaux articles 29.22, 29.23 et 29.24 : de nouvelles exceptions qui profitent à ... qui ? . . . . . . . . . . . . . . 1005 3.1 La situation initiale : un régime de copie privée avec compensation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1005 3.2 L’événement perturbateur : des reproductions rendues légales, mais sans compensation . . . . . . 1007 3.2.1 Exception permettant la reproduction à des fins privées . . . . . . . . . . . . . . . . . 1007 © Madeleine Lamothe-Samson, 2013. * L’auteure est associée et membre du groupe Propriété intellectuelle du cabinet Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteure et n’engagent pas le cabinet. Merci à Alexandre Lessard, étudiant au même cabinet, qui a contribué à cet article par ses recherches. 1001 1002 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.2.1.1 La copie a été obtenue légalement, autrement que par emprunt ou location, et la personne soit est propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel la reproduction est faite, soit est autorisée à l’utiliser . . . . . . . . . . . . . . . 1011 3.2.1.2 Aucune MTP n’est contournée afin d’effectuer la reproduction . . . . . . 1012 3.2.1.3 La reproduction n’est donnée à personne. . . . . . . . . . . . . . . . 1012 3.2.1.4 La reproduction n’est utilisée qu’à des fins privées . . . . . . . . . 1012 3.2.2 Exception permettant l’écoute ou le visionnement en différé. . . . . . . . . . . . . 1014 3.2.3 Élargissement de l’exception permettant la copie de sauvegarde. . . . . . . . . . . . . . . 1016 3.3 Le résultat : une Loi plus moderne... vraiment ? . . . 1017 4. Enregistrements éphémères par les radiodiffuseurs – Copier davantage pour moins payer . . . . . . . . . . . . 1020 5. (Triste) constat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1024 1. Introduction Les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur par l’entremise du projet de loi C-11 (Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, baptisée à tort ou à raison « Loi sur la modernisation du droit d’auteur », ci-après « C-11 ») sont entrées en vigueur le 7 novembre 2012. Parmi ces changements, C-11 a introduit diverses exceptions au régime général de la Loi sur le droit d’auteur (ci-après la « Loi »), qui donne aux ayants droit le droit exclusif de faire certains actes, dont la reproduction, ainsi que d’autoriser ou d’interdire ces actes1. Nous traiterons dans cet article de trois de ces nouvelles exceptions (reproduction à des fins privées, fixation ou reproduction pour écoute ou visionnement en différé et copie de sauvegarde), ainsi que de l’élimination d’une condition pour avoir accès à une exception déjà existante, soit celle visant les enregistrements éphémères effectués par les entreprises de radiodiffusion. 2. Contexte C-11 se veut une réponse à la nécessité pour le Canada d’intégrer à sa législation nationale les normes adoptées dans les traités de 1996 de l’OMPI sur le droit d’auteur et sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (les « Traités de l’OMPI de 1996 »). Les Traités de l’OMPI de 1996 exigent des pays signataires, dont le Canada, que lorsque des limitations et exceptions au droit d’auteur sont introduites dans leur législation nationale, ces limitations et exceptions soient restreintes : • à certains cas spéciaux ; • aux cas où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, de l’interprétation ou exécution ou du phonogramme ; 1. Loi sur le droit d’auteur, art. 3. 1003 1004 Les Cahiers de propriété intellectuelle • aux cas où il n’est pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur, de l’artiste interprète ou exécutant ou du producteur du phonogramme2. Il s’agit d’un test en trois étapes, communément appelé « triple test », qui se trouve également dans la Convention de Berne3. Comme l’indique son titre de Loi sur la modernisation du droit d’auteur, C-11 a aussi pour objectif de rendre notre Loi plus moderne. Les paragraphes introductifs de C-11 annoncent, entre autres, que ce projet vise à : a) mettre à jour les droits et les mesures de protection dont bénéficient les titulaires du droit d’auteur, en conformité avec les normes internationales, afin de mieux tenir compte des défis et des possibilités créés par Internet ; [...] e) permettre aux consommateurs de faire certains usages de matériel protégé par le droit d’auteur [...] g) éliminer la spécificité technologique des dispositions de la loi. [...]4 En outre, son préambule annonce : que la Loi sur le droit d’auteur est une loi-cadre importante du marché et un instrument indispensable de la politique culturelle qui, au moyen de règles claires, prévisibles et équitables, favorise la créativité et l’innovation et touche de nombreux secteurs de l’économie du savoir. [...] 2. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, art. 10 ; Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, art. 16. 3. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, art. 9(2). 4. <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&DocId=569 7419&Language=F&File=19>. Les nouvelles exceptions pour reproduction 1005 que la protection du droit d’auteur, à l’ère numérique actuelle, est renforcée lorsque les pays adoptent des approches coordonnées, fondées sur des normes reconnues à l’échelle internationale ; [...] que les droits exclusifs prévus par la Loi sur le droit d’auteur permettent à ceux qui en bénéficient d’obtenir une reconnaissance et une rémunération et leur donnent la faculté d’exercer leurs droits et que les restrictions relatives à ceux-ci servent à faciliter aux utilisateurs l’accès aux œuvres ou autres objets du droit d’auteur protégés [...].5 [Les italiques sont nôtres.] Tout au long de notre analyse, nous garderons en tête ce « triple test » et ces objectifs annoncés. 3. Les nouveaux articles 29.22, 29.23 et 29.24 : de nouvelles exceptions qui profitent à ... qui ? 3.1 La situation initiale : un régime de copie privée avec compensation Avant les amendements de 2012, il était légal (et ce l’est toujours) pour un individu de faire certaines reproductions pour usage privé sur un « support audio », en vertu du régime créé par les articles 79 et suivants de la Loi (ci-après le « régime de copie privée » ou le régime de la « Partie VIII ») : 80. (1) Sous réserve du paragraphe (2), ne constitue pas une violation du droit d’auteur protégeant tant l’enregistrement sonore que l’œuvre musicale ou la prestation d’une œuvre musicale qui le constituent, le fait de reproduire pour usage privé l’intégralité ou toute partie importante de cet enregistrement sonore, de cette œuvre ou de cette prestation sur un support audio. (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la reproduction de l’intégralité ou de toute partie importante d’un enregistrement 5. <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&DocId=569 7419&Language=F&File=24#1>. 1006 Les Cahiers de propriété intellectuelle sonore, ou de l’œuvre musicale ou de la prestation d’une œuvre musicale qui le constituent, sur un support audio pour les usages suivants : a) vente ou location, ou exposition commerciale ; b) distribution dans un but commercial ou non ; c) communication au public par télécommunication ; d) exécution ou représentation en public. En vertu de ce régime, les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles ont droit, pour la copie à usage privé d’enregistrements sonores ou d’œuvres musicales ou de prestations d’œuvres musicales qui les constituent, à une rémunération versée par le fabricant ou l’importateur de supports audio vierges6. Le régime de copie privée a été introduit dans la Loi par les amendements de 1997. Avant son adoption, la reproduction de musique enregistrée à des fins personnelles était interdite. Or, nombre de personnes s’adonnaient à des reproductions illégales dans l’intimité de leur foyer, en copiant de la musique sur des cassettes vierges, le support moderne de l’époque. Or, il était impossible et/ou économiquement non viable pour les ayants droit d’empêcher ces copies destinées « à un usage personnel ». Les « consommateurs-copieurs » ne partageaient donc pas la valeur des copies ainsi créées avec les ayants droit. Une exception a donc été créée dans la Loi afin de permettre cette « copie privée » et, en contrepartie, de compenser les ayants droit pour cette utilisation de leur musique. Cette exception a permis, dans une certaine mesure, de corriger une défaillance du marché (« market failure ») en permettant aux individus de s’adonner à des copies privées tout en procurant aux ayants droit une source de revenus leur permettant parfois de faire la différence entre pouvoir vivre ou non de leur musique. En effet depuis la mise en place du régime de copie privée, les redevances qui en sont tirées sont pour les ayants droit une source de rémunération cruciale. Or le régime de copie privée, qui devait être « technologiquement neutre », a été dépassé par la technologie : il ne prévoit de rede6. Loi sur le droit d’auteur, par. 81(1). Les nouvelles exceptions pour reproduction 1007 vances que sur les ventes de CD vierges et de MiniDisc7, supports qui sont de moins en moins utilisés pour reproduire de la musique. Les supports maintenant plus couramment utilisés pour de telles reproductions ne sont pas couverts par le régime. En effet les enregistreurs audionumériques (dont le iPod, par exemple, fait partie) ont été exclus du régime suite à des décisions de la Cour d’appel fédérale8. Les cartes MicroSD (ces petites cartes mémoire se trouvant dans les téléphones intelligents et servant entre autres à enregistrer de la musique) sont également exclues suite à un règlement publié par le gouvernement le 7 novembre 20129, les soustrayant à l’application de la Partie VIII10. Depuis bien avant l’avènement de C-11, les ayants droit militent en faveur d’un élargissement de l’application du régime de copie privée à des supports et appareils plus modernes et il est à noter que même certains groupes de consommateurs favorisent un tel élargissement11. Mais voilà que C-11 vient enfoncer un clou de plus sur le cercueil. 3.2 L’événement perturbateur : des reproductions rendues légales, mais sans compensation 3.2.1 Exception permettant la reproduction à des fins privées C-11 introduit le nouvel article 29.22, qui permet à quiconque de reproduire à des « fins privées » toute œuvre, prestation ou enre7. Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP en 2011 sur la vente, au Canada, de supports audio vierges, (2010) Gazette du Canada – Partie I C I, en ligne : <http://cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2010/20101218.pdf>. 8. Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, [2005] 2 C.F. 654, 2004 CAF 424, permission d’en appeler refusée (Cour suprême du Canada, no 30775, 28 juillet 2005) et Apple Canada Inc. c. Société canadienne de perception de la copie privée, 2008 CAF 9. 9. Règlement d’exclusion visant les cartes microSD (Loi sur le droit d’auteur), DORS/ 2012-226. L’application du règlement n’est pas rétroactive. 10. Au moment d’écrire ces lignes, les parties intéressées sont dans l’attente d’une décision de la Commission du droit d’auteur à savoir si la Commission se penchera sur l’homologation d’un tarif sur les cartes MicroSD pour la période du 1er janvier 2012 à l’entrée en vigueur du règlement excluant ces cartes du régime. 11. Union des consommateurs, Mémoire sur le projet de loi C-11, 31 octobre 2011, à la p. 18, en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/HOC/Committee/411/CC11/Web Doc/WD5459877/411_C11_Copyright_Briefs/UniondesconsommateursF.pdf> (ci-après « Mémoire de l’Union des consommateurs »). 1008 Les Cahiers de propriété intellectuelle gistrement sonore si certaines conditions sont remplies. Ces conditions sont les suivantes : • L’exemplaire à la source de la reproduction n’est pas contrefait ; • La personne a obtenu la copie légalement, autrement que par emprunt ou location ; • La personne soit est propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel la reproduction est faite, soit est autorisée à l’utiliser ; • Aucune mesure technique de protection (MTP)12 n’est contournée afin d’effectuer la reproduction ; • La reproduction n’est donnée à personne ; • La reproduction n’est utilisée qu’à des fins privées. Il est à noter que l’exception ne s’appliquera pas si l’exemplaire original (à partir duquel la « reproduction à des fins privées » est effectuée) est donné, loué ou vendu sans que les reproductions faites au titre de l’exception n’aient été détruites au préalable13. Autrement dit, l’exception cesse de s’appliquer si la personne qui a fait la reproduction, bien qu’elle ait rempli toutes les conditions de l’article 29.22 au moment d’effectuer la copie, dispose par la suite de l’exemplaire original soit par don, vente ou location. Par contre, il semble que cette personne puisse prêter son exemplaire original sans que ne cesse de s’appliquer l’exception. L’article 29.22 vise explicitement les appareils tels le iPod, ainsi que les disques durs d’ordinateurs, comme on le voit dans le définition contenue au paragraphe (2) de cet article : (2) À l’alinéa (1)b), la mention « du support ou de l’appareil » s’entend notamment de la mémoire numérique dans laquelle il est possible de stocker une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur pour en permettre la communication par télécommunication sur Internet ou tout autre réseau numérique. [Les italiques sont nôtres.] 12. Tel que ce terme est défini à l’article 41 de la Loi. Les MTP font l’objet d’un article dans ce numéro spécial. 13. Loi sur le droit d’auteur, par. 29.22(4). Les nouvelles exceptions pour reproduction 1009 Il est pour le moins curieux que la définition « du support ou de l’appareil » mentionne spécifiquement le stockage d’œuvre pour en permettre la communication par télécommunication sur Internet. En effet, il semble que la nouvelle loi permette explicitement aux individus de faire indirectement (communiquer l’œuvre pour en permettre le téléchargement par des tiers) ce qu’elle leur interdit de faire directement (donner la reproduction à quelqu’un). Est-ce dire que le partage de fichiers serait une « fin privée », en autant que le fichier « source » demeure la possession de celui ou celle qui l’a rendu disponible sur Internet ? Cela semble contradictoire avec l’esprit du paragraphe 27(2.3)14, à moins que le terme « fins privées » doive être interprété restrictivement, de manière à exclure la mise à disposition sur le net des reproductions effectuées. Si telle est l’intention du législateur, la formulation choisie au paragraphe (2) ci-dessus est pour le moins douteuse. C’est à suivre. Le nouveau régime de l’article 29.22 ne prévoit aucune compensation pour les ayants droit, contrairement au régime de copie privée discuté plus avant. Bien que l’article 29.22 ne remplace pas le régime de copie privée des articles 79 et suivants15, C-11 n’a pas modifié l’article 79 de la Loi pour l’étendre, par exemple, aux « appareils » qui avaient été exclus de l’application du régime par la Cour d’appel fédérale. Cela veut donc dire que la reproduction pour fins privées sur tout support ou appareil autre qu’un CD-R ou MiniDisc ne donne lieu à aucune indemnisation des auteurs, artistes-interprètes et producteurs d’enregistrements sonores. Il va sans dire que puisqu’il s’agit d’une nouvelle exception, les ayants droit se voient également privés de leur droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leur œuvre, prestation ou enregistrement sonore. Le nouvel article 29.22 vient empêcher toute possibilité d’étendre le régime de la Partie VIII à des supports plus modernes et mieux adaptés à l’enregistrement de musique pour écoute privée. C’est d’ailleurs l’un des buts avoués de cette nouvelle exception, tel que mentionné dans le « résumé législatif » émanant du Parlement16. 14. Le nouveau paragraphe 27(2.3) stipule que « [c]onstitue une violation du droit d’auteur le fait pour une personne de fournir un service sur Internet ou tout autre réseau numérique principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur, si une autre personne commet une telle violation sur Internet ou tout autre réseau numérique en utilisant ce service ». 15. Par. 29.22(3). 16. Résumé législatif – Projet de loi C-11 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Publication No. 41-1-C11-F, octobre 2011, révisé avril 2012, à la p. 14, en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/41/1/c11-f.pdf>. 1010 Les Cahiers de propriété intellectuelle Il existe tout de même des critères pour que l’article 29.22 s’applique et que puissent en profiter les bénéficiaires de cette nouvelle exception, soit les consommateurs de musique qui souhaitent changer le support de leurs pistes sonores. En effet, si un ou plusieurs des critères ne sont pas remplis, le régime général du droit d’auteur s’appliquera, ce qui comprend la possibilité (plus théorique que pratique nous le verrons) pour les ayants droit de faire valoir leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction. Or les critères d’application de la nouvelle exception sont si compliqués que les consommateurs ne s’y retrouveront pas. L’Union des consommateurs ayant généralement (et sans surprise) applaudi l’introduction de plusieurs nouvelles exceptions dans la Loi, a également exprimé plusieurs réticences par rapport au côté peu pratique de l’application de ces exceptions dans la « vraie vie » : Les dispositions qui prévoient ces exceptions doivent toutefois, à notre avis, être amendées ; en effet, certaines conditions rattachées à l’exercice ou l’encadrement de ces exceptions risquent fort de se révéler inapplicables, ou semblent ne pas atteindre la cible qu’elles devraient viser. De plus, certaines des limites qui sont apportées à l’exercice de ces droits ne nous semblent pas justifiées. En outre, le libellé de ces articles n’apparaît pas toujours propre à permettre aux utilisateurs de bien connaître et comprendre la nature, la portée et les limites de ces droits qui leur sont conférés.17 [Les italiques sont nôtres.] Ces critères ambigus et difficiles à appliquer rendent, dans les faits, cette nouvelle exception à la fois inapplicable pour le consommateur, qui finira par faire à sa tête, et pour les ayants droit, qui auront peine à faire respecter les droits qui leur restent. C’est donc un retour à la case départ, comme à l’époque où le régime de copie privée de la Partie VIII n’existait pas. Nous reviendrons sur ce point. Notons que parmi les conditions énumérées à l’article 29.2, les quatre premières peuvent être vérifiées par l’individu avant de faire la reproduction. Par contre, les deux dernières conditions (interdiction de donner la reproduction et utilisation exclusivement à des fins privées), ainsi que l’exception à l’exception (l’exception ne s’applique pas si l’exemplaire original à partir duquel la « reproduction à des fins privées » est donné, loué ou vendu sans que les reproductions 17. Mémoire de l’Union des consommateurs, supra, note 11, p. 14. Les nouvelles exceptions pour reproduction 1011 faites au titre de l’exception n’aient été détruites au préalable) sont d’application postérieure à la reproduction, et, pourrait-on dire, sont de nature à créer une obligation « de ne pas faire » continue et à durée indéterminée. Voilà un premier problème avec l’application concrète de 29.22 : outre les problèmes évidents de vérification par les ayants droit – vérification qui devra, pour l’ayant droit souhaitant se prévaloir de son droit d’autoriser ou d’interdire, être continue et s’étendre sur un nombre incalculable d’années – il y a les problèmes de compréhension de la portée de l’exception par les utilisateurs. Pour illustrer ce commentaire, regardons une à une certaines des conditions d’application de l’article 29.22. 3.2.1.1 La copie a été obtenue légalement, autrement que par emprunt ou location, et la personne soit est propriétaire du support ou de l’appareil sur lequel la reproduction est faite, soit est autorisée à l’utiliser Dans les faits, il sera absolument impossible pour les ayants droit de vérifier que l’exemplaire dont est tirée la « reproduction à des fins privées » a été obtenu de façon licite, a fortiori si l’exemplaire à la source de la reproduction a été emprunté. Il en est de même pour la question de la propriété du support ou de l’appareil. Comment savoir si la personne qui a effectué une reproduction était propriétaire du support ou de l’appareil utilisé ? Comment également savoir si la personne était autorisée à utiliser ce support ou cet appareil ? Faut-il que la personne ayant donné l’autorisation sache que la personne autorisée allait utiliser l’appareil pour effectuer une reproduction non autorisée ? Cette question pourrait s’avérer pertinente dans le cas de l’employé utilisant l’ordinateur de son employeur afin d’effectuer le transfert de sa collection de CD sur son lecteur Mp3. Ou de l’étudiant utilisant les ordinateurs de l’université. La notion d’« autorisation », dans les circonstances, doit-elle être interprétée dans le même sens que lorsque employée à l’article 3 de la Loi18 ? Nous entrevoyons non seulement des problèmes de preuve mais aussi des problèmes d’interprétation de ces dispositions, si jamais un ayant droit se risquait à les tester devant les tribunaux19. 18. L’article 3 de la Loi fait la liste des actes réservés au titulaire du droit d’auteur, et inclut « le droit exclusif d’autoriser ces actes ». 19. Au moment d’écrire ces lignes aucune décision sur les articles 29.22, 29.23 ou 29.24 n’avait été rendue. 1012 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.2.1.2 Aucune MTP n’est contournée afin d’effectuer la reproduction Des critiques de cette « exception à l’exception » ont fait valoir que, puisque 29.22 crée un nouveau « droit des utilisateurs », celui-ci ne devait pas être assujetti au bon vouloir des ayants droit qui n’ont qu’à utiliser une MTP sur l’exemplaire vendu de leur œuvre pour faire échec à l’application de l’exception20. Nous sommes d’avis que cette critique est logique dans la mesure où l’on voit la reproduction pour fins privées comme un « droit des utilisateurs » plutôt qu’une simple exception. Viennent ici en contradiction le droit pour le titulaire d’autoriser ou interdire la reproduction de son œuvre, et le « droit » de l’utilisateur de changer son exemplaire de support sans agir dans l’illégalité. À notre avis il ne s’agit pas d’une négation de ce « droit » des utilisateurs, mais bien d’une limitation de ce « droit » aux cas où le titulaire a choisi de ne pas exercer son droit d’interdire la reproduction de son œuvre par le biais d’une MTP. De plus, n’oublions pas que l’exception de l’article 29.22 s’applique également à des œuvres ne se prêtant pas à des MTP : œuvres littéraires en format papier, peintures, etc. De plus les MTP sont dispendieuses pour les ayants droit, ce qui fait qu’elles ne sont pas si courantes. 3.2.1.3 La reproduction n’est donnée à personne Cette condition impose au consommateur de tenir registre de la provenance de chacune des pistes sur son enregistreur audionumérique ou son ordinateur, afin d’éviter de « donner » à quelqu’un une copie issue de l’application de l’exception pour copie à des fins privées de l’article 29.22. Il n’y a également aucune façon pour l’ayant droit de contrôler si une personne en possession d’une reproduction issue de l’application de 29.22 a fait une copie elle-même ou si la copie lui a été donnée. 3.2.1.4 La reproduction n’est utilisée qu’à des fins privées Le terme « fins privées » (ou dans sa version anglaise « private purposes ») n’est pas défini dans la Loi, et il s’agit d’une terminologie 20. Voir à titre d’exemple : Mémoire de l’Union des consommateurs, supra, note 11, p. 17 ; Andrew YOLLES, « In Defence of a Defence – A Demonstrable Legitimate and Non-Infringing Purpose as a Full Defence to Anti-Circumvention Legislation », (2012) 10 Canadian Journal of Law & Technology 75, 86-87 ; Nathan IRVING, « Copyright Law for the Digital World : An Evaluation of Reform Proposals », (2010) 10 Asper Review of International Business and Trade Law 141, aux par. 32-38. Les nouvelles exceptions pour reproduction 1013 introduite par C-11. En effet le régime de la copie privée utilise l’expression « usage privé » (« private use »)21. Donc il est présentement impossible de se fier à la jurisprudence pour nous guider dans l’interprétation de cette dernière (mais non la moindre) condition. La reproduction pour les fins de divertir ses amis Facebook remplit-elle les critères de « fins privées » ? Qu’en est-il de la personne qui laisse un iPod en permanence au chalet parce que la radio n’y entre pas, et que ce chalet est parfois loué à des tiers qui profitent du iPod ? Qu’en est-il de la personne qui fait faire des copies de reproductions d’œuvres d’art pour son chalet, qu’elle loue parfois à des tiers ? Il ne faut pas oublier que l’article 29.22, contrairement au régime de la copie privée de la Partie VIII, n’est pas limité aux œuvres musicales, prestations d’œuvres musicales ou enregistrements sonores d’œuvres musicales. À ces questionnements s’ajoute la confusion créée par la présence d’autres expressions similaires dans la nouvelle Loi, telles « fins non commerciales » (« non-commercial purposes ») (par exemple au nouvel article 29.21 concernant le contenu non commercial généré par l’utilisateur, ou encore à l’alinéa 32.2(1)f) traitant de l’utilisation de photos commandées). Il est intéressant de voir dans cet alinéa 32.2(1)f) l’utilisation à la fois non seulement des expressions « fins non commerciales » et « fins privées », précitées, mais aussi de l’expression « fins personnelles » (« personal purposes »), non encore répertoriée : f) le fait pour une personne physique d’utiliser à des fins non commerciales ou privées – ou de permettre d’utiliser à de telles fins – la photographie ou le portrait qu’elle a commandé à des fins personnelles et qui a été confectionné contre rémunération, à moins que la personne physique et le titulaire du droit d’auteur sur la photographie ou le portrait n’aient conclu une entente à l’effet contraire. [Les italiques sont nôtres.] D’imaginer que le consommateur (pensons un instant au stéréotype de l’adolescent dont la capacité de concentration se limite à un texto, et faisant grand usage des supports et appareils dont il est question à l’article 29.22...) s’y retrouvera – ou voudra faire l’effort de s’y retrouver – relève de l’utopie. 21. Loi sur le droit d’auteur, par. 80(1). 1014 Les Cahiers de propriété intellectuelle De plus, la règle au paragraphe 29.22(4), voulant que l’exception ne s’applique plus si l’exemplaire original à partir duquel la « reproduction à des fins privées » est donné, loué ou vendu sans que les reproductions faites au titre de l’exception n’aient été détruites au préalable, est pour ainsi dire inutile. Qui en effet se souviendra, en allant vendre sa boîte de vieux CD, lesquels ont fait l’objet d’une reproduction à des fins privées sur un disque dur il y a cinq ans ? Cette condition est, de plus, totalement invérifiable pour les ayants droit. Un autre élément ajoute à notre avis à la confusion que risque d’engendrer cette liste de conditions, tant chez l’utilisateur que chez l’ayant droit que chez le juge qui pourrait être appelé à interpréter cette nouvelle disposition : l’utilisation du terme « copie » pour désigner l’exemplaire original qui sert à effectuer la reproduction, et du terme « reproduction » pour désigner la copie qui en résulte. La confusion possible est évidente à la lecture de cette très mauvaise formulation de la première condition d’application de l’exception : « a) la copie de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur reproduite n’est pas contrefaite ». Alors que le terme « copie » est utilisé dans le langage courant pour désigner le résultat d’une reproduction, on l’utilise ici pour désigner l’exemplaire à la source de la reproduction. L’intention (présumée) du législateur aurait été mieux exprimée si l’alinéa 1a) de l’article 29.22 avait plutôt été rédigé comme suit : « a) l’exemplaire original dont est tiré la copie n’est pas contrefait ». Cette critique et plusieurs des commentaires ci-dessus s’appliquent également à la nouvelle exception, prévue à l’article 29.23, permettant le visionnement en différé. 3.2.2 Exception permettant l’écoute ou le visionnement en différé En vertu du nouvel article 29.23, les consommateurs ont maintenant le droit de fixer et de reproduire un signal de communication, y compris une œuvre, une prestation ou un enregistrement sonore communiqué par radiodiffusion, dans le but de regarder une émission en différé si les conditions suivantes sont satisfaites : • La personne reçoit l’émission de façon licite ; • Elle ne contourne pas ni ne fait contourner une MTP pour enregistrer l’émission ; • Elle ne fait pas plus d’un enregistrement de l’émission ; Les nouvelles exceptions pour reproduction 1015 • Elle ne conserve l’enregistrement que le temps vraisemblablement nécessaire pour écouter ou regarder l’émission à un moment plus opportun ; • Elle ne donne l’enregistrement à personne ; • Elle n’utilise l’enregistrement qu’à des fins privées22 ; • L’œuvre, la prestation ou l’enregistrement sonore ne sont pas reçus dans le cadre de la fourniture d’un service sur demande23. Tout comme celles de l’article 29.22, les conditions d’application de cette nouvelle exception sont nombreuses et ne pourront dans les faits être vérifiées par les ayants droit. Mentionnons quelques difficultés liées à certaines des conditions de l’article 29.23. Premièrement, comment un ayant droit pourra-t-il savoir si la copie faite pour visionnement différé d’une émission de télévision a été la seule copie qui a été faite, ou que l’usager n’a conservé la copie « que le temps nécessaire pour regarder l’émission à un moment plus opportun » ? Qu’est-ce d’ailleurs que ce « temps nécessaire » ? Un usager pourrait-il prétendre qu’il peut conserver la copie pendant des années, tant qu’il n’a pas visionné l’émission ? C’est ce que permettent en tout cas la plupart des enregistreurs numériques pour télévision. À l’évidence, il sera, comme pour l’article 29.22, impossible en pratique de vérifier que les conditions de l’exception ont été satisfaites. Il sera tout aussi difficile de s’y retrouver pour le consommateur qui, dans un excès de zèle alors que l’ayant droit n’a aucun moyen de faire appliquer les droits qui lui restent, voudrait se conformer aux conditions de 29.23. Pourtant, il aurait été possible, à l’instar de certains pays européens tels la France, d’élargir le régime de copie privé avec compensation (dont il est question au point 1 ci-dessus) pour y inclure le secteur de l’audiovisuel, et rendre la notion de support plus large24. 22. Loi sur le droit d’auteur, par. 29.23(1). 23. Loi sur le droit d’auteur, par. 29.23(2). 24. Code de propriété intellectuelle (France), art. L311-1 : « Les auteurs et les artistes-interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites œuvres, réalisée à partir d’une source licite dans les conditions mentionnées au 2o de l’article 122-5 et au 2o de l’article L 211-3. 1016 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le visionnement ou l’écoute en différé auraient alors plus légitimement été « légalisés », et les critères d’application auraient donc pu être moins rigides et compliqués. 3.2.3 Élargissement de l’exception permettant la copie de sauvegarde Avant 2012, le droit d’effectuer des copies de sauvegarde était limité aux logiciels (appelés « programmes d’ordinateurs » dans la Loi) : 30.6 Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour le propriétaire d’un exemplaire – autorisé par le titulaire du droit d’auteur – d’un programme d’ordinateur, ou pour le titulaire d’une licence permettant l’utilisation d’un exemplaire d’un tel programme : [...] b) de reproduire à des fins de sauvegarde l’exemplaire ou la copie visée à l’alinéa a) s’il établit que la reproduction a été détruite dès qu’il a cessé d’être propriétaire de l’exemplaire ou titulaire de la licence, selon le cas. La nouvelle exception prévue à l’article 29.24 permet la création de copies de sauvegarde de tout type d’œuvre ou autre objet du droit d’auteur, à partir d’une copie originale non contrefaite et sans contournement de MTP : 29.24 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour la personne qui est propriétaire de la copie (au présent article appelée « copie originale ») d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur, ou qui est titulaire d’une licence en autorisant l’utilisation, de la reproduire si les conditions ci-après sont réunies : a) la reproduction est effectuée exclusivement à des fins de sauvegarde au cas où il serait impossible d’utiliser la copie originale, notamment en raison de perte ou de dommage ; Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des œuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée à partir d’une source licite, dans les conditions prévues au 2o de l’article L 122-5, sur un support d’enregistrement numérique. » Les nouvelles exceptions pour reproduction 1017 b) la copie originale n’est pas contrefaite ; c) la personne ne contourne pas ni ne fait contourner une mesure technique de protection, au sens de ces termes à l’article 41, pour faire la reproduction ; d) elle ne donne aucune reproduction à personne. (2) Une des reproductions faites au titre du paragraphe (1) est assimilée à la copie originale en cas d’impossibilité d’utiliser celle-ci, notamment en raison de perte ou de dommage. (3) La personne est tenue de détruire toutes les reproductions faites au titre du paragraphe (1) dès qu’elle cesse d’être propriétaire de la copie originale ou d’être titulaire de la licence qui en autorise l’utilisation. Cette nouvelle exception a de quoi rendre perplexe. En effet, il existe maintenant deux régimes s’appliquant aux copies de sauvegarde : un pour les logiciels, et un autre pour le reste des œuvres et autres objets du droit d’auteur, mais sans exclure expressément les logiciels. Le consommateur qui reproduit un logiciel dans le but d’en faire une copie de sauvegarde et qui se fait poursuivre par le titulaire des droits sur ce logiciel a-t-il donc droit à deux chances au bâton, en appliquant un régime de façon alternative en cas d’échec de l’application de l’autre exception ? Plus fondamentalement, cependant, on doit aussi se demander dans quel but le législateur a créé une exception séparée à l’article 29.24, alors que la copie de sauvegarde qui n’est donnée à personne peut dans bien des cas être assimilable à une reproduction « à des fins privées » couverte par l’exception de l’article 29.22. Dans le cas de la musique, la copie de sauvegarde faite sur un CD, par exemple, pourrait également tomber sous l’exception du régime de la Partie VIII. Donc dans le cas d’une copie de sauvegarde de musique sur un CD, quel régime prévaut ? Celui de l’article 29.24 ou celui de la Partie VIII ? La Loi telle qu’amendée est muette à ce sujet. 3.3 Le résultat : une Loi plus moderne... vraiment ? L’introduction de nouvelles exceptions couvrant certaines reproductions faites par les consommateurs, sans pour autant modifier le système de redevances pour copie privée, a l’effet pervers de 1018 Les Cahiers de propriété intellectuelle créer, dans les faits, cinq situations possibles auxquelles peuvent faire face le consommateur et les ayants droit, avec, comme nous l’avons vu, plusieurs possibilités de chevauchements : 1. Le régime de la Partie VIII, prévoyant le versement de redevances sur les supports audio dans le but de compenser les créateurs pour les reproductions faites pour « usage privé » ; 2. La nouvelle exception pour reproduction à des « fins privées », qui permet la reproduction sur un support ou un appareil autre que ceux prévus sous le régime existant, mais qui ne prévoit pas de redevance en contrepartie ; 3. La nouvelle exception permettant la reproduction pour visionnement ou écoute en différé pour des « fins privées », mais avec des critères d’application différents de ceux de l’exception pour « reproduction à des fins privées », sans compensation pour les ayants droit ; 4. La nouvelle exception pour copie de sauvegarde, elle aussi avec des critères d’application qui diffèrent de ceux du régime de copie privée de la Partie VIII et de celui de l’article 29.22 alors que dans certaines situations l’article 29.24 pourrait s’appliquer de manière concurrente à la Partie VIII (lorsque la copie de sauvegarde est faite sur un CD ou un MiniDisc) ou à l’article 29.22 (lorsque la copie de sauvegarde est faite sur un autre support ou appareil) ; et 5. Le régime général à l’effet qu’une autorisation doit être obtenue avant de faire la reproduction d’un objet du droit d’auteur, pour toute reproduction par un consommateur pour des « fins privées », un « usage privé », des « fins non-commerciales » ou des « fins personnelles » mais qui ne remplit pas les critères de l’un ou de l’autre des quatre autres régimes énumérés ci-dessus. Il n’y a aucune justification logique à cette distinction entre les divers types de copies faites par les consommateurs pour leur usage personnel. Une copie, qu’elle soit faite sur un CD vierge, sur le disque dur d’un ordinateur ou sur un enregistreur audionumérique, demeure une copie. Tel que mentionné plus avant, il y a fort à parier que ni le consommateur, ni l’ayant droit ni le juge ne s’y retrouveront. Les consommateurs finiront par faire ce qu’ils veulent dans le confort de Les nouvelles exceptions pour reproduction 1019 leur foyer, sans grand moyen pour les ayants droit de contrôler toutes ces copies privées. La réforme de 1997 avait apporté une solution qui, bien qu’elle ne soit pas parfaite, venait corriger les défaillances créées dans le marché par la facilité grandissante (et souhaitable) qu’ont les consommateurs à effectuer des reproductions de tous genres. Le Canada avait alors fait le choix de créer une exception assortie d’une compensation, favorisant ainsi la gestion collective d’un nouveau droit à rémunération25, tout comme plusieurs pays européens avant lui. Que l’on adhère ou non au bien-fondé du régime de copie privée de la Partie VIII, il faut bien admettre que la Loi telle qu’elle se lit depuis le 7 novembre 2012 présente un illogisme flagrant dans son traitement des reproductions que peuvent faire les individus pour des fins personnelles. L’aspect compliqué des nouvelles exceptions, ainsi que l’absence de logique des modifications proposées, va à l’encontre d’au moins un des principes énoncés dans le préambule du Projet C-11, c’est-à-dire que la Loi devrait contenir des « règles claires, prévisibles et équitables ». Nous sommes également d’avis que la règle voulant que la Loi soit technologiquement neutre, répétée dans les dispositions introductives de C-11, n’est pas respectée dans la mesure où un régime différent s’applique selon le support choisi par l’utilisateur pour stocker ses copies privées. On peut également se demander si ces nouvelles exceptions sans compensation respectent les exigences du « triple test » imposé par les traités internationaux, que les changements introduits par C-11 sont supposés mettre en œuvre. En effet, on crée de nouvelles exceptions sans compensation, alors que le régime de copie privée (avec compensation) déjà en place aurait pu être mis à jour pour s’adapter aux nouvelles technologies. Au lieu que l’exception sans compensation s’applique à des « cas spéciaux », c’est le régime avec compensation qui est marginalisé et devient un « cas spécial ». Certains diront que ces nouvelles exceptions sont assimilables à une expropriation. 25. Rapport du Sous-comité sur la révision du droit d’auteur, Une charte des droits des créateurs et créatrices, Ottawa, Centre d’édition du gouvernement du Canada, 1985. Cette idée a ensuite été abandonnée, puis reprise en 1993 pour ensuite donner lieu aux amendements de 1997. 1020 Les Cahiers de propriété intellectuelle 4. Enregistrements éphémères par les radiodiffuseurs – Copier davantage pour moins payer C-11 a également modifié la disposition concernant les enregistrements éphémères destinés à la radiodiffusion. Plus précisément, le paragraphe 30.9(6) de la version antérieure de la Loi a été abrogé. Celui-ci prévoyait que l’exception concernant les enregistrements éphémères ne s’applique pas dans les cas où l’entreprise peut obtenir, par l’intermédiaire d’une société de gestion, une licence l’autorisant à faire une telle reproduction : (6) Le présent article ne s’applique pas dans les cas où l’entreprise peut obtenir, par l’intermédiaire d’une société de gestion, une licence l’autorisant à faire une telle reproduction. La suppression de cette disposition semble indiquer une intention d’éliminer l’obligation qu’ont actuellement les radiodiffuseurs de payer des redevances pour les reproductions effectuées à des fins de radiodiffusion, dans la mesure où les autres conditions d’application de l’article 30.9 sont réunies : • L’entreprise de radiodiffusion reproduit un enregistrement sonore ou prestation d’une œuvre aux fins de leur radiodiffusion ; • L’entreprise a obtenu une licence permettant l’utilisation de l’exemplaire servant à la reproduction éphémère ; • L’entreprise est autorisée à communiquer l’enregistrement sonore, la prestation ou l’œuvre au public par télécommunication ; • Elle effectue la reproduction par ses propres moyens et pour sa propre diffusion ; • La reproduction n’est pas synchronisée avec une autre œuvre, prestation ou enregistrement sonore ; et, • La reproduction n’est pas utilisée dans une publicité26. « Détail » important, pour que l’exception s’applique, l’entreprise doit également détruire la reproduction dans les 30 jours 26. Loi sur le droit d’auteur, par. 30.9(1). Les nouvelles exceptions pour reproduction 1021 suivant sa réalisation27, à moins d’une autorisation à l’effet contraire du titulaire du droit d’auteur. Avant l’entrée en vigueur de C-11, les radiodiffuseurs n’avaient généralement pas accès à l’exception de l’article 30.9. En effet des licences étaient disponibles de la part des sociétés de gestion du droit de reproduction, la plupart du temps par l’entremise de l’homologation de tarifs par la Commission du droit d’auteur (la « Commission ») en vertu des articles 70.1 et suivants de la Loi. Les radiodiffuseurs n’ont pas tardé à saisir la Commission de la question de l’abrogation du paragraphe 30.9(6). Dès le lendemain de l’entrée en vigueur de C-11, l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ci-après « ACR », en anglais Canadian Association of Broadcasters ou « CAB ») a déposé une requête à la Commission. Cette requête demandait à ce que les redevances payables par les stations de radio à diverses sociétés de gestion du droit de reproduction soient réduites ou éliminées à partir du 7 novembre 2012, pour tenir compte des changements dans la Loi, dont l’entrée en vigueur de l’article 29.24 sur les copies de sauvegarde et des amendements à l’article 30.928. La Commission a rejeté cette requête pour plusieurs raisons, tant procédurales que davantage sur le mérite. Citons quelques passages : [8] Premièrement, il est faux de prétendre que les règles invoquées par l’ACR privent de fondement juridique tout tarif visant la reproduction d’un enregistrement sonore ou d’une prestation ou œuvre fixée au moyen d’un enregistrement sonore par les stations de radio commerciales. À cet égard, la demande est insoutenable à sa face même. En supposant que toute les stations puissent invoquer en ce moment toutes les dispositions sur lesquelles la demande se fonde, il leur serait impossible de prouver maintenant qu’elles s’y conformeront à l’avenir. En admettant même, pour l’instant, que ces « droits des utilisateurs » méritent tous une interprétation libérale, il revient néanmoins à chaque station d’établir si elle peut s’en 27. [...] ou à la date où l’enregistrement sonore, la prestation ou l’œuvre n’est plus en sa possession ou à l’expiration de la licence d’utilisation, selon la plus rapprochée de ces dates (par. 30.9(4)). 28. Application by the Canadian Association of Broadcasters for Interim and Permanent Relief – Commercial Radio Reproduction Tariffs, rendu le 7 novembre 2012. 1022 Les Cahiers de propriété intellectuelle prévaloir et ce, à l’égard de chaque utilisation par ailleurs protégée. Or certaines pourraient ne pas pouvoir établir qu’elles respectent toutes les conditions d’application de toutes les exceptions pour l’ensemble des reproductions qu’elles effectuent. Deux exemples suffiront, à titre d’illustration. [9] À première vue, il semblerait qu’une station ne puisse se prévaloir des articles 29.24 et 30.9 de la Loi si la copie d’origine est contrefaite. Une maison de disque a besoin de la permission du titulaire des droits sur une œuvre musicale avant de l’endisquer. Règle générale, on obtient cette permission avant d’endisquer pour un premier enregistrement. Par contre, lorsqu’il s’agit de réenregistrer une œuvre déjà endisquée, il arrive souvent qu’une maison de disque ne demande cette permission qu’après avoir lancé le nouvel enregistrement ; parfois, la licence n’est jamais octroyée. La copie de l’œuvre que la maison de disque fournit à la station de radio est donc contrefaite. Dans quelle mesure cela empêcherait-il la station qui copie le nouvel enregistrement de se prévaloir de l’exception ? Dans le même registre, la Commission a constaté que la copie que livre un service de distribution de musique numérique (SDMN) est sans doute autorisée pour ce qui est de l’enregistrement sonore, mais ne l’est pas pour ce qui est de l’œuvre musicale : Tarif pour la radio commerciale (SOCAN : 2008-2010 ; Ré : Sonne : 20082011 ; CSI : 2008-2012 ; AVLA/SOPROQ : 2008-2011 ; ArtistI : 2009-2011) [Note 4 (9 juillet 2010) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 151.]