EN PRÉPA LITTÉRAIRE - SAINT

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EN PRÉPA LITTÉRAIRE - SAINT
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1 enseignante, 3 élèves : 4 témoignages pour un grand entretien
ENSEIGNER ET ÉTUDIER
EN PRÉPA LITTÉRAIRE
par Élisabeth Di Marco,
professeur de chaire supérieure au lycée Saint-Exupéry, à Mantes-la-Jolie
Nous avons toujours pensé qu’il était utile de faire
figurer dans ce numéro d’Espace Prépas spécialement
réalisé à l’attention des littéraires des témoignages
d’élèves (anciens) khâgneux ayant fait le choix des
écoles de management. Pour aider à « dédramatiser »,
accompagner la projection, encourager l’ouverture.
L’occasion nous a été donnée cette année de publier
un long entretien réalisé par une enseignante avec
trois de ses (anciennes) élèves aujourd’hui à
différentes étapes de leur parcours : Céline est
diplômée d’une école de management depuis 2005,
Amira poursuit son cursus en 2e année, Malika a choisi
de cuber. Élisabeth Di Marco, professeur d’espagnol au
lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie depuis 1998 a
largement contribué à leur réussite académique et
continue de suivre leurs parcours. Elles-mêmes
n’hésitent pas à témoigner et ont participé avec
enthousiasme à l’anniversaire des 15 ans de leur
classe préparatoire A/L, en 2013 (20 ans pour les
prépas EC et S). C’est Élisabeth Di Marco — nous l’en
remercions — qui a pris l’initiative de cet échange
fourni, assorti de quelques bons conseils à l’attention
de ceux d’entre vous qui souhaitent préparer les
concours des écoles de commerce et d’un témoignage
édifiant sur l’évolution de la formation en prépa
littéraire mettant en lumière le rôle des enseignants
dans le destin de « carrière » académique et
professionnelle des élèves. Le tout offrant un large
aperçu d’une voie dont l’image se modernise, et qui
prend une place de plus en plus affirmée dans le
paysage de l’enseignement supérieur français.
Stéphanie Ouezman
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Espace Prépas : hors-série « spécial littéraires »
Élisabeth Di Marco. Vous rappelez-vous votre décision de vous inscrire
en prépa A/L au lycée Saint-Exupéry ? Ce choix s’est fait en terminale, en première ? Cette décision est-elle personnelle ou motivée
par l’intervention d’une tierce personne ?
Céline. À l’issue de mon cursus au lycée qui m’a permis d’obtenir un bac
S, les mathématiques ont eu raison de moi ! Je me suis longuement interrogée lors de mon année de terminale sur la suite à donner à mes
études. La perspective de rejoindre les bancs de l’université ne m’enchantait pas vraiment et en assistant à divers forums d’orientation, j’ai
découvert les classes prépa. Mon intérêt pour les langues vivantes ainsi
que pour les matières littéraires m’a tout naturellement incitée à postuler en hypokhâgne.
Comme beaucoup d’étudiants, mon choix s’est dans un premier temps
porté sur Mantes pour des questions de logistique. Mes parents habitant
Limay, il était plus simple pour moi de me rendre quotidiennement à
Saint-Exupéry que de faire les allers-retours à Paris ou même à SaintGermain-en-Laye. Cependant, ce qui a réellement été déterminant dans
ma décision, c’est la lettre de réponse positive que j’ai reçue des professeurs de la prépa littéraire de Saint-Exupéry : sa personnalisation dénotait déjà l’intérêt porté à chaque étudiant et la proximité de
l’enseignement qui y était proposé.
Amira. Oui je m’en souviens ! J’ai pris ma décision lors de ma terminale,
c’est notamment grâce à ma professeure d’espagnol que j’ai été motivée
pour intégrer une classe préparatoire. J’ai beaucoup hésité avant de me
lancer dans ce cursus soutenu, mais je me suis dit que j’allais pouvoir
suivre des études pluridisciplinaires de très bonne qualité et que cela
me laisserait le temps de choisir précisément ce que je souhaiterais
faire plus tard.
Malika. J’ai fait mon choix en terminale après le passage des épreuves du
bac. Au début je me dirigeais plutôt vers la faculté de droit de Paris
Assas (Paris 2), pour laquelle j’étais sur liste d’attente, mais j’ai décidé
de démissionner, malgré mes chances de l’intégrer, pour revenir sur ce
que j’estimais être le meilleur des chemins : la classe préparatoire.
