La loi naturelle - Reseau
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La loi naturelle - Reseau
LA LOI NATU RELLE F ONDEMENTS ET ENJEUX DE LA PENSÉE GRÉCO ROMAINE À LA PENSÉE CHRÉTIENNE La loi est communément définie comme une règle édictée par une autorité souveraine et imposée à tous les individus d’une société ; ou, en termes juridiques, une prescription obligatoire du pouvoir législatif. Ces définitions ne vont pas de soi. Pour être obéie, l’autorité doit être légitime, et pour être légitime, elle doit se conformer à un bien qu’elle ne décrète pas, mais qu’elle reconnaît. Mais pour reconnaître il faut connaître, et savoir quel est ce bien auquel le législateur se conforme et oblige autrui à se conformer. Qu’est-ce que la loi naturelle ? Selon la déclaration des droits de l’homme de 1789, « la loi est l’expression de la volonté générale ». Ainsi conçue, elle est soumise à la versatilité humaine et à l’arbitraire d’une volonté qui détermine à son gré le bien et le mal, et en change à son gré les définitions. – Exemple de versatilité : Robespierre fut le premier de nos avocats à avoir écrit un pamphlet contre la peine de Classement : 3Ca21 mort ; mais Fouquier-Tinville disait que sous son règne, les têtes tombaient comme des ardoises par temps d’orage. – Exemple d’arbitraire : les partisans du mariage homosexuel pratiquent un déni du réel ; pour eux ce n’est pas le sexe réel qui compte, mais l’orientation sexuelle ; l’idéologie du « genre » renchérit encore : selon elle, chacun en quelque sorte choisit son sexe. Bref, l’être humain n’a pas de nature ; « il n’est rien d’autre que ce qu’il se fait », disait Sartre ; il n’est rien d’autre que ses pulsions, disent les postmodernes. Pour éviter ces dérives d’apprentis sorciers, il faut introduire la notion de loi naturelle, inscrite et gravée dans la nature de l’homme, dans la raison humaine inclinant à faire le bien et à éviter le mal. Le christianisme l’a clairement définie : « La loi naturelle est écrite et gravée dans l’âme de tous et de chacun, parce qu’elle est la raison humaine ordonnant de faire le bien et interdisant de faire le mal ». (Léon XIII, Libertas praestantissimum). ** cf. le glossaire PaTer Aller au dossier d’origine de ce texte - Aller à l’accueil du Réseau-Regain version 1.0 • 02/ 2013 1/4 Plus près de nous, Thierry Dominique Humbrecht (L’évangélisation impertinente, 2012, Parole et silence) cerne la loi naturelle et la tentative de la postmodernité pour la nier. « La loi naturelle désigne cette inscription de la loi divine dans les êtres (une « impression » au sens fort de ce terme, qui marque en profondeur et aussi confère une identité, une appartenance) de telle sorte que ceux-ci possèdent les inclinations qui les poussent aux actes et aux fins qui leur sont propres […]. C’est peut-être au sujet de la nature que de la postmodernité joue avec le plus de cartes biseautées, car elle a perçu, sans trop l’avouer, le caractère théologique du combat : faire sauter les verrous naturels, c’est affranchir l’homme du Dieu chrétien. Le choc est frontal. Spirituel en son fond, il ne peut être résorbé avec des moyens seulement spirituels ». C’est-à-dire qu’il y a une écologie de l’homme comme il y a une écologie de la nature. Et de citer Benoît XVI : « L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée elle-même ». La loi naturelle dans la pensée grecque et romaine Bien avant le christianisme, la pensée grecque et la pensée romaine avaient pressenti ce qu’était la loi naturelle. En Classement : 3Ca21 442 avant Jésus Christ, dans son Antigone, Sophocle en donnait les critères. Après la guerre civile qui avait opposé les frères Etéocle et Polynice, Créon, prince de Thèbes, avait interdit d’enterrer Polynice, l’insurgé. Créon revendique un pouvoir politique absolu, totalement indépendant de la justice : « On doit obéissance au prince et dans ce qui est juste, et dans ce qui ne l’est pas. Il n’est de fléau pire que l’anarchie ». Mais Antigone se réfère à une autre loi, naturelle et supérieure au décret de Créon, le désir de piété qui lui enjoint d’enterrer son frère : « Je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux. Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru ». Les critères des lois naturelles, pour Antigone, ce sont leur stabilité, leur ancienneté, leur permanence, et leur mystérieuse origine : non écrites, elles sont pourtant, dit le chœur, « inscrites làhaut, engendrées par le seul Olympe… L’humaine nature ne les a pas mises au monde ». Quatre siècles plus tard, en 51 avant Jésus Christ, Cicéron semble arracher au ciel les lois pour les lire dans l’humaine nature. « C’est la nature du droit que ** cf. le glossaire PaTer Aller au dossier d’origine de ce texte - Aller à l’accueil du Réseau-Regain version 1.0 • 02/ 2013 2/4 nous voulons exposer, et c’est à la nature de l’homme qu’il faut la demander ». (De legibus, I, 5) assez savants pour raisonner de travers ; car la nature malmenée ne donne pas son fruit.» Dans le De Republica, Cicéron développe la