. Une station peut-elle se prévaloir de l’article 30.9 de la Loi si tel est le cas. [...] [13] Troisièmement, l’argumentation de l’ACR ne peut justifier une réduction de redevances pour l’ensemble de l’industrie que si toutes les stations opèrent de la même façon. Or, bien au-delà de ce que la Commission sait déjà à cet égard, le libellé de la demande confirme que tel n’est pas le cas. Il y est dit que la copie d’évaluation est parfois de qualité moindre que le CD et parfois pas [para. 27], que c’est parfois la copie SDMN qui sert à l’évaluation et parfois non [para. 28b], ou encore que le directeur des programmes n’est pas toujours en mesure de procéder à l’évaluation à partir du fichier SDMN ou du CD [para. 28d]. Vu l’apparente absence de pratiques uniformes, il faudra procéder soit par échantillonnage, soit par recensement pour en Les nouvelles exceptions pour reproduction 1023 établir les variations. Il s’agit encore une fois de preuve relevant davantage de l’examen au fond.29 [Les italiques sont nôtres.] La Commission laisse donc la porte ouverte à ce que des tarifs pour la reproduction d’œuvres et autres objets du droit d’auteur par les radiodiffuseurs continuent d’être homologués, dans la mesure où une association de radiodiffuseurs ne peut prouver d’avance, du moins dans l’état actuel des choses, que chacun des diffuseurs qu’elle représente (ou ne représente pas) respectera toutes les conditions d’application d’au moins une des exceptions identifiées. La Commission s’est exprimée dans des termes similaires face à une demande de la CBC de réduire les taux de redevances imposées dans un tarif intérimaire de la SODRAC pour tenir compte entre autres de l’entrée en vigueur des amendements à l’article 30.930. Au moment d’écrire ces lignes31, aucune décision sur le fond n’avait donc été rendue sur les récentes modifications à l’article 30.9. Cependant les débats introduits devant la Commission par l’ACR et CBC seront à suivre dans les prochains mois (et années, car on doit presque tenir pour acquis que les décisions de la Commission feront l’objet de révisions judiciaires par la suite). L’ACR vient d’ailleurs de déposer, le 13 août 2013, son énoncé de cause sur ces questions dans le dossier des tarifs de la radio commerciale pour les années 20122013 (CSI), 2012-2014 (ArtistI) et 2012-2017 (AVLA/SOPROQ)32. L’élimination du paragraphe (6) y est présentée comme un moyen alternatif pour les stations de radio de se prévaloir des divers « droits des utilisateurs » nouvellement créés par C-11, dont ceux des articles 30.7 (reproductions temporaires pour processus technologiques) et 29.24 (copies de sauvegarde)33. Les énoncés de cause des sociétés de gestion sur ces sujets n’étaient pas disponibles au moment d’écrire ces lignes. Elles le seront fort probablement au moment de la publication de ce texte34. 29. Copyright Act, section 66.51 (Re), [2013] D.C.D.A. 2, par. 8-9 et 13. 30. SOCAN (2008-2010), Ré :Sonne (2008-2011), CSI (2008-2012), AVLA/SOPROQ (2008-2011), ARTISTI (2009-2011), Décision provisoire [2013] D.C.D.A. 3. 31. Juillet-août 2013. 32. Statement of Case of Canadian Association of Broadcasters, Phase I – 9 août 2013 (version publique). 33. Ibid., p. 11. 34. Selon l’échéancier en vigueur au moment d’écrire ces lignes, les énoncés de cause des sociétés de gestion sur les questions soulevées dans le document du 13 août 2013 de l’ACR doivent être déposés le 17 septembre 2013. 1024 Les Cahiers de propriété intellectuelle Tout comme pour les nouvelles exceptions des articles 29.22, 29.23 et 29.24, on peut se demander si les changements à 30.9 respectent les exigences du « triple test » imposé par les traités internationaux. Le préjudice aux ayants droit est évident, et on porte clairement atteinte à l’exploitation normale des œuvres, prestations et enregistrements sonores, puisque la gestion collective du droit de reproduction de ceux-ci étaient devenus une réalité au Canada 35. D’autre part, cette exigence de destruction après 30 jours pour pouvoir se prévaloir de l’exception crée, pour les radiodiffuseurs, une contrainte administrative artificielle ne bénéficiant aucunement aux ayants droit (sauf bien sûr si la contrainte est si lourde que le radiodiffuseur pourrait plutôt choisir de payer une redevance aux sociétés de gestion pour pouvoir garder sa liste de lecture intacte plus longtemps). L’avenir nous dira comment ce nouvel article 30.9 sera géré, tant légalement par la Commission et les tribunaux que techniquement par les radiodiffuseurs. Mais à première vue, et de l’aveu même des radiodiffuseurs36, ce « régime de destruction » aura pour effet de multiplier le nombre de copies effectuées, sans aucune valeur ajoutée ni pour les ayants droit, ni pour les diffuseurs euxmêmes, ni pour le public auquel est destinée la programmation des diffuseurs. Loin de favoriser la créativité, l’un des objectifs déclarés de C-11, l’article 30.9 tel qu’amendé prive les créateurs d’une source importante de rémunération, tout en créant une nouvelle tâche administrative inutile au sein des entreprises de radiodiffusion. Dans le jargon des affaires, on appelle cela créer des inefficacités. 5. (Triste) constat Les exceptions et amendements discutés dans cet article ne livrent pas la « marchandise » annoncée dans les dispositions introductives de C-11, notamment des « règles claires, prévisibles et 35. Tarif des redevances à percevoir par la SOCAN, Ré :Sonne, CSI, AVLA/SOPROQ et ArtistI à l’égard des stations de radio commerciale, diverses années, Supplément Gazette du Canada, Partie I, le 10 juillet 2010, erratum le 22 janvier 2011. Un tarif provisoire est présentement en vigueur depuis le 7 novembre 2012 en ce qui a trait à CSI (Décision provisoire de la Commission du droit d’auteur du 21 décembre 2012 : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2012/radio-21122012. pdf>. 36. Canadian Association of Broadcasters, Submission on Bill C-11, The Copyright Modernization Act, non daté, par. 16-22, en ligne : <http://www.parl.gc.ca/ Content/HOC/Committee/411/CC11/WebDoc/WD5459877/411_C11_Copy right_Briefs%5CCanadianAssociationofBroadcasters2E-Copy.pdf>. Les nouvelles exceptions pour reproduction 1025 équitables, favoris[ant] la créativité et l’innovation », ainsi qu’un meilleur accès aux œuvres et autres objets du droit d’auteur pour les utilisateurs tout en favorisant la reconnaissance et la rémunération des créateurs dans une loi technologiquement neutre. D’autre part, les exceptions introduites par les articles 29.22 et 29.23 (entre autres) marquent une coupure d’avec les choix de société qui avaient été faits par le Canada il n’y a pas si longtemps en favorisant la gestion collective et en introduisant dans la Loi, en 1997, le régime de copie privée (avec compensation) de la Partie VIII. Nous laissons à d’autres le soin de discuter plus précisément du respect (ou non) par le Canada des critères du « triple test » imposé par les traités internationaux qu’il a signés. Mais le retrait de la possibilité pour les ayants droit d’autoriser ou d’interdire certains actes, sans l’assortir d’un droit à rémunération compensatoire, nous paraît douteux, dans le contexte où la gestion collective du droit d’auteur, avec l’aide de la très spécialisée Commission, est une réalité bien établie au Canada. Ce (triste) constat nous laisse entrevoir que l’OMC aurait devant elle une cause solide si un pays membre décidait de contester certaines des nouvelles dispositions de C-11, dont celles discutées dans cet article. Vol. 25, no 3 Aspects internationaux de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur du Canada Ysolde Gendreau* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1029 1. Les modifications le moins controversées . . . . . . . . . 1030 1.1 Durée de protection des photographies . . . . . . . . 1031 1.2 Droits des artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1032 1.3 Droit de distribution/épuisement . . . . . . . . . . . 1033 1.4 Mesures techniques de protection et information sur le régime des droits . . . . . . . . . . . . . . . . 1034 2. Les modifications le plus controversées . . . . . . . . . . 1036 2.1 Droit de mise à disposition . . . . . . . . . . . . . . 1037 2.2 Recours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1039 © Ysolde Gendreau, 2013. * Professeure, Faculté de droit, chercheure, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal. Ce texte reprend et amplifie les propos tenus lors du colloque de l’ALAI Canada sur les amendements à la loi canadienne sur le droit d’auteur qui a eu lieu à Montréal le 28 septembre 2012. 1027 1028 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2.1 Dommages-intérêts préétablis . . . . . . . . . 1040 2.2.2 Régime de responsabilité des fournisseurs de service Internet . . . . . . . . . . . . . . . 1042 2.3 Exceptions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1044 2.3.1 Utilisation équitable . . . . . . . . . . . . . . 1045 2.3.2 Copies privées . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1046 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1049 Introduction La naissance du projet de loi C-111, qui a mené à la Loi sur la modernisation du droit d’auteur2 au Canada en 2012, est intimement liée à l’existence de traités internationaux. Quand la Phase II de révision sur la Loi sur le droit d’auteur se terminait en 19973, les « Traités Internet », à savoir le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (TODA) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TOIEP), étaient déjà adoptés depuis décembre 1996. C’est donc dire que la question d’intégrer ou non les éléments qui y étaient abordés dans le processus de révision en cours était évidemment à l’esprit du législateur. Pour ne pas alourdir un dossier qui était déjà difficile à gérer, il a été choisi de ne pas entreprendre les nouveaux sujets qui étaient abordés dans ces traités. L’« agenda numérique » était donc reporté à plus tard et c’est ainsi que la loi de 2012 fait entrer pleinement le droit d’auteur canadien dans l’ère numérique. Il est bon de rappeler ici que, tout comme le projet de loi C-11 s’est inscrit dans un processus de réforme, les Traités OMPI de 1996 tiennent un rôle particulier dans l’histoire des traités internationaux du droit d’auteur. Depuis l’Acte de Paris de 1971, la Convention de Berne n’a pas été modifiée. D’une certaine manière, une mise à jour de son droit conventionnel a été effectuée dans le cadre des négociations du traité de l’Organisation mondiale du commerce en 1994 qui se sont traduites par la conclusion de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle concernant le commerce (ADPIC). Piquée par ce développement, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle a réussi à produire les Traités OMPI deux ans plus tard. Ici encore, à la manière de l’accord ADPIC qui, en matière de droit d’auteur, a été bâti sur la Convention de Berne, les Traités OMPI sont construits sur l’accord ADPIC. Une différence notable existe toutefois entre les deux : les traités de 1996 demeurent des instru1. Projet de loi C-11, Chambre des communes, 1re session, 41e Parlement, 60 Elizabeth II, 2011 (1re lecture : 29 septembre 2011). 2. L.C. 2012, ch. 20. 3. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, ch. 24. 1029 1030 Les Cahiers de propriété intellectuelle ments de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. On ne saurait donc les associer directement au mécanisme de sanctions de l’Organisation mondiale du commerce qui accompagne l’accord ADPIC. La Loi sur la modernisation du droit d’auteur n’est pas que la transposition en droit interne des Traités OMPI, mais cette dimension internationale de la loi constitue un aspect essentiel de l’exercice législatif. On abordera ici les modifications qui sont apportées à la loi canadienne sur le droit d’auteur en fonction des règles qui sont imposées par ces traités auxquels, au moment de la rédaction de ces lignes, le Canada n’a pas encore formellement adhéré. Dans un premier temps, on fera état des modifications qui sont les moins controversées à la lumière de ces traités (1). Ce terrain étant dégagé, une plus longue part de nos propos sera consacrée aux amendements qui sont appelés à susciter davantage d’interrogations (2). 1. Les modifications le moins controversées L’absence ou le peu de controverses auquel on peut faire allusion lorsqu’il s’agit des amendements à la Loi sur le droit d’auteur ne fait pas référence ici aux débats politiques sur le fond que les nouveaux textes présentent. C’est de conformité aux traités internationaux qu’il est question ici, et cet aspect de la législation en est un qui, probablement par définition, n’est pas de nature à susciter le même intérêt au cours d’un processus de révision que l’essence même des amendements qui sont en jeu. De toutes les modifications qui ont été apportées à la loi, quatre éléments peuvent être considérés comme étant susceptibles de ne pas remettre en question la manière dont le législateur a intégré les règles internationales. Il s’agit de la durée de protection des photographies (1.1), des droits des artistes – interprètes et des producteurs de phonogrammes (1.2), du droit de distribution (1.3), ainsi que des mesures techniques de protection et de l’information sur le régime des droits (1.4). Avant d’étudier ces questions plus en détail, il est nécessaire de faire deux petites mises au point. Tout d’abord, il faut reconnaître que, jusqu’à tout récemment avec le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées, les traités de propriété intellectuelle créent des seuils minimaux de protection. Il en est de même avec les Traités OMPI. On ne saura donc retenir contre le Canada le fait qu’il soit allé au-delà de ses obligations internationales et qu’il ait profité de la situation pour Aspects internationaux de la LMDA 1031 traiter certaines questions de manière plus complète. Par ailleurs, étant donné la nature des Traités OMPI, certaines de leurs dispositions avaient déjà été intégrées en droit canadien à l’occasion soit de la mise en œuvre de l’accord ADPIC4, soit de la Phase II de la révision de la Loi sur le droit d’auteur5. Voilà pourquoi, par exemple, les débats entourant les logiciels, les compilations, ou encore le droit de location seront passés sous silence. 1.1 Durée de protection des photographies L’article 9 du TODA impose aux parties contractantes de ne plus appliquer la règle particulière de durée de protection des photographies qui se trouve à l’article 7, paragraphe 4 de la Convention de Berne. Cet article permet en effet aux membres de l’Union de n’accorder aux œuvres photographiques qu’une durée de protection de 25 années à compter de leur création. Cette durée de protection, qui avait été insérée dans la Convention de Berne par l’Acte de Stockholm de 1967 et reprise dans l’Acte de Paris de 1971, reflétait le malaise longtemps toléré par le milieu de la création photographique face à la protection de ces œuvres créées à l’aide d’un appareil technique6. L’évolution des mentalités et des technologies rendait ce particularisme de plus en plus désuet. À l’origine, cette règle permettait d’accommoder des pays comme l’Angleterre, et ceux dont les lois en étaient inspirées, qui avaient une règle de durée de protection des photographies qui était indépendante de la vie de leurs auteurs. Le Canada demeurait l’un des rares pays à ne pas avoir abandonné cette règle ancienne issue de la loi impériale de 1911. La Loi sur la modernisation du droit d’auteur a donc conduit à l’abrogation de l’article 10 de la loi canadienne sur le droit d’auteur qui, malgré des modifications qui avaient été apportées lors de la Phase II de la révision, maintenait encore cette règle pour un certain nombre de photographies. Le régime spécial de durée de protection était accompagné d’une définition de l’auteur de la photographie qui était propre à cette catégorie d’œuvres7. La disparition de la durée particulière du 4. Loi de mise en œuvre de l’accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47. 5. Supra, note 3. 6. Voir Ysolde GENDREAU, « La durée de protection des photographies : une donnée révélatrice », (1993) 5:3 Cahiers de propriété intellectuelle 375. 7. « Le propriétaire, au moment de la confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original est considéré comme l’auteur de la photographie, et si ce propriétaire est une personne morale, celle-ci est 1032 Les Cahiers de propriété intellectuelle droit d’auteur a donc pu entraîner avec elle celle de la définition de l’auteur de la photographie. En outre, la règle déterminant l’auteur de la photographie n’était pas la seule particularité en matière de titularité du droit d’auteur sur ces œuvres. La loi comportait aussi une autre disposition qui, elle, avait trait à la titularité du droit d’auteur sur les photographies, gravures, et portraits qui faisaient l’objet de contrats de commande, disposition qui accordait la titularité du droit d’auteur sur l’œuvre à la personne qui l’avait commandée8. Cette règle a elle aussi été abolie. Son esprit n’a toutefois pas complètement disparu, car une nouvelle exception à la loi a été introduite pour permettre à des personnes physiques « d’utiliser à des fins non commerciales ou privées – ou de permettre d’utiliser à de telles fins – la photographie ou le portrait qu’elle a commandé à des fins personnelles et qui a été confectionné contre rémunération » à moins d’une entente à l’effet contraire9. La conformité au Traité OMPI en matière de durée de protection des photographies a donc provoqué des modifications de plus grande ampleur. 1.2 Droits des artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes La réforme des droits voisins avait été une réalisation importante de la Phase II de révision sur la Loi sur le droit d’auteur en 1997. Le Canada, en tant que pays de copyright, s’était alors distingué en suivant un modèle de protection qui conçoit cette dimension de la propriété littéraire et artistique selon l’esprit qui anime la Convention de Rome en la matière. La réforme de 2012 a donc permis de reformuler ou d’ajouter des droits économiques à ceux qui avaient été instaurés en 1997. Le texte législatif qui en découle fait en sorte que les droits sont rédigés en fonction de l’appartenance des ressortissants canadiens et étrangers aux traités internationaux, en distinguant les ressortissants des pays appartenant soit à la Convention de Rome soit aux Traités OMPI de ceux qui sont des ressortissants des pays de l’OMC10. La grande nouveauté, bien sûr, est la réputée, pour l’application de la présente loi, être un résident habituel d’un pays signataire, si elle y a fondé un établissement commercial. » Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, par. 10(2) (abrogé). 8. Loi sur le droit d’auteur, par. 13(2) (abrogé). 9. Loi sur le droit d’auteur, al. 32.2(1)f). 10. La situation est particulièrement marquée dans le cas des artistes-interprètes. Même s’ils figurent dans le même article, les critères de rattachement aux pays membres du TOIEP sont énoncés dans un paragraphe distinct (par. 15(2.2)) de ceux qui relèvent de la Convention de Rome (par. 15(2)). Le régime de droits des artistes-interprètes ayant pour seul critère de rattachement une prestation ayant lieu dans un pays membre de l’OMC demeure déterminé par l’article 26. Aspects internationaux de la LMDA 1033 reconnaissance des droits moraux aux artistes-interprètes. Cette reconnaissance a été faite dans les mêmes termes que ceux qui existent pour les auteurs d’œuvres11. 1.3 Droit de distribution/épuisement Il est difficile de traiter du droit de distribution sans évoquer en même temps son corollaire : la doctrine de l’épuisement12. D’un point de vue technique, cependant, cela est tout à fait possible. Pour preuve, l’accord ADPIC, qui a été conçu pour accompagner tout un ensemble de règles portant sur les échanges commerciaux internationaux, ne fait aucune référence à un droit de distribution et précise que « aucune disposition du présent accord ne sera utilisée pour traiter la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle13. » Si telle était la position en 1994 pour l’ensemble de la propriété intellectuelle, il faut croire que l’idée a cheminé davantage en deux ans dans le seul domaine du droit d’auteur. Tout en maintenant la ligne de conduite qui laisse les pays membres libres de déterminer la portée de la règle de l’épuisement, les deux Traités OMPI imposent l’obligation d’introduire un droit de distribution relatif aux différents objets qu’ils visent14. Ainsi le Canada a dû mettre un terme aux hésitations quant au point de savoir si un tel droit existait bel et bien dans la Loi sur le droit d’auteur15 et a donc ajouté à la nomenclature des diverses prérogatives des titulaires de droit d’auteur, dans les trois cas visés par les Traités OMPI, un droit spécifique portant sur le transfert de propriété des objets qui incorpore des œuvres16, des prestations d’artistes-interprètes17, ou des enregistrements sonores protégés18. Le Canada a cependant dépassé les attentes des rédacteurs des traités en intégrant, dans la formulation même des droits, l’épuisement qui s’y rattache. Le choix du Canada s’est porté sur l’épuisement international et il s’avèrera certainement intéressant d’en surveiller les conséquences. Plusieurs situations seront à suivre. D’abord, les dispo11. Loi sur le droit d’auteur, art. 17.1, 17.2, 28.1, et 28.2. 12. Sur ce sujet, voir Frédéric POLLAUD-DULIAN, Le droit de destination – le sort des exemplaires en droit d’auteur (Paris, L.G.D.J., 1989). 13. ADPIC, art. 6. 14. TODA, art. 6 ; TOIEP, art. 12. 15. Sur ce sujet, voir Pierre-Emmanuel MOYSE, Le droit de distribution : analyse historique et comparative en droit d’auteur (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007). 16. Loi sur le droit d’auteur, al. 3(1)j). 17. Ibid., al. 15(1.1)e). 18. Ibid., al. 18 (1.1)b). 1034 Les Cahiers de propriété intellectuelle sitions de la Loi sur le droit d’auteur concernant l’importation d’œuvres et d’autres objets relevant des droits voisins n’ont pas été modifiées à cette occasion19. Une brève lecture de celles-ci laisse pourtant présager quelques difficultés. Par exemple, comment concilier cet épuisement international avec la possibilité d’intervenir lorsque la production d’un livre « s’est faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production, mais leur importation s’est faite sans le consentement du titulaire du droit d’auteur au Canada »20 ? Une autre source de difficulté provient des rapports avec les autres droits de propriété intellectuelle. Aucune loi de propriété industrielle n’établit de règle claire en la matière. La situation risque de devenir particulièrement complexe dans les cas où, comme cela peut si souvent se produire avec les marques de commerce, un même objet tangible incorpore deux droits de propriété intellectuelle distincts. Mais il n’est pas nécessaire de sortir du cadre du droit d’auteur pour identifier une conjoncture hautement délicate : la décision de la Cour suprême du Canada, en juillet 2012, de considérer le téléchargement d’œuvres comme une vente d’objets alors que la diffusion en continu relèverait de la communication au public suffit en elle-même pour laisser entrevoir de longues années de débats judiciaires21. Le droit de distribution est donc susceptible de prendre une importance qui était sans doute insoupçonnée au moment de sa conception. 1.4 Mesures techniques de protection et information sur le régime des droits La grande nouveauté des Traités Internet de 1996 réside sans contredit dans leurs obligations relatives aux mesures techniques de protection et à la protection de l’information sur le régime des droits qui accompagne la diffusion des œuvres en format électronique. Ces mesures de « para-droit d’auteur » constituent bel et bien la traduction juridique de la célèbre formule « the answer to the machine is in the machine ». Si la mise en œuvre de l’obligation visant les informations sur le régime des droits n’appelle pas de véritables commentaires22, il en va autrement de celle touchant les mesures techniques de protection. 19. 20. 21. 22. Ibid., art. 44 à 45. Ibid., al. 44.2(1)b). Entertainement Software Association c. SOCAN, 2012 CSC 34. Loi sur le droit d’auteur, art. 41.22. Aspects internationaux de la LMDA 1035 La mise en œuvre des articles 11 du TODA et 18 du TOIEP va à la fois au-delà et en deçà des prescriptions internationales. Elle dépasse la lettre des exigences des traités en ce qu’elle vise non seulement les mesures techniques qui protègent les droits économiques des titulaires de droits, mais aussi celles qui contrôlent l’accès aux différents objets de protection23. Elle rate la cible, toutefois, en ne tenant aucun compte de ce que ces mesures techniques peuvent également servir à protéger les droits moraux des auteurs et des artistes-interprètes. Pourtant, la formulation des traités n’exclut pas du tout les droits moraux de leurs champs d’application : les droits qui sont conférés par les Traités OMPI sont accordés aux auteurs24 et aux artistes-interprètes25, et non à des titulaires de droit. Les droits que ces mesures techniques sont susceptibles de protéger incluent, dans le cas des auteurs, ceux de la Convention de Berne et, dans le cas des artistes-interprètes, les droits moraux qui leur sont nouvellement reconnus par le TOIEP. Dans la loi telle qu’elle existe aujourd’hui, le recours qui accompagne le droit au maintien des mesures techniques de protection est accordé aux titulaires de droits d’auteur et non aux auteurs26, ce qui, ironiquement, selon la terminologie de la loi canadienne, protège davantage les artistesinterprètes que les auteurs d’œuvres protégées. En effet, contrairement aux auteurs, les artistes-interprètes sont identifiés en tant que titulaires de droits d’auteur ab initio et ne sont pas privés de cette titularité lorsque leur prestation est effectuée dans le cadre d’un emploi27. Le statut de titulaire de droit d’auteur échappe toutefois aux auteurs employés, à moins d’une stipulation contraire28. Il est donc loin d’être certain que tous les auteurs qui sont visés par le TODA bénéficient du droit en cause. Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Une partie de la définition même de la mesure technique de protection fait référence à un moyen qui « restreint efficacement l’accomplissement... d’un acte 23. Ibid., art. 41, définition de « mesure technique de protection ». L’interprétation dominante veut que la portée des Traités OMPI comprenne le contrôle de l’accès aux œuvres : Sam RICKETSON et Jane C. GINSBURG, International Copyright and Neighbouring Rights – The Berne Convention and Beyond (Oxford, Oxford University Press, 2006), t. 2, p. 974-976, nos 15.14-15.16 ; Mihàly FICSOR, The Law of Copyright and the Internet – The 1996 WIPO Treaties, Their Interpretation and Implementation (Oxford, Oxford University Press, 2002), p. 547-548, no C11.09. 24. TODA, art. 11. 25. TOIEP, art. 18. 26. Loi sur le droit d’auteur, par. 41.1(2). 27. Ibid., al. 24a). 28. Ibid., par. 13(3). 1036 Les Cahiers de propriété intellectuelle visé aux articles 3, 15 ou 18 ou pour lequel l’article 19 prévoit le versement de rémunération »29. Les articles qui sont ici mentionnés concernent les droits pécuniaires tant des auteurs que des artistesinterprètes. Certes, les articles qui énoncent les droits moraux des auteurs et des artistes-interprètes renvoient expressément soit à l’article 3, en ce qui a trait au droit de paternité des auteurs30, soit à l’article 15, pour ce qui est de l’ensemble du droit moral des artistesinterprètes31, pour identifier les situations dans lesquelles les ayants droit sont autorisés à faire valoir leurs droits moraux. Toutefois, ces formulations semblent bien minces pour soutenir une interprétation qui rattacherait le droit moral à l’univers canadien des mesures techniques de protection. Mais qui se soucie du droit moral de nos jours ?... Sans être dénués de toute controverse, force est de constater que les sujets qui ont été abordés dans cette première partie, à tort ou à raison, ne semblent pas avoir été perçus comme ayant une résonnance internationale particulière. Certes, des traités internationaux sont mis en œuvre ; mais on ne semble pas craindre les ramifications internationales du nouveau droit interne. L’avenir réservera peut-être des surprises. En attendant, c’est plutôt dans les modifications que nous examinerons dans la seconde partie que les conséquences internationales apparaissent de manière plus immédiate. 2. Les modifications le plus controversées Une controverse à caractère plus international peut apparaître en droit d’auteur de deux manières. D’une part, elle peut naître lorsque le droit en cause repose sur une activité internationale dont les répercussions étrangères obligent à sortir du cadre strictement national du droit. C’est ce qui se produit avec le droit de mise à disposition, la prérogative qui a été conçue pour répondre aux activités menées sur Internet (2.1). D’autre part, des dispositions qui, à première vue, semblent d’intérêt plutôt local peuvent rapidement prendre des dimensions internationales parce que l’on peut les rattacher à des mécanismes de sanctions internationales qui sont susceptibles d’influer sur le positionnement politico-juridique du pays en matière de droit d’auteur. On pense ici aux modifications qui ont été apportées aux règles ayant trait aux recours (2.2) et aux exceptions (2.3). 29. Supra, note 23. 30. Loi sur le droit d’auteur, par. 14.1(1). 31. Ibid., par. 17.1(1). Aspects internationaux de la LMDA 1037 2.1 Droit de mise à disposition La pierre angulaire de la circulation des œuvres sur Internet est le droit de mise à disposition. Ce droit, qui correspond à la « solution parapluie » qui permettait de conjuger les différentes conceptions du régime applicable à la situation, est plus précisément présenté dans le TODA comme un droit de communication au public32, alors qu’il conserve l’appellation de droit de mise à disposition dans le TOIEP33. On doit ces différences de rédaction aux rapports que chaque traité entretient avec le droit antérieur auquel il se raccorde. Dans le cas du TODA, comme le rappelle la formulation de son article, c’est dans le cadre de l’évolution du droit de communication publique qui s’est développé dans la Convention de Berne que l’on a choisi d’inscrire le concept de mise à disposition du public. Cependant, il n’y a pas de texte équivalent aux articles 11, 11bis, 11ter, 14, et 14bis de la Convention de Berne dans la Convention de Rome ou dans l’accord ADPIC en ce qui a trait aux droits voisins. Voilà pourquoi, sur ce terrain des droits voisins, la rédaction du droit de mise à disposition du public se présente de manière plus « indépendante » que dans le TODA. La loi canadienne fait écho à ces différences. La mise en œuvre du TOIEP a produit des textes tout à fait nouveaux pour traduire le droit de mise à disposition du public34. En ce qui concerne le droit relatif aux œuvres protégées, cependant, la situation est tout autre. En effet, depuis 1988, c’est-à-dire depuis l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, le droit de radiodiffuser les œuvres est devenu le droit de communiquer au public par télécommunication35. En 2004, la Cour suprême a confirmé que ce droit de communiquer par télécommunication régissait la diffusion des œuvres sur Internet36. En donnant une définition de la communication par télécommunication qui inclut dorénavant le droit de mise à disposition, la loi de 2012 vient à la fois mettre en œuvre le TODA et sanctionner la décision de la Cour suprême. À première vue, l’exercice semble réussi. Pourtant, certaines préoccupations apparaissent. Il y a, tout d’abord, ce qui ressemble à un problème de redondance. Les dispositions qui relèvent des droits 32. TODA, art. 8. 33. TOIEP, art. 10 (artistes-interprètes) et 14 (producteurs de phonogrammes). 34. Loi sur le droit d’auteur, al. 15(1.1)d) (artistes-interprètes) et 18(1.1)a) (producteurs de phonogrammes). 35. Ibid., al. 3(1)f). 36. SOCAN c. Association canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45. 1038 Les Cahiers de propriété intellectuelle voisins font état du droit de mettre « à la disposition du public et de le lui communiquer par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ». Cependant, la définition du droit de communiquer par télécommunication a vocation à s’appliquer tant aux œuvres qu’aux objets de droits voisins et indique que « le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement » constitue une communication au public par télécommunication37. Si cette définition du droit de communiquer par télécommunication concerne la première partie de l’énoncé de la prérogative en cause pour les objets de droits voisins, on peut s’interroger sur la pertinence d’y avoir ajouté le droit « de le lui communiquer, par télécommunication ... ». Cette interrogation relève de l’interprétation du droit interne et l’on doit s’attendre à des débats fort instructifs à ce sujet devant les tribunaux. Du point de vue du droit international, la question est ailleurs. Elle résulte du conflit entre le droit de communication et le droit de distribution que laisse préfigurer la décision de la Cour suprême de juillet 2012 dans l’affaire Entertainment Software Association38. Rendue sous l’empire du droit antérieur aux modifications de 2012, la décision majoritaire de la Cour suprême a distingué la diffusion en continu (streaming) du téléchargement : la diffusion en continu relève du droit de communication, tandis que le téléchargement s’analyse comme une vente, la Cour ne pouvant à ce moment faire allusion au droit de distribution qui n’était pas encore adopté. Il serait permis de croire que, si le concept de droit de distribution lui avait été disponible comme qualification, c’est celui-ci qui aurait été choisi plutôt que la notion de vente. La coexistence des deux qualifications pour expliquer les diffusions sur l’Internet renvoie à la raison d’être de la solution parapluie des Traités OMPI de 1996. C’est précisément pour accommoder la préférence pour la communication chez les uns et celle pour la distribution chez les autres que l’expression de « mise à disposition du public » a été retenue par leurs rédacteurs. Il leur était déjà possible de reconnaître que les deux approches pouvaient coexister dans un même droit national39, même si l’idée du droit de distribution faisait face à d’importantes réserves, car il s’accompagnait nécessairement d’un concept d’épuisement, concept 37. Loi sur le droit d’auteur, par. 2.4(1.1). 38. Supra, note 21. 39. Voir FICSOR, supra, note 23, p. 500-501, no C8.11. Aspects internationaux de la LMDA 1039 qui n’a pas de place, quant à lui, dans l’univers du droit de communication. Il ne sera plus possible de tergiverser longtemps à ce sujet. Tant au Canda que dans l’Union européenne40, la question se pose. Au Canada, le nouvel alinéa 3(1)j) parle de la distribution « d’une œuvre sous forme d’un objet tangible ». Il sera donc intéressant de savoir si la vente qui a été identifiée par la Cour suprême dans l’affaire Entertainment Software Association pourra se transformer en droit de distribution selon le nouveau droit. Si la réponse est positive, il faudra alors examiner les conséquences d’un épuisement international sur cette qualification. Indépendamment de ces interrogations positivistes, la technologie permettra-t-elle toujours de concevoir le droit d’auteur applicable aux activités en ligne en fonction d’une summa divisio ? L’industrie pourra-t-elle vivre dans cet univers juridique bipolaire ? Si elle le peut, il y a fort à parier qu’elle aura besoin d’acrobaties juridiques qui risquent de miner sa propre légitimité auprès du public. Le droit de mise à disposition du public a donc encore de beaux jours devant lui au Canada. La nécessité de tirer au clair les tenants et aboutissants de son rôle dans la diffusion sur Internet des œuvres et autres objets relève, en premier lieu bien sûr, d’impératifs nationaux ; mais la démarche pour identifier la solution appropriée ne pourra se faire sans tenir compte de l’apport du droit comparé et du droit international. La nature même du médium qui lui a donné naissance l’impose. Cependant, le poids du droit international devrait s’avérer ici plus léger que dans les prochaines situations. En effet, le droit de mise à disposition, en tant que pure créature des Traités OMPI, n’entretient pas les mêmes rapports avec les mécanismes de sanctions qui sont rattachés à l’accord ADPIC et qui pourraient être associés plus facilement aux thèmes qui seront développés dans les prochaines sections. 2.2 Recours La conformité du droit d’auteur canadien aux traités internationaux signifie non seulement que les titulaires de droits d’auteur bénéficient des prérogatives qui y sont consacrées, mais aussi que des recours leur permettant d’en jouir véritablement sont à leur disposition. C’était d’ailleurs un des avancements majeurs de l’accord 40. Voir UsedSoft GmbH c. Oracle International Corp., aff. C-128/11, 3 juillet 2012, CJCE (grande chambre). 1040 Les Cahiers de propriété intellectuelle sur les ADPIC que d’accorder une très grande importance à cet aspect du droit de la propriété intellectuelle. Les deux Traités OMPI sont dans le même esprit et portent que : Les Parties contractantes feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits prévus par le présent traité, de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte à ces droits, y compris des mesures propres à prévenir rapidement toute atteinte et des mesures propres à éviter toute atteinte ultérieure.41 Ce texte reprend l’essence de l’énoncé principal à ce sujet dans l’accord sur les ADPIC42. À la différence de celui-ci, cependant, les deux Traités OMPI ne sont pas accompagnés de mécanismes de règlements de différends comme celui qui existe à l’Organisation mondiale du commerce qui gère l’accord sur les ADPIC. C’est donc dire qu’un manquement aux obligations qui sont imposées par les Traités OMPI en matière de recours n’aurait pas plus d’impact qu’un défaut de mettre en œuvre les dispositions touchant les droits eux-mêmes. La similitude des textes, cependant, pourrait peut-être un jour transformer une problématique qui naîtrait de la mise en œuvre des Traités OMPI en un cas qui relèverait aussi de l’intérêt d’une mise en œuvre adéquate de l’accord ADPIC. Examinons ici deux éléments concernant des recours qui résultent de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. 2.2.1 Dommages-intérêts préétablis La Phase II de révision sur la Loi sur le droit d’auteur avait introduit un régime de dommages-intérêts préétablis qui permet au demandeur dans un recours contre un tiers, à tout moment avant la décision qui met fin au litige, de réclamer des dommages-intérêts préétablis au lieu des dommages-intérêts et profits qu’il lui incomberait de prouver. La valeur de ces dommages-intérêts préétablis devait se situer entre 500 $ et 20 000 $ pour chaque violation du droit d’auteur43. Lorsque l’équité de la situation l’impose, à savoir si le défendeur est de bonne foi ou si la multitude d’œuvres dans un même support matériel fait en sorte que la multiplication du seuil minimal 41. TODA, art. 14(2) ; TOIEP, art. 23. 42. ADPIC, art. 41(1). 43. Loi sur le droit d’auteur, par. 38.1(1). Aspects internationaux de la LMDA 1041 s’avère exagérée, le juge a le pouvoir de diminuer le montant en deçà de ce seuil44. Ce régime de dommages-intérêts préétablis est sensiblement modifié par la nouvelle loi. Tout d’abord, une distinction a été créée entre les violations commises à des fins commerciales et celles qui sont commises à des fins non commerciales. Dans le premier cas, la fourchette des montants qui peuvent être accordés est demeurée la même ; mais, en ce qui a trait aux violations non commerciales, la fourchette a été réduite pour se situer entre 100 $ et 5 000 $45. De plus, la demande de ces dommage-intérêts préétablis dans des cas de violations non commerciales empêche de « recouvrer ... de tels dommages-intérêts... pour les violations commises à ces fins avant la date de l’introduction de l’instance et [qui n’ont pas été] reprochées dans le cadre de celle-ci46 ». Qui plus est, cette réclamation des dommages-intérêts préétablis dans un contexte de violation à des fins non commerciales a un impact important sur les autres titulaires de droits d’auteur : « Aucun autre titulaire du droit d’auteur ne pourra recouvrer auprès [du défendeur] de tels dommages-intérêts au titre du présent article pour les violations commises à ces fins avant la date de l’introduction de l’instance »47 dès qu’un titulaire du droit d’auteur choisit cette voie. Il s’agit de nouvelles règles dont l’application n’est pas limitée aux seuls droits qui relèvent des Traités OMPI, mais qui s’étendent bel et bien à l’ensemble des situations visées par la loi. Deux autres règles concernant les activités d’exploitation d’œuvres sur Internet, et qui découlent donc directement de la mise en œuvre des Traités OMPI, restreignent la disponibilité des dommages-intérêts préétablis. La loi considère comme une violation du droit d’auteur le fait « de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur, si une autre personne commet une telle violation sur Internet ou tout autre réseau numérique en utilisant ce service48 ». Une telle violation « est réputée être commise à des fins commerciales », ce qui expose automatiquement le défendeur à la fourchette de dommages-intérêts plus 44. Ibid., par. 38.1(3) (ancien texte). La bonne foi du défendeur permettait aussi de réduire le montant jusqu’à 200 $ : Loi sur le droit d’auteur, par. 38.1(2) (ancien texte). Ces deux cas particuliers ont été maintenus dans la nouvelle version de l’article, toujours aux paragraphes (3) et (2) respectivement. 45. Ibid., al. 38.1(1)b). 46. Ibid., al. 38.1(1.12). 47. Ibid., al. 38.1(1.2). 48. Ibid., par. 27(2.3). 1042 Les Cahiers de propriété intellectuelle élevés49. Cependant, pour avoir droit à de tels dommages-intérêts, le demandeur devra établir qu’une violation du droit d’auteur sur l’œuvre s’est effectivement produite à cause de l’activité de facilitation du défendeur50. Le demandeur se voit donc dans l’obligation de faire la preuve de deux types de violations du droit d’auteur, la démonstration de la violation « primaire » pouvant s’avérer particulièrement difficile à cause de la multitude d’exceptions dont pourrait bénéficier l’utilisateur ultime de l’œuvre, utilisateur qui ne sera pas nécessairement partie aux procédures. Par ailleurs, les dommagesintérêts préétablis sont hors de la portée d’un titulaire de droit d’auteur qui poursuit pour le contournement d’une mesure technique de protection qui contrôle l’accès à un objet protégé lorsque le défendeur est une personne physique qui aurait agi à des fins privées51. 2.2.2 Régime de responsabilité des fournisseurs de service Internet En créant le droit de mise à disposition du public, les rédacteurs du TODA ont pris soin de lui ajouter une déclaration commune selon laquelle « [i]l est entendu que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas une communication au public au sens du présent traité ou de la Convention de Berne52 ». Ce principe existait déjà dans la loi canadienne53. Le nouvel article 31.1 vient l’étoffer et, sous certaines conditions, maintient hors de la portée des titulaires de droits d’auteur les fournisseurs de « services réseau ». Il confirme cependant la responsabilité des facilitateurs de violations de droits au sens du paragraphe 27(2.3) ou ceux qui savent « qu’un tribunal compétent a rendu une décision portant que la personne qui y a stocké l’œuvre ou l’autre objet viole le droit d’auteur du fait de leur reproduction ou en raison de la manière dont elle les utilise54 ». Ainsi, seuls les fournisseurs de services jouant un rôle actif ou ayant connaissance « officielle » de violation du droit d’auteur ne pourront se réclamer de la protection que leur accorde la loi de manière générale. Il est toutefois possible de retenir la responsabilité des fournisseurs de services Internet en fonction d’un autre régime de responsabilité. Il s’agit de celui qui repose sur la transmission d’avis de 49. 50. 51. 52. 53. 