A la une : Proches de détenus, captifs à l`extérieur

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A la une : Proches de détenus, captifs à l`extérieur
PROCHES DE DÉTENUS
Captifs à l’extérieur
Que payent-ils pour l’incarcération d’un proche ? En argent, en
temps, en stress… De janvier à août 2015, des membres de l’OIP
sont allés poser ces questions aux proches venant visiter un détenu
au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, situé à 50 km de Paris.
Près de cent-cinquante visiteurs ont été rencontrés. Témoignages.
ÉORGANISATION AU RYTHME DE LA JOURNÉE CARCÉRALE, SITUA-
R
tion et relations sociales affectées par l’incarcération du
membre de la famille, développement de troubles psychiques ou somatiques… Les visiteurs de la prison de MeauxChauconin décrivent « leur » détention. Soumis, « comme le
détenu, aux règles des institutions judiciaire et carcérale », ils
« relatent la manière dont cette soumission réorganise leur vie
jusqu’au point d’avoir le sentiment d’être également enfermés ». 1
La vie au rythme des parloirs et coups de fil…
Le temps contraint des heures de visites et des possibilités d’appels téléphoniques entraînent pour les proches d’un détenu
une réorganisation de leur quotidien. Certains sacrifient leur vie
sociale. Pour la petite amie d’un détenu, « le temps libre, c’est
pour les parloirs », au détriment de la famille et des amis.
1 G. Bouchard, D. Lapeyronnie, Prisons et transitions familiales, étude réalisée en 2005 pour l’UFRAMA
Concilier activité professionnelle et horaires des visites n’est
pas aisé. La mère d’un jeune détenu explique ne pas parvenir à retrouver d’emploi, « personne ne [voulant la] prendre
pour un travail alors [qu’elle a] besoin d’une ou deux matinées par semaine pour aller voir [son] fils ». Les condamnés
du centre de détention ne peuvent être visités que le samedi ou le dimanche, pour un parloir d’une heure. A la maison
d’arrêt, trois matinées et trois après-midi, du lundi au samedi,
sont affectées en alternance aux visites des prévenus et des
condamnés, d’une durée d’une demi-heure. « Il m’est très difficile de me libérer sur mes heures de travail. Il faudrait un
accès plus large aux visites », regrette la sœur d’un prisonnier. Une mère a réussi pour sa part à trouver « un job en fin
d’après-midi », ce qui lui permet d’« aller au parloir le matin ».
Quant au téléphone, les personnes détenues sont autorisées à
l’utiliser « uniquement pendant le temps de la promenade et
sous réserve que l’activité du surveillant le permette : de 7 h 45
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retard pour ne pas être privé de visite. Un embouteillage, un
retard de train ou de bus, sont source d’un stress qui ne les
quitte qu’une fois arrivés devant le centre pénitentiaire. Il
existe une tolérance pour un léger retard, qui n’excède pas
quelques minutes, tant qu’à l’intérieur les visiteurs n’ont pas
achevé le contrôle au portique.
L’arrivée des proches au parloir de Meaux-Chauconin.
à 11 h 15 et de 13 h 30 à 17 h 15. Le reste du temps, les cabines
ne fonctionnent pas » (règlement intérieur). Des horaires en
décalage avec la vie à l’extérieur, lorsque les proches travaillent
et les enfants sont à l’école. « Il faudrait permettre aux familles
de joindre directement le détenu, au lieu de devoir attendre
un appel qui n’est pas forcément reçu, vu les horaires », plaide
une visiteuse. Une autre raconte que son mari l’a appelée de la
cabine « pour un problème urgent » un jour où elle était sortie. « Maintenant, je m’arrange pour ne pas sortir aux heures
où il peut téléphoner, sinon je culpabilise. »
Les quelques postes téléphoniques, sans isolation sonore,
n’offrent en outre aucune intimité. « Un fixe dans la cellule, qui
resterait sécuritaire pour l’AP [administration pénitentiaire],
ce serait bien plus confortable pour les détenus. Pas de bruit
extérieur, possibilité d’appels quand on le souhaite, notamment à la fermeture des portes des cellules, qui est un moment
très angoissant », suggère l’ami d’un détenu. Si l’usage illégal du portable est relativement répandu en détention, les
visiteurs qui osent en parler le font avec prudence. « L’accès
au portable permettrait aux familles de joindre la personne
incarcérée quand il y a urgence, et aussi d’avoir des nouvelles
plus régulièrement », plaide la sœur d’un détenu. Le difficile
accès au téléphone pénalise aussi les prisonniers dans la préparation de leur sortie, et contraint leurs proches à prendre
en charge son organisation. « Je dois faire plein de démarches
pour lui, qu’il ne peut pas faire de l’intérieur. Rechercher des
contacts pour qu’il puisse avoir un travail à la sortie, récupérer des documents », confie la sœur d’un détenu. « Il ne peut
appeler que des numéros autorisés à l’avance, il n’a pas accès
à internet. En ce moment, je m’occupe des formalités pour
préparer une permission de sortir », explique aussi une amie.
