L`aide à l`annonce et au coming out
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L`aide à l`annonce et au coming out
L’aide à l’annonce et au coming out : avancées et limites. DOCTEUR PATRICK LEUILLET GYNÉCOLOGUE, SEXOLOGUE, SEXOTHÉRAPEUTE CONSULTANT EN GYNÉCOLOGIE PSYCHOSOMATIQUE DIRECTEUR D’ENSEIGNEMENT DES DIU DE SEXOLOGIE ET D’ÉTUDE DE LA SEXUALITÉ HUMAINE, AMIENS L’homosexualité n’est pas qu’une simple En introduction conduite sexuelle, manifeste ou non. Elle s’exprime au travers de comportements tout aussi nombreux et complexes que ceux que partage la majorité hétérosexuelle. Même si l’homosexualité ne fait plus partie des désordres mentaux (DSM, 1973) et des perversions (OMS, 1983), pour nombre d’homosexuels, les réserves morales et les représentations péjoratives, ont moins évolué qu’on le dit. La perception sociale de l’homosexualité n’est pas encore complètement normalisée. En introduction Un long chemin parsemé d’embûches conduit l’individu : de la première reconnaissance d’excitation de type homosexuelle à la définition de lui-même comme homosexuel. Les Anglophones nomment ce processus coming-out. En France, on ne retient de cette expression que sa finalité, c’est-à-dire la revendication publique de l’identité homosexuelle*. *Birch et Gringrich (2000), Castaneda (1999), Maiffret et Vasconcellos, (2004) Le coming out En anthropologie, le coming out est souvent décrit comme un rite de passage. (Herdt, 1989) La psychologie sociale le considère comme « un processus d’identification de soi ou un processus développemental lors duquel les personnes homosexuelles reconnaissent leurs préférences sexuelles et choisissent de les intégrer dans leur vie personnelle et sociale » (De Monteflores et Schultz, 1978) Un consensus retiendra cette acception : le coming out est un processus individuel associé à l’orientation homosexuelle et signifie révéler/divulguer son homosexualité aux autres. (Rench, 1990) Le coming out ou « coming out of the closet » L’anglicisme de l’expression « sortir du placard ». En fait, « placard » est une précieuse trouvaille dont l’efficacité est attestée par la résonnance toute particulière de la métaphore. « Placard » dit « à la fois le ridicule et l’inconfort : c’est dans un placard que le théâtre bourgeois cache les amours illégitimes et l’on sait comme la planque est précaire (Mangeot, 2003). Le placard On l’emploie pour désigner le lieu social et psychologique dans lequel sont enfermés les gais et les lesbiennes qui dissimulent leur homosexualité. L’expérience du placard est la condition originelle de tout(e) homosexuel(le) quand la préférence hétérosexuelle apparaît comme une évidence a priori. Le « placard » La notion de « placard » Le terme est naît : peut aussi s’envisager de deux dans ces années de façons : non seulement individuelle et biographique mais encore, collective et historique. libération homosexuelle où une génération voulut s’affranchir d’un passé d’invisibilité. avec les premiers activistes sida à New York qui luttaient contre la clandestinité et l’invisibilité sociale dont souffraient les sidéens. (Rolin, 2006) Le « placard » Au commencement : Dans ces conditions : Il y a la présomption La découverte de d’hétérosexualité : un hétérosexuel n’est pas concerné à la question de savoir s’il doit ou non dire ce qu’il est, constituant le terrain a priori de l’ensemble de ses relations sociales. préférences homosexuelles est : immédiatement contemporaine de l’expérience sensible du placard, modèle de présentation de soi homosexuelle : le passing (se faire) passer pour. Erving Goffman (1986) dans son analyse classique des stigmates sociaux souligne que l’homosexualité s’inscrit parmi les identités « discréditables », plutôt que « discréditées » ; s’élabore, à mi-chemin entre l’intuition et l’expérience au cas par cas, une forme d’intelligence du social propre à toutes les populations minorisées ; décrit fort bien : Cette tendance de ceux qui sont porteurs d’un « stigmate » invisible Ce travail de l’apparence afin : de ne pas prendre le risque d’être « percé à jour » et/ou se mettre à l’abri de l’injure, potentialité dont la menace reste toujours présente à l’esprit afin qu’elle ne devienne pas un enfer au quotidien. Force aussi est de constater une grande plasticité du placard. Michael Pollak (1982) Michael Pollak (1988) La « double vie » L’émergence d’une norme homosexuelle Comment se forme et se vit l’identité homosexuelle dans une société : qui pose encore un interdit sur cette forme d’affectivité mais dans laquelle la libération des mœurs a ouvert des espaces de sociabilité spécifique. nouvelle, contrainte de « vérité sur soi-même » dans un contexte d’une politique gaie de la vérité. Ce qu’on appelait « manque », « malaise », « compromis », se nomme désormais « compromission ». La « fierté » homosexuelle est peut-être à la fois libération et injonction : une norme chassant l’autre. Michel Foucault (1976) évoquait déjà cette « volonté de savoir qui traverse tout notre rapport au sexe. Volonté de savoir à ce point impérieuse, et dans laquelle nous sommes si enveloppés, que nous en sommes arrivés non seulement à chercher la vérité du sexe, mais à lui demander notre propre vérité. » introduisant ainsi le doute dans l’évidence normative du dévoilement. Ceci permet de souligner C’est évoquer l’évidence du modèle qui les recherches actuelles fait basculer du passing au coming out: demande à être, au moins pour une part, remise en cause. comme « vérité » historique, théorique et politique de l’homosexualité sur les gays et lesbiennes qui en ont ainsi proposé la critique, avec des visions différentes : d’un côté théorique et épistémologique, de l’autre plus historique. Du côté théorique et épistémologique Du côté plus historique Eve Kosofsky Sedgwick Allan Bérubé (1991), son dans son remarquable essai, Epistemology of the closet (1990), de grande influence aux Etats-Unis et au-delà. Didier Eribon (1999) dans sa récente phénoménologie de la vie gaie, développe le prolongement existentiel de cette analyse théorique. ouvrage pionnier sur la révélation homosexuelle Coming out Under Fire, dans lequel l’auteur évoque l’historicité du coming out. George Chauncey (1994), son étude sur Gay New York au début du siècle, a repris cette analyse, pour en préciser la logique chronologique et les implications théoriques. Eve Kosofsky Sedgwick (1990) Elle critique l’illusion politique, née de Stonewall, selon laquelle on pourrait véritablement « sortir » de « l’épistémologie du placard ». Elle y rappelle : on est jamais complètement dedans, on est jamais complètement sorti du placard. Autrement dit, lorsqu’elle pose que « le placard est la structure qui définit l’oppression gaie au cours de ce siècle », il importe de lire cette oppression au présent, et non au passé. (Eric Fassin, 2008) De fait : la structure de l’hétérosexisme n’a pas disparu avec la « libération » gaie le coming out ne permet pas de lui échapper. Pour Didier Eribon (1999) Le coming out est sans doute un « instant » de basculement, telle une « conversion ». Il n’en est pas moins : une entreprise interminable, « le projet de toute une vie ». Selon ce philosophe et historien, « un gay n’en a jamais fini avec la nécessité de se choisir lui-même face à la société et à la stigmatisation ». Le geste du coming out est : loin d’être figé dans un passé, sans cesse réactualisé au présent. La personne homosexuelle n’en a jamais fini avec la menace de l’injure, « constitutive de la subjectivité homosexuelle ». Allan Bérubé (1991) Evoque l’historicité du coming out. Selon lui, la même expression pouvait renvoyer, selon les moments : à l’initiation sexuelle (la première expérience) à l’intronisation homosexuelle (l’entrée dans le monde gai) à la déclaration publique (l’annonce au monde hétérosexuel). Autrement dit, trois logiques d’une révélation qui n’est pas entièrement définie par l’évènement quasi mythique de la libération gay de