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Cependant, ce choix n’a pas été totalement
personnel : déjà, mes professeurs et mes
proches m’avaient exhortée dans ce sens. Je
me souviens encore de ma grand-mère me
disant: « La classe prépa se prend à la porte
du lycée, vas-y, et puis si ça te plaît vraiment
pas, tu iras à l’université. L’inverse sera difficile: si tu entres tout de suite à l’université,
tu as peu de chances de revenir vers la
prépa. » J’ai donc appelé tous les lycées des
Yvelines où il y avait des classes préparatoires, et j’ai non seulement découvert que le
lycée Saint-Exupéry à Mantes-la-Jolie faisait
les parcours hypokhâgne et khâgne, mais de
surcroît, qu’il y restait de la place. J’ai été sélectionnée après examen de mon dossier par
le corps enseignant. Aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir fait ce choix; je continue
de penser que c’est une des meilleures décisions que j’ai pu prendre, même si, de prime
abord, ce n’était pas évident.
E.D.M. Seriez-vous capable de me dire à
quel moment vous est venue cette idée de
préparer les concours d’entrée aux ESC?
Aviez-vous un projet précis en tête ou hésitiez-vous encore entre deux, voire trois
options? Comment avez-vous travaillé sur
votre projet d’orientation?
Céline. Le fait de rejoindre une classe préparatoire était pour moi l’opportunité de me
laisser encore un peu de temps après le bac
pour déterminer mon parcours professionnel, tout en acquérant un bagage solide pour
l’avenir en termes de rigueur, de méthodologie de travail…
À l’issue de l’année d’hypokhâgne, il était
clair pour moi que je ne souhaitais pas me
diriger vers l’enseignement. C’est en échangeant avec vous, Mme Di Marco, et mes anciens camarades de lycée qui avaient choisi
de rejoindre la classe prépa éco de SaintExupéry que l’idée de tenter les concours
pour entrer en école de commerce a commencé à mûrir et à me séduire.
Amira. À vrai dire, je souhaitais faire
Sciences Po à l’entrée en prépa. Le côté politique m’intéressait beaucoup. Mais après
avoir discuté avec des anciens de la prépa
littéraire qui ont fait une école de management, je me suis orientée vers cette voie qui
me plaisait. Dès lors, dès mes débuts en hypokhâgne, je me suis fixé l’objectif d’intégrer une ESC ; et très vite j’ai abandonné
l’idée de faire Sciences Po. Puis j’ai également échangé avec les professeurs et nous
avons travaillé ensemble sur mon orientation et la préparation au concours dès l’hypokhâgne.
Malika. Je ne me suis pas intéressée d’emblée
aux écoles de management. Pour moi, la fin
était claire: je voulais faire un parcours politico-droit, ou être dans l’enseignement, voire
les deux. Mais je me suis rendu compte au fil
du temps, notamment au début de la
khâgne, que les écoles de commerce, qui
sont à leur juste dénomination des écoles de
management, étaient très riches et offraient
une multiplicité de parcours possibles ;
qu’on pouvait par exemple au sein d’une
même école faire un cursus de commerce international assorti à une formation politique,
c’est le cas à SKEMA ou encore à l’EM
Strasbourg. Par ailleurs, je dois ajouter que
toute la vie de la prépa a contribué à m’intéresser aux écoles de management: nos professeurs organisent régulièrement des
rencontres interfilières (avec les prépas économiques et scientifiques du lycée de promotions actuelles ou antérieures), lors de
forums ou de séjours d’intégration. J’ai non
seulement pu y échanger au sujet de ces
écoles, qui a priori, semblent être ouvertes
aux profils littéraires, mais j’y ai aussi tissé
des liens d’amitié indéfectibles avec d’autres
élèves. Enfin, mes premiers pas dans le
monde politique ne cessent de me confirmer
qu’un bon politicien doit être un bon gestionnaire et en ce sens, je pense que les
écoles de management sont formatrices.
E.D.M. Il est indéniable que l’entraînement
de nos préparationnaires intéressés par
les ESC a considérablement évolué au
cours de ces années. Vous en êtes toutes
les trois un vivant exemple. Pouvez-vous
m’aider à le démontrer?
Céline. J’ai fait partie des premiers étudiants
de prépa littéraire à Saint-Exupéry à tenter
les concours aux écoles de commerce, et il
est vrai que les méthodes de préparation
étaient plutôt artisanales à l’époque. Je suivais tous mes cours avec mes camarades de
prépa littéraire mais je faisais aussi
quelques heures supplémentaires avec le
“clan éco”: je participais à certains de leurs
cours d’espagnol et d’anglais afin de travailler sur des sujets d’actualité économique,
je rejoignais leurs sessions d’écoute en laboratoire de langues et je planchais bien entendu sur des colles complémentaires,
délaissant Aristote et García Márquez l’espace de quelques heures pour le New York
Times ou El País!