« C’est moi qui vais voir son employeur, qui gère les dates. Son
CPIP [conseiller d’insertion et de probation] doit avoir plus de
cent dossiers à gérer. Si je ne m’en occupais pas, il ne se passerait pas grand-chose. »
Le centre pénitentiaire est situé à la périphérie de Meaux. Pour y
accéder par les transports, il faut prendre le train jusqu’à la gare
de Meaux puis un bus en commun qui dessert l’établissement.
Tous les usagers rencontrés (visiteurs, personnels, bénévoles)
déplorent l’irrégularité des horaires de passage du bus – au
mieux toutes les demi-heures – ainsi que des retards fréquents.
« Impossible de compter sur les bus qui ne passent pas toujours
à l’heure prévue », dit la mère de deux jeunes enfants, arrivée à
pieds de la gare par le petit chemin de terre souvent boueux,
avec une poussette à deux places et un sac de linge propre. « Ils
pourraient mettre du béton et de la lumière sur le chemin. L’hiver, il faut marcher dans la nuit », déplore une visiteuse. Pour
ce trajet à pieds, il faut compter entre vingt et trente minutes.
Arrivées quelques minutes après l’entrée des visiteurs car le bus
avait pris du retard, une femme d’une soixantaine d’années
et sa fille se sont vu refuser l’accès au parloir. La femme est en
larmes. Une autre, dont le frère est détenu et qui est la seule à
avoir un permis de visite, est restée bloquée dans un embouteillage sur l’autoroute. Elle vient des Hauts-de-Seine, et attend de
savoir si elle pourra bénéficier d’un parloir à la session suivante.
Pour ceux arrivés à temps dans l’abri d’accueil, il faut présenter sa pièce d’identité, remplir la fiche détaillant le linge et les
objets apportés pour la personne détenue, présenter le sac
au contrôle des personnels pénitentiaires, déposer dans un
casier tous ses effets personnels puis attendre l’appel pour
entrer dans l’établissement pénitentiaire. Ensuite, il faut passer le portique de contrôle. Puis un box est attribué aux visiteurs, dans lequel ils s’installent et sont enfermés.
Se dépêcher pour mieux attendre
Bien avant neuf heures du matin en semaine, le parking « visiteurs » est saturé. Chez tous, un leitmotiv : ne pas arriver en
Si elles manquent le bus, les familles
doivent emprunter un chemin de terre
pour se rendre de la gare au centre
pénitentiaire. Durée du trajet : 20 à 30 min.
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La prison de Meaux-Chauconin
Le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin a été construit en 2005.
A l’extérieur, l’accueil famille et ses alentours ne sont pas vides
pour autant. Certains sont arrivés en avance et attendent le parloir suivant, d’autres ont accompagné une personne. Appuyé
contre sa voiture, un homme explique qu’il attend sa femme
qui visite leur fils. Il l’accompagne deux fois par semaine, car
« par les transports, c’est trop galère ». Lui ne veut pas le voir
pendant qu’il est en prison : « Qu’il assume ses conneries tout
seul. » Très tendue, une femme est venue voir son fils incarcéré
depuis peu. Elle a réussi à entrer, mais est ressortie peu après,
en larmes. Il ne veut pas de visite, il a refusé de descendre au
parloir. Elle reviendra. Les personnes sortant du dernier parloir
de l’après-midi, après 17 h, signalent qu’au moindre retard – et
ils sont fréquents car ils dépendent du temps de la fouille des
détenus – le bus n’a pas attendu. Il faut alors repartir à pieds.
