GIVAJA Gautier - Sciences Po Toulouse

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GIVAJA Gautier - Sciences Po Toulouse
Institut d'Études Politiques de Toulouse
L'Armée Zapatiste de Libération Nationale,
ou l'apparition d'un nouveau type d'acteur
au sein du jeu politique national et des Relations Internationales.
Mémoire de recherche présenté par M. GIVAJA Gautier
Directeur du mémoire : M. LABATUT Bernard
Année universitaire 2007
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Institut d'Études Politiques de Toulouse
L'Armée Zapatiste de Libération Nationale,
ou l'apparition d'un nouveau type d'acteur
au sein du jeu politique national et des Relations Internationales.
Mémoire de recherche présenté par M. GIVAJA Gautier
Directeur du mémoire : M. LABATUT Bernard
Année universitaire 2007
3
« No odies a tu enemigo, porque si lo haces eres de algun modo su esclavo.
Tu odio nunca sera mejor que tu paz »
Jorge Luis Borges
4
Remerciements
Merci à Bernard Labatut pour la liberté qu’il a su me laisser dans mon travail de recherche
et de production de mon mémoire de fin d’études.
J’aimerais adresser un profond remerciement à la famille Alanis Palma García pour
l’affection et l’aide qu’elle m’a portée tout au long de mon séjour au Mexique.
J’exprime ma gratitude à Don Pedro pour ses conseils avisés quant à la façon de concevoir
la culture mexicaine, à Dona María et à Don Hector Salvador pour leur hospitalité.
Merci à Fabiruchis pour m’avoir accompagné tout au long de mes aventures mexicaines et
dans la découverte de son beau pays.
Merci à tous ceux qui ont su me donner envie de m’intéresser davantage au Mexique et à
l’Amérique latine en général. Merci aux argentins, aux paraguayens, aux brésiliens,
aux uruguayens, aux boliviens, aux péruviens, au chiliens, au mexicains que j’ai eu la
chance de rencontrer, et merci à tous ceux qui peuplent ce continent aux mille et un visages.
Aussi, un grand merci à ma Ninnin d’avoir toujours eu une pensée pour moi lors de mon long
travail de recherche et surtout lors de mon périple en Amérique latine.
Encore merci à Solange C. pour le salon cossu dont elle nous a pourvu lors de la rédaction
du mémoire de recherche.
Enfin, ma reconnaissance et ma gratitude va à mes amis de longue date, qui ont su me
supporter depuis si longtemps et m’apporter leur indispensable soutien.
5
Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires
de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
6
Abréviations
ALENA : Association de Libre Échange du Nord Amérique
CND : Convention Nationale Démocratique
CIDH: Cour Internationale des Droits de l'Homme
COCOPA: Commission de Concorde et de Pacification (Comision de Concordia y
Pacificacion)
EPR: Armée Populaire Révolutionnaire(Ejército Popular Revolucionario)
ETA: Pays basque et liberté (Euskadi Ta Askatasuna)
EZLN : Armée Zapatiste de Libération Nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional)
FZLN:Front Zapatiste de Libération National (Frente Zapatista de Liberación Nacional)
FMN : Firmes Multi Nationales
GATT: Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce (General Agreement on
Tariffs and Trade)
IFE: Institut Fédéral Electoral (Instituto Federal Electoral)
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU: Organisation des Nations Unies
PAN : Parti d’Action Nationale (Partido de Acción Nacional)
PANiste: partisan du PAN
PRI : Parti Révolutionnaire Institutionnel (Partido Revolucionario Institutional)
PRIiste: partisan du PRI
PRD : Parti de la Révolution Démocratique (Partido de la Revolución Democrática)
PRDiste: partisan du PRD
PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement
TLC : Traité de Libre Commerce
7
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE........................................................................................... 10
PREMIERE PARTIE
LE CHIAPAS, ACTEUR INCERTAIN DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES
RELATIONS INTERNATIONALES: DE LA DISSIDENCE DE L'EZLN A LA
PROPULSION DU CHIAPAS SUR LA SCENE NATIONALE ET INTERNATIONALE.. 27
CHAPITRE 1.
LE CHIAPAS, UN CONTEXTE REGIONAL SPECIFIQUE: ENTRE CONFLIT
POTENTIEL ET CRISE LATENTE, LE ZAPATISME INCUBATEUR.......................... 29
CHAPITRE 2.
LE PRI, RÉVÉLATEUR DE L'ETAT DE MALAISE DU PAYS: UN CONTEXTE
FAVORABLE A L'ENGAGEMENT DU PROCESSUS DE REVENDICATION
ZAPATISTE.........................................................................................................................45
CHAPITRE 3.
LE ZAPATISME, FIXATEUR DU CONFLIT: DU ZAPATISME MILITAIRE AU
ZAPATISME SOCIAL ET DE LA SCENE NATIONALE A LA SCENE
INTERNATIONALE........................................................................................................... 53
CONCLUSION PARTIE 1........................................................................................................ 63
SECONDE PARTIE:
LE CHIAPAS, ACTEUR STABILISÉ DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES
RELATIONS INTERNATIONALES: DE L'AFFIRMATION DE L'ACTEUR ZAPATISTE
AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL A LA CONSECRATION D'UN
NOUVEAU TYPE D'ACTEUR............................................................................................... 65
CHAPITRE 1.
LE KALEIDOSCOPE ZAPATISTE: L'EZLN, UNE ORGANISATION NOVATRICE ET
ATTRACTIVE.....................................................................................................................67
CHAPITRE 2.
L'ORIGINALITE D'UNE GUERILLA EXTRAVERTIE: LA CONSTRUCTION D'UNE
MOSAIQUE DE PLATEFORMES POUR CANALISER ET POTENTIALISER LES
MERITES DES INSURGÉS................................................................................................85
CHAPITRE 3.
LES RESULTATS DE LA STRATEGIE ORIGINALE DES ZAPATISTES: LA
CONSECRATION DE L'EZLN DANS LA SPHERE NATIONALE ET
INTERNATIONALE........................................................................................................... 98
CONCLUSION PARTIE 2..................................................................................................107
8
TROISIEME PARTIE
LE CHIAPAS, ACTEUR ENRACINÉ DANS LE JEU POLITIQUE NATIONAL ET DANS
LES RELATIONS INTERNATIONALES: VERS UN PANAORAMA DES HERITAGES
DE L'ACTEUR ZAPATISTE ................................................................................................110
CHAPITRE 1.
L’EZLN : DES METHODES D'ACTION FECONDES?................................................. 112
CHAPITRE 2.
L' « INTERNATIONALE ZAPATISTE »: L'ACTEUR ZAPATISTE CONONISÉ A
L'INTERNATIONAL........................................................................................................ 124
CHAPITRE 3.
VERS UN APERCU DU TRIPLE DEFI A RELEVER PAR L'EZLN A L'AUBE DU
NOUVEAU MILLENAIRE...............................................................................................132
CONCLUSION GENERALE.............................................................................................. 145
TABLE DES ANNEXES...................................................................................................... 153
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................190
TABLE DES MATIERES.................................................................................................... 199
9
INTRODUCTION GENERALE
Intérêt et actualité du sujet traité
S’il est certain que l’actualité du Chiapas a fait couler beaucoup de sang dans les
années 1990 au Mexique, il est tout aussi certain qu’à la même période elle a fait couler
beaucoup d'encre dans le monde entier.
Présentée par les médias du monde entier comme la « première insurrection déclarée contre la
mondialisation néolibérale », cette « utopie en acte », comme se plaît à la définir son leader
charismatique, le sous-commandant Marcos, n’a cessé de susciter un engouement
international, basé sur des espoirs d’égalité politique et sociale. Lorsque la première
déclaration de la Selva Lacandona est rendue publique aux yeux du monde entier par le biais
d’internet, l’opinion publique internationale s’émeut pour ce mouvement néozapatiste qui se
lève en arme le 1er janvier 1994 pour revendiquer qu’au Mexique « le travail, la terre, un toit,
l'alimentation, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la
paix » soit désormais le lot de tout un chacun, « sans distinction de race, de sexe, d’origine ou
de couleur ».
A l’instar de Pierre Vayssières, certains affirment que désormais « le Chiapas exerce un rôle
de révélateur des idéologies et des fantasmes, aussi bien en Amérique latine qu'en Europe »1.
Il est sûr que la presse internationale, rompue à presque trente ans de guérillas marxistes en
Amérique latine, se retrouve déroutée face à ce mouvement qui ne cesse d’affirmer jour après
jour sa personnalité et son originalité. Si l’arrière plan social du conflit zapatiste reste
comparable à de nombreux autres foyers, en Équateur ou au Pérou notamment, il est certain
que non seulement le contexte politique national mais aussi le contexte international sont
désormais différents de celui de la seconde moitié du XXè siècle, et que donc les modes
d'action et les revendications des zapatistes ont du s’adapter à la nouvelle configuration
internationale qui a pris place à la suite de la fin de la logique bipolaire. Au Chiapas, cette
adaptation au contexte d’alors est rapidement démontrée par le mouvement qui ne tarie de
mettre en valeur son décalage par rapport aux autres guérillas latino-américaine qui sévissent
à la même époque, mais qui semble toujours crispées sur une conception et des méthodes de
1
VAYSSIERE Pierre, Les révolutions d’Amérique latine, Collection Points Histoire, Editions du Seuil, Paris,
2001.
10
guérilla d’antan. Dans les pays andins par exemple, la tendance à l'apaisement et à la
réadaptation stratégique des mouvements de guérilla est nettement moins observable. Il est
sûr en effet que le facteur “drogues” joue un rôle capital dans le maintien de ces guérillas
jusqu'à aujourd'hui. Au Pérou avec Sentier Lumineux, ou surtout en Colombie, les guérillas
restent plus actives que jamais à cause des drogues. Alors, et comme pour prendre ses
distances avec les guérillas marxistes traditionnelles discréditées, l’acteur zapatiste, en
inventant une nouvelle forme de « faire la guerre », va se créer doter d’une personnalité assez
originale pour s’imposer dans le débat public national et international.
Dans le nouveau contexte des années 1990, le Chiapas de l’EZLN a donc su tirer son épingle
du jeu et délivrer au monde entier un message qui a eu un retentissement plus que certain dans
l’opinion publique nationale et internationale. Ainsi, si le mouvement zapatiste a su répondre
aux critères d’acceptabilité du moment, tant sur la scène nationale qu’internationale, il est
indispensable de montrer à quel point les mutations du contexte international, tout en les
replaçant dans la logique nationale du Mexique, ont eu un impact crucial quant à la possibilité
de résonance et de réussite dont a bénéficier l’Armée Zapatiste de Libération Nationale dans
l’opinion publique.
1.
Présentation du cadre opératoire
L’importance de la théorie scientifique dans la construction du mémoire de recherche
« Les sciences sociales, à l’image de toute science, se caractérisent par l’étude d’un
objet limité et une démarche scientifique reconnue »2.
En ce sens, le but de notre recherche est de tendre vers l’impératif scientifique. Afin
d’analyser de manière satisfaisante notre sujet, il est apparu indispensable de se référer aux
théories des Relations Internationales que présentent les ouvrages spécialisés en la matière.
En effet, la dynamique internationale qui y est expliquée, et les mutations de la configuration
internationale qui y sont analysées, permettront de comprendre davantage dans quel cadre
nous nous situons et d’appuyer par alors notre démonstration sur des bases théoriques
indéniables.
Notre étude devra donc s'efforcer d' « aller au-delà du point de vue des acteurs
participants au processus, pour en chercher les raisons sous sous-jacentes ou la signification
2
SOCCOL Brice, Manuel de Relations Internationales. Paradigmes, Orléans, 2003. p°157.
11
cachée »3. Ce que l'analyse théorique vise, complétée par l'étude postérieure que nous allons
faire de la situation particulière du Chiapas et du Mexique, est de « dévoiler les rouages et les
ressorts invisibles à l'oeil nu, et qui régissent le comportement des acteurs »4 auxquels nous
allons nous intéresser. Ce que nous tenterons de faire ici sera de montrer en quoi le problème
du Chiapas s’insère réellement dans le jeu politique mexicain et dans les Relations
Internationales.
Analyse synthétique et préalable des théories des Relations Internationales
Les propriétés du système international ont considérablement évolué au cours de la
deuxième moitié du XXè siècle. Nous analyserons ici les principales mutations de ce système,
afin de présenter alors sa configuration actuelle et expliquer en quoi l'avènement du Chiapas
sur la scène internationale s'intègre alors pleinement dans cette nouvelle configuration et en
fait par là même un nouveau type d’acteur du jeu politique national et des Relations
Internationales.
Précisons ici que les mutations internationales que nous allons présenter sont liées tant à des
variables exogènes (rapport de forces économiques, régimes internes des États, etc.), qu’à des
variables endogènes (émergence de conflits infra-étatiques, etc.). La refonte de l’ordre
international qui s’est amorcée dès novembre 1989 a donc eu une importance capitale dans la
forme que va prendre cette nouvelle configuration. La conjugaison de ces variables a
débouché sur un nouveau type de configuration dans lequel bien que les États restent les
acteurs principaux du système complexe de relations et d’interdépendance5, ils sont désormais
fortement concurrencés par une diversité d’acteurs émergeants.
D’un point de vue méthodologique, il est indispensable de préciser que cette multiplication
des acteurs a amené à mettre sur pied une analyse qui combine deux niveaux : l’analyse
microscopique et l’analyse macroscopique. Ainsi l’analyse se focalise sur deux aspects : une
analyse systémique qui établit une grille d’analyse du système national, et une analyse des
composantes de ce système, qui elle établit l’étude des acteurs internationaux. Jamais notre
analyse ne donnera la primauté à seulement l’un des deux aspects : en effet les deux sont
complémentaires. En ce qui nous concerne nous devrons nous efforcer donc de mettre en
3
GOUNELLE Max, Mémentos de Relations Internationales, Editions Dalloz, Paris, 2004. p°83.
Idem.
5
Par cette formule nous désignons le “ Système International ”.
4
12
œuvre un permanent va-et-vient entre l’aspect local (le Chiapas et l’EZLN) et l’aspect
systémique (le système national et international).
Selon des considérations d’ordre général, l’analyse microscopique présente la multiplication
du nombre d’Etats, l’intensification des échanges internationaux et l’emprise croissante des
SMN sur l’activité économique mondialisée, l’accroissement du rôle des ONG au cours de la
décennie 1990 surtout, et la tendance contemporaine qui affirme que les opinions publiques et
les individus tiendraient un rôle croissant dans la Société Internationale. Tous ces facteurs
disparates ont tendu à affecter le monopole de puissance des États dans le système
international. La tendance contemporaine est donc à la minorisation du rôle des États sur le
long terme : à l’évidence il y a eu renforcement de centres de décisions concurrents de l’Etat
au cours des cinquante dernières années. La grille de lecture macroscopique s’en est donc
trouvée affectée, d’autant plus que ce phénomène s’est accentué au lendemain de la chute de
l’URSS et de la victoire des “ démocraties libérales ”. Enfin, l’émergence des minorités,
ethniques notamment, et l’exacerbation des revendications identitaires qui s'en suit, tendent à
affaiblir encore davantage le rôle des États.
Le contexte dans lequel prend place le conflit du Chiapas est donc relativement
complexe. Si l’Histoire du Mexique, et surtout l’analyse du fonctionnement politique que
nous en ferons, nous amènerons à comprendre comment les zapatistes ont réussi à faire
s’élever leur voix au sein du système national, il est certain que l’étude des Relations
Internationales devra elle nous permettre de comprendre comment l’EZLN a pu réussir à
s’imposer sur une scène internationale renouvelée.
La mutation du Système international et de la "nouvelle configuration" des années
1990: des éléments favorables à l'émergence du Chiapas sur la scène internationale.
Maintenant que nous avons précisé le cadre général de l’analyse, et selon le souci de
rigueur scientifique dans lequel nous nous inscrivons, nous allons préciser les éléments que
nous avons évoqués ci-dessus. Cette démarche nous permettra de présenter la nouvelle
configuration internationale dans laquelle nous placerons par la suite notre thème de
recherche.
13
L’Etat, ou l'unité de référence du système interétatique : XVIIè-XXè siècle.
Les Traités de Westphalie confirment dès 1648 le triomphe de l’Etat comme forme
privilégiée d’organisation politique des sociétés. Le système interétatique westphalien qui se
construit alors, va se caractériser par le principe de souveraineté (interne et externe) des États.
Emerge alors la figure emblématique de l’Etat-nation, symbole de la suprématie de la figure
étatique.
La Scène Internationale et les Organisations Internationales : 1945-1990.
Dès le XIXè siècle des évolutions notables commencent à faire changer le système
international. L’idée d’une communauté d’intérêt fondée sur la solidarité entre les États voit le
jour et va se traduire par la création des premières Organisations Internationales. Dans un
souci de paix et de justice, il s’agit désormais de tisser un réseau complexe d'interdépendances
basé sur le consentement des États. Les États vont donc désormais être soumis à l’ordre
juridique international6. Très rapidement, la Société Internationale va assister à
l’ « universalisation et à l’institutionnalisation de ces Organisations Internationales »7.
Cependant, et même si le pouvoir politique de la Société Internationale demeure
essentiellement défendu et exercé par l’Etat - qui reste l’acteur prédominant- , ce dernier n’a
plus l’exclusivité et les Relations Internationales ne sont désormais plus réductibles aux seules
relations interétatiques. De la sorte, la donne internationale est renouvelée, et même si le
système reste basé sur la figure de l’Etat, la diversification des acteurs internationaux et la
concurrence entre eux peut prendre place.
La recomposition de l’ordre international : l’hégémonie libérale.
Au tournant des années 1990, et suite à la confirmation de la suprématie de l’idéologie
libérale dans le monde, l’interdépendance telle qu’elle était esquissée par le système
interétatique d’Organisations Internationales devait aboutir à l’interdépendance commerciale
au niveau transnational. En effet, lorsque le 11 novembre 1989 le mur de Berlin s’effondre et
que le camp occidental libéral prend les rênes des Relations Internationales, l’heure est au tout
libéral et la figure des Firmes Multi Nationales, emblématique de la philosophie d’alors, se
généralise. Très rapidement les FMN constituent un acteur incontournable des Relations
Internationales. Face à la « capitalisation » du monde, l’Etat va désormais être réduit à jouer
un rôle de régulateur du système international, et notamment par le biais des diverses
Organisations Internationales.
6
Ce système va lier les Etats par des engagements conventionnels ou contractuels qui les rendent alors titulaires
de droits et d’obligations.
7
GOUNELLE Max, Mémentos de Relations Internationales, Editions Dalloz, Paris, 2004. p°121.
14
La “ globalization ”, qui résulte des mouvements et des logiques précédemment décrites, est
« un processus complexe et non linéaire »8 qui concerne avant tout les relations économiques
internationales, mais aussi d’autres domaines tels que la culture, les communications, les
Droits de l’Homme ou les questions environnementales. Cependant ce nouveau système,
piloté par des FMN en quête constante de profit, va favoriser l’avènement de contestations
quant aux effets contrastés et contradictoires qu’elle tend à révéler : la répartition des
richesses et du profit produit par la mondialisation apparaît aux yeux de certains comme
inéquitable et injuste et masque la domination d’un petit nombre d’acteurs sur le monde.
Dans les années 1990, les FMN se sont imposées comme acteur dominant des relations
internationales. Elles se sont proposées indirectement de structurer le système à leur guise et
selon leurs intérêts. Face à ces velléités, et s’il est sûr que seul une minorité d’Etats se sont
sentis capable de maîtriser ce processus, de nouveaux acteurs sont apparus en masse sur la
scène internationale pour tenter de faire face à cette nouvelle configuration internationale.
L’ouverture du système international et la multiplication des acteurs : années 1990.
La décennie 1990 sera marquée par la diversification des acteurs du système
international : le système s’est ouvert à d’autres acteurs internationaux qui se situent en deçà
et en dehors de la société étatique, interétatique ou des EMN. De la sorte, les ONG ou
d’autres acteurs potentiels comme les opinions publiques (pour peu que nous puissions les
personnifier), ou les individus eux-mêmes, se sont fait une place au sein du système
international. S'il arrive alors que des gouvernements l'emportent dans le bras de fer avec des
acteurs non-étatiques, il est fréquent que l’on assiste régulièrement à des marchandages entre
acteurs gouvernementaux et non-étatiques. De plus, le tournant des années 1990 voit
l’avènement, le renforcement et la diversification des thématiques internationales : promotion
des Droits de l’Homme, suprématie de la Démocratie, etc.
Les Relations Internationales des années 1990 s’annoncent donc résolument plurielles. Cette
évolution qui a mis fin à la séparation étanche entre l’interne (souveraineté de l’Etat) et
l’externe (la multitude des acteurs est désormais patente), a produit un bouleversement
jusqu’alors inédit au sein des Relations Internationales : tout évènement se produisant à un
endroit du monde peut avoir un impact potentiel dans tout autre endroit du monde.
8
SOCCOL Brice, Manuel de Relations Internationales. Paradigmes, Orléans, 2003. p°221.
15
Si l’on s’intéresse aux paramètres micro-politiques, on voit que l’on assiste alors à une
véritable révolution : des individus lambdas, deviennent “ sources de turbulence globale"9.
Les peuples se sont vus reconnaître une existence officielle dans les relations internationales
et une possibilité d’avoir voix au chapitre : cette dynamique est d’autant plus renforcée que le
principe du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes10 est désormais pleinement enraciné
dans les consciences mondiales.
Ce que l’analyse montre c’est qu’à l’échelle mondiale il n’y a pas convergence “ mécanique ”
autour des mêmes valeurs et que l’on assiste au contraire à une diffusion de la capacité à faire
entendre ses propres valeurs. De nos jours l'impact de l'opinion des individus et l'intrusion des
mouvements de masse sont trop importants pour être ignorés par les États. Ces individus
manifestent désormais leur multi-appartenance: « citoyens d'Etats-nations, ils s’ouvrent au
monde globalisé et se reconnaissent des enjeux de luttes globales »11.
La mobilisation des individus peut d’ailleurs parfois créer, au-delà des États, une véritable
opinion publique internationale. Cette dernière a été renforcée par le biais des moyens de
télécommunication, par le phénomène de la mondialisation économique mais aussi par la
simplification de l’information. Ces facteurs ont contribué à revaloriser le rôle de l’opinion
publique, désormais transfrontalière, sur la scène internationale. Issue des influences
multiples (culturelles, idéologiques, sociales, politiques, etc.) cette opinion publique
internationale aspire à se développer au-delà de la souveraineté juridique des États, telle une
« conscience mondiale libre et fraternelle ”12. Souvent, cette opinion internationale s’est
présentée comme la morale internationale, gardienne des droits de l’Homme et de la paix.
Les Organisations Non Gouvernementales13 (ONG) ont émergé sur la scène internationale
dans les années 1990. Ce sont des groupements qui se proposent d’apporter leur pierre à
l’édifice de la solidarité humaine dans des domaines aussi variés que l’humanitaire,
l’environnement, l’idéologie ou le social. En ce sens, elles expriment elles aussi des
solidarités transnationales. Le rôle des ONG est désormais essentiel : elles contribuent à
renforcer la coopération transnationale dans de nombreux domaines. Plus souples, plus
9
ROSENAU J. in GIRARD M. (dir.), Les individus dans la politique internationale, Paris, Economica, 1994, p°
81-105.
10
Il est notamment défini dans l'article premier du Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 :
“ tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut
politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. ”
11
ROSENAU J. idem.
12
idem
13
Il s’agit d’organisations internationales non gouvernementales et sans but lucratif.
16
fonctionnelle et parfois plus efficaces que les structures institutionnelles étatiques ou celles
des Organisations Intergouvernementales, les ONG sont de véritables instruments de la
régulation de la société mondialisée.
Les évolutions de la configuration internationale que nous venons d’analyser montre que
certaines structures -à l’instar des ONG surtout- ou certains éléments plus atomisés -à l’instar
des individus et de l’opinion publique- ont donné corps à la perception d'intérêts communs à
l'ensemble de la planète. Désormais, ces nouveaux acteurs “ solidaires ” mettent en œuvre des
stratégies de pression sur les autorités étatiques et les Organisations Intergouvernementales
afin d’orienter les politiques nationales et internationales.
Nous avons donc tenté ici d’analyser quelles ont été les évolutions marquantes des
Relations Internationales dans la dernière moitié du XXè siècle. Du système interétatique au
système international dominé par les FMN puis contrebalancé par un nombre d’acteurs
grandissant issus surtout de la société civile, il est certain que les Relations Internationales ont
été totalement bouleversées depuis les années 1950. Cette tendance s’est d’autant plus
accentuée au tournant des années 1990, grâce notamment à la victoire du camp occidental et à
la généralisation de la démocratie libérale. Cependant, et comme nous allons le voir, d’autres
acteurs souvent moins conventionnels ont aussi vu le jour à cette période et ont élevé leurs
voix contre le processus d’unipolarité uniformisante qui s’est alors abattu sur le monde au
lendemain de 1989. C’est en effet semble t’il ce contexte unipolaire et les valeurs qu’il défend
qui a favorisé l’émergence d’un monde multipolaire composé d’une grande diversité d’acteurs
potentiels. C’est dans ce contexte que le Chiapas et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale
(EZLN) ont pu profiter de la brèche qui était alors ouverte dans les Relations Internationales
pour tenter de propulser sur cette scène internationale renouvelée un mouvement qui portait
des revendications en accord avec le contexte d’alors.
2.
Identification des acteurs : la mise en perspective du problème du Chiapas dans
les Relations Internationales.
Du tournant des années 1990 environ à aujourd’hui, il est indéniable que la société
internationale a connu une évolution centrifuge. En effet, la diffusion de la démocratie et de
l’économie de marché n’a pas suffit à stabiliser la nouvelle donne internationale de l’aprèsguerre froide. Le “ village planétaire ” qui a été reconfiguré par la mondialisation a favorisé
17
dans les années 1990 l’avènement d’un “ Nouvel Ordre International ”14, basé sur des
principes de paix et de droit, mais l’espoir de ce NOI si longtemps attendu s’est
progressivement étiolé. Son principal défaut résidait dans le fait qu’il ait surtout voulu
privilégier la mise en avant du système de valeurs occidentales : suprématie de la démocratie,
du libre marché, et espoir d’un monde unitaire et solidaire. Ce NOI résidait donc en
l’imposition de l’universalité aux dépens des particularités.
Les chances gâchées de l’après guerre froide sont donc devenues patentes lorsqu’une
multitude de conflits ethniques, nationalistes, minoritaires et identitaires sont apparus aux
yeux du monde. La trop forte prétention à l’universalité occidentale a dilapidé les chances de
l’après guerre froide15. Dans le même temps les pays du non-occidentaux (non seulement les
pays musulmans mais aussi les pays dits du “ Sud ” et d’Extrême Occident16), heurtés par
cette volonté d’hégémonie et cette prétention occidentale, se sont considérablement renforcés
et affirmés. Dès lors, les réactions à cette prétention se sont rapidement organisées.
