« Francescae meae laudes », Baudelaire
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« Francescae meae laudes », Baudelaire
« Francescae meae laudes », Baudelaire Traduction Latin Français Nouis te cantabo chordis, O nouelletum quod ludis In solitudine cordis. Mes cordes nouvelles te chanteront, O jeune pousse qui joue Dans la solitude de mon cœur Esto sertis implicata, O femina delicata Per quam soluuntur peccata 5 Sicut beneficum Lethe, Hauriam oscula de te, Quae imbuta es magnete. Quum uitiorum tempestas Turbabat omnes semitas, Apparuisti, Deitas, Velut stella salutaris In naufragiis amaris… -Suspendam cor tuis aris ! Comme le bienfaisant Léthé, Je boirais tes baisers, Toi qui d'aimants es désaltérée. 10 15 Pisina plena uirtutis , Fons aeternae iuuentutis, Labris uocem redde mutis ! Quod erat spurvum, cremasti ; Quod rudius, exaequasti ; Quod debile, confirmasti. Meos circa lumbos mica, O castitatis lorica, Aqua tincta seraphica ; Patera gemmis corusca, Panis salsus, mollis esca, Diuinum uinum, Francisca ! Lorsque la tempête des vices Tourmentait tous les chemins, Tu m'es apparue, déesse, Telle une étoile de salut Dans des naufrages amers… - Mon cœur sera suspendu pour tes autels ! Bassin plein de vertu, Fontaine de jeunesse éternelle, Lèvres dont la voix me rend muet ! 20 In fame mea taberna, In nocte mea lucerna, Recte me semper guberna. Adde nunc uires uiribus, Dulce balneum suauibus Unguentatum odoribus ! Soit entourée de couronnes O femme délicate Par qui les péchés sont payés Ce qui était immonde, tu le brûlas ; Ce qui était brut, tu l'aplanis ; Ce qui était faible, tu l'affermis. Dans la faim mon auberge, Dans la nuit ma lanterne, Guide moi toujours droit. 25 Ravive à présent mes forces, Doux bains suaves Parfumés d’arômes ! 30 Brille autour de mes reins O ceinture de chasteté Teinte d'une eau séraphique ; 33 Coupe étincelante de gemmes, Pain salé, molle nourriture, Vin divin, Francesca ! Commentaire Charles Baudelaire est un auteur français du XIXème siècle très connu pour son style poétique, notamment dans son recueil Les fleurs du mal. Dans ses poèmes, Baudelaire ne cherche pas à se rapprocher de la vérité mais plutôt à trouver une beauté universelle. « Francesca meae laudes » est adressé à une femme qui va être dans ce poème le moyen d'arriver à la beauté que recherche l'auteur. Comment l'amour est-il perçu au fil du texte ? Dans son poème, Baudelaire nous dévoile son amour. En premier lieu, l'auteur nous conte l'éveil de cet amour. Il nous parle de la naissance de cet amour en utilisant le champ lexical de la jeunesse, « nouis », « nouelletum ». Telle une pousse, il était endormi et seul jusqu'à la tempête. Cette tempête, suivie du naufrage est la métaphore de la rencontre soudaine qui a bouleversé sa vie. Durant cette rencontre, Francesca est une apparition divine. Elle semble alors comparée à un prophète qui changera la vie de l'auteur et l’emmènera vers un endroit paradisiaque. Au sein de cet amour nouveau, l'auteur ne peut que complimenter sa bien aimée. Ainsi, il lui montre qu'il l'aime en lui disant qu'elle est une « femina delicata ». il fait une métaphore au sixième tercet lui indiquant que sa bouche est telle un bassin, une fontaine, ou un endroit où se désaltérer. Au onzième tercet, Francesca entière est un met goûteux, un « panis salsus », une « mollis esca » mais aussi, elle est rare, précieuse telle une «gemmis ». Par ces métaphores, l'auteur montre un amour sans borne qui lui suffit à vivre puisque l'être aimé est une nourriture. Cet amour permet également à l'auteur de se libérer. En effet, il se libère d'abord de ses « peccata » par la femme aimée. Cette libération est aussi marquée par une accélération du rythme poétique notamment au onzième tercet où il y a une virgule entre chaque mot. De plus, on remarque une augmentation de l'utilisation de la ponctuation affective lorsque l'on se rapproche de la fin du poème. Cela fini en apothéose lorsque l'auteur fini le poème par le seul nom de son aimée ponctué d'un point d'exclamation. Cette libération montre un accomplissement dans l'acte amoureux entre le poète et sa bien aimée. A travers son poème, on découvre les étapes de l'amour du poète, en passant de l'éveil, au badinage pour finir avec la libération on comprend les amours et les sensations de Baudelaire au fil de sa relation. De plus, les sensations permettent de découvrir Francesca. Les sensations physiques permettent de dépeindre l'être aimé au travers des impressions de l'amant. Ainsi, dans