Préface Le respect de la dignité de la personne humaine, objectif

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Préface Le respect de la dignité de la personne humaine, objectif
Préface
Le respect de la dignité de la
personne humaine, objectif premier
de l’État de droit dont la clé de
voûte est le pouvoir judiciaire
au sommet duquel la Cour de
cassation respecte l’État de droit
Section 1
Introduction et considérations générales
sur la crise économique et sociale 2008-2015
§ 1. Introduction
1. En 1996, nous avons consacré une étude concernant le droit de la sécurité sociale comme droit de l’homme ; nous étions, en effet, convaincus que
trois crises méconnaissaient l’institution et le contenu du droit de la sécurité sociale. Ces trois crises sont, d’une part, la crise de capacité budgétaire
et financière qui ne peut répondre favorablement aux besoins sociaux colossaux des différents secteurs de la sécurité sociale ; d’autre part, une crise de
management et de capacité des organisations et conséquemment de légitimité de l’État-providence ; enfin, une crise de désagrégation des principes
organisateurs de la solidarité. Cette dernière crise, d’ordre philosophique,
met en question et en péril la solidarité elle-même, fondement de la sécurité
sociale. Ces éléments nous ont porté à penser qu’il convenait, sous le signe
de l’urgence, de mettre en évidence l’importance essentielle, pour l’État de
droit et la force du droit, du respect de la dignité de la personne humaine et
des droits de l’homme, dont le droit de la sécurité sociale, y compris le droit
de l’assurance soins de santé et indemnités1.
1.Ph. Gosseries, « Droit de la sécurité sociale comme droit de l’homme », J.T.T., 1996, 10,
20 et 29 février, pp. 53 et s., 69 et s., 85 et s.
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
2. Vingt ans plus tard environ, les trois crises énoncées sont toujours d’actualité et plus pressantes encore ; pour le surplus s’y ajoute la crise économique et sociale (2008-2015). D’où l’urgence plus grande de cette étude axée
sur la confrontation des droits de l’homme et des droits fondamentaux, dans
lesquels la place de la personne est au cœur et au centre de l’économie, des
libertés de l’économie et du marché poursuivant au maximum le profit sans
régulation et sans tenir compte de l’État de droit et des droits des travailleurs. La crise est-elle si grave ? Les droits de l’homme sont-ils à ce point
menacés ? Nous le pensons. Il nous faut d’abord exposer la profondeur de
cette crise économique, avec ses causes, ses décisions européennes d’austérité, ses résultats et ses effets pour démontrer cette menace qui pèse sur le
respect de la personne humaine pourtant consacré par les actes internationaux et la constitution belge.
§ 2. La crise 2008-2015
3. La crise économique, financière, monétaire et sociale 2008-2015 a menacé
la survie de l’Euro, la capacité financière des banques et des États membres
de la zone euro comme le marché économique européen. Cette crise entraine
des dégâts sociaux considérables et même catastrophiques dans certains États
(p. ex., la Grèce) par l’irrespect des droits sociaux particulièrement. En conséquence, l’urgence nous apparaît plus évidente encore d’analyser l’objectif
premier de l’État de droit, à savoir le respect de la dignité de la personne
humaine. Ce respect fonde les droits de l’homme, l’ordre démocratique, les
principes généraux du droit, les valeurs de liberté, d’égalité, de justice, de
solidarité. C’est ce respect des droits, de ces principes et de l’État de droit que
le pouvoir judiciaire sauvegarde pour les faire prévaloir sur la folle et cynique
montée en puissance du marché mondialisé et globalisé sans régularisation et
sans respect pour les règles de droit, et les intérêts légitimes des entreprises
des citoyens et des travailleurs. Telle est donc la confrontation qui ne peut
jamais oublier que l’économie du marché est au service de l’homme dont il y
a lieu de respecter la dignité. Trop souvent, « le tout au marché » l’emporte
et l’Europe sociale ne se fait pas entendre ; il en est de même de l’État social
terriblement « déstabilisé » et accusé de nombreux maux.
§ 3. La crise 2008-2015 survient dans le contexte d’autres
crises
4. Cette crise économique, financière, monétaire et sociale (2008-2015) survient dans le contexte d’autres crises énoncées ci-avant, mais plus pressantes
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encore (pt 2), et de modifications très profondes de la société quant à ses
besoins auxquels l’État social est invité à répondre. Citons parmi ces modifications qui ont une influence sur l’organisation et les dépenses de l’État
social, sans pouvoir être exhaustif à cet égard : l’augmentation de l’espérance de vie avec ses coûts supplémentaires en soins de santé et en pension ;
les progrès de la médecine avec ses nouvelles techniques, ses nouveaux traitements ; la croissance du nombre de médecins et de paramédicaux et la
modernisation des hôpitaux, des maisons de repos, des maisons médicalisées, les maisons de soins psychiatriques ; la revendication de plus en pressante des patients quant à un droit à la santé, à des soins multiples et coûteux
dans une recherche d’épanouissement personnel ; la croissance des soins
de santé et des produits pharmaceutiques pour les seniors âgés d’au moins
80 ans ; l’augmentation des pathologies mentales et psychosociales dues pour
partie à notre mode de vie plus stressant, plus harcelant, plus violent, plus
revendicatif et à l’organisation des entreprises dont le mouvement est parfois cynique menant au suicide (ex. : Telecom) ; le nombre croissant d’invalides, de chômeurs, d’exclus, d’handicapés mentaux et physiques, le fléau
social du chômage cause de plus en plus de soins de santé, de pathologies,
l’absentéisme de plus en plus important au travail dû au mal être. Outre ces
besoins qui ne sont pas exhaustifs qui visent toutes les catégories de la population, le nombre croissant d’inactifs dont la crise n’est pas étrangère (invalides, chômeurs, maladies psychosociales, pensionnés, ...) ne cesse de rendre
les actifs moins motivés de couvrir les coûts de prestations sociales de ces
personnes inactives en doutant même qu’ils pourront eux-mêmes être couverts dans l’avenir par la solidarité. L’incertitude du lendemain rend le doute
plus crédible. En bref, des mesures pour contrôler les dépenses et les justifier
et pour surveiller les recettes, sont à prendre pour réaménager certains secteurs de la sécurité sociale. La solidarité et la justice sociale exigent la lutte
contre les gaspillages et la fraude sociale qui sont très importants ; l’existence
de celle-ci constitue un autre argument du rejet de l’État social et du pouvoir
de l’État. Les mesures de contrôle doivent être plus efficaces, les infractions
sont à sanctionner ; les tribunaux sont la clé de voûte de l’État de droit ; le
droit pénal social est au cœur du droit social pour le rendre plus efficient.
§ 4. Les causes de la crise 2008-2015
5. Quelles sont en bref les causes de la crise économique et sociale 20082015 ?
Le gouvernement américain entendait favoriser la croissance de l’économie ; ce mouvement a entrainé les banques américaines à accorder des
prêts quasi sans garanties suffisantes à des personnes candidates à l’achat de
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logement. Cette « bulle immobilière » a vite été l’objet de scandales financiers
et de faillites des familles et des banques. En effet, les familles en manque de
ressources n’ont plus pu honorer leurs dettes pour le paiement du logement ;
aussi, les banques ont retouvé la propriété des logements et ont expulsé les
débiteurs. Les banques se sont trouvées avec des créances qui ne cessent de
perdre de leur valeur même si certaines sont parvenues à refiler des produits
« pourris ». Des banques ont dès lors fait faillite ; elles n’ont pas été aidées
par les États américains. Des citoyens se sont retrouvés sans logement, ce qui a
causé des explosions sociales. Cette situation de « bulle immobilière » a gagné
l’Europe, particulièrement l’Espagne et l’Irlande dont les banques avaient fait
investir dans l’immobilier. Mais en Europe, face aux difficultés des banques,
les États leur viennent en aide avançant des fonds très importants. Les États
eux-mêmes sont alors en difficulté de trésorerie, ayant déjà avant la crise des
déficits budgétaires et des endettements publics trop importants, le laxisme
l’ayant souvent emporté du côté de la gestion des États, particulièrement dans
le sud de l’Europe. En bref, la monnaie Euro est en danger ! Fallait-il que
certains États, dont la Grèce qui a un déficit budgétaire et un endettement
à caractère catastrophique quittent l’Euro ? La question a été posée très tôt
mais la réponse a été négative à ce jour. Que faire alors dans cette Europe
de l’euro en crise financière ? On ne peut pas contester que la situation économique et financière est le résultat de spéculateurs financiers, de grands
groupes, de multinationales qui ont poursuivi des politiques de profit toujours plus énorme pour satisfaire les investisseurs et les actionnaires, grâce à
la mondialisation et la globalisation du Marché, politiques suivies sans régulation, sans respecter l’État de droit et les droits des travailleurs. Ces courses
au profit démesuré par des mécanismes financiers dont ceux ont été rendus
possibles grâce au secret bancaire, aux banques, aux paradis fiscaux, à la politique de l’évasion fiscale et de l’optimisation fiscale.
§ 5. Quelles décisions sont prises par les autorités
européennes et les États membres de la zone euro
pour lutter contre la crise ?
6. Les autorités européennes (commission, conseil, B.C.E., aidés par le FMI)
et les États membres de l’Euro décident d’un Pacte budgétaire européen de
stabilité et de la règle d’or qui est une politique d’austérité ; celle-ci a pour
objectif de lutter contre les déficits budgétaires et l’endettement public des
États. En effet, cette lutte est nécessaire pour redonner confiance dans l’État
et dans l’Europe, dont les États sont membres de la zone euro. Pour réaliser cette lutte, les États prennent, dans le respect du Pacte de stabilité, des
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mesures adaptées à la situation sociale et économique de leurs États. Ainsi en
Belgique, le gouvernement ne prend en règle aucune mesure qui aurait des
effets néfastes sur le droit de la sécurité sociale parce que celle-ci donne aux
citoyens un pouvoir de consommation qui ne peut être réduit : la sécurité
sociale est le filet de protection sociale qui doit être préservé. D’autres États,
eu égard à leur situation propre, prendront des mesures de réduction ou de
suppression des prestations sociales parfois drastiques et disproportionnées
par rapport au respect de la dignité de la personne humaine. De manière
générale, les États prennent des mesures de diminution des dépenses en
réduisant les services publics, en ne remplaçant pas ou peu les fonctionnaires partis à la retraite en diminuant très substantiellement les prestations sociales. La situation de crise économique et les mesures d’austérité des
États, qui contrôlent leurs dépenses et leurs recettes, poussent les industriels
à ne pas investir, à restructurer, à délocaliser, et même à fermer des entreprises dont les profits ne sont pas assez élevés ou dont le rendement n’est pas
assez productif. Cette méfiance à l’égard du marché mondialisé et globalisé
entraine aussi des réactions des travailleurs : grèves, occupations d’usines et
explosions sociales. Les manifestations des « indignés » sont spontanées dans
la plupart des capitales de l’U.E. ; les organisations syndicales sont dépassées
par ces mouvements des « indignés » qui se déroulent dans les grande capitales européennes (Paris, Madrid, Lisbonne, Rome et Bruxelles). Ces « indignés » dénoncent la pauvreté des classes populaires et moyennes, le manque
de projets des États et de l’Europe pour relancer la croissance et lutter contre
le chômage endémique en mettant la personne humaine au centre des préoccupations. Ils reprochent également à l’Europe et aux États d’avoir aidé les
banques au bord de la faillite alors qu’elles étaient responsables de la crise
mais de n’avoir pas eu une politique d’aide sociale à l’égard des victimes de
la crise ! D’où les inégalités sociales comme les injustices fiscales dénoncées.
7. Les décisions des autorités européennes ne s’arrêtent pas à un pacte budgétaire européen de stabilité. En effet, les autorités européennes placent les
États membres sous assistance dans la mesure où ceux-ci sont dans l’obligation de présenter à la Commission européenne leur projet de budget qui doit
traduire les efforts d’austérité et démontrer que « la feuille de route », qu’ils
ont choisie pour réduire leur déficit budgétaire et leur endettement, aboutit,
par la diminution des dépenses et l’augmentation des recettes, à une réelle
réduction de ce déficit et de cet endettement. La Commission européenne
fait, après analyse du projet de budget de chaque État, des propositions et
des recommandations si l’État ne s’est pas conformé à sa « feuille de route »
ou si les recettes et les dépenses du budget que l’État propose dans le projet
du budget ne sont pas conformes aux exigences du pacte budgétaire. Ce n’est
qu’ensuite que l’État prenant les mesures dans le projet budgétaire avec pour
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résultat celui des recommandations, propose le projet de budget aux élus.
Étonnante perte de souveraineté de l’État qui soumet son projet de budget à
la Commission, avant son propre parlement, mais toute étonnante politique
de coordination monétaire, budgétaire et économique des États européens
de la zone euro, politique commune qui était attendue depuis la création
de cette zone. Ainsi, par exemple, pour le budget 2015, la France a dû prévoir pour 2 milliards de recettes supplémentaires à son projet et l’Italie pour
2,5 milliards d’euros. La Commission a remis un avis négatif en décembre
2014 à la France, l’Italie et la Belgique pour se conformer au pacte européen
avant le 1er mars 2015. Depuis, la Commission a donné un nouveau délai de
2 ans pour permettre à la France de fixer son déficit en dessous de 3 % avec
pour contrepartie que la France décide des mesures de réduction de son
déficit avec des mesures structurelles (les pensions, une réforme du marché
du travail). Ce délai donné à la France jusqu’en 2017 n’est pas accepté facilement par les autres États membres parce que c’est le 3e délai accordé à la
France alors que celle-ci ne démontre pas sa volonté réelle d’austérité dans
les dépenses publiques, et de modifier la flexibilité dans le droit du travail.