L’insurrection zapatiste du 1er janvier 1994 a probablement été l’évènement fondateur
de ce mouvement d’opposition à l’hégémonie des valeurs occidentales. La force du zapatisme
a été de défendre l’identité et les revendications spécifiques des Indiens du Chiapas et de
lancer en même temps un appel à la démocratie et contre le libéralisme sauvage. Cette
capacité à défendre des identités et des spécificités propres, tout en développant des solutions
au niveau mondial, est l’une des caractéristiques essentielles du mouvement zapatiste qui lui a
permis sont succès semble t’il. La clé de réussite de ce mouvement résiderait surtout dans
l’imbrication des niveaux “macro” et “micro” que nous évoquions précédemment: l’EZLN a
joué, entre autre, sur la dialectique universalisme/ particularisme pour réussir la propulsion du
Chiapas su la scène internationale.
Le conflit du Chiapas ouvre donc le XXIè siècle sur une prise de conscience collective des
acteurs du système international: la nécessité de penser une nouvelle Société internationale
plurielle et solidaire, sans universalisme triomphant, et donc de respecter l’hétérogénéité des
sociétés –désormais internationales.
14
En 1991, dans un discours prononcé à l’université de Princeton (New Jersey), le secrétaire d’Etat américain
James Baker affirmera : “ Aujourd’hui, au lendemain de la guerre froide, nous nous tenons de nouveau au bord
du précipice de l’histoire. Si, durant la guerre froide, nous nous affrontions comme deux scorpions dans une
bouteille, à présent, les pays occidentaux et les anciennes républiques soviétiques peuvent être comparés à des
grimpeurs maladroits affrontant ensemble une montagne abrupte ”.
15
Cette prétention s’est révélée d’une manière flagrante lors de la Première Guerre du Golfe de 1991.
16
ROUQUIE A., Amérique latine : introduction à l’Extrême-Occident (1987), Editions du Seuil, Paris, 1998.
18
La notion de revendications identitaires est fortement liée à cette question que soulève
les zapatistes. Samuel Hunttington va jusqu’à affirmer que “les grandes causes de division de
l’humanité et les principales sources de conflits sont culturelles […]. Les principaux conflits
politiques mondiaux mettront aux prises des nations et des groupes appartenant à des
civilisations différentes”17. Pour ce qui nous intéresse, les minorités qui se déploient au sein
de la nation mexicaine souhaitent le respect de leurs droits -religieux, civiques, politiques, ou
linguistiques- et vont jusqu’à aspirer à une plus grande autonomie ou à une reconnaissance
internationale.
Dans l’action qu’ils vont mener, les zapatistes vont privilégier une approche non statocentrées des Relations Internationales, en privilégiant par conséquent l’analyse marxiste et la
perspective transnationaliste. Selon eux, l’asymétrie entre les États entretient des relations
horizontales entre eux, les plaçant alors dans des rapports d'interdépendance asymétrique :
pour éviter de tomber dans les pièges lancés par la figure étatique, il faudra donc coûte que
coûte réussir à s’internationaliser.
Depuis la fin de la Guerre Froide, et sous l'influence conjuguée des politiques
étatiques, des mouvements intellectuels, d'institutions religieuses ou humanitaires,
d'organisations internationales ou d'ONG, les droits de l'Homme –au sens des droits civils et
politiques- sont devenus une référence internationale habituelle pour apprécier la politique
intérieure des États. Les constats établis montrent que les États du Sud restent plutôt à l'écart
des progrès démocratiques. Les États de tradition démocratique, qui sont en même temps les
mieux nantis, se considèrent comme investies d'une mission universelle: la promotion de la
démocratie politique. Par les pressions qu'ils exercent, les systèmes d’aides et d’assistance
conditionnelle qu'ils dispensent aux autres États, ils tentent de faire émerger un principe de
légitimité démocratique qui impliquerait un droit à des élections libres, voire même à la
“gouvernance démocratique”. En ce sens, et comme nous le démontrerons dans notre étude, il
est certain que l’appropriation par les zapatistes des thématiques internationales dans le but de
refonder le système mexicain a été un formidable tremplin pour la reconnaissance et
l’affirmation du mouvement sur le plan international.
Au lendemain de la guerre froide la tentative d’hégémonie des Occidentaux sur le reste du
monde n’est donc pas restée sans réaction. Dans un monde désormais multipolaire, certains se
sont organisés pour faire face à la tentation de façonner le contexte international à l’image de
17
HUNTINGTON Samuel, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2000.
19
l’Amérique. L’EZLN est alors apparu. Pour défendre la refonte du système mexicain elle a su
mettre en œuvre des méthodes, des techniques et des stratégies surprenantes, qui ont
désarçonné le gouvernement mexicain. Dans notre mémoire, nous avons donc chercher à
présenter le fait que l’EZLN, par le biais de méthodes et de stratégies qui lui sont propres, et
que nous expliquerons ultérieurement, a su saisir l’opportunité offerte par l’ouverture du
système international, et par la rénovation des thématiques qui y prennent place, pour non
seulement se donner les moyens de s’imposer dans le débat mexicain international. Ainsi,
l’EZLN a su suscité l’intérêt des opinions publiques internationales et nationales, en
préfigurant notamment un nouveau type d’acteur politique, à la marge de la guérilla et du
système politique traditionnel, ce qui lui a permis notamment de placer le Chiapas sur la scène
politique nationale et internationale pendant plus d’une dizaine d’années.
3.
Problématique
Le traitement de notre sujet d’étude doit s'attacher à nous faire comprendre in fine
pourquoi, comment, et dans quelle mesure une zone infra-étatique et une organisation
marxiste-indigéniste ont été propulsée sur la scène internationale à la suite des conflits du
Chiapas qui ont agité le Mexique au début de l'année 1994. Selon les données que nous avons
indiquées plus haut, il est évident que l’EZLN a su s’imposer comme nouvel acteur du jeu
politique national et international grâce à la reconfiguration du système international et à
l’usage réussi des techniques et des éléments du processus de glocalisation18. Pour autant, et
bien que l’EZLN ait pu bénéficier d’un contexte et des “matériaux” favorables à son
renforcement, ce “succès” n’était pas automatique. En effet, d’autres mouvements
d’obédience marxiste19 qui existaient à la même époque, dans le même pays, et dans les
mêmes régions du sud-est, n’ont pas eux réussi à trouver un écho favorable sur la scène
nationale et internationale. C’est alors que l’on peut penser que la réussite du conflit du
Chiapas, mise en exergue par l’EZLN, n’était pas un processus mécanique et automatique :
l’originalité et la spécificité du mouvement, surtout dans le contexte national et international
dans lequel il émerge, sont sans conteste les éléments qui lui ont donné sa force.
18
Ce phénomène présente l’imbrication croissante des niveaux locaux et globaux et amène à penser à ce que ces
deux niveaux sont désormais fortement dépendant dans la logique de mondialisation dans laquelle nous sommes.
19
Le plus emblématique de ces autres mouvements reste l’EPL (Armée Populaire de Libération).
20
La problématique qui va alors nous préoccuper et à laquelle nous allons tenter de
répondre tout au long de notre travail de recherche est la suivante:
Comment suite à la chute du « socialisme réel » et à l’avènement du « monde
unipolaire » organisé autour de la puissance américaine, l’Armée Zapatiste de Libération
Nationale, présentée comme un mouvement révolutionnaire, a t’elle réussi à s’imposer non
seulement comme nouvel acteur mais aussi comme nouveau type d’acteur au sein du jeu
politique national et des Relations Internationales?
De la même manière, cette question nous amènera à envisager une autre question qui lui est
intimement liée: comment et dans quelle l'EZLN a t'il préfigurer les nouveaux combats
nationaux et internationaux du XXIè siècle?
4.
Outils méthodologiques et difficultés rencontrées
Afin de réaliser notre mémoire de recherche, et de tenter de respecter au maximum les
objectifs de scientificité qui lui sont reconnus, nous nous sommes attachés à mettre en œuvre
une méthode recoupant plusieurs type d’outils.
Tout d’abord, nous avons eu recours à un certain nombre d’entretiens avec des acteurs
liés de prêt ou de loin avec le problème du Chiapas. En annexe du mémoire, nous avons
retranscrits un exemple d’entretien que nous avons organisé au mois de mars 2007 avec
Monsieur le Consul du Mexique à Toulouse. Outre cet entretien, ma recherche a bénéficié de
l’appui de divers entretiens informels que j’ai pu organiser avec certaines personnes
rattachées à des associations de Toulouse ayant trait au Mexique et avec des enseignants de
l’IPEALT de Toulouse. Enfin, j’ai pu m’entretenir longuement avec le professeur Enrique
Serrano, intervenant extérieur de l’IEP Toulouse, et fin connaisseur de l’Amérique latine.
Ensuite, la base théorique de mon mémoire repose surtout sur des analyses issues de revues
scientifiques spécialisées et qui étudiait le Mexique sous des angles d’approches divers. Je
détaillerai davantage cet élément dans la rubrique « état de la littérature » qui suit. Pour palier
à ces difficultés, j’ai souvent du faire appel aux nombreuses déclarations publiques de
l’EZLN, aux accords et législations négociés entre le gouvernement mexicain et les insurgés.
Aussi, j’ai souvent choisi de m’appuyer sur ces documents car ce sont ces actes qui ont
rythmés le conflit et permis de donner des avancées significatives.
21
En ce qui concerne les difficultés que j’ai rencontré, outre l’impossibilité qui fut la
mienne de me rendre sur mon terrain d’étude afin de donner davantage de validité à mes
hypothèses, je dois notifier une complication majeure. Lorsque j’ai voulu étudier le rôle du
Chiapas dans les relations internationales et sur la scène nationale, j’ai choisi de m’attaquer au
problème d’un point de vue relativement neuf. Cependant, j’ai été très vite confronté à deux
types de difficultés majeures. Premièrement, il m’est apparu extrêmement difficile, sinon
impossible, de trouver des ouvrages ou des revues qui traitaient de mon thème, et sur
lesquelles je pourrais donc l’appuyer par la suite. Alors, après quelques temps de doute, j’ai
du réorienter mes choix de littérature sur le sujet (voir dans « état de la littérature »). Le
deuxième écueil que j’ai rencontré, et que je détaillerai dans la section suivante, a trait à ce
que la littérature accessible sur le Chiapas est généralement très emprunte de partialité et de
visions tendancieuses. Dès lors, il m’a fallu souvent passer beaucoup de temps à croiser les
données afin de ne pas tomber dans le piège idéologique tendu par les auteurs de ces
ouvrages. La forte polarisation du thème de l’EZLN m’a donc extrêmement dérouté lors de
mes recherches. Malgré tout, au final, je pense avoir su comment éviter de tels écueils,
notamment en m’étant appuyé fortement sur les déclarations, les accords et les législations
dont je faisais part.
5.
État de la littérature
Les ressources accessibles et dont on dispose actuellement sur le Chiapas, et qui se
trouvent principalement en bibliothèque –dans des ouvrages ou des revues spécialisées- et sur
Internet, sont d'ordre varié. En effet, plusieurs types de littérature ont émergé sur le sujet :
Nous pouvons citer dans un premier temps l'existence d'un certain type de littérature qui
explore des aspects spécifiques du Chiapas. Il s'agit d'ouvrages anthropologiques et
ethnologiques20, d'ouvrages présentant des récits d'aventures au Chiapas21, ou encore
d'ouvrages que l'on pourrait qualifier de "sectoriels"22. Certes, il s'agit d'une littérature assez
abondante, mais qui ne concerne pas le sujet qui nous préoccupe. Nous aurons donc très peu
20
Par exemple: LENKERSDORF Carlos, Les hommes véritables: paroles et témoignages de Tojolobales indiens
du Chiapas, LUDD, Paris, 1998; ou aussi MONOD-BECQUELIN Aurore et BRETON A., La “guerre
rouge”ou une politique maya du sacré: un carnaval tzeltal au Chiapas, Mexique, CNRS, Paris, 2002.
21
Par exemple: LLOYD STEPHENS J., Aventures devoyages en pays Mayas, de Pygmalion, Paris, 1993.
22
Par exemple: ELLIS Philip, Changes in agriculture and settlement in coastal Chiapas, southern Mexico,
Glasgow University, Glasgow, 1971; ou encore ALMA Amalia y GONZALEZ C., Etica y exclusion: las reglas
del juego del mercado del café, Univ. Tlse2, Toulouse, 2003.
22
recours à ce genre de littérature, sauf cas ponctuels éventuellement précisé en note de bas de
page.
Ensuite, un grand nombre d'ouvrages ont été publié sur le mouvement qui a propulsé le
Chiapas sur la scène internationale. Ce sont des ouvrages qui présentent entre autre la genèse
du conflit, l'émergence du mouvement, les idéaux "humanistes" que celui-ci se propose de
défendre23. Ces ouvrages s'attachent à présenter une perspective apparemment sociologicohistorique du mouvement. A priori ce type de littérature nous intéresse davantage, mais il
semble délicat d’utiliser une telle bibliographie. En effet, cette littérature nous donne à
explorer des récits dont les auteurs sont souvent emprunts de partialité et font part soit de
complaisance marquée, soit d’un désenchantement trop visible envers le mouvement. Le
caractère tendancieux de cette littérature pourrait donc nous amener à tomber dans les travers
idéologiques dans lesquels elle nous pousserait à nous retrancher, ce qui n'est pas le propos de
notre recherche scientifique. Il reste à préciser que bien que ce type de littérature ne nous
intéresse pas en tant que tel, il pourra parfois s'avérer utile de s’y référer de façon judicieuse
pour préciser certains éléments indispensables à notre démonstration.
De la même manière, il semble important de préciser ici que nous nous reporterons
souvent à des documents officiels qui ont été produits tant par l’EZLN (Déclarations "de la
Selva Lacandona", Déclarations "de La Realidad", actes des “ Rencontres Intergalactiques ”,
etc.) que par le gouvernements, les organismes officiels, ou les commissions de résolution du
conflit (Accords de San Andrés, Réformes Constitutionnelles, etc.). En effet cette démarche
nous permettra de nous appuyer sur des documents qui ont eu, à des degrés différents bien
entendu, une certaine répercussion quant à l’avancée et au déroulement du conflit
chiapanèque. De la sorte, ce type de documents servira à appuyer notre démonstration, dans
ce sens notamment qu’ils permettent d’analyser quelle est la stratégie des deux parties en
présence, quant au dialogue et aux avancées qu’ils souhaitent donner au conflit.
Certains ouvrages qui ne se consacrent pas en tant que tels à notre thème d’étude (le Chiapas
de l’EZLN), pourront aussi nous être utiles. En effet, la perspective internationaliste dont nous
allons faire preuve au long de notre étude nous amènera à adopter une approche davantage
“ pluridisciplinaire ” que monolithique. Ainsi, la logique d'internationalisation de la zone
chiapanèque est, comme nous l’avons souligné, le fait d'une kyrielle de facteurs. La
23
Par exemple: NADAL Marie José, A l'ombre de Zapata: vivre ou mourir dans le Chiapas, Ed du Félin, Paris,
1995; ou encore MONTEMAYOR Carlos, Chiapas la rebelion indigena de México, Espasa Clape, Madrid,
1998.
23
dimension internationale du conflit, ou tout au moins la portée internationale qu'il a eut,
s'explique notamment par le “ facteur ONG ” ou encore par le “ facteur Internet ” par
exemple. Pour pouvoir analyser les mécanismes d’internationalisation du conflit et les
rouages qui ont aussi aidé à propulser le Chiapas sur la scène internationale, il semble
notamment judicieux d’avoir recours à ce type de documentation. De la sorte, il semble
pertinent de s'attacher à étudier, expliquer et analyser de manière précise et documentée ce
genre de données, qui ne sont pas traitées en tant que telles dans les ouvrages et fonds de
documentation sur le Chiapas et dont nous avons déjà fait le recensement. Entre autre, nous
devrons par exemple nous référer à la thématique des Droits de l’Homme et de la
Démocratie24, des ONG25 et d’internet26, et ce notamment au moyen d’ouvrages et de rapports
spécifiques.
Nous aurons aussi fréquemment recours à une littérature de fond, qui se trouve dans des
revues spécialisées ou sur internet. En ce sens, nous privilégierons les sites, souvent
institutionnels, qui présentent des recherches scientifiques sur le sujet. Nous tenterons de
contrôler au maximum de nos possibilités l’indépendance de ces sites quant à tout organisme
tendancieux duquel il pourrait dépendre. Le site de L'Institut International de Gouvernabilité
de Catalogne27 est un bon exemple du type de documents auxquels nous auront recours par
internet: des études qui fournissent des analyses de fond sur les différents aspects du sujet,
basées sur des recherches scientifiques et libres de toutes contraintes idéologiques. Enfin,
certaines publications de la Documentation française28 ou d’autres laboratoires de recherche
nous aideront parfois à compléter notre étude.
Malgré tout, et en systématisant cette démarche, nous pensons pouvoir répondre de manière
convenable à nos objectifs de démonstration.
24
Par exemple: BOURG Dominique et BOY Daniel, Conférences de citoyens, mode d'emploi: les enjeux de la
démocratie participative, Ed C/L Meyer, Paris, 2005.
25
Par exemple: STANGHERLIN G., Les acteurs de l'ONG: l'engagement pourl'autre lointain, L'Harmattan,
Paris, 2005; ou encore LECHERVY C. et RYFMAN P., Action humanitaire et solidarité national, les ONG,
Hatier, Paris, 1993.
26
Par exemple: CROUZET T., Cinquième pouvoir: comment internet bouleverse la politique?, Ed Bourin, Paris,
2007; ou encore LEVY P., Cyberdémocratie: essai de philosophie politique, O Jacob, Paris, 2002.
27
Hébegé et en libre accès sur la page web www.iigov.org.
28
Le site internet de la Documentation française offre une base de données importantes.
24
6.
Plan expliqué et hypothèses:
Thèse
Il semble que l’EZLN ait su mettre en œuvre une stratégie nouvelle de lutte, stratégie
pleinement adaptée et facilitée par le contexte de l’après-guerre froide au Mexique et dans le
monde. En outre, il est certain qu’il est impossible d’affirmer que la lutte du Chiapas est un
combat du XXè siècle : du fait de son originalité et de sa spécificité, tant si l’on s’intéresse à
son fond qu’à sa forme, cette lutte fait la charnière avec les combats politiques et les formes
de luttes qui s’annoncent pour le XXIè siècle. Ainsi, si l’EZLN a su tirer son épingle du jeu, il
est sur qu’elle l’a fait sur deux points principaux : tout d’abord le fond, avec la réactualisation
des discours indigénistes et la rénovation des thématiques que le mouvement propose, puis
ensuite sur la forme, avec notamment les méthodes d’action et d’adaptation que mettent en
œuvre l’originalité des zapatistes et la capacité inouïe de communication externe du
mouvement. Tous ces éléments auront permis, entre autres, ont clairement permis à l’EZLN
non seulement de s’imposer au sein du débat national et international, mais aussi et surtout, et
c’est en cela que réside la force de l’EZLN, s’imposer comme nouveau type d’acteur au sein
du jeu politique national et des Relations Internationales. Cette position allait notamment
mettre toutes les cartes au mouvement pour se proposer de préfigurer les combats
internationaux du XXIè siècle.
Hypothèse
Dans le but de répondre au problème que nous avons posé en introduction, nous allons
tenter de montrer successivement les choses suivantes :
La principale réussite de l’EZLN repose sur le fait que le conflit a su, à partir de
conditions objectives préalables au combat et indispensables à sa réussite, transformer cette
configuration en potentiel subjectif d’action. C’est ainsi que l’EZLN a réussi à éclore dans le
contexte national mexicain et dans le contexte mondial renouvelé des années 1990. La
menace qu’il a fait un temps peser sur l’ordre national et donc l’impact qu’il a eu sur la scène
internationale n’était pas pour autant mécanique. La brèche était ouverte, et il s’agissait
désormais de s’y engouffrer avec succès. L’EZLN semblait proposer aux yeux du monde
entier une guérilla inédite.
25
De fait, c’est seulement en stabilisant le combat, notamment grâce à la mise à son
service des moyens de la mondialisation et de l’adaptation constante du discours et des actes
aux nouvelles donnes, que le mouvement a réussi à se maintenir vivant et incisif. Le potentiel
d’action présent au départ s’en trouvait donc stabilisé et démultiplié. Le retentissement du
conflit était alors certain, et ce jusqu’à l’inscrire sur l’agenda public international.
Notamment, l’inscription de l’EZLN sur la scène internationale a permis au mouvement de ne
pas s’essouffler, et surtout elle lui a donné la possibilité de relancer le processus de
négociation interne avec le gouvernement et donc de viser à certaines avancées qui sans cela
n’auraient sûrement jamais été obtenus. Ainsi, la dimension quasi visionnaire de l’EZLN
quant aux techniques de combats, et l’attitude désopilante et provocante dont elle a fait preuve
en invoquant la particularité tout en abusant de l’universalité, préfigure les nouvelles qui
émergent dans le XXIè siècle naissant. C’est de cette manière donc que l’EZLN a doté le
Chiapas d’une capacité internationale et a inscrit cette région du monde dans les agendas
nationaux et internationaux, en s’affirmant alors comme un nouveau type d’acteur dans la
sphère nationale et sur la scène internationale.
Enfin, si la propulsion du Chiapas sur la scène internationale a été pendant un moment
jugée comme certaine, et que l’on a pu y voir à ce mouvement l’archétype d’un nouveau type
d’acteur des Relations Internationales, il semble qu’à l’aune de l’Histoire, et sans toutefois
déconstruire les réussites de l’entreprise zapatiste, le véritable coup de force que le conflit ait
réussi est surtout d’avoir préfigurer les nouveaux combats internationaux du XXIè siècle,
comme on peut en juger au vue des formes d’actions mises au jour par les zapatistes,
désormais à leur paroxysme dans les luttes contemporaines
26
PREMIERE PARTIE
LE CHIAPAS, ACTEUR INCERTAIN DU JEU POLITIQUE NATIONAL
ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE LA DISSIDENCE DE
L'EZLN A LA PROPULSION DU CHIAPAS SUR LA SCENE
NATIONALE ET INTERNATIONALE.
Lorsqu’une province périphérique
s'invite au banquet d'une nation internationnalisée...
27
Si au début des années 1990 le regard du monde et du peuple mexicain n’était en rien
porté sur le Chiapas, il est certain que les évènements de janvier 1994 dans cette partie du
monde auront propulsé l’intérêt médiatique et politique pour cet État de la République fédéré
du Mexique.
Assurément, cette propulsion ne s’est pas faite du jour au lendemain : elle résulte bien
entendu d’un certain nombre d’éléments qui se sont unis à un processus déjà enclenché, et qui
ont permis de donner forme à l’action que les zapatistes ont lancé le 1er janvier 1994.
Nous chercherons ici à déconstruire le processus d’élaboration du projet de l’EZLN, et
à comprendre en quoi et comment cette organisation s’est donnée les moyens de réussir son
avènement sur la scène politique nationale, élément indispensable à son parachutage sur la
scène internationale. Pour répondre à cette interrogation, nous devrons entre autre dévoiler
non seulement les origines de l’EZLN, mais aussi les stratégies adoptées par l’EZLN, le
contexte dans lequel a éclot le conflit mettant en scène l’organisation, et enfin l’attrait pour le
mouvement dans l’opinion publique nationale. Ainsi, tout ces éléments devraient nous
permettre de montrer en quoi, après plus de 80 ans de domination du PRI et d’un schéma
d’encadrement de la société qui semblait avoir fait ses preuves, l’EZLN a réussi non
seulement à remettre en question la sécurité nationale du Mexique, mais aussi, dans le
contexte d’intégration des économies et de sécuritisation globale qui suivirent
l’unipolarisation du monde, à s’affirmer comme une menace tangible de l’ordre international
établi.
Bien entendu, il nous faut préciser dès lors que nous nous efforcerons de ne pas
tomber dans les travers d’explications causales, déterministes et simplistes, afin d’expliquer la
réussite de l’EZLN à se propulser sur la scène nationale et internationale, mais que tout au
contraire, la complexité du sujet nous amènera à mettre en œuvre une lecture critique du
mouvement, notamment en croisant deux courants de pensée généralement choyés par la
littérature internationaliste, à savoir le courant marxiste29 et l’approche tourainienne30. La
complémentaire de cette démarche nous permettra en outre de mettre sur pied une analyse
féconde des deux registres.
29
qui étudient les causes structurelles de l’origine du mouvement et explique l’évolution organisationnelle de
celui-ci.
30
qui explique elle différemment les mécanismes de mobilisation autour de l’EZLN.
28
CHAPITRE 1.
LE CHIAPAS, UN CONTEXTE REGIONAL SPECIFIQUE: ENTRE CONFLIT
POTENTIEL ET CRISE LATENTE? LE ZAPATISME INCUBATEUR.
Dans cette partie nous allons présenter le réceptacle sur lequel repose les
revendications zapatistes qui sont exprimées dès l’année 1994. Ainsi, si les zapatistes ont pu
s’exprimer sur la scène internationale en 1994, il est certain que cela est fortement lié au fait
que ces derniers surent répondre à une situation de crise particulière et affirmer la logique et
la légitimité du mouvement aux yeux du monde entier.
Mais il est certain que cela n’a pas toujours été évident. En effet, le mouvement n’a
pas toujours suivi un chemin sans embûche. Ainsi, si l’EZLN s’est fondée sur une idéologie
marxiste, il est indispensable de souligner le fait que cette idéologie répondait véritablement
aux problèmes matériels rencontrés par de multiples communautés dans un État dont les
richesses incommensurables n’avaient paradoxalement pas permis de créer une situation de
bien-être pour les populations du Chiapas. La logique qui animait le mouvement zapatiste
semblait donc répondre parfaitement aux injustices ressenties par une population chiapanèque
discriminée et dépossédée de ses richesses. Mais le nouveau contexte de l’hégémonie libérale
a amené le mouvement à ne pas pouvoir affirmer de but en blanc une identité monolithique
marxiste, ce qui aurait risqué de le stigmatiser et de légitimer l’écrasement que le pouvoir
mexicain autoritaire aurait pu décider. Ainsi, le contexte international a amené à revisiter la
théorie marxiste et à l’adapter aux nouvelles conditions de lutte. Enfin, dans ce contexte
international qui, de prime abord, rendait leur sortie publique plus difficile, les zapatistes ont
réussi un véritable tour de force en se rappropriant les communautés indigènes chiapanèques
acquises à la théologie de la libération. Alors, suite à l’hybridation réussie des deux discours,
indigéniste et marxiste, l’organisation zapatiste a su se donner une légitimité sans précédent.
Section 1. L’existence d’un potentiel de conflit : le Chiapas, un État en détresse
L’analyse des conditions matérielles préalables à l’avènement du conflit au Chipas est
indispensable pour comprendre comment le mouvement zapatiste a pu affirmer sa légitimité.
En effet, la situation particulière du Chiapas au sein de l’entité nationale, n’a fait que
radicaliser la position et le malaise des populations chiapanèques au cours du temps. Ainsi, si
29
comme 1994 marque un tournant dans la réalité du Chiapas et du Mexique, c’est surtout par la
remise en cause d’une situation « vieille de plus de cinq cent ans » qu’opère le mouvement.
Dans cette section, nous analyserons d’abord le contexte local dans lequel a pris pied le
zapatisme, pour voir ensuite quelles sont les causes et conséquences de cette situation. Ainsi,
cette étude préalable nous permettra d’appuyer par la suite le rapprochement logique que l’on
fera entre l’état des lieux du Chiapas, caractérisé par l’injustice qui y prend place, et la
logique marxiste qui anime les zapatistes.