Stonewall. George Chauncey (1994) Retient la triple logique, biographique, politique et historique mais cerne plus volontiers la singularité historique, du coming out et de son envers, le placard. Ce qui lui permet de rehistoriser le placard en en situant la période culminante dans les années 1940-1950, au moins aux Etats-Unis d’Amérique. A l’époque, coming out se limite à décrire une initiation sexuelle, une pratique privée, voire cachée concernant la population homosexuelle, A la différence des années soixante-dix où le public visé par l’annonce n’est plus homosexuel, mais hétérosexuel. Au terme de ces réflexions, Le coming-out organise la vie homosexuelle : sur le modèle binaire d’un « avant » et d’un « après », à la manière d’une seconde naissance, « born again », en opposition au modèle, continu et progressif de la construction hétérosexuelle. Comme le dit si bien Eric Fassin (2008 ), « on naitrait un jour à la vie homosexuelle dans la déchirure d’une reconnaissance, à ses yeux et aux yeux des autres, de ce qu’on est, c’est-à-dire de la vérité de ce qu’on a toujours été ». A la lumière des recherches récentes Peut-être faut-il être plus nuancé. Tout d’abord, comme le dit à juste titre Didier Eribon (1999), « de quel droit on peut obliger les individus … à dire ce qu’ils sont, même si l’on peut déplorer qu’ils préfèrent ne pas le dire ». Le coming out : Se doit d’être avant tout une démarche personnelle, d’autant plus qu’il s’agit d’un cheminement long ; Peut être le dégagement aussi être l’occasion de risques psychopathologiques, d’autant plus qu’il est sans cesse réactivé. Des corrélations significatives ont été trouvées entre l’homosexualité et la dépression et/ou le suicide [Tremblay, 1995], l’anxiété [Bosker, 2003], la honte et la solitude. Étapes de la construction identitaire homosexuelle De nombreuses publications de la fin du siècle dernier ont tenté de construire des modèles théoriques de l’intégration identitaire de l’homosexualité qui font toutes état de différents stades dans ce parcours. (Cass, 1979 ; Troiden, 1977) Maigret et Vasconcillos (2004) : en retiennent quatre tout en soulignant que ces étapes ne sont ni linéaires ni exclusives, des fluctuations et des régressions pouvant se rencontrer. font un travail très intéressant en tentant de rapprocher les données issues de l’observation sociologique avec, celles plus spécifiques de la dynamique intrapsychique de la psychanalyse. Le premier stade de sensibilisation Durant l’enfance avant la puberté Caractérisé par : une perception générale de marginalité et de sentiment de différence par rapport aux pairs du même sexe. Les perspectives sociologique et psychanalytique se rejoignent parfaitement … l’enfance, étape clef : la socialisation des critères de genre pour l’une (Bell et al, 1981) la construction de l’identité sexuelle pour l’autre (Stoller, 1989). Le deuxième stade de confusion d’identité Prend forme à l’adolescence : Le jeune commence à penser que ses sentiments et ses comportements peuvent être perçus comme « homosexuels ». Mais l’idée qu’il est potentiellement homosexuel est dissonante d’avec l’image de soi qui primait jusqu’alors. Ce trouble identitaire exige la mise en place de stratégies de résolution. Cinq modes ont été décrits : Le désaveu (Cass, 1971 ; Coleman, 1982), La réparation (Schäfer, 1976), L’ évitement (Cass,1971), La redéfinition et l’acceptation [Cass, 1971 ; Troiden, 1977). Le deuxième stade de confusion d’identité Il est fréquent que cette seconde étape s’étende sur une longue période. Elle nécessite la redéfinition et l’explication de comportements condamnés socialement, entourés d’un stéréotype fortement connoté péjorativement. On retrouve là l’ancienne classification psychiatrique connue sous le nom : Homosexualité égo-dystonique, Homosexualité égo-syntonique. Le deuxième stade de confusion d’identité Il devient possible quand la stratégie d’acceptation a résorbé au moins partiellement le trouble identitaire. Il