8. Puisque les causes de la crise sont à trouver dans le secret bancaire, les
paradis fiscaux, l’évasion fiscale, les autorités européennes se sont également
attaquées à ces trois crises. D’une part, quant au secret bancaire, les autorités européennes assistées par l’O.C.D.E., ont décidé de la suppression du
secret bancaire. La plupart des États membres ont accepté cette suppression,
certains États avec des réticences ou conditions (Luxembourg, Autriche) ;
aussi, il y a actuellement et au plus tard en 2017, communication d’office de
toutes les données bancaires entre les États pour une perception correcte des
impôts et en cas de poursuites judiciaires pour évasion fiscale. Cette décision
a entrainé le rapatriement de capitaux en France de près de 4 milliards d’euros en 2014 ; ce rapatriement a eu lieu en Belgique également pour 1 milliard
d’euros en 2014. D’autre part, à l’égard de la fraude fiscale, le président de
la commission bancaire a déclaré au parlement européen en novembre 2014
qu’il a mis à son programme la lutte contre l’évasion fiscale et l’optimalisation fiscale. Il faut, en effet, tout faire pour arriver à une harmonie fiscale
qui doit permettre une libre concurrence loyale et juste une des règles fondamentales pour réaliser le grand marché européen. Cette harmonie fiscale
pourrait être réalisée par l’élaboration de seuils minima d’impôt des sociétés par exemple. En effet, pour les bénéfices des sociétés, l’Irlande en 2014
a une taxe de 13 % tandis que la France ou la Belgique en ont une de plus
du double. Certes, le droit fiscal est une matière de la souveraineté des États
mais ceux-ci peuvent si c’est leur intérêt, ce qui le cas, harmoniser les taux
des impôts avec des seuils minima et maxima pour permettre la libre concurrence loyale et juste, essentielle pour le bon fonctionnement du Marché.
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9. Une des causes de la crise est aussi la fragilité des banques quant à leurs
fonds propres et les créances « pourries ». Les autorités européennes et les
États membres ont chargé la B.C.E. de surveiller toutes les banques de la
zone euro (il y en a plus de 250). La B.C.E. doit vérifier si ces banques ont à
suffisance des fonds propres pour résister à une nouvelle crise. En octobre
2014, des tests de solvabilité des banques ont été réussis par quasi toutes les
banques. Quant à la solvabilité des banques, en cas de faillite de l’une d’elles,
la solidarité des banques doit aider la banque défaillante. La B.C.E. a tout
récemment racheté progressivement les dettes souveraines et aussi réinjecté
de la monnaie unique, ce qui a fait chuter l’euro quasi au niveau du dollar
et devrait permettre la relance de l’économie.
§ 6. Les résultats des décisions de politique d’austérité sur
les États et sur les citoyens de ceux-ci
10. Les résultats des décisions européennes et des États membres sur la crise
quant à la politique d’austérité sur les déficits budgétaires et les endettements
publics et sur la croissance de l’économie. Quant aux déficits budgétaires
et aux endettements publics, cette politique d’austérité a donné des résultats satisfaisants dans la mesure où les efforts budgétaires des États par une
réduction des dépenses et une augmentation des recettes ont abouti à une
réduction des déficits et des endettements. Certes, ces résultats sont différents pour les uns et les autres. Ainsi l’Allemagne a atteint le 0 % de déficit
budgétaire, la Belgique 2,9 % mais la France est aux environs de 5 % comme
l’Italie et l’Espagne. Chaque État a sa « feuille de route » qui doit le mener
dans un délai raisonnable (jusqu’en 2018) à la réduction prévue par le pacte
budgétaire européen sauf si les conditions économiques se modifient. Mais
le résultat de cette politique est satisfaisant par la méthode de la coordination des politiques économiques et budgétaires des États qui soumettent des
projets de budget à la commission pour analyse et recommandation. Il y a là
une Europe économique qui vient à point pour la zone euro. Il n’empêche
que des États, ainsi de la France et l’Italie, font peu d’efforts dans le sens des
réformes de structure en sorte que les déficits de ces 2 États se réduisent peu
(voy. pt 7, in fine) quant à la Grèce, au moment où nous écrivons ces lignes
(21 avril 2015), cet État n’a toujours pas déposé aux autorités européennes
la liste des mesures de réduction des dépenses pour réduire sa dette et satisfaire ses créanciers. La Grèce sortira-t-elle de l’Euro ? Nous ne l’espérons pas.
Ce serait à la fois négatif pour la Grèce, l’Europe et l’économie mondiale.
Quant à la croissance, les résultats sont très décevants. Les États
membres qui avaient placé la politique d’austérité comme facteur de croissance ont été déçus. Fin 2014, la croissance pour l’Allemagne n’atteint pas
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
1 %, la Belgique 0,9 % et la France 0,8 %. En 2015, il y a des frémissements
de croissance qui peuvent laisser augurer une relance lente et progressive.
Les autorités européennes et les États membres ont décidé d’aider
financièrement de plusieurs milliards d’euros les jeunes chômeurs de moins
de 25 ans qui ont plus de 25 % de chômage dans leur région. Les apprentis ont le droit de bénéficier du programme Erasmus pour se former et se
qualifier davantage, ce qui favorise la libre circulation des citoyens, une des
libertés fondamentales de l’U.E. qui doit permettre la réalisation du marché
intérieur de 500 millions de citoyens européens. Ces mesures ne peuvent
avoir que pour effet de relancer la croissance pour la reprise du marché économique ; elles sont nécessaires mais insuffisantes.
Ainsi, le nouveau président de la commission, M. Juncker, a déclaré
au parlement européen en novembre 2014 qu’il va certes lutter contre l’évasion fiscale et l’optimalisation fiscale mais surtout qu’il a décidé d’un vaste
plan d’investissement de 315 milliards d’euros. Par ce plan, une sorte de
plan Marshall mais moins important, le président investit pour 20 milliards d’euros en provenance de l’Europe (B.C.I.) ; et cette somme doit servir de « levier » pour attirer les 295 milliards d’euros venant du privé. Quel
contenu va avoir ce plan ? Il doit permettre la réalisation de travaux dans
des domaines essentiels pour le retour à la croissance selon des propositions
faites par les États membres et examinées par des experts internationaux. Ces
investissements devraient profiter particulièrement aux régions les plus frappées par la crise (p. ex., la Grèce).
11. Quant aux effets de la crise et de la politique d’austérité sur les citoyens
européens. Les résultats de ce cette politique d’austérité, s’ils ont été plus
on moins satisfaisants pour les finances publiques des États, ont été déplorables pour les citoyens de la zone euro sauf pour ceux des États dont les
finances étaient saines et bien gérées (Allemagne, Autriche, Finlande, etc.).
Des mesures très lourdes d’effets ont été prises dans de nombreux États de la
zone euro dans le sens de la réduction ou de la suppression de la protection
sociale, de la diminution ou de la suppression de services publics, du licenciement de fonctionnaires ou de la mise à la retraite anticipée ou encore du non
remplacement des fonctionnaires partis à la retraite. L’absence de croissance
et le chômage ne cessant de croître constituent l’angoisse de toute une population désespérée qui ne voit plus l’avenir que sous un jour sombre. Le chômage
endémique est particulièrement présent dans les États du sud de l’Europe
(Italie, Portugal, Espagne, Chypre, Malte, Irlande) avec des pourcentages de
jeunes chômeurs de moins de 25 ans jusqu’à plus de 50 % (Grèce). Beaucoup
de citoyens européens, jeunes diplômés, préfèrent quitter leurs États pour
chercher du travail dans un autre État membre ou sur d’autres continents
(p. ex., Canada, Australie, États-Unis, Nouvelle-Zélande) ; c’est vrai des jeunes
grecs, portugais, espagnols et italiens. En Belgique, la législation de la sécurité
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sociale belge a, en règle été peu modifiée quant au bénéfice des prestations
sociales, sauf en assurance chômage où des mesures d’exclusion à l’égard des
indemnisés de réinsertion provoqueraient 30.000 exclus au 1er janvier 2015 !
Il y a dans le fait des situations inacceptables ; sans rentrer dans le
détail, soulignons qu’il y a 10 à 15 % de la population belge sous le seuil de la
pauvreté ou de la précarité, 1 enfant sur 4 dans cette situation, 150.000 personnes demandeurs d’aides sociales au C.P.A.S. ; 500.000 personnes surendettées ; le nombre de ménages surendettés a augmenté de 9 %, 460.000 chômeurs
et 300.000 invalides et ces nombres de chômeurs et d’invalides ne cessent de
croître alors qu’il y a 83.000 emplois offerts non pourvus. Dans les causes du
surendettement, le chômage vient largement en tête (21 %) se classant avant
les séparations et les divorces (17 %) et les maladies et accidents (11 %). En
soins de santé, l’examen révèle que s’il y a une plus faible hausse des dépenses
de santé dans la région de Bruxelles-Capitale, la raison réside dans le fait de
la pauvreté plus importante qu’ailleurs dans le pays. Davantage de Bruxellois
retardent les soins pour ne pas pouvoir les payer ; c’est la précarité et la pauvreté des moyens financiers qui sont la 1ère cause du « non recours » aux
soins. Ce phénomène du « non recours » aux soins est surtout vrai chez les
non-qualifiés et les catégories socio-économiques moins élevées. Ces signes
inquiétants pour la population la plus fragile quant à l’accès aux soins ne
peuvent que s’aggraver avec la crise et l’austérité2.
§ 7. La confrontation entre les nécessités de respecter
la dignité humaine et la crise du marché globalisé
12. C’est dès lors face à cette situation de crise, – qui nécessite encore
aujourd’hui des mesures d’austérité, sans précédent depuis les « 30 années
glorieuses », qui déstabilise l’État social et qui ont principalement pour préoccupation l’économique et le monétaire pour redonner confiance dans le
marché –, que nous avons de craintes légitimes, qu’à la faveur de cette situation très grave qui vient se greffer sur les autres crises exposées ci-avant (pts 1
et 4), le respect de la dignité de la personne humaine ne soit plus la préoccupation première et centrale de l’Europe et des États alors que l’économie
doit être au service de l’homme. N’est-ce pas Frédérica Mogherini, vice-présidente de la commission européenne qui, lors de son grand oral devant le
Parlement européen en octobre 2014, a déclaré que « les droits de l’homme
jouent un rôle essentiel pour garantir la stabilité mondiale et notre crédibilité
est liée au respect de ces droits au sein même de nos pays. La clé de voûte de
2.J. Hermesse, in La revue en marche, 20 juin 2013 ; voy. Ph. Gosseries, « L’humanisme juridique », Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 21 à 27.
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
la politique étrangère doit être la promotion des droits humains »3. N’est-ce
pas le pape François qui a déclaré devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg
le 25 novembre 2014 que « l’homme comme personne dotée d’une dignité
transcendantale a cédé la place à des individus traités comme des objets dont
on peut programmer la conception, la configuration et l’utilité et qui ensuite,
peuvent être jetés quand ils ne servent plus parce qu’ils deviennent faibles,
malades ou vieux » ; il a également déclaré que « parler de dignité transcendantale de l’homme signifie donc faire appel à sa nature [...] cela signifie surtout de regarder l’homme non pas comme un absolu mais comme un
être relationnel [...]. Il y a aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique comme
une « monade » toujours plus insensible aux autres « monades » présentes
autour de soi. Au concept de droit, celui – aussi essentiel et complémentaire – de devoir ne semble plus associé en sorte qu’on finit par affirmer les
droits individuels sans tenir compte du fait que tout être humain est lié à un
contexte social dans lequel ses droits et ses devoirs sont connexes à ceux des
autres et au bien commun de la société elle-même »4.
13. D’où notre volonté d’analyser ci-après, dans la section 2, le respect de la
dignité humaine, les droits de l’homme, les droits fondamentaux et les principe généraux du droit qui ont à être respectés comme faisant partie de l’État
de droit par le pouvoir judiciaire gardien des droits et libertés et de l’État de
droit. Dans ces droits, figure le droit à l’assurance soins de santé et indemnités analysé par S. Hostaux à travers les arrêts de la Cour de cassation, sommet du pouvoir judiciaire, clé de voûte et bouclier du respect de l’État de
droit. L’analyse de S. Hostaux est un instrument indispensable pour tous les
juristes de droit social soucieux de sécurité juridique, d’unité de jurisprudence et d’égalité du citoyen devant la loi. En conclusion de cette section,
nous pensons que c’est contre les effets sociaux néfastes de la crise et avec
la force des droits de l’homme, qui ont pour finalité le respect de la dignité
de la personne humaine, que l’Europe sociale et l’État social doivent retrouver leur âme pour faire face de manière juste et équilibrée à l’Europe économique et à l’ascension folle du marché économique. L’État de droit doit
l’emporter avec en son centre la personne humaine, par notamment l’enseignement de la Cour de cassation dont S. Hostaux fait l’analyse brillante quant
à la matière du droit de l’assurance soins de santé et indemnités, telle qu’interprétée par la Cour suprême sur une période de 20 années (1994-2014).
3.F. Mogherini, citée par Ph. Regnier in le journal le Soir du 7 octobre 2014, p. 11.
4. Voy. le pape François, « construire l’Europe non pas autour de l’économie mais autour
de la socialité de la personne humaine », in Le Monde, du 27 novembre 2014, p. 14 ; voy.
C. Chambrand, « le pape appelle à un sursaut d’une Europe vieillie », in Le Monde, du
27 novembre 2014, p. 10.
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Section 2
Le respect de la dignité de la personne
humaine et les droits fondamentaux y compris
le droit de la sécurité sociale, garanti par les
actes internationaux et la constitution belge
§ 1. La déclaration universelle des droits de l’homme
du 10 décembre 1948 (D.U.D.H.)
I. L’analyse du préambule de la D.U.D.H.
14. La reconnaissance de la dignité humaine, inhérente à toutes les personnes de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables, constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde
(considérant 1er).
Cette dignité a, en effet, été bafouée par des barbares lors de la
2ème guerre mondiale 1940-1945 ce qui ne peut se reproduire selon les vœux
des Nations Unies.
Il est dès lors proclamé que l’avènement d’un monde où les êtres
humains seraient libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de
la misère, est la plus haute aspiration de l’homme. Dans ce contexte, il est
évident que les droits de l’homme, concrétisation juridique du respect de
la dignité de la personne humaine, soient en premier lieu protégés par un
régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint en suprême recours
à la révolte contre la tyrannie et l’oppression (considérant 3e). La foi dont se
réclament les Nations Unies dans leur charte est celle des droits fondamentaux dans la dignité de la valeur de la personne humaine dans l’égalité des
droits de l’homme et de la femme.
Quelques observations apparaissent nécessaires concernant les considérants ci-avant exposés. D’une part, les droits de l’homme sont inaliénables
et égaux ; il ne peut y être renoncé par le citoyen et par l’État ; ils sont d’ordre
public ; ils sont inhérents à la nature humaine, à sa quintessence. La philosophie des droits de l’homme ne repose pas sur la volonté libre ou de la subjectivité agissante mais sur l’idée des droits naturels, de la loi naturelle et de
la nature humaine5. D’autre part, ces droits le sont pour tous les membres de
5.B. Kriegel, « Cours de philosophie politique », Livre de poche, Paris, 1996, p. 42.