Coût des visites, coût de la détention…
Que ce soit pour trente minutes ou une heure de parloir, le coût
financier et le temps nécessaire à la visite sont élevés. A fortiori
Des frais et des conséquences
« Je lui envoie à peu près cent euros par mois. Ça lui
sert pour des produits d’entretien, gel douche, savon,
mousse à raser, de la lessive aussi. Et puis pour un
« mieux » alimentaire. On lui achète des bouquins, et
des vêtements. Je lui envoie également des carnets de
timbres – 20 ou 25 timbres tous les quinze jours – et
des enveloppes, car il écrit à ses enfants, à son ex, à
ma mère, à moi. Mon conjoint commence à râler parce
que tout ça finit par représenter une belle somme. »
Sœur d’un détenu
« L’incarcération a eu beaucoup de conséquences. Ma
maman a fait un infarctus, elle a été en réa cardiaque
et je pense que c’est intimement lié. Elle a pris un gros
coup de vieux suite à ça. Je parle très peu de l’incarcération de mon frère autour de moi. J’ai dû me faire
suivre psychologiquement car c’était dur de ne pas
pouvoir en parler. »
Sœur d’un détenu
Le centre pénitentiaire comporte six quartiers : deux
de maison d’arrêt (l’un pour les prévenus et les
condamnés à de longues peines en attente d’affectation, l’autre pour les condamnés à de courtes peines) ;
un de centre de détention ; un quartier arrivants ; une
unité pour les condamnés à des peines inférieures à
trois mois ; et un « quartier nouveau concept », comprenant un centre de semi-liberté et un quartier pour
peines aménagées. Au 1er août 2015, 895 hommes y
étaient détenus pour une capacité de 637 places. Le
taux de surpopulation en quartier maison d’arrêt était
de 168 %.
pour les proches qui viennent de loin, comme l’explique la
sœur d’un détenu : « J’ai parlé avec un monsieur qui vient de
Bretagne, un autre du sud de la France. C’est monstrueux pour
eux le coût de la visite, le trajet, l’hébergement. » L’association
Trait d’union peut accorder une aide de trente euros pour les
frais d’hôtel dans les environs. En 2014, elle a financé « vingtquatre nuits d’hôtel pour les familles éloignées ». « C’est assez
incroyable qu’on n’arrive pas à mettre les gens en prison près de
chez eux. On parle de réinsérer les gens, mais on empêche leurs
familles de jouer un rôle de soutien », commente une visiteuse.
L’épouse d’un détenu raconte : « Mon mari est prévenu depuis
quatre ans et risque une longue peine. J’ai dû quitter mon travail pour déménager à Meaux, sinon c’était trop difficile. » Une
autre, qui vit dans les Yvelines, à l’autre bout de l’Ile-de-France,
explique qu’elle venait trois fois par semaine au parloir, mais
qu’elle a réduit à une fois en raison du coût financier.
La grande majorité des personnes rencontrées déclare envoyer
entre 100 et 400 euros par mois à leur proche incarcéré, même
lorsqu’il travaille derrière les murs, vu la faiblesse des rémunérations. « Il travaille à l’atelier environ deux semaines par mois et il
est payé une cinquantaine d’euros », indique la sœur d’un détenu. « Je lui envoie 150 euros par mois, plus les vêtements, les
caleçons, les serviettes que je lui apporte. Je ne sais plus comment faire aujourd’hui. » Les frais de justice reviennent régulièrement dans les difficultés signalées. Le frère d’un détenu dit
avoir dû trouver 9 000 € pour payer l’avocat. Tout comme la mère
d’un autre : « Mes revenus ont beaucoup baissé, car j’ai un crédit
pour l’avocat et je dois envoyer des virements à mon fils, à peu
près 200 euros par mois. » Lorsque le détenu travaillait avant
d’être écroué, « une paye en moins, c’est difficile, témoigne une
« A la maison, comme il n’est pas là, je ne sais plus
si on a le droit de rigoler, de bien manger. Et puis il
y a la fatigue. Les parloirs, le travail, les enfants à la
maison… j’ai du mal. »
Compagne d’un détenu
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« Il est distant, il ne veut pas dire comment ça se
passe dedans, du coup, j’y pense tout le temps. »
Fiancée d’un détenu
compagne. De plus, je suis arrêtée pour ma grossesse. Et je dois
lui envoyer des mandats, cent euros par semaine. Ça lui paye la
nourriture, les produits d’hygiène, la télé, la plaque électrique ».
Des relations mises à mal
« Depuis qu’il est ici, on est devenus distants », confie la compagne d’un détenu. « Ça change la relation, au parloir on fait
attention à ce qu’on dit. Pareil pour le courrier, on se censure
l’un l’autre. Il y a des questions que j’aimerais lui poser mais
je ne peux pas le faire », complète une femme très proche de
son frère incarcéré. Beaucoup manquent d’informations sur
la vie quotidienne de leur proche détenu. Parce que celui-ci
reste silencieux sur ce plan, parce que l’administration reste
opaque… « J’aimerais avoir plus de renseignements sur l’endroit où il vit, comment il vit, sur cette prison », indique une
femme, tandis qu’une autre explique qu’une lettre de son mari
aurait été retenue au motif qu’il se plaignait de ses conditions
de travail à l’atelier. L’absence de confidentialité de tous leurs
échanges, si ce n’est lors des rares moments accordés en unité
de vie familiale (UVF), ou lors des contacts par les téléphones
portables interdits, appauvrit et fausse les relations. L’intimité
s’étiole à un moment où il serait pour tous nécessaire qu’elle
se renforce. « C’est dur de savoir qu’ils lisent les courriers, qu’ils
écoutent. Du coup, on ne se dit plus les choses comme avant.
