FICHE-4-Formes et figures de la démocratie participative en santé

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FICHE-4-Formes et figures de la démocratie participative en santé
#4 – Formes et figures de la démocratie
participative en santé
Tentative de classement de la façon
1
La démocratie en santé a 27 ans :
27 ans de concepts qui
sédimentent et progressent,
s’ouvrent à de nouveaux enjeux,
traversent de nouvelles
problématiques. L’IPDS tente
l’exercice lexical : approfondir au
gré des concepts-clés du paysage
de la démocratie en santé les
grands enjeux de demain.
Mélanie HEARD
Déléguée générale
Christian SAOUT
Membre fondateur, membre du comité de
pilotage
dont la participation des citoyens a pu se
décliner en France dans le domaine de la
santé : ces outils sont activés à l’initiative
de la puissance publique, le plus
souvent, mais aussi parfois par le citoyen
directement ou des organismes privés.
Ils impliquent, selon le cas, les citoyens
pris individuellement ou collectivement,
au travers des organisations dont ils se
dotent. Certaines formes ont fait l’objet
d’une normalisation, règlementaire ou
académique. D’autres sont moins
encadrées, plus souples, parfois
poussées par des crises sanitaires. Elles
apparaissent, dans cette fiche n°4, sous
trois rubriques : formes régulées et
spontanées, quand elles concourent à
l’expression des préférences collectives,
et, prises séparément, les formes
managériales quand elles concourent à
l’amélioration des services de santé ou
médico-sociaux, même si certaines
d’entre-elles se déroulent sur la base de
règlementations dédiées.
Formes régulées


INSTITUT POUR LA DEMOCRATIE EN
SANTE
avril 2016
@DemocratieSante
La consultation administrative.
« Le texte a été soumis à la
concertation » dit-on dans le
langage administratif. Façon
d’expliquer qu’il a été adressé aux
différentes instances (comités,
conseils, institutions et organismes)
dont l’avis préalable à une décision
administrative ou à l’édiction d’un
acte est obligatoire.
La consultation administrative
électronique. Elle est ouverte sur le
Web. En application de l’article 16
de la loi n° 201-525 du 17 mai 2011
1 D’autres approches sont évidemment possibles, en
distinguant par exemple selon les modalités
d’engagement des citoyens : collectif (représentation par
des associations), individuel (citoyens), mixte (collectif et
individuel).


de simplification et d’amélioration
de la qualité du droit, l’Etat peut
recourir, avant d’adopter un acte
réglementaire, à la consultation des
citoyens. Cette consultation se
substitue alors à celle des
commissions dont la consultation
est obligatoire.
L’inscription au programme de
travail d’une instance de santé. Les
parties prenantes du système de
santé, dont les associations de santé
agréées, peuvent solliciter la Haute
autorité de santé sur des sujets de
santé publique qui les intéressent
(Art. R. 161-71 du Code de la
sécurité sociale). Sans texte, par
« tradition administrative », il en va
de même, pour la Direction de la
recherche, des études, de
l’évaluation et de la statistique du
Ministère des Affaires sociales et de
la Santé.
Les jurys-citoyens, parfois aussi
appelés « conférences de citoyens ».
Inspirés du modèle des conférences
médicales et initiés au Danemark en
1988 par le Danish Board of
Technology du Parlement danois, la
conférence de citoyens réunit des
personnes « naïves », candides,
dont l’avis est sollicité pour
accompagner un processus de
décision public en vue d’obtenir
l’opinion de la population ou plus
justement d’un panel de profanes
censé représenter la population.
Trois exemples : deux à l’initiative
de personnes privées (en 2005, le
laboratoire GSK sur « L’avenir du
médicament », en 2013, l’Institut
Montaigne sur le thème de
« L’avenir de notre système de
santé ») et un à l’initiative d’un
organisme public (en 2014, le
Conseil consultatif national