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
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la famille humaine, qu’ils soient travailleurs ou non ; c’est logique puisque
ces droits sont de la nature humaine. Ceci est le caractère universaliste des
droits de l’homme. Ce caractère est adopté par le droit belge des soins de
santé dans la mesure où cette assurance a été étendue à toute la population
non encore protégée en une autre qualité.
De plus, la plus haute aspiration de l’homme, celle d’être libéré de la
misère et de la terreur, n’a jamais été autant d’actualité avec la crise économique, bancaire, monétaire et sociale 2008-2015. La pauvreté et la précarité
forment au moins 10 % de la population belge ; le non recours aux soins de
santé pour des raisons de manque de revenus est une réalité ; les 150.000 personnes en Belgique demanderesse du C.P.A.S. est une autre réalité comme le
chômage de 460.000 chômeurs. À quoi servirait-il pour l’homme d’être libre,
d’aller et de venir c’est-à-dire d’être laissé libre (droits civils et droits politiques), s’il ne peut être libéré de ses besoins sociaux pour pouvoir en réalité bénéficier de sa liberté par l’exercice de ses droits et libertés. Le respect
de la dignité humaine est celui de la libération du besoin social. À défaut
d’une couverture des besoins sociaux de l’homme, celui-ci n’est pas libéré de
la misère, la plus haute aspiration de l’homme selon la D.U.D.H. Les droits
sociaux fondamentaux ont la même origine que les droits de l’homme ; ils
sont un prolongement de ce droit de l’homme particulier qui est le droit au
bonheur [...] ce sont des droits de l’homme nécessaires à notre temps6.
II. L’analyse du contenu des dispositions de la D.U.D.H.
15. Le contenu de la D.U.D.H. est significatif pour souligner que la priorité
du respect de la personne dans la dignité de celle-ci est dans les droits fondamentaux. L’article 1er de la D.U.D.H. dispose, en effet, que « tous les êtres
humains naissent libres et égaux en dignité et en droits… ».
A. L’article 22 de la D.U.D.H.
16. Cette disposition stipule que toute personne en tant que membre de la
communauté humaine a droit à la sécurité sociale. Toute personne est fondée
à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à
l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.
Observons, au vu de cette disposition de la D.U.D.H., que tout membre
de la communauté humaine a droit à la sécurité sociale. Ce droit est, en effet,
6.
Ibid., pp. 44 et 45.
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Préface
21
dû à sa dignité d’homme en qualité de nature humaine. « La philosophie des
droits de l’homme n’est pas une philosophie du sujet mais une philosophie
de la nature humaine comme soumise à la loi de la nature [...]. Il s’agit bien
de l’horizon humaniste [...]. L’homme est plus vaste que le sujet, l’idée de
l’homme, l’idée humaniste de l’homme est l’idée de l’homme comme être
de nature »7.
17. D’autre part, selon l’article 22, la personne est fondée à satisfaire ce qui
est conforme à sa dignité et au libre développement de sa personnalité. Cette
finalité de libre développement de la personnalité donne à la sécurité sociale
un objectif très extensif et le plus large possible. Cet élargissement est critiqué
par une doctrine parce que cet élargissement du concept aboutit à défendre
ce qui suit « si les politiques de sécurité sociale s’efforcent de protéger les
individus contre les risques sociaux, la raison en est de garantir une sécurité
économique, elle-même destinée à permettre l’épanouissement de la personnalité de chacun dans lequel résiderait la fin spécifique des politiques de
sécurité sociale »8. Cette extension du concept conduit à remettre en question
« l’originalité même de la notion de sécurité sociale qui d’extension en extension finit par s’étendre à toutes les activités du welfare state ; et l’hypertrophie du concept aboutit à sa négation ; étant tout, la sécurité sociale ne serait
rien sinon un esprit, une mystique. Or la réalité dément cette négation »9.
18. De plus, outre les limites de la sécurité sociale aux risques sociaux, couvertes par les systèmes de sécurité sociale et non plus étendues à la satisfaction de l’épanouissement de la personnalité (art. 22, pt 16, D.U.D.H.) , il y a
d’autres limites qui sont propres à l’organisation et aux ressources de chaque
pays. C’est l’évidence que l’organisation de la sécurité sociale sera différente
dans un État peu développé par rapport à un État très développé quant à la
couverture des risques sociaux. De même, à la faveur de la très grave crise
économique, bancaire, monétaire et sociale 2008-201510 les États membres
de l’eurozone sont confrontés pour respecter le pacte budgétaire européen de
stabilité et la règle d’or, à devoir prendre des décisions qui peuvent « déstabiliser l’État social » par la réduction ou la suppression de prestations sociales
du droit de la sécurité sociale. Ainsi, les conditions du droit de la sécurité
sociale sont fonction des ressources des États qui organisent ce droit. La question des droits de l’homme est celle de leurs limites ou de leurs conditions à
remplir avant de pouvoir les revendiquer et en bénéficier.
7. Ibid., p. 42.
8.J.-J. Dupeyroux, « Droit de la sécurité sociale », Dalloz, précis, Paris, 13e éd., 1998, p. 12.
9. Ibid., p. 13.
10.Voy. supra, sect. 1.
larcier
22
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
B. L’article 25 de la D.U.D.H.
19. L’article 25,1, de la D.U.D.H. dispose que toute personne a droit à un
niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa
famille notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins
médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. Elle a droit à la
sécurité sociale en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de
vieillesse dans les autres cas de perte de moyens de subsistance par suite de
circonstances indépendantes de sa volonté.
20. À l’examen de cette disposition, la sécurité sociale comporte trois dimensions. La première dimension est celle de l’exigence d’un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille. Que signifie
ce niveau de vie ? La D.U.D.H. en donne les contours « notamment pour
l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, les services
sociaux nécessaires ». Or, souvent encore des personnes en Belgique ne disposent pas du niveau de vie pour se soigner. D’après une enquête menée aux
mutualités chrétiennes, il ressort, selon J. Hermesse, que les moins qualifiés
sont en moins bonne santé et reportent le plus souvent les soins ; de plus,
l’accessibilité financière aux soins est un problème pour les patients appartenant aux catégories socio-économiques moins élevées (invalides, chômeurs,
isolés avec enfants ou familles monoparentales)11. Cette constatation qui n’est
pas isolée ne peut que s’aggraver avec la crise sociale qui est loin d’être finie
(2008-2015), le chômage particulièrement étant aussi endémique et la relance
de l’économie se faisant attendre. En Belgique, 10 % au moins des personnes
vivent sous le seuil de la pauvreté ou de la précarité dont 1 enfant sur 4 : ce
pourcentage est fixé à 15 pour d’autres analystes.
21. La seconde dimension donnée à la sécurité sociale par l’article 25 de la
D.U.D.H. est celle de l’universalité du champ d’application personnel à la
sécurité sociale : « toute personne a droit »12. C’est l’application de la dignité
de nature de toute personne humaine, de son caractère sacré et inaliénable.
22. La troisième dimension est celle du contenu de la sécurité sociale, ce qui
concerne les branches de la sécurité sociale à savoir les risques sociaux couverts par ce droit : le chômage, les maladies ou soins de santé, l’incapacité de
travail ou l’invalidité, la retraite et la survie, les allocations familiales, tous les
cas de pertes de moyens de subsistance pour des raisons indépendantes de
la volonté de la personne concernée. Mais la couverture des risques sociaux
tels que déterminés est conditionnée par l’organisation et les ressources, de
11.J. Hermesse, Revue en marche, 20 juin 2013, p. 16.
12.Voy. supra, n° 17.
larcier
Préface
23
chaque État ; il en est de même du niveau de couverture. Telles sont les
limites juridiques à cette couverture13.
C. L’article 29 de la D.U.D.H.
23. Cette disposition comporte trois volets (art. 29,1, 29,2 et 29,3).
Le premier volet (art. 29,1) dispose que l’individu a des devoirs envers
la communauté dans laquelle seul le libre épanouissement de sa personnalité
est possible. La personne qui a des droits pour le respect de sa dignité (art. 22
et 25 D.U.D.H.) a des devoirs envers la communauté. Rappel combien précieux qui permet de souligner que la solidarité, valeur fondamentale et base
de la sécurité sociale, doit être respectée. La fraude sociale est une violation
de la solidarité ; cette fraude qui est une des causes du rejet de l’État social
doit être constatée par les inspections sociales, poursuivies par les auditeurs
du travail au vu des procès-verbaux des inspecteurs, jugée et sanctionnée
par le pouvoir judiciaire. La fraude sociale est importante en sécurité sociale
belge. L’affaire « Cachalot » actuellement plaidée devant le tribunal correctionnel de Bruxelles fourni un bel exemple14. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un
méga procès qui cache « un océan de magouilles ». L’enquête a recensé 2996
cas de fraude à l’O.N.S.S. et 63 sociétés « bidon » [...]. J.B. et 14 codétenus
sont poursuivis pour avoir fait de fausses déclarations de relation de travail
qui ont permis à de nombreuses personnes de bénéficier indûment des allocations de chômage, des allocations familiales, des indemnités d’incapacité
de travail et d’invalidité et de soins de santé15. La crise économique 2008-2015
et la crise sociétale plus profonde encore et plus large touchent de nombreux
citoyens de la société et toutes les catégories de la population nécessitant du
pouvoir de l’État de diminuer ses dépenses et d’augmenter ses recettes, d’où
l’absolue nécessité de la lutte contre la fraude fiscale et sociale qui est poursuivie depuis plusieurs années déjà, avec le concours du ministre compétent,
par les inspections sociales, les auditeurs du travail et les procureurs du Roi,
les juridictions du travail et civiles. Un nouveau Code pénal social a été élaboré et mis en vigueur tout récemment et les compositions du siège des tribunaux correctionnels et des cours d’appel ont été modifiées de telle sorte
que le siège est composé notamment d’un magistrat du travail professionnel qui est plus compétent en droit social que ses deux autres collègues civilistes ; ce qui démontre que tant le législateur que les autres autorités ont
13.Voy. supra, n° 18.
14. J.C.M. in La Libre Belgique, 13 novembre 2014, p. 10.
15. Ibid., p. 10.
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24
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
conscience et agissent contre la fraude sociale. Mais les moyens sont insuffisants16. Les infractions et les sanctions illustrent les devoirs ou obligations
qui sont l’envers des droits ; les uns n’allant pas sans les autres.
Quant aux devoirs, essentiels pour réaliser la solidarité et la justice
sociale, tous deux des valeurs à respecter pour réaliser l’ordre démocratique
et l’État de droit, une doctrine souligne à bon droit que « la littérature sur
les droits et libertés est abondante sur les droits de l’homme mais faible
sur les devoirs ; ceux qui traitent ce derniers risquent de se voir traiter de
« répressif ». Pourtant, le débat droits-devoirs ne peut être omis ; il est, en
outre, au centre de toute construction sociale et commande la place des droits
de l’homme dans la société. Tous les philosophes dans leurs réflexions sur
les constructions politiques et sociales ont toujours intégré les devoirs de
l’homme »17. La question se pose de savoir si, parce que les devoirs ont une
connotation religieuse et morale, ils sont marginalisés ou désabusés ; une
autre question est celle qui est en ce sens que si les devoirs disparaissent,
c’est qu’ils disparaissent derrière les droits qui expriment le dynamisme de
la revendication et de la prérogative, ce devoir étant contraignant18.
Le pape François ne déclarait-il pas à juste titre devant le Conseil de
l’Europe le 25 novembre 2014 qu’il y a aujourd’hui une tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels qui cache une conception
de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique parce que comme une « monade » toujours plus insensible aux autres
« monades » présentes autour de soi. Au concept de droit, celui aussi essentiel et complémentaire – de devoir ne semble plus associé de sorte qu’on
finit par affirmer les droits individuels sans tenir compte du fait que tout
être humain est lié à un contexte social dans lequel les droits et devoirs sont
connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même »19.
24. Le second volet de l’article 29,2 dispose que dans l’exercice de ses droits
et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations
établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la
morale, de l’ordre public et le bien-être général dans une société démocratique.
16.Ph. Gosseries, Quelques réflexions à propos de l’auditorat du travail : bilan et plaidoyer, 2012,
pp. 289 à 299 ; Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 87 à 128, 129
à 149 ; M. Morsa, Les inspections sociales en mouvement, Bruxelles, Larcier, 2011 ; M. Morsa,
Infractions et sanctions en droit social, Bruxelles, Larcier, 2013.
17.Y. Madiot, Considérations sur les droits et devoirs de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1998,
pp. 111 et s.
18. Ibid., pp. 117 et s.
19. Le journal Le Monde, 27 novembre 2014, p. 19, « Construire l’Europe non pas autour de
l’économie mais autour de la socialité de la personne humaine ».
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25
Ainsi, seule la loi peut limiter l’exercice des droits et la jouissance de
ces libertés de chacun. L’État de droit est, en effet, la règle de la loi et du droit
(lex et ius) ; le droit renvoie à l’État et celui-ci renvoie au droit. C’est la force
du droit que seule la loi peut limiter les droits ; l’arbitraire de l’État ne peut
primer. Ces limitations par la loi sont les véritables frontières des droits. Mais
ces lois doivent avoir pour finalité la reconnaissance et le respect des droits
d’autrui. Le principe général de droit de l’abus de droit s’applique20. C’est
le pouvoir judiciaire, impartial et indépendant, qui juge des contestations
quant au respect des limitations des droits par rapport aux droits garantis
par la constitution belge et les actes internationaux. Le pouvoir judiciaire est
la clé de voûte du respect de l’État de droit, particulièrement à son sommet
par la Cour de cassation, d’où l’intérêt considérable et indispensable de l’enseignement de la Cour de cassation en matière du droit de l’assurance soins
de santé et indemnités analysé brillament par S. Hostaux dans cet ouvrage.
25. Le troisième volet de l’article 29,3 dispose que ces droits ne peuvent
s’exercer, en aucun cas, contrairement aux buts et principes des Nations
Unies. Le 5ème considérant de la D.U.D.H. s’exprime comme suit : « dans la
charte, les peuples des Nations unies ont proclamé leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine,
dans l’égalité des droits des hommes et des femmes ; ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleurs conditions de vie
dans une liberté plus grande ». C’est la même dignité de l’homme qui fonde
les droits de la D.U.D.H. Depuis, les Nations Unies proclament l’instauration de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande. Ces deux
notions ou concepts de dignité et de liberté par de meilleures conditions de
vie s’assemblent ; cette liberté n’est pas abstraite ; il n’est pas question seulement de « laisser libre » l’homme, encore faut-il le libérer de la misère et
des besoins sociaux et le couvrir en cas de risques sociaux.
