Article Tchad Petrole

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Article Tchad Petrole
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Acculés par la grande pauvreté de la population, fragilisés par des guerres successives, les pouvoirs qui se
sont succédés dans la capitale tchadienne depuis l’indépendance ont ménagé l’espoir de jours meilleurs
octroyés par l’avènement du pétrole.
pétrole. Les Tchadiens ont espéré et désespéré, au rythme de l’intensité des crises
politiques qui secouaient l’Etat.
A la faveur d’un énième coup d’état, Idriss Déby Itno est arrivé à la tête de l’Etat tchadien avec pour ambition
de révolutionner l’économie
économie de son pays. Treize ans après, l’actuel Chef de l’Etat fait la déclaration lors de
l’inauguration de l’oléoduc Tchad-Cameroun
Tchad
(en 2003) : « Le développement de l’industrie du pétrole
bénéficiera à l’ensemble de la nation tchadienne ».
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Financé par un consortium formé des entreprises ExxonMobil,, Chevron (EtatsUnis), Petronas (Malaisie) et de la Banque Mondiale, le projet d’exploitation du pétrole
tchadien a coûté 4,2 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros soit 2361,4 milliards de
francs cfa)1.
La Banque mondiale a financé une partie de la construction de l’oléoduc de 1070
107 km entre le
Tchad et le Cameroun, permettant aux peuples tchadiens de goûter aux délices du bonheur
du développement à l’occidental2.
La Banque Mondiale a justifié sa participation en encourageant le potentiel de réduction de la
pauvreté que contenait le projet d’exploitation de pétrole pour le Tchad et le Cameroun.
Cam
Cette
décision
va appuyer l’un
des plus
gros
projets de
l’
l’histoire
au sud
du Sahara, implanté dans une zone où la gouvernance est faible. Le Cameroun, tout comme le
Tchad, caracolait en tête du classement des pays les plus corrompus au monde.
Face
ace à l’opposition de la société civile, la Banque Mondiale démontre à l’opinion
internationale que le développement des pays pauvres, comme le Tchad, qui reçoivent une
Aide Publique au Développement (APD) faible, n’est désormais possible qu'en
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1
Le Rapport de l’Administrateur indépendant de l’ITIE pour les revenus de l’année 2011, précise que l’essentiel
l
de la production d’hydrocarbures tchadienne est assurée depuis 2003 par le
le consortium de Doba, composé de :
Esso Exploration & Production Chad (Esso), opérateur, détenant 40% des parts du consortium ; Pétronas
Caligari Chad (Petronas), détenant 35% des parts du consortium ; CNPCI a démarré la production des blocs
b
Ronier et Mimosa fin 2011. En 2011, le secteur comptait aussi 4 entreprises en exploration : OPIC, ERHC,
Griffiths Energy International, Globlal Petroleum
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 Le secteur comptait enfin les opérateurs de l’oléoduc Tchad-Cameroun,
Tchad
long de 1 070 km et doté d’une
capacité d’acheminement de 250 000 barils/jour. Totco (Tchad Oil Transportation Company), la société
opératrice sur le tronçon courant sur le territoire tchadien, long de 180km.
180km Cotco (Cameroon Oil Transportation
Compagny), la société opératrice sur le tronçon courantsur
courantsur le territoire camerounais, long de 890 km.
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considérant les investissements injectés dans les industries extractives (pétrolières dans ce cas
de figure) comme une réponse incontournable à leurs problèmes de pauvreté.
Connu pour sa longue guerre civile, son instabilité politique chronique et ses perpétuelles
violations des droits de l’homme, la Banque Mondiale, avant de libérer sa participation
financière, oblige le Tchad à voter une loi de gestion des revenus en 1999.
Les autorités tchadiennes s'engageaient ainsi à verser 10 % des revenus à un "fonds pour les
générations futures". Sur la part restante, 70 % devaient être consacrés à des secteurs
prioritaires pour le développement, dont 5 % à la région de Doba et pas plus de 15 % au
budget de l'Etat.
Mais la loi «001» de 1999 a par la suite été remise en cause par le Gouvernement du
Tchad qui, en la modifiant en décembre 2005, renonçait par ricochet à ses obligations envers
les bailleurs de fonds. Cette modification3 a donc provoqué un relâchement diplomatique
entre le Tchad et la Banque Mondiale. L’institution financière mondiale a dans un premier
temps gelé les revenus pétroliers puis a signé par la suite un protocole d’accord avec
le Gouvernement en juillet 2006.
Entre 2004 et 2008, le Tchad, à cause de l’augmentation des prix du pétrole, obtint des
revenus supérieurs à ceux prévus. Cela lui permit en 2008 de rembourser la dette à la
Banque Mondiale, poussant ainsi le retrait de celle-ci, sans que le pays respecte les
exigences de l’accord. L’enquête de la Banque Mondiale de 2005 révélera que l'argent avait
été gaspillé de façon abusive : matériel de mauvaise qualité, prix gonflés, des écoles et des
hôpitaux non achevés et surtout non équipés. Le collège de contrôle et de surveillance des
ressources pétrolières est très affaibli et tourne au ralenti. Il n’est pas indépendant et son avis
n’est pas souvent respecté.