nature de cette loi, et l’on retrouve, sauf l’origine divine, les critères d’Antigone, pérennité, immuabilité, universalité. « Il existe une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les êtres, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir notre fonction, nous interdit la fraude et nous en détourne […]. À cette loi, nul amendement n’est permis, il n’est licite de l’abroger ni en totalité ni en partie. Ni le Sénat, ni le peuple ne peuvent nous dispenser de lui obéir […]. Cette loi n’est pas autre à Athènes, autre à Rome, autre aujourd’hui, autre demain, c’est une seule et même loi éternelle et immuable, qui régit toutes les nations et tous temps [… ] Qui n’obéit pas à cette loi s’ignore luimême et, parce qu’il aura méconnu la nature humaine, il subira par cela même le plus grand châtiment, même s’il échappe aux autres supplices ». (De Republica, (III, 22) Dans le De legibus, Cicéron rapporte à Dieu, ou aux dieux, l’origine de la loi, droite raison commune aux hommes et aux dieux, et qui assure leur mystérieuse parenté : « Cet animal prévoyant (l’homme) […] a été engendré par un Dieu suprême qui l’a richement doté [...] Qu’y a-t-il de plus divin que la raison qui, arrivée à maturité et à sa perfection, est justement appelée sagesse ? […] Que la raison se trouve dans l’homme et en Dieu, elle crée entre l’homme et Dieu une première société […]. La droite raison leur est commune. Or, la droite raison, c’est la loi et par la loi aussi nous devons nous croire, nous autres hommes, liés aux dieux […]. La vertu n’est autre chose qu’une nature achevée en elle-même et parvenue à sa perfection. Il y a donc une ressemblance entre l'homme et Dieu ». (De legibus, I, 50) Méconnaître la nature, c’est attirer sur soi une sanction immanente, qu’il s’agisse de la nature humaine ou du monde physique. « J’aime les paysans, disait Montesquieu, ils ne sont pas Classement : 3Ca21 Guérir et redresser la nature Platon, au IVème siècle avant JésusChrist, exprimait cette même parenté entre l’homme et la divinité : « quand l’homme fut entré en possession de son lot divin, d’abord, à cause de son affinité avec la divinité, il fut le seul des êtres animés, à croire aux dieux […]. ** cf. le glossaire PaTer Aller au dossier d’origine de ce texte - Aller à l’accueil du Réseau-Regain version 1.0 • 02/ 2013 3/4 Mais, vivant d’abord dispersés puis se rassemblant en sociétés, les hommes n’étaient pas assez vertueux pour ne pas se quereller les uns avec les autres. Zeus alors, craignant pour notre espèce une entière destruction, envoie aux hommes Hermès, porteur de la pudeur et de la justice, pour qu’elles soient règles des cités et liens d’amitié qui sont facteurs d’union ». C’est dire que la volonté humaine est faillible, et que pour pratiquer le bien, elle a besoin de secours. Au contraire de Jean Jacques Rousseau, estimant que la conscience est un « instinct divin », « juge infaillible du bien et du mal », le poète latin et l’apôtre chrétien se rejoignent pour dire le conflit, à l’intérieur de l’homme, entre la raison et la volonté : « Video meliora proboque, deteriora sequor », dit le poète latin : « je vois le bien et je l’approuve, et je fais le mal » (Ovide, 7ème livre des Métamorphoses) et Paul de Tarse : « je ne fais pas le bien que j’aime et je fais le mal que je hais » (Romains VII, 19). Comme s’il y avait obscurcissement de la lumière de la raison et déviation de la volonté, et, comme si cette nature, déchue, avait besoin d’être guérie et redressée. On retrouve là la conception chrétienne de l’homme, qui reprend les intuitions de la pensée grecque et latine, les parachève et leur donne leur cohérence. Classement : 3Ca21 Platon avait deviné que la volonté humaine avait besoin d’un secours divin, Sophocle se référait à des lois non écrites mais « inscrites là-haut ». La pensée judéo-chrétienne se réfère au Décalogue, commandements écrits, ceux-là, non extérieurs à l’homme, mais antérieurs, inscrits dans sa nature, naturels en ce qu’ils peuvent être découverts par la raison naturelle, en l’absence de révélation divine, mais que la révélation divine conforte, confirme, légitime en les gravant sur des tables de pierre. « Le plus dangereux de tous les criminels, aujourd’hui, disait Chesterton, c’est le philosophe moderne, affranchi de toutes les lois », et qui prétend se donner à soi-même sa loi. Le Décalogue, au contraire, constitue une règle objective qui ne dépend pas des caprices de la volonté humaine et s’accorde pourtant à la nature profonde de l’homme, parce que la connaissance de ces commandements lui est connaturelle. Il rassemble les éléments de la loi naturelle : dette à l’égard de Dieu, dette à l’égard des parents par la piété filiale, respect à l’égard d’autrui, à l’égard des siens, à l’égard des biens. Là est le socle, là sont les fondements moraux de la vie en société, base d’un véritable contrat social. Danièle Masson ** cf. le glossaire PaTer Aller au dossier d’origine de ce texte - Aller à l’accueil du Réseau-Regain version 1.0 • 02/ 2013 4/4