54. Ibid., par. 38.1(1.11). Ibid., par. 38.1(1.1). Ibid., par. 41.1(3). Déclaration commune concernant l’article 8,TODA. Loi sur le droit d’auteur, al. 2.4(1)b). Ibid., par. 31.1(5). Aspects internationaux de la LMDA 1043 prétendue violation, communément appelé le régime « avis et avis », qui se trouve dans la partie IV de la loi, la partie consacrée aux recours55. Contrairement au régime « avis et retrait » qui a été créé par le Digital Millenium Copyright Act aux États-Unis56, le régime canadien de « avis et avis » n’impose aux fournisseurs de services Internet que l’obligation de transmettre « à la personne à qui appartient l’emplacement électronique identifié par les données de localisation » les avis de prétendue violation qu’ils auraient reçus57. Les conditions de ce régime sont assez complexes et le seul recours dont dispose le titulaire de droit d’auteur est un recours en dommagesintérêts préétablis dont le montant peut varier entre 5 000 $ et 10 000 $58. Les fournisseurs d’outils de repérage, cependant, ne s’exposent qu’à des recours en injonction59. Là encore, les conditions sont nombreuses et complexes. À la lumière de ces dispositions, il apparaît évident que le législateur canadien n’a pas cherché à accroître outre mesure l’arsenal des recours pour violations du droit d’auteur. Au contraire, il semble avoir plutôt saisi chaque occasion de le réduire. Au fur et à mesure, la jurisprudence nous apprendra si ces recours contribuent véritablement au respect du droit d’auteur et des droits voisins au Canada. Il n’est pas impossible qu’en ayant ainsi diminué les attentes, l’on vienne prétendre que les résultats obtenus à l’aide de ces mesures correspondent à ce qu’elles avaient promis. On aura tendance à dresser le bilan recours par recours. D’ici là, il nous semble permis d’entretenir des doutes quant à leur effet global. Pour reprendre les termes des Traités OMPI : s’agit-il d’un ensemble de mesures qui permette une action efficace ? Sommes-nous en présence de mesures propres à prévenir rapidement toute atteinte ? Est-il réaliste de croire qu’elles permettent d’éviter toute atteinte ultérieure60 ? On peut en douter sérieusement. Le caractère approprié de chaque recours, lorsqu’il est examiné isolément, commence à s’estomper si l’on considère qu’il s’inscrit dans une tendance plus large où la réduction de responsabilité semble être le mot d’ordre. Une approche plus globale devrait permettre, en outre, d’évaluer le régime des recours conjointement avec les régimes de rémunération qui sont prévus par la loi : l’efficacité du droit d’auteur ne passe pas que par la contrainte ; elle se juge aussi par sa capacité institutionnelle à rémuné55. 56. 57. 58. 59. 60. Ibid., art. 41.25 à 41.27. Pub. L. No. 105-304, 112 Stat. 2860 (1998). Loi sur le droit d’auteur, al. 41.26(1)a). Ibid., par. 41.26(3). Ibid., par. 41.27(1). Supra, note 41. 1044 Les Cahiers de propriété intellectuelle rer les titulaires de droit. Pour avoir droit à une rémunération, cependant, il faut se trouver dans une situation où les exceptions gratuites au droit d’auteur n’entrent pas en jeu. 2.3 Exceptions La reprise du triple test de l’accord ADPIC dans les Traités OMPI a donné un nouveau souffle à la question du rôle des exceptions dans le droit d’auteur61. Pour enlever toute ambiguïté, les parties contractantes ont émis des déclarations communes qui confirment que les exceptions que l’on peut envisager dans l’environnement numérique doivent elles aussi répondre aux exigences du célèbre test62. Fidèle à l’air du temps, le législateur canadien s’est beaucoup investi dans l’élaboration de nouvelles exceptions, exceptions qui sont tout autant de portée générale que propres à l’environnement numérique. Les exceptions foisonnent maintenant au pays où l’on a inventé le concept de « droit des utilisateurs » pour les désigner63. Ces droits des utilisateurs sont-ils compatibles avec le triple test ? Seul un panel de l’Organisation mondiale du commerce pourrait véritablement nous répondre. En attendant, puisque l’objectif de la présente étude n’est pas d’examiner chaque nouvelle exception64, contentons-nous d’un bref aperçu de deux importantes familles d’exceptions qui ont été touchées par les modifications de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. 2.3.1 Utilisation équitable La Loi sur la modernisation du droit d’auteur a fourni l’occasion d’élargir le concept d’utilisation équitable. À peine retouchée lors de 61. TODA, art. 10 ; TOIEP, art. 16. 62. TODA, Déclaration commune concernant l’article 10 ; TOIEP, Déclaration commune concernant l’article 16. 63. L’origine de cette expression semble se trouver dans l’ouvrage du professeur David Vaver qui, en la choisissant, pouvait alors systématiser la présentation des diverses exceptions et limitations des lois de propriété intellectuelle en les opposant aux droits des titulaires de droits, un exercice qui n’avait alors jamais été fait dans la doctrine canadienne : David VAVER, Intellectual Property Law – Copyright, Patents, Trademarks (Toronto, Irwin Law, 1997). La Cour suprême du Canada a entériné cette terminologie dans l’affaire CCH Canadian Ltd. c. Law Society of Upper Canada, 2004 CSC 13. 64. L’examen d’exception spécifique peut lui aussi conduire à des interrogations ponctuelles quant à la conformité au droit international. Parmi les exceptions dont bénéficient les établissements d’enseignement figure une exception pour l’utilisation d’œuvres ou autres objets accessibles sur Internet qui ne joue pas si un avis autre que le symbole du droit d’auteur (©) interdit l’utilisation de l’œuvre ou autre objet (al. 30.04(4)b) de la loi). Cette condition pourrait être à l’encontre de l’interdiction des formalités qui est prévue à l’article de la Convention de Berne. Aspects internationaux de la LMDA 1045 la Phase II de la révision en 1997 pour être modernisée et en améliorer la présentation, l’utilisation équitable au Canada demeurait l’exception qui avait été introduite en 1921 sur la base de la loi britannique de 191165. L’année 2012 marque son déploiement aux domaines de la parodie et de la satire, une modification qui laisse présager d’intéressants débats judiciaires et doctrinaux. Mais c’est l’addition du contexte de l’éducation qui risque de susciter de plus âpres discussions66. En effet, l’extension de l’utilisation équitable à l’univers de l’éducation s’ajoute à la création d’exceptions spécifiques supplémentaires qui visent elles aussi le milieu de l’éducation67. Quelle sera la part de l’utilisation équitable à des fins d’éducation dans un univers où de telles exceptions précises existent également ? Jusqu’à quel point une interprétation ancrée dans la valorisation des droits des utilisateurs nourrira-t-elle cette nouvelle fin de l’utilisation équitable ? Autrement dit, que pourront monnayer les auteurs dans un milieu où les exceptions dominent ? On a souvent tendance à oublier que la licence obligatoire constitue une forme d’exception au droit d’auteur et que le recours à ce mécanisme est évoqué dans les analyses de la mise en œuvre du triple test pour juger de la validité d’une exception68. Certaines exceptions au profit des établissements d’enseignement qui incorporent le mécanisme de la licence obligatoire demeurent encore dans la loi69 ; mais leur rôle est devenu si restreint qu’il faut en déduire que le législateur n’a pas voulu en faire son outil de calibrage de prédilection. La voie privilégiée est clairement celle de l’exception gratuite pleine et entière. La détermination des pourtours de cette nouvelle utilisation équitable devient un exercice encore plus difficile à maîtriser si l’on doit tenir compte de la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Alberta (Éducation) c. Access Copyright de juillet 201270. Dans cette décision où elle réitère que les exceptions au droit d’auteur doivent être interprétées en tant que droits des utili65. Loi sur le droit d’auteur, art. 29 à 29.2 (anciens textes). 66. Ibid., art. 29. 67. Le résultat est atteint soit en modifiant des exceptions déjà existantes, soit en en ajoutant de nouvelles. Voir Loi sur le droit d’auteur, art. 29.4 à 29.6, 30.01 à 30.04. C’est sans compter les exceptions visant les bibliothèques, musées ou services d’archives dont les activités peuvent être justifiées par l’étude privée ou la recherche de leurs clients (si l’on tient compte de l’interprétation donnée à cette fin de l’utilisation équitable par la Cour suprême dans l’affaire Alberta (Education) c. Access Copyright, 2012 CSC 37. Voir le texte accompagnant, infra, la note 71) : Loi sur le droit d’auteur, art. 30.1 à 30.21. 68. Voir, par exemple, RICKETSON et GINSBURG, supra, note 23, t. 1, p. 775, no 13.25. 69. Loi sur le droit d’auteur, art. 29.7, 30.02 et 30.03. 70. 2012 CSC 37. 1046 Les Cahiers de propriété intellectuelle sateurs, la Cour a analysé la notion d’utilisation équitable à des fins d’étude privée et de recherche d’une manière telle que les activités qu’elle vise incluent dorénavant les photocopies de textes complémentaires à la documentation principale des élèves qui sont faites par les enseignants pour eux71. Si de telles activités constituent de l’étude privée ou de la recherche, que restera-t-il pour l’éducation ? Puisqu’il faut donner un sens aux propos du législateur, il faut s’attendre à l’identification de situations qui s’ajouteront à celles qui viennent d’être reconnues, mais qui devront s’en distinguer. Bref, tant le législateur que les tribunaux souhaitent soustraire le plus possible le milieu de l’éducation de l’emprise du droit d’auteur. 2.3.2 Copies privées C’est à dessein que l’intitulé de ces quelques propos est au pluriel. Toujours dans la lignée de la loi impériale britannique, la loi canadienne sur le droit d’auteur ne comportait pas d’exception de copie privée72. Les différentes fins de l’utilisation équitable et certaines autres exceptions spécifiques pouvaient partiellement servir de substituts à cette notion juridique si l’on tentait de dégager de la loi canadienne une exception de copie privée au sens large. Il n’est plus nécessaire de recourir à ces succédanés, car la loi comporte dorénavant une véritable exception de copie privée73. Cependant, cette exception ne vient pas seule, puisque le législateur a également ajouté d’autres exceptions qui sont inspirées de la même préoccupation. En plus de la copie privée au sens strict, on trouve maintenant l’exception pour les copies de sauvegarde74, celle pour l’écoute ou le visionnement d’œuvres en différé75, et surtout l’exception pour la création et diffusion de contenu non commercial généré par l’utilisateur76. Toutes ces exceptions réunissent des conditions communes : elles visent des utilisations d’œuvres qui ne sont pas contrefaites ou qui proviennent de sources légales ; elles supposent qu’il n’y a pas eu de contournement de mesures techniques de protection ; et 71. Selon la Cour, la relation « symbiotique » entre les enseignants et leurs élèves permet une telle interprétation : ibid., par. 23. 72. On fait ici abstraction du régime de redevances pour copie privée qui a été instauré à la Partie VIII de la Loi sur le droit d’auteur lors de la Phase II de la révision de la loi en 1997. 73. Loi sur le droit d’auteur, art. 29.22. 74. Ibid., art. 29.24 75. Ibid., art. 29.23. 76. Ibid., art. 29.21. Aspects internationaux de la LMDA 1047 les reproductions sont utilisées à des fins privées ou encore ne sont données à personne. Les conditions sont quelque peu relâchées en ce qui concerne l’exception pour les contenus générés par les utilisateurs, d’une part, parce que l’on vise précisément une diffusion éventuelle au public et, d’autre part, parce que l’on suppose un contrôle moins sévère par l’utilisateur de l’origine de l’œuvre qui est utilisée. Si on veut laisser le bénéfice du doute au législateur, chacune de ces exceptions, prise isolément, est susceptible de respecter le triple test. Cependant, une approche au cas par cas permet facilement de promouvoir la multiplication d’exceptions dans une loi sur le droit d’auteur, puisque chaque exception peut correspondre à une préoccupation légitime. Un autre facteur est susceptible de favoriser une propension enthousiaste à la prolifération d’exceptions. Qui sont les premiers commentateurs savants d’une loi ? Des juristes, bien sûr. La perception des juristes des rapports entre droits et exceptions s’alimente de leur propre expérience en la matière. Les juristes sont en contact quotidien avec des textes qui répondent aux exigences d’originalité de la Loi sur le droit d’auteur et qui, à ce titre, sont protégés par celle-ci : lois, règlements, décisions de tribunaux, doctrine produite en grande partie soit par des universitaires, soit par des praticiens, etc. Même si ces textes sont tous protégés par la Loi sur le droit d’auteur canadienne77, la réalité de leur reproduction et de leur diffusion donne tout à penser qu’il s’agit de textes libres de droits78. On est loin de l’univers littéraire classique. Il devient alors beaucoup plus facile d’étendre ces réflexes d’utilisation libre à l’ensemble des activités qui reposent sur des œuvres protégées quand, par la suite, on examine le mérite d’une exception. Tout comme pour les recours, il est d’usage que l’évaluation de la conformité des exceptions avec les traités internationaux (ou avec la légitimité des politiques publiques) soit en fait une évaluation de chaque exception prise individuellement. Pourtant, si l’on élargissait le champ de l’appréciation pour tenir compte de l’ensemble des recours ou des exceptions, selon le cas, émergerait une idée plus juste de l’impact de l’exception sur l’équilibre général à atteindre 77. La doctrine est protégée selon les règles usuelles, mais les autres textes le sont en vertu du droit d’auteur de la Couronne. Voir Loi sur le droit d’auteur, art. 12. 78. On pense ici au Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale, TR/97-5, qui autorise d’emblée de telles reproductions « pourvu que soient prises les précautions voulues pour que les reproductions soient exactes et ne soient pas présentées comme version officielle ». 1048 Les Cahiers de propriété intellectuelle pour faire respecter le droit d’auteur. L’approche individuelle de l’interprétation des textes des recours et des exceptions permet de mettre l’accent sur les conditions qui semblent fournir des garanties de protection aux titulaires de droit. Le texte prime alors sur le contexte. Cette analyse à la pièce des exceptions et des recours facilite les conclusions de conformité avec les exigences internationales. Il nous semble pourtant que l’économie générale du droit d’auteur bénéficierait d’une vision plus globale de ses différentes composantes. L’objectif n’est pas, bien sûr, de rechercher avidement une condamnation par les instances internationales, mais plutôt de tenter de voir sous un jour plus réaliste l’effet d’ensemble qui résulte des interactions à l’intérieur d’un même concept juridique au sein du droit d’auteur, que ce soit les exceptions, les recours, les droits, la durée, etc. Un autre aspect de l’appréciation plus globale des exceptions surgit lors de l’examen d’une exception à la lumière de l’ensemble des personnes qui en bénéficient. Lorsque l’analyse de la conformité d’une exception au droit international se fait à l’occasion d’une résolution de conflit spécifique dans un contexte national, il est moins propre au processus de s’interroger sur des conséquences qui ne se sont pas encore avérées. On ne cherche pas trop ouvertement à anticiper les multiples situations où la même exception pourrait être invoquée. Voilà une autre raison pour laquelle il pourrait être nécessaire de se libérer des contraintes qu’impose la voie strictement judiciaire pour concevoir une vision plus audacieuse de la conformité du droit aux exigences internationales. À cette fin, on remarque que, dans les accords internationaux, la tendance des dernières années semble vouloir que les droits à protéger soient identifiés de manière beaucoup plus précise que ne le sont les recours et les exceptions79. Il s’agit sans doute du fruit de l’évolution de la matière. Puisque, pour le moment il en est ainsi, il pourrait parfois s’avérer de bon aloi de regrouper les exceptions ou les recours nationaux pertinents pour comprendre leurs dynamiques de fonctionnement et ainsi mieux les évaluer en fonction des prescriptions internationales. Si l’on devait conclure que la combinaison des dispositions en cause ne permettait pas de répondre aux exigences des traités, surgirait immédiatement alors la difficulté de déterminer lesquelles parmi ces dispositions seraient à éliminer ou à modifier pour rendre la loi nationale con79. Par exemple, les rédacteurs de l’Accord ADPIC et des Traités OMPI ont choisi de retenir la formulation générale du triple test de l’article 9, paragraphe 2 de la Convention de Berne pour traiter de l’ensemble des exceptions, alors qu’un même exercice de synthèse n’a pas été fait pour désigner les nouveaux droits à protéger. Aspects internationaux de la LMDA 1049 forme. Dans le cas des recours, les corrections sont peut-être plus faciles à apporter, car une révision des conditions auxquelles ils sont soumis semble être un exercice assez classique. En ce qui concerne les exceptions, la solution résiderait peut-être dans le maintien de la gratuité pour celles qui ne peuvent être transformées en licences obligatoires. Beaucoup de temps peut s’écouler avant d’assister à une confrontation directe de l’interprétation individuelle de certaines dispositions de la loi canadienne sur le droit d’auteur et une interprétation plus globale dans le cadre d’un recours devant un panel de l’Organisation mondiale du commerce. Pour qu’un tel recours ait lieu, des pays tiers doivent y trouver un intérêt suffisant quant au fond et avoir confiance en l’utilité du processus. Bien sûr, seules les dispositions qui peuvent être rattachées à l’accord ADPIC ont vocation à être étudiées dans ce contexte. Pour celles qui ne relèvent que des Traités OMPI, l’exercice risque de ne demeurer qu’académique. Néanmoins, même le recours à l’Organisation mondiale du commerce demeure hypothétique quand on songe au sort de la décision du panel de l’année 2000 qui opposait l’Union européenne aux États-Unis à propos de certaines exceptions dans la loi américaine sur le droit d’auteur80 : les dispositions qui y ont été jugées contraires à l’accord ADPIC n’ont toujours pas été modifiées81. Conclusion Alors, dans un tel contexte, pourquoi ne pas se permettre de voir encore plus grand ? L’évaluation de la conformité aux règles internationales des dispositions en matière de recours ou d’exceptions, que nous préconisons selon une dynamique d’ensemble, pourrait même être faite en combinant et les recours et les exceptions pour apprécier de manière plus complète les mécanismes qui contribuent à calibrer l’exercice du droit d’auteur. Le mérite isolé de chacune de ces dispositions est facile à démontrer ; leur impact cumulatif devrait aussi être connu. Il deviendrait alors nécessaire d’identifier le forum approprié pour ce faire quand ni le processus contradictoire ni le processus législatif, qu’il soit national ou international, ne peuvent ou ne veulent s’y prêter. En attendant, il y a fort à parier que le résultat d’une telle analyse mènerait à la conclusion que la loi canadienne sur le droit d’auteur n’est plus dominée par 80. Rapport du Panel, 15 juin 2000, document WT/DS/160/R. 81. Copyright Act, U.S.C., art. 110(5). 1050 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’intérêt des titulaires de droits d’auteur, mais plutôt par celui de ceux qui œuvrent dans l’univers technique des utilisateurs d’œuvres protégées. Vol. 25, no 3 C-11, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information et la responsabilité des intermédiaires techniques québécois : une dualité de régimes (in)utile(s) ? Nicolas Vermeys* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1053 1. Le cadre juridique applicable aux intermédiaires techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1055 1.1 La qualification juridique des intermédiaires techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1055 1.1.1 Les fournisseurs de services Internet . . . . . 1058 1.1.2 Les hébergeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 1060 1.1.3 Les services de courrier électronique . . . . . 1061 1.1.4 Les moteurs de recherche . . . . . . . . . . . 1063 © Nicolas Vermeys, 2013. * Avocat, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, chercheur au Centre de recherche en droit public et directeur adjoint du Laboratoire de cyberjustice. L’auteur aimerait remercier Mes Georges Azzaria, Patrick Gingras, Jean Leclair et Pierre Trudel pour leurs commentaires et conseils lors de la rédaction de ce texte. Tous les liens consultés étaient actifs en date du 1er juillet 2013. 1051 1052 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.2 Les régimes de responsabilité applicables aux intermédiaires techniques . . . . . . . . . . . . . . . 1063 1.2.1 Le régime de responsabilité sous la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information . . . . . . . . . . . . . . . . . 1064 1.2.2 Le régime de responsabilité sous la Loi sur le droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . 1069 2. Les incidences de la dualité de régime . . . . . . . . . . . 1075 2.1 La difficile cohabitation des régimes . . . . . . . . . 1076 2.2 La pertinence pragmatique de la dualité de régimes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1088 2.2.1 La pertinence du régime fédéral à la lumière de l’expérience provinciale . . . . . . . . . . . 1089 2.2.2 La pertinence du régime fédéral à la lumière de la jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . 1092 2.2.3 La pertinence du régime fédéral à la lumière des pratiques de l’industrie . . . . . . . . . . 1095 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1097 Introduction Avec l’avènement, au milieu des années 90, du Web commercial, de nombreuses questions – dont certaines planent toujours – émergèrent tout naturellement au sein de la communauté juridique quant aux bouleversements qu’allait entraîner ce nouveau médium. Violations de droits d’auteur, diffamation en ligne, diffusion de logiciels malicieux ; de nombreux scénarios d’atteintes aux droits et à la propriété de ceux qui seraient bientôt baptisés les « internautes » ont été imaginés et, à différents degrés, se sont avérés. L’une des questions charnières transcendant toutes ces « nouvelles »1 problématiques se résuma alors aux rôles et responsabilités des acteurs du Web que nous identifions communément aujourd’hui sous le vocable d’« intermédiaires techniques ». Tel que le souligne Pierre Trudel : Dans le contexte d’Internet, les intermédiaires sont des personnes, entreprises ou organismes qui interviennent dans l’accomplissement d’une tâche effectuée entre le point d’expédition d’une transmission de document et le point de réception final. Le trait commun à tous ces intervenants, c’est qu’ils n’exercent pas de droit de regard sur l’information qui transite dans leurs environnements technologiques. Ainsi, les intermédiaires peuvent être des services de conservation de documents technologiques, des hébergeurs, des services de référence à des documents technologiques, des moteurs de recherche, des fournisseurs de services sur un réseau de communication. Il peut également s’agir d’entreprises offrant des services de conservation ou de transmission de documents technologiques, de ser1. L’aspect novateur de ces problématiques demeure à ce jour l’objet de débats. Si nous sommes d’avis qu’Internet n’a pas créé de nouvelles obligations, mais que le Web a plutôt amplifié les possibilités de porter atteinte aux droits de tierces parties, d’autres argumentent plutôt qu’Internet est le berceau d’une nouvelle forme de normativité. Sur les origines de ce débat, voir : Frank H. EASTERBROOK, « Cyberspace and the Law of the Horse », (1996) U. Chi Legal F. 207 ; et Lawrence LESSIG, « The Law of the Horse : What Cyberlaw Might Teach », (1999) 113 Harvard Law Review 501. 1053 1054 Les Cahiers de propriété intellectuelle vices de transmission de documents technologiques ou de services de conservation sur un réseau de communication de documents technologiques fournis par un client.2 Si certains auteurs ont milité en faveur de la responsabilisation de ces intermédiaires pour les faits et gestes de ceux qui utiliseraient leurs services de façon malicieuse3, un consensus international s’est toutefois éventuellement dégagé à l’effet que les intermédiaires techniques doivent bénéficier d’exemptions de par le fait qu’ils n’exercent que très peu de contrôle sur les contenus communiqués, affichés ou autrement diffusés par leurs abonnés, clients ou utilisateurs4. Au niveau législatif, ce consensus s’est souvent concrétisé par l’adoption de lois limitant la responsabilité des intermédiaires techniques à une simple obligation de contrôle post facto de contenus prétendus ou avérés illicites (le modèle du « notice and takedown » ou « avis et retrait »). Ainsi, l’Europe s’est dotée d’une « Directive sur le commerce électronique »5, dont la section 4, « Responsabilité des prestataires intermédiaires », prévoit l’absence de responsabilité pour les entreprises offrant des services de « simple transport »6, ou d’hébergement7, alors que les États-Unis ont opté pour l’adoptions d’un texte législatif reprenant le principe d’« avis et retrait » en matière de droit d’auteur8, bien que celui-ci n’ait pas été étendu aux cas de diffamation en ligne9. Au Québec, il aura fallu attendre l’entrée en vigueur de la Loi concernant le cadre juridique des techno2. Pierre TRUDEL, Introduction à la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’Information, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 189-190. L’auteur reprend ici notamment les appellations consacrées dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ, c. C-1.1. 3. Voir notamment Doug LICHTMAN et Eric P. POSNER, « Holding Internet Service Providers Accountable », dans Mark F. GRADY et Francesco PARISI, The Law and Economics of Cybersecurity (New York, Cambridge University Press, 2006), p. 221. 4. Voir, par exemple, François THEMENS, Internet et la responsabilité civile (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998) et Michel RACICOT et al., L’espace cybernétique n’est pas une terre sans loi (Ottawa, Industrie Canada, 1997). 5. Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur. 6. Ibid., art. 12. 7. Ibid., art. 14. 8. Digital Millennium Copyright Act, H.R. 2281. 9. En effet, en vertu de l’article 230 du Communication Decency Act, Sec 501 du Telecommunications Act of 1996, S. 652, les intermédiaires techniques jouissent plutôt d’une immunité dans ce domaine. Voir Joel R. REIDENBERG et al., « Section 230 of the Communications Decency Act : A Survey of the Legal Literature and Reform Proposals », (2012) Fordham Law Legal Studies Research Paper no 2046230 : <http://ssrn.com/abstract=2046230> or <http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2046230>. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1055 logies de l’information10 (ci-après : la « LCCJTI ») en 2001 pour connaître le régime de responsabilité applicable de façon générale aux intermédiaires techniques. Qui plus est, avec l’adoption, en 2012, du projet de loi C-11 (la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur) par le gouvernement fédéral, des mesures spécifiques relatives à la responsabilité des intermédiaires techniques pour les contenus affichés, transmis ou autrement communiqués par leurs utilisateurs en violation d’un droit d’auteur ont également été élaborées. L’adoption tardive de telles dispositions en matière de droit d’auteur par le législateur fédéral soulève toutefois de sérieuses questions quant à leur utilité réelle. En effet, la création d’un régime de responsabilité propre au droit d’auteur était-elle de mise ? Existait-il un vide législatif que la jurisprudence semblait incapable de combler ? La réponse à ces questions passe par une analyse des incidences du double régime de responsabilité applicable aux intermédiaires techniques (2). Il importe toutefois, préalablement, d’identifier les rôles, fonctions et responsabilités de ces intermédiaires afin de comprendre pourquoi ces régimes ont été érigés (1). 1. Le cadre juridique applicable aux intermédiaires techniques L’identification du cadre juridique applicable aux intermédiaires techniques québécois passe d’abord par une qualification de cette notion même d’« intermédiaire technique ». En effet, dans la mesure où les intervenants au processus d’échange de données via le Web sont nombreux et disparates, il importe de bien cerner les rôles et fonctions de chacun (1.1). Ce n’est qu’une fois que ces rôles et fonctions auront été définis qu’il nous sera possible d’identifier les dispositions et, par le fait même, le cadre législatif applicable à chacun d’entre eux (1.2). 1.1 La qualification juridique des intermédiaires techniques Comme le souligne Pierre Trudel : La notion d’intermédiaire sur un réseau comme Internet peut concerner une gamme étendue de services et d’entités. Sur 10. Préc., note 2. 1056 Les Cahiers de propriété intellectuelle Internet, une entité peut accomplir une ou plusieurs des fonctions nécessaires à la communication ou à la transmission d’informations. Les désignations que se donnent les acteurs telles que « fournisseur d’accès à Internet », fournisseur de connectivité, simple transporteur ne recouvrent pas toujours les mêmes activités.11 Évidemment, il est depuis longtemps acquis que, en droit, le sens littéral des termes utilisés par une entité pour décrire ses activités ne saurait qualifier juridiquement le rôle de ladite entité12. Voilà pourquoi, à notre avis, la Cour suprême a souligné qu’il est préférable de cataloguer les rôles et responsabilités des intermédiaires techniques selon les fonctions qu’ils occupent13 : Il est évident qu’une même entreprise, telle Rogers, Bell ou AT&T Canada, peut jouer divers rôles dans la transmission Internet. La Commission s’est donc essentiellement demandé quelles fonctions faisaient naître une obligation sur le plan du droit d’auteur. Lorsqu’elle exécute une fonction donnée, l’entreprise peut violer le droit d’auteur relativement à cette fonction, sauf si elle a obtenu une licence.14 Toutefois, même en identifiant les intermédiaires techniques par le biais des fonctions qu’ils occupent, il demeure que la terminologie associé à une fonction donnée diffèrera bien souvent selon la source. En effet, une première problématique visant à établir la responsabilité des intermédiaires techniques est liée au fait que le vocabulaire utilisé par le législateur québécois diffère de celui utilisé par le législateur fédéral. Qui plus est, dans un cas comme dans l’autre, les expressions employées sont souvent peu parlantes pour les justiciables puisqu’elles s’éloignent des appellations couramment utilisées. Le législateur québécois, par le biais de la LCCJTI, a choisi de classer les intermédiaires techniques sous un certain nombre de catégories distinctes de prestations de service, à savoir : 11. TRUDEL, préc., note 2, p. 190. 12. Voir par exemple l’article 1425 C.c.Q. en matière contractuelle. Voir également François GENDRON, L’interprétation des contrats (Montréal, Wilson & Lafleur, 2002), p. 31. 13. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45. 14. Ibid., par. 21. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1057 • Le prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication15 ; • Le prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de référence à des documents technologiques16 ; • Le prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir les services d’un réseau de communication17 ; • Le prestataire de service agissant à titre d’intermédiaire pour conserver des documents technologiques sur un réseau de communication18. Pour sa part, le législateur fédéral a choisi de plutôt regrouper les différents intermédiaires techniques sous deux chapeaux19, dont l’un recouvre deux sous-catégories : • Le fournisseur de services réseaux : – Le fournisseur de moyens de télécommunication20 ; – Le fournisseur de mémoire numérique21 ; • Le fournisseur d’outils de repérage22. Certains justifieront la terminologie choisie par le fait que les intermédiaires techniques actuels risquent de disparaître d’ici quelques années au même titre que les opérateurs de babillards électro- 15. 16. 17. 18. 19. LCCJTI, art. 22 et 37. Ibid., art. 22. Ibid., art. 36. Ibid., art. 37. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (ci-après : la « LDA »), art. 41.25. Notons que cette disposition n’était toujours pas en vigueur au moment de la rédaction du présent article. En effet, « Afin d’assurer une mise en œuvre équilibrée, efficace et efficiente du régime d’avis et avis, il faut envisager un éventuel processus réglementaire, ce qui nécessite un délai. Par conséquent, la date d’entrée en vigueur des dispositions relatives au régime d’avis et avis (plus particulièrement les paragraphes 47 [41.25, 41.26, et 41.27(3)]), sera fixée par un décret distinct. » Voir : Décret fixant plusieurs dates d’entrée en vigueur de diverses dispositions de la loi Modernisation du droit d’auteur (Loi), C.P. 2012-1392, TR/2012-85 (Gaz. Can. II). 20. LDA, al. 41.25(1) a). 21. Ibid., al. 41.25(1) b). 22. Ibid., al. 41.25(1) c). 1058 Les Cahiers de propriété intellectuelle niques qu’ils ont remplacés23. Toutefois, bien que cette prétention ne soit pas sans fondements, les termes choisis tant par le législateur québécois que par son homologue fédéral témoignent eux aussi d’un attachement à un certain modèle d’affaire qui risque de devoir être revu à l’aune de développements technologiques futurs24. Ce constat s’observe notamment du fait que les dispositions adoptées sont mal adaptées aux acteurs du Web 2.0, c’est-à-dire les Facebook et Wikipedia de ce monde, entités qui ont émergé après l’entrée en vigueur de la LCCJTI25. Ceci étant, afin de mieux saisir la portée des expressions choisies par l’un ou l’autre des législateurs, il est utile de les confronter aux principales catégories d’intermédiaires techniques classiquement identifiés en ligne, soit les fournisseurs de services Internet (1.1.1), les hébergeurs (1.1.2), les services de courrier électronique (1.1.3) et les moteurs de recherche (1.1.4). 1.1.1 Les fournisseurs de services Internet Vu la relative absence de définition législative de la notion de fournisseur de services Internet (ci-après : « FSI »), nous nous permettons, tel que l’autorisent les tribunaux26, de nous référer au dictionnaire pour connaître la portée de l’expression. Ainsi, est assimilée à un FSI toute « [e]ntreprise reliée en permanence au réseau Internet, et qui met à la disposition de particuliers ou d’entreprises des connexions leur permettant d’accéder aux différents services disponibles dans Internet »27. Plus concrètement, il s’agit d’entreprises telles Vidéotron ou Bell Canada qui permettent à une personne physique ou morale d’avoir accès au réseau. 23. Le babillard électronique ou BBS (pour l’anglais Bulletin Board System) est un « Service informatisé d’échange d’information géré par un organisme ou une entreprise, auquel on accède par modem, et qui permet aux utilisateurs d’afficher des messages et d’y répondre, d’échanger des fichiers, de communiquer avec des groupes thématiques et parfois de se connecter à Internet ». OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ci-après : « OLF »), Grand dictionnaire terminologique : <http://www.granddictionnaire.com>. Bien qu’il existe toujours quelques babillards actifs à travers le monde, ce type de service est pratiquement disparu avec l’arrivée du Web. 24. À ce sujet, voir Vincent GAUTRAIS, Neutralité technologique. Rédaction et interprétation des lois face aux changements technologiques (Montréal, Thémis, 2012). 25. À ce sujet, voir Nicolas VERMEYS, « Responsabilité civile et Web 2.0 », (2007) Repères, EYB2007REP607. 26. À ce sujet, voir Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 4e éd. (Montréal, Thémis, 2009), p. 301. 27. OLF, préc., note 23. Notons que, en France, c’est l’expression « fournisseur d’accès à Internet » qui sera plutôt utilisée, alors qu’aux États-Unis, on parlera de « Internet Service Provider ». Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1059 Tel que nous venons d’y faire référence, l’expression « fournisseur de services Internet » n’est reprise nulle part dans la législation québécoise. Au niveau fédéral, la Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet28 offre une définition de « service Internet »29 qui viendrait élargir le rôle du FSI à la fourniture de tous « [s]ervices d’accès à Internet, d’hébergement de contenu sur Internet ou de courrier électronique ». Toutefois, bien que plusieurs FSI cumulent effectivement ces rôles, il demeure que cette définition dépasse la portée normalement attribuée à l’expression « fournisseur de services Internet » et nous semble difficilement généralisable pour servir d’outil interprétatif en matière d’attribution de responsabilité. Ailleurs au pays, seule la loi ontarienne sur la protection du consommateur30 incorpore la notion de « fournisseur de services Internet » sans, toutefois, la définir. Quant à l’expression quasisynonymique31 de « fournisseur d’accès à Internet », celle-ci est reprise dans le Règlement sur la déclaration des prélèvements d’eau32, sans, encore une fois, qu’on en établisse la portée. Ceci étant, lorsque l’on considère les fonctionnalités associées aux services offerts par le FSI – soit de servir de conduit permettant de se connecter au réseau – cette notion nous semble, comme à d’autres auteurs avant nous33, pouvoir être assimilée à celle de « prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir les services d’un réseau de communication »34 ou de « prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir les services d’un réseau de communication »35, selon les circonstances de l’acte reproché. Sous la Loi sur le droit d’auteur36, nous sommes d’avis que le FSI sera ultimement 28. L.C. 2011, ch. 4. 29. Ibid., art. 1. 30. Loi de 2002 sur la Protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann A, art. 13.1(2). Notons que la version anglaise de l’expression, « Internet service provider », est quant à elle utilisée dans la version anglaise de cette même loi, ainsi que dans la Provincial Sales Tax Regulations (R.R.S., c. E-3, r. 1, art. 3(0.1)h)) de la Saskatchewan et dans la version anglaise du Règlement sur la déclaration des prélèvements d’eau du Québec (RLRQ, c. Q-2, r. 14, art. 9). 31. Comme le souligne l’Office de la langue française, « un fournisseur d’accès ne donne que la connexion à Internet alors que le fournisseur de services offre à ses clients plusieurs services supplémentaires, dont l’hébergement de pages personnelles. ». OLF, préc., note 23. 32. RLRQ, c. Q-2, r. 14, art. 9. 33. TRUDEL, préc., note 2, p. 225 et s. 34. LCCJTI, art. 36. 35. LCCJTI, art. 37. 36. Préc, note 19. 1060 Les Cahiers de propriété intellectuelle assimilé à un « fournisseur de moyens de télécommunication »37. C’est d’ailleurs ce que laisse transparaître le Résumé législatif du projet de loi C-11 : « [l]es nouveaux articles 41.25 et 41.26 proposés définissent le rôle des fournisseurs de services réseau (ou fournisseurs de services Internet [FSI]) et des outils de repérage (moteurs de recherche) dans la prévention des violations du droit d’auteur »38. 1.1.2 Les hébergeurs Tout comme le FSI, l’hébergeur n’est pas défini en droit québécois. L’expression n’est d’ailleurs utilisée nulle part dans le paysage législatif canadien. Selon l’Office de la langue française, la notion d’hébergeur vise tout « [f]ournisseur proposant un service d’hébergement, gratuit ou payant, qui permet de disposer d’un espace disque sur son serveur, afin de diffuser sur Internet des sites Web ou des pages personnelles »39. En ce sens, l’hébergeur serait assimilable, en droit québécois, au prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication prévu à l’article 22 de la LCCJTI40. En vertu de la Loi sur le droit d’auteur, l’hébergeur sera assimilé à une personne qui fournit « en vue du stockage visé au paragraphe 31.1(4), la mémoire numérique qui est utilisée pour l’emplacement électronique en cause »41. L’article 31.1(4) vient préciser les types de services associés au « fournisseur de mémoire numérique » en indiquant que ce titre vise : « quiconque fournit à une personne une mémoire numérique pour qu’elle y stocke une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur en vue de permettre leur télécommunication par l’intermédiaire d’Internet ou d’un autre réseau numérique ». Comme la disposition québécoise42, cette définition nous semble assez large pour couvrir les hébergeurs de sites Web, mais également les hébergeurs « 2.0 », c’est-à-dire les réseaux 37. LDA, al. 41.25(1)a). 38. Dara LITHWICK et Maxime-Olivier THIBODEAU, Résumé législatif du projet de loi C-11 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Publication no 41-1-C11F. 39. OLF, préc., note 23. 40. C’est d’ailleurs ce que prévoit le texte annoté de la LCCJTI disponible à l’adresse : <http://www.tresor.gouv.qc.ca/ressources-informationnelles/gouvernance-etgestion-des-ressources-informationnelles/loi-concernant-le-cadre-juridique-destechnologies-de-linformation/>. 41. LDA, art. 41.25. 42. À ce sujet, voir Nicolas VERMEYS, « Fait et faute d’autrui », dans Responsabilité civile, coll. JurisClasseur Québec (Montréal, LexisNexis, 2013), p. 18/27 ; Patrick GINGRAS et Nicolas VERMEYS, Actes illicites sur Internet : Qui et comment poursuivre (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011), p. 35 ; et TRUDEL, préc., note 2, p. 199 et s. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1061 sociaux, blogues et autres sites de contenus générés par les utilisateurs dès lors qu’ils fournissent une telle mémoire numérique. Évidemment, vu les définitions retenues tant par la LCCJTI que la LDA, une entité pourrait à la fois être un FSI et un hébergeur, c’est-à-dire qu’elle pourrait offrir des services de stockage et permettre un accès au réseau43. Elle pourrait également agir, comme nous le verrons maintenant, comme service de courrier électronique. 1.1.3 Les services de courrier électronique Si les services de courrier électronique sont cités à maintes reprises tant par la législation provinciale44 que fédérale45, ils ne font jamais l’objet de définitions claires et précises. Ainsi, par soucis de limpidité, nous qualifions de service de courrier électronique tout « [s]ervice de correspondance qui permet l’échange de messages électroniques à travers un réseau informatique »46. Cette définition viendra donc viser à la fois les services offerts par les FSI et/ou certains employeurs, ainsi que les services de courriel Web47 tels Hotmail, Gmail et Yahoo ! Mail. Sous la LCCJTI, le service de courrier électronique sera assimilé au « prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir les services d’un réseau de communication exclusivement pour la transmission de documents technologiques sur ce réseau »48. En effet, cette catégorie d’intermédiaire prévue à l’article 36 de la LCCJTI vise notamment les services de courriel. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive Pierre Trudel, lequel précise que « [o]n vise ici les intermédiaires qui offrent des services exclusivement liés à la transmission [p]ar exemple [...] un serveur de courriel »49. 43. C’est d’ailleurs, comme nous l’avons mentionné plus haut, ce que souligne la Cour suprême dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 21. 44. Voir par exemple : Loi sur les bureaux de la publicité des droits, RLRQ, c. B-9, art. 10 et Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, annexe 1. 45. Voir par exemple : Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet, L.C. 2011, ch. 4, art. 1. 46. OLF, préc., note 23. 47. « Service gratuit de messagerie électronique, directement accessible sur le Web depuis un navigateur, sans faire appel à un logiciel de courrier électronique ». Ibid. 48. LCCJTI, art. 36. 49. Pierre TRUDEL, « La responsabilité des acteurs du commerce électronique », dans Vincent GAUTRAIS (dir.), Droit du commerce électronique (Montréal, Thémis, 2005), p. 607, à la p. 640. 