J’ai eu beaucoup de chance par rapport à l’accompagnement et au soutien qui m’ont été
apportés au cours de cette période, notamment par vous, Mme Di Marco. Je garde éga-
Amira Azouaou, 21 ans, en 2e année
à l’ISC Paris
« Amira faisait partie
de la promo 20112013. Elle occupe un
poste au sein de
l’association
humanitaire de l’ISC
Paris : Aide Mondiale.
Elle envisage de faire
une année de césure en France et à
l’étranger entre son M1 et son M2 pour
bénéficier d’une expérience
professionnelle valorisante et elle compte
se spécialiser en management des
systèmes d’information lors de son M2.
Par ailleurs, pour compléter son parcours,
elle espère pouvoir faire un double
diplôme à l’étranger lors de son M2. »
Malika Sakhi, 21 ans, a choisi de refaire
une khâgne
« Malika n’est pas
mon étudiante car elle
est germaniste, mais
nous nous connaissons
bien et échangeons
très régulièrement sur
les concours et tout
autre sujet qui nous
passionne. Malika a fait le choix de cuber
cette année pour obtenir l’école de ses
rêves : Science Po ou SKEMA et la
possibilité de faire un double cursus,
commerce international et sciences
politiques. »
Céline Bertheaume, 32 ans, diplômée
de l’ESC Rennes en 2005, associée et
directrice des opérations de la société iDalgo
« Céline a fait partie
de nos premières
promos, elle a été mon
étudiante entre 2000
et 2002. Elle a rejoint
la prépa littéraire de
Saint-Exupéry après un
bac scientifique, et a
été l’une des premières étudiantes de ce
cursus à tenter les concours d’écoles de
management, à l’époque on disait plutôt
« écoles de commerce », ce qui avait
d’ailleurs un effet repoussoir, les littéraires
se demandant ce qu’ils pouvaient bien
trouver dans ces écoles. Son choix s’est
porté sur l’ESC Rennes, où elle a obtenu un
Master en commerce international en 2005,
après une année passée en échange
universitaire en Nouvelle-Zélande. En 2006,
elle a rejoint le cabinet de conseil en
recrutement Clémentine, spécialisé dans
les nouvelles technologies et le digital, en
tant que consultante. En septembre 2012,
elle a quitté le conseil pour se lancer dans
un projet entrepreneurial, dans un domaine
qui la passionne depuis longtemps — le
sport — et est devenue associée et
directrice des opérations de la société
iDalgo, spécialisée dans la création,
réalisation et diffusion de contenus sportifs
dans le monde des médias et du web. »
Décembre 2014
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CÉLINE
Céline et quelques camarades de prépa
posent devant le tableau il y a 15 ans.
lement un très bon souvenir des étudiants de
prépa éco qui m’ont accueillie dans leurs
groupes de travail sans aucun jugement et
avec beaucoup d’enthousiasme.
Amira. Oui c’est exact! Il y a un véritable
suivi pour les étudiants qui sont intéressés
par un concours spécifique, ici celui des ESC.
Je me souviens de mes premiers concours
blancs en hypokhâgne, pendant lesquels je
me suis entraînée aux épreuves de la BCE en
plus de celles de l’ENS. En khâgne, j’ai continué à préparer de manière intensive mes
concours en m’entraînant aux différentes
épreuves écrites. Avec mon professeur de
lettres modernes, M. Muller, je préparais les
contraction et synthèse de texte : deux
épreuves importantes pour les ESC. En
langue, avec vous, le suivi était très rapproché. On avait la chance d’avoir des professeurs impliqués qui s’inquiétaient de notre
réussite. Pour l’oral aussi je me suis sentie
soutenue, ils n’ont pas hésité à me proposer
leur aide. Je me souviens encore de ma préparation à l’entretien de personnalité avec
mon professeur de philosophie qui m’a beaucoup apporté, ainsi qu’avec ma professeure
de grec ancien, Mme Doriath qui m’a reçue
chez elle juste pour m’aider à travailler ces
épreuves. C’est un certain luxe en prépa
d’avoir ce type d’entraînement très personnalisé.
Avec ses camarades de l’ESC Rennes, dernière
soirée avant le départ en échange académique.
Malika. Ce que je peux dire de mon expérience : dès le début, nos professeurs ont
mis en place des programmes spécifiques
pour ceux qui voulaient tenter ce type
d’écoles. Nous avons la chance inouïe à
Saint-Exupéry, notamment grâce à l’effectif
réduit des classes, d’avoir un encadrement
personnalisé pour nous entraîner au format des épreuves des écoles de commerce.
Pour l’écrit, les cours de civilisation en
langue allemande, anglaise ou encore espagnole pour les hispanisants, sont centrés
autour de questions historiques mais aussi
d’actualité, ce qui nous aide à penser nos
essais linguistiques en vue du concours.