d’éthique sur le thème de la fin de
vie).
L’atelier-citoyen. Inspiré des
conférences de citoyens, mais plus
souple et plus rapide, ce modèle a
été conçu et développé par le
Secrétariat général de la
modernisation de l’action publique
(SGMAP) placé auprès du Premier
ministre. Un partenariat entre ce
service et la Commission nationale
du débat public a été signé le 9
février 2016 afin de conférer des
garanties d’indépendance à la mise
en œuvre de ces ateliers-citoyens.
Dans le cadre de ses attributions, la
DREES vient de saisir le SGMAP
pour qu’il diligente un ateliercitoyen sur le big data en santé :
« Partager ses données de santé :
pour quel bénéfices et à quelles
conditions ? ».
Le cas du débat public doit être
évoqué au sein des formes régulées
même s’il n’a guère été activé. En
effet, la loi a confié à une autorité
administrative indépendante, la
Commission nationale du débat
public, le soin de conduire le débat
public dans les domaines de
l’environnement, de l’urbanisme et
2
des grands équipements . La
Conférence nationale de Santé
(CNS) a élaboré une
recommandation sur la pratique du
débat public mettant notamment
en exergue la règle selon laquelle le
commanditaire du débat public
n’est pas son effecteur. Compte
tenu de son budget, elle peine à
respecter elle-même cette
recommandation quand elle
s’essaye à cet exercice.
La conférence de consensus est un
outil pour l’élaboration d’une
recommandation scientifique. Elle
est conduite pour le compte de la
puissance publique par une instance
« savante » (autorité scientifique,
2 Non sans lien avec la santé, comme dans les débats
publics successifs sur les OGM et les nanotechnologies.
société savante, organisme de
recherche ou reconnu d’utilité
publique …). Cependant ces
conférences composées de
scientifiques prennent en compte
les préoccupations des personnes
concernées dans leurs résolutions
finales et les associent parfois à
leurs jurys. Ce fut le cas en juin 2004
à Lyon pour la conférence de
consensus sur les stratégies
thérapeutiques pour les personnes
dépendantes des opiacés.
que l’appellation Etats-généraux
renvoie à une logique d’agrégation
des revendications « depuis la base
vers le sommet », son mésusage se
révèle sévère pour le concept luimême. Il est malheureusement
devenu courant d’appeler Etatsgénéraux des réunions tenues le
plus souvent en province à
l’occasion d’un déplacement
ministériel ou s’approchant plutôt
d’un colloque tenu devant un public
large. Finalement, ceux qui
respectent le mieux le modèle des
Etats-généraux ce sont les
associations elles-mêmes, comme
AIDES ou la Ligue nationale contre
le cancer qui ont eu l’occasion, à
plusieurs reprises, de les organiser
pour que les personnes
séropositives ou atteintes d’un
cancer expriment leurs préférences
collectives.
Formes spontanées
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La consultation politique. Il s’agit le
plus souvent de susciter l’expression
des citoyens ou des parties
prenantes du système de santé en
vue d’une réforme donnant lieu à un
texte de loi. Ce fut le cas pour la loi
de santé publique de juillet 2004 qui
a vu la mise en place d’un groupe
national de travail de détermination
des objectifs de santé publique,
avant qu’un avant-projet de loi ne
soit rendu public, pour que chacun
puisse s’exprimer sur son contenu.
Aujourd’hui, les consultations
politiques à l’occasion d’un projet de
loi sont accessibles sur le site
internet du SGMAP.
Les Etats-Généraux de la Santé.
Convoqués en 1998 et 1999, ils ont
repris le modèle de 1789. Plus d’une
centaine de forums réunis en région
ont permis l’expression des attentes
citoyennes après les deux grandes
crises du Vih/sida et des maladies
nosocomiales. Les conclusions de
chaque forum ont été synthétisées
par les secrétaires généraux des
Etats-généraux de la santé et
présentés à la séance de clôture de
ce processus en présence du
Premier ministre en octobre 1999.
Ces travaux ont largement
contribué à la loi du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et à
la qualité du système de santé. Bien

Les Assises du Médicament.
Tenues en 2011, à la suite de la crise
du Mediator, six groupes de travail,
comportant toutes les parties
prenantes du système de santé,
dont les associations de patients et
d’usagers, ont permis d’aboutir à
une synthèse des réformes utiles à
la politique française du
médicament qui amènera à la loi du
29 décembre 2011 relative au
renforcement de la sécurité
sanitaire du médicament.

La Grande conférence de santé.
Tenue en 2016, à l’initiative du
Premier ministre, elle témoignait de
la volonté d’appréhender les enjeux
de la modernisation de l’offre de
soins de premier recours. Elle a
comporté des représentants des
usagers dans son comité de pilotage
et dans les ateliers, mais on résiste à
inscrire cet événement dans la liste
des outils de la participation
citoyenne en santé. Les
professionnels de santé sont certes
des citoyens mais cet épisode était
essentiellement consacré à traiter
de leurs dynamiques
professionnelles. Utilement, mais
sans faire une place comparable aux
usagers comme ce put être le cas
dans les exemples précédents.

La Consultation citoyenne. Seule
sous cette appellation, elle se
déroule actuellement dans le
domaine de la vaccination. Confiée
à un comité d’orientation, opérée
par la nouvelle Agence nationale de
santé publique, elle repose sur le
recueil de contributions des
citoyens, des professionnels, des
associations, des institutions sur
une plateforme internet, l’analyse
de ces contributions par trois jurys
(de citoyens, de professionnels de
santé et d’experts scientifiques) et
enfin un colloque national de
restitution. Sur la base de ces
travaux, des propositions seront
exprimées par le comité
d’orientation en décembre 2016.