C’est précisément cette dignité que l’assurance soins de santé et indemnités de droit belge entend respecter dans les meilleures conditions de vie ;
la santé est la première priorité de la personne à la recherche du bonheur ;
c’est cette valeur de la personne, la dignité, que cette assurance sauvegarde
en respectant sa santé. C’est dans cette perspective qu’il y a lieu d’interpréter
la norme légale qui dispose à l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juillet
1994 que pour être reconnu incapable de travailler pour un travailleur salarié,
il faut avoir une réduction de capacité de gain de 66 pc au moins ; ce pourcentage ne fait pas l’objet d’un barème par pathologie par exemple. Ce pourcentage n’est, en effet, pas barémisable mais l’évaluation de ce pourcentage
demeure au vu de quelques critères visés par la loi mais sans doute insuffisants
20.P. Marchal, Les principes généraux du droit, coll. R.P.D.B., Bruxelles, Bruylant, 2014.
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
pour apprécier scientifiquement ledit pourcentage. C’est pourquoi l’évaluation des 66 pc doit être conforme au respect de la dignité humaine ; on ne
pourrait , en effet, retenir les 66 pc uniquement lorsque le travailleur est dans
un état « grabataire ». Dans la pratique, si un travailleur salarié ne peut physiquement être apte à un travail mi-temps, il est considéré en règle comme
incapable de travailler21.
§ 2. La charte sociale européenne faite à Strasbourg
le 3 mai 1996
I. L’analyse des considérants du préambule de la charte sociale
européenne
26. La charte sociale européenne du Conseil de l’Europe est « le pendant
social » de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;
celle-ci concerne des droits civils et politiques tandis que la charte sociale
européenne est relative aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces
droits sont indivisibles. Ils se complètent. Les uns ne sont pas supérieurs aux
autres. Ils s’opposent parfois (vie privée-droit à la santé). Si ces droits civils et
politiques sont des droits de « résistance » au Pouvoir, ces droits délimitant
des « zones d’autonomie » fermées aux autorités publiques22 et si ces droits
et libertés, droits fondamentaux de l’homme, participent d’une conception
individualiste libérale et négative en ce qu’ils demandent à l’État de laisser
libre la personne humaine, il n’en est pas de même des droits sociaux, droits
également fondamentaux » qui postulent de l’État de libérer l’homme du
besoin social. Ce changement est d’ordre politique parce que l’État devient
actif et social étant débiteur d’une créance sociale à l’égard du citoyen en sa
qualité de personne humaine dont il y a lieu de respecter la dignité en faisant en sorte qu’il soit libéré de la misère et de la pauvreté par des moyens
d’existence. La raison en est que l’homme n’est concrètement libre que s’il
est libéré des besoins sociaux (santé, pension, incapacité, charge d’enfants,
chômage) pour bénéficier réellement de sa liberté.
Ces droits de l’homme sont indivisibles parce que pour contester le
refus d’une prestation sociale le citoyen doit avoir accès au Pouvoir judiciaire en sorte que les droits civils et politiques sont nécessaires en tant qu’ils
comprennent notamment le droit d’accès à la justice, le droit à un procès
21. Voy. Ph. Gosseries, in préface de l’ouvrage de S. Hostaux, Le droit de l’assurance soins de
santé et indemnité, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 14 à 16.
22.J. Marange, Les libertés publiques, PUF, Paris, 1982, p. 49.
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Préface
27
équitable, le droit à un tribunal impartial, le droit à un délai raisonnable et
le droit de défense23.
27. La charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et révisée à Strasbourg est modifiée au motif, selon le 5ème considérant du préambule, que « la conférence ministérielle des droits de l’homme tenue à
Rome le 5 novembre 1990, a souligné la nécessité [...] de préserver le caractère indivisible des droits de l’homme [...] et de donner à la charte une nouvelle dimension pour tenir compte des changements sociaux fondamentaux
intervenus depuis 1961 (soit 30 années). La doctrine avait déjà relevé que la
1ère édition de la charte signée à Turin le 18 octobre 1961 a pour souci principal que l’homme est le point central de la philosophie de la communauté
européenne »24.
II. L’analyse des dispositions de la charte sociale européenne
A. Partie 1 de la charte
28. La charte n’a pas d’effet direct ; ce sont des engagements des États, parties à la charte. Il faut ensuite que l’État, seul responsable de la reconnaissance des droits, légifère pour déterminer les conditions du bénéfice de ces
droits.
29. Quant à l’énumération des droits reconnus par les États, parties à la
charte, retenons ceux qui intéressent le sujet traité par le présent ouvrage
de S. Hostaux :
–– toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui
permettant de jouir du meilleur état de santé qu’il puisse attendre
(pt 11). Observons que la santé est la priorité des priorités pour la
personne humaine en quête de bonheur et d’épanouissement de sa
personnalité. Quand la santé disparaît, le travail n’est plus possible,
les revenus ou ressources manquent ;
–– tous les travailleurs salariés ont droit à la sécurité sociale y compris
leurs ayants-droit (pt 12). Observons que ceci est en retrait par rapport à la D.U.D.H. ; seuls les travailleurs salariés ont droit à la sécurité
23.P. Marchal, Les principes généraux du droit, op. cit., pp. 149 et s ; P. Marchal, « Examen de
jurisprudence (2001-2010) de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme »,
R.C.J.B., 2014/2, n° 138, pp. 175, 196 et s. ; Ph. Gosseries, « Sécurité sociale comme droit de
l’homme », J.T.T., 1996, pp. 73 et s.
24.M. Taquet et Ph. Gosseries, La charte sociale européenne, coll. Études sociales, pp. 47-48,
droit social, 1962, office général du livre, Paris, la pensée catholique, Bruxelles, p. 7.
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28
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
sociale et non pas toute personne. La conception universaliste ne l’a
pas emporté. En dehors du travail point de salut !
toute personne démunie de ressources suffisantes a droit à l’assistance
sociale et médicale (pt 17). En droit belge, ce n’est pas dans le droit
de la sécurité sociale que l’aide sociale et médicale est accordée aux
personnes démunies de ressources. C’est la loi sur l’aide sociale de la
compétence du C.P.A.S. Il y a 150.000 demandeurs d’aide au C.P.A.S.
auxquels viendront se joindre des milliers de personnes exclues du
chômage par les mesures gouvernementales privant les bénéficiaires
de l’allocation d’insertion au 1er janvier 2015. Il s’agit d’une prestation
non contributive qui n’est attribuée que moyennant enquête sur les
ressources. De plus en plus de jeunes forment cette demande, ce qui
témoigne d’un degré de pauvreté et de précarité important chiffré à
10 % au moins en Belgique ;
toute personne a le droit de bénéficier des services sociaux spécialisés
(pt 14). Ce droit recouvre partiellement le droit à l’assistance sociale
et médicale. Les services sociaux spécialisés sont aussi les maisons de
repos, les maisons de repos et de soins, les maisons de soins psychiatriques qui relèvent de l’assurance soins de santé ;
toute personne a le droit de bénéficier de services sociaux qualifiés
(pt 15) ;
la famille en tant que cellule fondamentale de la société, les enfants
et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et
économique ;
les travailleurs migrants de l’un des États parties à la charte sont à
traiter de manière égale aux ressortissants de l’État d’accueil, partie
à la charte, et ont droit à la protection de l’assistance sur le territoire
de tout État partie à la charte (pts 16 à 19).
B. Partie 2 de la charte
30. Il nous suffit d’exposer les devoirs des États en rapport avec le devoir de
la sécurité sociale qu’ils reconnaissent. Les dispositions sont techniques dans
la mesure où il n’y est pas question de la finalité des droits sociaux soit la
quête de bonheur ou l’épanouissement de la personne humaine par la sécurité sociale.
Les obligations des États sont celles d’établir ou de maintenir un
régime de sécurité sociale et de s’efforcer de porter le régime progressivement à un niveau plus élevé ; de plus, concernant les travailleurs migrants, les
États d’accueil, parties à la charte, doivent respecter l’égalité de traitement et
le maintien des droits acquis de la sécurité sociale dans un autre État, partie
larcier
Préface
29
à la charte. Cette égalité de traitement et le maintien des droits déjà acquis
doivent favoriser la libre circulation entre les États parties à la charte ; c’est
particulièrement important pour les soins de santé et les indemnités d’incapacité de travail. C’est cette philosophie qui fonde les règlements de coordination des régimes de sécurité sociale des travailleurs migrants (règlements
nos 3-1408/71 et 883/2004) de l’U.E.
31. Il nous faut développer quelque peu une autre disposition (art. 16) qui
a trait au droit de la famille à la protection sociale, juridique et économique.
Deux éléments sont à considérer. D’une part, l’objectif des conditions
de vie indispensables au plein épanouissement de la famille, ambitieux mais
indispensable lorsque la famille est reconnue comme cellule fondamentale de
la société. L’objet de plein épanouissement dépasse celui de la sécurité sociale
qui couvre pourtant les allocations familiales, droit de l’enfant.
Cette protection sociale de la famille s’opère non seulement par des
prestations familiales mais aussi d’autres prestations ainsi des dispositions
fiscales et de logement.
Les dispositions de protection sociale, juridique et économique sont
au cœur de la crise économique 2008-2015. Ainsi, en France, les allocations
familiales ont été réduites de manière très importante pour les familles qui
avaient des revenus de plus de 5.000 euros par mois. L’objectif suivi par le
législateur français ne pourrait être le plein épanouissement de la famille ce
qui est pourtant la finalité de la charte pour ce qui concerne la protection de
la famille ! Cette dégressivité importante des allocations familiales, parfois
de moitié, est difficilement justifiable dans la mesure où les familles visées
par cette dégressivité paient déjà sur les revenus bruts des cotisations fonction de ceux-ci. Il y a dès lors une double sanction de ces familles à la fois
sur les cotisations et sur les prestations. Or un enfant en vaut un autre et les
allocations familiales doivent servir à couvrir les besoins des enfants même
si elles sont versées à celui ou ceux qui auront la charge d’éducation. Enfin,
cette dégressivité des prestations en fonction des revenus du ménage constitue un précédent dangereux et un nouvel argument de rejet de l’État social.
En effet, précédent dangereux parce que dans le futur, le législateur français pourrait prendre des mesures de dégressivité en d’autres domaines de
la sécurité sociale, ainsi pour le chômage, les indemnités d’accident du travail, les pensions, etc. Cette dégressivité des acquis sociaux au détriment des
familles à revenus plus élevés est un argument de plus pour contester la solidarité, fondement de l’État social, et favoriser l’individualisme et dès lors la
privatisation de la sécurité sociale. La question se pose enfin de savoir si la
solution aux inégalités sociales et à la fracture sociale doit s’opérer sur le dos
des enfants qui sont égaux en droit et en dignité.
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30
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
Enfin, cette dégressivité importante des prestations familiales dont le
droit est garanti par la constitution peut-elle s’opérer sans toucher aux éléments essentiels des prestations ? Cette dégressivité est-elle nécessaire en
fonction de l’intérêt général et du bien commun. Les mesures prises sontelles conformes aux objectifs poursuivis et ne pourrait-on pas prendre des
mesures différentes et ayant le même résultat en nuisant moins aux personnes concernées ? L’obligation de standstill s’applique, en effet, mais elle
est relative dans son interdiction de dégressivité des prestations. Le principe général de droit de proportionnalité permet d’analyser et de soupeser
les enjeux en présence et les intérêts qui se confrontent. Cette question sera
développée plus avant tant dans l’analyse de la charte des droits fondamentaux de l’U.E. que de la constitution belge (§§ 3 et 4 ci-après).
§ 3. La charte des droits fondamentaux de l’U.E., à valeur
constitutionnelle25
32. L’analyse de la charte s’opère dans le même temps quant au préambule
et quant au contenu de ses dispositions parce que le préambule est particulièrement détaillé ; procéder d’une autre manière risque fort de se répéter
inutilement et sans raison.
I. La dignité humaine, la liberté, l’égalité, la solidarité, valeurs
indivisibles et universelles
33. « Les peuples de l’U.E. ont décidé de partager un avenir pacifique
fondé sur des valeurs communes » (considérant 1er). Ces valeurs sont énoncées au considérant 2ème à savoir « consciente de son patrimoine spirituel et
moral, l’U.E. se fonde sur des valeurs universelles et indivisibles de la dignité
humaine, de la liberté, de l’égalité et de la solidarité ; l’union repose sur le
principe de démocratie et du principe de l’État de droit ; elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en
créant un espace de liberté, de sécurité, de justice ».
34. Ces valeurs sont indivisibles et universelles comme elles sont inviolables
et inaliénables. Indivisible parce que l’irrespect de la dignité touche bien sûr
à la liberté, à l’égalité dans la dignité et à la solidarité. Cet irrespect est une
atteinte à l’ordre démocratique et à l’État de droit.
25. J.O.U.E., 18 décembre 2000.
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Préface
31
Ces valeurs sont inaliénables. La personne humaine ne peut renoncer à
sa dignité qui est de nature ; elle ne peut renoncer aux prestations de sécurité
sociale qui sont fondées sur le respect de la dignité de la personne humaine.
A. La dignité humaine et son respect
35. Quel sens donner à la dignité humaine que le droit doit respecter ?
Est-ce un concept juridique, éthique ou moral ? Selon le professeure Mireille
Delmas Marty, le principal droit à la protection absolue n’est pas le droit à
la vie, mais le droit à la dignité humaine ; celui-ci fonde, en effet, l’interdiction absolue de la torture, des traitements inhumains et dégradants, de
l’esclavage. Au-delà de cette notion de dignité de la personne humaine, la
réflexion débute sur ce qui pourrait être la notion d’humanité englobant le
droit à la vie, mais aussi à la mort mais dans la dignité [...]. Il faudrait en
enraciner davantage l’idée que l’humanité implique nécessairement la vie
et la dignité. S’il y a vie, il doit y avoir également respect de la dignité. Cela
marque à la fois la singularité de chaque être et son appartenance à la communauté humaine26.
36. Mais, les droits de l’homme sont particulièrement une question de
limites des droits. « Considérés en termes de protection absolue, les droits
de l’homme se contredisent parfois (vie privée droit à la santé) ; en revanche,
les droits de l’homme deviennent opérationnels spécialement lorsqu’ils sont
interprétés en termes de limites, de dérogations, d’exceptions, de restrictions.
La question est alors sur base de quels critères définir les seuils de protection et où les placer ». Ainsi, à titre exemplatif, il en est aussi des écoutes
téléphoniques qui sont, d’une part, une atteinte à la vie privée mais, d’autre
part, elles sont nécessaires à la recherche de la vérité et des infractions qui
lorsqu’elles sont découvertes permettent la réalisation de l’État de droit avec
le concours du pouvoir judiciaire27.