1062 Les Cahiers de propriété intellectuelle Contrairement à la LCCJTI, la Loi sur le droit d’auteur semble, à première lecture, avoir écarté le service de courrier électronique du champ d’application des dispositions visant la responsabilité des intermédiaires techniques. En effet, s’il est relativement évident que l’offre de mémoire numérique vise les hébergeurs et que la fourniture de moyens de télécommunication est liée aux activités d’un FSI (si l’on se fie aux notes explicatives), aucune adéquation aussi directe n’a été effectuée en ce qui concerne les services de courrier électronique. Évidemment, il serait facile de prétendre que, lorsqu’un service de courrier électronique est offert par un FSI, ce sont les dispositions relatives à ce dernier qui s’appliquent, mais un tel raisonnement irait à l’encontre de la logique voulant que la responsabilité d’un intermédiaire technique soit dictée, comme nous l’avons déjà souligné, par la fonction exécutée dans un contexte donné et non sa principale offre de service50. Or, quelle est la fonction du service de courrier électronique ? En fait, cette fonction est double. Il s’agit d’abord – surtout pour les services de courriel Web – d’offrir un environnement permettant d’entreposer des messages envoyés, reçus ou en préparation, dans quel cas le service de courrier électronique pourra être assimilé à un hébergeur, soit une personne qui fournit de la mémoire numérique51. Le service de courrier électronique assure également la fonction de transmission et de réception de messages, dans quel cas il sera assimilable à un fournisseur de moyens de télécommunication52, cette fonctionnalité étant en fait similaire à celle d’une entreprise de télécommunication qui fournit les lignes téléphoniques pour l’envoi de télécopies ou de messages téléphoniques53. 50. Voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 102 : « [...] un fournisseur de services Internet au Canada peut jouer de nombreux rôles. En plus d’agir comme intermédiaire, il peut aussi être fournisseur de contenu ou créer des liens intégrés qui communiquent automatiquement des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur provenant d’autres sources. Dans de tels cas, les fonctions supplémentaires peuvent engager la responsabilité au regard du droit d’auteur. La protection prévue à l’al. 2.4(1)b) s’applique à une fonction protégée, et non à toute activité d’un fournisseur de services Internet. » 51. LDA, art. 41.25. Notons que cela implique également que, sous la LCCJTI, le service de courrier électronique pourrait également être associé à un « prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication » (LCCJTI, art. 22) lorsque l’acte reproché est celui d’avoir hébergé des courriels contenant un contenu pornographique, par exemple. 52. LDA, al. 41.25(1)a). 53. Voir TRUDEL, préc., note 49, p. 640. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1063 1.1.4 Les moteurs de recherche Les moteurs de recherche constituent la catégorie d’intermédiaire technique la moins difficile à cataloguer en vertu tant de la LCCJTI que de la Loi sur le droit d’auteur puisque, contrairement aux autres intermédiaires dont la qualification juridique peut parfois causer de la confusion (comme c’est le cas, tel que nous venons de le voir, pour le FSI sous la LCCJTI ou le service de courrier électronique sous la Loi sur le droit d’auteur), les moteurs de recherche sont clairement identifiés par des notions quasi-synonymiques dans l’un et l’autre des textes de loi précités. Ainsi, en vertu de la LCCJTI, le moteur de recherche sera qualifié de « prestataire qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de référence à des documents technologiques, dont un index, des hyperliens, des répertoires ou des outils de recherche »54, alors que, selon la Loi sur le droit d’auteur, il sera qualifié d’outil de repérage, soit « tout outil permettant de repérer l’information qui est accessible sur l’Internet ou tout autre réseau numérique »55. 1.2 Les régimes de responsabilité applicables aux intermédiaires techniques Tant sous la LCCJTI56 que sous la Loi sur le droit d’auteur57, le régime de responsabilité réservé à l’un ou l’autre des intermédiaires techniques que nous venons d’identifier est articulé autours de diverses notions, dont, comme nous l’avons soulevé en introduction, celle de contrôle. Tel que le souligne la Cour suprême dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet (ci-après : l’« affaire SOCAN »)58 : le fournisseur du serveur hôte ne contrôle pas la légalité du matériel rendu disponible, notamment au regard des dispositions sur le droit d’auteur. Étant donné l’énorme quantité de 54. LCCJTI, art. 22. 55. LDA, al. 41.27(5). 56. Voir Vincent GAUTRAIS et Pierre TRUDEL, Circulation des renseignements personnels et Web 2.0 (Montréal, Thémis, 2010), p. 59 et s. 57. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 19 : « La Commission du droit d’auteur a conclu que, en règle générale, les fournisseurs de services Internet qui « hébergent » des sites Web pour des tiers ne connaissent pas le contenu des fichiers stockés en mémoire, ni ne le contrôlent. » [Les italiques sont nôtres.] 58. Ibid. 1064 Les Cahiers de propriété intellectuelle fichiers accessibles, il est impossible, en l’état actuel de la technologie, d’exiger du fournisseur du serveur hôte qu’il le fasse.59 Cette absence de contrôle est la raison pour laquelle, comme nous le verrons maintenant, les deux régimes prévoient une exemption de responsabilités pour les intermédiaires techniques, exemption qui, toujours selon l’affaire SOCAN, est justifiée tant et aussi longtemps que cette absence de contrôle persiste : Tant que son rôle relativement à une transmission donnée est limité à la fourniture des moyens nécessaires à la transmission de données provenant d’autrui et destinées à être transmises sur l’Internet, et tant que les services accessoires qu’il fournit ne vont pas jusqu’à la participation à la communication de l’œuvre ou à l’autorisation de sa communication, il convient de lui accorder le bénéfice de l’exemption.60 Ceci implique par ailleurs que, dès que l’intermédiaire technique choisira d’exercer un quelconque contrôle sur les contenus qu’il héberge, transmet ou auxquels il donne accès, il ne pourra profiter de cette exemption. Bien que cette logique transcende le régime de responsabilité réservé aux intermédiaires techniques à la fois sous la LCCJTI (1.2.1) et sous la Loi sur le droit d’auteur (1.2.2), les approches utilisées diffèrent toutefois quant au contexte menant à la perte de ce bénéfice, approches que nous aborderons maintenant. 1.2.1 Le régime de responsabilité sous la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information Comme le soulève la Cour d’appel dans l’affaire Prud’homme c. Rawdon (Municipalité de)61 « [l]’on sait [...] qu’une faute contributoire peut être commise par des tiers qui acheminent, diffusent ou hébergent l’information ». Le juge Rochon, auteur de cette décision, poursuit toutefois en précisant que « [à] cet égard, je dois reconnaître que les articles 22, 26, 36 et 37 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (L.R.Q., c. C-1.1) tendent plutôt à diminuer sinon à soustraire certains tiers à toute responsabi59. Ibid., par. 109. 60. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs d’Internet, (1999) 1 C.P.R. (4th) 417. Cité avec approbation dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 95. 61. 2010 QCCA 584, par. 75. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1065 lité »62. Ce sont en effet principalement ces quatre dispositions qui constituent le cadre législatif applicable aux différents intermédiaires techniques en droit québécois. L’article 22 de la LCCJTI vient limiter la responsabilité de l’intermédiaire technique pouvant être qualifié de prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication, soit l’hébergeur, et du prestataire de service qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de référence à des documents technologiques (dont notamment les moteurs de recherche). En vertu de cette disposition, la responsabilité de l’hébergeur ne sera entraînée que « s’il a de fait connaissance que les documents conservés servent à la réalisation d’une activité à caractère illicite ou s’il a connaissance de circonstances qui la rendent apparente et qu’il n’agit pas promptement pour rendre l’accès aux documents impossible ou pour autrement empêcher la poursuite de cette activité », alors que celle du moteur de recherche sera entraînée « s’il a de fait connaissance que les services qu’il fournit servent à la réalisation d’une activité à caractère illicite et s’il ne cesse promptement de fournir ses services aux personnes qu’il sait être engagées dans cette activité »63. Dans un cas comme dans l’autre, le critère déterminant sera celui de la connaissance. Or, comme, en vertu de l’article 27 de la même loi, « [l]e prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir des services sur un réseau de communication ou qui y conserve ou y transporte des documents technologiques n’est pas tenu d’en surveiller l’information, ni de rechercher des circonstances indiquant que les documents permettent la réalisation d’activités à caractère illicite », cette connaissance ne se présumera pas, d’où la nécessité implicite d’aviser l’intermédiaire de l’existence du contenu illicite. Une fois l’avis reçu, l’intermédiaire visé par l’article 22 LCCJTI devra agir promptement pour retirer le contenu ou y limiter l’accès. 62. Ibid., note 24. 63. Tel que nous l’avons indiqué ailleurs (Nicolas VERMEYS, « La responsabilité civile des prestateurs de moteurs de recherches et des fournisseurs d’hyperliens en droit québécois », (2005) 10(1) Lex Electronica : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_94.pdf>), la rédaction de cette disposition nous semble quelque peu maladroite puisqu’elle aurait une portée plus large que la simple obligation de cesser le référencement d’un site au contenu illicite. Toutefois, nous prédisons que les tribunaux, s’ils doivent éventuellement étudier la portée de la disposition, adopterons une interprétation restrictive qui se limite à cette obligation, le contraire étant, à notre avis, inconciliable avec les limites techniques du Web. 1066 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le terme « promptement » n’étant quantifié nulle part dans la loi, il convient, pour citer les propos du juge Chaput dans Fortin c. Fortin64, « d’en retenir le sens usuel », soit « en peu de temps »65, notion qui sera nécessairement variable selon le type d’intermédiaire interpelé. Évidemment, ceci ne sera nécessaire que si le contenu en question est, toujours selon l’article 22 LCCJTI, illicite. Cette caractérisation du contenu, si elle est éminemment pertinente (en effet pourquoi le refus de retirer un contenu qui n’est pas illicite entraînerait-il la responsabilité d’un intermédiaire ?), n’en demeure pas moins source de confusion. Suffit-il simplement de prétendre à l’illicéité d’un contenu pour engager la responsabilité de l’intermédiaire ? Doit-on lui fournir un avis juridique à cet effet ? L’intermédiaire doit-il consulter son avocat avant de retirer un contenu ? Ces questions demeurent sans réponse définitive66. Selon Pierre Trudel : Pour qu’une plainte soit sérieuse, elle doit démontrer des motifs sérieux donnant à conclure au caractère illicite du document visé et non résulter d’une demande arbitraire, vengeresse et futile. Pour conclure au sérieux de la plainte, l’intermédiaire qui entretient des doutes à cet égard sera avisé d’obtenir une confirmation indépendante.67 Évidemment, toute « confirmation indépendante » (comprendre ici, un avis juridique), en plus de demeurer spéculative tant et aussi longtemps qu’elle n’aura pas été elle-même confirmée par un tribunal, impliquera des frais qu’un hébergeur ou gestionnaire de moteur de recherche préfèrera éviter, d’où la présence de clauses telles celle-ci dans une majorité de contrats d’hébergement ou autres service offerts en ligne : Nos services affichent des contenus n’appartenant pas à Google. Ces contenus relèvent de l’entière responsabilité de l’entité qui les a rendus disponibles. Nous pouvons être amenés à vérifier les contenus pour s’assurer de leur conformité à la loi 64. Fortin c. Fortin (Complexe funéraire Fortin), 2009 QCCS 5345. Le tribunal se penchait ici sur le sens à accorder au terme « sommairement » tel qu’employé à l’article 54.2 C.p.c. Ces propos ont par ailleurs récemment été repris par le juge Kasirer dans Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, par. 67. 65. Josette REY-DEBOVE et Alain REY (dir.), Le nouveau Petit Robert de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2007, p. 2042. 66. Pour un résumé des pistes de solution proposées par la doctrine, voir P. TRUDEL, préc., note 49, p. 637 et s. ; Nicolas VERMEYS, « La diffamation sur Internet : à qui la faute ? », (2007) Repères, EYB2007REP649 ; et TRUDEL, préc., note 2, p. 221. 67. TRUDEL, préc., note 2, p. 221. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1067 ou à nos politiques. Nous nous réservons le droit de supprimer ou de refuser d’afficher tout contenu que nous estimons raisonnablement être en violation de la loi ou de nos politiques. Le fait que nous nous réservions ce droit ne signifie pas nécessairement que nous vérifions les contenus. Par conséquent, veuillez ne pas présumer que nous vérifions les contenus.68 Dès lors qu’il sera possible d’établir qu’un hébergeur ou un moteur de recherche avait connaissance de l’existence d’un contenu illicite et qu’il n’a pas agi promptement pour y limiter l’accès69, sa responsabilité pourra être retenue au même titre que celui qui a affiché le contenu en question. Ceci étant, comme la solidarité ne se présume pas70 et que rien dans la LCCJTI ne laisse sous-entendre une responsabilité solidaire entre l’intermédiaire technique et celui qui a recours à ses services, cette responsabilité demeurera distincte de celle de l’utilisateur. L’article 26 LCCJTI, bien qu’il soit effectivement pertinent afin d’établir la responsabilité d’un intermédiaire technique, principalement l’hébergeur, ne viendra jouer que dans la relation contractuelle entre l’hébergeur et le fournisseur de contenus. En effet, cette disposition vise les mesures de sécurité à mettre en place afin de notamment assurer la confidentialité et l’intégrité des informations hébergées, s’éloignant ainsi du propos du présent article. Nous référons donc le lecteur à d’autres ouvrages pour une analyse plus approfondie de cette disposition71. L’article 36 LCCJTI vient limiter la responsabilité de l’intermédiaire technique qui « fournit les services d’un réseau de communication exclusivement pour la transmission de documents technologiques ». Ce dernier sera exempt de responsabilité pour les contenus illicites circulant via ses réseaux sauf s’il : 68. GOOGLE, « Conditions d’utilisation », (1er mars 2012) : <http://www.google.ca/ intl/fr/policies/terms/regional.html>. Notons que ces conditions s’appliquent tant à l’utilisation du moteur de recherche de Google qu’à ses services d’hébergement tels Google Drive et Youtube. 69. Notons que, selon une récente décision de la Cour supérieure, rendre l’accès à un document technologique impossible ne signifie pas nécessairement retirer le contenu. Il serait en effet possible de respecter son obligation tout en protégeant les contenus illicites par un mot de passe. Voir Laforest c. Collins, 2012 QCCS 6291, par. 12 et s. 70. Art. 1525 C.c.Q. : « La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas ; elle n’existe que lorsqu’elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi [...] ». 71. Voir notamment Nicolas VERMEYS, Responsabilité civile et sécurité informationnelle (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010). 1068 Les Cahiers de propriété intellectuelle • Est à l’origine de la transmission du document ; • Sélectionne ou modifie l’information du document ; • Sélectionne la personne qui transmet, reçoit, ou accède au document ; • Conserve le document plus longtemps que nécessaire pour sa transmission72. Finalement, l’article 37 LCCJTI applique cette même logique à celui qui « conserve sur un réseau de communication les documents technologiques que lui fournit son client et qui ne les conserve qu’à la seule fin d’assurer l’efficacité de leur transmission ultérieure aux personnes qui ont droit d’accès à l’information » en ajoutant toutefois trois exceptions supplémentaires, à savoir : • Ne pas respecter les conditions d’accès au document ; • Prendre des mesures pour empêcher la vérification de qui a eu accès au document ; • Ne pas retirer promptement du réseau ou ne pas rendre l’accès au document impossible alors qu’il a de fait connaissance qu’un tel document a été retiré de là où il se trouvait initialement sur le réseau, du fait qu’il n’est pas possible aux personnes qui y ont droit d’y avoir accès ou du fait qu’une autorité compétente en a ordonné le retrait du réseau ou en a interdit l’accès. Notons que l’exemption prévue aux articles 36 et 37 LCCJTI se conçoit facilement puisque les intermédiaires visés agissent ici comme de simples transmetteurs, entités qui, depuis des lustres, profitent d’une exemption de responsabilité pour les contenus qu’ils transmettent : On ne peut dire des propriétaires des fils téléphoniques, qui ignorent tout de la nature du message devant être transmis, qu’ils transmettent, au sens de la convention, un message dont ils ignorent la teneur.73 72. LCCJTI, art. 36. 73. Electric Despatch Co. of Toronto c. Bell Telephone Co. of Canada (1891), 20 R.C.S. 83, 91, telle que traduite dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 96. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1069 Ce n’est donc, comme nous l’avons vu, que lorsqu’ils adopteront un rôle actif de contrôle et de surveillance des documents transmis que leur responsabilité pourra être retenue quant au contenu desdits documents. 1.2.2 Le régime de responsabilité sous la Loi sur le droit d’auteur Comme en droit québécois, la Loi sur le droit d’auteur prévoit l’absence de responsabilité des FSI pour les contenus qui circulent via leurs réseaux. En effet, l’article 31.1 LDA prévoit que : La personne qui, dans le cadre de la prestation de services liés à l’exploitation d’Internet ou d’un autre réseau numérique, fournit des moyens permettant la télécommunication ou la reproduction d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur par l’intermédiaire d’Internet ou d’un autre réseau ne viole pas le droit d’auteur sur l’œuvre ou l’autre objet du seul fait qu’elle fournit ces moyens.74 Cette même exemption existe par ailleurs pour les hébergeurs en ce qui concerne les données entreposées sur leurs serveurs : quiconque fournit à une personne une mémoire numérique pour qu’elle y stocke une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur en vue de permettre leur télécommunication par l’intermédiaire d’Internet ou d’un autre réseau numérique ne viole pas le droit d’auteur sur l’œuvre ou l’autre objet du seul fait qu’il fournit cette mémoire.75 Notons toutefois que l’hébergeur ne pourra bénéficier de cette exemption s’il « sait qu’un tribunal compétent a rendu une décision portant que la personne qui y a stocké l’œuvre ou l’autre objet viole le droit d’auteur du fait de leur reproduction ou en raison de la manière dont elle les utilise »76. Il ne pourra par ailleurs pas profiter de cette exemption77 – ni le FSI d’ailleurs78 – s’il fournit ses services « principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur, si une autre personne commet 74. 75. 76. 77. 78. LDA, par. 31.1(1). Ibid., par. 31.1(4). Ibid., par. 31.1(5). Ibid., par. 31.1(6). Ibid. 1070 Les Cahiers de propriété intellectuelle une telle violation sur Internet ou tout autre réseau numérique en utilisant ce service »79. Ce dernier critère, lequel nous semble venir codifier le principe états-unien de « contributory copyright infringement » notamment soulevé dans la célèbre affaire Napster80, mais jusqu’à présent pratiquement absent du paysage jurisprudentiel canadien81, risque de causer quelques ennuis interprétatifs. En effet, comment établir si un service existe « principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes illicites » ? Si 51 % des utilisateurs d’un service voué à un usage légitime l’utilisent à des fins illicites, le fournisseur de ce service doit-il automatiquement y mettre fin de peur d’être tenu responsable de ces utilisations illicites ? Heureusement, le paragraphe 27(2.4) de la loi vient apporter quelques indices interprétatifs en précisant que, « [l]orsqu’il s’agit de décider si une personne a commis une violation du droit d’auteur prévue au paragraphe (2.3), le tribunal peut prendre en compte les facteurs suivants » : • le fait que la personne a fait valoir, même implicitement, dans le cadre de la commercialisation du service ou de la publicité relative à celui-ci, qu’il pouvait faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur ; • le fait que la personne savait que le service était utilisé pour faciliter l’accomplissement d’un nombre important de ces actes ; • le fait que le service a des utilisations importantes, autres que celle de faciliter l’accomplissement de ces actes ; 79. LDA, par. 27(2.3). 80. A&M Records, Inc. v. Napster, Inc., 114 F.Supp.2d 896 (N.D. Cal. 2000), confirmée en appel dans 239 F.3d 1004 (9th Cir. 2001), mais retournée en première instance pour réduire la portée de l’injonction : 2001 WL 777005 (N.D. Cal. Mar 05, 2001), confirmée en appel dans 284 F.3d 1091 (9th Cir. 2002). 81. « [T]he important distinctions that exist between American and Canadian copyright law on issues such as distribution rights and contributory infringement, coupled with the detailed statutory provisions that now address the liability of ISPs mean that American cases are of little relevance in determining the application of Canadian legal principles in these matters. » Voir Public Performance of Musical Works (Re), [1999] D.C.D.A. 5, note 4. En effet, ce concept emprunté au droit des brevets n’a été abordé qu’à deux reprises par les tribunaux canadiens. Voir Tom Hopkins International Inc. c. Wall & Redekop Realty Ltd., 1984 CanLII 519 (BC SC), par. 19 (infirmée en appel : Tom Hopkins Int. Inc. c. Wall & Redekop Realty Ltd., 1985 CanLII 503 (BC C.A.)) et Corel Corp. c. Guardian Insurance Co. of Canada, [2001] O.J. 368, par. 7. Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, le concept est mentionné au passage en citant une décision américaine, mais ne fait l’objet d’aucune analyse permettant de déduire qu’il serait applicable au Canada. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1071 • la capacité de la personne, dans le cadre de la fourniture du service, de limiter la possibilité d’accomplir ces actes et les mesures qu’elle a prises à cette fin ; • les avantages que la personne a tirés en facilitant l’accomplissement de ces actes ; • la viabilité économique de la fourniture du service si celui-ci n’était pas utilisé pour faciliter l’accomplissement de ces actes. Cette énumération semble s’inspirer de la position adoptée par la Cour suprême dans l’affaire CCH82 à l’effet que « ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil (comme une photocopieuse) susceptible d’être utilisé à cette fin »83. La Cour poursuit d’ailleurs en précisant que « [l]es tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité »84. Bref, il existerait donc une présomption à l’effet qu’un service, même s’il facilite clairement l’accomplissement d’actes illicites, ne sert pas principalement à cette fin. Le nouveau paragraphe 27.(2.3), s’il ne vient pas directement renverser cette présomption, laisse toutefois supposer qu’elle n’est pas irréfragable. Autrement, en ce qui concerne l’éventuel retrait, par l’intermédiaire technique, de contenus publiés, diffusés ou autrement communiqués via ses services en violation des droits d’auteur d’un tiers, la Loi sur le droit d’auteur fait figure seule en rejetant le modèle juridique le plus répandu. En effet, contrairement aux recommandations de la Cour suprême85, le législateur fédéral n’a pas retenu le modèle d’« avis et retrait » préconisé à différents niveaux par ses homologues québécois, européens et états-unien. Ainsi, plutôt que d’imposer à l’intermédiaire technique l’obligation de retirer un contenu hébergé ou transmis, l’approche adoptée propose plutôt un modèle d’« avis et avis »86 : 82. 83. 84. 85. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13. Ibid., par. 43. Ibid. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 127 : « La meilleure solution serait que le législateur adopte une procédure « d’avis et de retrait » à l’instar de la Communauté européenne et des États-Unis ». 86. GOUVERNEMENT DU CANADA, « Ce que la Loi sur la modernisation du droit d’auteur signifie pour les fournisseurs de services Internet, les moteurs de recherche et les radiodiffuseurs », (2011) : <http://balancedcopyright.gc.ca/eic/ site/crp-prda.nsf/fra/rp01188.html>. 1072 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le projet de loi rend officiel le régime volontaire d’« avis et avis » actuellement utilisé par les FSI canadiens. Suivant ce régime, quand un FSI est avisé par un titulaire du droit d’auteur de la possibilité qu’un abonné viole son droit d’auteur, il envoie un avis à l’abonné ; l’identité de l’abonné peut alors être divulguée sous ordonnance d’un tribunal. Cette approche particulière au Canada a un effet dissuasif bien établi, et elle concorde avec les valeurs canadiennes.87 Ce régime d’avis et avis est codifié aux futurs articles 41.25, 41.26 et 41.27(3) de la Loi sur le droit d’auteur, lesquels entreront en vigueur prochainement88, soit à la suite de l’adoption d’un règlement visant à en établir les balises89. Ainsi, en vertu de l’article 41.25, le titulaire d’un droit d’auteur n’ayant pas consenti à la mise en ligne de son œuvre pourra transmettre un avis au fournisseur de service ayant servi de canal de transmission, d’hébergeur ou d’outil de repérage de l’œuvre en question. Pour être jugé valide, ledit avis devra être communiqué par écrit et : • préciser les nom et adresse du demandeur et contenir tout autre renseignement prévu par règlement qui permet la communication avec lui ; • identifier l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur auquel la prétendue violation se rapporte ; • déclarer les intérêts ou droits du demandeur à l’égard de l’œuvre ou de l’autre objet visé ; • préciser les données de localisation de l’emplacement électronique qui fait l’objet de la prétendue violation ; • préciser la prétendue violation ; • préciser la date et l’heure de la commission de la prétendue violation ; • contenir, le cas échéant, tout autre renseignement prévu par règlement90. 87. Ibid. 88. Notons que l’article 41.27 LDA est déjà en vigueur, à l’exception du paragraphe 3 qui entrera normalement en vigueur à la même date que les articles 41.25 et 41.26 LDA. 89. Décret fixant plusieurs dates d’entrée en vigueur de diverses dispositions de la loi Modernisation du droit d’auteur (Loi), préc., note 19. 90. LDA, par. 41.25(2). Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1073 L’hébergeur, le service de courrier électronique ou le FSI recevant un tel avis devra alors : • transmettre dès que possible par voie électronique une copie de l’avis à la personne à qui appartient l’emplacement électronique identifié par les données de localisation qui sont précisées dans l’avis et informer dès que possible le demandeur de cette transmission ou, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n’a pas pu l’effectuer ; • conserver, pour une période de six mois à compter de la date de réception de l’avis de prétendue violation, un registre permettant d’identifier la personne à qui appartient l’emplacement électronique et, dans le cas où, avant la fin de cette période, une procédure est engagée par le titulaire du droit d’auteur à l’égard de la prétendue violation et qu’il en a reçu avis, conserver le registre pour une période d’un an suivant la date de la réception de l’avis de prétendue violation91. Notons que, pour se conformer à l’avis, l’intermédiaire technique visé pourra exiger un dédommagement92, le montant duquel sera toutefois limité par règlement93. Notons également que le prestataire de moteur de recherche n’est pas visé par l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur et que, advenant la découverte d’un contenu illicitement reproduit ou communiqué au public par télécommunication, le titulaire des droits devra procéder par voie injonctive 94. Ce régime d’« avis et avis », s’il offre l’avantage de favoriser la liberté d’expression95, n’est pas sans détracteurs96, notamment puisqu’il détonne de la position adoptée presqu’universellement en occident et, surtout, parce qu’il n’est appuyé d’aucune donnée en 91. LDA, par. 41.26(1). 92. Ibid. 93. Ibid., par. 41.26(2) : « Le ministre peut, par règlement, fixer le montant maximal des droits qui peuvent être exigés pour les actes prévus au paragraphe (1). À défaut de règlement à cet effet, le montant de ces droits est nul. » 94. LDA, art. 41.27. 95. Voir notamment Michael GEIST, « The Effectiveness of Notice and Notice », (2012) : <http://www.michaelgeist.ca/content/view/1705/125/>. 96. Voir notamment Barry SOOKMAN, « Copyright Reform for Canada: What Should We Do ? », (2009) 2(2) Osgoode Hall Review of Law and Policy 73, 97 ; Barry SOOKMAN, « Rethinking notice and notice after C-32 », (2011) : <http:// www.barrysookman.com/2011/04/04/rethinking-notice-and-notice-after-c-32/> ; et James GANNON, « Correcting Geist on Notice-and-Notice », (2011) : <http:// jamesgannon.ca/2011/03/08/correcting-geist-on-notice-and-notice/>. 1074 Les Cahiers de propriété intellectuelle démontrant l’efficacité97. De plus, cette « approche particulière au Canada »98 implique que, même dans les cas où la violation d’un droit d’auteur est flagrante, le titulaire devra procéder par voie injonctive pour faire retirer le contenu (ce qui implique des coûts) puisque l’intermédiaire technique n’aura aucune obligation de le faire (bien qu’il en ait la discrétion)99 : While requiring ISPs to forward notices from copyright owners to infringing end-users does have value for transitory network communications if the notices carry a realistic possibility of sanction, this approach is completely ineffective for hosted content. In addition, it promotes costly and lengthy litigation by compelling rights holders to obtain a formal court order every time a content poster opts not to voluntarily comply with an infringement notice (or possibly two, if the posters’ identity is not known) in order to remove or disable access to infringing content. In the fast-paced world of the Internet, where the availability of even a single unauthorized copy can trigger a sequence of events that makes thousands of copies available for worldwide download, this is not a viable or effective remedy.100 Si certains avanceront qu’un tel scénario est préférable aux risques liés au retrait de contenus licites, mais désagréables pour un titulaire de droits101, nous sommes d’avis qu’un processus intermédiaire entre le régime d’« avis et retrait » et celui d’« avis et avis » qui utiliserait une approche graduée aurait été plus adéquat. Comme l’explique Barry Sookman, « [a] graduated response system is a system of warnings delivered to a user by an ISP, followed by a series of 97. 98. 99. 100. 101. GANNON, préc., note 96. La loi est en effet venue codifier une pratique fort répandue chez les FSI canadiens dont Bell, Shaw, Rogers, Québecor, Telus et Cogeco. Voir Dwayne WINSECK, « Take notice of the slippery slopes in the Copyright Modernization Act », (2012) The Globe and Mail : <http://m.theglobeandmail.com/technology/ digital-culture/take-notice-of-the-slippery-slopes-in-the-copyright-moderniza tion-act/article542674/?service=mobile>. Bob TARANTINO, « Online Infringement: Canadian “Notice and Notice” vs US “Notice and Takedown” », (2012) : <http://www.entertainmentmedialawsignal. com/online-infringement-canadian-notice-and-notice-vs-us-notice-and-take down/>. ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION OF CANADA, « Copyright Consultations Submission », (2009) 2(2) Osgoode Hall Review of Law and Policy 205, 236. Samuel E. TROSOW, « Copyright Consultations Submission », (2009) 2(2) Osgoode Hall Review of Law and Policy 169, 184 ; et CANADIAN ASSOCIATION OF RESEARCH LIBRARIES, « Copyright Consultations Submission », (2009) 2(2) Osgoode Hall Review of Law and Policy 198, 202. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1075 measures applied by the ISP which would prevent continued unauthorized activity »102. Nous nous devons d’admettre que ce type d’approche n’a pas connu le succès escompté en France où la « riposte graduée » prévue au Code de propriété intellectuelle (tel que modifié par la loi HADOPI)103 a été jugée inconstitutionnelle104, ou en Angleterre où la Digital Economy Act 2010105 instiguant le principe de « graduated response » a fait l’objet de sévères critiques de la part de la communauté juridique106, mais soumettons que cet insuccès est plutôt dû au caractère disproportionné des sanctions et non à leur existence107. Quoiqu’il en soit, le titulaire du droit d’auteur qui s’avère insatisfait des remèdes qui lui sont offerts par la Loi sur le droit d’auteur choisira, dans certains cas, de simplement procéder par le biais de la LCCJTI, ce qui, comme nous le verrons maintenant, soulève en soi plusieurs problématiques et interrogations puisqu’une telle stratégie pourrait s’avérer hasardeuse, voire même illégitime. 2. Les incidences de la dualité de régime Depuis les débuts de la fédération, le régime de responsabilité de droit commun (de compétence provinciale) et le régime de responsabilité propre aux différents régimes de propriété intellectuelle (de compétence fédérale)108 ont cohabité parfois en parfaite harmonie, parfois difficilement. Or, en optant de mettre en place un régime 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108. SOOKMAN, « Copyright Reform for Canada: What Should We Do ? », préc., note 96, p. 86. Ce type d’approche a déjà fait l’objet de législation en France, en Nouvelle-Zélande, en Corée du Sud, à Taiwan et au Royaume-Uni. Voir Trisha MEYER, « Graduated Response in France: the Clash of Copyright and the Internet », (2012) 2 Journal of Information Policy 107, 113. Loi no 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Décision no 2009-580 DC du 10 juin 2009. La loi a par la suite été modifiée à nouveau par le biais de la Loi no 2009-1311 du 28 octobre 2009 (HADOPI 2). Ch. 24. Voir notamment Anne BARRON, « ‘Graduated Response’ à L’Anglaise : Online Copyright Infringement and the Digital Economy Act (U.K.) 2010 », (2011) 3(2) Journal of Media Law 305. Le conseil constitutionnel, dans la décision no 2009-580 DC du 10 juin 2009, indique d’ailleurs, au paragraphe 11, que : « Considérant que, selon les requérants, en conférant à une autorité administrative, même indépendante, des pouvoirs de sanction consistant à suspendre l’accès à internet, le législateur aurait, d’une part, méconnu le caractère fondamental du droit à la liberté d’expression et de communication et, d’autre part, institué des sanctions manifestement disproportionnées ». [Les italiques sont nôtres.] Pour un historique de l’évolution du régime canadien de droit d’auteur, voir Sunny HANDA, Copyright Law in Canada, Markham, Butterworth, 2002, p. 53. 1076 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’« avis et avis », le législateur fédéral est venu en quelque sorte créer une fracture entre le « modèle canadien » et le « modèle québécois ». Si, comme nous le verrons, ces modèles ne sont pas nécessairement irréconciliables, ils viennent compliquer la situation tant pour le titulaire de droits que pour l’intermédiaire technique québécois quant au régime applicable à une situation donnée (1.1). Cette situation est d’autant plus regrettable que la pertinence de ces régimes n’a, à notre avis, pas encore été démontrée (1.2). 2.1 La difficile cohabitation des régimes Vu le partage des compétences prévu aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867109, une première interrogation relative à l’existence de deux régimes distincts visant à établir la portée des obligations d’un intermédiaire technique est évidemment liée à la validité des dispositions de l’une d’elles, en l’occurrence, la Loi sur le droit d’auteur. En effet, puisque le législateur110, tout comme la Cour suprême111, est d’avis que les intermédiaires techniques n’enfreignent pas les droits d’auteur de tiers lorsqu’ils agissent comme simples hébergeurs ou canaux de communication, toute disposition visant à contraindre un intermédiaire technique à collaborer avec le titulaire de droits ou à le forcer à dédommager ledit titulaire dépasserait, à strictement parler, la portée de la Loi sur le droit d’auteur. Il serait effectivement possible de prétendre que le futur article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur, lequel prévoit que le titulaire d’un droit d’auteur pourra exiger « le recouvrement des dommages-intérêts préétablis dont le montant est, selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, d’au moins 5 000 $ et d’au plus 10 000 $ »112 de l’intermédiaire technique qui omet ou refuse de faire suivre un avis, équivaut à la création d’un droit d’action de nature civile par le législateur fédéral contre ledit intermédiaire technique. Or, un tel droit d’action relève techniquement « de la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils conférée par le par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 »113. Notons toutefois que la Cour suprême a souligné à maintes reprises qu’un tel empiètement est admissible « si [la] disposition particulière est assez intégrée à la Loi pour justifier sa 109. 110. 111. 112. 113. (R-U), 30 & 31 Vict., c. 3. LDA, art. 31.1. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 5. LDA, par. 41.26(3). General motors of Canada Ltd. c. City national leasing, 1989 CanLII 133, section III. Il s’agit ici de la position défendue par les procureurs généraux des provinces de common law, position qui sera ultimement rejetée par la Cour. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1077 constitutionnalité »114, soit s’il existe « un rapport fonctionnel » entre la disposition, ainsi que « l’objectif général de la loi [et] la structure et le contenu du système »115. En matière de droits d’auteur, la question de la validité constitutionnelle de dispositions imposant une obligation à un tiers ne participant aucunement à la violation des droits d’un titulaire, comme c’est le cas pour les intermédiaires techniques, s’est posée dans l’affaire Société canadienne de perception de la copie privé c. Canadian Storage Media Alliance116, alors que la Cour d’appel fédérale devait se pencher sur la constitutionnalité des dispositions relatives aux redevances pour la copie pour usage privé d’œuvres musicales. Selon le tribunal : la théorie du caractère véritable exige que, envisagé sous l’angle de son objet et de ses effets juridiques, chaque aspect du régime soit étroitement lié à l’objectif visé par le législateur fédéral, en l’occurrence indemniser les titulaires de droits pour la reproduction d’œuvres musicales pour usage privé. À mon avis, toutes les dispositions de la partie VIII se rattachent effectivement à cet objectif.117 L’objectif visé par le régime d’« avis et avis » étant de faire cesser la violation d’un droit d’auteur par un tiers que seul l’intermédiaire est capable d’identifier, il serait difficile de prétendre que la transmission d’un avis par le biais de ce tiers n’est pas lié à « l’objectif général de la Loi sur le droit d’auteur et la structure et le contenu du système » pour paraphraser le passage précité de la Cour suprême118. Bref, nous sommes d’avis que la constitutionnalité des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur ne devrait pas être remise en question. Ceci étant, accepter la validité de ces dispositions implique qu’un intermédiaire technique québécois se verra soumis à deux régimes qui, à première vue, semblent difficilement conciliables, l’un exigeant qu’il retire les contenus illicites, l’autre ne lui imposant que la transmission d’un avis au contrevenant. 114. 115. 116. 117. 118. Ibid., section V. Voir également Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, par. 19. General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, préc., note 113, p. 683-684, telle que citée par Jean LECLAIR, « La constitutionnalité des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relatives aux droits des distributeurs exclusifs de livres », (1998) 11(1) Cahiers de propriété intellectuelle 141, 154. 2004 CAF 424. Ibid., par. 37. Préc., note 115. 1078 Les Cahiers de propriété intellectuelle En vertu de la doctrine de la prépondérance fédérale, lorsqu’une loi fédérale et une loi provinciale sont toutes deux valides, mais incompatibles, la loi fédérale – en l’occurrence la Loi sur le droit d’auteur – aura préséance119. Si ce principe est bien ancré en droit canadien120, son application en l’espèce nous semble inopportune. En effet, nous sommes d’avis, comme d’autres auteurs121, que les régimes d’« avis et avis » et « avis et retrait » ne sont aucunement incompatibles. Or, comme l’incompatibilité constitue l’un des deux critères devant être remplis pour invoquer la prépondérance fédérale, cette doctrine s’avèrerait donc impertinente dans la présente situation. En effet, selon la Loi sur le droit d’auteur, l’intermédiaire technique désirant éviter d’être exposé à des dommages-intérêts pour avoir hébergé ou transmis des contenus portant atteinte aux droits d’auteur de tiers devra faire suivre un avis à celui qui aurait publié ou autrement communiqué ces contenus et conserver les informations permettant de retracer cet individu durant six mois. L’hébergeur soumis à la LCCJTI devra en plus retirer le contenu de ses serveurs dès qu’il aura été suffisamment informé de son illicéité. S’il va de soi que la LCCJTI impose un fardeau plus important aux intermédiaires techniques que la Loi sur le droit d’auteur, ce seul fait ne suffit pas pour prétendre à une quelconque incompatibilité. En effet, comme le souligne la Cour suprême dans Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan122 : Il est clair qu’il est possible en l’espèce de se conformer aux deux textes. [...] De même, le juge appelé à appliquer l’une des lois n’a aucune difficulté à le faire malgré l’existence de l’autre loi. Comme la Cour, le juge peut se fonder sur la prémisse que la Loi provinciale interdit simplement ce que le Parlement a décidé de ne pas interdire dans ses propres loi et règlements.123 119. 120. 121. 122. 123. Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 5e éd. (Scarborough, Carswell, 2007), p. 16-3. Notons que ce principe a notamment trouvé application en matière de prescription pour un recours pour violation de droit d’auteur dans l’affaire Fabrikant c. Swamy, 2007 QCCS 5431. Au paragraphe 17 de la décision, le juge, en faisant siens les propos tenus dans Fabrikant c. M.N.S. Swamy, 2004 CanLII 43458 (QC C.S.), par. 29, précise que « [l]es dispositions du Code civil du BasCanada (C.c.B.-C.) ou du Code civil du Québec (C.c.Q.) relatives à la prescription sont [...] inapplicables [pour un recours en usurpation de droit d’auteur] ». Une recherche rapide sur les moteurs de recherche juridiques recense près d’une trentaine de décisions de la Cour suprême appliquant ladite doctrine. « “Notice and notice” and “notice and takedown” are complementary methods of dealing with online file sharing. They have often been portrayed as mutually exclusive processes. They are not. » Voir SOOKMAN, « Copyright Reform for Canada : What Should We Do ? », préc., note 96, p. 100. 2005 CSC 13. Ibid., par. 22 et 23. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1079 Dans cette affaire, l’appelant contestait la validité d’une loi provinciale interdisant d’exposer des produits du tabac, geste qu’autorise pourtant expressément l’article 30 de la Loi sur le tabac124. Or selon la Cour : la Loi provinciale n’entrave pas la réalisation de l’objet de l’art. 30 de la Loi sur le tabac. Tant l’objet général de la Loi sur le tabac (s’attaquer à un problème de santé publique d’envergure nationale) que l’objet précis de l’art. 30 (circonscrire l’interdiction générale concernant la promotion des produits du tabac établie à l’art. 19 de la Loi sur le tabac) sont réalisés.125 En appliquant le raisonnement mis de l’avant par la Cour suprême dans cette affaire126, il est possible de prétendre que l’exemption accordée aux intermédiaires techniques en vertu du régime d’« avis et avis », comme l’exemption accordée aux commerçants en vertu de l’article 30 de la Loi sur le tabac, n’accorde pas de droit positif127. De plus, l’objectif général de la Loi sur le droit d’auteur étant de protéger les intérêts économiques et moraux des titulaires de droits d’auteur, et l’objectif précis du régime d’« avis et avis » étant de faire cesser la violation de ces droits par le biais des services offerts par les intermédiaires techniques, nous soumettons que le régime d’« avis et retrait » ne s’oppose pas à ces objectifs. Bien au contraire, il « paraît les favoriser »128. Bref, il serait entièrement possible, pour l’intermédiaire technique, de se plier à la fois aux dispositions de la LCCJTI et de la Loi sur le droit d’auteur, rendant ainsi le recours à la règle de la prépondérance fédérale inapproprié. Qui plus est, pour reprendre les propos de Barry Sookman129, les deux régimes seraient même complémentaires puisque le titulaire québécois n’aura pas à obtenir d’injonction pour le retrait immédiat du contenu (ce qui serait nécessaire pour forcer l’intermédiaire à agir sous l’empire de la Loi sur le droit d’auteur) et n’aura pas besoin de transmettre une mise en demeure visant la conservation de la preuve (ce qui serait nécessaire, en fonction du régime de la LCCJTI, pour s’assurer que l’intermédiaire sera en fonction 124. 