Pour les épreuves de synthèse ou encore de
contraction de texte qui sont propres aux
écoles de commerce, les professeurs envoient des travaux supplémentaires aux intéressés par mail. Pour un entraînement en
temps réel, nous avons également la possibilité de composer sur table avec les prépas
économiques les samedis matin. Concernant l’oral, nos professeurs organisent
deux à trois sessions d’entraînements
oraux par an, appelés « entretiens de personnalité » et devant un jury dont la composition respecte généralement ce type de
schéma : un ancien élève, un professeur et
un professionnel d’entreprise, parfois les
trois en même temps. Mais les professeurs
En Nouvelle Zélande, en 2005,
Céline pose devant le lac Hawea.
ne se contentent pas de nous entraîner sur
le plan intellectuel, ils participent et nous
poussent à construire notre personnalité
par le biais d’actions ponctuelles, le plus
souvent associatives, notamment avec les
membres du Lions Club. Cette valeur ajoutée est non négligeable pour la réussite de
nos parcours à court, moyen, mais aussi
à long terme, dans la mesure où nous montrons notre potentiel humain et notre originalité.
E.D.M. Pouvez-vous me dire si cette décision de tenter ces concours bien particuliers a (eu) une incidence sur vos
rapports avec les autres étudiants ou
avec vos professeurs ? Vous sent(i)ezvous « différentes » des autres ?
Céline. Le fait d’être la seule de ma promotion à tenter cette aventure a forcément
suscité quelques interrogations de la part
de mes camarades, mais il s’agissait plus
de curiosité que d’un jugement négatif. Je
venais déjà d’un environnement assez différent du leur, avec mon parcours préalable en filière scientifique ; ils n’ont donc
pas été réellement surpris par mon choix !
Du côté du corps professoral, le discours
était à l’époque très clair : l’objectif de la
prépa littéraire est avant tout de préparer
une entrée à Ulm. Les écoles de commerce
Retour sur l’histoire d’une
filière pas comme les autres…
En 2013, le lycée Saint-Exupéry
de Mantes-la-Jolie fêtait les 15 ans
de sa prépa A/L.
Diversité, excellence, proximité et ouverture
sociale caractérisent cette classe préparatoire
littéraire qui a aussi connu des difficultés et
continue de combattre certains a priori sur la
formation et l’autocensure de quelques élèves à
l’aide d’une équipe enseignante dynamique
dont fait partie Élisabeth Di Marco qui y
enseigne l’espagnol depuis 1998. Elle
témoigne…
« Depuis 1998, des centaines d’élèves ont
été formés dans nos classes d’hypokhâgne et
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Espace Prépas : hors-série « spécial littéraires »
Élisabeth Di Marco (à droite) entourée de ses étudiants lors des
séjours d’étude en Espagne qu’elle organise régulièrement.
de khâgne par des équipes pédagogiques
qui se sont beaucoup renouvelées avec le
temps mais qui restent fidèles à l’esprit des
débuts : offrir un enseignement de très
grande qualité à proximité, faire vivre un
pôle d’excellence à la portée des meilleurs
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n’avaient donc pas vraiment leur place
dans le programme. Heureusement, certains membres de l’équipe avaient un regard différent, plus ouvert sur le sujet, et
ont su faire bouger les lignes.
Amira. Non pas du tout, cela n’a changé en
rien mes rapports avec les autres étudiants
ni même avec mes professeurs. Certains
étaient enthousiastes de voir que des profils littéraires se préparaient aux ESC.
Différente non, plutôt atypique, car certains ne voyaient pas le rapport entre une
CPGE littéraire et une ESC ; c’est vrai, il y
en a peu, mais cela permet à la fois de
suivre un parcours original et d’avoir un
profil qui sort de l’ordinaire.
Malika. Absolument pas, je ne me suis jamais sentie différente au sens de « un peu
à part », voire « exclue » de la classe. Mais
si on regarde bien, on est en définitive tous
différents dans la classe, puisque personne
n’a les mêmes projets d’études, professionnels, ou de vie pour les plus visionnaires.
Pour répondre plus précisément à la question, je suis convaincue que c’est ce refus
du « moule » qui fait à la fois la particularité et la richesse de Saint-Exupéry. Et à
l’inverse ce sont justement nos « différences » qui nous ont permis de créer des
liens exceptionnels avec nos professeurs et
nos camarades.
gique à donner à mon parcours. Près de dix
ans après avoir été diplômée de l’ESC
Rennes, ce sentiment reste intact. Je pense
que la diversité de mon parcours a été un
réel atout pour m’intégrer sans difficulté
dans le monde du travail et m’y épanouir encore pleinement aujourd’hui en tant qu’entrepreneur.