Ainsi, par-delà la protection des personnes [en raison du respect de la
dignité humaine], s’affirme la volonté de rencontrer les exigences de l’intérêt général ou parfois d’intérêts individuels antagonistes et à les privilégier
par le jeu des clauses dérogatoires qui légitiment certains manquements aux
droits et constituent des faits justificatifs. Des pratiques relèvent de la raison d’État28.
26.M. Delmas Marty, « L’homme des droits de l’homme n’est pas celui du biologiste »,
Esprit, 1989, p. 121.
27. Voy. M. Delmas Marty, Raisonner la raison d’État : vers un principe des droits de l’homme,
PUF, Paris, 1989, pp. 19 et s.
28. Ibid., p. 18.
larcier
32
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
37. N’est-ce pas le pape François qui déclarait le 25 novembre 2014 devant le
parlement du Conseil de l’Europe à Strasbourg que « promouvoir la dignité
de la personne signifie reconnaître qu’elle possède des droits inaliénables
dont elle ne peut être privée au gré de certains et encore moins au gré des
intérêts économiques. Mais il convient de faire attention pour ne pas tomber
dans les équivoques qui peuvent naître d’un malentendu sur le concept de
droits humains et de leur abus paradoxal [...]. au concept de droit, celui –
aussi essentiel et complémentaire – de devoir en semble plus associée de
sorte qu’on finit par affirmer les droits individuels sans tenir compte du
fait que tout être humain est lié au contexte social dans lequel ses droits et
devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société
elle-même »29.
À ceux qui ne voient dans les droits de l’homme, qui recouvrent le
concept de dignité humaine, qu’un idéal et non des droits parce qu’ils promettent trop : la santé, la vie, le travail, la culture30, une autre doctrine –
majoritaire – souligne que la charte des droits fondamentaux consacre au
principe de dignité humaine son chapitre 1er intitulé dignité dont l’article 1er
stipule que la dignité est inviolable ; elle doit être protégée31. Cette doctrine poursuit que la dignité est le socle des droits fondamentaux. Dans le
même sens, F. Kurz, considère à bon droit que la quête de la dignité humaine
revient à garantir l’incontestablement dû à tout être humain pour assurer
le respect de ce qu’il est32. « Les droits de l’homme sont la naissance de la
conception moderne des droits de l’homme comme principe sur lesquels
fonder non seulement la protection de la liberté par la loi mais au besoin
contre la loi [...]. Les droits de l’homme sont une manière de produire de la
conscience juridique ou encore de réintroduire la question du droit au sein
du positivisme juridique en indiquant non pas le contenu de la règle de droit
mais le "droit du droit" c’est-à-dire la règle du jugement qui permet de tracer la limite entre ce qui est ou ne peut être du droit [...]. Ainsi apparaît la
spécificité des droits de l’homme comme pratique de rationalité adapté aux
exigences du pluralisme juridique qu’il soit national, international ou supranational tel le droit européen de l’U.E. »33.
29. Pape François, op. cit.
30.Fl. Bussy, « La consécration par le juge français du respect de la dignité humaine », in
Justice et droits fondamentaux, études offertes à J. Normand, Litec, Paris, 2003, pp. 61 et s.
31.G. De Leval, Recouvrement et dignité humaine in justice et droits fondamentaux, Litec, Paris,
2003, pp. 321 et s.
32.F. Kurz, « L’application du principe du respect de la dignité humaine : un défi pour les
juridictions du travail », J.T.T., 2002, p. 273.
33.M. Delmas Marty, Le flou du droit, PUF, Paris, 1996, p. 294.
larcier
Préface
33
38. Pour une doctrine à notre sens dépassée, minoritaire et pourtant récente,
le concept de dignité n’est pas un concept juridique, pour preuve le fait qu’il
est rebelle à toute définition juridique ; concept philosophique à caractère
ontologique, les applications qui en sont faites par le droit ne contribuent
qu’à accroître son opacité [...]. Il n’y a pas de place là pour la coexistence de
deux logiques au sein du droit positif, l’une qui dégagerait les valeurs fondamentales à son égard, l’autre qui traduirait en règles juridiques les conditions nécessaires au respect de ces valeurs [...]. Aussi, le concept de dignité
introduit dans le droit un puissant vecteur de déstabilisation et conduira,
si son expansion se produit, à une restructuration des droits fondamentaux
au regard de la finalité qui lui est propre à savoir ceux qui sont favorables à
la sauvegarde de la dignité humaine [...]. Ce concept [de dignité] est d’autant plus redoutable qu’il suscite d’emblée le consensus : la dignité exprime
ce qui n’est pas négociable dans le pacte social démocratique ; constituant
un absolu, toute relativité et toute proportionnalité sont interdites ; aussi,
la dignité disqualifierait l’objet du droit qui est de régler les conflits d’intérêts par l’abolition de compromis parce qu’il impose sa prééminence, ce qui
est le signe qu’elle ne relève pas du domaine du droit34. Cet auteur soutient
en conséquence que la sauvegarde de la dignité humaine relève du pouvoir
politique parce que la dignité humaine touche aux valeurs essentielles de
la société ; la consécration par le juge de cette exigence de dignité est révélatrice de nouvelles prérogatives que celui-ci se reconnait au détriment du
pouvoir politique.
Cette même doctrine reconnait pourtant l’importance et l’influence
déterminantes des deux décisions du Conseil constitutionnel français des
27 juillet 1994 et 19 janvier 1995. Dans la 1ère décision, il est dit pour droit
que « la sauvegarde de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » ;
il y a là une consécration juridique de la dignité humaine qui se situe sur
le terrain de la finalité du droit. Dans la seconde décision qui apprécie la
dignité un concreto, « l’individu ne peut accéder à la dignité que s’il dispose des conditions naturelles de vie décentes ».
39. En droit belge, en bref, le concept fondamental de dignité humaine
irrigue le droit qu’il soit civil, social ou pénal. Ainsi, ce concept est fondateur des droits sociaux consacrés par l’article 23 de la constitution belge.
Le législateur l’a retenu comme principe directeur dans la législation sur le
règlement collectif de dettes (art. 1675 C. jud.). Cette disposition consacre
l’exigence fondamentale du maintien de vie conforme à la dignité humaine
34.F. Bussy, op. cit., pp. 66 et 67.
larcier
34
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
pour des débiteurs et les membres de leurs familles35. « Tant le créancier que
le débiteur peuvent être atteints dans leur dignité humaine en raison d’une
procédure de recouvrement dans la mesure où elle est, soit ineffective pour
le premier, soit excessivement appauvrissante pour le second36. La dignité
humaine à respecter est omniprésente dans le droit de la sécurité sociale, y
compris dans le droit à l’assurance soins de santé et indemnités »37.
40. Mais quel est cet humanisme juridique dont le concept de dignité
humaine se veut porteur ? Traduit-il un consensus sur des valeurs nouvelles qui imprègnent le droit ? Telle est notre position. Il faut construire
l’État, non pas autour de l’économie mais autour de la dignité de la personne humaine. Telle est également la position de la professeure M. Delmas
Marty lorsqu’elle considère que la mondialisation des droits fondamentaux
de l’homme est l’instrument de l’humanisme juridique pour s’opposer à la
violation des droits sociaux fondamentaux par la marché mondialisé et globalisé et ses dérives parce que la personne humaine doit être au centre des
actions du politique38. Le contrat social et le contrat politique ne sont-ils
pas les boucliers de la sauvegarde des droits et des libertés des citoyens ? Le
pouvoir politique n’est légitime que s’il sauvegarde ces droits et libertés. Le
pouvoir judiciaire n’est-il pas en dernier ressort le gardien des promesses
des droits et libertés ? L’État de droit que la charte des droits fondamentaux
de l’U.E. entend respecter et réaliser, n’est-il pas le règne du droit comme
la force du droit que les cours suprêmes ont pour mission de faire triompher pour la sécurité juridique, l’unité de jurisprudence, et le respect de la
dignité de la personne humaine fondatrice de l’ordre démocratique. Le pouvoir judiciaire indépendant et impartial est essentiel à l’ordre démocratique ;
il est la clé de voûte de l’État de droit. Il n’y a dès lors aucune usurpation du
pouvoir politique par le juge à faire respecter les droits fondamentaux qui
se fondent sur le respect de la dignité humaine. L’humanisme juridique est
d’autant plus pertinent à invoquer pendant cette période de crise 2008-2015
que les autorités européennes ont adopté des décisions pour sauver l’Europe
en plaçant au centre le marché et l’économie mais au contraire à la marge la
personne humaine. La crise actuelle ne pose-t-elle pas la question de savoir
s’il n’y a pas de nombreuses violations des droits sociaux fondamentaux qui
ont déstabilisé l’état social.
35.J. Hubin et Ch. Bedoret, Le règlement collectif de dettes, CUP, vol. 140, Bruxelles, Larcier,
2013, p. 23.
36.G. De Leval, op. cit., p. 322.
37.Ph. Gosseries, « Droit de la sécurité sociale comme droit de l’homme », J.T.T., 1996, 10,
20, 29 février.
38.M. Delmas Marty, « Le travail à l’heure de la mondialisation », Paris, Fayard, collège de
France, 2013, p. 25.
larcier
Préface
35
B. La liberté
41. La liberté est une des valeurs indivisibles et universelles sur laquelle est
fondée l’U.E. Sous ce vocable, le chapitre 2 de la charte énonce le contenu
des libertés, à savoir les libertés fondamentales relevant des droits civils
et politiques consacrés par les actes internationaux (D.U.D.H., C.E.S.D.H.)
comme celles relatives aux droits sociaux fondamentaux. Ces libertés s’opposent parfois (vie privée (art. 7) et protection des données à caractère personnel (art. 8) s’opposent au droit à la santé (art. 34 et 35). La liberté en
tant qu’elle vise les droits civils et politiques a pour objet de laisser libre le
citoyen dans les zones qui lui sont propres : respect de la vie privée et familiale (art. 7), liberté de pensée de conscience et de religion (art. 10), liberté
d’expression et d’information (art. 11), liberté d’entreprise (art. 16), droit
de propriété (art. 17).
La liberté du citoyen est aussi concrète ; à quoi servirait-il d’être laissé
libre si le citoyen n’est pas libéré de la misère et de la pauvreté et dès lors s’il
n’est pas libéré des besoins sociaux ou couvert contre les risques sociaux. Ces
droits de libération des besoins sociaux ne figurent pas sous le chapitre 2,
intitulé liberté, mais sous le vocable de la solidarité (chap. 4, art. 27 à 38).
C’est ainsi que la sécurité sociale et l’aide sociale comme la protection de
la santé, qui permettent la liberté concrète du citoyen, sont des prestations
sociales qui sont ainsi fondées sur la solidarité.
C. L’égalité
42. Toutes les personnes sont égales en droits et en dignité (art. 20, charte
U.E.). L’égalité est une notion à la fois juridique et politique qui constitue
le fondement de toute démocratie moderne mais aussi le principe premier
de tout l’État qui entend ne pas usurper la qualité de l’État de droit39. En
novembre 2014, l’O.C.D.E. a décerné à la Belgique le 1er prix des États en
matière d’égalité dont on soulignait que l’égalité en matière salariale entre
les hommes et les femmes n’était pas réalisée (20 % de moins en moyenne).
Égalité et non-discrimination constituent le même principe sous des formes
différentes. Toute violation du principe d’égalité est discriminatoire40. Le
principe d’égalité et de non-discrimination est un principe général de droit
39.P. Renauld, « Les illusions de l’égalité ou du nivellement par le bas à la lacune », in Liber
amicorum P. Martens, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 419.
40.P. Marchal, Principes généraux du droit, coll. R.P.D.B., Bruxelles, Bruylant, 2014, citant
F. Delperee et A. Rasson-Roland, in « La Cour d’arbitrage », Rép. not., t. XIV, l. V, Bruxelles,
Larcier, 1996, n° 63.
larcier
36
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
qui est particulièrement appliqué par le droit européen de l’U.E. et fait donc
l’objet de très nombreux arrêts de la C.J.U.E.
43. Définition de ce principe d’égalité.
Celui-ci exige que des situations semblables soient traitées de manière
semblable et que des situations essentiellement différentes soient traitées de
manière différente41. La Cour constitutionnelle a dit pour droit que les règles
constitutionnelles de l’égalité et de non-discrimination n’excluent pas qu’une
différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes pour
autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement
justifiée42. La Cour de cassation et le Conseil d’État ont des enseignements
qui vont dans le même sens43.
44. Les critères d’appréciation du contrôle de conformité.
Il appartient au juge de juridiction de vérifier l’observation de ce principe pour les arrêtés et les règlements en application de l’article 159 de la
Constitution. Il revient à la Cour constitutionnelle de contrôler si la loi est
conforme au principe d’égalité au regard des articles 10, 11, 11bis, 171 et 191
de la Constitution. Quels sont les critères d’appréciation ? « La comparabilité des situations, le caractère objectif et raisonnable de la distinction faite
entre les catégories de personnes, le caractère justifié de la mesure, le caractère légitime du but poursuivi par la mesure, le caractère permanent de la
mesure au regard du but poursuivi par la mesure, son caractère proportionnel par rapport au but poursuivi »44. Concernant ce dernier critère, la Cour
constitutionnelle a dit pour droit que « le principe d’égalité est violé lorsqu’il
est établi qu’il n’existe pas de rapports raisonnables de proportionnalité entre
les moyens employés et le but visé ». Mais ce contrôle ne peut être que marginal dans la mesure où le choix des citoyens pour atteindre un objectif déterminé est du ressort de la compétence du législateur45.
D. La solidarité
45. La solidarité est reconnue au chapitre 4 ; différentes dispositions composent celui-ci. L’article 34 a trait au droit à la sécurité sociale et à l’aide
sociale, et l’article 35 est relatif au droit à la santé qu’il y a lieu de protéger.
46. L’article 34 dispose que le droit à la sécurité sociale vise les cas tels que la
maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse
41.P. Marchal, op. cit., p. 105.
42. C.A., 14 mai 2003, M.B., 5 juin 2003.
43. Cass., 24 avril 1995, Pas., 1995, n° 207 ; C.E., mars 1984, R.A.C.E.
44.P. Marchal, op. cit., p. 109.