A. Les contexte local de mise en place du conflit zapatiste: le Chiapas et sa place
particulière au sein de la nation mexicaine.
Comme de nombreux auteurs ont démontré l’existence « des » Amériques, l’analyse
de la situation mexicain nous révèle qu’il existe tout autant de Mexiques au pluriel aussi.
Ainsi, l’étude approfondie du Mexique laisse entrevoir les diverses facettes de ce pays situé à
la croisée des deux Amériques.
Les données statistiques produites sur l’Amérique font état d’un constat déjà visible à
l’œil nu : le continent américain est marqué par deux sous ensembles. Le premier, qui se situe
au Nord du Rio Grande, se distingue par son haut niveau de développement économique et
technologique, par des niveaux de vies de qualités élevés, mais aussi des revenus par habitants
les plus élevés de la planète ; le second bien au contraire, réunit lui des carences économiques,
technologiques, niveaux de pauvreté très élevés, inégalités sociales exacerbées, etc. En
somme, les données statistiques confirment ces analyses : il existe bel et bien « deux
Amériques ». A cette fracture entre « le nord » et « le sud » de l’Amérique, il faut souvent
ajouter des lignes de fractures toutes aussi marquées qui traversent la majorité des pays du
sous-continent. Ainsi, si l’on peut réellement parlé « des » Amériques, les données statistiques
fournies par les autorités mexicaines révèlent que l’on peut tout autant parlé « des »
Mexiques. En effet, s’il est évident qu’une analyse de l’Amérique latine révèle la diversité
« des » Amériques, le Mexique se situe « à la croisée des deux Amériques » : tout comme il
existe une ligne de démarcation entre une Amérique du Nord et une Amérique latine, il existe
aussi une ligne de démarcation entre un Mexique du nord et un Mexique indien.
La fracture nationale que l’on relève au Mexique s’établit sans nul doute sur une ligne
Guadalajara-México, et concentrerait en son nord les niveaux de revenus et les indices de
développement les plus élevés du pays, et en son sud les plus faibles 31. Pour éviter d’être
31
Le Pib dans les Etats du Chiapas, d’Oaxaca ou du Guerrero varie entre 3000 et 4000 dollars par habitant, soit
30
exhaustif, et tout en sachant que, comme cela est observable pour la majorité des données
statistiques présentées par le Ministère de l ‘Économie32, la fracture nord/sud peut s’observer à
la lumière de tous les indicateurs du Mexique, nous nous contenterons de citer pour exemple
le cas de le l’éducation, et tout particulièrement de l’alphabétisation :
le taux
d’analphabétisme de 3,9% dans le Nuevo Léon atteint les 30,5% des enfants chiapanèques.
Certes, cette situation s’explique surtout car le Chiapas manque d'écoles, mais cela n’en est
pas moins vrai pour autant : il existe une réelle pauvreté dans le sud, d’autant plus difficile
qu’elle côtoie chaque jour des inégalités abyssales.
Conscient de la situation, chaque ministère insiste sur le fait que la région sud/sud-est
requiert une attention prioritaire : à l’instar Martine Dauzier33, les gouvernements sont
effectivement bien conscients qu’il faut « prendre le sud au sérieux »34. En effet, les luttes
agraires, les guérillas paysannes, les vendettas et la délinquance -liée au trafic de drogue
comme à sa répression militaire et policière- sont en recrudescence dans cette partie du pays,
et ne cessent de miner chaque fois davantage la légitimité d’un pouvoir qui semblent avoir
oublié la pauvreté dont souffre le pays au sud. Le constat est patent : le sud reste exclut de la
modernisation, et ce qu’elle soit économique ou sociale, et au début des années 1990 la
situation et le décalage entre le sud et le nord est bien loin de s’être résorbé.
Dans ce constat de malaise, le Chiapas, situé au sud/ sud-est du Mexique, est l’Etat le
plus défavorisé de la République. En 1993 en effet, c’est cet État qui détient le triste record de
l'indice de pauvreté national. Mais si le Chiapas est souvent stigmatisé au niveau national
comme étant l’Etat le plus pauvre de la fédération, son identité ne se réduit pas à cette donnée.
En effet, à cet état des lieux d’un Chiapas hautement lésé sur le point de vue économique, il
faut souligner l’existence d’une seconde variable qui caractérise généralement l’identité de cet
État : le Chiapas est l’emblème d’un Mexique du vestige de l’Empire maya, un “Mexique
indien” qui regroupe quelques huit millions d'indigènes. Ainsi, et même s’il est certain que le
Mexique recèle un taux de population aborigène des plus forts de toute l’Amérique latine, il
n’est pas moins vrai que le Chiapas possède malgré tout une identité bien spécifique, et qui le
des chiffres plus proches de ceux du Nicaragua ou du Salvador (2366 et 5260 dollars en 2001) que des Etats du
nord du pays, où la moyenne est proche de 10 000. (source INEGI).
32
Les données statistiques auxquelles nous faisons référence dans notre mémoire se trouver sur le site de
l’Institut National de Statistiques. L’INEGI est un organe déconcentré du Ministère de l’Economie. En ce sens,
il possède une autonomie technique et administrative. Son adresse internet est la suivante :
http://www.inegi.gob.mx.
33
Du Centre d’Etudes sur le Mexique et l’Amérique centrale de México.
34
DAUZIER Martine, « Mexique: prendre le sud au sérieux », in Problèmes d’Amérique latine numéro 27, La
Documentation française, octobre-décembre 1997.
31
différencie fortement de l’Etat voisin d’Oaxaca lui aussi peuplé d’indigènes : au Chiapas il
est patent de constater l’existence de multiples ethnies originaires, à l’instar des ethnies
tzotziles, tzeltales, tojolabales, lacandones, choles, ou d’autres encore. Certaines d’entre
elles sont d’origine millénaire, d’autres d’arrivée récente dans la région, et le reste de
« création récente35 ». Cette « spécificité chiapanèque », comme certains s’adonnent à la
nommer, offre au sûr un panorama culturel compliqué, et donne à considérer le Chiapas
comme un réservoir ethnique, écologique et géostratégique.
L’étude des Mexiques que nous avons effectuée précédemment, nous aura permis de
faire ressortir le fait qu’il existe clairement un « paradoxe » au Chiapas : comme nous allons
le voir, le Chiapas est un territoire pauvre, mais aux richesses incommensurables.
Le constat de pauvreté que l’on vient d’établir plus haut souligne le paradoxe
observable pour les populations chiapanèques. Si l’Etat du Chiapas est un des États où le
malaise social est le plus prononcé, il est aussi l’Etat où les richesses de la nature s’y trouvent
le plus en abondance. Ainsi, en 1994, l’Etat du Chiapas est un État extrêmement riche. En
apportant un cinquième du pétrole de la République mexicaine, il est l'un des premiers États
pétroliers de la Fédération. En outre, il fournit aussi 55% de l'électricité que le Mexique
consomme, produit un quart du gaz, génère la moitié de l’énergie hydroélectrique du
Mexique, et occupe le premier lieu national dans la production de café et de maïs et le second
pour l’élevage. Cependant, cet état de fait n’empêche pas l’Etat du Chiapas d’être à la même
période l’Etat un des plus pauvre de la République du Mexique, et de connaître alors des
niveaux de pauvreté parfois supérieurs à certains États qui eux pourtant n’ont pas tant de
ressources sur leurs sols. Ainsi, à la même période les constats du marasme économique et
social qui s’abattait sur la région était saisissant : l’industrie y était presque inexistante, le
secteur des services était plus que réduit, les communications déficientes, les centres éducatifs
était peu nombreux et de mauvaise qualité, trois logements sur cinq n'avait pas accès à l'eau
courante, 80% des habitants n'avaient pas accès au système de santé, et un tiers était
analphabète, 19% des actifs était « sans ressources » et 40% disposaient d'un revenu inférieur
au salaire minimum. Entre autres statistiques fournies par l’INEGI, il faut aussi souligner que
29% des enfants échappaient à la scolarisation obligatoire, que 35% des agglomérations ne
possédaient pas l'électricité, ou encore que 94% des municipios (municipalités) de l’Etat
concentraient le plus fort degré de pauvreté nationale.
35
DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”,
in Mouvements numéro 45-46, mai-août 2006.
32
Les constats de pauvreté du Chiapas font donc bilan d’un État qui, malgré des
richesses parfois plus qu’abondantes, présente des indices de pauvreté bien supérieurs à la
moyenne nationale. C’est en ce sens que Martine Dauzier, entre autre, parle du Chiapas
comme étant l’emblème d’un « Mexique rude, barbare et profond »36 , un Mexique pour lequel
les richesses n’ont pas su se substituer à l’état généralisé de pauvreté. Cet État serait donc
l’étendard du paradoxe national mexicain : un État où la richesse naturelle coule à flot et État
où tous les indicateurs de pauvreté atteignent leur paroxysme.
B. Le paradoxe chiapanèque : de la clarification des raisons du conflit à l’ébauche de la
radicalisation à venir.
D’après le constat que nous avons établit précédemment afin de mieux appuyer notre
réflexion, il semble certain que l’état du Chiapas relève d’un paradoxe. En effet, comment un
territoire peut-il être pauvre et manquer de toutes les infrastructures et services nécessaires à
son développement, alors qu’en même temps cet État jouit d’une extrême richesse ?
Il nous faut dès lors préciser que, s’il est certain que ce paradoxe a été le noyau sur
lequel l’EZLN s’est greffé par la suite, il est d’autant plus sûr que le succès ou l’échec du
mouvement ne s’explique pas seulement par cette variable. Alors, et afin d’éviter toute
surdétermination de l’importance majeure de ce paradoxe, et donc afin d’éviter de tomber
dans les travers d’un marxisme aveugle, nous nous contenterons de répertorier brièvement les
éléments qui expliquent le mieux ce paradoxe.
Le Chiapas, se trouve donc confronté à des défaillances tant structurelles que
conjoncturelles, et qui créent une situation de malaise social dans la région.
Tout d’abord, l’accès à la terre reste être la problématique centrale et surdéterminante
pour expliquer cette situation. Ainsi, dans cet État riche en ressources naturelles et
pratiquement non industrialisé, « les rapports de force entre un paysannat indigène en
situation de survie et une oligarchie locale assoupie sur ses monopoles depuis l’époque
coloniale ont aboutit à des tensions très vives ». En effet, il faut préciser que la Révolution
mexicaine de 1910 s'est longtemps arrêtée aux portes de l'Etat. Par la suite, et sous la
présidence d’Obregón et de Cárdenas surtout, les réformes ont tenté de réagir à cette carence
majeure en liquidant le grand domaine et en touchant alors la moyenne propriété. Depuis lors,
la paysannerie s’est organisée en ejidos, sorte d’exploitation collective de terres
communautaire de terres inaliénables. La réforme agraire, pourtant animée par un désir de
36
DAUZIER Martine, « Mexique: prendre le sud au sérieux », in Problèmes d’Amérique latine numéro 27, La
Documentation française, octobre-décembre 1997.
33
changement en faveur des communautés indigènes longtemps mise de côté, va rapidement
connaître ses limites : de fortes tensions voient le jour entre les communautés bénéficiaires de
ces mesures, et cette réforme, qui favorise indirectement l’expansion des troupeaux et la
détérioration écologique, s’est parfois révélée contre-productive dans le sens où elle a
renforcé les relations de travail de type féodal déjà généralisées dans l’Etat du Chiapas. Au
début de l’année 1992 le système agraire est confronté une nouvelle fois à une réforme qui,
par le biais d’une modification de la Constitution mexicaine, offre la possibilité aux paysans
de vendre les ejidos. Cependant, la pression démographique qui atteint son paroxysme dans
l’Etat du Chiapas va participer à multiplier les conflits ayant trait à la problématique de
l’accès à la terre. Les lignes de fractures s’affirment au sein des populations de l’Etat, et
voient s’affronter entre autre des « couples » jugés irréconciliables : propriétaires/ paysans,
communiers/ ejidatarios, ou encore désormais entre ejidos. Enfin, il est important de noter que
le mode d’exploitation agricole au Chiapas, basé sur une vocation principalement exportatrice
plutôt que sur l’autosuffisance, n’aidera pas à obtenir un « effet d’entraînement » sur le
secteur industriel, et n’aura pas davantage d'incidence directe ou indirecte sur l'emploi. Les
problèmes liés à l’accès à la terre semblent donc relever bien plus de défaillances structurelles
que conjoncturelles, et il est certain qu’au Chiapas, les secteurs les plus lésés par ces réformes
successives, les secteurs qui ont le moins profité de la revalorisation de l’accès à la terre, sont,
comme nous le verrons un peu plus loin, les indigènes.
Mais si la terre est l’élément de premier ordre qui explique la situation économique
catastrophique du Chiapas et le marasme social qui l’accompagne, il n’est pas le seul. Outre le
problème de la terre, les causes de la rébellion sont aussi à expliquer par le croisement de
multiples variables, conjoncturelles notamment. Ainsi, la pauvreté et la mauvaise distribution
des revenus observable au Chiapas fait écho à de nombreuses mesures prises par les
gouvernements successifs, parmi lesquelles : la coupe des subventions à la production
agricole et le retrait de l’Etat dès les années 1980, l’ouverture commerciale à l’étranger et la
mise en compétitivité d’économies aux dynamismes très différenciés –et qui amplifie le
rendement décroissant du maïs sur les terres épuisées du Chiapas-, ou encore la hausse du prix
des intrants agricoles. Entre autres variables qui ont leur importance, il faut aussi souligner :
le poids de la croissance démographique dans l’Etat du Chiapas, l’oscillation des prix
internationaux du café –et surtout la chute du prix du café en 1989, et dont les effets sot
accentués par le retrait de l’Etat et la coupe des subventions-, ou encore l’afflux de migrants
centraméricains – qui représentent en 1984 un total de 46000 individus, et qui ne sont pas
sans provoquer un certain nombre de problèmes dans la sécurité intérieure de l’Etat. Enfin, les
34
affrontements entre les divers groupes de pouvoir qui dominent au Chiapas et la corruption
quasi viscérale qui prend place dans l’Etat –et qui consiste souvent à recevoir des ressources
publiques contre la misère puis à les détourner afin d’alimenter une clientèle, et donc de
préserver les positions sociales et de cadenasser toute réelle possibilité de changement
économico-social.
Le paradoxe du Chiapas s’explique donc, entre autre, par l’accumulation de
facteurs divers et variés. Les facteurs structurels, et au premier chef les défaillances de la
régulation de l’accès à la terre, ont souvent été accentués par les facteurs conjoncturels qui
sont venus s’y ajouter, et la persistance de ces éléments ont contribuer à empirer la fracture
sociale que l’on observait déjà au Chiapas. De la sorte, la situation déplorable du Chiapas ne
s’explique pas par un manque d'espace et de temps, mais surtout par une répartition des
ressources profondément inégalitaire et par des causes structurelles de premières importances,
et qui n’ont pas pu résister face à la pression exercée par d’autres données conjoncturelles.
En 1994 donc, la situation est à son paroxysme, et le malaise social, qui a déclencher le cercle
vicieux « pression démographique/ exode rural/ généralisation des bidonvilles/ décomposition
de la paysannerie/ chômage », révèle la situation de précarité et d'insécurité économique et
sociale profonde dans laquelle se trouve la grande majorité des habitants, et surtout les
indigènes, du Chiapas. La situation de détresse qui se généralise et s’installe au Chiapas va
constituer dès lors le terreau propice à des mouvements d’idéologie marxiste, favorables à la
défense des opprimés et des exploités : c’est ainsi en effet qu’émerge sur la scène chiapanèque
l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, ou plus connue sous le sigle de l’EZLN.
Section 2. L’existence d’un potentiel idéologique au Chiapas : l
’Armée Zapatiste de Libération Nationale et son diagnostic
L’étude du contexte du Chiapas nous aura permis de préciser dans quel état d’injustice
et de malaise se trouvent les communautés du Chiapas à l’aune de l’année 1994. Ici, nous
allons tout d’abord nous intéresser à la nature de l’organisation zapatiste, afin démontrer que
ses antécédents, entre autre, tendent à classer l’EZLN comme mouvement marxiste.
Cependant, les zapatistes ayant compris qu’il ne suffirait pas de s’insurger contre la situation
de pauvreté, et de s’affirmer comme guérilla marxiste pure et dure, au risque de se faire
écraser par le gouvernement mexicain pour cause de « résurgence du communisme » dans un
monde désormais sous le joug hégémonique du libéralisme, ils ont du revisiter le discours
marxiste et l’adapter aux nouvelles conditions de lutte. Ainsi, cette stratégie d’adaptation qui
35
précède le conflit leur permettra entre autre de nuancer les héritages marxistes qui sont les
leurs, et de trouver par alors comment affirmer une nouvelle légitimité d’action au Chiapas.
A. L’EZLN, ou une organisation marxiste : vers un soulèvement d’exclus ?
Comme nous allons le montrer, l’EZLN est une organisation de mouvance marxiste, et
les héritages sur le mouvement en sont patents. L’armée zapatiste, qui se lève en arme en date
du 1er janvier 1994, pour réclamer la fin des injustices au Chiapas surtout, est un mouvement
de filiation clairement marxiste. Il faut préciser ici que la postérité de l’Histoire ne doit pas
nous amener à porter un jugement tronqué sur le mouvement : si par la suite du soulèvement,
le mouvement a été présenté surtout, et de manière monolithique, par son identité indigène, il
ne fait nul doute que l’émergence du mouvement obéit davantage à l’utilisation d’un discours
teinté de marxisme plutôt qu’autre chose, ou qu’autrement dit le mouvement s’est inspiré
avant toute chose d'un marxisme des plus orthodoxes, et même si plus tard il a du, comme
nous l’étudierons, réorienter ses choix initiaux.
En ses débuts donc, et afin de se donner les moyens de percer au sein d’une population
chiapanèque pour qui la lutte des classes et l’exploitation des indigènes par un « État
bourgeois » aidé d’une minorité de privilégiés pouvait expliquer la situation paradoxale de
l’Etat que nous avons précisé ci-dessus, l’EZLN a surtout véhiculé un discours emprunt
d’idéologie et de références marxistes. Pour appuyer notre démonstration, et pour alimenter
notre réflexion, nous nous sommes appuyés surtout sur la « déclaration de principes du
PFLN »37, et qui a servi de base pour élaborer le « règlement interne de l'EZLN »38.
Ces deux documents posent donc les fondements et définissent les bases de l’action de
l’EZLN avant même 1994, il est évident que l’armée zapatiste a tout d’abord émergée en tant
qu’organisation marxiste, léniniste et guévariste.
Par la suite, et même si le mouvement a du réorienté ses stratégies afin de se donner les
moyens de ses ambitions, il est pourtant clair que la base du mouvement n'a pas été trompée
sur la nature et le sens de l'engagement qui leur était demandé. En effet, plutôt que d'affirmer
une identité ethnique, les zapatistes semblent bien se définir tout d’abord comme des
prolétaires. Au Chiapas cette logique ne se révèle en rien paradoxale : en effet, et comme nous
l’avons déjà précisé, la majorité des prolétaires chiapanèques sont avant tout des indigènes.
En outre, de nombreuses pratiques de l’EZLN évoquent celles de Sentier Lumineux39:
37
Le Partido Fuerzas de Liberacion Nacional, dont la déclaration de principe date de 1993, Mexico.
Le Reglamento Insurgente, établi dans la Selva Lacandona, en 1993.
39
Sentier Lumineux est un mouvement d’extrême gauche qui sévit au Pérou dans les années 1980 surtout: au
départ il s'agit d'une dissidence du Parti Communiste Péruvien.
38
36
« l’endoctrinement et l’enrôlement sous les armes d’enfants dès l'age de dix ans,
l’établissement de hiérarchies parallèles dont l'une, en façade [le CCRI] masque l'autre, qui
détient la réalité du pouvoir, etc. ». S’il ne nous appartient pas de juger ici le bien fondé de ces
pratiques, il reste incontestable que, dès lors que l’idéologie marxiste qui anime le
mouvement péruvien Sentier Lumineux n’est plus à prouver, le mouvement zapatiste
s’affirme lui aussi comme mouvement marxiste. Il faut dés lors précisé que, et même si les
réorientations stratégiques du mouvement n’aideront pas à rendre davantage visible cette
donnée, les origines marxistes de l’EZLN n’ont jamais été occultées. Le porte-parole du
mouvement, le sous-commandant Marcos, en date du 30 juillet 1996, a lui-même présenté le
noyau initial de l’EZLN comme étant : « un groupe porteur de toute la tradition des guérillas
latino-américaines des années 1970, groupes d’avant-garde, d’idéologie marxiste-léniniste,
qui lutte pour la transformation du monde et l’accès au pouvoir d’une dictature du
prolétariat »40. C’est en ce sens que certains analystes, à l’instar de Pedro Pitarch 41, ont pu
affirmé dès lors que « rien ne différenciait l’EZLN des autres groupes latino-américains qui
essayaient de reproduire la révolution cubaine par le moyen de la lutte armée ». Cependant, et
comme nous le préciserons plus tard, dans de nombreux domaines l’analyse et la stratégie
zapatiste va se démarquer des mouvements révolutionnaires traditionnels.
Pour le moment donc, nous sommes en mesure d’affirmer qu’il est avéré que l’EZLN
est au départ une organisation de filiation clairement marxiste-léniniste. Face à le situation
paradoxale de l’Etat du Chiapas, et face au mouvement de libéralisation de la sphère
économique et financière qui s’abat sur le Mexique dans les années 1980/ 1990, il est évident
que l’armée zapatiste va trouver les moyens de conforter ses racines dans cet État dévasté du
Chiapas.
Au vu des préoccupations qu’émet l’EZLN quant à la situation d’un Mexique « si loin
de Dieu et si proche des États-Unis » tend à montrer qu’il s’agit d’une guérilla consciente des
défis de son temps. En effet, lorsqu’en octobre de l’année 1993, le Sénat américain entérine
l’accord de libre commerce entre les États-Unis, le Canada, et le Mexique, l’orgueil marxiste
de l’organisation zapatiste en est affecté. Cet accord vise selon le mouvement à « accentuer
deux siècles d’impérialisme capitaliste sur le Mexique ». La relation de tutelle qui s’est
progressivement installée sur le sous-continent est dévoilée aux yeux de la nation : l’ALENA
n’est que l’aboutissement des variantes de la doctrine Monroe de 182342. Si le pays avait déjà
40
Voir dans EZLN :, Documentos y comunicados, 5 vol., de. Era, México 1994-2003.
PITARCH Pedro, “Les zapatistes et l’art de la ventriloquie”, in Communisme numéro 83/ 84, 2005.
42
Déclaration du 2 décembre 1823 devant le Congrès américain, dans laquelle James Monroe avertissait les
41
37
subit les assauts de la « politique du gros bâton » de Théodore Roosevelt, de la « diplomatie
du dollar » de William Taft, de la « politique de bon voisinage » de Franklin D. Roosevelt, de
l’« Alliance pour le progrès » de John F. Kennedy, de l’« Initiative pour le bassin des
Caraïbes » de Ronald Reagan, ou encore de la « politique des droits de l’homme » de John
Carter, l’ALENA venait désormais accentuer et systématiser cette logique. « L’entrée dans la
modernité » se concrétisait par la généralisation des logiques d’intégration, et pour le
Mexique le projet de création d’une zone de libre-échange entre les trois nouveaux
partenaires, n’était que la concrétisation de l’impérialisme économique aux yeux des
zapatistes. La logique fut d’autant plus démasquée par le mouvement, que la Banque
Mondiale et le Fond Monétaire International s’adonnaient à rendre public le fait qu’ils
n’accorderaient désormais des aides internationales qu’à la condition de mener une politique
économique conforme à ce que l’on a appelé le Consensus de Washington43. Cette intégration
régionale à laquelle visait l’Alena n’était donc visiblement que la confirmation de
l’orientation politique libérale décidée par les États parties à ce traité, et dans laquelle le
gouvernement du Mexique avait engagé le pays.
Face à cette jetée à bras le corps du pays dans le libéralisme sauvage, l’EZLN pointa
du doigt les dérives et les conséquences négatives du traité ALENA pour le pays, et
notamment aussi ses implications au Chiapas : la grande réforme de l'ejido –faite par voie de
révision constitutionnelle- que le traité imposait, la coupe des aides pour les petits producteurs
de café, de bétail, ou de bois, entre autres. Pour tenter de nuancer les conséquences de ce
libéralisme constitutionnalisé, et rendre plus supportable les ajustements structurels que
l’ALENA imposait, le gouvernement mis sur pied des programmes d’assistance aux
communautés : ce fut le cas du programme “Solidaridad”, grand projet social et politique, ou
encore de “Progresa”, qui se substitua à Solidaridad dans les domaines de l'éducation, de la
santé et de l'alimentation. Quand la rébellion éclate, le 1er janvier 1994, et s’il est pourtant sûr
que le sud est loin d'avoir été vendu à l'étranger, il est d’autant plus certain que cette région du
sud-est mexicain a inévitablement accumulé les frustrations devant des programmes ponctuels
et peu transparents, qui visaient surtout à tranquilliser les populations à court terme. Mais en
ces termes il est cependant certain que l’Alena qui promet, entre autre, « l’importation
massive d’un maïs étasunien plus compétitif », ne va faire qu’aiguiser les craintes et les
anciens colonisateurs que désormais toute intervention européenne dans les affaires du continent serait perçue
comme une menace pour la paix et la sécurité : « l’Amérique aux Américains ».
43
Le Consensus de Washington se réfère à un certain nombre de mesures adoptées libérales qui visent à
l’ouverture des frontières aux économies étrangères, à la réduction du rôle de l’Etat dans l’économie, à la
privatisation des entreprises publiques, à l’abandon des subventions aux produits ou services, ou encore à la
suppression des déficits budgétaires.
38
frustrations de ces populations délaissées et manipulées. C’est à ce moment que l’EZLN, déjà
implantée de façon ponctuelle dans la région, va trouver un terreau plus que favorable pour
diffuser efficacement la verve marxiste-léniniste dans la région.
B. Les bases de l’EZLN revisitée : du marxisme orthodoxe au marxisme nuancé par le
pragmatisme du mouvement.
Malgré tout ce que nous venons de démontrer, et nonobstant les règlements internes
qui définissent les bases marxistes de l’action zapatiste, les références au marxisme vont
presque complètement disparaître du discours de l’EZLN avant même le soulèvement.
Comment appréhender alors ce revirement de position ?
Certains éléments pertinents se détachent et permettent d’expliquer tout ou partie de
cet état de fait. Ainsi, au lendemain de 1990 et s'apercevant que le mur de Berlin est tombé et
que l'Union soviétique n'existe plus, les zapatistes auraient-ils renoncé au socialisme pour se
faire les chevaliers de l'indianité. De la sorte, au contact de la « sagesse millénaire des
indiens », auraient- ils auraient modifié les buts de leur action ? Évidemment, et à l’instar de
Jérôme Baschet qui pose la question, « comment penser que les évènements de 1989-91 aient
pu ne pas influencer la manière de concevoir le marxisme et de s’y référer ? », il semble
indéniable que si les zapatistes voulaient se donner une chance de rester en vie dans un monde
où « la chasse aux sorcières » avait laissé des traces plus que marquées, il était indispensable
pour eux de reléguer en arrière plan le discours marxiste, afin de se prémunir d’un discours
davantage policé, et désormais plus accepté. C’est en ce sens que les zapatistes commencèrent
à envisager le potentiel que leur offrait l’indigénisme chiapanèque.