Amira. Oui tout à fait, je me voyais très bien
en ESC. J’avais le sentiment que c’était
ce qu’il me fallait tant sur le plan académique que professionnel, car à mon sens si
on intègre une ESC c’est surtout pour s’insérer plus sereinement dans le monde professionnel.
Malika. Pour être honnête, j’ai eu des doutes
plus d’une fois. Il faut avouer qu’il y a tout de
même un monde entre Kant et Keynes, entre
la dissertation d’histoire et l’élaboration d’un
business plan, mais je pense que si ces écoles
recrutent des profils littéraires, c’est que
nous y avons notre place. Nous allons apporter un regard différent et paradoxalement
« neuf » à ces cursus, et plus largement aux
métiers qui en découlent. Les littéraires ont,
en général, bien au-delà de leur talent pour
communiquer et rédiger, cette faculté de voir
le monde avec ouverture et pénétration d’es-
prit tout en étant pétris d’une culture mêlant
savoirs anciens et nouveaux; cela rend le
traitement des problématiques plus intéressant et permet d’y apporter une réponse pertinente. Il me semble qu’après tout ça,
l’épanouissement va de soi, non? (Rires.)
E.D.M. Pensez-vous que cette formation
suivie au cours de ces deux, voire trois ans
en prépa littéraire soit un plus pour les
écoles de management qui vous ont accueillies ou qui vont vous accueillir? En
d’autres termes, que pensez-vous apporter
ou avoir apporté à votre école?
Céline. Lorsque j’ai rejoint l’ESC Rennes en
2002, ma promotion comptait environ 300
étudiants et nous n’étions qu’une poignée à
avoir été intégrés suite à une prépa littéraire.
Je pense que les choses sont bien différentes
aujourd’hui, comme pourra sûrement en témoigner Amira.
AMIRA
E.D.M. Avez-vous toujours eu l’impression
que les ESC étaient faites pour vous, que
vous y trouveriez votre place et la certitude
d’un épanouissement intellectuel et professionnel?
Céline. Je n’ai en effet jamais eu de doutes
quant à mon choix de rejoindre une école de
commerce. Plus je me préparais pour les
concours et me renseignais sur les écoles,
plus j’étais convaincue que c’était la suite lo-
bacheliers mais aussi de tous les élèves
suffisamment volontaires et sérieux, désireux
de se dépasser et de progresser.
Intégrer des profils variés
Des trois filières présentes au lycée SaintExupéry, l’hypokhâgne et la khâgne sont
certainement les classes qui jouent le plus la
carte de la diversité : diversité des profils
d’étudiants venus de terminales littéraires,
notamment des sections artistiques, mais
aussi de terminales ES et S ; diversité des
parcours possibles à l’issue de la 2e année :
outre le concours de la rue d’Ulm, nos
littéraires sont préparés aux concours des
écoles de management, de Sciences Po, des
IEP ou de toutes les écoles de
communication, d’architecture, de
journalisme, sans oublier le partenariat
privilégié que nous avons avec l’ISIT Paris.
Amira entourée de ses camarades membres de
l’association humanitaire d’ISC Paris, Aide Mondiale.
Défendre la prépa
Si tout le monde s’accorde sur la valeur de ce
type d’enseignement de très haut niveau qui
donne aux étudiants passés par ces classes
littéraires une solide culture générale, une
méthode de travail à toute épreuve, un sens
de l’analyse et une aisance indéniable à l’oral
(des qualités qu’apprécient les ESC et les
entreprises), beaucoup demandent encore à
être convaincus de l’intérêt de faire une prépa
au lycée Saint-Exupéry : nous sommes
toujours aujourd’hui, et malgré nos excellents
résultats, confrontés à toutes sortes de
préjugés et d’idées toutes faites concernant
l’implantation de nos CPGE à Mantes-la-Jolie.
La meilleure réponse serait une invitation à
venir voir sur place le travail fait dans nos
classes, ce qui ne saurait être une parole en
l’air puisque depuis quelques années, nos
traditionnelles portes ouvertes ont été
remplacées par des “mini-stages”
Amira à l’ISC Paris lors de
sa soutenance orale pour le
projet associatif qu’elle
entreprend avec son équipe.
d’observation au cours desquels des
terminales issus des lycées du Mantois et
d’au-delà peuvent assister à un certain
nombre de cours puis débattre avec les
prépas et échanger avec les professeurs.
Il est aussi possible d’évoquer à grands traits
ce qui fait la spécificité de nos CPGE : tout
d’abord la volonté de former le mieux possible
dans nos classes l’ensemble de nos étudiants
afin de les aider à réaliser leur projet
d’orientation. C’est pour cette raison que nous
avons mis en place il y a une dizaine d’années
un renforcement horaire pour la préparation
aux concours spécifiques, dont ceux des ESC
avec des heures de civilisation en langues
étrangères ou un entraînement adapté aux
demandes concernant les épreuves de
contraction et de synthèse. Nous avons appris
aussi à entraîner de façon intensive nos
littéraires aux épreuves orales, notamment de
langues, par le biais des colles mais aussi en
Décembre 2014
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MALIKA
Dans le hall d’accueil du lycée Saint-Exupéry,
Malika est prête à accueillir les visiteurs du
forum de présentation des classes préparatoires.