45. C.A., 13 juillet 1989 ; Cass., 2 décembre 2013, R.G. n° S.12 0123 F.
larcier
Préface
37
ainsi qu’en cas de perte d’emploi. Elle vise également l’accès aux prestations de cette sécurité sociale. Celle-ci est accordée à toute personne qui se
déplace légalement à l’intérieur de l’U.E. conformément au droit européen
de l’U.E. et aux législations et pratiques nationales. Il s’agit là de l’application du principe de l’égalité de traitement. Enfin en son point 3, l’article 34
dispose que pour lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, est reconnu
le droit à l’aide sociale et au logement destinés à assurer une existence digne
à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes selon les modalités
du droit communautaire et des législations et traditions nationales.
47. Nos observations quant à l’article 34,1 relatif au droit à la sécurité sociale
peuvent se résumer comme suit. D’une part, toute personne a ce droit d’où
le caractère universaliste de la conception de la sécurité sociale comme pour
la D.U.D.H.
48. D’autre part, la sécurité sociale a pour base la solidarité entre les actifs
et les inactifs, entre les travailleurs et les chômeurs, entre les bien portants
et les malades, entre les aptes au travail et les inaptes au travail, entre les
travailleurs et les pensionnés, entre les travailleurs sans enfants et ceux qui
en ont. Les cotisations sociales sont versées par les travailleurs salariés et
leurs employeurs en sorte qu’ils ont la charge de tous ceux qui ne paient pas
de cotisations mais qui émargent à la sécurité sociale comme inactifs qu’ils
soient chômeurs, malades inaptes au travail, handicapés, pensionnés, etc.
49. De plus, la crise économique et sociale 2008-2015 n’a fait qu’aggraver la
mise en question de cette solidarité et dès lors de l’État social parce que le
pourcentage d’actifs par rapport aux inactifs ne cesse d’être déséquilibré et
plus suffisant, par exemple, pour payer les pensions. En effet, le chômage est
endémique, le nombre de chômeurs est de 460.000 en Belgique ; il ne cesse de
remonter aux environs de 8 à 9 % pour tout le royaume. Les soins de santé ne
cessent de croître parce que l’espérance de vie augmente, et avec elle le poids
des seniors de plus de 80 ans. Le coût des pensions qui sont accordées pendant des périodes plus longues, vu l’espérance de vie, devient extrêmement
lourd et ne sera plus supportable à terme sauf modifications légales quant à
la durée de la carrière professionnelle, quant à l’importance des cotisations
sociales, quant au taux d’activité professionnelle. Les invalides en AMI, en
accidents du travail et en maladies professionnelles ne sont pas prêts de diminuer en nombre, vu les conditions de vie au travail, les demandes de productivité plus grande et les différentes violences au travail.
L’évolution de la crise avec le chômage endémique et l’absence de
relance économique est un facteur d’exclusion sociale. La pauvreté en Belgique
frappe au moins 10 % de la population belge et 1 enfant sur 4 ; 150.000 personnes sont demandeurs d’aide sociale au C.P.A.S. 500.000 personnes sont
larcier
38
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
concernées par le règlement collectif de dettes où la 1ère cause est le chômage (27 %). Ces surendettés augmentent de 9 % en 2013. La pauvreté a également pour effet le non recours aux soins de santé. Ce phénomène est très
important en France ; le montant des prestations en cas de non recours est
du même ordre que le montant de la fraude sociale en France46.
50. Enfin, face à cette situation dans laquelle l’État social est déstabilisé et
contesté et à cause de laquelle conséquemment un manque de confiance
dans le pouvoir de l’État se manifeste, la privatisation de la sécurité sociale se
met lentement en place augmentant encore les inégalités sociales et la fracture sociale et témoignant de la perte de la solidarité et de la montée en puissance de l’individualisme. Ainsi, les assurances hospitalisation qui veulent
couvrir ce qui n’est pas remboursé par l’assurance soins de santé obligatoire deviennent nombreuses, qu’elles soient l’émanation des assurances privées ou des mutualités, ce qui peut entrainer une médecine à deux vitesses.
Ainsi, les assurances dento pour la couverture des prestations dentaires non
couvertes par le régime AMI obligatoire, ainsi les assurances revenu garanti
couvrant le risque de l’incapacité de travail pour avoir un revenu de remplacement suffisant, les indemnités d’incapacité obligatoire étant peu importantes et trop faibles ; les assurances pensions de groupe et individuelles,
2e et 3e piliers, qui viennent compléter la pension légale dont le montant n’atteint pas 1.300 euros de moyenne par pensionné. Ces différentes assurances
illustrent le souci des individus de se couvrir seuls en dehors de la solidarité de base de la sécurité sociale obligatoire. Cette privatisation est-elle inévitable vu que les finances de l’État ne peuvent plus suffire ? La période de
crise ne fait qu’aggraver ce phénomène. Les pouvoirs publics doivent intervenir pour sauver la sécurité sociale, filet essentiel de la protection sociale. À
titre d’exemple, 60 % des résidents de maison de repos ne peuvent pas couvrir avec leur pension légale le coût de la pension de la maison de retraite !
Et l’on ne s’étonnera pas de l’angoisse des personnes âgées dépendantes !
51. Situation inverse pour les personnes qui passent à travers le filet de protection de la sécurité sociale.
Des prestations sociales non contributives ont été instituées en droit
belge en dehors du régime de la sécurité sociale. Nous pensons aux allocations pour handicapés, au revenu garanti pour personnes âgées, à l’aide
sociale octroyée par le C.P.A.S. Cette aide sociale est précisément accordée
comme le dit l’article 34,3 afin d’assurer une existence digne à tous ceux qui
ne disposent pas de ressources suffisantes. Peut-on affirmer que l’aide du
C.P.A.S permet cette vie digne ? Le rôle du C.P.A.S. est essentiel pour couvrir
46. Voy. Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 24 à 27.
larcier
Préface
39
ceux qui sont exclus de la sécurité sociale. Et pourtant, le C.P.A.S. est supprimé en Flandre et le sera très probablement à Bruxelles et en Wallonie. Le
C.P.A.S. sera remplacé par un échevinal de l’ordre social dont le budget sera
assuré par le Collège des Bourgmestre et Échevins.
52. L’article 35 de la charte dispose pour toute personne un droit à la protection à la santé. Cette même disposition postule un niveau élevé de la protection de la santé dans les politiques et actions de l’Union européenne.
II. Les principes de démocratie et de l’État de droit
53. Selon le 2e considérant du préambule de la charte, l’U.E. repose sur les
principes de démocratie et de l’État de droit.
54. L’ordre démocratique respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont
visés dans la charte.
55. L’État de droit est le règne de la loi et la force du droit. L’État de droit
repose sur une confiance absolue placée dans le droit sur lequel on compte
pour limiter un État dont on se méfie ; ce n’est pas un effet du hasard si le
thème de l’État de droit est réapparu avec la crise de l’État providence qui
inversait cette relation en faisant du droit un instrument d’action en vertu
d’un État doté d’un bien fondé de principe [...]. Toute extension des garanties juridiques tend à être perçue comme positive et la juridicisation intégrale
des rapports sociaux se profile à l’horizon de l’État de droit47. Nous constatons un double phénomène dans le sens de la revalorisation du droit à savoir
la juridicisation des problèmes et la montée en puissance des professionnels
du droit. Quelques exemples de ce retour en force du droit : l’explosion judiciaire démontre le recours croissant aux dispositifs de protection juridique,
la formulation des revendications sociales en termes de droits à conquérir,
la demande de droit pour les problèmes nouveaux (p. ex., euthanasie des
enfants, ...), l’environnement, la bioéthique. Tout ceci témoigne de l’importance plus grande du droit dans l’organisation de la société parce que le droit
est considéré comme une protection et une garantie assurant sécurité et stabilité dans les rapports sociaux. L’importance des cours constitutionnelles a
obligé le législateur à tenir compte des enseignements de celles-ci ; la référence à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation comme du Conseil d’État ou encore de la Cour de justice de l’Union
européenne constitue un argument de poids dans les débats politiques48. La
politique peut dès lors apparaître comme étant saisie de plus en plus par le
droit. Il y a pléthore de normes législatives qui règlementent tous les aspects
47.J. Chevalier, L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1994, p. 135.
48. Ibid., p. 135.
larcier
40
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
de la société ! À la suite de cette revalorisation du droit, nous assistons à la
montée en puissance des juristes. La situation des professionnels du droit
est conditionnée, dans une société donnée, par la conception du droit qui
domine à l’intérieur de cette société49.
56. Cet État de droit a cependant ses limites. En Allemagne, on déplore une
trop grande juridicisation de la vie sociale qui se traduit par la multiplication
des règles et des procédures portées devant les tribunaux. Aux États-Unis,
les effets pervers produits par une société contentieuse sont mis en avant et
critiqués. Le fait que tous les problèmes se résolvent en justice, coûteuse et
imprévisible, n’est-il pas nuisible au dynamisme et à l’impératif de sécurité
juridique50 ? Quant à ses limites, tout se déroule comme si le droit, investi
de trop d’attentes, suscitait de réactions contradictoires : demande de règles
juridiques certes mais à l’inverse condamnation de la pléthore de textes ;
appel au juge certes mais dénonciation de la lenteur de la justice ; danger
d’un juridisme qui consiste à donner des énoncés juridiques la valeur de la
vérité du principe faisant ainsi du droit le moteur de la vie sociale ; or, le
dynamisme sociale et politique ne peut être condensée dans l’objectivité des
formes juridiques. Pour le professeur Chevalier, la véritable signification des
énoncés juridiques se trouve dans les interprétations données51.
57. La question véritable reste celle des rapports de l’État de droit et de la
démocratie. L’État de droit implique que la liberté des organes de l’État est
à tous les niveaux limitée par l’existence à des normes juridiques supérieures
dont le respect est garanti par l’intervention d’un juge.
Le juge est donc la clé de voûte de la condition de la réalisation de
l’État de droit. La hiérarchie des normes ne devient effective que si elle est
juridictionnellement sanctionnée ; les droits fondamentaux ne sont réellement respectés que si un juge est là pour assurer la protection. Le culte du
droit aboutit à la sacralisation du juge. L’État du droit met en avant la figure
du juge qui est investi du rôle de gardien des valeurs inaliénables et universelles. Ce rôle prend sa véritable portée par rapport aux élus. Le contrôle
de constitutionnalité des lois est un critère essentiel de l’État de droit et la
condition de sa substitution à l’État légal [...]. La démocratie n’est plus synonyme de pouvoir sans partage des élus. L’État de droit est devenu un élément
positif d’une démocratie élargie. L’existence du juge constitutionnel apparaît comme un instrument de réalisation de l’exigence démocratique. Enfin,
le concept de l’État de droit implique pour les gouvernements qu’ils ne sont
pas au-dessus des lois mais qu’ils exercent une fonction encadrée et régie par
49. Ibid.
50. Ibid., p. 145.
51.J. Chevalier, « Les interprètes du droit », in La doctrine juridique, Paris, PUF, 1993, p. 259.
larcier
Préface
41
le droit52. Les droits de l’homme restent ce par quoi un retour du droit a les
meilleures chances de se réaliser53.
III. L’U.E. place au cœur de son action la personne en instituant
la citoyenneté et en créant un espace de liberté, de sécurité,
de justice
58. L’intitulé du littera C ci-avant est contenu dans le 2ème considérant du
préambule de la charte. Concernant la valeur de liberté, nous avons déjà
développé nos réflexions à cet égard ci-avant (supra, n° 41).
A. La justice
59. Le chapitre VI de la charte énonce les droits qui sont relatifs à cette
valeur, à savoir :
–– droit au recours effectif et à accéder à un tribunal impartial (art. 47) ;
–– droit à la présomption d’innocence et droits de défense (art. 48) ;
–– principe de légalité et principe de proportionnalité des délits et des
peines (art. 49) ;
–– droit de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une
même infraction (art. 50).
1. Le
tribunal impartial et indépendant (art. 47)
60. Les dispositions de la charte concernent les principes généraux du droit
en rapport avec la procédure. Ces principes ont pour finalité de respecter la
dignité de la personne humaine lorsqu’elle recourt à la justice.
Le 1er principe est celui de l’indépendance et de l’impartialité du
juge (art. 47). Ce principe vaut en droit judiciaire au sens de l’article 6 de la
C.E.S.D.H.54. Ce principe s’applique aussi en droit administratif.
52.J. Chevalier, Introduction au droit, Paris, Montchrestien, 1998, p. 12 ; sur l’État de droit,
voy. B. Kriegel, Cours de philosophie politique, Paris, Le Livre de poche, 1996, pp. 13 et s.
53.J. Chevalier, Introduction au droit, op. cit., 142 ; sur l’État de droit, voy. aussi B. Kriegel,
Cours de philosophie politique, op. cit., pp. 13 et s.
54.P. Marchal, op. cit., p. 349.
larcier
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
42
2. Les droits
(art. 48)
de la défense et le principe du contradictoire
61. Le droit défense est un droit fondamental qui entend assurer entre les
parties une parfaite égalité ; inhérent à l’ordre juridique, il est d’application
devant toutes les juridictions. Ce principe est dénommé également principe du contradictoire en droit judiciaire privé qui est garanti à tous les
stades de la procédure. Enfin, il est caractérisé par le procès équitable (art. 6
C.E.S.D.H.).
Ce principe qui est d’ordre public, doit être soulevé d’office par le
juge pour en assurer son application parce qu’il touche au principe dispositif comme droit de défense. Le juge a, cependant, dans ce cas, l’obligation de
la réouverture des débats s’il se fonde sur des faits que les parties ont soumis
à son appréciation. En droit pénal, plus exactement en procédure pénale, ce
principe reçoit ses applications les plus nombreuses55.
3. Le
principe de légalité et celui de proportionnalité (art. 49)
62. Selon le principe de légalité, le juge ne peut appliquer une disposition
si elle viole une disposition supérieure. L’article 159 de la constitution le
consacre en disposant que les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et
règlements que pour autant qu’ils soient conformes à la loi. Ce principe, fondement de l’État de droit, sanctionne la hiérarchie des normes. Une limite à
ce principe réside dans la séparation des pouvoirs en ce sens que les juridictions judiciaires et administratives ne peuvent contrôler la conformité des
lois à la constitution. Cette compétence appartient à la Cour constitutionnelle soit sur recours, soit sur questions préjudicielles posées par les juridictions judiciaires et administratives.
63. Le principe de proportionnalité est reconnu comme principe général du
droit par le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle mais non pas par la
Cour de cassation. Ce principe est appliqué très souvent par la C.J.U.E.56 ; il
exige qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les motifs
fondant une décision et son objet57.
4. Non
bis in idem (art. 50)
64. L’article 50 interdit d’être jugé ou puni pénalement deux fois pour une
même infraction (art. 50).