125. 126. 127. 128. 129. L.C. 1997, ch. 13. Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, préc., note 122, par. 25. Ibid. Voir les paragraphes 19 à 21 de la décision. Ibid., par. 18. Ibid., par. 26. SOOKMAN, « Copyright Reform for Canada: What Should We Do ? », préc., note 96, p. 100. 1080 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’identifier l’individu fautif advenant l’obtention d’une ordonnance à cet effet130). Se pose toutefois la question de savoir si, malgré l’absence de chevauchement et la complémentarité des régimes, l’article 89 de la Loi sur le droit d’auteur – lequel édicte que : « Nul ne peut revendiquer un droit d’auteur autrement qu’en application de la présente loi [...] » – ne viendrait pas créer une « extension expresse de prépondérance fédérale »131. En effet, comme l’a souligné la Cour suprême dans l’affaire Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc.132, « [a]u Canada, il est bien établi que le droit d’auteur trouve son unique source dans la L.d.a., qui « crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif » »133. Sans contredire cette affirmation, nous sommes d’avis que les articles 22, 36 et 37 de la LCCJTI ne viennent pas créer de droits d’auteur ou même permettre la revendication d’un droit d’auteur préexistant. Ils permettent simplement d’obtenir des dommages advenant la participation cognitive d’un intermédiaire technique à une activité à caractère illicite, c’est-à-dire une activité « qui est défendue par la loi »134, soit la Loi sur le droit d’auteur. D’ailleurs, il importe de préciser que le passage cité de l’arrêt Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc. vient en fait résumer une position préalablement tenue par le même tribunal dans l’affaire Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music et autres135 : En ce domaine technique du droit d’auteur, les cours ont estimé plus prudent de ne statuer que sur les questions de droit soumises et d’éviter autant que possible les comparaisons, les exemples et les hypothèses. Je ferai de même et ne trancherai donc pas la question de savoir si, aux fins des articles pertinents de la Loi sur le droit d’auteur, il peut exister en droit deux « fabricants » d’un même disque. Répondant à une question de la Cour, Me Hughes, l’avocat de l’intimée, a très bien exposé la 130. 131. 132. 133. 134. 135. Voir Jacques c. Ultramar ltée, 2011 QCCS 6020. Il s’agit ici d’une traduction littérale de la notion de « Express extension of paramountcy » invoquée par HOGG, préc., note 119, p. 16-14. 2002 CSC 34. Ibid., par. 113, citant Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357, p. 373, repris dans Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, 477. En fait l’illicéité dépasse la simple illégalité pour couvrir tout ce qui est « défendu par la loi ou contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien (Montréal, Wilson & Lafleur, 2010), p. 307. Préc., note 133. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1081 situation en disant que le droit d’auteur n’est pas régi par les principes de la responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par un texte législatif. Il ne va pas à l’encontre des droits existants en matière de propriété et de conduite et il ne relève pas des droits et obligations existant autrefois en common law. La loi concernant le droit d’auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif. En droit anglais, il en est ainsi depuis la reine Anne, sous laquelle fut promulguée la première loi relative au droit d’auteur. Il n’est pas utile, aux fins de l’interprétation législative, d’introduire les principes de la responsabilité délictuelle. La loi parle d’elle-même et c’est en fonction de ses dispositions que doivent être analysés les actes de l’appelante.136 Notons que cette décision a été rendue dans un contexte de common law. Elle ne fait en effet aucune mention de la validité du raisonnement employé en droit civil québécois. Ceci étant, la Cour fédérale, dans EROS – Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique C.G.I. inc.137, est venue s’inspirer de cette position pour affirmer qu’« [il appert que les principes de responsabilité délictuelle n’ont pas leur place dans l’interprétation du droit d’auteur »138. Selon le tribunal, il serait en effet « inexact de proposer [...] que le droit civil puisse être la source de la faute de la défenderesse dans un cas de violation de droit d’auteur »139. Or, s’il n’est pas utile d’introduire les principes de la responsabilité délictuelle – en l’occurrence, l’article 1457 C.c.Q. – afin d’interpréter les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, cela n’équivaut pas à affirmer qu’il est impossible d’engager sa responsabilité civile en vertu de cette disposition et du droit commun. Ainsi, le droit civil 136. 137. 138. 139. Ibid., p. 372. La référence faite au droit anglais vise notamment l’arrêt Ash c. Hutchinson & Co. (Publishers), Ltd., [1936] 2 All E.R. 1496, dont le passage pertinent est à l’effet que : « Le paragraphe 1(2) de la Copyright Act, 1911 [sur laquelle la Loi canadienne est modelée] expose les droits du titulaire d’un droit d’auteur. Il énumère certains actes que seul le titulaire d’un droit d’auteur peut accomplir. Le droit d’accomplir chacun de ces actes est, à mon avis, un droit distinct, créé par la loi, et quiconque accomplit l’un de ces actes sans le consentement du titulaire du droit d’auteur commet de ce fait un délit ; s’il en accomplit deux, il commet deux délits et ainsi de suite. » (Extrait tiré de la page 1507 de la décision, tel que traduit dans Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467). 2004 CF 178. Ibid., par. 72. Ibid. 1082 Les Cahiers de propriété intellectuelle ne serait pas la source de la faute de la défenderesse dans un cas de violation de droit d’auteur, ce serait plutôt la violation du droit d’auteur qui constituerait la faute en droit civil, ou l’activité à caractère illicite en vertu de l’article 22 de la LCCJTI. Qui plus est, il importe de rappeler que le libellé de l’article 22 LCCJTI est à l’effet que le prestataire « peut engager sa responsabilité ». La disposition ne règle donc pas la question de la responsabilité au regard de la Loi sur le droit d’auteur, elle vient simplement identifier les situations dans lesquelles la responsabilité d’un hébergeur peut être engagée. C’est donc dire que ni l’article 89 de la Loi sur le droit d’auteur, ni l’arrêt Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music et autres n’empêchent, à notre avis, le recours au Code civil du Québec et autres lois connexes, dont la LCCJTI, pour obtenir un dédommagement lié à une utilisation préjudiciable d’un contenu protégé par droit d’auteur. En effet, dans la mesure où l’article 1457 C.c.Q. prévoit que « [t]oute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui » [les italiques sont nôtres] et qu’elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, « responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice », cette disposition ne vise pas à permettre la revendication d’un droit d’auteur ou interpréter la Loi sur le droit d’auteur, elle vient simplement ajouter un second régime de responsabilité qui s’additionne à celui qui est prévu dans cette loi, tout en tirant – dans certains cas – sa légitimité de celle-ci. Ceci étant, notre raisonnement se voit confronté à un autre passage de la décision Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., lequel est à l’effet que : « [d]ans notre pays, le droit d’auteur tire son origine de la loi, et les droits et recours que celle-ci prévoit sont exhaustifs »140 [les italiques sont nôtres]. Ainsi, si les recours prévus dans la Loi sur le droit d’auteur sont exhaustifs, comment concilier cette exhaustivité et la possibilité de recourir au droit civil ? En common law, une telle conciliation a été jugée impossible. En effet, il a été établi à maintes reprises que « [p]rotection against copyright infringement is a statutory right created pursuant to the Copyright Act »141, et donc que « [a] person cannot be held liable in tort for 140. 141. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., préc., note 132, par. 5. Voir également Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 82. Schwartz v. Ingenious Ideas Inc., 2009 NSSC 255, par. 20. Voir également Beloit Canada ltée c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1083 copyright infringement »142. Cela s’explique facilement puisque, comme la Loi sur le droit d’auteur canadienne est directement inspirée du modèle britannique, lequel est notamment le fruit d’une fusion du Statute of Anne143 et des droits de copyright issus du régime de « torts » en common law144, permettre à la fois le recours à la Loi sur le droit d’auteur et au régime de torts équivaudrait à un double recours fondé sur les mêmes assises juridiques historiques. Or, le régime de responsabilité civile québécois étant emprunté au droit français, cette même adéquation ne saurait être exacte. Malgré ce fait, certaines décisions ont importé ce raisonnement en droit québécois. Ainsi, dans l’affaire EROS – Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique C.G.I. inc.145, la Cour fédérale s’est inspirée notamment de l’affaire Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music et autres146 pour en arriver à la conclusion que l’article 1053 C.c.B.-C. (aujourd’hui remplacé par l’article 1457 C.c.Q.) ne pouvait être invoqué en matière de droit d’auteur puisque la Loi sur le droit d’auteur « prévoit déjà quels sont les actes qui constituent une violation au droit d’auteur et quels sont les recours qui sont disponibles »147. Elle poursuit en précisant que, comme « [l]e recours en dommages-intérêts est prévu aux articles 34 et 35 [de la LDA] »148, l’on ne peut invoquer les dispositions du code civil puisque cela équivaudrait à établir un double régime d’indemnisation. Or, même en acceptant la validité de ce raisonnement, il ne serait pas transférable à la responsabilité des intermédiaires techniques puisqu’ils profitent d’une exemption en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, laissant le titulaire sans véritable recours contre ceux-ci en vertu de cette loi. Leur responsabilité serait donc retenue uniquement en vertu de la LCCJTI, ce qui, toujours selon la position adoptée par la Cour dans EROS – Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique C.G.I. inc., serait alors valide : contrairement à la présente instance, la Loi sur les normes du travail ne prévoit aucun recours pour la demanderesse. La 142. 143. 144. 145. 146. 147. 148. Schwartz v. Ingenious Ideas Inc., préc., note 141, par. 20. An act for the encouragement of learning, by vesting the copies of printed books in the authors or purchasers of such copies, during the times therein mentioned, 8 Anne, c. 19 (1710). Voir S. HANDA, préc., note 108, p. 40 et s. Préc., note 137. Préc., note 133. Ibid., par. 73. Ibid., par. 73. 1084 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cour s’est donc fondée sur le droit civil pour indemniser la demanderesse pour les dommages causés par la faute de la Commission.149 Qui plus est, la prémisse voulant qu’il soit impossible de mettre en place un double régime d’indemnisation (l’un provincial et l’autre fédéral) nous semble erronée. En effet, comme le souligne Peter Hogg : « [d]ouble civil liability is [...] possible under overlapping or duplicative federal and provincial laws »150. C’est pourquoi, au Québec, les cas de chevauchement entre les dispositions fédérales relatives à la propriété intellectuelle et le droit commun de la responsabilité civile son couramment validés par les tribunaux. Par exemple, en matière de marques de commerce, la Cour d’appel du Québec a maintes fois autorisé des poursuites intentées pour commercialisation trompeuse ou concurrence déloyale à la fois sous l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce151 et l’article 1457 C.c.Q.152. En matière de droit d’auteur, si ce double régime est plus rarement invoqué, il n’est pas pour autant inimaginable. Par exemple, dans Bégin c. Bégin153, la Cour supérieure soumet que « les allégations [...] de plagiat possèdent indéniablement le caractère de faute extracontractuelle »154, malgré le fait que le plagiat soit visé par la Loi sur le droit d’auteur, alors que, dans Coulombe c. Parc maritime de St-Laurent de l’Île d’Orléans155, la Cour du Québec est d’avis que : l’acte de placer l’œuvre d’art endommagée dans un site d’entreposage sans surveillance où un employé municipal peut sans autorisation, en remettre la possession à un ferrailleur constitue une violation du droit à l’intégrité préjudiciable à l’honneur et à la réputation de l’auteur. La municipalité et le Parc maritime ont manifesté une insouciance à l’égard du statut d’œuvre artistique de la pièce donnée par le demandeur constituant ainsi une faute visée tant par la Loi sur le droit d’auteur que par l’article 1457 du Code civil du Québec.156 [Les italiques sont nôtres.] 149. 150. 151. 152. 153. 154. 155. 156. Ibid., par. 74. HOGG, préc., note 119, p. 16-19. L.R.C. (1985), ch. T-13. Voir notamment 9055-6473 Québec inc. c. Montréal Auto Prix inc., 2006 QCCA 627 ; et Kisber & Co. Ltd. c. Ray Kisber & Associates Inc., 1998 CanLII 12807 (C.A. Qué.). 2012 QCCS 5323. Ibid., par. 20. 2010 QCCQ 8917. Ibid., par. 24. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1085 Ceci étant, la possibilité de recourir tant aux dispositions du Code civil (et par extension de la LCCJTI) qu’à la Loi sur le droit d’auteur n’implique pas que le titulaire de droits pourra réclamer une double indemnité, mais bien qu’il aura la possibilité de choisir son véhicule procédural : Les cours sont à même d’empêcher le double recouvrement dans le cas théorique et peu probable où des demandeurs cherchent à se faire indemniser en vertu des deux ensembles de dispositions. [...] En outre, à l’étape finale dans laquelle elle conclut à la responsabilité et en fixe le montant, la cour peut empêcher le double recouvrement si, en fait, un défendeur a déjà versé une indemnité et produit une reddition de compte. Aucune cour ne permettra le double recouvrement.157 Évidemment, le raisonnement qui précède suppose qu’un titulaire de droits d’auteur invoquera les dispositions de la LCCJTI en plus (voire même au lieu) de celles de la Loi sur le droit d’auteur pour faire retirer un contenu qu’il considère enfreindre ses droits. Cette supposition nous semble toutefois parfaitement fondée vu les avantages offerts, pour le titulaire de droits d’auteur, par le modèle d’« avis et retrait ». Tel que nous l’avons précisé ci-dessus, selon la Loi sur le droit d’auteur, le seul recours du titulaire d’un droit d’auteur contre un hébergeur ou FSI ayant refusé de donner suite à son avis « est le recouvrement des dommages-intérêts préétablis dont le montant est, selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, d’au moins 5 000 $ et d’au plus 10 000 $ »158. Quant au moteur de recherche, l’article 41.27 prévoit que « le titulaire du droit d’auteur ne peut obtenir qu’une injonction comme recours contre le fournisseur d’un outil de repérage en cas de détermination de responsabilité pour violation du droit d’auteur découlant de la reproduction de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur ou de la communication de la reproduction au public par télécommunication »159, laquelle injonction devra tenir compte d’un certain nombre de critères prédéfinis160. Le même article 157. 158. 159. 160. Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, 191. LDA, par. 41.26(3). Notons que le paragraphe (4) du même article prévoit toutefois la possibilité, pour le gouverneur en conseil, de « changer les montants minimal et maximal des dommages-intérêts préétablis » par règlement. Voir également GOUVERNEMENT DU CANADA, préc., note 86. LDA, par. 41.27(1). LDA, par. 41.27(4.1) : « S’il accorde l’injonction mentionnée au paragraphe (1), le tribunal tient compte 1086 Les Cahiers de propriété intellectuelle précise toutefois que ce paragraphe ne s’appliquera pas à moins que le moteur de recherche ne respecte les conditions suivantes : a) il reproduit l’œuvre ou l’objet et met cette reproduction en antémémoire ou effectue à son égard toute autre opération similaire, de façon automatique, et ce en vue de fournir l’outil de repérage ; b) il communique cette reproduction au public par télécommunication, et ce en vue de fournir l’information repérée par l’outil de repérage ; c) il ne modifie pas la reproduction, sauf pour des raisons techniques ; d) il se conforme aux conditions relatives à la reproduction, à la mise en antémémoire de cette reproduction ou à l’exécution à son égard de toute autre opération similaire, ou à la communication au public par télécommunication de la reproduction, qui ont été formulées, suivant les pratiques de l’industrie, par la personne ayant rendu l’œuvre ou l’objet accessibles sur Internet ou un autre réseau numérique et qui se prêtent à une lecture ou à une exécution automatique ; e) il n’entrave pas l’usage, à la fois licite et conforme aux pratiques de l’industrie, de la technologie pour l’obtention de données sur l’utilisation de l’œuvre ou de l’objet.161 161. lorsqu’il en établit les termes, en plus de tout autre facteur pertinent, de ce qui suit : a) l’ampleur des dommages que subirait vraisemblablement le titulaire du droit d’auteur si aucune mesure n’était prise pour prévenir ou restreindre la violation ; b) le fardeau imposé au fournisseur de l’outil de repérage ainsi que sur l’exploitation de l’outil de repérage, notamment : (i) l’effet cumulatif de cette injonction eu égard aux injonctions déjà accordées dans d’autres instances, (ii) le fait que l’exécution de l’injonction constituerait une solution techniquement réalisable et efficace à l’encontre de la violation, (iii) la possibilité que l’exécution de l’injonction entrave l’utilisation licite de l’outil de repérage, (iv) l’existence de moyens aussi efficaces et moins contraignants de prévenir ou restreindre la violation. LDA, par. 41.27(2). Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1087 Ce paragraphe ne s’appliquera pas, non plus, si le moteur de recherche agit en contravention du paragraphe 27(2.3) de la loi162. Finalement, notons que, en vertu du paragraphe 3 de ce même article 41.27 – lequel paragraphe n’est pas encore en vigueur – si le prestataire du moteur de recherche « reçoit un avis de prétendue violation conforme au paragraphe 41.25(2) à l’égard d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur après le retrait de celui-ci de l’emplacement électronique mentionné dans l’avis, le paragraphe (1) ne s’applique, à l’égard des reproductions faites à partir de cet emplacement, qu’aux violations commises avant l’expiration de 30 jours – ou toute autre période prévue par règlement – suivant la réception de l’avis ». C’est donc dire que les limites imposées par la Loi sur le droit d’auteur tant au niveau des avenues disponibles que du régime d’« avis et avis » viennent rendre le recours à cette loi beaucoup moins intéressant pour le titulaire de droits que le recours à la LCCJTI. En effet, si le régime d’« avis et avis » fédéral est préféré par certains auteurs et par les intermédiaires techniques eux-mêmes, il ne fait aucun doute que le régime d’avis et retrait québécois est plus avantageux pour les titulaires de droit d’auteur ; d’abord puisque ce régime permet – comme nous l’avons déjà évoqué – de limiter les dommages sans avoir à recourir aux tribunaux, ensuite parce qu’il met un frein à la multiplication des procédures pour identifier le réel contrevenant afin de le forcer à retirer un contenu163 et, finalement, parce qu’il vient garantir au titulaire de droits d’auteur que, advenant un jugement favorable, il se retrouvera devant un débiteur solvable164. 162. 163. 164. LDA, par. 41.27(3). Advenant le refus, par l’individu accusé d’avoir affiché ou autrement communiqué un contenu, de procéder au retrait dudit contenu, le processus d’« avis et avis » prévoit implicitement la nécessité d’obtenir une ordonnance de type Norwich pour forcer l’intermédiaire technique à communiquer l’identité de cet individu. Ce n’est qu’après l’obtention de ce type d’ordonnance que le titulaire des droits sur ledit contenu pourra engager des procédures contre celui-ci. À l’opposé, en vertu de la LCCJTI, il pourra intenter des procédures contre l’intermédiaire technique ayant refusé de retirer un contenu sans devoir obtenir d’ordonnance préalable. Sur la question de l’ordonnance Norwich, voir Mathieu PICHÉ-MESSIER et Marie-Aude PIGEON, « Recours extraordinaires en matière de propriété intellectuelle : les ordonnances d’injonction de type Anton Piller, Mareva et Norwich », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle 2009 (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009), p. 469. En effet, la solvabilité des intermédiaires techniques est souvent plus probable que celle d’un quidam qui aurait affiché un contenu protégé en ligne. Voir, à cet effet, GINGRAS et VERMEYS, préc., note 42, p. 33 et 34. 1088 Les Cahiers de propriété intellectuelle Pour conclure cette section, il importe de préciser que, même en admettant l’inapplication du régime de droit commun de responsabilité civile à toute situation relative au droit d’auteur, la question de la cohabitation des régimes québécois et fédéral de responsabilité des intermédiaires techniques ne serait pas pour autant écartée. En effet, un contenu pourrait contrevenir à la fois à la Loi sur le droit d’auteur et à l’article 1457 C.c.Q. selon des fondements juridiquement distincts. Par exemple, la diffusion sur Internet d’une photographie dont le sujet est également titulaire des droits fait intervenir des notions de droit d’auteur et de droit à l’image165. Comme l’a souligné le juge Lamer dans l’affaire Aubry c. Éditions Vice-Versa inc.166 « [l]es tribunaux québécois ont mis en œuvre les principes de la responsabilité civile pour permettre l’indemnisation du préjudice subi suite à l’utilisation sans consentement de l’image d’une personne »167. Subséquemment, dans l’affaire Clavet c. Sourour168, la Cour d’appel est venue affirmer que la publication d’une photographie sans l’autorisation de son sujet était soumise à l’article 1457 C.c.Q. Dans un même ordre d’idée, une critique virulente d’une œuvre sur un site Web pourrait, si l’œuvre est reproduite sans respecter les critères de l’article 29.2 de la Loi sur le droit d’auteur, exposer l’auteur de la critique à la fois à une poursuite pour diffamation et une poursuite pour violation de droits d’auteur. Ainsi, selon l’un ou l’autre de ces scénarios, l’hébergeur du site litigieux se verrait dans l’obligation de retirer les contenus illicites en vertu de l’article 22 de la LCCJTI, mais également d’aviser le téléverseur desdits contenus en vertu du futur article 41.25 de la Loi sur le droit d’auteur. 2.2 La pertinence pragmatique de la dualité de régimes À la lumière de ce qui précède, il est opportun de se questionner sur la pertinence d’adopter deux régimes distincts, ou plutôt de procéder à l’adoption d’un régime propre à l’exemption de responsabilité des intermédiaires techniques en matière de droit d’auteur, alors que ce régime se distingue de ceux d’autres pays et, comme nous l’avons abordé, du régime québécois. 165. 166. 167. 168. Voir Jean GOULET, Grand angle sur la photographie et la loi (Montréal, Wilson & Lafleur, 2010). [1998] 1 R.C.S. 591. Ibid., par. 20. Notons que le juge Lamer était dissident dans cette affaire. Par contre cette affirmation n’allait pas à l’encontre de la position de la majorité. 2009 QCCA 941. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1089 Il nous faut évidemment admettre que l’argument voulant que la pertinence du régime de responsabilité réservé aux intermédiaires techniques en vertu de la Loi sur le droit d’auteur soit remise en question par l’existence d’un régime similaire sous la LCCJTI souffre d’une importante faille vu l’absence de dispositions similaires aux articles 22, 36 et 37 de la LCCJTI dans le corpus législatif des autres provinces canadiennes. En effet, le législateur québécois est, jusqu’à présent, le seul à s’être intéressé à la responsabilité des intermédiaires techniques, ses homologues du reste du Canada n’ayant pas cru utile de légiférer sur la question. Ainsi, au même titre que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques169 – qui est venue établir un régime de protection des renseignements personnels général applicable aux provinces n’ayant adopté aucune telle législation170 – l’existence d’un régime fédéral s’avère utile pour combler le vide juridique laissé par les législateurs des provinces de common law (bien que, tel nous le verrons plus loin, ce vide nous semble être théorique vu le cadre établi par la jurisprudence). Toutefois, notre argument n’est pas autant que le régime fédéral est inutile vu l’existence du régime provincial, mais bien que la pertinence du régime fédéral est discutable vu le peu de références, dans la jurisprudence, au régime provincial (2.2.1), le cadre législatif et jurisprudentiel préexistant (2.2.2) et les pratiques déjà établies de l’industrie (2.2.3). En effet, même si la particularité du régime mis de l’avant par la Loi sur le droit d’auteur peut être justifiée par le fait qu’« [e]lle donne aux titulaires du droit d’auteur les outils nécessaires pour faire valoir leurs droits, tout en respectant les intérêts et libertés des utilisateurs »171, il demeure qu’il est pertinent de se demander, à la lumière d’expériences passées, si l’adoption de dispositions législatives nouvelles concernant la responsabilité des intermédiaires techniques était vraiment de mise. 2.2.1 La pertinence du régime fédéral à la lumière de l’expérience provinciale Par « expérience provinciale », nous nous référons ici à l’expérience québécoise. Ce choix s’impose puisque, tel que nous l’avons déjà soulevé, les législateurs des provinces de common law n’ont pas, à ce jour, légiféré sur le sujet. Le modèle québécois se retrouve donc 169. 170. 171. L.C. 2000, ch. 5. Id, art. 30. GOUVERNEMENT DU CANADA, préc., note 86. 1090 Les Cahiers de propriété intellectuelle comme seul outil de comparaison. Or, tel qu’énoncé en introduction, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information a été adoptée et est entrée en vigueur en 2001. Depuis ce temps, les articles 22, 36 et 37 de la loi ont été cités par les tribunaux à une seule reprise, soit dans l’extrait précité de la décision Prud’homme c. Rawdon172. Or, même dans cette décision, aucune autre référence n’est faite auxdites dispositions et celles-ci n’ont pas été utiles aux fins du jugement vu l’absence de preuve quant au rôle effectivement joué par les intermédiaires visés (les modérateurs d’un forum utilisé pour diffamer les membres de l’administration de l’intimée). Bref, en 12 années d’existence, aussi bien dire que le cadre juridique applicable aux intermédiaires techniques québécois n’a jamais fait l’objet d’interprétation par les tribunaux québécois. Évidemment, comme peu de litiges entamés se rendent à jugement173, cette situation pourrait s’expliquer par un grand nombre de règlements hors cour basés sur les articles précités. Nous doutons toutefois de la validité de cette hypothèse. En effet, il est intéressant (et certains diront préoccupant) de souligner que l’absence de recours aux articles 22, 36 et 37 LCCJTI par les tribunaux n’implique pas une absence de litiges mettant en cause la responsabilité d’intermédiaires techniques. En effet, la jurisprudence relative à la responsabilité de ceux-ci a, jusqu’à présent et pour des raisons qui nous échappent, simplement choisi d’ignorer la LCCJTI même lorsque celle-ci aurait été pertinente aux faits en litige. Ainsi, dans Vaillancourt c. Lagacé174, les demandeurs désiraient obtenir une ordonnance de sauvegarde visant notamment à faire retirer des propos prétendument diffamatoires d’un blogue. Les dispositions de la LCCJTI concernant la responsabilité des intermédiaires techniques auraient tout au moins pu servir de support interprétatif à cette requête, mais l’absence de preuve quant à la possibilité d’exercer un contrôle sur lesdits propos a été jugée suffisante pour refuser d’émettre l’ordonnance : Aucune preuve technique n’a été déposée expliquant le fonctionnement d’un blogue. D’après la définition de l’Office de la langue française, les internautes communiquent leurs idées directement sur le site. Aucune preuve n’indique qu’un ou plusieurs des défendeurs ont le contrôle sur les propos qui y sont 172. 173. 174. Préc., note 61. Voir Pierre-Claude LAFOND, L’accès à la justice civile au Québec : portrait général (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012), p. 17. Selon l’auteur le pourcentage exact se situerait entre 3 et 7 % selon le tribunal. 2005 CanLII 29333 (C.S. Qué.). Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1091 tenus, ni qu’ils ont la capacité technique de supprimer certains commentaires. Si certains des commentaires sont signés, « Micheline », « Luc » ou « Marie » (les prénoms des défendeurs), les propos « les plus offensants » – s’il faut les qualifier ainsi – émanent d’internautes qui signent avec des noms différents ; certains sont même anonymes.175 Dans un même ordre d’idée, il était question, dans l’affaire Canoë inc. c. Corriveau176, de quantifier la responsabilité du gestionnaire d’un blogue, en l’occurrence l’appelante, pour les propos diffamatoires affichés par des tiers. En vertu des conditions d’utilisation dudit blogue, Canoë se devait de « prendre les mesures raisonnables afin de surveiller et contrôler le contenu publié ou diffusé sur le Blogue pour que ledit contenu respecte les règlements du Blogue et respecte les lois applicables »177. Si Canoë a d’emblée admis sa responsabilité – ce qui aurait pu faire l’objet de discussions vu la lettre des articles 22 et 27 de la LCCJTI178 – elle a toutefois choisi de contester le quantum des dommages exigés par l’intimée. Or, le fait que Canoë agissait comme « prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication » n’a jamais été invoqué (même en obiter) ni en première instance179, ni en appel180. Ces exemples – et leur relative rareté – démontrent donc que les dispositions de la LCCJTI portant sur la responsabilité des intermédiaires techniques n’ont eu que très peu d’incidence sur le paysage juridique québécois jusqu’à présent. Est-ce dire que le législateur devrait cesser de légiférer simplement parce que les avocats et juges refusent ou omettent d’invoquer les dispositions pertinentes de certains textes de loi ? La réponse à cette question se doit évidemment d’être négative. Toutefois, vu le fait que – au Québec – le recours au droit commun (et certains diront 175. 176. 177. 178. 179. 180. Ibid., par. 31. 2012 QCCA 109. Ibid., par. 15. Notons toutefois que vu l’engagement à assurer une surveillance et un contrôle des contenus, il aurait été difficile de prétendre que l’entreprise n’avait pas « de fait connaissance que les documents conservés serv[aient] à la réalisation d’une activité à caractère illicite », soit la publication de propos diffamatoires à l’égard de l’intimée. Voir LCCJTI, art. 22. Corriveau c. Canoe inc., 2010 QCCS 3396. Préc., note 176. 1092 Les Cahiers de propriété intellectuelle au « bon sens ») a permis aux tribunaux d’arriver à la même conclusion que celle à laquelle ils seraient arrivés s’ils s’étaient référés à la LCCJTI, il est à se demander si une interprétation des dispositions déjà en vigueur de la Loi sur le droit d’auteur aurait pu permettre d’en arriver à une conclusion similaire à celle recherchée par l’adoption des articles 31.1 et 41.25 et suivants de cette loi. Or, comme nous le verrons maintenant, c’est exactement ce qui s’est produit... 2.2.2 La pertinence du régime fédéral à la lumière de la jurisprudence Tel que nous l’avons énoncé précédemment, les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur font en sorte que : les FSI et les moteurs de recherche ne sont pas tenus responsables des violations du droit d’auteur commises par leurs abonnés, dans la mesure où ils agissent comme des intermédiaires neutres (p. ex., quand ils fournissent un accès à Internet, permettent aux utilisateurs de décharger des œuvres provenant d’un compte d’archivage en ligne qui leur appartient ou mettent des versions éphémères en antémémoire afin d’assurer l’efficience du réseau).181 Bien que cette prise de position de la part du législateur ait probablement été la bienvenue pour les intermédiaires techniques, ceux-ci étaient loin de se retrouver devant un vide législatif dans la mesure où la Cour suprême avait déjà jugé à maintes reprises que les FSI pouvaient invoquer « le moyen de défense fondé sur la « diffusion de bonne foi » dont peuvent se prévaloir « [TRADUCTION] ceux qui n’ont qu’un rôle secondaire dans le réseau de distribution, tels que les distributeurs de journaux, les librairies et les bibliothèques »182. En effet, il est acquis que : suivant la Loi sur le droit d’auteur, qui consacre la politique législative du Parlement, l’intermédiaire qui fournit des logiciels et du matériel pour faciliter le recours à l’Internet ne viole pas le droit d’auteur. Comme l’a conclu la Commission, ce qui 181. 182. GOUVERNEMENT DU CANADA, préc., note 86. Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, par. 20. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour se base notamment sur les arrêts Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13 ; Vizetelly c. Mudie’s Select Library, Ltd., [1900] 2 Q.B. 170 ; et Sun Life Assurance Co. of Canada c. W.H. Smith and Son Ltd. (1934), 150 L.T. 211. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1093 caractérise entre autres un tel « agent » c’est l’ignorance du contenu attentatoire et l’impossibilité (tant sur le plan technique que financier) de surveiller la quantité énorme, voire prodigieuse, de fichiers circulant sur l’Internet. Un important fournisseur de services en ligne comme America Online effectue, nous dit-on, quelques 11 millions de transmissions par jour.183 Bref, l’objectif admis des modifications apportées à la loi avait déjà été atteint par la jurisprudence. En ce sens, l’article 31.1 ne se veut en quelque sorte qu’une codification des conclusions de la Cour suprême, notamment dans l’affaire SOCAN184, à l’effet que les intermédiaires techniques ne procèdent pas à la communication, ni n’autorisent la communication d’œuvres « au sens de la Loi sur le droit d’auteur »185 : Le législateur a agi en 1988 en modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42. Il a clairement indiqué que les intermédiaires Internet ne sont pas, comme tels, parties à la communication qui viole le droit d’auteur. Ce sont des fournisseurs de services, et non des participants quant au contenu de la communication.186 Et c’est là ce qui nous semble le plus surprenant. L’article 31.1 de la Loi sur le droit d’auteur ne vient pas codifier des principes de common law dégagés par la jurisprudence ; il vient recodifier ce qui était déjà prévu à l’alinéa 2.4(1)b) de la loi, lequel indique, depuis bien avant la réforme de 2012, que « n’effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l’effectue ». Or, selon la Cour suprême : Suivant cette disposition [l’alinéa 2.4(1)b)], un fournisseur de services Internet n’effectue pas la « communication » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur s’il « ne fait que » fournir « à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l’effectue ».187 183. 184. 185. 186. 187. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 101. Ibid. Ibid., par. 5. Ibid. Ibid., par. 31. 1094 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Cour poursuit en ajoutant que : L’alinéa 2.4(1)b) soustrait à l’application des dispositions sur le droit d’auteur les activités liées à la fourniture à un tiers de moyens de télécommunication lui permettant d’effectuer une communication. [...] L’intermédiaire Internet qui ne se livre pas à une activité touchant au contenu de la communication, dont la participation n’a aucune incidence sur celui-ci et qui se contente d’être « un agent » permettant à autrui de communiquer bénéficie de l’application de l’al. 2.4(1)b).188 Bref, nous sommes d’avis que le paragraphe 31.1(1) est quelque peu redondant en ce qu’il vient simplement préciser ce qui avait déjà été prévu – et interprété par la Cour suprême – à l’alinéa 2.4(1)b). Cette recodification n’est par ailleurs pas propre au premier paragraphe de l’article 31.1. En effet, le paragraphe 31.1(2) vient édicter le cadre applicable à la mise en antémémoire en précisant que si un intermédiaire technique « met l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur en antémémoire ou effectue toute autre opération similaire à leur égard en vue de rendre la télécommunication plus efficace, [il] ne viole pas le droit d’auteur sur l’œuvre ou l’autre objet du seul fait qu’[il] accomplit un tel acte »189. L’article poursuit en précisant toutefois que cette exemption ne sera valide que si l’intermédiaire technique : • ne modifie pas l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur, sauf pour des raisons techniques ; • veille à ce que les directives relatives à leur mise en antémémoire ou à l’exécution à leur égard d’une opération similaire, selon le cas, qui ont été formulées, suivant les pratiques de l’industrie, par quiconque les a mis à disposition pour télécommunication par l’intermédiaire d’Internet ou d’un autre réseau numérique soient lues et exécutées automatiquement si elles s’y prêtent ; • n’entrave pas l’usage, à la fois licite et conforme aux pratiques de l’industrie, de la technologie pour l’obtention de données sur leur utilisation.190 188. 189. 190. Ibid., par. 92. LDA, art. 31.1(2). Ibid., par. 31.1(3). Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1095 Encore une fois, cette disposition vient compléter un alinéa 2.4(1)b) qui ne semblait pas nécessiter de précisions puisque la Cour suprême est d’avis que : De l’avis de la Commission, les moyens « nécessaires » au sens de l’al. 2.4(1)b) sont ceux qui n’ont aucune incidence sur le contenu et qui s’imposent pour maximiser les économies et la rentabilité de l’« agent » Internet. Cette interprétation me paraît assurer le mieux « la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles » (Théberge, précité, par. 30) sans dépouiller le titulaire du droit d’auteur de ses droits légitimes. L’« antémémoire » est en somme une belle invention issue du progrès de la technologie Internet, elle n’a aucune incidence sur le contenu et, au vu de l’al. 2.4(1)b) de la Loi, elle ne devrait avoir aucun effet juridique sur la communication intervenant entre le fournisseur de contenu et l’utilisateur final. [...]À mon avis, la Commission du droit d’auteur a eu raison de conclure que la mise en antémémoire bénéficie de la protection prévue au par. 2.4(1), et je suis d’avis de rétablir sa décision à cet égard.191 Ceci étant, si nous sommes d’avis que le nouvel article 31.1 de la Loi sur le droit d’auteur ne viendra aucunement affecter la jurisprudence puisqu’il ne fait que réitérer la position de la Cour suprême, il nous faut admettre que l’adoption des articles 41.25, 41.26 et 41.27 s’avérait nécessaire pour asseoir le régime d’« avis et avis » vu la propension de la Cour suprême de favoriser un régime d’« avis et retrait »192. Ceci étant, comme nous le verrons maintenant, nous doutons que ces dispositions viennent changer les pratiques, rendant ainsi leur application quelque peu théorique. 2.2.3 La pertinence du régime fédéral à la lumière des pratiques de l’industrie Comme l’ont souligné certains auteurs, le régime d’« avis et avis » prévu aux articles 41.25, 41.26 et 41.27(3) de la Loi sur le droit d’auteur constitue en quelque sorte la consécration législative d’une entente intervenue entre les principaux FSI canadiens (Bell, Shaw, Rogers, Quebecor (QMI), Telus and Cogeco) et l’industrie de la 191. 192. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, préc., note 13, par. 115 et 119. Ibid., par. 99, 124 et 127. 1096 Les Cahiers de propriété intellectuelle musique193. Or, vu l’implantation plus généralisée du régime d’« avis et retrait » ailleurs en occident et vu le fait qu’une majorité d’intermédiaires techniques sont situés à l’intérieur des frontières d’états ayant adopté un tel régime (dont principalement les États-Unis), il est à se demander si cette avenue, malgré ses avantages, sera ultimement efficace. En effet, même au Canada, une majorité d’intermédiaires techniques se réserve contractuellement le droit de retirer les contenus illicites, y compris les intermédiaires ayant pris part à l’entente précitée. Par exemple, la « Politique d’utilisation acceptable »194 de Rogers prévoit que l’entreprise peut procéder au « retrait temporaire ou permanent du contenu »195, ce qui cadre d’ailleurs avec la prise de position officielle de l’ACFI (l’Association canadienne de fournisseurs Internet) à l’effet que : « CAIP members will not knowingly host illegal content. [...] Although Internet providers are unable to monitor all content, CAIP members will make a reasonable effort to investigate legitimate complaints about alleged illegal content or network abuse, and will take appropriate action »196. Cette prise de position a d’ailleurs été soulignée par la Cour suprême dans l’affaire SOCAN197 : en règle générale, les fournisseurs de services Internet qui « hébergent » des sites Web pour des tiers ne connaissent pas le contenu des fichiers stockés en mémoire, ni ne le contrôlent. Dans certains cas, toutefois, ils mettent en garde le fournisseur de contenu contre l’illégalité d’un contenu et lui recommandent de ne pas le rendre disponible (pornographie criminelle, diffamation, violation du droit d’auteur, virus, etc.) ; ils conservent habituellement un mot de passe « de base » leur permettant d’avoir accès à tous les fichiers du serveur. Le contrat confère généralement au fournisseur du serveur hôte le pouvoir d’examiner périodiquement le contenu rendu disponible pour déterminer s’il contrevient à l’entente et de supprimer les fichiers en cause le cas échéant.198 Ainsi, même s’ils n’ont pas l’obligation de retirer un contenu litigieux, plusieurs intermédiaires techniques préfèreront cette 193. 194. 195. 196. 197. 198. Voir WINSECK, préc., note 98. Disponible à l’adresse : <http://www.rogers.com/cms/pdf/fr/Unified_AUP_Fr. pdf>. Ibid. ACFI, « CODE OF CONDUCT » : <http://www.cata.ca/files/PDF/caip/CAIP_ Code_of_Conduct.pdf>. Préc., note 13. Ibid., par. 19. Une dualité de régimes (in)utile(s) ? 1097 avenue à d’éventuelles procédures judiciaires. Qui plus est, un grand nombre d’intermédiaires offrent même un mécanisme d’avis et retrait à même leur site. Par exemple, les différents sites de eBay (y compris eBay Canada) offrent le service VeRO, soit un programme qui « permet aux titulaires de droits de propriété intellectuelle de demander le retrait d’annonces sur eBay qui offrent des articles ou qui contiennent des objets portant atteinte à leurs droits »199. C’est donc dire que le modèle d’« avis et retrait » est devenu de facto celui privilégié par l’industrie en général, et ce, malgré l’entente intervenue entre les FSI canadiens et l’industrie musicale, puis intégrée dans la dernière mouture de la Loi sur le droit d’auteur. Pour cette raison, ainsi que celles qui précèdent, nous sommes donc d’avis que les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relatives à la responsabilité des intermédiaires techniques n’auront que très peu d’incidences réelles tant sur les pratiques de ces derniers, que sur les comportements de leurs abonnés et/ou utilisateurs. Conclusion L’objet de cet article se voulait double : d’abord énoncer les grandes lignes des cadres législatifs québécois et fédéral applicables aux intermédiaires techniques, pour ensuite soulever les failles de ce(s) régime(s). Notre propos ne devrait pas être interprété comme une dénonciation de l’une ou l’autre des lois étudiées, mais bien comme un constat à l’effet que l’inflation législative dans le domaine n’aura probablement que très peu d’incidences sur les pratiques et sur la jurisprudence. Est-il nécessaire de rappeler que, au Québec, dans les rares instances où les tribunaux ont eu à se pencher sur la question depuis l’adoption de la LCCJTI, ces derniers ignoraient ou ont opté de contourner le cadre législatif en place pour rendre leur jugement ? Quant aux nouvelles dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, celles-ci ne viennent que réitérer ce qui était déjà codifié à l’article 2.4 de la loi ou, pour être plus exact, l’interprétation de la Cour suprême de cette disposition. Finalement, comment qualifier l’incidence, pour l’intermédiaire technique québécois, de cette dualité de régimes ? Même en acceptant la préséance de la Loi sur le droit d’auteur, celle-ci n’a pas pour effet d’annuler les dispositions de la LCCJTI, ni de les rendre 199. « Qu’est-ce que VeRO et pourquoi ce programme est-il responsable du retrait de mes annonces ? » : <http://pages.cafr.ebay.ca/help/policies/questions/veroended-item.html>. 