Je suis convaincue que les étudiants de
prépa littéraire apportent un réel plus aux
écoles de management : leurs solides
connaissances culturelles, leur soif d’apprendre, leur maîtrise des langues vivantes
ou bien encore leurs facilités pour rédiger
sont autant de compétences recherchées par
ces grandes écoles, mais également par les
entreprises.
Amira. Je pense que c’est une richesse que
l’on promènera tout au long de notre cursus
en ESC et en entreprise. La prépa littéraire
est un enseignement pointilleux qui nous
conduit à une bonne maîtrise du français,
rare selon certains professionnels, qui nous
livre une méthodologie et une culture générale plutôt dense. Grâce à cet enseignement
on apprend également à argumenter, à
avancer nos idées et à les organiser, cela est
primordial si l’on souhaite bien réussir. Tout
ce savoir acquis me sert aujourd’hui en
école de management. Je ne sais pas si c’est
véritablement une valeur ajoutée car un étudiant en prépa éco a pu vivre la même expérience, mais il n’en demeure pas moins
que ce genre de profil donne une certaine
les associant aux groupes formés par les
prépas ECE lors des entraînements de fin
d’année ; ils travaillent alors les épreuves de
langues ou d’entretien avec des jurys
constitués de professionnels et d’anciens
étudiants en écoles ou déjà sur le marché du
travail.
Se rapprocher des écoles
de management
Force est de constater que ces choix n’ont pas
toujours fait l’unanimité, y compris au sein de
nos équipes. Il aura fallu vaincre un certain
nombre de résistances car nombreuses étaient
les interrogations. Quel effet à long terme
pouvait avoir cette porte ouverte sur un
monde bien différent, celui des écoles de
management qui elles-mêmes apprenaient à
découvrir tout l’intérêt d’accueillir de plus en
plus d’étudiants issus des filières littéraires, et
commençaient à roder leur discours à
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Espace Prépas : hors-série « spécial littéraires »
Malika participe à une vente aux
enchères de vins dans le cadre d’un
projet caritatif du Lions Club Val de Seine.
originalité et c’est cette richesse intellectuelle, académique que j’apporte au sein de
mon école, l’ISC Paris.
Malika. Évidemment. La classe préparatoire
m’a beaucoup apporté en termes de rigueur
de méthodes dans le travail — « apprendre à
apprendre » —, de culture aussi bien en
classe à travers divers supports (visuels, auditifs) que lors des nombreux voyages effectués (en Andalousie, à Rome, et à Athènes
pour février 2015). Tous ces éléments sont
des vecteurs indispensables pour la suite de
mes études et incontournables pour les futures écoles auxquelles j’aspire.
E.D.M. Que pensez-vous avoir le mieux
réussi? Quels sont aussi peut-être vos regrets? Quels conseils donneriez-vous aux
littéraires tentés par ce cursus?
Céline. Mes réussites, ce dont je suis la plus
fière? Très certainement d’avoir réussi à démontrer par mon propre parcours que le
choix d’une filière scientifique ou d’une
prépa littéraire à un certain moment de votre
vie, ne vous engage pas à y rester ad vitam
aeternam. On y acquiert un bagage culturel,
l’attention des khâgnes ? Proposer ce type
d’entraînements ne pouvait-il pas revenir à se
renier en partie en devenant une sorte de
« prépa éco déguisée » ou « sous-prépa éco »
(sic) ?
Faire le choix de l’entraînement multiple n’a
certes pas rencontré l’approbation générale
dans un premier temps, et je me souviens avec
un certain amusement que nous entraînions les
toutes premiers candidats, comme Céline, de
façon presque clandestine, sans trop oser le
dire. Faire ce choix supposait aussi tout
simplement que nous découvrions nousmêmes ce monde des ESC que nous ne
connaissions pas du tout : en comprenant
mieux les attentes des écoles, en nous
familiarisant avec les concours et les
différentes banques avant et après la mise en
place de la BEL, en découvrant les parcours
possibles pour nos étudiants sur des campus
qui étaient pour nous « terra incognita ». Sans
des méthodologies de travail, une ouverture
d’esprit… et toutes ces connaissances peuvent parfaitement être transposées dans des
environnements différents par la suite, si
vous le voulez. À partir du moment où votre
parcours est construit intelligemment, vous
pouvez tout tenter!
Mes regrets? Franchement, aucun.