De la pauvreté sans pétrole, à la misère avec le pétrole
Dix ans se sont écoulés, quelques centaines de millions de barils ont été pompés du sous-sol
du Tchad. A la faveur d’une bonne santé des cours mondiaux du pétrole, plus de 10 milliards
de dollars ont été engrangés entre 2004 et 2012, selon les chiffres publiés dans le cadre de
l’ITIE (Initiative pour la Transparence des Industries Extractives). Le pétrole aurait rapporté
au pays 5 000 milliards de francs CFA (7,5 milliards d'euros).
La contribution totale du secteur extractif au Tchad s’est élevée à plus de 1 000 milliards fcfa
en 2011 (99% pour le secteur des hydrocarbures et 0,1% pour le secteur des carrières)
représentant près 78% des recettes fiscales totales de l’Etat tchadien en 2011 (tous secteurs
confondus)4.
Cependant, il faut souligner que la qualité et la quantité pétrole produit, qui constituent la base
des redevances payées au Tchad, ne sont contrôlées que par ESSO. Le Gouvernement
du Tchad n’a pas la volonté ou les moyens de faire de vrais contrôles.
Esso se serait abrité derrière la confidentialité des contrats pour alimenter un système de
corruption qui empêche un sérieux contrôle des bénéfices du pétrole.
5 000 milliards de francs cfa, voilà de quoi transformer le Tchad en un chantier à ciel ouvert.
Le budget de l’Etat a quadruplé entre 2002 et 2012, passant de 390 milliards à 1500 milliards
de fcfa (595
millions
à
2,3
milliards
d’euros).
Le
Ministre
des
infrastructures, Adoum Younousmi indiquait que « le réseau routier bitumé du pays est passé
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Loi n°002/PR/06 du 11 janvier 2006 portant amendement de la loi n°001/PR/99 du 11 janvier 1999 portant
gestion des revenus pétroliers et la loi n°016/PR/2000 du 18 août 2000 portant modification de la loi
N°001/PR/99 du 11 janvier 1999.
4
Rapport de l’Administrateur indépendant de l’ITIE pour les revenus de l’année 2011, Page 05
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de 300 km à plus de 2 000 km en dix ans, 2 000 salles de classe ont été construites tous les ans
à travers le pays. Ajouter à cela une dizaine d’établissements universitaires et une vingtaine
d’hôpitaux»
La capitale N’djaména est traversée par de ministères flambant neufs. Des monuments
gigantesques ont été érigés : le rond-point de la Grande Armée, et sa statue de cavalier, aurait
coûté 16 milliards de fcfa...dans la foulée le prix de l'immense place de la Nation, qui jouxte
le palais présidentiel, reste un mystère.
Le Tchad s’efforce à acquérir définitivement son indépendance dans le domaine des produits
raffinés, et même de devenir exportateur régional. Les prix à la pompe se montaient à
525 fcfa le litre de diesel et de 380 fcfa celui l’essence.
Début 2012, en raison d’un désaccord entre le Gouvernement et la CNPC International Chad
Co.Ltd5 sur la fixation des prix, le site a fermé à plusieurs reprises, provoquant de graves
pénuries. Mais les deux parties ont trouvé un terrain d’entente pour rentabiliser leur
investissement commun de 450 millions d’euros. Elles ont équilibré leurs rapports de force
dans la gestion de la raffinerie. La direction générale est confiée à un chinois, avec un adjoint
tchadien. Ils se sont engagés à garantir des stocks pour la demande nationale et à trouver les
moyens d’exporter l’excédent de production.
Mais on ne va pas se le cacher, l'argent du pétrole aura surtout servit ces 5 dernières années à
acheter
des armes
alors
que
le
régime
est ponctuellement confronté
à
des incursions de mouvements de rébellion.
En 2011 le Tchad était le 7ème pays le plus pauvre du monde. Le Logone oriental où se trouve
le bassin pétrolier de Doba, région majoritairement rurale très productive et très peuplée (38%
de la population), est aujourd’hui la troisième région la plus pauvre du Tchad malgré les
milliers de barils de pétrole exportés chaque jour. 64,7% de sa population vit dans la pauvreté
avec un revenu moyen de 396 F CFA, soit 0,56 euro par personne et par jour. Les paysans du
bassin de Doba seraient les plus grands perdants du projet pétrole.
Le consortium d’exploitation ESSO a acquis plus de 60% des espaces cultivables de la zone
pour ses multiples installations qui ont dépassées de beaucoup les prévisions. Les
infrastructures pétrolières occupent des surfaces cultivables et réduisent l’espace vital de la
population. Champs de cultures et infrastructures pétrolières s’entremêlent. Dans 25 villages il
y a un total de 1 112 puits, 27 collecteurs, 6 unités de collecte et 34 carrières. Des populations
ont été déplacées ; la surface cultivable a diminué ; les villages restent enclavés au milieu des
installations pétrolières ; les sites sacrés ont été désacralisés.