On n’ose plus se dire des choses intimes », raconte une visiteuse.
D’autres liens se renforcent néanmoins dans l’épreuve. Pour
une amie d’un détenu du CD, « nous étions déjà très proches
avant, mais je crois que cette épreuve nous rapproche encore
plus. Il sait qu’il peut compter sur moi et me dit des choses qu’il
ne m’avait jamais dites avant ».
Les relations peuvent aussi devenir plus tendues et conflictuelles. « Je ressens de la colère, de la tristesse, de la déception,
mais comment et quand lui dire ? », s’interroge une femme à
la sortie d’un parloir. La compagne d’un autre constate amèrement que « son incarcération a créé des tensions entre [eux], et
des doutes sur [leur] avenir ». L’impact de la détention sur l’état
psychique de la personne détenue se ressent fortement dans
les liens familiaux. « Depuis quatre ans qu’il est en prison, on
est plus proches par certains côtés, mais il y a beaucoup de disputes souvent inutiles, on dirait qu’il est devenu tendu et paranoïaque », raconte la femme d’un détenu. Trois membres de
la famille d’un autre confirment : « Le manque de temps passé ensemble et ce qu’il vit en prison se traduisent souvent par
des engueulades entre nous. » « Ça l’a changé, il est devenu très
agressif », constate, impuissante, la mère d’un jeune détenu.
Dans bien des cas, la détention finit par rimer avec séparation
et conflits familiaux. « L’incarcération de mon frère, ça a été
un divorce à la clé. Ses enfants sont partis vivre aux quatre
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« La pire angoisse »
« Il y a un stress très fort avant la visite. Je prends le
temps d’arriver en avance, j’ai trop peur d’être en
retard d’une minute et de me faire jeter, d’avoir fait
le trajet pour rien. Une fois entrés, ils nous appellent
par ordre alphabétique, nous donnent un numéro de
boxe. On ouvre la porte, ils la claquent derrière nous.
La porte d’en face n’est pas encore ouverte. C’est le
moment que je déteste, on est vraiment enfermé dans
quelques mètres carrés, c’est minuscule, il n’y a rien
d’autre à faire qu’attendre. Cinq, dix minutes, parfois
un quart d’heure avant que les détenus n’arrivent. Un
jour, je me suis demandé s’ils ne m’avaient pas oubliée.
Après le parloir, on a tous envie d’être un peu au calme,
se poser, mais pendant qu’ils fouillent les détenus on se
retrouve dans une pièce à attendre et se regarder les
uns les autres pendant que les enfants courent partout.
A ce moment-là, je me demande souvent pourquoi j’y
retourne, je me dis que c’est la dernière fois, je n’irai
plus, c’est trop horrible. Et puis en sortant ça va mieux,
et après j’ai hâte d’y retourner. Finalement pour voir une
personne à qui on tient, on doit obéir, rester là, attendre.
On n’a pas son mot à dire. Mais la pire angoisse, c’est de
se dire que s’il lui arrive quelque chose, je ne le reverrai
jamais dehors. Sa vie peut finir là-dedans. »
Amie d’un détenu
coins de la France pour fuir la situation », explique une visiteuse. Une autre confie que « l’incarcération de [son] copain
est très mal vécue par [sa] famille ». Elle a maintenant le sentiment d’être traitée comme si elle-même avait commis « des
actes répréhensibles ». Une autre rapporte les nombreuses
« disputes » avec sa famille, qui n’accepte pas qu’elle « soutienne à ce point » son mari incarcéré.