Les conseils que je donnerais aux étudiants
qui souhaitent tenter l’aventure sont
simples.
– Devenez ce que vous êtes ! Ne laissez personne vous dire que, si vous souhaitiez
faire une école de commerce, il fallait vous
engager dans une prépa éco et non en hypokhâgne. Le choix d’une classe prépa littéraire pendant deux ou trois ans ne doit pas
vous limiter à tenter le concours d’entrée à
Ulm ou à réintégrer l’université. Sachez que
c’est une formation aujourd’hui reconnue
par bien des écoles (Sciences Po, écoles de
commerce, de journalisme, de design,... )
qui ont compris depuis des années maintenant tout l’intérêt des profils littéraires.
L’important pour vous est bien, avant tout,
de poursuivre un objectif d’épanouissement
intellectuel et professionnel.
– Appuyez-vous sur le réseau d’anciens de
prépa littéraire qui ont fait le choix de cette
aventure : nous sommes maintenant de
plus en plus nombreux dans ce cas et pouvons vous donner des conseils sur les préparations aux concours, l’intégration en
école de commerce, les débouchés possibles…
– Commencez tranquillement mais sérieusement à préparer vos concours dès l’année
d’hypokhâgne: sessions d’entraînement, informations sur les écoles pour trouver celles
qui vous correspondront le mieux en termes
de programme… C’est la meilleure méthode
oublier que nos équipes étaient constituées
très souvent d’anciens khâgneux ayant
toujours jeté un regard condescendant sur
leurs camarades de prépa HEC !
Développer une pédagogie originale
Au lycée Saint-Exupéry de Mantes, nous avons
aussi instauré une tradition, celle de la
participation régulière à des conférences de
haut vol, à Paris bien évidemment mais surtout
à Mantes même, avec la ferme intention de
« décentraliser la culture » : c’est ainsi que nous
avons eu l’honneur de recevoir des
personnalités comme Lise London ou Pascal
Boniface, un ancien de notre lycée, des
historiens comme Pierre Guichard ou Benjamin
Stora, des universitaires comme Jean
Canavaggio ou Daniel Ménager, des
romanciers comme Tony Cartano ou Laura
Alcoba… ; nous croyons aussi aux vertus du
suivi personnalisé à travers des expériences de
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Soyez motivés et demandeurs
Coin conseils…
Nouez des contacts
Pour travailler en commun : 1 et 2 années ont tout intérêt à se
reconnaître au plus vite comme candidats potentiels à ces concours
très particuliers et à travailler de concert : échanges de conseils
méthodologiques, séances d’entraînement aux épreuves écrites ou
orales, sans oublier les terribles listes de lexique à apprendre tous
ensemble dans la joie et la bonne humeur !
Pour vous projeter dans la suite de votre parcours : il est
essentiel de rencontrer les anciens de votre prépa littéraire, mais
aussi de prépas éco lors des forums, dans les jurys d’entraînement
ainsi que sur les réseaux sociaux. Nos anciens étudiants sont d’ailleurs
habitués au « tutorat par mail » et les plus fidèles occupent une place
de choix dans un listing que nous consultons régulièrement lorsque
nous avons besoin de témoignages ponctuels, qu’ils n’hésitent pas à
partager également sur le site www.prépamantes.fr, très consulté
par nos élèves. Ceux qui ont intégré une ESC ne demandent qu’à
transmettre leur expérience des concours, du choix de l’école, du
vécu dans ce nouvel environnement. Plus que de « réseau »,
nombreux sont nos anciens qui parlent de « famille » et de « solidarité
bien naturelle » entre ses membres.
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e
Les bons interlocuteurs : vos interlocuteurs privilégiés sont des
professeurs d’hypokhâgne et de khâgne qui enseignent parfois aussi
en prépa éco, qui font partie des jurys d’entraînement dans ces
mêmes classes, qui interviennent dans des jurys des banques d’ESC
pour la correction des épreuves écrites ou qui sont invités à faire
passer les oraux dans les écoles.
La bonne préparation : des entraînements spécifiques vous sont
proposés, notamment en langues, en synthèse et contraction, ou
pour les épreuves orales. Montrez votre désir d’être entraînés,
multipliez les occasions de DM, de DS, choisissez les épreuves
spécifiques pour mettre toutes les chances de votre côté. Un
professeur d’hypokhâgne ou de khâgne n’a pas à talonner ses
étudiants pour cet entraînement spécifique qui reste un « plus ».