En effet, il reste clair que cette nouvelle stratégie présentait un avantage substantiel
énorme : tout en leur permettant d’éviter les attaques meurtrières d’un ordre unipolaire
désormais rétif au discours marxiste, cette nouvelle stratégie leur donnait la possibilité de
construire à terme des territoires indigènes autonomes, aisément pénétrables et facilement
transformables en "zones libérées", en vue de poursuivre par la suite leur objectif marxiste
initial. Plutôt que de rester figée sur les traces pétrifiées d’un passé ne correspondant plus à la
réalité présente, et tout en acceptant que les cartes avaient été redistribuées au lendemain de
1989 et que le « socialisme réel » avait connu son heure de gloire, les zapatistes
reconnaissaient qu’il fallait désormais voir au-delà de cette état de fait, et donc adopter une
attitude pragmatique et nuancer et adapter leur discours. Malgré tout, il est indéniable,
39
comme le fait remarquer Jérôme Baschet, que la dogmatique marxiste restera à jamais la
« vérité cachée du zapatisme44 ».
Pourtant, et afin de mettre en pratique les réflexions précédemment édictées, les
militants urbains de toutes les gauches, qui connaissaient parallèlement une baisse d’audience
généralisée, vont redéployer un nouvel activisme clairement orienté sur « la recherche de
bases ». Dans ce trouble des nouvelles conditions de luttes sociales, les formations
concurrentes45 présentes au Chiapas vont tenter chacune de tirer leur épingle du jeu. Le but de
chacune d’entre elles va porter non seulement sur l’élargissement de son assise sociale, mais
aussi sur les efforts pour se démarquer des autres formations de gauches qui ont mettent en
œuvre le même processus. Dans ce nouveau contexte, le succès de l’EZLN va s’expliquer par
l’ampleur du travail qu’elle réussit : après s’être autonomisée du PFLN, dont la tendance
marxiste était trop fortement marquée et stigmatisait par conséquent le mouvement,
l’organisation va tenter et réussir à créer un pont entre son organisation gauchisante et la
population. Véritable coup de maître, l’EZLN réussit à s’imposer au Chiapas par l’utilisation
notamment d’un intermédiaire peu commun pour une organisation marxiste : l'Église
catholique.
A la suite de tout ce que nous venons d’analyser dans cette section, le constat que nous
pouvons tirer de cette étude est le suivant : si l’EZLN est clairement une organisation inspirée
de l’idéologie marxiste-léniniste-guévariste, il est certain que dans un contexte renouvelé en
1989/ 1990, la particularité de l’EZLN va être liée à son interaction avec l’histoire spécifique
du Chiapas, caractérisée par des décennies de processus d’organisation paysanne et par une
construction diocésaine inspirée de la théologie de la libération. Ainsi, et grâce au contact
avec les communautés indiennes, l’EZLN va s’opérer la transformation du noyau zapatiste
communisme, et lui donner par alors une chance inouïe de se donner les moyens de ses
ambitions.
44
BASCHET Jérôme, « Les zapatistes : “ ventriloquie indienne ” ou interactions créatives ? », in Problèmes
d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. P°156.
45
Nous pouvons citer en guise d’exemples les noms de celles qui connaissent le plus d’audience au Chiapas :
Forces Libération Nationale, Union du Peuple, ou encore Ligne prolétarienne, etc.
40
Section 3. L’existence d’un potentiel spécifique au Chiapas : de l’indigénisme des
théologiens aux zapatistes paladins de l’indianité.
Comme nous l’avons expliqué, l’EZLN, de filiation marxiste, a trouvé dans le Chiapas
un laboratoire de combat inespéré. Mais très rapidement, le mouvement s’est rendu compte
qu’il fallait nuancer ses héritages afin de se créer une crédibilité et une légitimité. Dans leur
tentative de correspondre aux nouveaux « canons » des guérillas du monde unipolaire libéral,
et de prendre leur distance avec une théorie marxiste souvent décrédibilisée par l’expérience
du socialisme réel, l’EZLN va donc se proposer de mettre en œuvre une nouvelle méthode
pour atteindre les communautés indigènes. En effet, le mouvement va se rendre compte du
potentiel d’infiltration dans les communautés indigènes du Chiapas que peut lui fournir
l'Église locale et la théologie de la « libération des indigènes » qu’elle prône. L’emprise de
cette église sur les communautés indigènes de la région, est analysée comme une bénédiction
de Dieu par le mouvement. Dès le milieu des années 1980, des rapprochements sont fait entre
les deux forces (les zapatistes et l’église), et l’hybridation de la lutte et des discours va
commencer à s’opérer. Le bassin d’indigènes prolétaires dont dispose l’EZLN sera désormais
sa force. C’est surtout grâce à cet élément qu’elle pourra se permettre d’exposer publiquement
et avec un écho sans précédent les revendications indigénistes teintées de marxisme qu’elle va
exposer au monde entier dès 1994.
A. La force de l'Église catholique dans la région : la constitution d’un bassin de fidèles en
quête de dignité.
L'Église catholique locale chiapanèque va être l’acteur principal de la montée en
puissance de l’indigénisme dans la région. Il faut préciser que l'Église catholique locale n’est
plus la même au début des années 1990 que ce qu’elle était au début du siècle. En effet, ses
discours et ses positions face aux problèmes contemporains ont sensiblement évolués depuis
le milieu des années 1960. Ainsi, dans la foulée de la conférence de l’épiscopat latinoaméricain de 1968, cette Église catholique locale a opté pour l’ « option préférentielle pour les
pauvres. En monde indien cela s’est traduit par la mise en œuvre de la « libération des
indigènes ». Le schisme religieux qu’a connu l'Église en Amérique latine depuis les années
1960 explique en grande partie ce repositionnement idéologique. De nouveaux clivages ont
vu le jour : l'Église catholique traditionnelle est de plus en plus concurrencée par de nouveaux
mouvements religieux, tels que le protestantisme46, et le pullulement des sectes -pentecôtistes,
avantistes, etc.- qui se disputent frontalement avec l'Église catholique pour accroître leur zone
46
L’Eglise presbytérienne s’implante au Chiapas dans les années 1920.
41
d’influence.
Ces nouveaux mouvements religieux font des adeptes chez les individus
déracinés, atomisés et précarisés, et face au délitement constant du lien social elles offrent des
repères et des espérances. Le Chiapas représente donc pour elles un bassin de fidèles
surdimensionné. Pour réagir à cette situation, et pour éviter de perdre son monopole, l'Église
catholique va être amenée à proposer une réponse dès les années 1960. Dès lors l’idéologie de
base est mise en conformité avec les enjeux de l’époque, et il est décidé de restreindre
l’enseignement du dogme du haut de la chaire afin de faire découvrir la parole divine au sein
des communautés. Ainsi, les missionnaires et les religieux vont préparer des catéchistes, des
diacres, et de nouvelles élites religieuses sociales et politiques dans leurs communautés afin
de faire pénétrer la théologie de la libération au sein des communautés chiapanèques. Bien
que cette nouvelle orientation provoque de fortes tensions entre les catholiques traditionnels –
davantage attachés aux coutumes, et à un catholicisme tridentin- et les néo-catholique –
partisans de cette réorientation stratégique de l'Église latino-américaine-, l'Église locale
présente cette stratégie comme la seule capable de stabiliser sa zone d’influence dans l’Etat du
Chiapas. Dès lors, et malgré les réticences du Vatican, l’évêque de San Cristóbal, Samuel
Ruiz, va s’attacher à impulser cette « théologie indigène », variante de la « théologie de la
libération.
L’insurrection zapatiste de 1994 ne peut donc pas s'expliquer sans tenir compte de
l'activité de l'Eglise catholique dans la région : il est certain que l’œuvre des dominicains
américains qui prennent en charge la paroisse d'Ocosingo –lieu où débutera le soulèvement du
1er janvier 1994- dès 1963 a eu un rôle déterminant : l’oeuvre missionnaire soutenue par eux
dès 1971 dans le territoire de Las Cañadas véhicule un catéchisme qu'ils intitulent « Nous
sommes à la recherche de la liberté », et qui impulse dès lors cette théologie de la libération
dans la région, et offrent alors un potentiel de révision de l’histoire pour les populations
indigènes chiapanèques. Ce travail de conscientisation va être accéléré notamment par la
marge de manœuvre que va indirectement laisser aux partisans de la théologie de la
« libération des indigènes » par la décomposition du pouvoir national et local qui s’annonce
dès les années 1980.
Alors, la marge de manœuvre laissée à l’Eglise catholique dans l’encadrement des
sujets va être de plus en plus large. Dès 1982 en effet, le Parti Révolutionnaire Institutionnel
(PRI) entre en décomposition. C’est à cette époque donc qu’il perd sa capacité à concilier les
intérêts concurrents et à imposer ses arbitrages. Le monopole et l'encadrement social,
cadenassé par le PRI depuis les années 1920, n’est désormais plus que partiellement assuré.
42
Pour tenter de conserver son autorité, les politiques d'endiguement ethnique47, ont été
substitués par des politiques de répression, et le pouvoir opte parallèlement pour mettre en
valeur le développement économique et social du Chiapas, mais sans stimuler l'activité
productive. C’est en partie pour cela qu’il perdra sa chance de maintenir son pouvoir dans la
région et dans le pays. Des programmes qui s’apparente à de gigantesques opération de
charité publique48 voient alors le jour afin de déguiser la perte d’autorité substantielle du PRI
dans la région.
B. Les zapatistes à l’assaut du potentiel chiapanèque : de la récupération de la dynamique
indigéniste aux zapatistes paladins de l’indianité.
A cette étape de notre étude, nous pouvons présenter l’analyse d’Yvon le Bot, qui
conçoit le conflit par un angle d’approche davantage tourainien que marxiste. Dans cette
approche, la crise chiapanèque résulte d’une rupture, d’une « crise d’un mouvement social
empêché dans son émancipation »49. Après des décennies de pression démographique et de
colonisation de nouveaux territoires – et en précisant que la Lacandonie est le lieu où les
victimes du processus de décomposition sociale vont échouer-, et conjugué à des facteurs de
modernisation, une « nouvelle génération d’élites indigènes » a émergé. Formée à l’école de
la théologie de la libération, cette nouvelle génération est émancipée et émancipatrice.
Attachée au démantèlement des relations qui les lient au PRI par le biais de la soumission du
caciquisme conservateur aux administrations officielles indigénistes, cette élite tend à
questionner les raisons de sa situation. Dès lors, il est certain que les zapatistes vont disposer
d’un potentiel de révolte fournit par le cocktail injustice/ influence d’une Église acquise à la
cause des indigènes/ perte d’autorité du PRI dans la région. Dès lors, le seul effort à fournir de
la part des zapatistes, résidait à établir des ponts avec cette société indigène dépossédée et
révoltée : le travail de l’Eglise locale pouvait alors offrir un tremplin à l’organisation.
Très rapidement, les zapatistes vont donc comprendre l’avantage à tirer à jouer sur le
tableau de l’indigénisme, et on va alors assister à l’hybridation de la lutte zapatiste et
indigéniste. Les zapatistes vont donc rapidement s’attabler à établir des relations avec
47
Les politiques d’endiguement ethnique se réfèrent à l’édification de réserves indigènes et à la vieille pratique
de l'indigénisme intégrateur.
48
entre autre nous pouvons citer certains programmes, à l’instar de PRODESCH, de COPLAMAR, de
PRONASOL, ou encore de PROCAMPO.
49
Dans DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie
zapatiste ”, in Mouvements numéro 45-46, mai-juin-juillet-août 2006.
43
l’Eglise. Les ambitions de l’EZLN et de l’Eglise, bien que divergentes sur un certain nombre
de points, convergent fortement sur la portée et le changement que les deux organisations
cherchent à apporter au Chiapas : libérer des indigènes exploités, et exploités parce
qu’indigènes. Dès lors, la « stratégie d’alliance » fonctionne, et « le contact entre l’église
locale et les militants de gauche va jeter les bases d’un mouvement social indien et paysan,
affirmatif et progressiste, structuré autour de revendications socio-économiques ».
Mais les difficultés que connaît le Chiapas amènent à l’asphyxie du mouvement
d’émancipation et aboutissent à sa fragmentation. Le passage à l’acte en 1994 est loin d’être
l’expression la plus élevée du mouvement social : il apparaît qu’il soit davantage la
« manifestation de son empêchement ». Le soulèvement du 1er janvier 1994 serait donc l’une
seulement des options retenues par un secteur social confronté aux impasses de la
modernisation et du développement, et en butte à la répression et au racisme : c’est en ce sens
que doit s’entendre le soulèvement zapatiste. L’état des lieux du Chiapas fait le constat d’un
État pauvre, laissé à l’abandon par le pouvoir central, et où la Révolution ne serait jamais
arrivée. La grande propriété foncière coexisterait avec une paysannerie misérable, et les
indiens, spoliés de leurs terres, continuerait d'être victimes de ségrégation et d'exploitation
comme au temps du « Porfiriato »50. Dès lors, l’insurrection de l’EZLN semble être la
réédition actualisée des "guerres de castes". Mais, et afin de s’émanciper –du moins en
apparence- de l’influence marxiste, les zapatistes vont tout faire pour donner un visage plus
« acceptable » au mouvement, et vont donc pour ce faire établir des liens étroits avec l’église
locale, qui leur offre alors une clientèle irriguée d’un discours « libérationniste ».
Au Chiapas donc, le brassage d’influences réciproques exercé par les trois traditions à
l’œuvre dans la préparation de la mixtion zapatiste constitue le véritable lit du mouvement : la
tradition communautaire indigène, la tradition révolutionnaire des guérilleros urbains, et la
tradition prophétique de l’Eglise locale sont autant d’éléments qui vont se conjuguer et donner
au mouvement un formidable potentiel d’action préalable au soulèvement. Le Chiapas est
donc en situation de crise latente, et le mouvement de l’EZLN va lui réussir à construire et
ordonner réellement le potentiel qui s’offre à lui. Cependant, et comme nous l’avons déjà
précisé, si l’EZLN va pouvoir profiter du potentiel local que lui offre le malaise chiapanèque,
et va mettre en œuvre une stratégie complexe afin de réussir à donner une chance de succès à
ce potentiel, il n’est pas moins sûr que le mouvement aurait pu réussir sans la décomposition
du PRI et la marge d’action que cela va laisser à l’EZLN.
50
Le « Porfiriato » est la période de l’Histoire mexicaine qui va de 1876 à 1911.
44
CHAPITRE 2.
LE PRI, RÉVÉLATEUR DE L'ETAT DE MALAISE DU PAYS: UN
CONTEXTE FAVORABLE A L'ENGAGEMENT DU PROCESSUS DE
REVENDICATION ZAPATISTE.
Ce chapitre nous permettra d’expliquer comment l’EZLN, dans un pays caractérisé par
un encadrement strict de la population, a pu bénéficier d’un contexte nationale favorable à
l’avènement de ces revendications sur la scène publique en 1994. Le « chemin convulsif vers
le pluralisme politique »51 que connaît le Mexique dès les années 1980 va favoriser la remise
en cause du maillage qui visait à encadrer la population afin de préserver « la paix sociale » et
de cristalliser les positions. De plus, il va provoquer la mise en place d’un système davantage
démocratique et donc davantage apte à capter et à accepter les revendications populaires.
Ainsi, si depuis 1921 et jusque dans les années 1980 le PRI est conçu comme le ciment de la
nation mexicaine, dès 1982 et plus encore dans les années 1990, la perte de vitesse du parti va
donner une opportunité aux populations de remettre en cause l’ordre établi. Cette situation
sans précédent va alors ouvrir à l’EZLN une porte dans laquelle elle va pouvoir s’engouffrer :
la porte de la revendication populaire est désormais possible. La décrépitude du PRI, qui s’est
donc amorcée depuis les années 1994, va donc permettre à l’EZLN de réussir le passage
d’une « classe probable » à une « classe mobilisée » et revendicative.
Section 1. Du PRI ciment de la nation…
Lorsque le PRI arrive au pouvoir au début des années 1920, il met en place une
architecture institutionnelle qui lui permettra de rester en place et de dominer de façon
hégémonique la vie politique mexicaine durant tout le XXè siècle. Ainsi, le parti verrouille la
société et met sur pied un système quasi monarchique qui lui donne la prééminence sur tous
les secteurs de la société. Tout acte de rébellion ou de soulèvement est donc presque
impossible tant le maillage mis en place par le PRI sur l’ensemble du territoire de la
République est dense et rigide. Cependant, dès 1982, et pour tenter de répondre à « la crise de
la dette », le PRI est contraint de mettre en place un nouveau système basé sur des « pactes »
négociés avec la société civile. Dès lors, la brèche est ouverte, et le maillage se desserre : la
51
COUFFIGNAL Georges, « Mexique : le chemin convulsif vers le pluralisme politique », in Problèmes
d’Amérique latine numéro 15, La Documentation française, octobre-décembre 1994.
45
population comprend les avantages qu’elle va pouvoir tirer de cette rénovation du système
d’encadrement.
A. La « monarchie » mexicaine : un système politique immobile et une société muselée.
Le rite de la succession présidentielle qui caractérise la vie politique mexicaine est
finement réglé depuis 1921 pour permettre au PRI de consolider son autorité sur le système
politique mexicain et sur la République. Depuis les années 1920, et pendant trois quarts de
siècle, il n’y aura pas d’alternance politique au sein du gouvernement national. Pour parvenir
à cet état des choses, le mécanisme est simple, mais efficace : le régime combine un principe
monarchique avec le principe républicain. Expliquons brièvement le fonctionnement de cette
mécanique: tout d’abord le président sortant désigne son successeur, puis le parti se contente
de ratifier ce choix, et mobilise ensuite toutes ses immenses ressources humaines et
financières pour que les électeurs en fassent de même. Cette pratique relève donc de
contraintes d’ordre juridique qui sont bien entendu davantage coutumières que formelles. En
effet, et même si l’article 82 de la Constitution mexicaine (à voir en annexe) définit les
conditions pour être présidentiable, la logique de désignation du futur président par le
président sortant obéit bel et bien à une logique tout autre que celle formulée dans la Carta
Magna. A cet état de fait, la coutume ajoute depuis 1946 l’obligation de désigner les candidats
parmi les personnes ayant occupé un poste de secrétaire d’Etat dans le cabinet sortant. Cela
permet d’assurer la continuité de l’action étatique et de privilégier un certain
professionnalisme. Tous les présidents depuis 1982 sont donc issus de la bureaucratie : Luis
Echeverria (1970-76), José Lopez Portillo (1976-82), Miguel de la Madrid (1982-1988),
Carlos Salinas de Gortari (1988-94), et enfin le 21 août 1994 –à la majorité absolue et avec
50,18% des suffrages exprimés- Ernesto Zedillo Ponce.
La seule véritable fonction de l’élection présidentielle réside davantage dans la
pratique du rite de communion patriotique auquel elle convie, plutôt que de proposer un
mécanisme par lequel les citoyens choisiraient réellement leurs dirigeants. Dans ce système,
l'opposition se voit alors reléguée dans un rôle de figuration, et surtout lorsqu'elle ne
consentait pas à endosser celui de comparse du parti en place. Mais petit à petit, ce système
qui paraissait si finement réglé et qui remplissait le rôle qui lui était assigné, à savoir favorisé
le statut quo et éviter tout changement social négatif pour les positions privilégiés, va
affronter un certain nombre d’éléments qui vont remettre en question son efficacité.
46
Ainsi, lorsque qu’en 1982 la « crise de la dette »52 s’abat sur le Mexique, le président
au pouvoir, décide de contenir celle-ci par le biais de la mise en œuvre de la libéralisation de
l’économie. Les « pactes » avec les secteurs corporatistes mis sur pied par le gouvernement de
Miguel de la Madrid, tenteront de remplir ce rôle. Cette « politique des pactes » consistait en
effet à modifier la structure de l’économie mexicaine grâce à divers plans qui, non seulement,
changeaient le rôle de l’Etat, mais modifiaient aussi la participation des secteurs traditionnels
dans l’économie. Le PND, le PIRE, ou encore le PAC serviront à moderniser et ouvrir
l’économie. Les plans volontaristes mis en œuvre pendant la période précédente semblent
donc désormais définitivement abandonnés au profit des « pactes négociés ». Le « Pacte pour
la Stabilité et la Croissance Économique » (PECE), de décembre 1987, est l’un des pactes qui
aura le plus de conséquences quant à la relation entre l’Etat et la société civile, notamment car
il institue de nouveaux rapports entre l’appareil d’Etat et ses partenaires économiques et
sociaux. Dès lors, la configuration des soutiens de la machine PRIiste s’en trouvera affectée.
B. La modernisation économique des années 1980 et ses conséquences sur la société : les
débuts de la désarticulation du PRI et le déverrouillage de la société civile.
S’il est sûr que le rôle du président sortant dans la désignation de son dauphin est
crucial, il est aussi certain que les rapports de forces internes au parti pèsent considérablement
sur le choix du président et de sa possible investiture. Le PRI a été fondé de telle sorte que les
ouvriers, les paysans, les employés de l’administration et des entreprises publiques constituent
l’assise de sa légitimité du parti et de celle du régime, ce qui était censé, entre autre, lui assuré
une durabilité supérieure. Pour réussir à conforter cette assise, le parti unique a su développer
un stratégie d’intégration des différents secteurs du monde du travail – en pratiquant le
« syndicalisme vertical » notamment-, et ce, afin de contrôler la population dans son
ensemble.
Cependant, le poids de ces « secteurs corporatifs » dans l’Etat et dans le parti, du fait
du développement très rapide du tertiaire et du changement de modèle de développement à
partir de 1986 –qui marque l’adhésion du Mexique au Gatt-, leur fait perdre leur importance
particulière. Face à ce constat de mutation progressive de ses bases, et tout au moins de leur
importance quant à leur implication dans le parti, et donc de la légitimité qu’elles apportent à
ce dernier, le PRI semble rester aveugle. Ainsi, tout se passe -en ce qui concerne le
fonctionnement du parti- de la manière la plus traditionnelle qu’il soit : le rite de désignation
52
La crise de la dette intervint dans l’’économie mondiale au début des années 1980. Elle toucha le Mexique en
1982, et allait provoquer la faillite de l’Etat. Des Politiques d’Ajustement Structurel furent alors mise en place
pour palier à cette crise.
47
et la libéralisation du pays s’amplifie, alors que dans le même temps la société connaît de
profonds bouleversements dans le champ politique et économique. De fait, la
« décorporatisation » de la société mexicaine déjà amorcée, et qui se précipite sous l'effet des
réformes néolibérales, tout en entraînant le démantèlement progressif du système
d'encadrement politique de la population, amène les populations à revendiquer chaque fois
davantage de démocratie et à remettre en cause de plus en plus vigoureusement le rôle de
l’Etat. Plus le mouvement de libéralisation s’accélère, et plus le lancement du processus de
modernisation démocratisante se fait pressant : il devrait bientôt aboutir à organiser des
élections compétitives qui consacreraient la coupure du cordon reliant le PRI à l'Etat.
Section 2. … au PRI catalyseur du conflit.
A la suite de 1982, l’encadrement de la population mexicaine par le PRI se fait donc
plus souple. Cette réforme du système de régulation de la société mexicaine abouti très
rapidement à des velléités démocratiques sans cesse plus affirmées. Mais l’autoritarisme du
chef d’Etat qui succède à De la Madrid, Salinas de Gortari, semble pendant un temps étouffer
la « révolution démocratique » en puissance. Cependant, les réformes économiques mise en
œuvre pour moderniser la société mexicaine vont très rapidement amener le gouvernement à
mettre de côté l’encadrement de la société civile : cette stratégie va alors se révéler être
l’erreur fatale pour le gouvernement, dans le sens où elle n’aura cesse d’accentuer la
désarticulation entre le PRI et sa base et de donner à la société la possibilité inouïe de
remodeler à sa guise le dialogue avec le gouvernement. Dès lors le PRI est dépassé, et la
société mexicaine se retrouve dans un état d’effervescence ou les revendications populaires et
de justice peuvent désormais prendre place. C’est dans ce contexte que les revendications de
l’EZLN vont prendre place et pouvoir alors être écoutée par une population alerte à tout
espoir de changement.
A. L’avènement d’une « démocratie » tardive … mais trop incomplète : les remouds de la
présidence de Salinas dans l’opinion.
Lorsqu’en 1988 Salinas de Gortari est élu à la magistrature suprême, il doit répondre à
cette demande de démocratie exprimée dans la rue et les médias. Dès lors le défi, il est
confronté à un défi majeur et qu’il va devoir s’appliquer à résoudre : comment démocratiser le
régime avec un parti non démocratique ? Pour tenter de résoudre cette situation, la
quatorzième assemblée nationale du PRI va être organisée en 1990. A cette occasion Salinas
va manifester sa volonté d’opérer des changements en profondeur dans les structures et le
48
fonctionnement du parti. La « refondation structurelle » qui est alors décidée par l’accord de
Querétaro du 26 juin 1992 se propose de remplacer les secteurs traditionnels –en perte de
vitesse- par trois nouvelles organisations : un « pacte ouvrier- paysan », un « mouvement
territorial », et un « Front national d’organisations citadines » . En apparence cette réforme
vise à faire du PRI un parti « au gouvernement » et non plus le parti « du gouvernement ».
Les véritables enjeux de la réforme semblent avoir été compris par Salinas : il s’agit de
produire la nécessaire osmose entre démocratisation du régime et démocratisation du
fonctionnement interne du parti. Pourtant engagé dans la voie de la démocratisation
mexicaine, Salinas oublie très vite ces velléités « démocratisantes ». A partir du moment où il
reconquiert une légitimité forte, lors des élections législatives de 1991 notamment, il cesse
d’agir dans ce domaine avec le même volontarisme et la même ferveur qu’en matière
économique. Aller dans le sens contraire nuirait à ses ambitions : pour faire accepter les
mutations qu’il promeut dans le champ économique il a besoin en effet besoin du PRI, de ses
méthodes traditionnelles de mobilisation et de contrôle, et il est juste de penser que la
démocratisation du pays se ferait à l’encontre de ses projets de modernisation. Pour tenter de
contenir la poussée démocratique, et d’assurer le succès de la réforme économique qu’il
promeut, Salinas va asseoir son autorité sur les caciques syndicaux qui vont se révéler être des
alliés précieux, voire incontournables. Dès lors, les perspectives de démocratisation se font
plus que faibles, et c’est notamment ce que Lorenzo Meyer résume en ces termes pour
dénoncer le chao de la démocratisation politique mexicaine : « le problème de la démocratie
mexicaine aujourd’hui peut se résumer ainsi : l’élite ne veut pas et la société ne peut pas »53.