Le management participatif


L’Atelier Santé-Ville. Issu de la
politique de la ville, qui a depuis
longtemps intégré les outils de la
participation citoyenne dans
l’urbanisme, l’ASV combine
politique de la ville et politiques de
santé. Il a vocation à contribuer à la
réduction des inégalités sociales et
territoriales de santé. Le diagnostic
territorial et les actions sont
conduits avec les populations
concernées.
La participation conventionnelle.
Reconnue par la loi du 4 mars 2002
(Art. L. 1112-5 du code de la santé
publique), elle permet l’intervention
des associations de bénévoles dans
les établissements hospitaliers. Elles
sont activées pour des activités
caritatives ou récréatives, rarement
en santé publique ou pour la
promotion de l’autonomie des
patients. L’article L. 1110-11 de ce

même code permet en outre
l’intervention des bénévoles
accompagnant les personnes en fin
de vie.
Le conseil de la vie sociale. La loi
du 2 janvier 2002 rénovant l’action
sociale et médico-sociale (Art L. 3116 du code de l’action sociale et des
familles) impose aux établissements
assurant un hébergement ou un
accueil de jour continu de mettre en
place des conseils de la vie sociale.
Ces derniers ont pour but d’associer
les usagers au fonctionnement de
l’établissement au sein duquel ils
résident ou sont accompagnés.
Le projet participatif. Certains
directeurs d’établissement
hospitaliers (Angers, Roubaix, par
exemple) ont pris l’initiative, sans
texte, de conduire des approches
participatives de leurs projets
d’établissement. En adjoignant aux
conditions règlementaires
habituelles d’élaboration du projet
d’établissement, une consultation
de la population locale annoncée
dans la presse locale et opérée sur
un site internet, en les combinant
parfois avec l’implication des
associations agréées d’usagers du
système de santé. Il en va de même
dans les maisons et pôles de santé
où un guide professionnel
recommande l’élaboration
participative des projets de maison
de santé.
L’Open data. Reconnu par l’objectif
de transparence de la politique
publique, il permet l’accès direct du
citoyen ou de certains services aux
données publiques. Il commence à
révéler ses potentialités. A
l’initiative d’acteurs privés, comme
handimap.org par exemple, une
application utilise les données du
cadastre combinées à des données
collectées par les personnes en
situation de handicap elles-mêmes
pour dresser des cartes
d’accessibilité dans les villes de


Rennes et Montpellier. A l’initiative
d’acteurs publics, comme l’a montré
la Caisse nationale d’assurance
maladie des travailleurs salariés
(CNAMTS) organisant des
hackathons permettant à des
développeurs d’accéder à des
données anonymisées en vue de
déployer des services pour les
offreurs de soins, les professionnels
de santé ou les patients.
Les méthodes de la santé
communautaire. Partie intégrante
de la santé publique, la santé
communautaire postule
l’implication des populations dans
les actions de promotion de la santé
dont ils sont les bénéficiaires
potentiels. Ces principes sont
reconnus au plan international. Elle
est notamment défendue en France
par l’Institut Renaudot. Elle a été
largement mise en œuvre dans la
lutte contre le sida ou les politiques
de réduction des risques vers les
usagers de drogues.
Le design des services (parfois
appelé design thinking). Cette
méthode de participation des
bénéficiaires finaux d’un service
commence à prendre un peu
3
d’épaisseur . Particulièrement dans
l’action publique locale. Elle a
notamment été appliquée à la
création d’une maison
pluridisciplinaire de santé, pour la
Communauté de communes de
Pionsat dans le Puy-de-Dôme. Cette
discipline repose évidemment sur
les ressources du dessin pour
réfléchir et communiquer. Sa force
réside dans sa capacité à outiller et
faciliter les processus de réflexion
collectives, dans une approche
populationnelle ou communautaire.
Réjouissons-nous. La démocratie
participative en santé ne cesse de
croître. En témoigne la longue liste des
3 Voir par exemple, www.la27eregion.fr , ou encore
www.lafabriquedelhospitalite.org
occurrences et outils qui viennent d’être
recensés et classés. Cette fiche n°4,
miroir de la n°3, est loin d’en proposer
une classification et un repérage
exhaustifs. Nous aurons à la refaire. Car
des outils sont en cours de validation ou
d’application dans le monde de la santé,
comme les nudges. Mais les nouvelles
organisations issues de la loi du 26
janvier 2016 de modernisation du
système de santé auront aussi leur
« équation participative », qu’il s’agisse
des groupements hospitaliers de
territoire ou des conseils territoriaux de
santé. Nul doute qu’ils produiront des
leçons pour l’avenir. Un avenir où nous
devrons faire en sorte que « la voix des
sans voix » soit mieux entendue et prise
en compte, comme y invite la
territorialisation des politiques de santé
inscrite à l’article 158 de la loi du 26
janvier 2016 de notre système de santé.
www.modernisation.gouv.fr/les-servicespublics-se-simplifient-et-innovent/par-laconsultation-et-la-concertation/democratieparticipative-des-ateliers-citoyens-pourrenforcer-la-participation-citoyenne
www.faire-simple.gouv.fr/bigdatasante
Avis du 9 décembre 2010 relatif à la
concertation et au débat public.
http://www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/
TSO_court.pdf
www.faire-simple.gouv.fr/
« Petit guide de la participation en santé de
proximité », Fédération française des
maisons et pôles de santé 5FFMPS), Mars
2015, 80 p.
Institut Théophraste Renaudot, « Pratiquer la
santé communautaire – De l’intention à
l’action », 2001.
Richard H. Thaler, Cass R. Sunstein,
« Nudge : Improving decisions about health,
wealth, and happiness », Yale University
Press, New Haven, Ct, 2008, 293 p.