Dire ou ne pas dire
Les proches subissent aussi l’ostracisme et la stigmatisation
de leur entourage. Pour un homme âgé venu voir son fils
incarcéré pour la première fois, « le plus dur c’est le rejet et
les reproches des voisins, qui disent que j’ai mal élevé mon
fils, que je suis responsable de ce qui est arrivé ». Une mère
explique qu’après l’arrestation de son fils, elle a « dû déménager à cause du voisinage ». « Là où on est maintenant, ça va,
on ne nous connait pas. » La sœur d’un détenu, militante d’un
parti politique, a dû retirer sa candidature à des élections au
moment de l’arrestation de son frère. Du temps est passé, elle
envisage de se « remettre dans la vie politique. On va bien voir
ce que ça va donner. Je ne suis pas sûre que l’incarcération de
mon frère n’impacte pas mes projets. »
Pour éviter jugements et rejets, certains taisent leur situation. La compagne d’un détenu raconte à tous qu’« il est parti dans le sud pour son travail ». Un jeune homme venu voir
son frère incarcéré explique qu’il alterne les visites avec ses
autres frères présents dans la région. Ils cachent tous la situation aux parents qui vivent à la Réunion. « Aux horaires où
PROCHES DE DÉTENUS
© Grégoire Korganow/CGLPL
Certains juges refusent d’accorder un permis
de visite aux enfants, au motif que le parloir
risque d’être traumatisant pour eux.
il peut m’appeler de la prison, je suis à mon travail, du coup
je ne peux lui parler de rien si je ne veux pas que collègues
sachent », explique encore l’amie d’un détenu.
La question de ce qu’il faut dire ou cacher aux enfants se pose
également. De même que celle de les emmener au parloir. Une
femme qui vient voir son fils aîné incarcéré s’interroge : « Des
fois, je me dis que ce serait une bonne idée qu’ils voient leur frère
en prison, ça pourrait servir d’exemple. Mais je ne sais pas trop,
les enfants, ils n’ont rien à faire là. » Des espaces spécifiques sont
dédiés aux plus petits pour les visites. L’association Trait d’union
accompagne aussi les enfants en visite auprès de leur père détenu lorsque la famille n’est pas en mesure de le faire (cinq enfants
en 2014 pour vingt-deux parloirs). Deux femmes dont les
conjoints sont en détention provisoire dans une affaire de trafic de voitures se battent depuis des mois pour obtenir des permis de visite pour leurs enfants. Le juge refuse, selon leur avocat,
au motif que le parloir risque d’être traumatisant pour eux, que
« leur place n’est pas en prison ». L’une d’elles raconte que ses
filles de quatre et neuf ans croient dès lors « que leur père est
mort et que je leur mens en leur disant qu’il est en prison ».
Le corps et l’esprit trinquent
Choc, inquiétude, maladies psychosomatiques… Les proches
de personnes détenues vivent l’incarcération dans leur chair.
Et ce, dès l’interpellation, qui se déroule souvent de manière
assez brutale. « Au départ, je n’avais plus faim, je revoyais tout
le temps l’image de l’arrestation. » Cette mère venue au parloir
avec son jeune fils handicapé raconte comment la police est arrivée chez elle un matin à 6 h, a défoncé la porte et arrêté son fils
aîné. Le choc demeure dans son esprit et celui de son plus jeune
fils, qui était présent. « Tristesse et fatigue », résume une autre
femme, tandis qu’une troisième confie avoir développé un psoriasis. Une autre a « perdu quinze kilos ». Les conditions de visite
ne sont pas non plus sans conséquence. Les boxes des parloirs
sont décrits par le frère d’un détenu comme « très petits, déprimants, angoissants ». Un homme âgé, rencontré sur le parking
du centre pénitentiaire, explique qu’il attend sa femme qui est
au parloir. Lui, claustrophobe, s’y est rendu une fois mais ne peut
plus y retourner. L’épouse d’un détenu conclut : « Avant j’étais
vivante, mais là, je m’inquiète tout le temps. »
François Bès et Sarah Dindo
L’établissement dispose de deux unités de vie familiale
(UVF), pour des visites de six à soixante-douze heures
dans des conditions préservant l’intimité, sans surveillance directe. Contrairement aux dispositions de la loi
pénitentiaire, les UVF ne sont ici accessibles qu’aux détenus du centre de détention, condamnés à une peine
supérieure à trois ans, et ne bénéficiant d’aucune permission de sortir (règlement intérieur). Ce jour du mois de
mars, une jeune femme attend avec ses deux enfants de
trois et quatre ans pour une UVF de 48 heures. C’est la
troisième fois qu’elle en bénéficie. Le reste du temps, les
visites se déroulent dans les parloirs ordinaires (boxes).
« Les parloirs se passent assez bien, mais rien à voir avec
les conditions des UVF. Là, on est vraiment ensemble. »
© CGLPL
La bulle des UVF
Le séjour et la cour d’une unité de vie familiale (UVF) à Meaux-Chauconin.
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