Salinas tente donc à tous prix de mettre en place une grande réforme économique du
pays, et l’Alena restera la mesure emblématique de son gouvernement en ce domaine. Si la
« politique des pactes » mise en place sous de la Madrid a permis au Mexique de retrouver les
grands équilibres macro-économiques et de renouer avec la croissance, et compte tenu de la
financiarisation de l’économie, c’est désormais la question de la solidité de cette stabilité qui
est posée. Au vu de la teneur des réformes qu’il propose, il est fondé de penser que le
président Salinas ne peut pas compter sur l’appui des organisations paysannes pour changer
en profondeur, et dans les termes qu’il propose, le système économique. En effet, depuis la
Révolution du début du siècle et la mise sur pied du système de l’ejido, tous les président se
sont attelés à distribuer des terres. Dans un pays comme le Mexique, et conformément à son
Histoire, il est vrai que le clientélisme d’Etat fonctionne particulièrement bien pour entretenir
le mythe de la « terre à ceux qui la cultivent ». La seconde fonction de cette redistribution
53
MEYER Lorenzo, Larga transicion mexicana, la secunda muerte de la revoluion mexicana, Mexico, Cal y
Arena, 1992, p°175.
49
consiste à fixer des votes pour le PRI, et à assurer la paix sociale dans les régions qui ont pris
les armes avec Emiliano Zapata et Pancho Villa. Alors, lorsque Salinas choisi de modifier
l’article 27 de la Constitution54- l’indignation des paysans, et des communautés indiennes
surtout, fait rage. La réforme prévoit que désormais les ejidatarios -propriétaires des ejidospeuvent vendre, louer ou hypothéquer leur parcelle, ou encore que des entreprises privées
nationales ou étrangères peuvent investir dans le secteur. De la sorte la terre redevient un bien
comme un autre, soumis au mécanisme des lois du marché telles que les promeut le
gouvernement Salinas. Dès lors, c’est l’un des symboles les plus forts de la révolution
mexicaine qui disparaît. Au Chiapas, terre d’indigènes déjà lésés par les réformes agraires
successives qui n’ont réellement rien apporté aux prolétaires indiens, la tension se fait
ressentir suite à cette mesure, à ce hold-up symbolique.
Mais, dès 1993, Salinas et le parti vont s’attacher à mettre en place des réformes afin
de s’attacher à donner en apparence un visage plus démocratique au Mexique, et à faire alors
oublier les coups de forces successifs du gouvernement de Salinas envers la population
mexicaine, et plus particulièrement envers les plus démunis. La réforme électorale que le
gouvernement adopte en août 1993, visaient à faciliter la ratification par le Sénat américain de
l’Alena à un moment où la campagne sur le caractère non démocratique du Mexique est forte
aux États-Unis. En effet, la ratification par le Sénat à l’automne 1993 de l’Alena voit la
réticence de certaines parts des élus américains, à l’instar de Ross Perot, au rapprochement
avec un pays réputé pour sa tradition de fraude électorale. L’accord politique de 1994 vise
quant à lui à renforcer la dynamique précédente, en ce sens qu’il permet de garantir la
transparence des scrutins lors des élections générales de l’été 1994. Cet accord décidé en mars
1994, et bien qu’il soit la conséquence directe du soulèvement, se situe surtout dans la
continuité de cette volonté de réformer le système pour rendre plus visible son caractère
démocratique : face aux revendications sur la garantie d’élections honnêtes, les partis
émettent un engagement mutuel pour jouer proprement les élections. Cet engagement se
manifestera notamment par le renforcement de l’indépendance des organes de contrôle, la
nomination d’un groupe de « sages » à la tête de l’IFE, ou encore le principe d’observateurs
étrangers lors des élections –et ils seront d’ailleurs cinq milles le 21 août 1994. Afin de ne pas
faire capoter son projet du « grand Mexique moderne », Salinas donne donc à son régime un
semblant de visage démocratique. Il convient de préciser ici que les réformes e 1993 et de
1994, qui visent avant tout à sauver le projet du « grand Mexique moderne de Salinas »,
54
Article de la Constitution qui organise le système de l’ejido et interdit jusqu’alors l’aliénation de la terre.
Pour davantage d’explications sur ce thème, se référer à MELE Patrice, « Reforme agraire, fin et suite », in
Etudes foncières, n°63, juin1994, pp 27- 34.
50
résultent d’un compromis entre le pouvoir et les partis d’opposition. C’est notamment cette
dernière donnée qui guidera le choix ferme des zapatistes de ne soutenir que très
ponctuellement le PRD –principal parti d’opposition- en 1994, et à ne pas vouloir s’intégrer
au système politique national, et ce, afin de rester une force d’opposition féconde. En outre, il
est certain que la modernisation des structures politiques ne s’est pas faite sans difficultés, et
comme le confirment les assassinats de Luis Donaldo Colosio (le dauphin de Salinas de
Gortari) et de José Francisco Ruiz Massieu (qui voulait séparer le PRI et l’Etat), les velléités
démocratiques sont mises en œuvre, mais elle le sont sous le regard vigilant des éléphants du
PRI, qui veillent à la teneur et à la « pertinence » qu’ils jugent des réformes.
B. La financiarisation de l’économie mexicaine dans les années 1990 et la vulnérabilité du
système : la société civile en proie à ses « démons ».
La financiarisation de l’économie mexicaine, promue par l’Accord de Libre Échange,
dévoile très rapidement ses effets néfastes. Le malaise social, bien que déjà fortement présent,
ne fait que s’accentuer. Les poches de pauvreté et de marginalité gonflent, et le malaise est
aggravé par la rapidité des réformes structurelles que l’accord met en oeuvre. La situation
actuelle, et l'absence de pouvoir qui en découle, fait se radicaliser de nombreux conflits
potentiels. Comme l’indique Bernard Duterme, sur le plan politique, les choses sont
tranchées : « l’Etat mexicain, du parti unique qui l’incarne depuis les années 1920, le PRI, est
rendu coupable de la généralisation de politiques de libéralisation économique et des mesures
sociales inadéquates, et conçu comme le responsable des actes du gouvernement fédéré de
l’Etat du Chiapas (clientélisme, soutien aux grands propriétaires, répression, etc.) »55 . Comme
nous l’avons déjà précisé, la médiation entre le pouvoir et la population a été profondément
affectée lors des réformes successives des années 1980, et cette dissociation entre les deux
s’est relativement accentuée à la suite de la mise en œuvre de l’Alena. En 1994, le paysage
politique ne partage plus grand chose avec celui du début des années 1980 : si auparavant
aucune décision étatique nécessitant des relais dans la société civile pour être appliquée
n’échappait au contrôle du PRI, « désormais le dialogue avec la société est direct et sans
médiation du PRI entre le pouvoir et les associations spontanément issues de la société
civile ».
La configuration du système politique sort donc totalement bouleversée des
changements économiques mis en œuvre par les gouvernements successifs depuis les années
1980. En outre, tant la « politique des pactes » de de la Madrid, que la politique de
55
DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”,
in Mouvements numéro 45-46, mai-juin-juillet-août 2006.
51
financiarisation de l’économie nationale de Salinas, auront œuvré à la désarticulation entre le
PRI et sa base. Désormais, et malgré les tentatives de démocratisation, qui se sont d’ailleurs
soldées par des échecs, le PRI ne peut plus prétendre avoir le monopole sur la société civile.
La monarchie exercée par la « dictature » du parti institutionnel, face au marasme social qui
se profile au Mexique, et en particulier dans certains États comme le Chiapas, doit désormais
céder la place à un système de nature davantage républicaine. Dès lors, les partis d’opposition
semblent être les acteurs qui vont être privilégiés par ces franges de la population qui ont été
lésées pendant des décennies par le gouvernement autoritaire du PRI. Mais la situation n’est
pas si évidente : en effet, et même si le PRD reste la principale force d’opposition de gauche à
cette date, sa force d’emprise dans la société est plus que relative. De la sorte, et même si à
l’aube de 1994 le système politique mexicain se soit quelque peu ouvert et modernisé, il lui
manque toujours un parti capable de rassembler la gauche sur un projet actualisé, d'orienter et
de canaliser les mouvements populaires. Dès lors, de larges secteurs de la population, les
marginaux et exclus surtout, sont livrés aux organisations d'extrême gauche : c’est alors que
l’EZLN peut faire surface. Aidée notamment par cette anomie d’acteurs politiques
institutionnels, et favorisée par le discours moderne –ou modernisé- qu’elle véhicule, l’EZLN
pense pouvoir en ce sens se proposer d’être la force qui tirera son épingle du jeu de cette
situation, et surtout, celle qui s’imposera comme l’acteur politique défenseur des opprimés
mexicains.
52
CHAPITRE 3.
LE ZAPATISME, FIXATEUR DU CONFLIT: DU ZAPATISME MILITAIRE
AU ZAPATISME SOCIAL ET DE LA SCENE NATIONALE A LA SCENE
INTERNATIONALE.
Le 1er janvier 1994 la nouvelle du soulèvement zapatiste dans le sud de la République
du Mexique fait le tour du monde. L’EZLN semble donc avoir réussi à s’engouffrer dans la
porte que le PRI a laissé ouverte dans sa chute aux enfers. Les zapatistes saisissent alors la
possibilité que la nouvelle situation leur donne pour exprimer leurs revendications. Ainsi,
l’EZLN va très rapidement essayer de se conforter une assise, afin notamment d’éviter d’être
écrasée par la force. Pour ce faire, les zapatistes vont mettre en œuvre une excellente
stratégie : au lieu d’affirmer la primauté d’une lutte indigéniste, le mouvement va s’ingénier
au contraire à mettre en exergue l’envergure national du mouvement. Ainsi, la mise en valeur
non ambiguë de la lutte pour la justice « pour tous les mexicains » donne à un pays
longtemps muselé par un parti unique et omniprésent la sensation de pouvoir penser en un
véritable changement. La population mexicaine, touchée dans son ensemble par la crise et la
malaise social qui se fait ressentir davantage encore lors de la crise économique qui débute en
1994, va alors se positionner clairement en faveur des insurgés. Dès lors, et malgré les
tentatives du gouvernement pour contenir le mouvement et la sympathie populaire chaque fois
plus affirmée envers celui-ci, l’EZLN s’impose sur la scène nationale. Enfin, et dans le but de
s’assurer une durabilité certaine, le mouvement va tout faire pour internationaliser le conflit.
Pour les aider dans à réussir ce coup de maître, les zapatistes vont donc rapidement s’attacher
à revendiquer l’identité indigène qui est la leur. Ainsi, s’il est certain que la menace que
l’EZLN fait peser sur le gouvernement mexicain fait craindre à une déstabilisation de l’ordre
national, l’intégration croissante de l’économie mexicaine et l’intérêt soudain de l’opinion
publique internationale pour les insurgés indigènes mexicains va placer le Chiapas dans la
capacité de menacer l’ordre international établi et promu depuis la chute du mur de Berlin.
Les risques que font peser le conflit zapatiste sur la sécurité internationale notamment sont
d’autant plus grands que certains tendent à concevoir le mouvement comme une véritable
alternative extra-constitutionnelle pour la nation.
53
Section 1. La « guerre éclair » et ses conséquences immédiates, ou de l’éclatement
du conflit à l’échec de sa contention et de sa désactivation :
l’EZLN catapultée sur la scène nationale.
Dès le 1er janvier 1994, les zapatistes vont rendre public la première déclaration de la
Selva Lacandona, véritable programme qui détaille leurs intentions et leurs ambitions56. Face
au gouvernement qui tente coûte que coûte de saper la légitimité des zapatistes et de feindre
de garder sous contrôle la situation, les tentatives mises en place par celui-ci pour minimiser
la situation seront un échec : comment un pouvoir jugé corrompu et autoritaire, pourrait-il,
dans sa perte de vitesse, contenir une dynamique populaire qui tend à le dépasser ? Il semble
que les chances soient plus que maigres.
A Le détonateur du 1er janvier 1994 : la première déclaration de la Selva Lacandona et le
combat des zapatistes « pour la nation mexicaine ».
La déclaration de guerre de l’EZLN a lieu au matin du 1er janvier 1994, date de
l’entrée en vigueur de l’Alena. Les zapatistes s'emparent de quatre localités importantes de
l'Etat du Chiapas dont San Cristóbal de las Casas, Las Margaritas et Ocosingo, prennent
possession de quelques haciendas, séquestrent leurs propriétaires, commettent des exécutions
extrajudiciaires et célèbrent quelques rapides succès militaires contre l’armée mexicaine. Au
matin du 1er janvier 1994, la population mexicaine découvre donc avec horreur, épouvanté
par les relents d’images que les guérillas marxistes ont laissés dans leurs têtes, qu’une guérilla
d’extrême gauche a éclot dans le sud-est du pays.
C’est dans la première déclaration de la Selva Lacandona que les zapatistes font état
de leurs griefs. Afin de présenter en toute objectivité le contenu, et donc de pouvoir par la
suite pouvoir baser notre réflexion sur la base de ces propos –sans toutefois chercher à leur
attribuer une valeur de vérité ou de mensonge-, nous avons étudié cette déclaration. Nous
l’intégrons donc à nos annexes, afin de pouvoir y faire des vas et viens permanents. « Après
500 ans d’oppression et d’esclavage, et à la suite des guerres d’indépendances contre
l’Espagne, contre l’expansionnisme des États-Unis, contre l’invasion française et la dictature
de Porfirio Diaz »57, l’EZLN se donnait à être perçue comme la « prolongation de la
Révolution mexicaine de 1910 et de la lutte d’Emiliano Zapata »58. Tout en soulignant sa
56
L’analyse que nous allons présenter par la suite, dans ce chapitre, fait référence à ce texte. Nous l’avons donc
mis en annexe. Voir annexe 3: première déclaration de la Selva Lacandona, 1er janvier 1994.
57
Voir “Première déclaration de la Selva Lacandona”, annexe 3.
58
Idem, annexe 3
54
répudiation de la gestion du PRI et de l’application de l’article 39 de la Constitution59, en ce
jour du 1er janvier 1994, l’organisation clandestine déclarait la guerre à l’armée fédérale
mexicaine et à « un président illégitime »60. Dans cette déclaration, les insurgés faisait raison
de leur acte, en énonçant notamment : "nous luttons pour le travail, la terre, un toit,
l'alimentation, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la
paix. Nous ne cesserons pas de nous battre avant d'avoir obtenu satisfaction et formé un
gouvernement libre et démocratique pour notre pays"61.
La diffusion internationale de la « déclaration de guerre » au gouvernement de Salinas,
par le biais du réseau internet surtout, saisit le monde entier : aux yeux du monde, une
« armée » de quelques milliers d’indiens mayas, munis ou non de véritables fusils, le visage
souvent caché par un foulard ou un passe-montagne, avait eu l’audace de s’emparer de quatre
localités importantes de l’Etat du Chiapas en vue d’exiger une réforme en profondeur des
institutions mexicaines, une réforme qui ne serait pas cette fois si la nième réforme d’un
cortège de réformes qui au final n’avait toujours rien changé pour la nation toute entière.
Ce 1er janvier 1994, l’EZLN décida donc de passer à des objectifs nationaux : c’est
pour la nation mexicaine que le mouvement s’élevait, et non pas pour défendre des intérêts
particuliers. S’il est pourtant certain, comme nous l’avons déjà démontré au chapitre 1, qu’il
s’agit d’une armée marxiste de communautés indigènes, il est d’autant plus sûr que dès la
première déclaration l’EZLN préfère ne pas donner place à la priorité des revendications
indigènes. De cette façon, l’organisation marxiste- indigéniste choisit de ne pas tabler sur le
caractère national de ce soulèvement : il s’agit d’un « soulèvement au profit du peuple
mexicain ». Au vue des éléments que nous allons présenter ci-après, il est indéniable que cette
stratégie de l’EZLN, qui consiste à reléguer au second plan le caractère particulariste de
l’organisation et à mettre en avant sa perspective nationale, va lui donner une force sans
précédent, au grand dam du gouvernement. C’est cette stratégie notamment qui dans
l’immédiateté va permettre à l’organisation de tirer son épingle du jeu et de trouver un écho
très favorable au sein de la population nationale notamment.
59
Article 39 de la Constitution mexicaine : « La souveraineté nationale réside essentiellement et originairement
dans le peuple. Tout le pouvoir public émane du peuple et s’institue pour le bénéfice de celui-ci. Le peuple a le
droit inaliénable d’altérer ou de modifier la forme de son gouvernement ».
60
Par cette expression la Déclaration fait référence au Président Salinas de Gortari, dont les résultats aux
élections de 1988 ont été entachés de suspections de fraudes.
Voir annexe 3.
61
Idem, annexe 3.
55
B. L’absence d’alternative concrètes du gouvernement pour étouffer la rébellion : l’échec
des manœuvres gouvernementales pour canaliser et absorber le conflit.
Dès le 10 janvier, la Commission Fédérale pour la Réconciliation et la Paix au Chiapas
est mise sur pied afin de tenter de désamorcer le conflit tout en évitant de réprimer la révolte
par un bain de sang, ce qui, vu la popularité acquise à une vitesse fulgurante par le
mouvement dans l’opinion nationale, serait une preuve de l’incapacité du gouvernement de
Salinas. Dès le 12 janvier 1994, et à peine douze jours après le début des hostilités armées,
une manifestation a lieu à dans la ville de Mexico pour réclamer l’arrêt des combats. Sous la
pression nationale, et sous le regard du monde entier, le gouvernement de Salinas déclare un
« cessez-le-feu unilatéral » et une loi d’amnistie en vue de négociations. La phase politique du
conflit est donc dès lors entamée. L’affrontement des 2000 guérilleros de l’EZLN aux 24000
soldats mexicains n’aura donc duré qu’une dizaine de jours. Les bilans du conflit armé font
état de lourdes pertes, de milliers de blessés, et d’exodes.
La table de dialogue s’ouvre le 2 mars 1994. Sont conviés aux négociations le souscommandant Marcos, le Commissionnaire du Président - Manuel Camacho- et il est décidé
d’un commun accord que l’intermédiation entre les deux parties sera assurée par le chef de
l’Eglise catholique du Chiapas, l’évêque Samuel Ruiz. Les négociations débouchent alors sur
un
accord de principe qui comprend
trente quatre engagements politiques et
économiques concernant: la réforme de l’Etat, l’amélioration des conditions de vie des
secteurs marginaux, les droits des indigènes, etc. Malgré la rapidité avec laquelle le
gouvernement a du réagir face aux insurgés, il est pourtant certain que le gouvernement
Salinas fut moins surpris par l'insurrection zapatiste que par son immense écho. En effet,
depuis 1991 le groupe clandestin avait été parfaitement identifié, et les services de
renseignements avaient déjà prévenu qu’il se préparait à une lutte armée dans la Lacandonie.
En mai 1993 d’ailleurs, dans le camp retranché de Las Calabazas, les autorités firent la
découverte des structures et des locaux qui serviraient au soulèvement. Enfin, en décembre
1993, à la veille de la levée de boucliers, le gouvernement pris connaissance de l’expulsion de
la population des Cañadas qui s'opposait à l'EZLN. Depuis 1991, l’EZLN avait envoyé un
certain nombre de signaux forts pour avertir le gouvernement de l’imminence de leur action.
Pourtant le gouvernement n’en a rien fait. X avance l’argument selon lequel Salinas aurait
préféré « laisser l'abcès mûrir dans l'espoir de mieux le vider ». Mais le 1er janvier 1994 les
zapatistes prennent donc de cours le gouvernement, et le piège se referme sur ce dernier. Il est
déjà trop tard pour le gouvernement pour tenter de régler cette affaire de manière silencieuse.
De la même manière, il est certain qu’écraser l’insurrection ne ferait que sanctifier son chef,
par le martyre et condamnation de la communauté internationale notamment. Dès lors donc,
56
le gouvernement se retrouve au milieu du guet, et les cartes sont en main de l’EZLN. Malgré
tout, il est indispensable pour le gouvernement de donner des signes clairs à la population, et
de montrer que le pouvoir central est toujours en pleine possession de son autorité, et ce, afin
notamment d’éviter toute hémorragie que pourrait provoquer la révolte au sein de la nation.
La riposte du gouvernement doit donc s’organiser. Pour tenter de sauver la « sécurité
nationale » et la nation, mais surtout de se sauver lui, l’Etat décide de diviser la nation et de
militariser la région dans laquelle s’étend le conflit62.
Alors que les négociations sont en cours, et que le gouvernement tente coûte que coûte
de reprendre du terrain sur les insurgés et d’étouffer le mouvement, les zapatistes aussi vont
s’ingénier à mener des actions parallèles. Ainsi, et tout en faisant traîner en longueur les
négociations, les zapatistes s'ingéniaient entreprenait donc de coordonner en sous-main
l'activité des organisations populaires qui les appuyaient dans le pays. Face à l’attitude
ambiguë du gouvernement, les zapatistes ne sont pas pressés de parvenir à un accord. En
effet, selon eux, le pourrissement de la situation ne faisait que les aider, dans le sens qu’il leur
permettait d’accueillir des soutiens de plus en plus forts de la population, et que d’autre part il
servait aussi à précipiter la lente crise du régime. Mais un point d’ombre dans le mouvement
des insurgés indigènes va tendre à redynamiser les positions de l’organisation : la population,
chiapanèque notamment, ne s’exprime pas d’une seule et même voix. Ainsi, si de nombreuses
communautés indigènes se déclarent en faveur des zapatistes, et prennent clairement les armes
pour défendre leurs convictions, d’autres n’auront cesse de délégitimer le mouvement, et donc
de perturber la lecture monolithique qui faciliterait sa visibilité. De la sorte, et afin de
consolider le potentiel du mouvement, l’EZLN va devoir désormais s’attacher à trouver les
moyens pour conforter les bases et les appuis dont elle bénéficient. Une nouvelle stratégie, qui
permettrait à l’EZLN de ne pas laisser miner dans son action par des forces centripète, doit
donc être mise sur pied.
Section 2. La cristallisation de l’EZLN : de l’envergure nationale à l’envergure
internationale.
Afin de parvenir à s’imposer réellement dans le débat public, l’EZLN va tout mettre
en œuvre pour consolider son travail. Dès lors, elle va s’attacher à s'ancrer solidement dans la
société nationale. Comme nous l’avons déjà expliqué auparavant, le contexte national n’est
pas au beau fixe pour le PRI, ce qui donne alors à l’EZLN une possibilité certaine de réussir
62
Les données statistiques montrent un gonflement croissant des effectifs de l'armée mexicaine depuis 1994 au
Chiapas : de 170 000 militaires en 1992 l’effectif passait à 236 000 en 1996.
57
ce qu’elle a entrepris. Entre autre, le mouvement va bénéficier de la radicalisation des
opinions suite à l’entrée en vigueur de l’Alena et à la crise économique qui s’amorce dès
1994. Pourtant, et bien que soutenue par une frange importante de la population, l’EZLN va
souffrir du manque d’expérience démocratique de la population, qui amollir rapidement ses
positions. Alors, et tout en s’appuyant sur les soutiens national tout de même conséquent dont
elle dispose encore, et comme préparant ses arrières, l’EZLN va tout faire pour se donner une
envergure internationale. C’est alors que le mouvement, tout en refusant de nier son identité
marxisme bien trempée, va commencer à agiter le drapeau indigène ; comme pour susciter les
intérêts d’une opinion internationale de plus en plus engagée en faveur de la protection des
minorités et des opprimés. Enfin donc, l’EZLN réussi à se propulser sur la scène
internationale.
A. Briser la colonne vertébrale du système : se garantir un ancrage national par le recours
à la société civile en son entier.
Les zapatistes vont alors s’attacher à donner une visibilité réellement nationale au
mouvement. Pour ce faire, ils vont mettre en lumière l’aspect inclusif et intégrateur de la lutte
qu’ils entendent mener. Les réclamations formulées dans la première déclaration de la Selva
Lacandona (cf. annexe 3), sont avant tout nationale. Les zapatistes entreprennent alors de bien
mettre en valeur le fait que, malgré le fait que le mouvement soit composé essentiellement
d’indigènes déshérités, s’ils demandent «le travail, la terre, un toit, l'alimentation, la santé,
l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix » c’est avant tout, et
selon les propres dires de la déclaration, « pour notre pays »63. Les zapatistes vont donc tenter
de réussir un coup de maître : donner un ancrage national à une lutte menée par une
organisation présentée comme marxiste et menée par des indigènes armés. La mise en œuvre
de cette stratégie ne parait pas évidente au premier abord, mais très rapidement les zapatistes
vont prouver la capacité et le potentiel extraordinaire de leur organisation.
Dans leur entreprise de légitimation, les insurgés vont être aidés par un certain
nombre d’éléments extérieurs qui vont contribuer à la réussite de cette stratégie. Au Mexique,
les associations de quartier, les syndicats autonomes et les organisations populaires qui n'ont
pas eu l'occasion de s'exprimer sur le virage néolibéral du régime, et qui redoutent les
conséquences néfastes de l'Alena, prennent fait et cause pour les insurgés. Cette position se
justifie pour ces acteurs comme étant la conséquence adaptée à la mesure des félonies de
Salinas de ne pas les avoir consulté et d’avoir préféré continuer à cadenasser la société dans
63
Annexe 3: première déclaration de la Selva Lacandona.
58
les carcans dans lesquels elle était enfermée depuis le début du siècle. La classe moyenne
urbaine manifeste elle aussi ouvertement de la sympathie pour ce mouvement qui prétend
combattre le PRI afin d'élargir les espaces démocratiques. L'intelligentsia fait elle savoir
l'espoir qu'elle place dans ce sursaut populaire et sur lequel elle projette ses nostalgies
nationalistes, ses préoccupations sociales et ses aspirations à une plus grande libéralisation de
la vie publique. Tous ces soutiens publics extérieurs, qui se font surtout dans un premier
temps en faveur de l’EZLN pour affirmer certes de la sympathie avec ce mouvement, mais
surtout la rancune envers le style autoritaire et monarchique du gouvernement de Salinas, vont
donc formidablement profité à l’EZLN. Mais pour autant, les zapatistes ne sont toujours pas
assez forts et assez appuyés pour se permettre de réussir leur dessein. Le régime résiste. Les
zapatistes, qui n'étaient pas parvenus à renverser le régime par les armes, ne réussissent pas
non plus à provoquer l'effondrement en mobilisant contre lui la "société civile" : malgré les
négociations qui sont menées, le régime continue de tenir tête à la nation et persévère dans ses
efforts de contenir les insurgés.
Cependant, une nouvelle donne politique va encore une fois venir donné raison aux
insurgés : la crise financière et économique qui se profile déjà en 1994, offre de nouvelles
perspectives. En effet, au Mexique les années d'élections générales tendent à se révéler
critiques64. En 1994, une nouvelle débâcle financière est à redouter : la financiarisation de
l’économie, priorité du gouvernement de Salinas, et l’insurrection du Chiapas vont précipiter
la dévaluation du peso et son flottement boursier. La stabilité monétaire, fleuron de
l’administration de Salinas est d’entrée de jeu mise à mal. Dès lors, le mouvement de
polarisation croissant de la société se confirme: les manifestations et les mécontentements
s’amplifie à mesure que la paupérisation et le chômage augmentent. La spirale de l'agitation
populaire amène l’EZLN à exhorter davantage à l’union de la nation contre « l’imposteur » et
son gouvernement et à rejoindre le mouvement des insurgés. Les évènements –auxquels
s’ajoute notamment la répression orchestrée par le gouvernement- favoriseraient la relance de
la guerre de libération nationale sur une base considérablement élargie.