55. Ibid., pp. 171 et 172.
56. Voy. Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, op. cit., pp. 65 à 80.
57. Voy. P. Martens, « L’irrésistible ascension du principe de proportionnalité », in Mélanges
offerts à J. Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 49 et s.
larcier
Préface
43
Le principe de droit non bis ibidem a pour signification qu’une personne ne peut faire plus fois l’objet d’une sanction pénale pour le même fait.
On constate que cette définition n’est pas identique à celle de l’article 50
de la charte. En effet, l’article 50 interdit d’être jugé ou puni deux fois pour
une même infraction. Tandis que le non bis ibidem ne vise pas l’infraction
mais le fait.
L’application est faite en matière pénale et limitée aux sanctions.
Ainsi, en droit de la sécurité sociale, d’une part, il faut qu’il s’agisse
d’une sanction de nature pénale. Ainsi, en assurance chômage, le refus du
droit aux allocations de chômage pour indisponibilité sur le marché du travail n’est pas une sanction mais un refus d’allocations parce que le chômeur
ne remplit pas les conditions d’octroi aux prestations. La circonstance pour
le chômeur en droit belge de ne pas réunir les conditions d’octroi, qui sont
d’ordre public, pour bénéficier des allocations de chômage, n’est pas une
sanction s’il lui est refusé ce bénéfice. D’autre part, il faut qu’il s’agisse d’une
sanction de nature pénale au sens de l’article 6 de la C.E.S.D.H. Il y a de nombreuses sanctions administratives pécuniaires ou non qui, en AMI, ont un
caractère pénal. Il y a des controverses sur la question de savoir si à un fait
qui peut faire l’objet de deux sanctions, l’une purement matérielle, l’autre
avec l’intention frauduleuse, il y a lieu à appliquer ou non le principe général de droit non bis ibidem. La Cour de cassation a dit pour droit qu’un fait
peut faire l’objet de deux sanctions, la 1ère purement matérielle et la seconde
nécessitant une intention frauduleuse ou malicieuse. Cet enseignement n’est
pas partagé par les juridictions de fond.
5. Le
droit à un recours effectif à un tribunal (art. 47)
65. Ce principe général de droit de la séparation des pouvoirs a pour but
de limiter l’exercice d’un pouvoir judiciaire afin que chacun des organes de
l’État ne puisse exercer qu’une partie de la souveraineté ; ce principe tient
aussi à réaliser un équilibre entre les différents pouvoirs de l’État58. Le pouvoir judiciaire est le gardien exclusif des droits subjectifs et en règle des droits
administratifs (art. 144-145 de la constitution). Mais, il faut pour cela que le
citoyen ait réellement accès au juge. En matière de droit à la sécurité sociale
et d’aide sociale, l’accès au tribunal du travail est gratuit et informel ; une
simple requête suffit (art. 704 C. jud.) ; l’auditeur du travail a en cette matière
le pouvoir d’information auprès des administrations compétentes pour des
58.E. Krings, « Considérations sur l’État de droit, la séparation des pouvoirs et le pouvoir
judiciaire », J.T., 1989, p. 521.
larcier
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
44
renseignements d’ordre administratif59 ; il constitue le dossier avant qu’il ne
soit transmis au juge ; cette information ne peut dépasser l’objet du litige sauf
moyens d’ordre public à soulever d’office. L’auditeur du travail donne son
avis, écrit ou oral, à l’audience publique du tribunal devant lequel les parties
comparaissent en personne ou sont représentées. L’aide juridique reconnue
par la charte pour les personnes à revenus insuffisants est également consacrée par l’article 23 de la constitution. L’appel est possible devant la cour
du travail et l’auditeur général a également le droit d’information auprès
des administrations publiques compétentes pour des renseignements d’ordre
administratif pour compléter le dossier ; il donne également un avis écrit ou
oral devant la cour du travail devant laquelle les parties comparaissent ou
sont représentées. Le pourvoi en cassation est possible mais doit se faire par
un avocat de cassation. Le pourvoi ne peut porter que sur un moyen de droit.
À défaut de moyen, le pourvoi est irrecevable.
6. Le
droit de toute personne à ce que sa cause soit
entendue dans un délai raisonnable (art. 47)
66. Il y a affrontement entre l’efficacité de la justice et l’effectivité des droits
fondamentaux60. Le souci de ne pas désorganiser l’institution judiciaire, de
lui permettre de fonctionner adéquatement et de rendre ses décisions dans
un délai raisonnable [...] peut aboutir à limiter les autres garanties du procès [...] que penser des mesures d’économie, telles la multiplication des juges
unique, la prolifération du référé, la suppression de l’effet suspensif de l’appel, [la suppression de 15 procureurs sur 27, la réduction des arrondissements judiciaires à 12 et des auditeurs de travail à 8] ? Si ces modernisations
de la justice peuvent l’accélérer, ne risque-t-elle pas de nuire au principe du
contradictoire, à celui de l’égalité des armes, voire à celui de l’impartialité du
juge à défaut de mise en état réfléchie de l’affaire61 ? Pour une doctrine opposée, la rapidité raisonnable de la justice est [...] de très grande importance. La
confiance que les citoyens placent dans le système judiciaire dépend notamment du rythme de traitement des dossiers qui [...] répond à la nécessité de
protection juridique réclamée par les individus [...]. En effet, les dossiers
soumis portent sur des aspects quotidiens du justiciable (ex les conditions
59. Il ne saurait être question pour l’auditeur du travail de s’adresser au médecin traitant, de
l’assurée social pour lui demander des informations médicales concernant le certificat d’incapacité de travail en AMI ; cette compétence n’est pas conférée à l’auditeur du travail.
60.P. Martens, « Peut-on transiger avec les droits de l’homme ? », in Les droits de l’homme
et l’efficacité de la justice, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 20.
61.P. Martens, op. cit., p. 21.
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Préface
45
de travail, le revenu, le niveau de la vie, la sécurité)62. La lenteur de la justice est fréquemment dénoncée : les violations de l’article 6 de la C.E.S.D.H.
liées à la durée excessive des procédures judiciaires demeurent aujourd’hui
la première cause des décisions tranchées par la Cour européenne des droits
de l’homme63 qui condamnent les États membres du Conseil de l’Europe.
7. L’aide
juridictionnelle est accordée à ceux qui ne
disposent pas de ressources suffisantes (art. 47)
67. Ce droit à l’aide juridique est consacré à l’article 23 de la constitution.
Le législateur a pris les mesures nécessaires pour que le justiciable puisse en
bénéficier.
Toutes ces dispositions de la charte doivent permettre effectivement de
revendiquer les droits fondamentaux dans le respect des principes généraux
du droit qui ont pour fondement le respect de la dignité humaine. Le juge, clé
de voûte du respect de l’État de droit, veille à l’application et à l’interprétation des lois. Mais l’État de droit n’est pas seulement le règne de la loi, il est
aussi et surtout le règne du droit et de la force du droit en sorte que le juge
applique les principes généraux du droit et les droits de l’homme. Les principes généraux du droit, reconnus par la charte à valeur constitutionnelle,
sont des « idées directrices fondamentales qui sous-tendent les institutions
soit de valeurs qui polarisent l’activité juridique et qui transcendent les systèmes de droit ; idée directrice séparation des pouvoirs ; valeur : le respect
de la personne humaine et sa prééminence »64.
IV. Droits garantis par la charte et limitation relative des droits
– Niveau de protection des droits – Intervention de l’abus de
droit (chap. 7, art. 52 à 53 de la charte)
68. La question d’actualité en ces temps de crise économique, bancaire,
financière et sociale 2008-2015 est de savoir si la politique d’austérité décidée
par les autorités européennes (Commission, Conseil, B.C.E. plus le F.M.I.)
et les États membres de la zone euro rend admissible et justifiable la limitation des droits et libertés reconnus par la charte dans la mesure où cette
limitation touche à la substance des droits. Précisons que la charte est de la
compétence des institutions européennes dans le champ des dispositions
62.V. Vanderplancke, « Liberté, égalité, efficacité ? », in Les droits de l’homme et l’efficacité
de la justice, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 70 et s.
63. Ibid., p. 78.
64.P.A. Foriers, « La pensée juridique de Paul Foriers », t. II, Bruxelles, Bruylant, 1982,
pp. 675 et s., cité par P. Marchal, Les principes généraux du droit, op. cit., p. 13.
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46
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
européennes. Le pacte budgétaire européen de stabilité a été décidé par les
institutions européennes et les États membres. La plupart des mesures d’austérité ont été prises dans les droits nationaux par les États (sécurité sociale,
protection sociale, services publics, …).
En effet, d’une part, la limitation des droits et libertés reconnus par la
charte doit être prévue par la loi elle-même (art. 52) ; c’est l’application du
principe du respect de l’État de droit. Cette limitation prévue par la loi doit
aussi respecter le contenu essentiel des droits et libertés. De plus, par application du principe de proportionnalité, les limitations ne sont admises que
si elles sont nécessaires à des objectifs d’intérêt général reconnu par l’U.E. ou
au besoin des droits et libertés d’autrui par application du principe de proportionnalité (art. 52).
Cette disposition et les conditions qui y sont formulées pourraient-elle
être invoquées pour défendre les droits garantis par la charte lorsqu’ils sont
réduits ou limités par les mesures d’austérité prises par application du pacte
budgétaire européen de stabilité et la règle d’or, mais à la condition que les
exigences, énoncées par l’article 52 à la réduction ou à la limitation des droits
soient remplies au sens de l’article 52,1 de la charte ? Or, que constatonsnous ? D’une part, les mesures d’austérité prises par les États le sont par des
lois ; d’autre part, si les limitations des droits ne touchent pas à l’essentiel
de ceux-ci et qu’elles sont nécessaires pour lutter contre le déficit budgétaire
et l’endettement public des États, elles répondent à des objectifs impérieux
d’intérêt général reconnus par l’Union et les États de l’U.E., puisque ces
mesures sont le respect du pacte budgétaire européen de stabilité décidé par
les autorités européennes et les États membres de l’Europezone eux-mêmes.
Ces considérations et constatations ne sont pas contestables.
À supposer que les dispositions de la charte ne sont pas violées parce
que les institutions européennes ont décidé du pacte budgétaire, les deux
questions qui se posent à notre sens pour décider si ces limitations ou réductions sont justifiables, sont, d’une part, si les mesures étaient nécessaires pour
atteindre l’objectif et si elles ne touchent pas à l’essentiel des droits ; encore
faut-il qu’elles soient nécessaires. Qu’est-ce à dire ? D’autres mesures atteignant le même objectif n’auraient-elles pas pu être prises, qui auraient moins
causé de dégâts sociaux ? Pour résoudre ce point, il y a lieu à notre sens d’appliquer le principe de proportionnalité. L’application de l’abus de droit visé
à l’article 54 rejoint le principe de proportionnalité lorsqu’il y a confrontation des droits65.
65. Voy. Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, op. cit., p. 78. Pour une recension de l’ouvrage
de Ph. Gosseries, voy. J.-M. Genicot, J.T.T., 10 novembre 2014.
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Préface
47
L’obligation de standstill déduite de l’ancrage constitutionnel du droit
de la sécurité sociale et qui interdit de porter atteinte à l’essentiel des droits,
n’est pas absolue. L’intérêt général peut justifier la restriction. Encore faut-il
que les mesures de limitation soient proportionnelles à l’objectif poursuivi66.
§ 4. La constitution belge
I. Les travaux préparatoires
69. L’affirmation des droits sociaux fondamentaux est consacrée par la
constitution belge (art. 23). Le constituant belge a admis que la notion des
droits de l’homme comprend des droits plus concrets que les droits civils et
politiques, dénommés libertés formelles, qui se révèlent tout aussi fondamentaux pour respecter la dignité humaine. L’évolution de notre démocratie fait apparaître « la nécessité de consacrer l’existence de nouveaux droits
indispensables au bonheur humain »67. De l’examen des travaux préparatoires, on relève notamment ce qui suit : « si en 1830, les droits de l’homme
s’identifiaient aux droits au suffrage universel, à la liberté, l’égalité, aux droits
essentiellement politiques, aujourd’hui la notion de droits de l’homme s’est
affranchie de ce carcan pour englober des droits plus concrets, qui se sont
révélés au fur et à mesure des années, tout aussi fondamentaux pour la
dignité humaine que les droits politiques » [...]. Si l’on admettait initialement que les pouvoirs publics étaient soumis à une obligation négative, celle
de s’abstenir de toute intervention, l’idée selon laquelle la sauvegarde des
droits de l’homme aurait également impliquer pour eux une obligation positive a petit à petit gagné du terrain. L’on attend d’eux qu’ils contribuent de
manière positive à la consécration du droit ou de la liberté en question. Dès
lors une actualisation de la constitution belge s’impose qui tienne compte de
cette position nouvelle et élargie du citoyen et de ses droits68.
70. Le respect de la dignité de l’homme est le fondement des droits sociaux
fondamentaux garantis par la constitution belge et ces droits sont indispensables au bonheur humain de sorte que la quête du bonheur humain est l’objectif et la raison de ces droits au respect de la dignité humaine. Ceci rejoint
la D.U.D.H. et la charte des droits fondamentaux de l’U.E. La constitution est
censée refléter les valeurs essentielles de société prises en compte. Il importe
66. Sur l’obligation de standstill ou le principe de l’effet cliquet, voy. infra, nos 74 et s.
67. Sénat de Belgique, sess. 1992-1993, révision de la constitution, doc. 100/42.
68. Sénat de Belgique, sess. 1992-1993, doc. 100/2/3, pp. 2 et 3.
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48
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
que la constitution traduise les préoccupations qui animent notre démocratie, ce qui constitue un phare pour les autorités de l’État et le citoyen69.
II. Le contenu de la norme constitutionnelle (art. 23)
71. En son article 23, la constitution belge dispose, alinéa 1er, que chacun a
droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, selon l’article 23,2, la loi [...] en tenant compte des obligations composantes garantit
les droits économiques, sociaux et culturels et détermine les conditions de
leur exercice. Ces droits comprennent notamment : 2° le droit à la sécurité
sociale, à la protection sociale, à l’aide sociale, médicale, juridique.
72. D’une part, le respect de la dignité humaine est consacré par la constitution et c’est à cette fin que la loi garantit le droit à la sécurité sociale à
chacun. Le droit n’est pas limité aux travailleurs. C’est donc une conception
extensive et universelle du droit de la sécurité sociale au nom du respect de la
dignité humaine (voy. D.U.D.H.). D’autre part, si l’on ajoute que les travaux
préparatoires soulignent que les droits fondamentaux nouveaux sont indispensables au bonheur humain, c’est à une conception généreuse et humaniste de la sécurité sociale que le constituant adhère.
