Est Républicain du 6 février 2014 : " Quatre ans

Transcription

Est Républicain du 6 février 2014 : " Quatre ans
UN JOUR, UNE HISTOIRE
14-18
Ne pouvant rejoindre leurs lignes, deux Poilus sont restés reclus 1.526 jours dans quelques mètres carrés
Quatre ans dans un grenier
C’EST UNE HISTOIRE DÉROUTANTE, à peine croyable.
Dominique Zachary, journaliste
belge à « L’Avenir » s’est mis
« en chasse de ce récit-là. Je
savais que dans la région de
Longwy deux poilus avaient
passé la guerre cachés ». Mais
point de lieu, de dates, de faits.
Un ouvrage d’après-guerre leur
consacre quatre lignes. C’est
suffisant. Il a deux noms : Alfred Richy et Camille Muller. Et
un village : Baslieux, tout près
de Longwy. Dominique Zachary
retrouve le carnet d’Alfred chez
un habitant. Il engrange des témoignages. L’histoire prend
forme.
La trame est simple. Fin
août 1914, après la bataille des
frontières, nos deux poilus du
164e RI, voisins de village (Alfred est de Baslieux et Camille
de Ville-au-Montois) se retrouvent derrière les lignes allemandes. Impossible pour eux
de rejoindre leur régiment. Ils
décident de reprendre des forces chez Alfred. Puis y restent.
Cachés au grenier, dans une
pièce de quelques mètres carrés. Ils y resteront toute la guerre…
« Ce livre, c’est
un hommage à la liberté »
« Les troupes allemandes font
étapes dans le village », confie
l’auteur. Les troupes passent et
les soldats logent dans les maisons. Certains se retrouveront
dans la pièce juste en dessous
de celle des deux Poilus ! « Ils
n’ont jamais été considérés
comme déserteurs. Ils n’ont pas
pris le risque de partir. Et puis,
ils ont toujours cru que la guerre allait se terminer. Ils ont toujours eu ce dilemme entre
s’évader ou attendre ».
Les deux hommes seront notés « en captivité » sur leur fiche
matricule. Les deux soldats ont,
comme seule ouverture sur
K Camille Muller (à gauche) et Alfred Richy quelques semaines après être sortis de leur cachette.
l’extérieur, une lucarne dans le
toit du grenier « d’où ils voient
les mouvements de troupe », les
corvées imposées aux habitants
par l’occupant, mais aussi le soleil et les étoiles. Ils lisent également « La Gazette des Ardennes qui est un journal de
propagande. C’est leur unique
vecteur d’information. Il donne
des nouvelles des prisonniers ».
Seuls dans la confidence, les
parents d’Alfred Richy gardent
le secret. Mais ce dernier passant la tête par la lucarne est
aperçu par sa fiancée. Les parents de la jeune fille sont mis
au courant. Mais personne ne
dit rien. Si Alfred ne prend pas
de risque, Camille, lui, va sortir
de sa cachette pour aller sur la
tombe de son frère où il dépose
un bouquet de fleurs fraîches
avec un mot sibyllin faisant
comprendre à ses parents qu’il
est en vie. Alfred, en mal de
travaux des champs, écrit un
journal. Camille, le bourrelier,
réalise quelques réparations
sur des sangles. Sans bruit.
Si cette histoire de soldats
restés cachés n’est pas unique,
la totalité des autres poilus, ou
presque, a fini par se faire arrêter par les Allemands. Ce récit
est le seul relatant le cas de
soldats cachés chez eux sur une
période aussi longue. Ils ne sortent que le 18 novembre 1918.
Changent d’effets (ils avaient
encore le pantalon garance !),
retrouvent leur régiment à Paris et… finissent leur service
militaire. « C’est une histoire
qui se termine bien. Ce livre,
c’est un hommage à la liberté ».
Frédéric PLANCARD
W
« 14-18. Quatre ans cachés dans
le grenier » par Dominique Zachary.
Éditions Jacob-Duvernet. Prix : 18 €.
Photo DR
Après la guerre
E Le Président Alexandre
Millerand décernera à la
famille d’Alfred Richy, la
médaille d’argent de la reconnaissance française pour
avoir caché deux militaires
français échappés de la garnison de Longwy…
Les deux hommes resteront
psychologiquement marqués
par cet enfermement forcé. Ils
resteront amis pour la vie.
Alfred sera même le témoin
de mariage de Camille.
C’est notre confrère Bernard
Oudin de L’Est Républicain
qui, en 1976, fera témoigner
Alfred Richy. C’est la première
fois que l’histoire sera évoquée publiquement.

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