Le système de production traditionnel a été détruit. Aucun accompagnement n’a été mis en
place pour aider à la reconversion des populations qui ne peuvent plus vivre des produits de
leurs terres.
Malgré les nombreuses lignes à haute tension qui parcourent la région, les villages et les
petites villes n’ont pas d’électricité et même les grandes villes sont souvent dans l’obscurité.
Les populations des localités directement affectées sont exclues des retombées économiques
et sociales de l’exploitation du pétrole.
De l’indignation au désespoir environnemental
Le lundi 28 août 2008, il a été enregistré le premier cas de déversement accidentel
d’hydrocarbure à la vanne n°03 de PK35 à Beto dans le canton Komé et Bida dans le
canton Timberi. Selon le Ministre du pétrole, M. Mahamat Nasser Hassane, la rupture de
4 boulons sur les 12, serait à l’origine de ce déversement.
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 La Société de Raffinage de N’djaména (SRN) assure l’approvisionnement du marché local grâce à une
production de 14 000 barils/jour, couvrant largement la demande nationale.
Inaugurée en juin 2011 à Djermaya, la SRN est détenue à 40% par l’Etat et 60% par son partenaire chinois
CNPC, qui exploite en outre les gisements de Bongor (Sud-Ouest) alimentant la raffinerie.
Près de 30 barils de pétrole on été répandus dans la nature polluant ainsi les champs des
paysans et un cours d'eau qui constituent la principale source d'alimentation des populations.
Des cours d’eau et des terrains ont déjà été contaminés par des déversements du brut et des
ruptures de l’oléoduc.
Les carrières - énormes fosses creusées pour obtenir de la terre et enterrer les déchets
polluants – sont restituées aux paysans sans être décontaminées et restent infertiles. Des
carrières non fermées accumulent des eaux de pluies. Ceci favorise les moustiques, augmente
le paludisme et constitue un danger de noyade pour les animaux et les personnes. Plusieurs
enfants et animaux y sont morts. Les plaintes déposées en justice sont restées sans suite à
cause de la complicité des autorités avec ESSO.
L’air aussi est contaminé par les torchères qui brûlent le gaz de rejet, et la déchetterie qui
occasionne des maladies dans le village voisin.
Le pipeline Tchad-Cameroun : le cordon ombilical d’intégration africaine
Le pétrole, qui sort des terres du Tchad et va se déverser dans les tankers en pleine mer, sur
les côtes de Kribi au Cameroun devrait par principe renforcer la connexion et permetre au
Cameroun et au Tchad d’en tirer profit et de voir l’avenir avec optimisme.
Tant que ce liquide continuera à couler entre les deux pays, leur sort sera davantage scellé à
tel point que toute rupture entraînera une atrophie qui risquerait de laisser des traces assez
profondes dans les corps représentés par les Etats concernés.
Le Niger pourrait aussi utiliser le pipeline existant et transporter son pétrole brut vers le
Terminal offshore de Kribi. L’annonce a été faite, à l’issue d’une audience que
le Président tchadien Idriss Deby Itno a accordée à une forte délégation nigérienne, conduite
par leur Ministre des affaires étrangères.
Le pétrole du Niger, qui sera exploité, se situe dans la zone orientale du pays, à proximité de
la frontière avec le Tchad. Le Président nigérian Mahamadou Issoufou a trouvé commode,
pratique et économique de le faire exporter à travers un pipeline qui sera raccordé à l’oléoduc
déjà en exploitation, qui relie le Tchad au port de Kribi, a précisé Bazoum Mohammed,
le Ministre nigérien des affaires étrangères, au sortir d’une audience avec le Président Idriss
Deby.
Il reste difficile de savoir si le Cameroun a été associé à cet arrangement. Le Comité
de Pilotage et de Suivi des Pipelines (CPSP)6 n’a fait aucun communiqué sur le sujet.
Cette annonce survient alors qu’au Cameroun, les autorités ont exprimé leur volonté de
renégocier les droits de transit du pétrole en provenance du Tchad, via le pipeline7 afin que
ses revenus soient proportionnels à l’embellie des cours mondiaux du pétrole.
David Bayang
Coordinateur national adjoint
Service National Justice et Paix
Conférence Episcopale Nationale du Cameroun
BP 1963 Yaoundé - CAMEROUN
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6
Le président du Comité de pilotage et de suivi des pipelines (CPSP), Adolphe Moudiki, par ailleurs
administrateur directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), le bras séculier de l’Etat du
Cameroun dans l’exploitation pétrolière.
7
Selon des chiffres publiés par l’entreprise Exxon Mobil, entre 2003 et 2010, le Cameroun a reçu un peu plus de
142 milliards de fcfa, sous forme de droits de transit, d’impôt sur le revenu des droits de douanes diverses et des
bénéfices sur part de possession du pipeline.
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