1098 Les Cahiers de propriété intellectuelle ultra vires200. Il y aura donc effectivement, lorsque les articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur entreront en vigueur, dualité de régime. C’est donc dire que les titulaires de droits les mieux informés pourront, selon le contexte, invoquer l’un ou l’autre des cadres législatifs en place, voire même, tel que nous l’avons défendu, les deux régimes à la fois... 200. HOGG, préc., note 119, p. 16-19 et 16-20. Vol. 25, no 3 La modernisation des recours en droit d’auteur au Canada : un survol en droit comparé Jean-Philippe Mikus* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1101 1. Contrefaçon par fourniture de moyens . . . . . . . . . . . 1101 1.1 États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1102 1.2 Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1104 1.3 Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1105 2. Protection des fournisseurs de services Internet. . . . . . 1106 2.1 Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1106 2.2 États-Unis et Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . 1107 3. Mesures techniques de protection . . . . . . . . . . . . . 1108 3.1 États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1108 3.2 Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1111 © Jean-Philippe Mikus, 2013. * Associé, Fasken, Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal. L’auteur tient à remercier Marcelo Ciechanowiecki, étudiant au cabinet, pour ses efforts et sa contribution importante à la rédaction de cet article. 1099 1100 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.3 Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1113 3.4 France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1113 3.5 Royaume-Uni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1114 4. Information sur le régime des droits . . . . . . . . . . . . 1115 5. Dommages-intérêts préétablis . . . . . . . . . . . . . . . 1115 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1116 Introduction La réforme des recours en droit d’auteur de 2012 est le fruit d’années de mûrissement (après de multiples projets de lois infructueux) et vise notamment à ce que le Canada puisse ratifier les traités de l’OMPI de 1996. De nombreux partenaires commerciaux du Canada ont choisi d’agir beaucoup plus tôt. En bon dernier, le Canada a donc eu l’avantage de pouvoir étudier les effets des mesures mises en place à l’étranger dans le cadre de sa rédaction. C’est largement le commerce numérique qui est le point focal de la modernisation des recours en droit d’auteur, et largement à ce titre la question de la responsabilité des intermédiaires. D’ailleurs dès 2004, la Cour suprême du Canada interpellait le législateur en indiquant qu’une réforme du régime de responsabilité des intermédiaires était souhaitable1. Un second aspect important de la modernisation vise le régime des mesures de protection techniques. Cet aspect a fait couler beaucoup plus d’encre que la responsabilité des intermédiaires car il touche plus directement le quotidien de citoyens. Le dernier aspect important de la réforme des recours en droit d’auteur est la modulation des dommages statutaires en ce qui concerne les comportements ne relevant pas du domaine commercial. La modernisation du droit d’auteur ne change pas les paramètres de base d’un recours en contrefaçon de droit d’auteur et nous ne discuterons pas de ceux-ci. L’entrée en vigueur de la quasi-totalité des nouvelles dispositions ayant eu lieu en novembre 2012, il y a très peu de décisions canadiennes qui ont interprété celles-ci. Nous nous proposons donc de mieux situer la modernisation canadienne dans le contexte des réformes ayant déjà eu lieu chez trois partenaires commerciaux importants du Canada, soit les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. 1. Contrefaçon par fourniture de moyens Un aspect important de la modernisation de 2012 est de clarifier la responsabilité d’intermédiaires qui sont en marge d’activités 1. SOCAN c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, par. 127. 1101 1102 Les Cahiers de propriété intellectuelle de contrefaçon. Comme nous le verrons plus loin, la réforme procure aux intermédiaires technologiques un bouclier relativement solide afin de les protéger de recours en contrefaçon dans la majorité des situations. Afin d’atteindre un équilibre, un nouveau recours est toutefois introduit afin de combler une incertitude en droit canadien en ce qui concerne la facilitation d’activités de contrefaçon. Une incertitude pesait notamment en ce qui concerne les services peer-to-peer permettant aux utilisateurs de s’échanger entre eux des films, séries télévisées et enregistrements musicaux. Le nouveau paragraphe 27(2.3) de la Loi sur le droit d’auteur fait en sorte que le fait de « fournir un service sur Internet ou tout autre réseau numérique principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur » devient un acte de contrefaçon du droit d’auteur. Comme il s’agit d’un acte de contrefaçon, il donne ouverture aux remèdes usuels en matière de droit d’auteur. Il est manifeste que cette disposition s’inspire d’une lignée de jurisprudence américaine qui traite de la responsabilité de personnes qui fournissent des moyens technologiques permettant à divers degrés de contrefaire des œuvres protégées par le droit d’auteur. 1.1 États-Unis Il n’y a pas de disposition dans la loi américaine qui prévoit explicitement que l’assistance ou la facilitation d’actes de contrefaçon de droit d’auteur, y compris par des fournisseurs de services internet, constitue un acte de contrefaçon. C’est plutôt par l’application de doctrines générales de droit de la responsabilité civile que la responsabilité de tels intermédiaires a été étudiée par les tribunaux, ce qui a donné naissance à une série de jugements analysant la notion de « contributory infringement » (ainsi que le concept voisin de « vicarious liability »). L’arrêt Sony Corp. of America v. Universal City Studios2 fait figure de pionnier en droit d’auteur en cette matière et a établi un test selon lequel si l’appareil distribué possède une utilité significative à des fins ne violant pas le droit d’auteur, le distributeur ne peut être tenu responsable des actes de contrefaçon commis par les utilisateurs de l’appareil. Dans ce cas, Sony distribuait des enregistreurs de vidéocassettes, dont la fonction principale était la reproduction d’émission de télévision pour écoute différée (qui faisait l’objet d’une exception en vertu du régime de « fair use ») et non la contrefaçon du 2. 464 U.S. 417 (1984). La modernisation des recours 1103 droit d’auteur3. La Cour a ainsi jugé que la distribution des enregistreurs était légale. Dans l’arrêt A&M Records, Inc. v. Napster4, le tribunal a précisé que le fournisseur de technologies doit prendre des mesures pour mettre fin à des actes de contrefaçon spécifiques portés à sa connaissance s’il est en mesure de le faire. À défaut il en sera tenu responsable. En l’espèce, Napster avait une maîtrise suffisante de l’opération de son logiciel de manière à pouvoir intervenir, notamment parce qu’il tenait une liste maîtresse des usagers détenant des œuvres contrefaites et souhaitant les partager. Par la suite, les services peer-to-peer ont été configurés de façon à limiter le contrôle des personnes ayant créé le logiciel ou participé à sa dissémination, et les fournisseurs de tels services comptaient de cette manière échapper aux contraintes de la loi. En principe, c’est ce que les tribunaux ont permis dans le jugement de première instance et en appel du recours de MGM Studios et autres compagnies de médias et divertissement contre Grokster, un fournisseur de service de partage de fichiers peer-to-peer. Ils n’ont pas trouvé approprié de responsabiliser les fournisseurs qui n’avaient pas de contrôle sur les activités des usagers, même si ce manque de contrôle était prémédité. L’arrêt de la Cour suprême MGM Studios, Inc. v. Grokster Ltd.5 a renversé ces jugements, mettant l’emphase sur les objectifs poursuivis par la personne fournissant un logiciel ou un service en ligne : s’il est démontré que le fournisseur a fourni le produit ou service dans le but qu’il soit utilisé à des fins de contrefaçon du droit d’auteur, même si d’autres usages sont possibles et que le fournisseur est incapable de contrôler les contrefaçons, il sera tenu responsable pour contrefaçon par fourniture de moyens. La Cour a tenu compte d’un ensemble de facteurs pour établir une intention manifeste de faciliter la violation du droit d’auteur soit (1) que l’usage principal des logiciels en cause était de commettre des contrefaçons de droit d’auteur ; (2) que les défendeurs étaient au courant de ceci, notamment en raison d’échanges et de communications avec des usagers qui laissaient paraître que des actes de contrefaçon 3. Jane GINSBURG, « Secondary Liability for Copyright Infringement in the U.S. : Anticipating the Après-Grokster » publié sur le site web de Columbia Law School, extrait d’un article plus long de Jane C. GINSBURG and Sam RICKETSON (University of Melbourne Law School) « Inducers and Authorisers : A Comparison of the U.S. Supreme Court’s Grokster Decision and the Australian Federal Court’s KaZaa Ruling, »" dans Media and Arts Law Review (University of Melbourne, Mars 2006). 4. 239 F.3d 1004 (9th Cir. 2001). 5. 125 S. Ct. 2764 (2005). 1104 Les Cahiers de propriété intellectuelle étaient en cause ; (3) visait à satisfaire une demande du marché pour des services assistant la contrefaçon de droit d’auteur ; (4) les défendeurs avaient exprimé le fait que leur logiciel avait pour objectif de faciliter des actes de contrefaçon ; (5) des gestes actifs ont été posés par les défendeurs pour promouvoir la contrefaçon (notamment en attirant activement les anciens utilisateurs du service Napster) ; (6) il y avait absence de mécanismes de filtrage pour empêcher l’échange de matériel en violation du droit d’auteur. 1.2 Canada L’approche proposée par la Cour suprême des États-Unis qui consiste à analyser une série de facteurs afin de déterminer si la responsabilité d’un intermédiaire ou fournisseur de technologie est engagée a clairement inspiré le législateur canadien. Les facteurs énoncés expressément au paragraphe 27(2.4) de la Loi sur le droit d’auteur sont les suivants : (1) le fait que la personne ait fait valoir (même implicitement) dans le cadre de la commercialisation ou la publicité du service qu’il pourrait servir à violer le droit d’auteur ; (2) le fait que le fournisseur du service savait (ou non) que son service était utilisé pour violer le droit d’auteur ; (3) l’existence d’utilisations importantes du service en question autres que la commission d’actes qui ont comme résultat la violation du droit d’auteur ; (4) la capacité du fournisseur de limiter les violations du droit d’auteur qui résultent de l’utilisation de son service et les mesures prises à cet effet ; (5) les avantages économiques découlant de la facilitation de l’accomplissement des actes qui violent le droit d’auteur, et (6) la viabilité économique du service si la facilitation des violations ne faisait pas partie de ses activités. Il est prévu clairement que le tribunal « peut » s’inspirer de ces facteurs, ce qui signifie donc que la question fondamentale à trancher demeure de déterminer si le défendeur a fourni un service « principalement en vue de faciliter » une violation de droit d’auteur. Le tribunal peut vraisemblablement considérer d’autres facteurs non énumérés, pour autant qu’ils soient directement pertinents à la question que le tribunal doit trancher. Les facteurs mis de l’avant par la législation canadienne se rapprochent de ceux développés par la jurisprudence américaine, sans toutefois reprendre la même formulation. Il en découle que l’étude de la jurisprudence américaine aura un grand intérêt, sans toutefois avoir une portée déterminante. Les tribunaux canadiens devront prendre position quant à l’interrelation entre les facteurs et l’importance relative de chacun d’entre eux. À tout le moins, il nous semble que le comportement du défendeur devra être apprécié dans La modernisation des recours 1105 son contexte afin de déterminer s’il y a responsabilité plutôt que sous la lorgnette d’un seul des facteurs. 1.3 Europe La situation canadienne et américaine contraste avec celle qui prévaut en Union européenne. Les directives de l’Union Européenne traitent de la responsabilité des intermédiaires en des termes généraux à l’article 8(3) de la Directive sur la société de l’information, sans faire référence à des facteurs particuliers6. Cette directive impose aux États membres la responsabilité de veiller « à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur [...] ». Ce droit que les états européens doivent garantir aux détenteurs de droits n’est qu’un plancher. Il n’impose pas aux États membres de prévoir l’octroi de dommages et intérêts à l’encontre d’intermédiaires y compris sur Internet. Ainsi, les États membres peuvent établir leur propre réglementation, et la France a adopté en 2006 une approche plus stricte quant à la contrefaçon par fourniture de moyens que les pays nordaméricains. Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle français rendent punissable par une amende de 300 000 euros et trois ans d’emprisonnement le fait de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés ou d’inciter sciemment un tel usage7. Certains auteurs français étaient en 2012 curieux de voir la réelle efficacité du nouvel article de loi, notant que les difficultés rencontrées par les juges américains se répéteront au moment de décider si le logiciel est manifestement destiné aux violations du droit d’auteur8. Au Royaume-Uni, plutôt que de responsabiliser l’intermédiaire qui fournit les moyens de contravention du droit d’auteur, le remède applicable est une demande d’injonction contre le fournisseur de service internet qui a connaissance du fait que ses services sont 6. Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. 7. Art. 335-2-1, Code de la propriété intellectuelle. 8. André LUCAS et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd. (Paris, LexisNexis, 2012), par. 1067. 1106 Les Cahiers de propriété intellectuelle employés pour contrefaire le droit d’auteur, le tout en vertu de la Copyright, Designs and Patents Act 19889. Le fournisseur a la responsabilité, dans le cas d’une injonction rendue contre lui en ce sens, de bloquer l’accès au contenu en cause. 2. Protection des fournisseurs de services Internet Ceci nous amène à la question de la responsabilité des entreprises exploitant l’infrastructure du réseau Internet au sens large, c’est-à-dire des entreprises qui fournissent des moyens permettant à d’autres personnes de communiquer et reproduire des œuvres. Il s’agit d’entités incontournables dans le cadre de l’emploi d’œuvres sur Internet et il est donc important de voir de quelle manière leur responsabilité est modulée par la législation en droit d’auteur. 2.1 Canada La loi canadienne a été mise à jour pour être sur le même pied d’égalité que les autres juridictions10 en créant certaines exceptions au bénéfice de fournisseurs de services Internet11. La nouvelle disposition indique que le seul fait de fournir à des tiers le moyen d’effectuer la télécommunication ou la reproduction d’une œuvre ou d’un objet protégé par droit d’auteur ne constitue pas une contrefaçon de droit d’auteur. Elle crée aussi des exceptions pour les processus habituels qui rendent le service plus efficace, tel que la mise en antémémoire d’une œuvre12. Ceci n’exclut pas la responsabilité de l’intermédiaire s’il fournit son service « principalement » en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur aux termes du paragraphe 27(2.3) de la Loi sur le droit d’auteur. Au-delà du régime du paragraphe 27(2.3), la réforme apportera une responsabilisation des fournisseurs même lorsqu’ils offrent purement des services d’infrastructure sans qu’ils soient axés sur la 9. Art. 97A ; voir pour l’application de cet article le jugement de 2011, Twentieth Century Fox Film corporation and others v British Telecommunications PLC, [2011] EWHC 1981 (Ch). L’article 17 du Digital Economy Act de 2010 donne les mêmes pouvoirs mais a été mis de côté par le gouvernement (<http://www.bbc. co.uk/news/technology-14372698>). 10. Voir l’article 512(a), Title 17 of the United States Code ; art. 12(1), Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, « directive sur le commerce électronique ». 11. Art. 31.1(1), Loi sur le droit d’auteur. 12. Art. 31.1(2), Loi sur le droit d’auteur. La modernisation des recours 1107 contrefaçon. Il s’agit du régime d’avis et avis (« notice and notice ») permettant aux titulaires de droits d’aviser les fournisseurs de services d’internet ou les fournisseurs d’outils de repérage de cas de prétendue violation de leur droit d’auteur13. Ceci imposera aux fournisseurs l’obligation de transférer l’avis à la personne dont l’emplacement électronique est la source de la violation, et de garder l’information de l’emplacement électronique qui est la source des violations afin de faciliter les recours des détenteurs de droits14. Afin d’établir un juste équilibre, le législateur a imposé au titulaire de droits l’obligation de payer les frais pour les envois d’avis et la sauvegarde d’information, mais a aussi prévu que le ministre peut mettre une limite aux frais applicables15. Cette partie du nouveau régime canadien n’est pas encore entrée en vigueur. Le législateur fixera par décret la date d’entrée en vigueur suite à la création d’un régime réglementaire complémentaire afin d’assurer la bonne exécution du régime16. 2.2 États-Unis et Europe Sur le plan comparatif, les régimes américain, britannique et français imposent un fardeau plus lourd en bien des circonstances aux fournisseurs de services Internet. Le premier impose la responsabilité au fournisseur d’enlever le matériel violant le droit d’auteur (« notice-and-takedown »)17 et les deuxième18 et troisième19 permettent de limiter et même de suspendre entièrement l’accès à l’Internet des emplacements électroniques qui violent trop souvent le droit d’auteur. Au Royaume-Uni, le fournisseur de services internet qui n’impose pas ces mesures peut avoir à payer une amende maximale de 250 000 livres20. En France, avant une modification récente du 8 juillet 2013 il pouvait y avoir suspension de l’accès Internet sous peine d’amende de 5 000 euros pour les fournisseurs qui ne se conformaient pas21. Il faut noter que dans ces deux derniers pays le public 13. 14. 15. 16. 17. 18. Art. 47(41.25), Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, art. 47(41.26). Loi sur la modernisation du droit d’auteur, art. 47(41.26)(1). Décret, Gazette Officielle du Québec (TR/2012-85, 7 novembre 2012). Art. 512(c)(1)(C), Title 17 of the United States Code. Art. 10, Digital Economy Act 2010 ; voir aussi Mary VITORIA et al., The Modern Law of Copyright and Designs, 4th ed. (London, Butterworths, 2011), 37.21. 19. Art. 335-7 et 335-7-1, Code de la propriété intellectuelle. 20. Art. 14, Digital Economy Act 2010. 21. Art. 335-7, Code de la propriété intellectuelle. 1108 Les Cahiers de propriété intellectuelle s’est insurgé contre ces mesures qu’il considère draconiennes22, allant jusqu’à dire que l’accès à l’internet est un droit fondamental23. Au Canada, le choix de ne pas aller aussi loin que ces autres juridictions a été conscient. Un défaut du régime d’avis et de retrait est qu’en plusieurs circonstances ce régime transforme le fournisseur de service Internet en autorité quasi-judiciaire, puisqu’à défaut de retirer le matériel faisant l’objet de la plainte il pourrait en devenir responsable. Ceci impose de créer des mécanismes internes au sein des entreprises qui permettent de départager les situations dans lesquelles il faut agir de celles dans lesquelles il faut ménager la clientèle. Un régime par lequel il y a simplement retransmission de l’avis et préservation des données évite de faire des choix qui peuvent être déchirants en certaines circonstances. Il y a là clairement une volonté de favoriser la croissance de l’industrie des services Internet. 3. Mesures techniques de protection Le nouveau régime de la Loi sur le droit d’auteur encadrant le contournement de mesures techniques de protection ressemble à bien des égards au régime des États-Unis, qui a été le premier pays à établir un tel régime suite à la signature du traité sur le droit d’auteur de l’OMPI de 1996. Le régime canadien tient toutefois compte de certains problèmes rencontrés dans l’expérience américaine, et propose des mesures supplémentaires. 3.1 États-Unis Le régime américain a été le premier à établir une distinction entre les mesures techniques protégeant l’accès aux œuvres et celles qui empêchent la reproduction de celles-ci. La distinction existe parce que la prohibition contre le contournement existe pour le contrôle d’accès aux œuvres, et non pour la reproduction de celles-ci. Il y a toutefois des dispositions qui interdisent l’offre au public de moyens conçus ou produits principalement pour contourner les mesures techniques qui contrôlent entre autres la reproduction d’œuvres. Comme le droit de reproduire est un droit exclusif du 22. Voir, à titre d’exemple : « Digital Economy Bill passed by House of Commons », article dans <www.out-law.com> ; « Hadopi : le pire du pire de l’Assemblée » dans <www.bakchich.info>. 23. Voir Internet « Access is a “fundamental right” » (<http://news.bbc.co.uk/2/hi/ 8548190.stm>). La modernisation des recours 1109 détenteur du droit d’auteur faisant l’objet d’exceptions en matière d’usage personnel, cette distinction permet aux usagers ayant acquis une copie de l’œuvre de la reproduire en plusieurs circonstances pour leur usage personnel. Cet usage permis peut s’étendre à tout ce qui découle du fair use, dont l’enregistrement pour visionnement en différé (time-shifting) et la reproduction à des fins privées (formatshifting). La protection des mécanismes qui contrôlent l’accès exclut donc le recours à la défense de fair use pour permettre le contournement à des fins d’accéder à l’œuvre. Le DMCA comprend des exceptions aux prohibitions sur le contournement des mesures techniques de protection. Les exceptions les plus accommodantes se font pour les enquêtes liées à la mise en application d’une loi ou pour des questions de sécurité nationale24. Ensuite, les bibliothèques à but non lucratif, les archives et les institutions d’éducation bénéficient d’une exception s’il s’agit de contourner pour voir s’ils voudraient éventuellement obtenir un accès à l’œuvre25. Il y a aussi des exceptions pour le contournement visant à rendre des programmes d’ordinateurs interopérables26, aux fins de recherche sur le chiffrement27, afin de permettre le développement de technologies normalement prohibées qui seraient utiles pour bloquer des sites web aux mineurs28, si c’est nécessaire afin de s’assurer que la mesure technique ne collecte pas des renseignements personnels de l’usager, et si ce n’est que pour vérifier la vulnérabilité d’un ordinateur29. Une des premières problématiques soulevées à l’égard de la loi américaine découle de la transposition de la distinction entre les mesures techniques protégeant l’accès et celles empêchant la reproduction, aux prohibitions imposées aux fournisseurs de produits de contournement. D’une part, les copies à des fins privées sont permises, mais d’autre part, la fourniture de moyens de contournement est prohibée, que ce soit des moyens de contournement des mesures protégeant l’accès ou empêchant la reproduction30. Ceci a rendu la tâche des individus voulant faire des copies légales plus difficile31. Notam24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. Art. 1201(e), Title 17, United States Code. Art. 1201(d), Title 17, United States Code. Art. 1201(f), Title 17, United States Code. Art. 1201(g), Title 17, United States Code. Art. 1201(h), Title 17, United States Code. Art. 1201(j), Title 17, United States Code. Art. 1201(a)(2), 1201(b), Title 17, United States Code. Fred VON LOHMANN, « Unintended Consequences: Twelve Years under the DMCA », dans Electronic Frontier Foundation, p. 9-10. 1110 Les Cahiers de propriété intellectuelle ment, il est rendu de plus en plus difficile de faire des copies de films pour avoir des versions informatiques et en faire des copies de sauvegarde, ou de faire des cédéroms de musique mélangée pour la voiture, par exemple. De plus, suite à un recours intenté en vertu de l’article 1201 contre un développeur technologique32, les possibilités d’enregistrement qui existaient avec les vidéocassettes n’ont pas été développées pour le téléchargement continu (streaming). Un autre problème soulevé en ce qui concerne les prohibitions contre le contournement est que, alors qu’elles sont en place pour protéger les droits des détenteurs de droits d’auteur, elles peuvent potentiellement être employées par des compagnies afin de maintenir leur position dominante dans le marché de produits liés à ceux qu’ils fournissent. Ceci peut être fait en invoquant la protection de l’article 1201 pour protéger des systèmes de blocage d’accès33. Par exemple, Apple a demandé au site web BluWiki d’enlever une conversation entre des usagers sur le site qui portait sur le contournement des mesures de protection des iPod et iPhone. Les usagers se demandaient s’il serait possible de configurer ces appareils pour les utiliser avec des programmes autres que iTunes34. Sans même que ces utilisateurs se rendent à l’étape du contournement, Apple a demandé par une lettre à BluWiki que la conversation soit enlevée. BluWiki a dû intenter un recours contre Apple pour atteinte à la liberté d’expression, qui est d’ailleurs protégée à l’article 1201(c)(4), pour que la conversation soit réintégrée au site. En fait, la problématique peut se poser pour tout le marché secondaire de produits, comme par exemple lorsque le manufacturier d’un appareil oblige les utilisateurs d’acheter les applications de son magasin virtuel uniquement. Les téléphones intelligents qui sont « attachés » (locked) à des fournisseurs de services relèvent de la même problématique. Les fournisseurs de services d’entreposage de données peuvent aussi exercer un contrôle similaire afin d’empêcher à des concurrents d’offrir des services d’entretien en liaison avec 32. Real Networks, Inc. v. Streambox, Inc., No. C99-2070P, 2000 WL 127311 (W.D. Wash. Jan. 18, 2000), cité dans Fred VON LOHMANN, « Unintended Consequences: Twelve Years under the DMCA », dans Electronic Frontier Foundation, p. 11. 33. André LUCAS et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd. (Paris, LexisNexis, 2012), par. 971. 34. Robert MCMILLAN, « Apple is Sued after Pressuring Open-Source iTunes Project », (29 avril 2009) PC World, cité dans Fred VON LOHMANN, « Unintended Consequences: Twelve Years under the DMCA », dans Electronic Frontier Foundation, p. 3. La modernisation des recours 1111 leurs produits35. La législation régissant le contournement des mesures techniques de protection peut avoir un impact sur l’innovation technologique et le développement de produits et services complémentaires. 3.2 Canada Au Canada, le législateur s’est inspiré de l’expérience américaine et a prévu des solutions à certains des problèmes rencontrés par son voisin du sud, mais pas tous. L’approche générale entreprise par la législation canadienne sur les mesures techniques de protection est similaire à ce que l’on observe aux États-Unis, distinguant d’emblée les mesures protégeant l’accès à l’œuvre de celles qui protègent la reproduction de l’œuvre. Comme dans la loi américaine, il y a prohibition du contournement de mesures protégeant l’accès mais pas la reproduction, préservant ainsi la possibilité pour les usagers de faire des reproductions pour leur usage personnel. La Loi sur le droit d’auteur contient la même prohibition générale contre la fourniture de moyens de contournement. C’est-à-dire, elle ne distingue pas entre les mesures protégeant l’accès et celles protégeant la reproduction. Ceci établit la même situation qu’aux États-Unis en ce que l’on promet aux usagers de reproduire les œuvres, sans permettre au marché de leur donner des moyens efficaces de le faire. C’est au niveau des exceptions que la loi canadienne se démarque le plus de la loi américaine. La loi canadienne contient toutes les mêmes exceptions que celles de la loi américaine, sauf la permission donnée aux bibliothèques à but non lucratif, aux archives et aux institutions éducationnelles de contourner, et la permission de mettre en marché des mesures permettant de bloquer des sites web aux enfants. La loi canadienne contient toutefois une disposition similaire à celle de la loi américaine limitant les recours contre les bibliothèques à but non lucratif, les archives et les institutions éducationnelles à une injonction seulement36. Dans la loi américaine, les reproductions éphémères par les entreprises de radiodiffusion font aussi l’objet d’une disposition limitant les recours disponibles, tandis que dans la loi canadienne, ceux-ci bénéficient d’une exception37. La loi canadienne étend une exception aux person35. Fred VON LOHMANN, « Unintended Consequences: Twelve Years under the DMCA », dans Electronic Frontier Foundation, p. 12-14 ; <https ://www.eff.org/es/ wp/unintended-consequences-under-dmca>. 36. Art. 41.2, Loi sur le droit d’auteur et 1203(c)(5)(B), Title 17, United States Code. 37. Art. 41.17, Loi sur le droit d’auteur. 1112 Les Cahiers de propriété intellectuelle nes ayant une déficience perceptuelle et pour lesquelles le contournement permettrait de percevoir une œuvre38. Enfin, la loi canadienne contient une exception pour le déblocage des téléphones cellulaires, ce qui répond précisément à un des problèmes rencontrés par les usagers américains39. Il est donc possible d’acquérir un téléphone cellulaire, de le débloquer et de choisir le réseau qui convient à l’usager, plutôt que d’être lié à un fournisseur. Une autre disposition qui découle d’une leçon de l’expérience américaine est à l’article 41.21 de la Loi sur le droit d’auteur. Cette disposition donne au gouverneur en conseil la discrétion de soustraire aux prohibitions de contournement toute mesure technique de protection s’il est d’avis que la prohibition « diminuerait indûment la concurrence sur le marché secondaire où celle-ci est utilisée ». Un dernier point de démarcation entre les deux juridictions, qui avantage encore les usagers canadiens, concerne les dommages. Aux États-Unis, pour les violations à des fins commerciales, la peine s’élève jusqu’à 500 000 $, cinq ans de prison, ou les deux pour la première infraction, et jusqu’à 1 000 000 $, dix ans de prison, ou les deux pour les infractions subséquentes. La loi américaine donne l’option à la partie demanderesse de choisir entre les dommages réellement subis40 et des dommages statutaires d’entre 200 $ et 2 500 $ par violation même pour les violations non-commerciales de contournement41. Au Canada, par contre, les contournements de mesures techniques à des fins commerciales peuvent plutôt donner lieu à une peine de 1 000 000 $, cinq ans d’emprisonnement, ou les deux s’il s’agit d’une déclaration de culpabilité par mise en accusation, et une peine de 25 000 $, six mois d’emprisonnement, ou les deux si c’est par procédure sommaire42. Les contraventions à des fins privées échappent complètement au régime de recours criminels de la loi, et les contournements de mesures techniques de protection échappent même aux dommages statutaires de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur43. Par conséquent, les individus contournant des mesures techniques de protection pour des fins privées ne seraient responsables que des dommages réellement subis par le détenteur du droit 38. 39. 40. 41. 42. 43. Art. 41.16, Loi sur le droit d’auteur. Art. 41.18, Loi sur le droit d’auteur. Art. 1203(2), Title 17, United States Code. Art. 1203(3), Title 17, United States Code. Par. 42(3.1), Loi sur le droit d’auteur. Par. 41.1(3), Loi sur le droit d’auteur. La modernisation des recours 1113 d’auteur, selon le régime général de l’article 35(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Enfin, les deux juridictions donnent au tribunal la discrétion de réduire ou annuler les dommages s’il s’agit de contournements innocents, c’est-à-dire, sans que la personne sache qu’elle a contrevenu. 3.3 Europe La Directive sur la société de l’information de l’Union Européenne prévoit à son article 6 les mesures que doivent prendre les États membres concernant les mesures techniques de protection. Cet article indique premièrement que les États devront fournir une protection adéquate contre tout contournement des mesures techniques de protection, sans distinguer entre les mesures protégeant l’accès et celles empêchant la reproduction de l’œuvre. Ensuite, comme dans les lois canadienne et américaine, il y a une interdiction de fournir des moyens de contourner, encore une fois sans distinguer selon le type de mesures. Un point sur lequel la directive européenne est moins avantageuse pour les usagers que les lois nord-américaines, est que les protections juridiques requises à l’article 6(1) sont activées par le contournement d’une mesure technique quand celle-ci protège un usage non autorisé par le titulaire du droit, et ce, même lorsqu’une exception éventuelle permettrait l’usage44. 3.4 France En France, le Code de la propriété intellectuelle spécifie que les méthodes mises en œuvre par les mesures techniques de protection ne sont pas en elles-mêmes protégées. Ceci a été précisé afin d’éviter qu’il y ait quelque contrôle que ce soit sur les programmes utilisés afin de mettre en œuvre les mesures techniques45. Aux États-Unis46 et au Canada, la distinction n’existe pas, et comme on a vu aux États-Unis, ceci pourrait donner lieu à une utilisation des dispositions anti-contournement à des fins potentiellement anticoncurrentielles. Le Code français, comme les lois canadiennes et américaines, prévoit une exception pour tenir compte des besoins d’interopérabilité des logiciels. Par contre, il y a une procédure à suivre avant de 44. André LUCAS et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd. (Paris, LexisNexis, 2012), par. 964, p. 776 et par. 971. 45. Ibid., par. 969. 46. Ibid., par. 971. 1114 Les Cahiers de propriété intellectuelle pouvoir accéder à l’information nécessaire47. Le même article innove cependant en prévoyant que le président de l’Autorité de régulation des mesures techniques doit aviser l’Autorité de la concurrence s’il y a un abus de position dominante dans le secteur des mesures techniques48. Le Code français adopte une approche différente en ce qui concerne la préservation des usages privés, comme l’enregistrement pour visionnement différé. Au lieu de n’interdire que le contournement des mesures protégeant l’accès et non celles qui empêchent la reproduction, la loi française indique simplement à l’article L331-5, alinéa 6, que « les mesures techniques ne peuvent s’opposer au libre usage de l’œuvre ou de l’objet protégé dans les limites des droits prévus par le présent code, ainsi que de ceux accordés par les détenteurs de droits ». Des clarifications supplémentaires sont ajoutées aux articles L331-8 à L331-12, spécifiant les usages permis. L’article 335-3-1 du Code de la propriété intellectuelle français prévoit une amende de 3 750 euros pour contournement direct et volontaire, et 30 000 euros et six mois de prison pour le contournement volontaire fait avec un moyen procuré à cette fin ou le fait de fournir un tel moyen. 3.5 Royaume-Uni Le Royaume-Uni est innovateur comparativement aux autres juridictions en ce qui concerne les recours pour contournement de mesures techniques de protection. La législation britannique comprend trois niveaux de violations. Premièrement, le contournement des mesures techniques en général est prohibé et expose le contrevenant aux mêmes recours civils qu’un détenteur du droit d’auteur possède contre quelqu’un qui viole son droit d’auteur49. Le contournement des programmes d’ordinateur n’est réprimé que s’il est volontaire. Le deuxième niveau est aussi civil, et il interdit la production et la fourniture générale des moyens de contourner50. Cette interdiction, qui est de responsabilité stricte, expose celui qui la viole, encore une fois, aux recours usuels du détenteur de droits. La violation criminelle existe pour des violations semblables à celles du deuxième niveau mais qui comportent un élément plus flagrant, où la production et la fourniture des moyens de contournement sont 47. Art. 331-7, Code de la propriété intellectuelle. 48. Art. 331-7, al. 7, Code de la propriété intellectuelle. 49. Art. 296 (pour les programmes d’ordinateur), et 296ZA (pour les contournements d’autres technologies) de la Copyright, Designs and Patents Act 1988. 50. Art. 296ZD de la Copyright, Designs and Patents Act 1988. La modernisation des recours 1115 faits sur une échelle plus large et avec des intentions commerciales51. Ce dernier niveau n’est pas de responsabilité stricte et le défendeur peut s’en sortir s’il est capable de prouver qu’il n’était pas au courant que l’appareil ou le service servait au contournement de mesures techniques de protection. Si la poursuite est faite par procédure sommaire, la peine est d’un maximum de 5 000 livres, un emprisonnement maximal de trois mois, ou les deux. S’il s’agit d’une déclaration de culpabilité par mise en accusation, la peine sera une amende sans limite stipulée, un emprisonnement maximal de deux ans ou les deux. Dans toutes les juridictions, la loi établit que la mesure technique doit émaner du titulaire des droits sur l’œuvre52, ceci évite la possibilité qu’un distributeur ne détenant pas les droits sur l’œuvre ajoute une couche additionnelle de protection technique 53. 4. Information sur le régime des droits Dans le cas du Canada et des États-Unis, l’article 12 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur de 1996 a servi de base pour la disposition portant sur l’information sur le régime des droits. Ces dispositions visent à interdire la modification de l’information portant sur le droit d’auteur d’une œuvre faite dans le but de contrevenir au droit d’auteur. Le nouveau régime canadien interdisant la suppression ou la modification de l’information sur le régime des droits d’une œuvre est presque calqué sur la disposition américaine54, mais avec certaines omissions. Notamment, la loi américaine interdit en plus le fait de fournir une fausse information sur le régime des droits et de distribuer ou importer de telles fausses informations55, ce que ne prévoit pas le régime canadien. 5. Dommages-intérêts préétablis Les dommages-intérêts préétablis existent principalement pour pallier aux situations où la négligence ou les réticences du 51. Ibid. 52. Art. 1201(a)(3)(B), Title 17, United States Code ; définition « mesure technique de protection » (a), art. 41, Loi sur le droit d’auteur ; art. 6(3), Directive sur la société de l’information ; article L331-5, Code de la propriété intellectuelle ; art. 296ZF du Copyright, Designs and Patents Act 1988. 53. André LUCAS et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd. (Paris, LexisNexis, 2012), par. 971. 54. Par. 41.22(1), Loi sur le droit d’auteur. 55. Art. 1202(a), Title 17, United States Code. 1116 Les Cahiers de propriété intellectuelle défendeur fait en sorte qu’il soit difficile d’établir les pertes subies par le demandeur et les profits effectués par le défendeur. Ainsi, la partie lésée peut choisir, dans les juridictions qui offrent l’option, comme le Canada56 et les États-Unis57, des dommages préétablis (statutory damages) si ce choix est avantageux pour eux. Les dommages préétablis ne peuvent être réclamés par les détenteurs de droits dans la majorité des pays58. Aux États-Unis, par contre, où les dommages préétablis sont entre 750 $ et 30 000 $ pour les violations non-intentionnelles et jusqu’à 150 000 $ quand il y a une violation intentionnelle, l’option a donné lieu à des dommages excessifs, et donc des injustices59. En fait, la Loi sur la modernisation du droit d’auteur a fait en sorte que le Canada innove en introduisant la distinction entre les violations à des fins commerciales et celles à des fins non-commerciales60. Ainsi, pour les violations commerciales, il n’y aucun changement par rapport aux dommages préétablis qui étaient disponibles avant les modifications de 2012. Pour les violations non-commerciales, l’échelle passe de 500 $ à 20 000 $ à une échelle de 100 $ à 5 000 $. C’est cette dernière échelle qui serait applicable aux utilisateurs qui téléchargent, par exemple, des enregistrements musicaux illégalement sur internet. Le législateur a aussi ajouté à l’alinéa 38.1(5)d) la nécessité pour le tribunal de tenir compte de la proportionnalité entre la violation et les dommages dans les cas de violations noncommerciales. Ces nouvelles dispositions ont été considérées par les tribunaux dans deux jugements, mais aucun des deux n’a pu les appliquer, ne s’agissant dans aucun cas de violations non-commerciales61. Conclusion Malgré que le Canada ait pris un retard considérable par rapport aux autres juridictions, suite aux comparaisons effectuées 56. Par. 38.1(1), Loi sur le droit d’auteur. 57. Art. 504(c), Title 17, United States Code. 58. Voir Pamela SAMUELSON et al., « Statutory Damages: A Rarity in Copyright Laws Internationally, But For How Long ? », (2013) 60 Journal of The Copyright Society of the U.S.A. 1, 1-2. 59. Voir Pamela SAMUELSON et al., « Statutory Damages in Copyright Law: A Remedy in Need of Reform », (2009) 51 William and Mary Law Review 439, 440-442. 60. Par. 38.1(1), Loi sur le droit d’auteur. 61. Boire c. Lefebvre, 2013 QCCQ 921 (Division des petites créances) et Tency Music SAS c. Lefrançois, 2013 QCCS 1947. La modernisation des recours 1117 ci-haut, on peut constater que ce délai n’a pas été sans bénéfice. En effet, les modifications à la Loi sur le droit d’auteur témoignent de plusieurs emprunts des États-Unis, pionniers en la matière. Les similitudes avec le droit Européen sont moins évidentes, les deux juridictions de ce continent ayant pris des directions divergentes par rapport aux nord-américains. On a vu qu’en ce qui concerne la contrefaçon par fourniture de moyens, le Canada est aussi strict que les États-Unis, mais pas aussi strict que la France. Le Royaume-Uni a adopté une approche entièrement distincte, responsabilisant non pas les intermédiaires, mais les fournisseurs de services internet. En dépit de l’encadrement juridique mis en place par toutes les juridictions abordées dans l’analyse, on constate que ce n’est pas le peer-to-peer en tant que tel qui est visé par législation, mais bien sa mise en disposition par les fournisseurs62. En ce qui concerne les mesures techniques de protection, le Canada a de nouveau calqué sa législation sur celle des États-Unis, tout en comblant certaines lacunes. Notamment, au Canada, le déblocage des téléphones cellulaires est légal et une disposition a été incluse pour éviter les pratiques anti-concurrentielles dans le marché secondaire de certaines industries. La France a aussi joué un rôle innovateur en ce qui a trait à la protection de la concurrence, spécifiant que ce ne sont pas les mesures techniques qui bénéficient de la protection de la loi, mais bien les œuvres qu’elles protègent. Le Canada tient compte des intérêts des usagers dans les dommages, excluant les contournements de mesures techniques de protection à des fins privées du régime de recours criminels et séparant les recours civils pour violations à des fins commerciales de celles à des fins privées. Enfin, le nouveau régime d’avis et avis instauré par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur vise à rendre responsables en partie seulement les fournisseurs de service internet quant aux violations des usagers utilisant leurs services. Comparativement aux autres juridictions qui obligent les fournisseurs soit à enlever le matériel contrevenant le droit d’auteur, soit à bloquer éventuellement l’accès au réseau internet, le législateur canadien a été moins sévère. 62. André LUCAS et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd. (Paris, LexisNexis, 2012), par. 308. Vol. 25, no 3 Entertainment Software Association et les sonneries musicales : d’un litige à un autre Gilles Daigle* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1121 1. ESA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1121 2. Impact de la décision ESA. . . . . . . . . . . . . . . . . . 1124 3. Impact sur les redevances pour les sonneries musicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1124 4. Demande à la Commission du droit d’auteur . . . . . . . 