débute à la fin de l’adolescence : époque de la remise en question des idéaux parentaux et sociaux, quand la pulsion sexuelle réapparait dans sa forme adulte, orientée vers la satisfaction dans la relation intime avec l’autre. Les éléments fondamentaux résident dans : L’auto-définition de soi comme homosexuel, L’acceptation de l’identité homosexuelle, L’association avec d’autres du même groupe, Les premières expériences sexuelles, L’exploration de la culture homosexuelle. Le troisième stade de conciliation C’est la première étape du processus plus large de coming-out. A ce stade : L’ identité est plus tolérée que délibérément acceptée (Cass, 1979) ; La personne homosexuelle doit réaménager le stigma et lui trouver une issue (Humphreys, 1972). Pour cet auteur, quatre stratégies sont possibles : La « capitulation » soit le refus de la satisfaction homosexuelle ; L’adhésion quand le groupe homosexuel prend la place de l’idéal La « double-vie » ; L’investissement massif pouvant aller jusqu’à la contestation de l’hétérosexualité. Le quatrième et dernier stade C’est l’engagement, l’adoption de l’homosexualité comme mode de vie. C’est l’acceptation de soi avec l’ identité et le choix d’objet homosexuel. C’est l’identité authentique avec congruence interne, source de bien-être. C’est l’étape supplémentaire dans le processus de coming out où la révélation publique de son identité est d’autant plus aisée. En ce qui concerne la prise en charge Les professionnels de la santé rencontrent toujours des personnes pour lesquelles il est toujours très difficile : de s’accepter en tant qu’homosexuel et se faire accepter des autres avec leur inclinaison homosexuelle Comprendre les enjeux de cette épreuve : peut éclairer les professionnels amenés à accompagner des sujets au long de ce parcours, d’autant plus que des chercheurs tels Pennebaket et al (1988) ont documenté les effets bénéfiques sur la santé somatique corrélés à la révélation d’un secret traumatique. En ce qui concerne la prise en charge Les thérapies comportementales et cognitives trouvent un nouveau terrain d’application : du fait du développement de schémas dysfonctionnels, de distorsions cognitives associées à des pensées automatiques et des émotions négatives ainsi que l’apparition de comportements inadaptés (Millêttre, 2004 ; Young et Klosko, 1995). Ces symptômes : témoignent d’un retrait personnel et social associés à une douleur psychique ; sont le résultat d’un conflit intrapsychique. D’un point de vue psychodynamique, le coming-out est le processus par lequel les composantes de l’idéal du moi sont remaniées pour établir la réévaluation positive des pulsions et permettre ainsi une certaine restauration narcissique du moi (Maiffret et Vasconcellos, 2004). En conclusion Cette perspective globale permet de mettre en évidence que : le stéréotype social de l’homosexualité affecte profondément la formation et l’aménagement de l’identité du sujet homosexuel qui doit faire un intense travail psychique d’aménagement des références idéales pour aboutir à une synthèse identitaire satisfaisante intégrant les pulsions du moi. (Maiffert et Vasconcellos, 2004). Pour comprendre le processus du coming out, mettre en évidence les mécanismes mobilisés: il faut savoir utiliser des concepts théoriques suffisamment larges englobant les points de vue psychanalytique, cognitiviste et sociologique en vue d’une aide efficiente dans l’accompagnement, dans le respect de la réalité de la personne homosexuelle … son homosexualité à lui (elle). (Castaneda, 1999) Comme le dit si bien Marina CASTANEDA : « Quand on travaille l’identité homosexuelle, il ne faut jamais en rester au fait qu’une personne se dise homosexuelle. Il faut lui demander pourquoi, depuis quand, comment elle le sait … Il ne s’agit pas de découvrir la vérité, mais de construire une narration personnelle. Le but n’est pas la connaissance mais l’appropriation de l’homosexualité pour soi. » Je vous remercie de votre attention …