le sixième tercet, Baudelaire associe dans une synesthésie, l'ouïe avec les « fons » , le goût « labris » et le toucher « pisina ». De plus, l'auteur fait de nombreuses allusions au goût, par la métaphore du dernier tercet où Francesca est nourriture, lorsqu'il « boit ses baisers » (« hauriam oscula de te »). L'odorat est aussi sollicité dans le poème. Au neuvième tercet, on sent alors les effluves des « balneums ». On est avec Francesca, on la sent, on la touche, on la goûte. Tout est fait pour se sentir proche de l'auteur dans ses désirs. De plus, Francesca semble lumineuse tout le long du poème. Elle est d'abord « stella », puis « lucerna ». Vers la fin du poème, elle brille comme une « mica » et est « tincta ». Elle semble être un tableau peint par l'auteur. Au septième tercet, les anaphores et hypozeuxes rendent le poème vivant, on a l'impression d'assister aux actions de Francesca. Le poète fait tout pour que Francesca ne soit pas pour nous que mots sur le papier mais qu'elle soit un tableau vivant que l'on pourrait connaître et reconnaître. La nature permet à l'auteur de définir mieux encore sa bien aimée. En effet, elle est présentée en « nouelletum » calme et sereine. Mais la nature se montre également violente, tumultueuse dans le quatrième tercet. La nature semble alors exister uniquement pour mettre en avant Francesca, l'embellir et la parfaire. Au long du poème, on peut remarquer une métaphore filée où Francesca est liquide. Grâce à cette métaphore, Baudelaire dévoile au lecteur une facette de Francesca qui telle l'eau glisse et ondule. Ainsi, à travers les sensations, Baudelaire dévoile une amante tangible au lecteur qui semble alors pouvoir toucher, goûter, sentir, voir cet être d'eau et de nature. En plus de l'amour, l'auteur démontre une véritable passion pour Francesca. Sa passion s'exprime en premier lieu par un grand désespoir. En effet, l'auteur en utilisant des interjections donne un effet tragique à certains passages du poème. L'allitération en t aux vers 10 et 11 (dans les deux versions) ajoutée à l'utilisation de termes violents marque encore plus cet effet qui est encore accentué par l'apparition divine. De plus, le passage au discours direct (vers 15) ajoute au tragique et au pathétique de la lamentation. Ce désespoir apparaît comme sorti d'une tragédie grecque, utilisant des effets théâtraux et parfois même pathétiques. Mais les passions de Baudelaire s'expriment également par la fascination. L'auteur semble glorifier l'être aimé. Il la chante tel un chœur religieux le ferait pour son dieu. Il montre pour elle une confiance absolue, aveugle et fascinée au septième et huitième tercet. Ce qu'elle fait le fascine. Il semble attiré comme un « magnete ». Francesca exerce sur lui une véritable fascination qui dans l'écriture du poème parvient à toucher le lecteur. Enfin, Francesca est comparée à une divinité tout le long du poème. Au début du poème, Francesca est comparée à Léthé, fleuve de la mythologie grecque qui par l'oubli permet la renaissance. Ainsi, l'auteur signifie au lecteur que Francesca l'a fait renaître. De plus, lorsque l'auteur l'entoure de couronnes, cela rappelle une reine ou une divinité grecque. Les allusions religieuses sont nombreuses dans le texte où l'auteur parle de « peccata », « uitiorum », « deitas » ou encore « salutaris ». Aussi le huitième tercet semble être une prière faite à Francesca le dernier vers de ce tercet accentue cet effet en plaçant Francesca en guide, en prophète. De plus, la syllepse du vers 30 marque un double effet. En effet, l'eau séraphique est une allusion à un ordre religieux franciscain mais séraphique désigne les franciscains mot dérivée de Francesca ce qui désignerait alors l'eau de Francesca. Enfin, le dernier vers avec une répétition des sonorités entre « uinum » et « diuinum » fait penser à Bacchus, dieu du vin, de l'ivresse que semble provoquer la jeune femme chez l'auteur. Dans ce poème, on découvre l'amour comme un parcours allant de l'éveil à la libération. L'amour est ensuite présenté au travers des sensations physiques, visuelles et naturelles. Enfin, l'amour est une passion violente, pleine de désespoir et de fascination quasi religieuse pour l'autre. L'amour est un thème récurrent dans la poésie. Ainsi, il existe de nombreux moyens de le décrire et de le faire découvrir aux autres. Ces moyens ont changé au fil du temps et on pourrait comparer la poésie latine antique à la poésie latine de Baudelaire plus contemporaine à notre époque.