1125 5. Procédures à la Cour fédérale . . . . . . . . . . . . . . . . 1129 6. Impact du droit de la mise à disposition (« DMAD ») . . . 1129 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1132 © Gilles Daigle, 2013. * Avocat général et chef du contentieux, SOCAN. 1119 Introduction La situation canadienne en matière du droit d’auteur a changé considérablement au cours de la dernière année à la suite de deux événements distincts : (a) l’adoption du projet de loi C-11, La loi sur la modernisation du droit d’auteur, le 29 juin 2012, et l’entrée en vigueur de plusieurs de ses dispositions clés le 7 novembre 2012, et (b) cinq décisions rendues par la Cour suprême du Canada, le 12 juillet 2012, dont l’arrêt Entertainment Software Association c. SOCAN et al., 2012 CSC 34 (« ESA »). Dans ESA, la Cour déclare qu’il n’existe aucun fondement juridique pour le tarif 22.A de la SOCAN, en vertu duquel la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (« SOCAN ») avait perçu des redevances pour le téléchargement d’œuvres musicales pendant de nombreuses années. En fait, le tarif 22.A avait auparavant été reconnu et confirmé à plusieurs reprises par la Commission du droit d’auteur et la Cour d’appel fédérale depuis 1999. La conséquence est immédiate : la SOCAN doit rembourser plus de 20 000 000 $ aux fournisseurs de téléchargements d’œuvres musicales, dont le service Internet Apple iTunes. Mais la portée de la décision ESA risquait de s’étendre au-delà du tarif 22.A. À peine quelques semaines après sa publication par la Cour suprême, les fournisseurs de sonneries musicales (« ringtones ») s’appuient sur ESA en entamant deux procédures juridiques distinctes contre la SOCAN, cherchant à se faire rembourser les redevances qu’ils avaient payées à la SOCAN pour les années 2003 à 2012 en vertu de son tarif 24. 1. ESA Dans une décision où les membres de la Cour ont été profondément divisés (5-4), la majorité a conclu que la Commission du droit d’auteur (« Commission ») et la Cour d’appel fédérale ont commis une erreur quand ils ont jugé que le téléchargement d’une copie d’un jeu 1121 1122 Les Cahiers de propriété intellectuelle vidéo contenant des œuvres musicales constitue une « communication » de ces œuvres au public, au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, à savoir le droit exclusif de communiquer une œuvre au public par télécommunication. La décision de la majorité est basée sur deux facteurs principaux. Tout d’abord, la conclusion de la Commission a violé le principe de neutralité technologique. Essentiellement, la majorité a conclu que, dans la mesure où aucune redevance n’est payable à la SOCAN pour la vente d’une copie d’un jeu vidéo dans un magasin physique, ou par livraison à l’acheteur par courrier, aucune redevance ne devrait alors être versée à la SOCAN lorsque la même copie de ce jeu vidéo est vendue et livrée sous une forme plus avancée de technologie électronique comme l’Internet. En somme, la Loi ne doit pas être interprétée d’une manière qui impose une couche supplémentaire de droits basée uniquement sur la méthode de livraison des œuvres aux consommateurs : [5] Nous sommes d’accord avec ESA. À notre avis, la conclusion de la Commission selon laquelle un tarif distinct s’applique au téléchargement pour la « communication » d’une œuvre musicale va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, à savoir que la Loi sur le droit d’auteur s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique : Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 49. Le paragraphe 3(1) de la Loi adhère au principe de la neutralité technologique en reconnaissant un droit de produire ou de reproduire une œuvre « sous une forme matérielle quelconque ». À notre avis, il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique sur le Web. Internet ne représente qu’un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à l’utilisateur. [...] [9] La SOCAN n’a jamais pu percevoir de redevances pour la copie d’un jeu vidéo sur cartouche ou sur disque achetée en magasin ou obtenue par la poste. Or, elle soutient que la copie identique d’un jeu vendu et distribué sur Internet donne droit à une redevance à la fois pour la reproduction de l’œuvre et pour sa communication. Le principe de la neutralité technologique veut que, sauf intention contraire avérée du législateur, nous Entertainment Software Association et sonneries musicales 1123 interprétions la Loi sur le droit d’auteur de manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et d’exigibilité d’une redevance qui soit uniquement fondé sur le mode de livraison de l’œuvre à l’utilisateur. Toute autre interprétation imposerait en fait un coût injustifié pour l’utilisation de technologies Internet plus efficaces. Deuxièmement, la majorité a conclu que le droit de communication prévu à l’alinéa 3(1)f) doit être interprété dans le sens d’une activité d’exécution publique (ex. : activités de radiodiffusion traditionnelles ou transmission en continu (tel le « streaming ») qui permet au consommateur d’écouter ou voir le contenu au moment de sa transmission). Les téléchargements, eux, sont plutôt dans la nature d’une reproduction. Les conclusions clés de la majorité à ce sujet sont les suivantes : 1. Le terme « communiquer » à l’alinéa 3(1)f) a été historiquement lié au droit d’exécution et ne doit pas être transformé par l’utilisation du mot « télécommunication » d’une façon qui capturerait des activités qui s’apparentent à la reproduction. 2. La communication au public par télécommunication n’est pas un droit sui generis ; il est simplement illustratif du droit d’exécuter une œuvre en public. 3. Pour engager deux droits (ex., reproduction et communication), il doit y avoir deux activités distinctes. Par exemple, dans la cause Bishop1, la première activité consistait à faire une copie éphémère de l’œuvre musicale afin de produire une émission de télévision, tandis que la deuxième activité avait lieu lors de la diffusion du programme en question. Or, lors d’un téléchargement, il n’y a qu’une seule activité : le téléchargement d’une copie de l’œuvre musicale, ce qui n’est pas une activité de la même nature qu’une exécution publique. 4. L’expérience d’une transmission en continu de données qui permet au consommateur d’écouter ou de voir le contenu au moment de sa transmission se rapproche beaucoup plus à une diffusion traditionnelle ou à une exécution, alors que le téléchargement se rapproche beaucoup plus à une activité de reproduction. 1. Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467. 1124 Les Cahiers de propriété intellectuelle 5. En l’absence de preuve d’une intention du législateur à l’effet contraire, la Loi doit être interprétée d’une manière qui évite d’imposer une couche supplémentaire de protection et de frais fondés uniquement sur la méthode de livraison d’une œuvre. 2. Impact de la décision ESA En conséquence, selon la législation en vigueur au moment de la décision ESA, la SOCAN n’avait aucun droit de communication dans le cadre de téléchargements d’œuvres musicales par l’entremise de l’Internet, que ce soit sous la forme de fichiers musicaux contenant des chansons (singles et albums achetés sur iTunes) ou lorsque les œuvres musicales sont téléchargées au sein de jeux vidéo ou autres œuvres audiovisuelles. La conclusion de la majorité signifie que la SOCAN n’a jamais eu le droit de contrôler ou de percevoir des redevances pour ces utilisations. Le tarif SOCAN 22.A, tel qu’approuvé par la Commission du droit d’auteur pour les téléchargements pour la période débutant le 1er janvier 1996, est nul et sans effet. Par conséquent, dans le cas de téléchargements, les redevances et les intérêts payés par les usagers en vertu du tarif 22.A ont été remboursés à ces usagers (une somme de plus de 20 000 000 $) et, à compter du 12 juillet 2012, ils n’étaient plus tenus de payer le tarif 22.A pour ces usages. 3. Impact sur les redevances pour les sonneries musicales Le tarif 24 de la SOCAN s’applique à l’usage des sonneries musicales. Il a été homologué pour la première fois par la Commission du droit d’auteur en 2006 pour les années 2003 à 2005. Cette décision avait fait l’objet d’une procédure de révision judiciaire de la part de l’Association canadienne des télécommunications sans fil (« ACTSF ») et d’autres fournisseurs de sonneries. Leurs motifs portaient essentiellement sur les mêmes que ceux avancés par l’appelante dans ESA, à savoir que la transmission de sonneries musicales n’était pas une « communication » au public. Toutefois, la Cour d’appel fédérale2 a rejeté cette demande en 2008, et une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada sur cette question a également été rejetée. 2. Association canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, permission d’appeler refusée : 2008 CanLII 46984 (C.S.C.). Entertainment Software Association et sonneries musicales 1125 Deux ans plus tard, en juin 2010, la SOCAN et les opposants au tarif 24 sont parvenus à un accord sur les redevances à payer pour les sonneries musicales pour la période 2006 à 2013, et ils ont demandé à la Commission d’approuver le tarif en conséquence. La Commission l’a fait le 30 juin 2012, soit deux semaines avant la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans ESA. Dès le mois d’août 2012, les fournisseurs de sonneries musicales prennent la position que la décision ESA est autant applicable aux téléchargements de sonneries qu’aux autres types de produits musicaux offerts par téléchargements. Selon eux, les sonneries ne sont donc pas des « communications » au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi, et la SOCAN devrait rembourser ces fournisseurs comme elle l’a fait pour les services de téléchargements du genre iTunes. La SOCAN, de son côté, soutient que la décision de la Cour d’appel fédérale dans ACTSF règle toujours la question. Selon elle, ESA n’est pas applicable aux sonneries puisque cette question et les faits connexes n’étaient pas devant la Cour. S’il est vrai que la majorité a évoqué ACTSF en suggérant que la Cour d’appel fédérale n’avait pas examiné l’historique législatif du droit de « communication » (ce qui, incidemment, est une erreur), la majorité n’a aucunement cassé le résultat dans cette cause. Après des échanges infructueux entre les parties, les principaux fournisseurs de sonneries musicales ont cessé de payer les redevances du tarif 24 à la SOCAN, tout en entamant deux procédures juridiques : une demande à la Commission du droit d’auteur d’annuler le tarif 24 à la lumière de la décision ESA ; ainsi qu’une action en Cour fédérale réclamant de la SOCAN la somme de 15 000 000 $ en restitution des redevances payées en vertu du tarif 24 dans le passé. 4. Demande à la Commission du droit d’auteur Le 1er août 2012, quatre fournisseurs de sonneries musicales demandent à la Commission d’abroger le tarif 24 de la SOCAN. Leur demande est fondée sur l’article 66.52 de la Loi, qui prévoit comme suit : 66.52 La Commission peut, sur demande, modifier toute décision concernant les redevances visées au paragraphe 68(3), aux articles 68.1 ou 70.15 ou aux paragraphes 70.2(2), 70.6(1), 73(1) 1126 Les Cahiers de propriété intellectuelle ou 83(8), ainsi que les modalités y afférentes, en cas d’évolution importante, selon son appréciation, des circonstances depuis ces décisions. Les demanderesses argumentent les points suivants : a) à la lumière d’ESA, le tarif 24 repose sur une erreur de droit ; la Commission ne peut homologuer des tarifs qui ne sont pas fondés en droit ; b) la doctrine de la chose jugée (« res judicata »)et les autres règles relatives au caractère définitif des jugements sont inapplicables à des tarifs reposant sur une erreur de droit relative à la compétence de la Commission ; c) la Commission peut et doit modifier des tarifs antérieurs avec effet rétroactif lorsqu’il est établi qu’un tarif est mal fondé en droit ; d) les arrêts ESA et Rogers constituent un cas d’évolution importante des circonstances au sens de l’article 66.52 de la Loi. La SOCAN riposte avec les arguments suivants : a) la demande recherche l’annulation plutôt que la modification des tarifs en question ; b) ESA ne portait aucunement sur les sonneries musicales ; c) la demande de modification du tarif 2003-2005 équivaut à une attaque indirecte de l’arrêt ACTSF décidé par la Cour d’appel fédérale ; d) les règles relatives au caractère définitif des décisions (« res judicata ») sont applicables aux décisions de la Commission ; il en découle que les décisions de la Commission en matière de tarifs antérieurs demeurent opérantes, même si elles sont fondées sur une interprétation infirmée par la suite ; e) la portée de toute modification de tarif décidée par la Commission devrait être uniquement prospective, sinon les sociétés de gestion ne pourront jamais procéder à la distribution des redevances qu’elles perçoivent. Entertainment Software Association et sonneries musicales 1127 Le 18 janvier 2013, la Commission rejette la demande des fournisseurs de sonneries, à partir de motifs portant sur sa compétence, ainsi que son pouvoir discrétionnaire3. Selon la Commission, les tarifs en question sont clairs : des redevances sont payables uniquement si une licence de la SOCAN est nécessaire. Si la transmission d’une sonnerie ne constitue pas une « communication » au sens de la Loi, aucune licence de la SOCAN n’est requise et les fournisseurs n’ont pas à payer de redevances. Dans la mesure où un fournisseur choisirait de cesser de payer le tarif pour ce motif, il reviendrait à la SOCAN, si elle est désireuse de le faire, d’entamer une action pour le recouvrement des redevances non-payées. La question serait alors carrément devant les tribunaux, ce qui devrait être le cas en l’instance. De toute façon, la Commission conclut qu’elle n’a pas compétence à l’égard de la demande des fournisseurs : [21] [...] il ne s’agit pas d’une question juridique nécessairement accessoire à l’exercice de la compétence essentielle de la Commission. Selon les demanderesses, la Commission supervise et réglemente la gestion collective du droit d’exécution publique d’œuvres musicales. C’est en partie inexact. La Commission se borne à établir des tarifs et leurs modalités. La SOCAN soutient – et les demanderesses ne contestent pas – que la véritable question en cause est celle de l’effet juridique de tarifs homologués et, plus particulièrement, la question de savoir si les demanderesses ont droit au remboursement de redevances déjà acquittées ou si elles sont tenues de continuer à verser des redevances. Nous sommes de son avis. C’est là une question de droit claire, n’ayant rien à voir avec l’établissement de tarifs ou de leurs modalités. De plus, la Commission doute avoir compétence pour annuler un tarif déjà homologué en l’absence d’un pouvoir spécifiquement conféré par la Loi : [32] Aucune des décisions invoquées par les demanderesses ne traite directement du pouvoir d’un tribunal administratif d’annuler une décision antérieure en l’absence d’une disposi3. SOCAN – Tarif 24 (Sonneries) pour les années 2003 à 2005 et Tarif 24 (Sonneries et sonneries d’attente) pour les années 2006 à 2013. Motifs – Demande de modification (18 janvier 2013). 1128 Les Cahiers de propriété intellectuelle tion expresse à cet effet dans la loi habilitante. Aucune n’attribue le pouvoir de modifier sans prévoir expressément celui d’annuler, d’amender ou de révoquer. En examinant toutes les affaires citées, on constate que pour leur majorité, l’essentiel de la décision portait sur la rétroactivité du pouvoir de modification comme c’était le cas dans les arrêts Bakery and Confectionery Workers et Bell Canada, et non pas si le pouvoir de modifier inclut, par déduction nécessaire, celui d’annuler la décision. [...] [34] Le pouvoir de modification dont la Commission est investie, s’il est discrétionnaire, se limite au pouvoir de modifier les modalités d’une relation toujours existante entre titulaires de droits et utilisateurs lorsque l’évolution importante des circonstances l’exige. Il ne permet pas de mettre fin à la relation ou de déclarer qu’elle n’existe plus. Qui peut modifier peut substituer. Conclure qu’il n’y a pas de tarif, ce n’est pas substituer ; c’est annuler ou infirmer la décision originale. Et c’est précisément ce que les demanderesses nous demandent de faire. [...] À notre avis, ce sont les tribunaux judiciaires, non la Commission, qui constituent le forum approprié en la matière. Les questions soulevées relèvent du droit général. Il s’agit notamment de savoir si le principe du caractère définitif exige qu’un tarif homologué fondé sur une interprétation de la loi à présent reconnue erronée s’impose à tous les intéressés et, le cas échéant, dans quelle mesure ; se pose aussi la question du droit des demanderesses au remboursement de redevances, en vertu de divers principes juridiques (erreur de droit, erreur de fait, restitution, enrichissement sans cause) : voir par exemple [...]. Une décision de justice serait plus efficace et produirait des effets plus immédiats et plus généraux. La SOCAN a donc défendu avec succès l’instance devant la Commission, et les deux tarifs 24 (2003-2005 et 2006-2013) demeurent en place. Aucune révision judiciaire n’a été demandée à l’encontre de la décision de la Commission. Cela dit, bien avant cette décision, les fournisseurs de sonneries avaient déjà entamé une action contre la SOCAN à la Cour fédérale, sous le recours de la restitution. La SOCAN défend l’action et intente elle-même une demande reconventionnelle contre les four- Entertainment Software Association et sonneries musicales 1129 nisseurs pour le paiement des redevances du tarif 24, à compter au moins, du 7 novembre 2012. C’est à cette date qu’un nouveau droit de mise à disposition est entré en vigueur dans le cadre d’importantes modifications à la Loi sur le droit d’auteur, tel que discuté plus loin. 5. Procédures à la Cour fédérale Dans leur déclaration, les fournisseurs de sonneries réclament de la SOCAN, entre autres, la restitution de 15 000 000 $ pour enrichissement sans cause. Ils reprennent plusieurs des arguments présentés dans leur demande à la Commission du droit d’auteur. Selon eux, le raisonnement de la Cour suprême dans ESA s’applique à leur transmission de sonneries musicales et ils demandent à la Cour fédérale d’émettre une déclaration le confirmant. Le tarif 24 étant sans fondement juridique, la SOCAN (ou ses membres) n’a aucun droit de conserver les montants payés erronément par les fournisseurs dans le passé, et ces montants devraient leur être remboursés. La SOCAN répond, elle aussi, dans le même sens que sa position devant la Commission. Selon elle, ESA ne change en rien la validité de la décision de la Cour d’appel fédérale dans ACTSF, qui avait confirmé et confirme toujours la validité du tarif 24. Le premier tarif (2003-2005) est res judicata depuis la décision de la Cour suprême du Canada rejetant la demande d’autorisation pour appel, en 2008. Le deuxième tarif (2006-2013) est res judicata depuis l’expiration du délai pour faire réviser la décision de la Commission par la Cour d’appel fédérale. Les redevances payées à la SOCAN en vertu de ces tarifs ont été payées en bonne et due forme selon l’application de la Loi telle qu’interprétée par la Commission et la Cour d’appel fédérale pendant ces années, et la SOCAN n’a aucune obligation de les remettre aux fournisseurs de sonneries. De plus, la SOCAN réclame elle-même la continuation du paiement des redevances en vertu du tarif 24 à compter du 7 novembre 2012, date d’entrée en vigueur d’une nouvelle disposition dans la Loi dans le cadre des modifications apportées par le projet de loi C-11, la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. 6. Impact du droit de la mise à disposition (« DMAD ») Tel que noté plus haut, le projet de loi C-11 a reçu l’assentiment royal le 29 juin 2012, et la plupart de ses dispositions sont entrées en vigueur le 7 novembre 2012. 1130 Les Cahiers de propriété intellectuelle La modification concernant le droit de la mise à disposition est comme suit : 2.4(1.1) Pour l’application de la présente loi, constitue notamment une communication au public par télécommunication le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Le DMAD est le moyen juridique par lequel un bon nombre de pays européens ont clarifié leur législation domestique afin d’assurer la protection du droit d’auteur dans le monde numérique, y compris l’Internet. Il découle de l’article 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, qui se lit comme suit : Sans préjudice des dispositions des articles 11.1)2o), 11bis.1)1o) et 2o), 11ter.1)2o), 14.1)2o) et 14bis.1) de la Convention de Berne, les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs œuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée. Au fil des années, la SOCAN a été très active dans le processus de révision du droit d’auteur. Elle a effectué de nombreuses consultations avec les représentants du gouvernement dans le but de faire reconnaître le besoin de certitude dans la Loi à l’égard de la protection des œuvres sur l’Internet. Pour la SOCAN, les litiges ESA et Rogers4 devant la Commission du droit d’auteur et les tribunaux démontrait clairement la nécessité d’une clarification de ces questions dans la Loi elle-même. L’ajout du paragraphe 2.4(1.1) en est un des résultats. La SOCAN maintient que cette nouvelle disposition est suffisamment claire pour établir que le droit de communication à l’alinéa 3(1)f) est applicable aux transmissions Internet de toute nature, y compris les téléchargements. Autrement dit, la SOCAN est d’avis qu’une interprétation correcte du paragraphe 2.4(1.1) confirme que le droit de mise à disposition a pour effet de couvrir à la fois l’accès à 4. Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35. Entertainment Software Association et sonneries musicales 1131 une œuvre protégée (c’est-à-dire l’acte initial de placer une œuvre sur un réseau comme l’Internet), ainsi que sa transmission ultérieure à des membres du public, par tous les moyens de télécommunication. Le droit du titulaire est donc violé à compter du moment qu’un affichage non autorisé a lieu, et ne dépend aucunement d’une preuve d’une transmission non autorisée du site Internet à un destinataire quelconque. La question de savoir si la transmission ultérieure est sous forme d’un téléchargement ou d’une transmission en continu devient superflue. Cela étant dit, les opposants des tarifs de la SOCAN, y compris les fournisseurs de sonneries musicales, maintiennent que le nouveau DMAD ne change en rien la portée d’ESA. Pour eux, il en demeure que l’activité en question doit être de nature d’une exécution publique pour que le droit de communication s’applique, ce qui n’est toujours pas le cas pour les téléchargements, peu importe leur nature particulière (œuvres musicales, jeux vidéo, sonneries, etc.). Tout ce que fait le DMAD selon eux, c’est de préciser qu’il existe une protection pour la mise à disposition et la transmission d’œuvres musicales sur l’Internet, mais seulement dans la mesure où les œuvres sont livrées par moyen de transmission plutôt que par téléchargements. En revanche, la SOCAN voit le projet de loi C-11 comme étant une preuve de l’intention du législateur à l’effet contraire, c’està-dire de confirmer ou de préciser que les auteurs ont droit à une rémunération lorsque leurs œuvres sont mises à la disposition des consommateurs, indépendamment du mode de transmission, et même peu importe s’il y a transmission. Une activitéé qui n’était donc pas protégée avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-11 est maintenant protégée. Il en résulte, selon la SOCAN, un élargissement du droit de communication qui avait été considéré par la Cour suprême du Canada dans ESA. Le DMAD a également pour effet de supprimer la nécessité d’une écoute immédiate ou d’observation de l’œuvre pendant sa transmission, puisqu’une responsabilité est créée au moment auquel l’œuvre est placée sur un serveur, peu importe qu’elle soit transmise ou perçue plus tard. Tel qu’indiqué dans le préambule du projet de loi C-11, le gouvernement visait à introduire dans la Loi sur le droit d’auteur les 1132 Les Cahiers de propriété intellectuelle normes internationalement reconnues et reflétées dans les Traités de l’OMPI sur le droit d’auteur et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Ceci permettrait enfin de reconnaître et adopter de nouveaux droits pour l’ère Internet. L’intention du législateur à cet égard a été confirmée dans un bon nombre de communications publiées par le ministère du Patrimoine canadien, qui indiquent clairement que les titulaires de droits auront de nouveaux droits de mise à disposition pour leur permettre de contrôler la façon dont leurs œuvres sont disponibles en ligne, à savoir un droit exclusif de contrôler la distribution de contenu protégé sur l’Internet. En conséquence, la SOCAN fera valoir que l’analyse de la Cour suprême dans ESA est, depuis l’avènement du DMAD, sans pertinence. Conclusion La Cour fédérale a du pain sur la planche. Elle aura à décider dans les mois à venir : a) Si les redevances payées à la SOCAN en vertu du tarif 24 pour la période 2003 au 12 juillet 2012 doivent être remboursées aux fournisseurs de sonneries musicales ; b) Si les fournisseurs de sonneries avaient le droit de cesser de payer les redevances du tarif 24 de la SOCAN à compter du 12 juillet 2012 ; c) Si la réponse à la question b) est « non », la SOCAN aura-t-elle droit à des dommages-intérêts préétablis en plus des redevances et intérêts prévus dans le tarif ? d) Si la réponse à la question b) est « oui », la SOCAN aura-t-elle droit de percevoir à nouveau des redevances pour le tarif 24, en vertu du nouveau droit de mise à disposition, à compter du 7 novembre 2012 ? Il faudra rester à l’écoute pour obtenir les réponses à ces questions, sachant que les procédures de la Cour fédérale pourraient bien se rendre à la Cour fédérale d’appel, et peut-être même à la Cour suprême du Canada. Vol. 25, no 3 Régime français de la responsabilité des intermédiaires techniques Catherine Jasserand* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1135 1. Responsabilité allégée des hébergeurs . . . . . . . . . . . 1136 1.1 Fait générateur de responsabilité . . . . . . . . . . . 1137 1.2 De la pratique de « notice and take down » à la pratique de « notice and stay down » . . . . . . . . . 1139 2. Exonération de responsabilité des FAIs . . . . . . . . . . 1140 2.1 Causes d’exonération de responsabilité . . . . . . . . 1140 2.2 Devoirs d’information et de coopération introduits par la loi HADOPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1141 2.2.1 Devoir d’information de leurs abonnés . . . . 1141 2.2.2 Devoir de coopération vis-à-vis de l’agence HADOPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1141 © Catherine Jasserand, 2013. * Chercheuse à l’Université d’Amsterdam, au sein de l’Institut du droit de l’information (IViR). 1133 1134 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. Implications des intermédiaires techniques dans la lutte contre la contrefaçon en ligne . . . . . . . . . . . . . . . . 1143 3.1 Action générale de l’article 6-I-8 de la LCEN. . . . . 1143 3.2 Action en cessation de l’article L. 336-2 du CPI . . . 1145 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1146 Introduction Le régime français de la responsabilité des intermédiaires techniques est régi par les articles 6 à 9 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (dite LCEN)1. La loi transpose en droit français les dispositions de la directive européenne sur le commerce électronique qui harmonise au niveau national le régime de responsabilité applicable aux fournisseurs d’accès à Internet (FAIs) et aux hébergeurs2. Ce régime, désigné sous le terme de « safe harbour », s’applique aussi bien aux contenus portant atteinte au droit d’auteur qu’à tout autre type de contenus illicites (tels que les contenus diffamatoires, discriminatoires, pédopornographiques, incitant à la violence). L’adoption de la loi du 12 juin 2009 dite loi HADOPI n’a pas modifié le régime de responsabilité des intermédiaires techniques3. En revanche, elle a précisé le rôle des FAIs dans la mise en œuvre de la réponse graduée et a instauré une action en cessation permettant de solliciter le concours des intermédiaires techniques dans la lutte contre la contrefaçon. Se livrer à un état des lieux de la responsabilité des intermédiaires techniques après l’entrée en vigueur de la loi HADOPI présente plusieurs intérêts. Tout d’abord de récentes décisions de la Cour de cassation ont précisé le régime de limitation de responsabi1. Loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, JORF 143, 22 juin 2004, p. 11168. 2. Art. 12 à 15 de la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur [2000], JOCE L178/1 ; une directive est un acte normatif adopté par les institutions européennes qui fixe des objectifs aux États membres et qui doit être adapté (« transposé ») en droit national pour produire ses effets juridiques. 3. Loi no 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, JORF 135, 13 juin 2009, p. 9666, dite loi HADOPI en raison du nom de l’autorité qu’elle a mise en place (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet) ; complétée par le volet pénal de la Loi no 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, JORF 251, 29 octobre 2009, p. 18290. 1135 1136 Les Cahiers de propriété intellectuelle lité des hébergeurs en mettant notamment fin à une pratique prétorienne de « notice and stay down » (première section). Puis, le régime d’exonération de responsabilité mis en place pour les FAIs par la LCEN a été complété par des devoirs d’information et de coopération instaurés par la loi HADOPI (deuxième partie). Enfin les FAIs et les hébergeurs sont susceptibles d’apporter leur concours aux autorités judiciaires pour faire cesser les atteintes au droit d’auteur en application de l’action en cessation introduite par la loi HADOPI (troisième partie). Un article sur le sujet paraît opportun au moment où le gouvernement français s’interroge sur l’avenir de l’agence HADOPI et sur le rôle des intermédiaires techniques dans la lutte contre la contrefaçon4. Le terme d’intermédiaires techniques est utilisé dans cet article comme se référant uniquement aux FAIs et aux hébergeurs. La LCEN a mis en place un régime dérogatoire de responsabilité pour ces deux catégories de prestataires. 1. Responsabilité allégée des hébergeurs Le régime de responsabilité applicable aux hébergeurs est issu des articles 6-I-2 (responsabilité civile) et 6-I-3 (responsabilité pénale) de la LCEN transposant en droit français l’article 14 de la directive sur le commerce électronique5. Un hébergeur est défini comme toute personne physique ou morale qui « assure[...], même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le 4. Rapport Lescure Mission « Acte II de l’exception culturelle », Contributions aux politiques culturelles à l’ère numérique, 13 mai 2013, disponible sur le site <http:// www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_les cure/index.htm>. 5. L’article 14 de la directive sur le commerce électronique dispose : « 1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que : a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente ou b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. 2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire. » Régime français de la responsabilité des intermédiaires... 1137 stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »6. 1.1 Fait générateur de responsabilité Par principe, les hébergeurs ne sont soumis à aucune obligation générale de surveillance des contenus stockés ou hébergés. Ils ne sont pas non plus soumis à l’obligation de rechercher des faits ou circonstances révélant des activités illicites. Cette absence d’obligation générale, issue de la directive européenne sur le commerce électronique, est fidèlement transposée dans l’article 6-I-7 de la LCEN7. Les hébergeurs ne sont cependant pas exonérés de toute responsabilité. Ils sont soumis à un régime de responsabilité limitée. En application des articles 6-I-2 et 6-I-3 de la LCEN, ils ne sont pas tenus responsables des contenus qu’ils stockent si : a) ils n’ont pas eu une connaissance effective du caractère illicite de ces contenus ; ou b) si, dès qu’ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer les contenus ou bloquer leur accès. Deux éléments sont donc nécessaires pour enclencher la responsabilité des hébergeurs : la connaissance du caractère illicite du contenu et l’absence de réaction. La loi n’en dit pas davantage, si ce n’est qu’elle instaure dans son article 6-I-5 une procédure facultative de notification qui contient les éléments d’identification (contenu, notifiant, auteur présumé ou éditeur du contenu) et l’échange de correspondances avec l’auteur présumé. Cette procédure est destinée à établir une présomption de connaissance « des faits litigieux » par l’hébergeur8. 6. Art. 6-I-2 de la LCEN. 7. L’article 6-I-7, 1er alinéa de la LCEN transpose l’article 15(1) de la directive sur le commerce électronique ainsi rédigé : « les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visés aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». 8. L’article 6-I-5 de la LCEN est ainsi rédigé : « la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes mentionnées au 2 [i.e. les hébergeurs] lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants [...] ». [Les italiques sont nôtres.] 1138 Les Cahiers de propriété intellectuelle Comme l’ont analysé certains auteurs, la notification ne permet pas de présumer sa connaissance de la présence d’un contenu illicite mais seulement de la présence de contenus « litigieux »9. Cette précision est de bon aloi puisque l’hébergeur n’est pas le juge de « l’illicite ». C’est d’ailleurs le sens de la réserve d’interprétation qu’a émise le Conseil Constitutionnel sur les articles 6-I-2 et 6-I-3 de la LCEN. Interrogé sur la constitutionnalité de la loi, il a considéré que la responsabilité d’un hébergeur « qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers » ne saurait être engagée « si celle-ci ne présente pas manifestement un caractère illicite ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge »10. La décision du Conseil Constitutionnel indique clairement que la notification d’un contenu n’entraîne pas nécessairement son retrait. Seuls les contenus manifestement illicites sont susceptibles d’engager la responsabilité des hébergeurs en cas de non-retrait. Le problème est que la loi ne définit pas cette catégorie de contenus, tout au plus suggère-t-elle ce que cette notion peut recouvrir. Il peut s’agir des contenus identifiés dans l’article 6-I-7 de la LCEN comme étant particulièrement préjudiciables et portant atteinte à l’intérêt général. Pour ce type de contenus, les intermédiaires techniques doivent mettre en place un dispositif de signalement pour permettre à toute personne de leur notifier la présence de ces contenus11. On ne peut que souscrire à l’opinion exprimée par certains auteurs selon laquelle les contenus enfreignant les droits de propriété intellectuelle ne portent atteinte qu’à des intérêts privés et ne devraient donc pas être considérés comme « manifestement illicites »12. 9. André LUCAS, Henri-Jacques LUCAS et Agnès LUCAS-SCHLOETTER, Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd. (Paris, LexisNexis, 2012) ; Ronan HARDOUIN, La jurisprudence, les textes, et la responsabilité des hébergeurs, 5 mai 2008, disponible en ligne : <www.L111-1.fr>. 10. Décision no 2004-496 DC, du 10 juin 2004, point 9 ; Commentaire de la décision no 2004-496 DC du 10 juin 2004 dans les Cahiers du Conseil Constitutionnel, Cahier no 17, disponibles en ligne : <www.conseil-constitutionnel.fr>. 11. L’article 6-I-7 de la LCEN prévoit que les intermédiaires techniques « met(tent) en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance » les contenus relevant de « l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes » ou portant » atteinte à la dignité humaine ». 12. R. HARDOUIN, préc., note 9. Régime français de la responsabilité des intermédiaires... 1139 1.2 De la pratique de « notice and take down » à la pratique de « notice and stay down » Le régime de la responsabilité des hébergeurs a suscité et continue de générer un important contentieux en matière de droit d’auteur. Les tribunaux ont élargi la notion d’hébergeur à d’autres types d’intermédiaires techniques ou ont requalifié certaines activités en activités d’hébergement pour appliquer le régime de responsabilité allégée13. Conçue à l’origine comme une règle de preuve, la procédure de notification est devenue sous la plume des juges une véritable règle de fond14. Ce que la Cour de cassation a validé dans un arrêt du 17 février 2011, en jugeant qu’une notification « [devait] comporter l’ensemble des mentions prescrites par [la loi du 21 juin 2004] »15. De cette obligation de notification est née la pratique de « notice and take down » (notification et retrait) : tout contenu signalé comme illicite selon le formalisme de l’article 6-I-5 de la LCEN entraîne son retrait. Certains auteurs ont pu critiquer cette interprétation qui ne respecte ni la lettre des articles 6-I-2 et 6-I-5 de la LCEN ni la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel 16. Plus récemment, un certain nombre de juridictions du premier degré, soutenues par la Cour d’appel de Paris, ont créé une obligation supplémentaire de « notice and stay down », i.e. une obligation de surveillance ciblée des contenus déjà notifiés pour prévenir leur remise en ligne17. La Cour de cassation a en revanche mis fin à cette création prétorienne dans trois arrêts rendus le 12 juillet 2012. La première décision, Google et Aufeminin.com c. M. x opposait un chanteur au moteur de recherche Google et à un magazine en ligne pour la remise en ligne non autorisée d’une photo le représentant18. Les 13. Assimilation des activités des moteurs de recherche à celle des hébergeurs dans trois décisions de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e ch., 14 janvier 2011, Google Videos, RG no 09/11737, RG no 09/11739 et RG no 09/11779, disponibles en ligne : <www.legalis.net>. 14. A. LUCAS, H.-J. LUCAS et A. LUCAS-SCHLOETTER, préc., note 9, no 1112. 15. Cour de cassation, 1re ch. civ., 17 février 2011, Société Nord-Ouest c. Dailymotion, no de pourvoi : 09-67896, disponible en ligne : <www.legifrance.com>. 16. R. HARDOUIN, préc., note 9. 17. Voir entre autres : TGI Paris, 19 octobre 2007, Zadig Productions c. Google Video ; TGI de Paris, ordonnance de référé, 5 mars 2009, Magdane c. YouTube ; TGI de Paris, Zadig Productions c. Dailymotion, 10 avril 2009 ; Cour d’appel de Paris, 4 février 2011, Google et Aufeminin.com c. M. x, disponibles en ligne : <www.legalis.net>. 18. Cour de cassation, 1re ch. civile, Arrêt 827, 12 juillet 2012, 11-15.165, 11-15.188, disponible en ligne : <www.legifrance.com>. 1140 Les Cahiers de propriété intellectuelle deux autres décisions, « Les Dissimulateurs » et « L’affaire Clearstream » concernaient la ré-indexation de copies de films notifiées une première fois comme illicites19. La Cour de cassation a considéré que cette pratique « abouti[ssait] à soumettre [les hébergeurs] à une obligation générale de surveillance des images qu’[ils] stockent et de recherche des mises en ligne illicites et à leur prescrire, de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi, la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation dans le temps ». Par conséquent, tout contenu remis en ligne après une première notification et retrait ne peut pas être retiré sans nouvelle notification. 2. Exonération de responsabilité des FAIs Le régime d’exonération de responsabilité défini par l’article 6-I-1 de la LCEN s’applique aux « personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ». La loi du 12 juin 2009 a ajouté des obligations d’information et coopération de la part des FAIs. 2.1 Causes d’exonération de responsabilité Comme les hébergeurs, les fournisseurs d’accès à internet sont exempts de toute obligation générale de surveillance des contenus qu’ils transportent et de toute obligation de rechercher des faits ou circonstances qui prouveraient le caractère illicite des contenus transportés20. Ils sont exonérés de toute responsabilité sauf s’ils exercent un contrôle sur ces contenus (sélection ou modification du contenu, sélection du destinataire) ou s’ils sont à l’origine de la transmission litigieuse21. Les FAIs sont également soumis au même devoir de vigilance que les hébergeurs vis-à-vis des contenus portant atteinte à 19. Cour de cassation, 1re ch. civile, Arrêt 828, 12 juillet 2012, 11-13.666 et Cour de cassation, 1re ch. civile, Arrêt 831, 12 juillet 2012, 11-13.669, disponibles en ligne : <www.legifrance.com> ; pour plus d’information sur ces décisions, Catherine JASSERAND, « Hosting providers’ liability: Cour de Cassation puts an end to the notice and stay down rule », (2013) 3 Journal of Intellectual Property Law & Practice 192-193. 20. Art. 15(1) de la directive sur le commerce électronique, transposé dans l’article 6-I-7 de la LCEN, 1er alinéa. 21. Art. L. 32-3-3 du Code des postes et communications électroniques, issu de la codification de l’article 9 de la LCEN et transposant l’article 12 de la directive sur le commerce électronique. Régime français de la responsabilité des intermédiaires... 1141 l’intérêt général et pour lesquels ils doivent mettre en place un dispositif de signalement22. 2.2 Devoirs d’information et de coopération introduits par la loi HADOPI La loi HADOPI du 12 juin 2009 a introduit des nouveaux devoirs pour les FAIs à l’égard de leurs abonnés et de l’agence HADOPI. 2.2.1 Devoir d’information de leurs abonnés Les FAIs sont soumis à deux obligations d’information. La première concerne l’indication dans leur publicité offrant des services de téléchargement de fichiers que « le piratage nuit à la création artistique »23. La seconde est le devoir d’information des FAIs vis-à-vis de leurs abonnés sur l’existence de moyens pour sécuriser leur connexion internet24. À noter que la loi HADOPI du 12 juin 2009, complétée par des dispositions pénales du 28 octobre 2009, a créé une obligation pour les internautes de surveillance de leur accès à internet afin que « cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits »25. De plus, la loi ne prévoit aucune sanction spécifique en cas de manquement par les FAIs à leurs devoirs d’information26. 2.2.2 Devoir de coopération vis-à-vis de l’agence HADOPI La réponse graduée mise en place par la loi HADOPI n’est applicable qu’au manquement au devoir de surveillance de la connexion internet. Elle n’est pas applicable au délit de contrefaçon commise, par exemple, par l’échange de fichiers illégaux. Cependant la coopération des FAIs peut être requise par l’agence HADOPI aussi bien pour la mise en œuvre de la réponse graduée que pour l’exécution de la sanction prononcée pour violation au droit d’auteur. 22. 23. 24. 25. 26. Art. 6-I-7 de la LCEN, 3e aliéna. Art. 7 de la LCEN. Art. 6-I-1 de la LCEN tel que révisé par la loi HADOPI. Art. L. 336-3 du CPI. Ce qui n’exclut certainement pas une action sur la base de défaut d’information et la responsabilité contractuelle. 1142 Les Cahiers de propriété intellectuelle Concernant la mise en œuvre de la réponse graduée, les ayants droit qui constatent l’utilisation d’une adresse IP pour échanger des fichiers non autorisés saisissent la commission de protection des droits (CPD). La CPD est l’organe en charge de la réponse graduée au sein de l’agence HADOPI. Les ayants droit ne peuvent pas saisir directement les FAIs. Sur la base de la saisine, la commission de protection des droits peut demander à un FAI d’identifier l’abonné dont l’adresse IP est indiquée dans la saisine27. Le FAI ne divulgue pas l’identité de l’abonné aux ayants droit. Une fois l’abonné identifié, la réponse graduée est enclenchée28. Les fournisseurs d’accès à internet assistent la commission de protection des droits dans la mise en œuvre de la réponse graduée telle que prévue par l’article L. 331-25 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). À la demande de la commission, ils envoient le premier courrier électronique d’avertissement aux abonnés dont la connexion internet a été utilisée à des fins de contrefaçon. En cas de renouvellement des faits à l’expiration d’un délai de six mois, la commission peut demander aux FAIs d’adresser un second courrier électronique qui sera assorti d’une lettre avec accusé de réception envoyée par la commission. La collaboration des FAIs s’arrête à ce stade de la réponse graduée29. À l’issue de la réponse graduée, la CPD peut transmettre le dossier au parquet. Un tribunal de police peut alors décider si les éléments constitutifs de la négligence caractérisée sont établis30. 