III. L’ancrage constitutionnel : sens et conséquences
73. La constitution belge n’a pas d’effet direct pour le citoyen, à l’exception du droit à l’égalité (« chacun ») et de la garantie constitutionnelle (la loi
garantit... le droit à la sécurité sociale). Cette garantie dépend cependant du
législateur qui reconnait le droit avec ses conditions et ses limites ; celui-ci
dépend des moyens humains et financiers mis à la disposition par le pouvoir
comme l’accès à la justice pour revendiquer les droits. La garantie constitutionnelle ou l’ancrage constitutionnel est capital pour le droit à la sécurité
sociale et dès lors pour le droit à l’assurance soins de santé et indemnités. Il
l’est plus encore en cette période de crise économique et sociale 2008-2015
où le pouvoir prend de nombreuses mesures sociales pour réduire et limiter les prestations afin de respecter le pacte budgétaire européen de stabilité.
La 6ème réforme de l’État doit nous montrer également vigilants puisque des
matières des soins de santé deviennent de la compétence des régions (p. ex.,
maisons de repos, maisons de repos et de soins, maisons de soins psychiatriques, allocations familiales, titres-services, etc.).
69.F. Delperee, 50 ans de sécurité sociale... et après ?, vol. I, La sécurité sociale, Reflets de la
société, p. 48.
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Préface
49
Que signifient l’ancrage constitutionnel et ses effets ? Cet ancrage a
pour sens qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit à la sécurité sociale,
garanti par la constitution sans violer celle-ci. La reconnaissance constitutionnelle du droit de la sécurité sociale (y compris le droit à l’assurance soins
de santé et indemnités qui en fait partie) implique que les effets expressément voulus par le constituant [le respect de la dignité humaine comme finalité de la reconnaissance] l’emporte en cas d’interprétation des lois [...]. Aussi,
si de telles normes de réduction, de modification, d’exclusion de droits sont
susceptibles de plusieurs interprétations, le juge est tenu de retenir l’interprétation découlant du constituant70.
IV. L’effet de standstill ou l’effet cliquet
74. L’effet de standstill est l’interdiction de la réversibilité des prestations ;
il est une protection constitutionnelle qui impose au législateur de ne pas
porter atteinte aux éléments essentiels des droits garantis par la constitution
(art. 23, 2°) qui lui est applicable le jour où cette disposition constitutionnelle est entrée en vigueur (Const., 25 avril 2007).
Cela signifie que l’obligation de standstill ou de non retrogression est
un obstacle à des mesures législatives de restriction au niveau de protection
précédemment acquis. Aussi, reconnaitre cette obligation de standstill, c’est
s’opposer à tout démantèlement d’éléments essentiels71.
Cet effet est reconnu par la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’État. Les conséquences de l’effet de standstill sont à
analyser notamment à l’égard des dispositions prises par le législateur belge
en matière de l’assurance soins de santé et indemnités par application
du pacte budgétaire européen de stabilité et à l’égard de celles qui seront
prises concernant les matières faisant l’objet de la 6ème réforme de l’État qui
deviennent des matières relevant de la compétence des régions ; ainsi par
exemple des maisons de repos, des maisons de repos et de soins et des maisons de soins psychiatriques. Cet effet est reconnu par des juristes éminents ;
70.J.-F. Leclercq, « Sécurité sociale : stop ou encore ? », Discours de rentrée. Rapport annuel
de cassation 2007, pp. 13 et s ; Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, op. cit., p. 39.
71.J.-F. Leclercq, op. cit., p. 142.
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50
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
ainsi du constitutionnaliste F. Delperée72, du professeur Fierens73, du professeure I. Hachez74, du professeur Jadot75 comme du professeur Dumont76.
Il reste cependant à définir ce que constitue l’interdiction d’une rétrogression significative des éléments essentiels des droits, et à apprécier si des
mesures législatives nécessaires à un objectif d’intérêt général supérieur ou
impérieux peut faire obstacle à l’effet cliquet parce que cet interdit et est
relatif.
V. L’effet relatif du standstill – Principe de proportionnalité
75. Selon le professeure I. Hachez, l’irréversibilité de l’effet de standstill est
relative77. L’effet de standstill s’accompagne de restrictions pour préserver
l’appréciation du législateur. Ces restrictions ne sont acceptables que si elles
sont justifiées sous l’angle de la proportionnalité. Il convient de vérifier si
le recul opéré des droits sociaux poursuit un motif d’intérêt général supérieur et est nécessaire au vu du motif de rétrogression afin qu’il n’entraine
pas des effets disproportionnés pour la substance (éléments essentiels) du
droit réduit ou limité. Le principe de proportionnalité est d’application pour
apprécier les intérêts en cause et les dommages encourus par la mesure de
réduction ou de suppression au vu de l’objectif poursuivi. C’est l’application
de l’abus de droit. Encore faut-il que le recul des droits concerne des droits
octroyés par la législation et non par une pratique ou une directive administrative sans fondement législatif.
De manière concrète, peut-on légalement critiquer le législateur belge
qui prend des mesures de réduction ou de limitation (mesures régressives) de
prestations de sécurité sociale pour respecter le pacte budgétaire européen
de stabilité reconnu d’intérêt général impérieux et nécessaire par les autorités européennes et les États membres de la zone euro ? Peut-on reprocher
aux autorités européennes et aux États membres de la zone euro d’avoir pris
des mesures d’austérité pour sauver l’euro, les banques et les États en faillite,
72.F. Delperee, préface in Les grands arrêts de la Cour constitutionnelle en droit social (Ch.E. Clesse et G. Ranieri coord.), Bruxelles, Larcier, 2010, p. VIII.
73.J. Fierens, « L’effectivité juridique des droits économiques, sociaux et culturels in les
droits de l’homme », CUP, 2000, pp. 194-195.
74.I. Hachez, « Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative », R.D.B.C., 2007, p. 80.
75.I. Hachez et B. Jadot, « Environnement, développement durable et standstill, vrais ou
faux amis », Revue Aménagement, 2009, pp. 5 à 25.
76. Dulmont, J.T., 2013, p. 773.
77.I. Hachez, « Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative », op. cit., p. 80.
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Préface
51
d’avoir voulu redonner confiance dans le marché et éviter que les déficits
budgétaires et l’endettement public ne soient pas combattus laissant une
dette énorme à la charge des générations futures ? C’est bien l’intérêt général qui était en cause. Les mesures législatives qui poursuivaient un objectif
d’intérêt général étaient-elles nécessaires ou bien pouvaient-elles être remplacées par d’autres mesures qui aboutiraient au même objectif mais avec des
dommages moins importants pour les citoyens ? Telle est la question que le
principe général de droit de proportionnalité doit résoudre78. La voie de l’humanisme juridique permet de lutter contre les conséquences irrespectueuses
de la dignité de la personne humaine suite à la globalisation du marché par
les garanties du droit de l’homme, des droits fondamentaux et des principes
généraux du droit, y compris le principe général de proportionnalité79.
Section 3
Considérations générales, préoccupations
principales de l’ouvrage de S. Hostaux
et son intérêt primordial
76. Dans la charte des droits fondamentaux de l’U.E., il est proclamé que
l’U.E. repose sur le principe de démocratie et de l’État de droit. Dans le
cadre du traite TFUE, l’Union fait obligation aux États membres de respecter l’État de droit, les droits de l’homme, les droits fondamentaux, l’ordre
démocratique avec ses valeurs fondamentales telles qu’exposées ci-avant. La
constitution belge fait également obligation à l’État de respecter les droits
de l’homme qu’elle garantit (voy. supra, nos 69 et s.) L’État de droit comporte, d’une part, le règle de la loi et du droit, d’autre part, l’application de
la loi et du droit par les autorités compétentes et les citoyens et enfin en cas
de contestation le recours au juge, clé de voute du respect de l’État de droit.
Cela implique que la liberté de décision des organes de l’État est, à tous les
niveaux, limitée par l’existence de normes juridiques supérieures dont le respect est garanti par l’intervention du juge. Celui-ci est la condition de la réalisation de l’État de droit. Les droits fondamentaux ne sont réellement assurés
que si un juge est là pour en assurer la protection80. D’où au sommet du
78. Sur le principe de proportionnalité, voy. Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, op. cit.,
pp. 65 et s.
79. Voy. ci-avant la charte des droits fondamentaux de l’UE ; « La limitation relative des
droits et les droits garantis par la charte », chap. 7, art. 35 à 53 ; voy. nos 68 et s.
80.J. Chevalier, op. cit., p. 147.
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52
Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
pouvoir judiciaire, la Cour de cassation dont l’enseignement est capital pour
l’unité de jurisprudence, la sécurité juridique, le droit à l’égalité, l’État de
droit. D’où l’intérêt tout à fait particulier de l’ouvrage de S. Hostaux concernant l’enseignement de la Cour de cassation en matière du droit de l’assurance soins de santé et indemnité durant la période 1994-2014.
Certes, le rôle de la Cour de cassation a des limites ; son objectif est
tout de même primordial, « assurer l’exacte et uniforme application de la loi
pour garantir aux citoyens la sécurité juridique et l’égalité devant la loi »81.
Aussi, la Cour de cassation, à la différence du juge du fond, n’est pas chargé
d’appliquer le droit au fait pour trancher par une décision définitive formant
un titre pour les parties, une contestation qui oppose celles-ci. La cour est, en
effet, saisie de moyens de cassation, elle ne peut répondre qu’à ces moyens
invoqués devant elle sauf une disposition d’ordre public ; « tout le moyen,
rien que le moyen ». Telle est la règle d’or qui dicte à la Cour la rédaction
de son arrêt. Le style des arrêts est lié à la mission de la cour. Ainsi, la Cour
de cassation dit le droit dans ces limites strictes parce que telle est sa mission82. Le moyen est le grief articulé contre la décision attaquée. En l’absence
de grief formulé par le pourvoi, pas de contrôle par la Cour de cassation83.
Cette mission de la Cour ne retire rien à l’importance de son enseignement
qui est primordial pour le respect de l’État de droit et l’ordre démocratique.
77. Le contentieux de l’assurance soins de santé et indemnités est extrêmement riche de questions de droit. Le bilan de l’enseignement de la Cour
de cassation, en matière de l’assurance soins de santé et indemnités portant sur les 20 dernières années est important et extrêmement enrichissant. S. Hostaux a analysé tous les arrêts de la Cour sur cette longue période
qui correspond à l’entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1994 sur l’AMI.
L’auteur de l’ouvrage a suivi dans son analyse l’ordre des dispositions de la
loi coordonnée du 14 juillet 1994 ; il a traité tant l’assurance soins de santé
et indemnités des travailleurs salariés que celle des travailleurs indépendants.
Il n’apparait pas pertinent dans cette préface de dire toutes les matières que
l’auteur a retenu faisant l’objet d’un arrêt tant elles sont nombreuses et diversifiées comme essentielles d’enseignement.
Soulignons cependant que dans l’assurance soins de santé, sont analysés des arrêts relatifs à la matière de la règle de connexité dans la nomenclature des soins de santé, au fonds spécial de solidarité, à la perception du
81.C. Storck, préface in Cl. Parmentier, « Comprendre la technique de cassation », Bruxelles,
Larcier, 2011, pp. 7 et 8.
82.Cl. Parmentier, op. cit.
83. Voy. Ph. Gosseries, L’humanisme juridique, op. cit., p. 199.
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Préface
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ticket modérateur, au séjour hospitalier, au séjour en maison de repos et de
soins (MRS).
Considérons, d’autre part, dans l’assurance indemnités, l’analyse des
arrêts de cassation concernant la notion de l’état de capacité de travail, celle
de réduction de capacité de gain, la reconnaissance de l’état d’une capacité
de tavail, le refus des prestations.
Relevons aussi les arrêts de cassation concernant la condition d’octroi
des prestations plus précisément les questions de droit relatives à la subrogation, à l’interdiction du cumul et aux délais de prescription, qui constituent des contentieux délicats et graves de conséquences.
Retenons particulièrement les analyses des arrêts de cassation concernant le contrôle des prestations qu’il s’agisse du contrôle médical et le statut
du médecin de l’organisme assureur et du contrôle administratif à propos
duquel la Cour de cassation a été saisie de questions de droit relatives à la
répétition de l’indu, à des sanctions administratives, à des manœuvres frauduleuses et à la faute grave.
Enfin, dans la partie intitulée « divers », S. Hostaux analyse les arrêts
de cassation relatifs d’une part à la matière de la charte de l’assuré social,
codification partielle des principes généraux du droit administratif d’autre
part. Au principe d’égalité homme-femme, et enfin à des questions de procédure.
78. L’ouvrage de Serge Hostaux est un travail de bénédictin, doublé d’une
analyse juridique minutieuse et remarquable des arrêts de cassation pour
en retirer tous les enseignements précieux pour tous les praticiens du droit
social ; que ce travail magnifique et fastidieux, qui est une première, profite
à ceux-ci et facilite leur tâche dans la recherche de l’interprétation du droit.
Que ceux-ci s’inspirent également des droits de l’homme, des droits fondamentaux et des principes généraux du droit analysés dans la section 2 pour
lutter contre le danger de ne pas placer la personne humaine au centre de
l’ordre démocratique et du respect de l’État de droit.
Nous ne pouvons que souhaiter que beaucoup de praticiens de droit
social aient un grand bénéfice de cet ouvrage qui est particulièrement riche
d’analyses minutieuses et de réponses à des questions de droit délicates dans
une matière accessible généralement aux seuls initiés, mais qui est essentielle
dans le droit de la sécurité sociale, un des fondements de l’ordre démocratique et un des éléments essentiels pour l’édification juste de notre société.
Nous félicitons S. Hostaux pour son ouvrage aussi utile pour la couverture
légale des besoins sociaux essentiels de l’assuré social. Cet ouvrage est un
de ceux prévus dans la collection que nous dirigeons qui ont pour objet
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Jurisprudence de cassation en assurance soins de santé et indemnités
l’analyse des arrêts de cassation dans les matières du droit de la sécurité
sociale (O.N.S.S., A.M.I., chômage, pensions, allocations familiales). De la
sorte, nous poursuivons notamment l’objectif de réaliser des instruments de
travail très précieux pour les praticiens du droit social pour permettre des
interprétations du droit conformes au respect de l’État de droit.
Ph. Gosseries,
Conseiller émérite à la Cour de cassation
Professeur e.r. à la Faculté de droit de l’UCL
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