C’est à l’étudiant de faire montre d’enthousiasme, de rigueur et
d’ambition ; de réclamer des sujets supplémentaires, des
interrogations orales spécifiques. C’est ainsi que s’instaureront un
dialogue et une relation de confiance entre le candidat aux ESC et
son/ses professeur(s) référent(s). Sans dialogue ni climat de confiance,
il sera plus difficile de franchir le cap parfois délicat des inscriptions
aux différents concours, du choix des écoles, ou de prendre certaines
décisions comme celle de cuber… ou pas.
pour vous donner l’opportunité d’entrer
dans l’école dont vous rêvez.
Amira. Je ne m’y attendais pas, mais j’ai eu
de très bonnes notes aux oraux (20/20 à
l’EM Strasbourg), les jurys sont très intéressés par les profils littéraires, je pense que
cela a joué en ma faveur. L’un de mes regrets : ma préparation aux écrits, avec le
concours de l’ENS et celui de la BCE il faut
bien gérer les temps de révisions et de repos. J’aurais aimé me sentir prête et maîtriser tous mes cours lors des écrits mais ce
qui est fait est fait ! Aujourd’hui je suis
contente de mon orientation.
Il faut apprendre à maîtriser son programme
de révisions, je pense qu’avec une bonne motivation et une préparation très à l’avance
(car le programme en prépa littéraire est
chargé), tout est réalisable. En fait il faut
adopter un rythme très soutenu dès la fin de
l’hypokhâgne et jusqu’à la fin des épreuves,
soit un an, si l’on souhaite intégrer l’école de
ses rêves!
Malika. Je vous dirai cela à la fin de ma troisième année (rires). En fait, je n’aime pas
trop tirer des bilans prématurément… Je dirais pour l’instant que j’ai bien réussi sur le
plan culturel, j’ai beaucoup appris dans divers domaines, et disons que je peux vraiment prétendre « avoir de la conversation ».
J’aimerais me perfectionner davantage en
langues, outils que je juge nécessaires dans
le monde du XXIe siècle. Si je devais donner
un conseil aux hypokhâgneux, c’est de
vivre leur prépa intensément. Ce sont
deux, voire trois années de travail rigoureux, mais les résultats sont au rendezvous avec un peu de patience. Alors foncez
et ayez confiance en vos qualités, même
dans la difficulté ! =
colles méthodologiques et de tutorat qui ont
leurs adeptes et leurs détracteurs, un suivi que
rendent possible nos effectifs à taille humaine ;
enfin, notre formation privilégie l’ouverture sur
le monde avec des séjours de travail à
l’étranger, la certification en allemand grâce à
un partenariat privilégié, notre Semaine
culturelle de fin d’année avec des promenades
thématiques et des visites de sites ou de
musées, des ateliers ou des cours à deux
voix… Sans oublier l’engagement de nos
étudiants dans des actions caritatives ou
humanitaires depuis le lancement de notre
partenariat avec le Lions Club Val de Seine qui
a permis à deux khâgneux de partir quinze
jours à Weimar cet été, pour une très belle
rencontre avec des jeunes de différentes
nationalités et des échanges sur la
construction européenne. Les projets sont
multiples et variés et disent notre grande soif
de renouvellement et d’adaptation à un public
forcément de plus en plus hétérogène. Sans
oublier le plaisir de travailler sur des projets
transdisciplinaires, en littérature ou histoire
notamment, qui visent à rappeler à nos
étudiants que le savoir ne saurait être
compartimenté et que la vraie et belle culture
générale s’élabore à la fois dans les cours, à la
bibliothèque mais aussi hors les murs du lycée.
Et l’avenir ?
Le chemin est encore long et rien n’est jamais
gagné : comment détecter le plus vite possible
les candidats potentiels à ces concours très
particuliers ? Comment faire comprendre aux
hypokhâgneux que c’est en démarrant dès la
rentrée l’entraînement spécifique qu’ils auront
toutes les chances d’intégrer une ESC ? Et que
c’est en s’entraînant sur les épreuves
spécifiques, sans pour autant délaisser le
parcours de formation classique, qu’ils
deviendront des candidats capables
d’affronter les épreuves les plus complexes et
donc de prétendre aux écoles les plus
prestigieuses ? C’est surtout en enclenchant
une vraie dynamique de préparation, en
privilégiant le travail en petits groupes pour la
mémorisation, l’apprentissage des
mécanismes linguistiques de base, la
traduction, l’expression orale que ces jeunes
étudiants se forgeront une solide armure pour
livrer les batailles nécessaires.
Ce dont je suis la plus fière ? Très certainement
la philosophie qui nous anime, empreinte
d’humanisme et de respect mutuel, et qui fait
converger autour de projets communs
professeurs et étudiants : notre réseau, notre
pôle PrépaMantes, aujourd’hui très épaulé par
la Communauté d’agglomération de Mantesen-Yvelines (CAMY) et dans lequel nous
retrouvons les autres filières, nos journées
d’intégration, nos projets communs de liaison
secondaire/prépa… »
Décembre 2014
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