27. En vertu de l’article L. 331-21 du CPI, la CDP peut demander la communication des données suivantes : nom de famille, prénoms, adresse postale et électronique, coordonnées téléphoniques, ainsi que l’adresse de l’installation téléphonique de l’abonné ; l’article 3 du Décret no 2010-236 fixe la durée de conservation des données en fonction du nombre de recommandations envoyées. 28. Art. L. 331-25 du CPI. 29. La troisième étape, i.e. la convocation de l’abonné par la CPD en cas de renouvellement des faits l’année suivant le deuxième avertissement, ne fait pas intervenir les FAIs. 30. Art. R. 335-5 du CPI ainsi rédigé : « I.- Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne, lorsque se trouvent réunies les conditions prévues au II : 1o Soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ; 2o Soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen. II.- Les dispositions du I ne sont applicables que lorsque se trouvent réunies les deux conditions suivantes : 1o En application de l’article L. 331-25 et dans les formes prévues par cet article, le titulaire de l’accès s’est vu recommander par la commission de protection des droits de mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès permettant de Régime français de la responsabilité des intermédiaires... 1143 Initialement, en application de l’article L. 335-7-1 du CPI, le juge pouvait assortir la sanction de la négligence caractérisée d’une peine complémentaire de suspension de l’accès à internet pour une durée maximum d’un mois. L’exécution de la peine était à la charge du FAI. Un décret du 8 juillet 2013 a abrogé cette peine complémentaire31. Par conséquent, le rôle des FAIs dans la mise en œuvre de la réponse graduée s’arrête à l’envoi du deuxième avertissement par courrier électronique. Concernant l’infraction de contrefaçon, les FAIs peuvent être sollicités pour identifier les abonnés32. Mais ils peuvent également assister l’agence HADOPI dans l’exécution de la peine de suspension prononcée par le juge. En vertu de l’article 335-7 du CPI, la sanction pour contrefaçon peut être assortie d’une peine complémentaire de suspension de l’accès à internet pour une durée maximum d’un an. Une fois la décision de justice devenue exécutoire, la peine complémentaire est communiquée à l’agence HADOPI qui la notifie au FAI. Si le FAI ne la met pas en œuvre dans les 15 jours suivant sa notification, il s’expose à une amende de 5 000 euros au maximum. 3. Implications des intermédiaires techniques dans la lutte contre la contrefaçon en ligne Il ne s’agit pas de mesures liées à la responsabilité des intermédiaires mais de mesures spécifiques sollicitant le concours des intermédiaires techniques pour mettre fin à tout dommage ou prévenir la réalisation d’un dommage. 3.1 Action générale de l’article 6-I-8 de la LCEN La première action est fondée sur l’article 6-I-8 de la LCEN qui dispose qu’une autorité judiciaire peut ordonner à un hébergeur ou à prévenir le renouvellement d’une utilisation de celui-ci à des fins de reproduction, de représentation ou de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ; 2o Dans l’année suivant la présentation de cette recommandation, cet accès est à nouveau utilisé aux fins mentionnées au 1o du présent II. » 31. Décret no 2013-596 du 8 juillet 2013 supprimant la peine contraventionnelle complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne et relatif aux modalités de transmission des informations prévue à l’article L. 331-21 du CPI, JORF 157, 9 juillet 2013, p. 11428. 32. Art. L. 331-21 du CPI. 1144 Les Cahiers de propriété intellectuelle défaut à un FAI « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne »33. Cette possibilité ne peut cependant pas aboutir à une obligation générale de surveillance ou de recherche des faits ou circonstances révélant le caractère illicite34. La question s’est posée avec une acuité particulière au niveau européen dans des affaires concernant des injonctions de filtrage et de blocage. La Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions concernant des mesures de filtrage dans deux affaires opposant la SABAM (société de gestion belge représentant les auteurs) à un FAI et à une plateforme de réseau social35. Dans la première affaire, le juge avait ordonné au FAI de « faire cesser les atteintes au droit d’auteur [...] en rendant impossible toute forme d’envoi ou de réception par ses clients, au moyen d’un logiciel peer-to-peer, de fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la SABAM ».36 Dans la seconde affaire, la société de gestion collective avait demandé à un juge d’ordonner à une plateforme de réseau social de « cesser immédiatement toute mise à disposition illicite des œuvres musicales et audiovisuelles d[e] [son] répertoire »37. Dans les deux affaires, la Cour de justice a jugé contraire à l’article 15(1) de la directive sur le commerce électronique les mesures de filtrage obligeant le FAI dans le premier cas et le réseau social dans le deuxième cas à une « surveillance active » de l’ensemble des communications électroniques et des informations stockées pour « prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle »38. En concluant que ces injonctions imposaient une surveillance générale interdite par l’article 15(1) de la directive, la Cour de justice a fourni des éléments d’interprétation aux juges nationaux amenés à prononcer ces injonctions en application de leur droit national. 33. L’article 6-I-8 de la LCEN met en œuvre la possibilité offerte par les articles 12 à 14 de la directive sur le commerce électronique d’autoriser les autorités judiciaires ou administratives à ordonner des mesures pour prévenir ou mettre fin à une violation. 34. Art. 15 (1) de la directive sur le commerce électronique, transposée par l’article 6-I-7 de la LCEN, 1er alinéa. 35. La Cour de justice de l’Union européenne est en charge notamment d’interpréter le droit de l’Union à la demande des juges nationaux (questions préjudicielles). 36. Décision Scarlet c. SABAM (affaire C-70/10), 24 novembre 2011, par. 23, disponible en ligne : <www.curia.europa.eu>. 37. Décision SABAM c. Netlog (affaire C-360/10), 16 février 2012, par. 21, disponible en ligne : <www.curia.europa.eu>. 38. Respectivement paragraphe 40 de la décision Scarlet c. SABAM et paragraphe 38 de la décision SABAM c. Netlog. Régime français de la responsabilité des intermédiaires... 1145 3.2 Action en cessation de l’article L. 336-2 du CPI Une seconde action, introduite par la loi du 12 juin 2009, est plus spécifique aux atteintes au droit d’auteur. Connue sous le nom d’action en cessation, la mesure est décrite dans l’article L.336-2 du CPI. « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin », elle permet au tribunal de grande instance d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou pour faire cesser une telle atteinte » à « toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Cette mesure ne vise pas uniquement les intermédiaires techniques mais est susceptible de s’appliquer à eux. Cette disposition a été très critiquée lors de son adoption, en raison notamment de son large champ d’application. Le Conseil Constitutionnel l’a cependant validée tout en émettant une réserve d’interprétation quant à la proportionnalité des mesures qui doivent être prononcées par un juge39. Cette mesure a déjà fait l’objet d’une consécration jurisprudentielle de la part de la Cour de cassation dans une affaire opposant le Syndicat national de l’édition phonographique à Google pour son service Google Suggest40. Le service propose des suggestions aux internautes au fur et à mesure qu’ils saisissent des mots dans le champ de recherche41. En première instance et en appel, il était reproché à Google de suggérer des liens vers des sites de téléchargement de fichiers illégaux aux internautes qui tapaient les premières lettres des mots « torrent », « megaupload » et « rapidshare ». Les juridictions du fond considérèrent que la « suggestion de ces sites ne constitu[ait] pas en elle-même une atteinte au droit d’auteur dès lors que les fichiers figurant sur ces sites n’[étaient] pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements illégaux »42. Seule l’utilisation faite par les internautes de ces fichiers était susceptible d’être illégale. La Cour d’appel ajouta que Google ne pouvait être tenu responsable du « téléchargement de tels fichiers (qui) suppos[ait] un acte volontaire de la part de l’internaute ». Dans son arrêt du 12 juillet 2012, la Cour de cassation infirme la position des juges du fond. Dans un considérant assez laconique, elle juge que, d’une part, « [le] service [de Google Suggest] offrait les 39. Décision 2009-580 DC du 10 juin 2009, disponible en ligne : <www.conseil-constitutionnel.fr>. 40. Cour de cassation, 1re ch. civile, Arrêt no 832, 12 juillet 2012, no de pourvoi : 11-20358, disponible en ligne : <www.legifrance.com>. 41. <https ://support.google.com/websearch/answer/106230?hl=fr>. 42. Cour d’appel de Paris, 3 mai 2011, SNEP c. Google, RG no10/19845, disponible en ligne : <www.legalis.net>. 1146 Les Cahiers de propriété intellectuelle moyens de porter atteinte aux droits des auteurs et aux droits voisins » et que, d’autre part, « les sociétés Google [...] pouvaient ainsi contribuer à remédier [à l’atteinte aux droits d’auteur et droits voisins] en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux ». De manière surprenante, la Cour de cassation vise l’article L. 335-4 du CPI, qui sanctionne les atteintes au droit d’auteur, en complément de l’article L. 336-2 du CPI. Par ce double visa, la Cour de cassation cherche-t-elle à démontrer le rôle joué par Google dans l’atteinte au droit d’auteur ? Sa complicité par le biais de la fourniture de moyens ? Si tel est le cas, son raisonnement peut laisser perplexe. En effet, comme l’ont analysé certains commentateurs, en l’absence d’élément intentionnel, Google ne peut pas être complice au sens pénal43. Par ailleurs, la référence à l’article L. 335-4 pour l’application de l’article L. 336-2 semble superflue du fait que l’action en cessation est une action autonome de toute responsabilité44. Une question intéressante aurait pu cependant être débattue devant la Cour de cassation, celle d’un éventuel contournement de l’absence d’obligation générale de surveillance des intermédiaires techniques par le biais de l’action en cessation. Conclusion Le régime de la responsabilité des intermédiaires techniques a été mis en place par la loi de 2004. La loi HADOPI a ajouté certains devoirs d’information et de coopération, bien que limités en raison du rôle d’intermédiation de l’agence HADOPI entre les FAIs et les ayants droit. La disposition de la loi du 12 juin 2009 qui peut avoir un impact sur la responsabilité des intermédiaires techniques est l’action en cessation de l’article L. 336-2 du CPI. Le paysage législatif décrit dans cet article est susceptible de changements très prochainement. Le gouvernement français a déjà entamé des réflexions sur l’avenir de l’agence HADOPI et le système de réponse graduée. Une mission sur « l’adaptation des politiques culturelles au numérique » a abouti au rapport Lescure, remis le 13 mai 2013 au gouvernement. Ce rapport préconise de nombreux ajustements et en particulier l’aménagement de la réponse graduée. Concernant ce qu’il 43. Guillaume GOMIS, « Consécration jurisprudentielle de l’article L. 336-3 du Code de la propriété intellectuelle », (novembre 2012) Revue Lamy Droit de l’immatériel (R.L.D.I.), no 87. 44. Ibid. Régime français de la responsabilité des intermédiaires... 1147 appelle le volet pédagogique de la mesure (i.e. avant la saisine du juge), le rapport propose de modifier les envois des courriers électroniques d’avertissement. Afin d’assurer une plus grande effectivité, les FAIs ne seraient plus sollicités par l’autorité publique qui enverrait directement les recommandations aux abonnés. Le rapport encourage aussi le développement de coopérations volontaires entre les hébergeurs et les ayants droit, permettant aux hébergeurs d’alerter les ayants droit de la présence d’un contenu litigieux sans pour autant être soumis à une obligation de retrait. Indépendamment de l’efficacité des mesures proposées, il faut noter que la majorité des dispositions liées à la responsabilité des intermédiaires techniques est issue de la transposition en droit français de la directive sur le commerce électronique. Leur changement nécessiterait la révision de la directive européenne, sans quoi les mesures proposées seront laissées au bon vouloir des différents acteurs. Compte rendu Le droit dans les mondes virtuels* Laurence Bich-Carrière** « C’est à cette réflexion juridique pluridisciplinaire, et largement prospective, que le Centre droit et nouvelles technologies convie des philosophes, des économistes et des juristes ». Ainsi se conclut la présentation de l’ouvrage qui rassemble les actes des colloques « Droit et philosophie dans les mondes virtuels » (26 mai 2010) et « Droit et économie dans les mondes virtuels » (27 janvier 2011), organisés par la Faculté de droit de l’Université Jean-Moulin – Lyon III en collaboration avec d’autres centres et facultés1. Droit des biens (p. 27), droit pénal (p. 39), droit commercial (p. 137), droit du travail (p. 157) et même théorie économique (p. 105) et psychanalyse et neuroscience (p. 61) : chacun des intervenants à travers le prisme de sa discipline cherche à explorer l’univers virtuel2 Second Life3. © Laurence Bich-Carrière, 2013. * Gérald DELABRE (dir.), Le droit dans les mondes virtuels, collection du CRIDS (Paris, Larcier, 2013), 244 p., ISBN978-2-8044-5362-6. ** Avocate, Heenan Blaikie, SENCLR, SRL. 1. D’ailleurs, les premières pages, soient la préface de Jean-Paul Moiraud (p. 5) et la contribution de Clément Durez (p. 15), résolument et savamment ludopédagogiques, annoncent un autre colloque dans la lignée, « Monde virtuel, droit et pédagogie universitaire » (23 et 24 mai 2013). 2. Ou « métavers », néologisme né de la contraction de « méta » et « univers » et fréquemment employée pour désigner un espace virtuel partagé persistant et hyperréseauté, parallèle à la réalité. On doit le terme à Neal Stephenson, auteur de Snow Crash (New York, Bantam, 1992). 3. Créé en 2003 par la société Linden Lab, Second Life est un jeu en ligne massivement multijoueur dans lequel des avatars (les résidents) explorent un monde virtuel (la grille) et interagissent, socialement et commercialement par exemple. En ce qui concerne ce dernier cas de figure, biens et services peuvent être achetés au moyen de linden dollars, lesquels sont convertibles en argent réel. 1149 1150 Les Cahiers de propriété intellectuelle L’exercice est essentiellement/largement ludique, non que le sujet ne soit pas abordé avec sérieux – tout au contraire il est très tôt question dans l’ouvrage de « non-lieu littéraire inscrit paradoxalement dans le réel pédagogique de la société numérisée » (p. 5) –, mais plutôt que son traitement relève souvent d’un exercice de style, assez français en cela, qui consiste à pousser à leurs limites les qualifications juridiques et à apprécier les catégories habituelles du droit à l’aune d’un objet extravagant. La contribution de William Dross sur le droit des biens (p. 27) est exemplaire à cet égard. Trois grands thèmes se dégagent des interventions. Le premier, qui intéresse plutôt le droit public, a pour objet la façon d’appréhender l’opérateur d’un métavers d’envergure et les intervenants s’interrogent beaucoup – parfois avec lourdeur – sur une éventuelle assimilation de l’opérateur à l’État. Constitutionnalistes (p. 73, 83), pénalistes (p. 39), internationalistes (p. 93, 175) et économistes (p. 105, 113) s’entendent pour voir en Second Life une société archaïque sans garantie formelle où domine la force du nombre (p. 43, 88). Assurément, parler d’une volonté d’aménager une théorie générale de l’État serait outrancier (p. 88). De même, quelle que soit la primauté qu’elles aient dans le jeu, les conditions d’utilisation demeurent assujetties au droit commun des contrats du « vrai monde »4 (p. 39, 85, 100). Tout aussi assurément pourtant Linden Lab possède des pouvoirs de puissance publique : l’opérateur bat monnaie (p. 75, 86, 151), impose les résidents sur les biens créés (p. 122, 126), peut geler leurs avoirs ou les exproprier – de leurs terres virtuelles ou du jeu en suspendant leur compte – (p. 38, 81, 87), unilatéralement, certes, mais souvent pour prévenir des comportements qui pourraient nuire à la bonne marche et à l’économie générale du monde fictif (p. 43). Cela, décidément, chatouille. Le comportement des résidents fournit l’assise au deuxième thème, soit la nature de l’avatar. Peut-il être considéré comme une personne morale ? une affectation (p. 155) ? un prolongement de la personnalité de l’utilisateur ? Dans ces cas, peut-on porter atteinte à son honneur et à sa réputation (p. 49) ? Mais alors qui doit-on poursuivre en cas de diffamation, contre qui brandir la liberté d’expression (p. 58, 88) ? Les questions ne sont pas moins variées si l’avatar doit être considéré comme un simple bien : quels sont les dommages qu’il peut causer ? qu’en serait-il de l’impact d’une grève 4. Dany (dess.) et Greg (scén.), Le grand voyage en Absurdie, collection « Les aventures d’Olivier Rameau et de Colombe Tiredaile », t. 5 (Bruxelles, Lombard, 1993). Le droit dans les mondes virtuels 1151 virtuelle (p. 169) ? les traitements injurieux relèvent-ils d’une attaque à la marque de commerce ou d’une atteinte à l’achalandage (p. 203) ? De là on glisse au troisième thème, celui de la propriété intellectuelle. Incontournable ? Sans doute. Aussi en est-il question dans presque toutes les interventions. Pourtant, le traitement qui en est fait laissera l’avocat de propriété intellectuelle légèrement sur sa faim : le droit des marques ou celui de la concurrence est effleuré plutôt que confronté, le droit des brevets est passé sous silence et s’il est souvent mentionné que Second Life laisse à ses utilisateurs la titularité des droits sur leurs conceptions, rien n’est dit de ce qu’une telle attitude de la part d’un opérateur de jeux de rôle relève de la révolution paradigmatique, ni d’ailleurs des litiges auxquels cette politique a donné lieu5. Au-delà encore de ces trois thèmes, en trame de fond de l’ensemble des interventions, une question ressort, celle de la perméabilité des métavers. Autrement dit, quand le réel influence-t-il le virtuel (normativité, sanctions) et quand le virtuel se prolonge-t-il dans le réel (concurrence, entretiens d’embauche, publicité) ? Si l’opérateur est un « exomaître » intouchable du point du vue du résident, c’est un cocontractant bien assignable pour son double, le joueur et pour les tribunaux : la justiciabilité des droits acquis dans un univers virtuel ne saurait survenir ailleurs que dans le réel. Comme se plaît à nous le rappeler le rapport de synthèse, « [l]a fiction [juridique] n’est pas la réalité[;] la virtualité n’est pas la fiction » (p. 216, 219). Au final, c’est fondamentalement un jeu d’intellectuels, voire d’intelligence auquel ont cherché à se plier les conférenciers. L’exercice est presque exclusivement théorique, voire nouménal. Les références au droit positif sont presque absentes et relèvent plutôt de l’anecdote que de l’étude de la loi. On peut d’ailleurs s’étonner du peu de référence à la jurisprudence, notamment mais non exclusivement 5. V. p.ex., Eros, LLC v. Doe, C.V. 07-01158, (Fl. M.D.C.), (3 juillet 2007), Eros LLC v. Simon, C.V. 07-4447 (E.D.N.Y.) (24 octobre 2007) ; Eros LLC v. Linden Labs Inc., C.V. 09-4269 (N.D. Calif.) (15 septembre 2009), où Eros a poursuivi des avatars, puis leur utilisateurs, puis Linden Labs pour complicité, pour la vente à rabais de copies des jouets érotiques qu’elle avait conçus ; Amaretto Ranch Breedables, LLC v. Ozimals, Inc., C.V. 10-05696 (N.D. Calif.) (19 juillet 2010), où une compagnie vendant des lapins et la nourriture nécessaire à leur survie accusait une autre vendant chevaux et nourriture d’avoir copié son modèle d’affaires. 1152 Les Cahiers de propriété intellectuelle américaine, développée autour de Second Life6. Quoi qu’il en soit, si l’objectif était de susciter des questions par nuées, simplement, il est réussi. Le joueur passionné qui s’éveille au droit s’en émerveillera. Le praticien chevronné, lui, devra plutôt trouver sa joie dans les titres d’une bibliographie exhaustive (p. 225-238) qui lui permettront d’approfondir la réflexion amorcée à la lecture de l’ouvrage. 6. V. p. ex., Bragg v. Linden Research, Inc., C.V. 06-4925 (3 octobre 2006), 487 F. Supp. 2d 593 (E.D.Penn. 2007) (contestation de la décision de Linden Lab de fermer le compte de Bragg après que celui-ci eût acquis des terrains en deçà de leur valeur marchande au motif qu’il s’agit d’une expropriation) ; T.G.I. (Paris), Fédération des familles de France c. Linden Research Inc. (2 juillet 2007), no R.G. 07-54956, le juge Emmanuel Binoche (recours entrepris contre Linden Labs à titre d’opérateur tolérant la présence de pornographie juvénile, de jeux de hasard non autorisé et de publicité pour le tabac(gisme) et l’alcool(isme)) ; Evans v. Linden Research Inc., C.V. 10-1679 (E.D. Penn.) (15 avril 2010) (recours collectif contre Linden Labs pour représentations frauduleuse quant à l’existence de droits de propriété réels – immobiliers – dans les terres virtuelles de Second Life). Compte rendu Principes généraux de la Loi sur le droit d’auteur – édition 2013* Laurent Carrière** La dernière édition des bien connus Principes généraux de la Loi sur le droit d’auteur de Marc Baribeau remontait à 2007. Les importants changements législatifs de 2012 de même que le corpus jurisprudentiel de la Cour suprême rendaient plus qu’opportune une nouvelle édition et ce, d’autant plus que l’auteur avait pris sa retraite en 2009 ! Cette nouvelle édition remaniée, amplifiée et mise à jour par Sylvain Gadoury et Patrick Gingras1, était donc la bienvenue. Cette réédition présente une vue d’ensemble de la Loi, en tenant compte des importantes modifications apportées par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur2 entrée en vigueur le 7 novembre 2012 (pour partie importante) et de la jurisprudence récente3, notamment celles de la Cour suprême du Canada4. © Laurent Carrière, 2013. * Marc BARIBEAU (édition originale), Sylvain GADOURY et Patrick GINGRAS (pour la nouvelle édition), Principes généraux de la Loi sur le droit d’auteur – édition 2013 (Québec, Les Publications du Québec, 2013) ; 157 pages et p. V-XII ; ISBN 978-2-551-25216-9. ** Avocat et agent de marques de commerce, associé principal de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. 1. Tous deux avocats au ministère de la Justice du Québec. 2. L.C. 2012, ch. 20. 3. Y compris des décisions rendues en 2013, ce qui, pour une publication dont l’impression fut achevée en mai 2013, relève de l’exploit et a dû donner des sueurs froides à l’imprimeur ! 4. Et pas uniquement celle de la pentalogie du 12 juillet 2012 ! 1153 1154 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cet ouvrage comporte neuf chapitres : Les œuvres et les objets du droit d’auteur / Le droit d’auteur / Le titulaire du droit d’auteur / La durée du droit d’auteur / Les exceptions au droit d’auteur / La violation du droit d’auteur et les recours / La cession ou la licence de droit d’auteur / Les sociétés de gestion / L’adhésion du Canada à certaines conventions internationales. Si les deux derniers chapitres sont peut-être un peu courts, les développements pour les sept premiers sont complets et bien définis. Les auteurs discutent avec concision5 chacun des points d’intérêt touchant tantôt les droits d’auteur, tantôt les droits voisins avec force exemples, tout en intégrant les nouvelles dispositions législatives. Le livre est facile de consultation, ne serait-ce que par sa numérotation hiérarchique à quatre niveaux qui permet une belle vue d’ensemble sur chacun des chapitres. La langue utilisée est claire6 et contemporaine. On remarquera avec plaisir une présentation visuelle très soignée (police de caractère, titres et sous-titres, notamment) et, surtout, une table des matières de consultation facile de même qu’une table de législation tout aussi utile. On notera ainsi, entre autres, l’incorporation d’une table des matières de cinq pages, d’une table de législation de 12 pages7, d’une table de jurisprudence de 13 pages8 et d’un index analytique de 23 pages9 : pour un ouvrage de 157 pages, cela témoigne d’un souci des auteurs de faciliter la consultation au lecteur et d’en faire une première « arme » de référence10. 5. Ce qui a parfois pour effet de laisser le lecteur sur sa faim ou de laisser passer quelques coquilles ou imprécisions mais, baste, quel résultat ! 6. On appréciera ici que les auteurs ne se soient pas perdus dans les subtilités de l’article, du paragraphe et de l’alinéa. 7. Et cela, c’est « fichtrement » pratique pour s’y retrouver car la Loi sur le droit d’auteur n’est pas de conception conviviale (user-friendly). 8. Par contre, on aurait peut-être apprécié davantage d’uniformité dans le mode de citation (incluant une indication de l’année des décisions lorsque citées dans les C.P.R. et une indication de la juridiction lorsque non décelable par la référence) et le suivi des appels sous une seule entrée. C’est sans doute véniel, mais mon côté pointilleux de rédacteur en chef d’une revue juridique ressort ici. 9. Les tables de la jurisprudence et de la législation ainsi que l’index analytique ont été réalisés par Éditions Yvon Blais. 10. La genèse de l’ouvrage, telle qu’expliquée par Marc Baribeau dans la préface, contextualise bien sa raison d’être. Principes généraux de la LDA – édition 2013 1155 N’en déplaise à ses détracteurs élitistes11, ce livre mériterait d’être présent dans toutes les bibliothèques publiques de la province12. Ce livre, qui n’a pas la prétention d’une monographie exhaustive13, est bien ce qu’il dit être, savoir un ouvrage exposant les principes généraux de la Loi sur le droit d’auteur, sans se présenter – ou s’égarer – dans des subtilités de surspécialité dont ne saurait se préoccuper le public cible. Qu’on me lise bien14. Ce n’est pas un livre de vulgarisation simpliste : bien au contraire, les 495 notes de bas de page15 en témoignent. Vraiment, il faut se féliciter qu’un tel ouvrage ait été réédité car pour beaucoup il sera une porte d’entrée, pratique et simple d’utilisation, au droit d’auteur. 11. S’il y en avait. 12. Ou du Canada francophone. 13. On aurait d’ailleurs apprécié une bibliographie plus complète quant aux monographies spécialisées, mais ici certains diront que je prêche pour ma paroisse. 14. Si tant est qu’on n’avait pas encore décelé qu’il s’agit d’une revue très positive de ces Principes. 15. Sur 102 pages de texte, ce n’est quand même pas rien. Compte rendu La Protection du Secret Commercial dans les nuages publics de l’infonuagique (cloud computing)* Vivianne de Kinder** Dans son livre La Protection du Secret Commercial dans les nuages publics de l’infonuagique (cloud computing), Paula Sauveur propose un examen au sujet de la portée des obligations et droits respectifs du fournisseur de nuage public et de l’abonné aux services de celui-ci, au regard du Code civil du Québec1 et de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information2. Ce livre comprend deux parties. La première partie fait état des concepts relatifs à l’infonuagique, du déploiement de celle-ci, de la nature juridique du secret commercial et de la qualification du contrat relatif à la fourniture de nuage public. La deuxième partie est consacrée aux accords relatifs aux services de nuages publics, avec des références aux contrats de Salesforce, Google Apps. Premier, GoGrid et Amazon Web Services. Le livre est intéressant et utile en ce qu’il expose clairement le fonctionnement du service de nuages publics et les questions ou aspects contractuels que soulève l’exécution de ce service pour la pro© Vivianne de Kinder, 2013. * Paula SAUVEUR, La Protection du Secret Commercial dans les nuages publics de l’infonuagique (cloud computing) (Cowansville, Blais, 2013) ; 150 pages ; ISBN/ ISSN : 978-2-89635-902-8. ** Avocate. 1. L.Q. 1991, c. 64. 2. RLRQ, c. C-1.1. 1157 1158 Les Cahiers de propriété intellectuelle tection du secret commercial. À ce sujet, l’on pourrait citer, entre autres, les aspects concernant les garanties et mesures de sécurité du fournisseur, l’intervention d’intermédiaires, l’utilisation des produits et services de ceux-ci dans l’exécution du service, les garanties au sujet de ces services et produits, l’emplacement du secret commercial et le transfert de celui-ci en une autre zone géographique. En conclusion, le livre s’avère un outil pratique pour l’analyse des principaux écueils à éviter dans les contrats d’adhésion en matière de fourniture de nuages publics. Compte rendu Actes illicites sur Internet : qui et comment poursuivre* Florence Lucas** Les technologies de l’information sont au cœur des activités économiques et juridiques de notre société. Au cours des 20 dernières années, à tout le moins, elles ont mondialement imposé de grandes mutations dans les sphères législative1 et judiciaire, notamment en matière de propriété intellectuelle : La possibilité de diffuser des œuvres artistiques et intellectuelles grâce à l’Internet est l’une des grandes innovations de l’ère de l’information. Le recours à l’Internet doit être facilité, et non découragé, mais pas de manière injuste, au détriment des créateurs. L’Internet représente un véritable défi pour les lois nationales sur le droit d’auteur qui, de par leur nature même, s’appliquent habituellement dans des territoires donnés.2 © Florence Lucas, 2013. * Patrick GINGRAS et Nicolas W. VERMEYS, Actes illicites sur Internet : Qui et comment poursuivre (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011), 144 p., ISBN 978-289635-650-8. ** Avocate chez Gowling Lafleur Henderson. 1. Notamment au Canada et au Québec : Le nouveau Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 qui traite tout particulièrement de la preuve des inscriptions informatisées (art. 2837 et suivants) ; Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 ; Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ, c. C-1.1 (L.Q. 2001, c. 32, art. 22, 25, 27, 36 et 37) ; Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, c. A-2.1 (L.Q. 2006, c. 22, art. 34) ; Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1 (L.Q. 2006, c. 22, art. 113). 2. Le juge Binnie de la Cour suprême du Canada dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45. [Les italiques sont nôtres.] 1159 1160 Les Cahiers de propriété intellectuelle Encore tout récemment, des changements majeurs ont été apportés à la Loi sur le droit d’auteur3, dans le cadre de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur4 qui a reçu la sanction royale le 29 juin 2012 et est entrée en vigueur le 7 novembre de la même année. Le Gouvernement a présenté et justifié la sanction de cette loi ainsi : Compte tenu du rôle crucial d’un régime moderne de droit d’auteur dans l’économie numérique canadienne, la Loi permet d’atteindre un équilibre entre les besoins des créateurs et ceux des utilisateurs. Elle assure également la modernité et la souplesse de la législation canadienne en matière de droit d’auteur, ainsi que sa conformité aux normes internationales actuelles.5 [...] La modernisation de la Loi sur le droit d’auteur s’inscrit dans les efforts du gouvernement pour modifier les lois canadiennes à l’ère de l’économie numérique. Cette nouvelle version de la loi permettra aux Canadiens et Canadiennes d’aborder plus facilement les difficultés et les possibilités de l’ère numérique. [...] Les modifications proposées rehausseront la capacité des titulaires de droits d’auteur à bénéficier de leurs œuvres. De plus, les fournisseurs de services Internet, les professeurs, les étudiants et les entrepreneurs auront les outils pour utiliser la nouvelle technologie de manière innovatrice.6 [Les italiques sont nôtres.] De toute évidence, toute question de droit liée aux nouvelles technologies suscite un intérêt certain. Dans l’ouvrage sous étude, soutenu d’une préface de l’honorable André Wery, juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec, les auteurs Patrick 3. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42. 4. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, ch. 20. 5. Décret fixant plusieurs dates d’entrée en vigueur de diverses dispositions de la loi, 7 novembre 2012 : <http://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2012/2012-11-07/html/sitr85-fra.html>. 6. Site du Gouvernement du Canada – « Droit d’auteur équilibré » : <http://www.ic. gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01153.html#amend>. Actes illicites sur Internet 1161 Gingras et Nicolas W. Vermeys nous proposent un guide7 pratique à l’égard des actes illicites sur Internet, qui se veut un outil de référence utile et vulgarisé, de réponses à nos questions qui surgissent constamment en matière de « cyberdiffamation » et atteintes à la réputation, de droits de propriété intellectuelle, de vol d’identité, de droit à l’image et de la sécurité de l’information confidentielle et des renseignements personnels en ligne : qui et comment poursuivre ? Quant à nous, cet ouvrage présente un intérêt certain à deux niveaux. D’une part, il propose d’emblée un glossaire exhaustif et spécifique des termes utilisés dans un cadre techno-juridique, lesquels sont contextualisés au fil des différentes questions analysées tout au long de l’ouvrage. D’autre part, il s’agit d’une référence, bien vulgarisée à l’aide d’exemples concrets, à l’intention de l’internaute et de son conseiller juridique, pour leur permettre de déterminer rapidement les droits (ou l’absence de droit) eu égard aux activités indésirables commises en ligne8, d’identifier les intervenants qui pourront ou devront répondre des actes illicites sur le Web et, enfin, de circonscrire les moyens techniques et juridiques qui sont à leur disposition pour obtenir la preuve de ces actes. Sans prétendre être un traité en la matière9, cet ouvrage est davantage présenté comme un guide10 ; le lecteur intéressé ou le conseiller juridique mandaté seront valablement initiés aux termes techno-juridiques et aux enjeux afférents à la réalité numérique, pour être en mesure d’orienter légitimement leurs recherches et d’approfondir les différentes pistes de solutions liées aux actes illicites en ligne. Plus particulièrement, nous avons apprécié l’analyse intéressante proposée par les auteurs de deux catégories d’informations, soit les informations de contenu (celles qui permettent de démontrer la commission d’un acte illicite) et les informations techniques (celles 7. Clairement présenté ainsi et expliqué dans la Préface de l’honorable André Wery, juge en chef adjoint, Cour supérieure du Québec. 8. Les auteurs proposent un exercice de sémantique : « En effet, ce ne sont pas tous les gestes indésirables ou incommodants commis en ligne qui sont susceptibles d’entraîner la responsabilité de leurs auteurs. Pour qu’un geste soit générateur de responsabilité, il doit être jugé illicite, c’est-à-dire être contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Notons qu’« illicite » ne veut pas dire « illégal » ; si les activités illégales sont celles « qui sont contraires à la loi », les activités illicites incluent toute activité qui, sans nécessairement être illégale, peut « constituer une faute ». Ainsi, une activité illégale sera nécessairement illicite, mais un acte illicite ne sera pas nécessairement illégal. » : P. GINGRAS et N.W. VERMEYS, précité, p. 5. 9. Définition Petit Robert : « Ouvrage didactique, où est exposé d’une manière systématique un sujet ou un ensemble de sujets concernant une matière. » 10. P. GINGRAS et N.W. VERMEYS, précité, p. 1 à 3. 1162 Les Cahiers de propriété intellectuelle qui visent à identifier l’auteur (anonyme) et les intervenants impliqués dans la commission de l’acte lui-même) et la façon de faire pour obtenir ces informations sur le Web. Aussi, les auteurs suggèrent in fine différentes façons de procéder et moyens juridiques pour faciliter la sauvegarde de la preuve et mettre fin à la commission de l’acte reproché (notamment la demande de retrait, la lettre de préservation de la preuve, la mise en demeure, les ordonnances judiciaires permises.) Une réserve toutefois. Publié au troisième trimestre de 2011, soit avant la sanction et l’entrée en vigueur de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, cet ouvrage est silencieux sur les nouvelles dispositions qui ont été mises en place pour adapter la législation canadienne à l’ère numérique actuelle en 2012, et notamment pour : a) mettre à jour les droits et les mesures de protection dont bénéficient les titulaires du droit d’auteur, en conformité avec les normes internationales, afin de mieux tenir compte des défis et des possibilités créés par Internet ; b) clarifier la responsabilité des fournisseurs de services Internet et ériger en violation du droit d’auteur le fait de faciliter la commission de telles violations en ligne ; c) permettre aux entreprises, aux enseignants et aux bibliothèques de faire un plus grand usage de matériel protégé par le droit d’auteur sous forme numérique11. Peut-on espérer que les auteurs, qui ont courageusement pris le risque d’écrire une monographie dans un domaine aussi mouvant, auront l’opportunité d’en faire l’analyse, ainsi que des développements jurisprudentiels afférents, dans le cadre d’une éventuelle mise à jour de cet ouvrage. Pour le moment, nous comprenons que le contenu du présent numéro des Cahiers de propriété intellectuelle permettra à toute personne intéressée d’y remédier et de s’assurer de faire la mise à jour de ses connaissances à cet égard. 11. Site du Gouvernement du Canada – « Site Web de la législation » : <http://lawslois.justice.gc.ca/fra/loisAnnuelles/2012_20/page-1.html>. Compte rendu JurisClasseur Québec Propriété intellectuelle* Ghislain Roussel** La première édition (2012) du JurisClasseur Québec Propriété intellectuelle est impressionnante à plus d’un chapitre : l’ampleur et l’étendue de l’ouvrage ; le nombre de fascicules, 30 (mais sont à venir les deux index, le Fascicule 11 en matière de dessins industriels, le Fascicule 1 en droit d’auteur « Principes et justifications de la propriété intellectuelle » et les Fascicules 13 « Disponibilité des signes » et 19 « Marques de certification et appellations d’origine ») ; le nombre de collaborateurs, plus d’une trentaine, plus émérites et prestigieux les uns que les autres, une « photographie d’une génération de juristes canadiens, d’une communauté d’universitaires et de praticiens dont on dira qu’ils ont marqué, à leur manière, leur profession et leur domaine... » pour reprendre les termes du conseiller éditorial de l’ouvrage, le professeur Pierre-Emmanuel Moyse de la faculté de droit de l’Université McGill, qui a abattu une tâche colossale avec son équipe du Centre des politiques en propriété intellectuelle de l’Université McGill. L’ouvrage est également impressionnant, indépendamment de l’actualisation de textes qui auraient pu avoir déjà paru, par l’étendue, la richesse et l’actualité des thèmes abordés. La Partie I traite de la spécificité et de la spécialité des droits intellectuels, dont © Ghislain Roussel, 2013. * Moyse, conseiller éditorial (Montréal, LexisNexis Canada, 2012), 30 fascicules, ISBN : 978-0-433-46897-4. Le compte rendu porte sur la première édition de l’ouvrage et la mise à jour des contributions est, pour l’ensemble, l’été et l’automne 2012. ** Avocat et président des Cahiers de propriété intellectuelle inc. 1163 1164 Les Cahiers de propriété intellectuelle la titularité, en trois fascicules ; la Partie II se penche sur la propriété littéraire et artistique, dont les droits patrimoniaux et moraux, les droits voisins, les exceptions et la gestion collective, en sept fascicules, et les contributeurs tiennent généralement compte des récents changements apportés à la Loi sur le droit d’auteur, non encore en vigueur au moment de la publication de l’ouvrage, par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur au Canada ; la Partie IV aborde abondamment et méticuleusement le volet des marques de commerce en neuf fascicules ; enfin, la Patrie V consacre 10 fascicules aux brevets, dont la brevetabilité, la nouveauté, le caractère inventif, les principes d’utilité et de prédiction valable, la contrefaçon et le brevet de médicament (Fasc. 30). Chaque fascicule de l’ensemble des parties de l’ouvrage est très facile à consulter par la numération de chaque paragraphe ou sous-thème, un résumé et un index analytique précédant le thème abordé. Presque tous les fascicules sont augmentés d’une bibliographie. Tous les aspects analysés par un collaborateur sont richement étayés par des références législatives et jurisprudentielles et par la doctrine existante et ils sont parfois complétés par une brève comparaison en droit comparé. Les chapitres de l’ouvrage sur les brevets et les marques de commerce sont de plus bonifiés par des alertes, mises en garde, conseils pratiques et exemples fort utiles lors de la prise en considération ou du traitement d’une question particulière ou de la planification d’une démarche administrative spécifique à effectuer en matière de dépôt, de contestation ou d’opposition de brevets ou de marques, notamment. Ce sont là des outils fort précieux et sachons gré aux collaborateurs visés d’avoir partagé leur expertise à ce chapitre. Les textes peuvent varier d’un auteur à l’autre et cela demeure quelque peu le propre de ce genre d’ouvrage, de même que les recoupements ou chevauchements de thèmes ou de sous-thèmes, tout particulièrement en matière de contrefaçon de droits d’auteur, des critères d’enregistrabilité d’une marque ou des critères de brevetabilité d’une invention, dont le brevet pharmaceutique. Une révision ou les mises à jour prochaines de JurisClasseur Québec Propriété intellectuelle sauront certainement corriger ces quelques lacunes éditoriales tout en enrichissant et en complétant cet ouvrage. La longueur des textes peut aussi varier d’un collaborateur à l’autre, mais cela n’exclut pas la profondeur et la clarté des propos d’un auteur sur une question particulière et cela par le chemin de la concision dans la présentation des éléments essentiels. D’autres ont Le droit dans les mondes virtuels 1165 davantage opté pour l’analyse détaillée en tenant compte de la complexité de la question étudiée et, parfois, de la nouveauté de ladite question ou de dispositions législatives ou réglementaires récentes, tels les nouveaux droits et les exceptions découlant de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur au Canada. Quelques très rares contributions, que le lecteur intéressé découvrira par lui-même, sont sommaires, sinon faibles, et ne nous apprennent rien ou presque. Elles mériteraient d’être étoffées, vu la clientèle non grand public ciblé habituellement par un tel ouvrage scientifique et spécialisé. Plus spécifiquement, en nous attardant à certains volets traités par JurisClasseur Québec Propriété intellectuelle, nous voudrions souligner, sans enlever quelque mérite que ce soit à la qualité des autres contributions, les fascicules suivants : Partie II Propriété littéraire et artistique • Fasc. 6 sur les droits voisins par Stéphane Gilker • Fasc. 8 sur les exceptions et les droits d’utilisation par David Lametti • Fasc. 9 sur les recours en contrefaçon par Jean-Philippe Mikus Partie III Marques de commerce • Fasc. 12 sur les marques de commerce et la concurrence déloyale par Mistrale Goudreau • Fasc. 16 sur l’exclusivité de l’emploi par Alexandra Steele et Barry Gamache • Fasc. 17 sur la confusion par Barry Gamache Partie IV Brevets • Fasc. 21 par Daniel Gervais et Elizabeth F. Judge • Fasc. 24 sur la nouveauté par Louis-Pierre Gravelle et A. Sasha Mandy • Fasc. 26 sur les principes d’utilité et de prédiction valable par Joanie Lapalme 1166 Les Cahiers de propriété intellectuelle • Fasc. 27 sur la contrefaçon et les moyens de défense par Gaëlle Beauregard • Fasc. 29 sur la post-délivrance de brevets par Pierre Tâm Nguyen et Sofia Lopez Bancalari • Fasc. 30 sur le brevet de médicaments par Mélanie Bourassa Forcier, malgré la reprise de l’analyse des critères de brevetabilité déjà traités par d’autres collaborateurs. Cette sélection, si l’on me permet, n’engage que le soussigné et un autre lecteur pourrait avoir sa propre liste. Exhaustivité, synthèse, contemporanéité du thème, clarté et côté pratique sont les critères qui ont guidé cette sélection personnelle. Sachons gré au Centre des politiques en propriété intellectuelle de l’Université McGill, au conseiller éditorial Pierre-Emmanuel Moyse et à l’éditeur de JurisClasseur Québec Propriété intellectuelle d’avoir pu permettre la parution rapide en français de cet ouvrage « encyclopédique » très riche en enseignements, fort pratique et utile et facile à consulter qui pouvait manquer aux divers intervenants dans le domaine de la propriété intellectuelle. Vivement la seconde édition ou les mises à jour et la partie III manquante sur les dessins industriels.