Dès le début de l’année 1994, l’EZLN se retrouve donc propulsée sur la scène
nationale. Au fur et à mesure que les répercussions des réformes promues par le
gouvernement de Salinas se font ressentir de manière négative par une population fatiguée
d’un pouvoir monarchique allergique à se remettre en question, les sympathies affluent de la
part de la grande majorité de la population. L’EZLN jouit très vite d’une côte de popularité,
64
A titre d’illustration nous pouvons citer le cas de l’année électorale 1976 (forte dévaluation de la monnaie) ou
de 1982 (« crise de la dette »).
59
d’une base nationale élargie et d’un soutien de la population. Malgré tous ces éléments, la
crise économique, si elle a fournit à l’EZLN un bassin de sympathie sans précédent, elle n'a
pas radicalisé les opinions : la radicalisation et la mobilisation de la population va décroissant.
S’il est sûr que, bien que conscients de l’estime de la population pour leur mouvement, les
insurgés sont tout aussi conscients qu’ils ne doivent pas se laisser couper dans leur élan.
Désormais, et afin de donner voie au « Tiers- Mexique », les zapatistes vont entreprendre, tout
en restant dans une idéologie de référence nationale, de dévoiler le cri de la révolte indigène.
B. Affirmer la singularité du conflit : se connecter à la sphère internationale par le biais de
la première révolution humaniste du XXIè siècle.
Ainsi, si les indigènes ne sont pas clairement mentionnés dans la première déclaration
de la Selva Lacandona, ils n’y sont pas déniés pour autant. Lorsque la déclaration annonce
que « nous sommes le produit de 500 ans de luttes »65, cette phrase peut prêter à confusion, ou
tout au moins à double interprétation : fait-on référence à la découverte des Amériques et à
l’exploitation organisée par les métropoles, ou fait on référence à la date de création de la
nation mexicaine et donc au début de l’asservissement des indigènes par les autres secteurs de
la population ? Sur ce point la déclaration reste muette. Mais compte tenu de la composition
essentiellement indigène du mouvement, la résonance indigène de celui-ci est indéniable.
Même si les zapatistes n’ont pas voulu révéler au grand jour cette caractéristique dès le début
du conflit, afin sûrement de ne pas effrayer les populations qui pourraient croire à la volonté
des indiens de remettre en cause les « acquis nationaux », et notamment de vouloir proclamer
« une République maya ». Mais l’EZLN va très rapidement réussir, du moins partiellement
car elle reconnaît au fond la légitimité d’une telle supposition, à couper l’herbe sous le pied
des accusations du gouvernement et des franges les plus extrémistes et nationalistes de la
nation, qui voient en l’EZLN le spectre de l’autodétermination et de la volonté des indigènes
de faire sécession. Pour contrer ces arguments, l’EZLN va mettre en œuvre une entreprise de
clarification de ses engagements.
Si l’organisation reconnaît formellement que la majorité des indiens qui se sont levés
en armes le 1er janvier 1994 sont des hautes terres chiapanèques, elle reconnaît aussi que ces
individus, en fuyant les contraintes du milieu coutumier et ayant opté pour la modernité, se
sont détachés de la condition indienne car ils en ont perdu les marqueurs culturels. Ainsi en
1994, la base sociale du zapatisme est comparable à celle sur laquelle repose Sentier
65
Annexe 3: première déclaration de la Selva Lacandona.
60
Lumineux au Pérou. Elle est formée majoritairement d'individus d'origine indienne mais qui
ne sont plus Indiens, qui n'entrent plus dans aucune autre condition et que la société nationale,
incapable de leur donner une utilité et de satisfaire à leurs aspirations, relègue dans les plus
lointaines de ses marges. En ce sens, il est évident que l’on peut affirmer avec conviction que
l'insurrection zapatiste est d'abord et avant tout un soulèvement d'exclus.
Pour autant, les zapatistes se hasardent sur la piste du débat sur la thématique indigène,
car ils reconnaissent aussi qu’elle est l’une des thématiques qui animent le plus l’action des
zapatistes. Au Mexique il est vrai, la question de l’identité indienne est énigmatique tant les
discours présentent l’essence de l’être mexicain comme étant fondée sur le syncrétisme : une
conception qui croise les cultures originaires américaines et les traditions arrivées du monde
européen et asiatique. Le métissage qui en résulte est saisissant, et les gouvernements ont soidisant tenté de préserver ce bénéfice national en pratiquant un « nationalisme unificateur et
intégrateur ». Malgré la diversité des communautés, le Mexique s’efforcerait donc d’une part
de ne pas créer une identification exclusive, mais surtout de révéler l’identité polyforme de la
nation. La construction identitaire mexicaine qui en découle semble pour le moins innovante :
l’édifice de « la mexicanité » résiderait dans le fait de faire coexister la modernité et la
complémentarité des cultures. Il est donc déjà possible de comprendre pourquoi les zapatistes
ont cherché à mettre en arrière plan cette donnée, tant en apparence la revendication d’un
droit distinct des droits existants aurait blessé gravement la thèse du métissage. Lorsque les
zapatistes déterrent la notion de droits des indiens, ils précipitent alors la question de l’unité
de la nation ou des droits des indiens à être différent et à l’autodétermination. La défense de
l’unité culturelle du Mexique est alors en jeu, et à ce jeu là il semble que la nation soit
davantage du parti pris du gouvernement que des insurgés. Mais les zapatistes vont se révéler
fins stratèges en exprimant clairement leur volonté expresse d’inclusion de « toutes » les
cultures au sein de la nation mexicaine. Dès lors, l’EZLN met en exergue le fait que les
indiens se battent pour expliquer que eux, sans vouloir cesser d’appartenir au Mexique,
désirent avoir une identité propre et conserver leurs us et coutumes. Pour la population
mexicaine, cette dernière donnée semble difficile à entendre : comment les zapatistes
pourraient-ils prétendre à la fois appartenir à la nation, et à a fois prendre leurs distances avec
celle-ci afin de respecter une organisation qui leur est propre et qui ne se retrouve pas dans
l’identité nationale ? Afin de tenter de s’engager sur cette piste, et afin de montrer que la lutte
des indiens obéit à une logique nationale, l’EZLN formule le fait que même si la révolte reste
menée avant tout par des indiens, et que les droits de ces derniers sont évoqués, la situation
lamentable qui est décrite dans la déclaration n’est pas propre qu’aux Indiens. La volonté de
61
« liberté, de justice, d’indépendance nationale, et de paix » trouve ses attaches avant tout dans
le peuple mexicain. Ce que les indigènes en rébellion revendiquent est avant tout leur volonté
d’être mexicain, mais tout en soulignant que cette option ne doit pas les priver de ce qui pour
eux complète leur identité, à savoir : leur indianité.
En tentant d’ouvrir le débat sur la thématique indigène les zapatistes vont trouver le
moyen de se démarquer des concepts révolutionnaires du marxisme classique. En effet, c’est
en cette stratégie que va résider l’un des principaux coups de maître de l’EZLN : l’affirmation
de la volonté de construire une « identité plurinationale ». Dès lors, le mouvement peut être
crédité d’un certain nombre de mérites. Tout d’abord, en présentant la lutte de l’EZLN
comme la lutte des plus démunis, le mouvement a réussi à inclure les indigènes au centre de
l’action, et donc il a réussit à amener la société et le gouvernement à prendre connaissance de
la condition des indigènes. Ensuite, et tout en se servant de ce premier acquis, l’EZLN a aussi
réussi à dévoiler aux yeux du pays la grande fracture qu’il y avait entre les indiens et les métis
et la stigmatisation de ces premiers. Enfin, véritable coup de force, l’EZLN a réussi a
commencer à ébaucher devant la nation la possibilité pour les indigènes de pouvoir
revendiquer des droits qui leurs sont propres et distincts du reste de la nation, mais tout en
restant activement inclus et présents dans cette même nation. C’est cet élément surtout qui,
tout en dessinant la possibilité d’une première brèche dans le système politique, contribue et
confirme l’EZLN dans sa lancée. Si la nation et le gouvernement ne sont pas prêts à concevoir
et à accepter l’idée d’une double identification des indigènes, tant au monde mexicain dans
lequel ils vivent que du monde indien duquel ils viennent, il faudra donc en déférer sur la
scène internationale.
62
CONCLUSION PARTIE 1
La filiation de l’EZLN aura pendant un temps dérouté de nombreux analystes. En
effet, même si l’organisation est finalement issue d’un étonnant mélange de tendances
historiques ayant trait à l’indigénisme, au marxisme (ligne guévariste), et au christianisme
(ligne libérationniste), il est évident que son identité ne se réduit pas à cela. De nombreuses
variables sont ainsi rentrées en compte dans la définition du mouvement, et ont réorienté les
stratégies qui l’animent. Cette multiplicité d’éléments qui composent son identité aura entre
autre permis à l’EZLN de transformer un conflit local probable en conflit national.
Ensuite, et si comme nous l’avons montré, l’EZLN a certes bénéficié d’un contexte
propice, il est surtout apparu évident que l’organisation a avant tout su construire solidement
ses bases, les faire mûrir, et s’assurer d’avoir mis toutes les chances de son côté afin de se
tenter dans l’« aventure zapatiste ». C’est notamment grâce à cette conception de l’action que
le mouvement a pu s’imposer comme nouvel acteur national et nouvel acteur au sein des
Relations Internationales. Ainsi, si l’EZLN a réussi à acquérir une envergure nationale, il est
certain que cela a à voir avec la transfiguration que les zapatistes ont su opérer « par la
rencontre des marxistes urbains avec le monde indigènes, par l’affirmation en son sein d’une
volonté d’émancipation féminine et, après le soulèvement du 1er janvier 1994, par la
rencontre avec la société civile ». De la sorte, l’EZLN a su se rallier toutes les franges de la
population nationale ambitieuses d’un changement et d’une rénovation des perspectives de
société. A coup sûr, le mouvement a bénéficié sans aucun doute de la marge de manœuvre
laissée par le PRI à la suite de son retrait progressif de la société. Du zapatisme militaire, au
bout de ses possibilités depuis les premiers jours de l’insurrection, l’EZLN a cherché à faire
émerger un zapatisme social, civil, ouvert et pluriel qui lui permettrait inéluctablement
d’atteindre la sphère international66
Par conséquent notamment, la situation du pays telle qu’elle apparaît à la suite du
soulèvement du 1er janvier 1994 donne à concevoir le mouvement comme une véritable
alternative extra-constitutionnelle pour la nation, et donc comme une possibilité de remise en
question l’ordre établi et donc de la sécurité nationale du Mexique. Au vu de l’intégration
croissante des pays et de la logique onusienne de maintenir la paix et la sécurité dans le
66
Notamment car il lui permettait de se démarquer des mouvements de guérilla révolutionnaire traditionnels
d’Amérique latine, et donc allait pouvoir susciter davantage d’intérêt.
63
monde, la situation au Mexique a donc tendu à projeter ce conflit sur la scène internationale.
En outre, il est certain que la mise en scène de ce conflit et de la donnée indigéniste qui le
caractérise ne sont pas sans avoir eu de conséquences quant à l’écho que le conflit a connu au
lendemain de l’insurrection. En effet la communauté internationale avait déjà exprimée dès
1989 son intérêt pour la protection des droits des peuples indigènes67. Suite à l’insurrection
zapatiste, il était évident que le maniement par les rebelles de cette identité n’allait pas laisser
l’opinion publique internationale indifférente. Comme nous l’avons précisé en introduction, la
reconfiguration du système international au tournant des années 1990 aura surtout abouti à
l’ouverture de celui-ci à de nouveaux acteurs internationaux. L’importance de cette
reconfiguration et les possibilités qu’elle offre va donc permettre à l’audace des insurgés,
jugée dans un premier temps suicidaire, d’entrevoir une possibilité de s’imposer au niveau
international, pour réussir notamment à exercer les pressions nécessaires sur le gouvernement
national dans la perspective des changements demandés.
Enfin donc, s’il est certain que grâce au conflit du Chiapas l’EZLN a réussi à se
propulser sur la scène nationale et internationale, la durabilité de cette situation n’est pas
assurée pour le moment. Ainsi, l’EZLN va devoir transformer le potentiel que lui offrait ce
combat spécifique en véritable enjeu de lutte internationale. La deuxième déclaration de la
Selva Lacandona va quant à elle définir, ou plutôt redéfinir la stratégie d’action des zapatistes,
qui ont bien compris la potentialité qui s’est ouvert à eux après le conflit. La tentative
d’amarrage durable à la société nationale et internationale était alors lancée.
67
1989 marque l’adoption par l’ONU d’une Déclaration Universelle des Droits des Peuples Indigènes.
64
SECONDE PARTIE:
LE CHIAPAS, ACTEUR STABILISÉ DU JEU POLITIQUE NATIONAL
ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE L'AFFIRMATION DE
L'ACTEUR ZAPATISTE AU NIVEAU NATIONAL ET
INTERNATIONAL A LA CONSECRATION D'UN NOUVEAU TYPE
D'ACTEUR.
Lorsqu'un mouvement guérillero
suscite un engouement retentissant...
65
Dans la première partie de notre étude, nous nous étions attaché à démontrer en quoi
dès 1994 le Chiapas réussit à se frayer un chemin pour atteindre la sphère internationale.
Cependant, nous nous sommes aussi efforcer de montrer que pour autant la propulsion du
Chiapas sur la scène internationale n’était pas assurée sur le long terme. Ainsi, il en aurait
suffit d’une manipulation (supplémentaire) du gouvernement de Salinas de Gortari pour
réduire le mouvement à peau de chagrin. Alors, et même si les zapatistes avaient réussis à
donner un enjeu national et mondial à leur lutte, il leur fallait désormais l’inscrire
durablement dans la sphère internationale. Le génie qu’ils ont su mettre à l’œuvre pour réussir
à court-court-circuiter les embûches qui lui étaient tendues, par le gouvernement notamment,
semblait déjà être visible dans les premières actions qu’ils avaient menées. A l’avenir, il ne
leur resté plus qu’a systématiser ce génie, et faire preuve d’innovation pour réussir à obtenir
des résultats conséquents, et se proposer alors d’inscrire le mouvement au patrimoine des
Relations Internationales.
Les techniques de lutte, la stratégie médiatique et l’adaptabilité discursive sont
quelques uns des éléments les plus forts qui vont tendre à donner à l’EZLN une originalité
interne. Ainsi, si l’EZLN se démarque des autres mouvements de guérilla qui l’ont précédé,
ces éléments que nous venons de citer y sont réellement pour quelque chose. L’originalité
interne du mouvement va donc être un des aspects principaux qui va caractériser l’EZLN et le
donner à voir comme un nouveau type d’acteur des Relations Internationales.
Mais cette originalité de l’EZLN ne s’arrête pas là pour autant. Certes l’innovation
quant à la structuration et à l’attitude de l’EZLN aurait pu être une donnée suffisante pour en
faire un nouveau type d’acteur au sein des Relations internationales, mais cette originalité
interne est renforcée par l’originalité externe indéniable du mouvement. Ainsi, le mouvement
saisi pleinement le sens et les enjeux qu’offre la glocalisation, c’est notamment la maîtrise de
ce processus et du recours fréquent qu’en fait l’EZLN, qui lui permet de tirer son épingle du
jeu et de prendre pied sur la scène internationale.
66
CHAPITRE 1.
LE KALEIDOSCOPE ZAPATISTE: L'EZLN, UNE ORGANISATION
NOVATRICE ET ATTRACTIVE.
Lors de la manifestation qui réunissait des millions de personnes à Mexico le 10
janvier 1994, le peuple décidait indirectement et sans trop le savoir, du destin de l’EZLN.
Déterminé à ne pas laisser le conflit dégénéré en une âpre compétition entre prozapatistes et
antizaptistes, l’opinion publique s’évertuait alors revendiquer l'intégration des néozapatistes
au système politique mexicain. Considérant cette option comme non viable, l’EZLN, elle
aussi résolue à solutionner la situation au plus vite, feint de ne pas se déclarer en faveur de
cette logique. Dès lors, et le gouvernement oeuvra lui aussi en ce sens, la pacification du
conflit commençait. Pourtant, la bataille n’était pas finie pour autant. Il s’agissait désormais
pour l’EZLN de mener un véritable conflit armé pacifique. La question était de savoir les
modalités qu’allait prendre un telle décision. La motivation de cette stratégie était simple :
continuer le conflit armé serait improductif car cela ne ferait que susciter l’antipathie de
l’opinion, et intégrer la revendication dans la voie institutionnelle ne ferait que suicider
l’organisation. Dès lors, les zapatistes devaient veiller à mettre en œuvre une structuration
interne suffisamment forte pour être capable de s’adapter aux évènements à venir et pour
paraître ouverte et flexible quant aux négociations et aux dialogues qui pourraient être menés
en vu de résoudre le conflit. L’inscription dans la sphère nationale et internationale du
mouvement ne réussirait donc que s’il à se démarquer sensiblement des guérillas
traditionnelles et à affirmer une identité propre. C’est en ce sens que résidait tout le défi
interne pour les zapatistes.
Section 1. De la capacité d’organisation interne à la stratégie de communication de
l’EZLN : la construction de la personnalité publique du mouvement.
L’originalité interne de l’EZLN est un des facteurs qui expliquent le mieux sa réussite,
ou tout au moins le succès de sa propulsion sur la scène nationale et internationale. Ainsi, s’il
est certain que le mouvement, afin de consolider ses bases et s’attirer les sympathies de
l’opinion publique, a du de nombreuses fois adapter son discours et le réorienter vers des
thématiques et des modes d’actions attractifs, il est indéniable que la configuration interne de
l’EZLN, c'est-à-dire sa structuration, a été l’élément déterminant qui a permis et facilité la
mise en œuvre de telles stratégies. Si en ses débuts l’EZLN a souvent été conçu comme une
prolongation des guérillas d’Amérique centrale, comme un mouvement que « rien ne
67
différenciait des autres groupes latino-américains qui essayaient de reproduire la révolution
cubaine par le moyen de la lutte armée »68, il est pourtant clair que lorsque l’on s’intéresse à la
structure interne du mouvement cette affirmation apparaît comme plus qu’erronée. Ainsi, tant
la structuration du mouvement que sa capacité d’ouverture, sa stratégie médiatique et son art
de la mise en scène seront des éléments cruciaux quant à l’acquisition par l’EZLN d’une
véritable personnalité publique à part entière et de sa figure de nouveau type d’acteur à naître
au sein des Relations Internationales : un acteur flexible, ouvert au dialogue et qui sait tirer
avantage d’une stratégie médiatique bien rodée, et qui alors se démarque des mouvements de
guérilla latino-américains traditionnels qui l’ont précédés et qui paraissaient plus que tout
retranchés dans leurs positions et réfractaires à toute remise en cause personnelle. Alors, c’est
cette capacité de l’EZLN qui lui donne son originalité et qui lui permet de s’imposer comme
nouvel acteur potentiellement international.
Afin de démontrer ce que nous avons avancé précédemment, nous allons analyser une
série d’éléments, qui nous permettrons alors de justifier notre perspective. Ainsi, il est
indispensable d’établir dès à présent une distinction entre l’EZLN et d’autres mouvements de
guérilla qui vont naître au Mexique à la même période. En effet, et comme nous l’avons
précisé dans la première partie, s’il est sûr que l’EZLN est la plus connue des organisations
d'extrême gauche qui préconise la voie insurrectionnelle, il est d’autant plus certain que celleci partage ces visées avec divers mouvements d’extrême gauche qui fleurissent déjà au
Mexique dans les années 1980. A la même période en effet, il existe au Mexique une bonne
vingtaine d’organisation du même genre qui fleurissent dans le pays depuis quelques années
déjà: l’organisation “Commandant révolutionnaire armé du sud au Front” de Libération Villa,
les “Forces Armées clandestines de Libération Nationale’, ou encore le “Parti révolutionnaire
ouvrier clandestin-Union du peuple”, qui sont parmi les plus connues. Mais il est certain que
toutes n'ont pas la même base militante, ni les mêmes moyens matériels ou la même capacité
opérationnelle. Malgré tout, chacune à l'ambition de se donner une envergure nationale. En
1996 quatorze de ces organisations d’extrême gauche fusionnent pour donner naissance à
l'Armée populaire révolutionnaire –l’EPR-, et tenter alors de passer à la lutte armée. Le 28
juin 1996, des attentats dans l’Etat de Guerrero mettent cette organisation en première ligne
des médias. Dès lors, l’opinion publique et les médias pensent que cette toute dernière
organisation n’est qu’un avatar de l’EZLN, que les revendications sont identiques, et que les
méthodes d’action et de promotion du mouvement vont aussi être les mêmes Cependant, la
68
PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La
Documentation française, Eté/Automne 2006.
68
population comprend très vite que l’EPR n’est en rien la reproduction de l’EZLN, et alors que
l’EZLN attire toujours de nombreuses sympathies, l’EPR elle ne réussit pas à émerger
réellement et à s’imposer dans le débat public. Pour comprendre les désaveu de la population
vis-à-vis de l’EPR, et saisir alors pourquoi l’EZLN continue d’attirer les sympathies, il est
indispensable de s’intéresser aux caractéristiques des deux mouvements : en de nombreux
points de leur organisation interne les deux organisations sont diamétralement opposées.
Preuve en est qu’aux yeux de l’opinion, l’EPR véhicule l’image d’un mouvement de guérilla
traditionnelle, alors que l’organisation interne de l’EZLN s’en éloigne.
L’EPR, ou l’agitation dans l’Etat de Guerrero
L’EPR est un mouvement guérillero du Mexique. Son bras politique est le Parti
Démocratique Populaire Révolutionnaire. Sa première apparition publique remonte au 28 juin 1996,
dans l’Etat du Guerrero. Cette « Armée Populaire » déploie ses activités dans une douzaine d’Etats
du Mexique, dont principalement les États de Guerrero et du Michoacán, d’Oaxaca et du Chiapas.
Sa première apparition publique fait suite à un acte affligeant en mémoire de l’assassinat de
17 paysans appartenant à l’Organisation Paysanne de la Sierra Sur (OCSS), dans le vado de Aguas
Blancas, dans l’Etat de Guerrero, par la police mexicaine. Ce jour là, elle improvisa un acte de
masse en commémoration de cette tuerie : quelques cent hommes et femmes, avec fusils AK-47 et
AR-15 à l’épaule, et vêtis d’uniformes vert olive, de bottes et le visage recouvert, arborant le sigle
de l’EPR sur le bras, descendirent les montagnes qui entourent le "vado" dd'Aguas Blancas.
Ils lurent leur Manifeste, qui fut ensuite prononcé en nahuátl, et qui se terminait par le
slogan suivant : « Justice, justice, justice ! ». Les personnes massacrées l’ont été parce qu’elles ont
osé demander la justice, la démocratie et la liberté. « Dans ce pays il n’existe pas d’Etat de droit », et
« face à la violence institutionnalisée, la lutte armée est un recours légitime et nécessaire du peuple
pour restituer sa volonté souveraine et rétablir l’Etat de droit ».
C’est en ces termes que l’EPR énonçait les cinq points suivants:
1. Pour le renversement gouvernement antipopulaire, antidémocratique, démagogique et illégitime,
au service du grand capital national et étranger et des forces qui le soutienne, et ce, afin d’y
substituer un nouveau gouvernement essentiellement distinct de celui qui détient le pouvoir
aujourd’hui.
2. Pour restituer la souveraineté et les droits fondamentaux de l’homme. Cet objectif nous y
parviendrons avec la participation du peuple et l’établissement d’une République Démocratique
69
Populaire, en exerçant le droit légitime du peuple à altérer ou modifier la forme de son
gouvernement.
3. Par la réponse aux demandes et besoins immédiats du peuple, en réalisant les changements
économiques, politiques et sociaux qui sont nécessaires.
4. Par l’établissement de relations justes avec la communauté internationale.
5. Par le châtiment des coupables qui pratiquent ou favorisent l’oppression politique, la répression,
la corruption, la misère, la faim et les crimes de lèse humanité commis contre le peuple.
L’acte de commémoration dura une vingtaine de minutes. Parmi les sympathisants il y avait
plusieurs jeunes en uniformes, certains avec un accent indigène. L’un d’entre eux informa le public
que le mouvement était déjà présent dans tout l’Etat de Guerrero, et qu’ils étaient quelques 500
intégrants prêts à mener la lutte.
Dans le Guerrero, la « persécution, les condamnations, les assassinats, les massacres, les
tortures et les disparitions continuent d’être, un an après la tuerie, la politique du gouvernement,
situation similaire à celle qui en 1967 et 1968 a amené les commandants Lucio Cabañas Barrientos
et Genaro Vázquez Rojas à prendre les armes contre l’exploitation et l’oppression ; cette expérience,
l’injustice de la situation actuelle et l’esprit révolutionnaire qui les anima inspirent de nouveau la
lutte du peuple mexicain ». C’est cette volonté de justice qu’essaiera de mettre en œuvre l’EPR.
Cependant, quelques temps après cet acte de commémoration, si l’EPR apparaît faible, fragile et
toujours peu soutenu par les populations, il est certain que les « méthodes de guerre » qu’il pratique
y sont pour quelque chose.
Synthèse élaborée à partir de plusieurs articles de journaux
publiés sur internet, dont le quotidien mexicain El Universal
Bien que l’EPR ait elle aussi voulu créer un site sur la toile et recycler certaines
méthodes qui avait fait le succès de l’EZLN, elle n'a pourtant pas réussi à susciter en sa faveur
une mobilisation comparable celle que l'EZLN a provoqué au niveau national et international.
Si l’EZLN a davantage réussi, c’est surtout car elle est parvenue à combiner, non sans génie,
l’ordinateur et, comme nous le préciserons dans un chapitre à venir, l’ONG. Enfin, l’EPR
perd nettement en notoriété potentielle lorsqu’elle décide de faire l'aveu public de son
idéologie marxiste alors même que le marxisme est passé de mode dans les milieux
politiquement corrects. Cette erreur stratégique constitue sans doute une des plus lourdes
erreurs de ce mouvement dont la politique de communication externe, au demeurant peu
70
expressive et mal ciblée, n’aura pas suffit à gommer les défauts et les imperfections
structurelles qui gangrènent cette organisation.
En plus de la qualité de sa stratégie médiatique, il est évident que la réadaptation
stratégique de l’EZLN que nous avons déjà précisé dans la première partie, lui aura permis de
lisser l’image du mouvement dont ses orientations stratégiques et techniques auront alors
clairement servi à concentrer l’attention du public sur une organisation dont les base était déjà
assainie et dont l’image qu’elle véhiculait ne faisait que prolonger celle d’une lutte nationale,
inclusive et égalitaire qui caractérisait le mouvement. Sur tous ces points donc l’EZLN se
distingue formellement de l’EPR et des autres mouvements d’extrême gauche qui
fleurissaient au Mexique dans les années 1990. Cependant, et si cette la structure et les bases
internes, surtout philosophiques et idéologiques, sur lesquelles repose le mouvement ont
indubitablement servi à renforcer l’attrait pour cette organisation, il est tout aussi indéniable
que la qualité du discours et de l’éloquence du mouvement quant à son fonctionnement et à
ses objectifs a été déterminante quant à l’accueil que l’organisation a connu sur la scène
nationale et internationale.
L’art de la mise en scène du mouvement, particulièrement soigné, est à étudier avec
grand intérêt. « L’imagerie de Marcos, avec son passe-montagne noir, sa visière et son foulard
rouge, sa cartouchière, ses armes et ses pipes, qui signait ses communiqués « depuis les
montagnes du Sud-est mexicain », et se présentait comme le sous-commandant Insurgeant,
porte-parole du mouvement a été tout spécialement mis en scène ». Marcos a su à la fois attiré
les dames de la bonne société, mais aussi respecter la plus fidèle tradition du caciquisme69
latino-américain. De nombreux observateurs du conflit admettent facilement le parallèle,
souvent recherché d’ailleurs, entre le sous-commandant Marcos et le commandant Che
Guevara, et qui sert formidablement le mouvement. Mais les zapatistes, tels de véritables
professionnels de la communication, en plus de reprendre des images fortes et frappantes pour
l’opinion publique, ne cessent de mettre en œuvre leur désir d’améliorer le potentiel que
celles-ci recèlent en les réadaptant à la société actuelle notamment. Preuve en est, si dans les
années 1950/ 1960, les organisations communistes avaient besoin de véritables commandants,
à l’image du Che, désormais la configuration des années 1990 amène à préféré parler d’un
« sous-commandant » Marcos, érégie du mouvement mais dont le grade évoque l’absence de
suprématie de celui-ci sur les décisions et les actions de l’organisation. Les zapatistes, tout en
reprenant les formules qui ont fonctionné dans le passé, ne cessent d’améliorer ces dernières
69
Le caciquisme peut être défini de la façon suivante : « réseaux de pouvoir et de clientèles locales dont dispose
un « homme fort », le cacique, spécifiques à l’Amérique latine et à l’Espagne » (Encyclopédie Encarta).
71
et de leur donner un caractère davantage démocratique. Sans doute cette dernière donnée estelle aussi un aspect important de l’identité de ce mouvement, et explique t’elle la qualité
d’organisation interne du mouvement. Même si Marcos n’est pas le seul et unique visage –
caché- du mouvement70, son protagonisme est pour le moins avéré. Le succès discursif du
sous-commandant Marcos est immense, et son analyse auto-ironique et auto-critique du
mouvement et du rôle que celui-ci doit jouer dans l’histoire de son pays n’ont cessé de donner
de l’intérêt aux « pensées philosophiques » du sous-commandant.
Rafael Guillen Vicente, alias " sous-commandant Marcos "
Né le 19 juin 1957 à Tampico, port industriel de l'Etat de Tamaulipas (nord-est du pays) sur
le Golfe du Mexique, il grandit dans une famille relativement aisée de négociants en meubles. Après
une scolarité dans un collège de Jésuites, il suit des études de philosophie à Mexico et devient
professeur d'arts graphiques à l'université.
En 1984, cet admirateur de Che Guevara rejoint le mouvement néo-zapatiste, où son autorité
et ses qualités de pédagogue assurent rapidement son ascension. En 1993, sous le pseudonyme de
Marcos, le "subcomandante" dirige le front sud-est de l'Armée zapatiste de libération nationale
(EZLN) qui comprend le Tabasco, l'Oaxaca et le Chiapas.
Information tirées de l’article « De Zapata au néo-zaptisme »,
En libre accès sur le site de la Documentation française
Marcos est certainement une force incontestable pour l’EZLN. En effet, l’auto-analyse
du guérillero cagoulé et de l’observateur coïncident, notamment dans la transformation du
noyau guévariste armé du début en un nouveau mouvement social « pluriel, inclusif,
antimilitariste, postcommuniste, indéfini et réflexif, identitaire et démocrate »71. De la sorte, et
pour se distinguer par exemple des révolutionnaires latino-américains qui les ont précédés,
ainsi que d’autres mouvements indiens du continent, les zapatistes ne cessent de garantir leur
préoccupation de réussir l’articulation entre le respect des diversités et l’impératif d’égalité.
Cette position les différencie également d’autres mouvements identitaires contemporains,
séparatistes, repliés et souvent crispés dans la violence, attachés à défendre de mythiques
70
Cette affirmation est notamment appuyée sur les interventions de Tacho et Moisés : Le BOT Yvon, Le rêve
zapatiste, Ed Seuil, Paris, 1997.
71
DUTERME B. et le BOT Y., « Le zapatisme c’est cela ou ce n’est rien ! », in La Revue Nouvelle, n°11, 1999.
72
identités homogènes. Mais l’agilité de l’EZLN et sa maîtrise du terrain médiatique ne s’arrête
pas là : face aux accusations la présentant comme une guérilla importée d’Amérique centrale,
l’organisation multiplie les références à l’histoire nationale et à ses symboles, face aux
soupçons d’une « manipulation » tramée par des « professionnels de la violence » ils insistent
sur le caractère indigène du soulèvement, et enfin, face à l’épouvantail de la sécession, le
risque d'une nouvelle République maya, et la menace de l'intégrité nationale, les zapatistes se
défendent avec un hymne, un drapeau et des références aux héros nationaux. Si les zapatistes
ont opté pour faire directement référence à Emiliano Zapata, sait qu’ils savent le potentiel de
mobilisation et d’accréditation que ce nom porte en lui. Toutes les données évoquées
précédemment sont autant d’éléments qui confirment notre hypothèse de ce chapitre : l’EZLN
dispose d’une formidable capacité de communication et d’organisation afin de récupérer et
mettre en valeur les éléments qui fondent son identité et qui lui donnent un atout certain.
L’EZLN est donc un mouvement au milles visages : un mouvement qui combine
exigence éthique (justice), besoin de reconnaissance (liberté et dignité) et revendication
politique (démocratie). En ce sens, et face aux crispations violentes d’acteurs identitaires, le
zapatisme est une tentative d’articuler identités culturelles, modernité et démocratie. Michel
Wieviorka déclamait d’ailleurs que les mouvement sociaux « qui correspondent le mieux à
l’émergence du sujet, dans le monde contemporain, sont ceux dans lesquels […] la
revendication de reconnaissance des particularités de l’acteur est associée à un combat destiné
à réduire une domination sociale et à mettre en cause un principe de hiérarchie »72. C’est bien
le potentiel intrinsèque de cet énoncé que les zapatistes ont su remettre en jeu dans leur lutte.
En effet, la complexité du sujet zapatiste, à la croisée de l’ethnique, du national et de
l’universel, éclaire sous un nouvel angle la possibilité d’être « égal mais différent ». Sur un
tout autre registre, la portée du mouvement zapatiste, sa signification exceptionnelle, à savoir
l’avènement d’une « antiguérilla » qui met fin au modèle guévariste- marxiste et léniniste de
changement social, dans le but d’affirmer le projet démocratique au cœur de l’action
collective. La force de l’EZLN réside encore notamment dans l’aptitude qu’a eue cette
organisation armée à passer très rapidement d’une théorie léniniste de prise de l’Etat à
l’affirmation de son désintérêt pour le pouvoir. Cette capacité de conversion dévoile elle aussi
la logique qui caractérise ce mouvement : une logique qui tente coûte que coûte de remettre
en question toute donnée acquise comme telle, et qui cherche à repousser jusqu’à leur confins
les limites de l’enfermement dans un cadre conceptuel trop strict ou trop étroit. C’est peut-être
72
WIEVIORKA M., « Sociologie postclassique ou déclin de la sociologie ? », in Cahiers internationaux de
sociologie, volume 108, 2000.
73
cette logique de fonctionnement du mouvement qui amène l’EZLN à faire se succéder
plusieurs discours politiques plutôt qu’à amener ces discours à coexister.
Le caractère novateur du mouvement est un des éléments fondamentaux de sa
personnalité publique. Sur les questions qu’il posent, le mouvement affirme sans cesse sa
capacité de remettre en cause ombre de problèmes qui ne trouvaient plus leur place dans un
débat mexicain devenu stérile après plus de quatre-vingt ans de règne du PRI. Ainsi, une des
principales revendications de l’EZLN se réfère à la question de l’Etat et de l’autonomie : leur
vision libertaire, ou « libérationniste » du mouvement amène à remettre en cause le modèle
jacobino- léniniste qui caractérise les mouvements traditionnels des guérillas latinoaméricaines, et préconise alors non seulement l’auto-organisation de la société mais aussi une
inscription dans les traditions du nationalisme mexicain et les « luttes anti-impérialistes de
libération nationale »73. Le second grief des zapatistes réside en leur demande instante de
démocratie pour le Mexique. Malgré une certaine démocratisation du système politique
mexicain, pour les zapatistes la situation restait insatisfaisante. L’existence d’injustices et la
nécessité d’y remédier avant tout par l’instauration d’une « véritable démocratie » guidait la
rébellion. Mais contrairement aux mouvements traditionnels l’EZLN « ne proposait pas un
changement radical de la structure de l’Etat, un changement du régime de propriété ou un
parti politique ». Comme le soulignait la première déclaration de la Selva Lacandona, les
principaux ennemis à abattre était « la corruption et l’injustice » symbolisées par le Président
de la République et le parti au pouvoir. Sur le point de l’autonomie comme de leur demande
de démocratie, les zapatistes sauront montrer leur aptitude au dialogue, notamment en se
refusant à toute inconditionnalité et en montrant leur inscription dans un cadre relativement
large. Dès les premières revendications qu’ils formulent, les zapatistes s’ingénient à
démontrer leur ouverture et leur volonté de dialogue afin de ne pas fermer le débat et renvoyer
le Mexique sous le giron unique du PRI.
Le caractère ouvert du mouvement et l’attitude de dialogue qu’il revêt sont
observables dans l’analyse que nous pouvons effectuer des déclarations de l'EZLN rédigées
entre 1994 et 2005. D’une part, et s’il est certain que les positions de l’EZLN ont été
sensiblement réorientées depuis son éclosion en 1994, il reste certain que le discours du
mouvement a toujours cherché à donner une priorité à la dynamique d’ouverture et de
construction du débat politique et sociétal auquel l’organisation zapatiste voulait parvenir.
Dans ces documents il est incontestable que le centre du discours ne tourne pas autour de
73
Se réfère à la transformation de la société par son propre biais : priorité à la rébellion à l’ouverture d’espaces
civils de lutte, création de formes d’auto-organisation sociale, décentralisée et participative.
74
revendications de type « indianiste », mais que l’EZLN ouvre la polémique à la nation toute
entière. L’EZLN n'est pas non plus un mouvement ethnico-nationaliste, qui équivaudrait les
"nationalismes divisifs" crispés, caractéristiques de la seconde moitié du 20ème siècle 74. De la
même façon, l’attitude de l’EZLN ne peut se comprendre comme une « simple stratégie de
pouvoir appuyée sur le fait ethnico-régional différentiel ». En effet, dans aucune phase
l’EZLN n'a demandé l'indépendance du Chiapas ou n'a soutenu un mouvement souverainiste
dirigé exclusivement par des indigènes et régis selon leurs us et coutumes.
Comme nous l’avons dit, ce que cherchent avant tout les zapatistes est d’améliorer le
Mexique dans son ensemble. Dans leur point de vue, il faut adapter l'Etat et non pas s’adapter
à lui. La « justice, la liberté et la démocratie », ne peuvent être défendue qu’au sein d’un
« État de droit » -qui n'aurait pas de raison d'être dirigiste ou obèse- et de la construction d'une
identité plurinationale. La similitude des propos zapatiste avec les recommandations de
diverses organisations internationales75 est parfois frappante, et tout en révélant en partie leur
aptitude à vouloir discuter de problèmes importants et reconnus d’intérêt public par ces
dernières, placent les zapatistes dans la volonté pratique et l’ouverture. Ainsi, en vue de créer
les conditions de réussite de l’avènement de sociétés plus justes, les zapatistes songent à
améliorer l'Etat de droit au Mexique, et en Amérique latine plus en général. Le projet
néolibéral, qui s’est généralisé en Amérique latine dans les années1990, a abouti à la
détérioration de la distribution du revenu, ainsi qu’à la gouvernance et à la gestion
démagogique des affaires publiques. Dans ce contexte certains auteurs, dont Francis
Fukuyama76, que l’on ne peut en rien caractériser de progressiste ou de révolutionnaire, dans
son ouvrage « La construction de l'Etat. Vers un nouvel ordre mondial au 21ème siècle », a
souligné la nécessité d'impulser le fonctionnement des institutions dans le sein d’Etats solides.
Ainsi, si Marcos apparaît comme un guérillero romantique marxiste des années 1960,
camarade de Che Guevara, ses prétentions à être un citoyen du XXIè siècle se retrouve dans
sa préoccupation de construire un monde démocratique. Selon Marcos, la dualité traditionmodernité est une forme de stéréotype bipolaire, excessivement réductrice, et qui ne permet
pas comprendre la réalité du discours des zapatistes, davantage progressiste que rétrograde.
Ce que Marcos vise, et que José de Vasconcelos exprimait dans le langage de "race
cosmique", est l’avènement de sociétés plurielles, pacifiques et libres, qui s’épanouiraient au
sein de véritables entités démocratiques. Ce que Marcos soulève de forme claire c'est la
74
A titre d’illustration, nous pouvons citer ici les exemples de l’Irlande, Pays basque, Québec, Corse, etc.
A l’instar du PNUD et de son étude sur « L’état de la démocratie en Amérique latine, vers une démocratie de
citoyennes et de citoyens », 2004.
76
FUKUYAMA Francis, La construction de l'Etat. Vers un nouvel ordre mondial au 21ème siècle, Editions B,
Barcelone, 2004
75
75
nécessité de partir de la reconnaissance de l'existence des différences culturelles pour pouvoir
construire un État de droit plurinational et véritablement démocratique. Mais dans le cas du
Mexique, le grand problème réside en l’affrontement entre la tradition juridique libérale, qui
reste basé sur le droit individuel, et les traditions juridiques de nombreuses communautés
ethniques originaires basées sur des droits collectifs des peuples. Le véritable défi est donc
celui de réussir la conjugaison entre démocratie et reconnaissance de l’existence de valeurs
plurielles au sein de la nation. Un défi qui marque donc son inscription dans un réformisme
ouvert que dans un conservatisme aveugle et crispé.
C’est donc en s’appuyant sur une structure interne innovante, adaptée aux nécessité de
son époque, que l’EZLN a réussi à créer les conditions de son éclosion et à faire d’un conflit
probable un conflit certain. Les ingrédients « organisationnels » internes à l’EZLN ont une
importance centrale dans cette réussite. Si les zapatistes ont réussi à transformer les conditions
objectives du conflit en véritable action, cela n’aurait pas pu se faire sans la haute capacité
d’organisation du mouvement et le leadership résolu de Marcos. C’est donc surtout grâce à
l’avantage que lui a accordé sa structure organisationnelle flexible, démocratique et
visionnaire, que l’EZLN a pu adopter des positions souples et donc réussir non seulement à se
démarquer des autres mouvements d’extrême gauche, mais aussi à rénover le combat
politique au Mexique, et somme toute à s’attirer de nombreux appuis dans l’opinion publique.
Enfin, si la stratégie de communication zapatiste est une des raison de leur succès planétaire,
pour un temps tout au moins, d’un point de vue plus pratique il est indéniable que cet élément
aura donné à l’organisation une puissante capacité de dialogue.
Section 2. La capacité d’action de l’EZLN : de la capacité de dialogue du
mouvement aux premières avancées sur la scène nationale.
La mise en œuvre par l’EZLN de la stratégie que nous avons précédemment expliquée
va lui permettre de réaliser certains résultats plus qu’encourageants du point de vue des
changements qu’elle peut se proposer d’atteindre. Ainsi, en passant de la rébellion armée à
l'alternance politique, l’EZLN n’a cessé de s’attirer les sympathies de l’opinion, mais surtout
elle a pu participer à la résolution partielle du conflit. La démocratisation de la vie politique
chiapanèque semble alors engagée. Le processus vise à terme à réparer les injustices et à
promouvoir une nouvelle façon de prodiguer plus de justice au Chiapas. Cette rénovation du
système devrait donc automatiquement passée par la rénovation de la sphère politique sinon
nationale, du moins régionale. Cependant, l’attitude archaïque du gouvernement, qui va
76
vouloir mener en sous-main une résolution différente du conflit, va pousser l’EZLN à
réorienter ses choix d’actions. Ainsi, au lieu de se retrancher dans ses positions, et comme
pour faire face à la malice du gouvernement, l’organisation zapatiste va devoir repenser son
discours et ses méthodes d’actions, mais tout en restant dans le pacifisme bien évidemment.
Encore une fois, cette démonstration à venir montrera l’importance de la structuration interne
de l’EZLN qui lui permet, entre autre, d’actualiser et de réorienter très facilement et très
amplement ses positions.
A la suite du soulèvement des insurgés zapatistes en janvier 1994, les analystes politiques
vont commencer à évoquer la possible fin de l'hégémonie du PRI sur le pays et sur la région.
Ainsi, le soulèvement de l’EZLN a eu des répercussions graves et directes sur le système
politique. En effet, il est patent de constater l’effondrement de l'hégémonie du PRI dans la
région après le 1er janvier 1994 : de 90% des suffrages exprimés en 1988, le PRI récupère
seulement 49% des suffrages de 1994. Dans ces élections d'août 1994, les zapatistes ont
soutenu le candidat du PRD -Amado Avendano Figueroa- au poste de gouverneur et ont
contribué à canaliser la forte mobilisation populaire vers les élections générales de 1994.
C’est une véritable “révolution électorale” qui se produit alors. Il est certain que la
démocratisation timide de Salinas pour pallier son déficit de légitimité, et le contexte
d'ouverture constitutionnelle qui cela aura permis, a largement favorisé cette “révolution”.
Ainsi, s’il est sûr que bien avant la rébellion de nouveaux acteurs politique ont émergé et
commencent à menacer la puissance électorale du PRI, il aura fallu attendre le soulèvement
zapatiste pour que cette transformation s'accélère. Enfin, et même si l'EZLN n'a pas pris les
armes pour obtenir la réforme électorale de mars 1994, sans le soulèvement celle-ci n'aurait
jamais abouti.
Au Chiapas la rébellion est alors ressentie comme telle, et trouve un impact inattendu :
elle ouvre une période d'intense effervescence politique. En outre, la Création du Conseil
Ethnique d'Organisations Indiennes et Paysannes (CEOIC), dès janvier 1994, facilite la
convergence des associations populaires et la résurgence du mouvement paysan. Dès lors les
conflits qui font suite à l’émergence de véritables débats participatifs et démocratiques se
multiplient et aboutissent à la destitution de quinze maires PRIistes entre janvier et août 1994.
Dès le début du soulèvement, et afin de prouver sa volonté de résolution des conflits pour le
pays, l'EZLN invite la gauche mexicaine à participer à une "Convention Nationale
Démocratique" –CND- pour le début du mois d’août 1994. C’est en ces circonstances que
77
Marcos appelle à voter "contre le système du parti-État" lors des élections générales à venir.
Les manoeuvres misent en place porte leurs fruits, et facilitent la canalisation de la
contestation vers les élections générales du 21 août 1994: 66% des chiapanèques y participent
et les taux atteignent les 75% dans les fiefs zapatistes.
Mais tant au niveau national que régional, ni Cauhtemoc Cardenas ni Amado Avendano
Figueroa ne parviennent à rallier l'ensemble de l'opposition : le PRI est trop enraciné dans les
rouages internes de l’Etat, et grâce à la puissance de la machine électorale de son parti le
PRIiste Eduardo Robledo Rincon remporte la victoire au Chiapas et Ernesto Zedillo est élu
président. La population, déjà échauffée par la contestation de l’EZLN, comprend l’enjeu de
cette victoire. Le conflit postélectoral qui s’ensuit alors ne parviendra pas à redonner à
l’EZLN et à l’opposition une reviviscence suffisante pour continuer dans leur ligne
« révolutionnaire ». Le mouvement semble se ralentir.
Fait marquant en est la mise entre parenthèse de la démocratisation chiapanèque. La
population n’ayant pas réussi à se faire attendre clairement par le système, la réaction générale
est au désenchantement croissant des chiapanèques. Dès lors, la mobilisation dans l’Etat du
Chiapas connaîtra un fort recul, et accentuera encore d’avantage la crise déjà annoncée du
mouvement social. La désaffection des électeurs déçus par les résultats de la mobilisation
intense des mois précédents s'explique également par la prolongement du conflit armé, la
militarisation croissante de l'Etat, la fermeture des espaces politiques, et enfin par la scission
et la radicalisation des secteurs de gauche. Face à cette démobilisation, et tout en la
comprenant, les zapatistes décident de changer de stratégie. S’ils ont appelé à voter pour le
PRD en 1994, dès 1995 ils se sont abstenus. Entre ces deux dates les consignes électorales de
l'EZLN étaient suivies par près de 50 000 citoyens77, ce qui révèle l’influence considérable
des rebelles dans la région. Par delà la baisse généralisée de la participation dans l’Etat (voir
tableau), c'est le retrait des zapatistes du jeu électoral qui expliquera le mieux que jusqu'en
1998 la démocratisation ait été mise entre parenthèse dans la zone du conflit. Dans les
bureaux de votes majoritairement zapatistes, et si le PRI part d'une position moins favorable
en 1991 et qu’il est débordé par les zapatistes en 1994 au profit du PRD 78, l’impact électoral
du soulèvement reste cependant aussi fort qu'éphémère. En effet, le taux d'abstention élevé
77
Ces 50 000 citoyens sont répartis sur 18 municipes indiens des hautes terres (El Bosque, Chalchihuitan,
Chanalho, Huxtan, LArrainzar, Oxchuc, Pantelho, Tenejapa et Zinacantan), de la foret Lacandone (Altamirano,
Chilon, Las MArgaritas, et Ocosingo) et du Nord (Sabanilla, Salto de Agua, Simojovel, Tila et Tumbala).
78
Qui passe alors de 8,7% à 74,3% des suffrages exprimés entre 1991 et 1994.
78
qui suivra aux prochaines élections affaiblit le PRD et favorise le parti au pouvoir. La
démocratisation chiapanèque est donc définitivement mise entre parenthèse pour le moment.
Si les négociations qui ont débuté dès le mois de mars 1994 afin de procéder à la
pacification du conflit et à la mise en valeur de la possibilité d’une voie de sortie digne pour
les deux côtés en présence, es accords semblent esquisser une voie de sortie au conflit, les
espoirs sont vite déçus. En parallèle aux Accords, les rebelles vont essayer de trouver leur
salut en profitant de cette table de dialogue pour se créer une plate forme nationale et
internationale, alors que le gouvernement local va lui tenter d’en profiter pour déloger les
organisations paysannes-indiennes des terres occupées afin de les contraindre à des
négociations parallèles. Le PRI tente de tirer partie de la pression qu’il est toujours à même de
faire sur la base, et les accords agraires qui légalisent à terme la distribution de 243 191
hectares au bénéfice de 60 199 paysans sont révélateurs de cette attitude. Les bénéficiaires des
largesses du gouvernement sont accusés de “traîtres” par Marcos, et dès lors l'alliance entre
les zapatistes et l’organisation paysanne-indienne (CEOIC), désormais acquise au
gouvernement, dégénère en une âpre compétition pour le contrôle des bases sociales. Le PRI
semble dès lors avoir réussi ses desseins, à savoir: aboutir à la fragmentation du mouvement
populaire en une véritable mosaïque de factions.
En se retirant du jeu électoral, l'EZLN va certes céder les espaces aux alliés locaux du PRI, et
ce dès la fin 1995, mais l’organisation formalise son contrôle politico-militaire dans sa zone
d'influence, en créant notamment des municipes "autonomes rebelles". De la sorte, et même
s’il est certain que l’attitude du PRI pour reconquérir les bases paysannes qui avaient affiché
leur soutien à la rébellion y a beaucoup contribué, il est évident que cette dernière initiative
exacerbe les conflits locaux car elle oblige coûte que coûte les bases à prendre position. La
polarisation extrême que cela induit aboutit à des affrontements et des expulsions violentes de
civils. Désormais, l’EZLN doit donc faire face à l’agressivité du gouvernement qui mène de
manière sournoise des pressions sur les bases favorables au PRI. Par conséquent, et comme le
mouvement a déjà pâti de la démobilisation populaire, il décide de redynamiser le combat en
faisant passer le concept indigéniste au premier plan de ces revendications. C’est alors un
moment clé de l’évolution interne de l’EZLN. La création du Comité Clandestin de
Révolution Indigène (le CCRI, en janvier 1993), indique depuis longtemps la perspective de
transformation sociale que promeut l’EZLN, par la mise en valeur de la dimension indigène
notamment. Cependant, et dans le but de ne pas nuire à la visibilité des objectifs nationaux du
soulèvement par la mention d’intérêts particuliers, il faut noter que la « dignité indigène » a
79
été d’abord relayée en second plan dans les déclarations de la Selva Lacandona79. Dès lors les
zapatistes vont donc s’attacher à mettre en œuvre une entreprise de revalorisation de la
dimension indigène du mouvement. Restée en sommeil pendant un temps, la dimension
indigène du mouvement –sa « vocation » selon certains- deviendra par la suite un concept clé
dans le discours zapatiste.
La stratégie de l’EZLN est désormais offensive. Il s’agira d’insister sur une dimension
indigène qu’elle jugeait auparavant nécessaire de subordonner aux objectifs nationaux. Si la
transition forcée de la lutte armée à la lutte politique a amené à rendre omniprésent la
thématique indigène, les circonstances dans lesquelles se retrouvent l’EZLN dans le courant
des années 1995 et 1996 vont l’amener à renforcer ce choix. Le dialogue qui s’est établit à
San Cristobal dès le mois de mars 1994 reste sans précédent pour « l’indigénité » : dès lors
qu’elle ne peut plus compter sur une insurrection nationale, l’EZLN doit se rabattre sur les
moyens dont elle dispose. Les évènements vont donc amener l’organisation à réaffirmer que
le caractère indigène fait partie de ce qu’elle est et, au lieu d’être maintenu au second plan, il
est remis en évidence. La reformulation qui s’est alors opérée est décisive pour le mouvement.
Afin de donner davantage de visibilité et de chance de succès à la nouvelle stratégie, l’EZLN
mise donc sur la thématique indigène. Cependant, l’excessive identification du mouvement à
la question indigène ne sera pas sans impact, et contribuera notamment à lui faire perdre une
part de son impact national. Malgré tout, il est sûr que dans un contexte de perte d’influence
tel qu’il était engagé, l’EZLN a su trouver une stratégie qui lui permettrait de redynamiser les
sympathies dont elle bénéficie. Par conséquent, et afin de réussir à consolider son poids
national et à stopper l’hémorragie de soutiens, le mouvement va s’évertuer à redonner toute sa
place à la revendication ethnique.
Section 3. De la capacité d’adaptation de l’EZLN à la revalorisation de la
thématique indigène : du Chiapas objet au Chiapas sujet de la mondialisation.
Avant d’aborder ce point, il faut préciser que la nouvelle stratégie de l’EZLN laisse
appréhender clairement l’adaptation extraordinaire des ressources tant organisationnelles
qu’idéologiques du mouvement. Marcos s’affirme dès lors comme une de ces « élites
marginales »80 du mouvement, porte-parole des indigènes, et qui invite à débattre et à
79
Voir en annexe dans la “Première déclaration de la Selva Lacandona”. Annexe 3.
SKOCPOL T., « A structural analysis of social revolutions », in J.Goldstone (dir.), Revolutions: theorical,
comparative and historical studies, San Diego, CA, 1986. p°84 à 86.
80
80
reconstruire les opinions sur l’identité indienne. Le sous-commandant Marcos adapte donc
son travail politique, son discours et ses objectifs aux réalités et aux rapports de force du
moment. En effet, il est surprenant de voir de quelle façon il a réussi à modifier
substantiellement ses positions de départ après la redéfinition et la réorientation que les
circonstances ont imposées au mouvement. C’est donc le discours du sous-commandant
Marcos, interlocuteur médiatique privilégié dans le conflit, qui dévoile le plus le
repositionnement de l’EZLN. Si certains ont vu en lui la continuation anachronique d’un
guérillero du milieu du XIXè siècle, d’autres, surpris par la capacité discursive de Marcos, ne
cessent d’affirmer qu’il s’agit bien au contraire d’un révolutionnaire du XXIè siècle, fin
stratège et excellent analyste. Dès lors, l’originalité et la capacité interne du mouvement ne
sont plus à démontrer. De même, il est certain que ces éléments placent l’EZLN comme
nouveau type d’acteur du XXIè siècle.
Le discours revendicatif de Marcos n’a cessé d’évoluer au cours du conflit. Son
véritable coup de maître est d’avoir réussi à faire changer les idées du zapatisme au cours du
temps. Les principales déclarations de l’EZLN et les discours du sous-commandant mettent
clairement en lumière cette affirmation. Le caractère « postmoderne, extraordinairement
original et créatif »81 du mouvement, constamment reconnu par les observateurs, se comprend
mieux à l’aune de ces faits. Ainsi, l’originalité de l’EZLN se trouve autant dans la dynamique
des répertoires d’actions, qui font appel au symbolique, au médiatique à l’expressif, que dans
les pratiques de la rébellion, ou dans l’« hardiesse des ses positions, de son utopie, de son
discours ». Tous ces éléments donnent entre autre une forte capacité d'adaptation du
mouvement aux circonstances changeantes de la conjoncture. La révolution armée, teintée de
marxisme, a débouché sur la réclamation pacifique et de forme immédiate d’une nouvelle
constitution, de la réforme du système politique mexicain et de la remodélation de l'Etat
nation. C’est ce qu’a tenté l’EZLN lorsqu’elle a essayé de se convertir en front politique
(FZLN) pour impulser la réforme de l'Etat, réclamer les droits de l'Homme et une véritable
justice démocratique, afin de capter la scène internationale. Dans le contexte d’après-guerre
froide, la mobilisation de la société internationale pour ces thématiques aurait du donner à
l’EZLN un réservoir de soutien. Mais il est certain que la force du gouvernement mexicain
pour écarter la voix du mouvement et la relayée en second plan aura été un des éléments
d’échec de cette tentative de coup de force de l’EZLN. Dès lors, il fallait au mouvement une
nouvelle stratégie afin de permettre la survie de celui-ci.
81
GONZALEZ CASANOVA P., Los zapatistas del siglo XXI, Publication OSAL, n°4, 2001.
81
La stratégie d’adaptation de l’EZLN ne doit pas pour autant être comprise comme une
trahison à des idéaux ou comme la démonstration de l'échec d'un programme d'action. Cette
adaptation du discours aux circonstances changeantes, quoique jugée opportuniste par certains
analystes, a été pour l’EZLN la seule façon faire face à la machine en marche de l’appareil
d’Etat pour écraser la rébellion. L’art de Marcos en terme de communication et de publicité
du mouvement est indéniable, et est un des éléments fondamentaux qui aura permis à
l’organisation de tirer son épingle du jeu et de s’assurer d’une durabilité plus forte. En effet,
c’est avec habileté que le chef insurgé a mis en scène l'image de l'Indien victimisé, a manipulé
la figure de héros nationaux, à l’instar de Zapata, et a joué sur des symboles patriotiques et
religieux entremêlés. « Il recourt au langage évangélique aussi bien qu'à un pastiche de
l'éloquence indigène, avec ses répétitions, ses métaphores et ses métonymies »82, assure
Pitarch pour tenter d’expliquer le succès de la nouvelle stratégie du mouvement.
Si cette importance donnée à l’image du mouvement a parfois énervé, et a amené certains
auteurs à formuler cet état en affirmant que « le but recherché de Marcos n'est pas de
convaincre par une argumentation logique, mais de provoquer l'émotion », il est certain que
c’est cette image qui a permis de redonner une voie à l’EZLN et de lui assurer un nouveau
bassin de soutien peut-être davantage stable: grâce à sa rhétorique et à son talent théâtral,
grâce aussi au parti qu'il sait tirer des moyens de communication les plus modernes, il gagne
très tôt la bataille de l'opinion publique ». L'image de l'indien que l’organisation manipule et
diffuse en recourant aux techniques les plus modernes de l'information lui vaudrait en effet
des sympathies nationales et internationales, ainsi que le soutien d'un réseau planétaire d'ONG
qui aura lui une double utilité : d’un côté drainer d'importantes ressources vers le Chiapas
insurgé, et de l’autre offrir à l’EZLN des canaux de diffusion aux capacités
incommensurables.
Face à cette tentative de l’EZLN de « recycler » la thématique indigène afin de
reprendre les devants, le gouvernement s'attache à reconquérir la population. Dès 1995, et
plutôt que de reconquérir les territoires, l’Etat s’adonne à ramener vers lui la sympathie de
ceux que le discours zapatiste indigéniste pourrait attirer. Pour ce faire, il va d’une part limiter
le recours à la force, et d’autre part mettre en vigueur des programmes d'aides sociales. Les
effets de ces derniers seront souvent jugés trop lents, et surtout cette logique d’assistance n’est
accompagnée d’aucun plan de création d'emploi. Les populations chiapanèques se désistent
alors en faveur de l’EZLN.
82
PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La
Documentation française, Eté/Automne 2006.
82
Les accords de San Andrés Larrainzan83, conclus en février 1996, faisaient porter la
négociation sur la protection de la culture indienne. Souvent, ces accords ont été soumis à des
interprétations maximalistes et minimalistes, qui en fin de compté ne faisait que dévoiler
l’ambiguïté de ces accords et le fait que le gouvernement resté campé sur ces positions. A la
suite de l’entêtement du gouvernement a n’accomplir que partiellement les accords, les
zapatistes se résolurent à suspendre les négociation, et par la même occasion, le dialogue avec
les pouvoirs publics. Profitant alors de sa capacité d’adaptation aux circonstances, l’EZLN
tire alors profit des thématiques qui pouvaient le mieux amplifier son écho dans la société
mexicaine, et ce, sans hésiter lorsque le cas s’est présenté, quitte à passer par la sphère
internationale.
Mais, point d’ombre pour les zapatistes, la teneur du combat repose sur un concept toujours
flou et auquel ils n’auront jamais réussi à donner une définition précise. En effet, la notion de
peuple indigène s’inscrit dans un débat assez large, et pour réussir à donner un sens à ce
débat, il faudrait préalablement définir le terme. Certains définissent les peuples
indiens comme « ceux qui descendent des populations qui habitaient sur le territoire actuel du
pays en commençant la colonisation et qui conservent leurs propres institutions sociales
économiques, culturelles et politiques ou en partie ». Mais cette définition pose certaines
questions : en laissant si ouverte le critère de sa définition, on rend possible l’apparition de
possibles tensions. De la sorte, le discours indianisant que tient le néo-zapatisme semble
réservé à la communication externe du mouvement. L’analyse du discours montre que les
revendications des zapatistes ont glissées d'un indigénisme classique –qui met en valeur les
ethnies, les groupes ethniques, le fondement de la nation, et le caractère intégrationniste- vers
l'indianisme –des peuples, des nationalités, de l’autonomie culturelle, économique et
politique, afin de défendre l' « identité menacée ». C’est en ce sens que de nombreuses voix se
sont élevées pour dénoncer la tentative du zapatisme de reprendre à son compte des débats
hautement complexes, et, pour des raisons de stratégies relatives à la survie et à la percée de
l’organisation dans l’opinion publique, d’avoir parfois complexifié le débat sur les droits et
l’identité indigène.
Désormais pourtant, et envers et contre toute critique, la lutte que mène les zapatistes n’est
pas une lutte de classe, ou une révolte anti-étatique à proprement parler, mais selon les
83
Voir en annexe 8: “Accords de San Andrés Larraizán”.
83
discours adapté des zapatistes, un mouvement indien. L’action des zapatistes s'ancrera
désormais pleinement dans la multiculturalité et le nationalisme mexicain.
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’originalité du profil novateur de la rébellion se retrouve
aussi notamment dans la nouveauté des formes d’organisation (démocratiques et
horizontales), dans les valeurs qui sont défendues (dignité et diversité), dans les
revendications (autonomie et reconnaissance), dans le rapport au politique (contre-pouvoir
civil) ou dans les identités mobilisées (culturelles et sexuelles). L’originalité du statut de
l’organisation et de ses pratiques a eu une importance vitale quant à la capacité de dialogue et
d’adaptation du mouvement. Il est notamment certain que l’opinion publique, qu’elle soit
nationale ou internationale, n’est pas en reste face à ces évolutions. L’auto-dévalorisation
constante et souvent ironique de l’EZLN en tant qu’organisation instituée84, qui ne serait
qu’ « une aberration » est un marqueur fort de la personnalité de cette organisation, et qui
participe en tant que tel à lui donner une originalité certaine. La conscience aiguë affichée à
l’autodérision quant aux limites de ses propres pratiques ne cesse de donner à cette
organisation, d’abord présentée comme marxiste et guerrière et désormais pacifiste et
indigène, un attrait certain auprès de l’opinion fascinée par l’aptitude de ce mouvement à
évoluer et à se remettre en question. Les ingrédient initial du « cocktail zapatiste », aurait
donc été revisité au fur et à mesure du temps, afin de ne pas perdre un bassin de « clientèle »
indispensable au succès du mouvement. Si pour les zapatistes « la justice sociale reste l’étoile
à atteindre », sa quête repose nécessairement sur la responsabilisation du pouvoir, la
revalorisation de la démocratie et la construction d’espaces autonomes multiculturels au sein
d’Etats pluriethniques et souverains. Autant de problématiques soulevées successivement par
les zapatistes et qui ne cessent de donner un intérêt à l’action du mouvement. Enfin, s’il est
certain que les caractéristiques flexibles de l’EZLN lui ont permis de s’adapter aux
circonstances et de rester ouvertes quant à ses conceptions, il est certain que le mouvement a
pu acquérir une envergure nationale et internationale parce que d’un côté, à la suite de quatrevingts ans d’hégémonie du PRI, les populations étaient avides de changements, et que de
l’autre côté « le mouvement s’est développé parallèlement à la décomposition des idéologies
du sens de l’Histoire et à la crise de la modernité », offrant alors à une population mondiale
un espoir de voir se redynamiser des luttes désormais écrasées par la chape de plomb
unipolaire.
84
La rébellion stigmatisation les formes traditionnelles du pouvoir, de l’avant-gardisme éclairé, du verticalisme
décisionnel, de la confiscation de la démocratie par le leadership, des risques de la délégation, de la conception
sacrificielle du militantisme, et tente de mettre en œuvre une organisation basée sur l’horizontalisme de décisions
collectives, l’inclusion et la tolérance, et la reconnaissance de la diversité subjective.
84
CHAPITRE 2.
L'ORIGINALITÉ D'UNE GUERILLA EXTRAVERTIE: LA CONSTRUCTION
D'UNE MOSAIQUE DE PLATEFORMES POUR CANALISER ET
POTENTIALISER LES MERITES DES INSURGÉS.
Les élections de 1994 ont donc mis en lumière l’avènement d’un jeu politique
transformé. Désormais, la vie politique semble prendre réellement des apparences plus
démocratiques, et la structuration de l’électorat parait se faire autour de 3 blocs : le PRI, le
PAN, et le PRD. Aussi, il faut dès lors préciser que pour autant, il n’est pas si aisé de mettre
un coup d’arrêt brut et définitif au PRI, tant il est facile pour ce dernier de mobiliser l’appareil
d’Etat. De plus, il est généralement admis en 1994 que cet état de fait risque de perdurer,
notamment car le Mexique ne dispose pas d’une fonction publique dotée d’1 statut
garantissant son indépendance.
Malgré tout, il est évident que l’opposition est de plus en plus forte au sein de la population
mexicaine. Afin de renforcer l’assise nationale qu’ils semblent avoir déjà acquise, les
zapatistes vont mettre en place une plate-forme nationale. Celle-ci devrait servir à leur donner
davantage de lisibilité. Mais dans un jeu mexicain toujours dominé par les vieux réflexes
autoritaires et rigides du PRI, l’EZLN va souvent se retrouver en perte de vitesse par rapport
aux ambitions qu’elle se donne. Alors, et après avoir tenté pendant un temps d’avoir un
dialogue fécond avec les autorités nationales, le mouvement se heurte à l’autisme déguisé du
gouvernement. Ainsi, déçus par les faibles chances de changement que donnent les accords de
San Andrés, les zapatistes décident alors de privilégier leur positionnement sur la scène
internationale. Par le biais des instruments de la mondialisation l’EZLN va activer le potentiel
international de la lutte. De la sorte, et aidés d’une technologie nouvelle, l’ordinateur, et d’une
institution nouvelle, l’ONG, les zapatistes vont mettre en œuvre la construction d’une
audience internationale solide et acquise à leur cause. La construction d’une véritable
interface entre les zapatistes et la sphère internationale devient alors réalité, et les deux
niveaux vont s’interpénétrer au point de faire bénéficier les zapatistes d’avancées considérable
et d’une reconnaissance internationale.
L’originalité externe du mouvement n’était alors plus à démontrer et était visible aux yeux de
tous : autant sur le fond que sur la forme de ses engagements, l’EZLN s’affirmait comme un
acteur détenant une véritable capacité internationale.
85
Section 1 : La création d’une plate-forme nationale : les débuts de l’amarrage de
l’EZLN dans le cadre national … et ses échecs.
Les accords de San Andrés Larraizan, seuls accords conclus à ce jour entre les
zapatistes et le gouvernement, se furent au prix de laborieuses négociations qui prirent fin le
16 février 1996. La thématique « Droits et culture indigènes »85, qui fut privilégiée par rapport
à d’autres, telles que « Démocratie et justice » notamment, indiquait dès lors la ferme volonté
des zapatistes de consolider la lutte en s’appuyant davantage sur la base indigène que sur la
base nationale. Cependant, et comme nous l’avons déjà précisé avant, la logique des
zapatistes obéit à une double stratégie : inscrire leur mouvement dans la durabilité en évitant
pour se faire d’être balayé du débat par la machine PRIiste, mais aussi de placer le débat
indigène au sein de la nation, et ce, afin d’éviter d’accentuer la tension et les différences entre
les divers acteurs nationaux. Par conséquent, la logique zapatiste ne relevait pas d’un
paradoxe insurmontable, mais semblait être la meilleure stratégie, dans le sens notamment
qu’elle lui permettait de se démarquer du gouvernement en se plaçant sur un domaine peu
maîtrisé par ce dernier, mais aussi de continuer à inscrire activement sa lutte dans l’optique
nationale. Début septembre de l’année 1996, les commandants rebelles décident de
« suspendre » le dialogue. Face aux réticences gouvernementales à appliquer les conclusions
de cet accord, et face au harcèlement militaire des villages et hameaux favorables aux
zapatistes, l’EZLN décidait de rompre le « processus de paix ». Si Zedillo visait à miser sur le
potentiel supposé d’une guerre d’usure, l’EZLN devait désormais miser elle sur une stratégie
offensive, inclusive et efficace : il en allait de la survie ou de la mort annoncée du
mouvement. De là, la construction d’une véritable plate-forme nationale.
C’est en effet dans ces circonstances que l’EZLN s’appliqua à développer activement
et à renforcer une plate-forme politique nationale qu’elle avait à peine esquissée jusqu’alors.
Lorsque le sous-commandant Marcos s’exprime dans la deuxième déclaration de la Selva
Lacandona, le 10 juin 1994, c’est avec un langage plus soigné, voire presque poétique, qu’il
le fait, même si le ton reste ferme malgré tout.86 Dans cette déclaration il n’hésite pas à
réaffirmer qu’ « il n’y aura pas reddition », et qu’il faut « en finir avec les fraudes, les vols, et
l’inéquité » qu’ont favorisés les gouvernements PRIistes successifs. Selon les propos du
leader, la Constitution d’alors ne reflète pas la volonté de tous les mexicains, et la tentative de
rétablissement de la démocratie engagée par Salinas n’était que poudre aux yeux. Comment
croire en ce « traître » qui s’est fait élire surtout grâce à la fraude que le PRI sait mettre en
85
Voir annexe 8.
Ici nous nous réferons donc à la “Seconde Déclaration de la Selva Lacandona”, consultable en annexe 4
86
86
œuvre ? Dans cette déclaration Marcos lance un appel à la société civile, et ce, dans le but de
mettre sur pied un véritable dialogue national. Afin de faire taire les critiques qui présenté le
mouvement comme une utopie, Marcos est clair : s’il ne propose pas la création utopique d’un
« monde nouveau », il se restreint à proposer la création jugée faisable d’un « espace libre et
démocratique de lutte politique », moins fictif certes, mais davantage faisable. Pour ce faire, il
est nécessaire d’établir une Convention Nationale Démocratique87 - la CND-, afin d’élire un
gouvernement provisoire -ou de transition- pour élaborer une nouvelle constitution. Cette
dernière revendication, qui s’inscrit dans la perspective d’une réforme jugée indispensable à
la remise en cause en profondeur de ce « système corrompu », ne cesse de confirmer la
stratégie nationale que le mouvement met à l’œuvre à cette époque. Dans la résistance,
Marcos change clairement de ton, de contenu et de style. La priorité de l’EZLN est donc de
changer le système politique, et cette volonté repose sur l’argument central des zapatistes, à
savoir : Salinas et son parti étaient illégitimes au vue de la corruption et des injustices
commises. Pour mettre en acte cette volonté, le mouvement nécessite la création de la CND.
De la sorte, la stratégie belligérante des premiers temps se transformait en un plan
constitutionaliste pacifique capable de réinventer la politique au Mexique. Les premiers jalons
de la politique de création d’une plate-forme politique nationale étaient alors lancés88.
Le 1er janvier 1995, les zapatistes publient la Troisième déclaration de la Selva
Lacandona89. Cette déclaration commémore donc le premier anniversaire du soulèvement
zapatiste, 1er janvier 1994. Les revendications qui y sont exprimées sont principalement les
suivantes : il faut d’une part « renverser le gouvernement de Zedillo », entaché de fraude
électorale massive, de violation des droits, et de « crime d’Etat », et d’autre part il s’agira de
solutionner la « question indigène »90, toujours en suspens. Une des voies à privilégier, selon
les zapatistes, pour réussir dans ce second point, serait l’introduction du modèle des
« autonomies municipales », et l’instauration du Mouvement de Libération Nationale pour
instaurer le gouvernement de transition qui aurait pour tâche de rédiger la nouvelle Carta
Magna. Par la même occasion, et en réaction aux résultats des élection du 8 décembre 1994
dans l’Etat du Chiapas, et qui ont donné pour nouveau gouverneur le PRIiste Eduardo
Robledo Rincon, la déclaration évoque aussi la nécessité de reformuler la loi électorale –
nécessité présentée comme corollaire des revendications précédentes. L’accent est donc mis
sur l’impérieuse exigence de transformation de la structure politique, économique et sociale
87
Le site internet de la CDN est hébergé à l’adresse suivante: http://www.cnd.org.mx.
Nos propos s'appuient sur le texte de la seconde Déclaration de la Selva Lacandona, disponible en annexe 4.
89
En annexe 5: “Troisième déclaration de la Selva Lacandona”.
90
Idem. Dans “annexe 5”.
88
87
du Mexique. Comme nous l’avons précisé, l’EZLN faisait dépendre ce chantier d’une
nouvelle plate-forme politique, le Mouvement de la Libération Nationale –le MLN-, qui
consistait à organiser des assemblées paysannes et à inciter à la création de municipes
autonomes. Le MLN servirait donc non seulement à garantir les droits et coutumes des
populations indigènes, mais aussi à rédiger la nouvelle Constitution. Si la finalité du
mouvement s’affirme dès lors comme nationale, et à la lueur de cette troisième déclaration de
la Selva Lacandona il est impossible d’affirmer le contraire, les zapatistes n’oublient pas de
tendre la main aux indigènes, à qui ils dirigent notamment certains actes. De la sorte, et tout
en approfondissant l’idée de la création d’une plate-forme nationale déjà évoquée lors de la
formation de la CDN, les zapatistes insèrent peu à peu l’idée de la défense des communautés
indigènes qu’ils se font.
Parallèlement à ce processus, un « gouvernement de transition en rébellion » a vu le jour au
Chiapas. Peut-être, ce gouvernement de transition cherchait-il à contrer les attaques du
gouvernement qui visait à déstabiliser l’avancée des zapatistes, dans la création et la
formalisation de leur plate-forme nationale. En effet, et dès 1995, Zedillo tente de réduire la
crédibilité de l’EZLN. Le sous-commandant est attaqué de manière frontale, et le fait qu’il ne
soit pas d’origine indigène est clairement mis en avant lors de cette campagne de
désacréditation. L’offensive de l’armée, qui freine les projets des municipes autonomes, vise
elle aussi à contenir l’effort d’expansion de l’EZLN. Cependant, et face aux soutiens de
l’EZLN dans l’opinion publique, le gouvernement est contraint à négocier : la négociation de
paix s’entame le 21 avril 1995, et se fait par le biais d’une plate-forme officielle, la
Commission Parlementaire de Concorde et de Pacification –plus connue sous le sigle de
Cocopa-, et qui sera à l’origine des fameux accords de San Andrés Larráinzar, signés dans le
village chiapanèque du même nom. Ce dialogue complexe et lent qui débute en 1995 ne
trouvera d’issue qu’en février 1996. Ici, se ne sont pas les sorties de cet accord qui nous
intéresserons (car nous les avons déjà évoquées), mais le processus de tractation parallèle mis
en œuvre par les zapatistes alors même que les négociations était en cours. Ainsi, d’août à
septembre 1995, en parallèle des négociations, Marcos convoquait à une « consultation pour
la paix et la démocratie », pour écouter les pensées nationales et internationales sur le sujet
débattu à San Andrés, et confirmer par la même occasion, au Mexique et au monde, que
l’esprit de lutte pour la liberté continuait au Chiapas, mais que désormais il s’agissait
davantage d’ « une bataille de mots, de dialogue, et non de force ou de fusils ». Non sans
doute, les zapatistes faisait des négociations de San Andrés un motif à appeler la société civile
à s’exprimer sur l’orientation et la teneur des négociations, et donc en l’espace de quelques
88
mois l’EZLN détenait à son actif deux tentatives de coup de force pour s’imposer dans le
débat national et, en moindre mesure pour l’instant, international.
Alors que les négociations de San Andrés étaient toujours en cours, et pour
commémorer cette fois le second anniversaire de la levée en arme, l’EZLN publia la
Quatrième déclaration de la Selva Lacandona le 1er janvier 199691. Dans le souci de redonner
de la vitalité au mouvement, et face aux tentatives du gouvernement qui, en sous-main des
négociations s'éreintait à discréditer l’EZLN, les zapatistes s’efforçaient dans cette déclaration
de réaffirmer que les communautés du Chiapas n’étaient pas les seules en lutte, que le projet
était avant tout national, et que somme toute le but ultime de l’organisation était la
construction d’« une société plurielle, tolérante, incluente, démocratique, juste et libre dans
une patrie nouvelle »92. Dans cette même déclaration, était annoncé l’avènement d’une
« nouvelle force politique », le Front Zapatiste de Libération Nationale93 –la FZLN. La
particularité de cette organisation réside surtout dans le fait qu’elle soit créée d’en bas, sans
aspiration au pouvoir, et sans vocation à se convertir en parti politique. La logique du FZLN
se résume alors dans la formule suivante : « mande obedeciendo ».La quatrième déclaration,
dont les griefs devaient être solutionnés grâce à l’aide de cette « nouvelle force politique »,
contribua donc à affirmer le caractère national et inclusif de la lutte. La tâche principale du
FZLN résidait donc apparemment à faciliter l’intégration de « tous les mexicains
indépendamment de leur origine, de leur couleur, de leur langue, de leur sexe, de leur culture
ou de leur religion ». Dans cette déclaration, et au vu des mesures qu’elle mettait en œuvre,
Marcos démontrait sa capacité d’adaptation aux nouvelles circonstances. Les mots et le
dialogue se convertissaient en son instrument principal, et Marcos confirmait que l’EZLN en
avait définitivement fini avec les armes. Par cette occasion donc, et dans l’optique déjà
annoncée de l’établissement d’une nouvelle constitution, l’EZLN émettait sa décision de
mettre sur pied une nouvelle force politique pour inclure tous les mexicains, assurant par là
même que la lutte pour les droits des communautés indigènes s’incluait dans une lutte plus
ample pour la libération de tout le Mexique. Dès lors, la lutte était formellement ouverte à de
nouveaux secteurs de la société civile. Cette impression sera confirmée plus tard d’ailleurs,
lorsque les zapatistes admettront que le FZLN était un essai pour organiser la société civile
dans le but ultime de transformer le système politique et économique du Mexique.
91
En annexe 6: “Quatrième déclaration de la Selva Lacandona”.
Voir dans annexe 6, idem.
93
Plusieurs
sites
internet
traitent
du
FZLN.
Voir
http://www.geocities.com/pagina_fzlnchih /pagina_nueva_7.htm,
ou http://es.wikipedia.org/wiki/Frente_Zapatista_de_Liberaci%C3%B3n_Nacional
92
89
entre
autre:
Les accords de San Andrés resteront emblématiques de l’attitude schizophrénique du
gouvernement à laquelle les zapatistes devaient faire face. Ainsi, si dans ses accords la plupart
des souhaits des zapatistes étaient respectés, à savoir la sauvegarde des formes traditionnelles
de vie des plus des dix millions d’indigènes mexicains, la concession de l’autonomie
politique, la fourniture de ressources pour le développement socio-économique, l’engagement
du gouvernement ne suffisait pas à faire oublier aux zapatistes que l’autonomie municipale y
était mise à mal. Les accords restèrent donc invalidés par les zapatistes. Le gouvernement
s’offrait donc le luxe de répondre favorablement aux zapatistes de manière publique, en leur
concédant les changements nécessaires à résoudre une partie des problèmes, tout en
manipulant en sous-main les ressources à sa disposition pour saboter les accords et garder les
cartes en main. La seule solution viable pour revitaliser et redynamiser le mouvement, et
tenter enfin de donner aux problèmes du Chiapas une solution viable, consistait alors à ouvrir
son discours à l’extérieur, et à établir des connexions stratégiques internationales. Alors que le
gouvernement s'est lui efforcé de cantonner le conflit armé sur les municipes les plus affectés
par la rébellion, afin notamment d’éviter une poussée nationale trop forte de l'EZLN, le
mouvement n’a cessé lui de chercher à étendre le conflit, ou tout au moins faire remonter les
discutions locales au niveau de la société civile mexicaine dans son entier, ou voire à
l'internationaliser. En effet, il faut préciser que la principale plate-forme mise en forme par les
zapatistes jusqu’alors remontaient aux négociations entamées avant les accords de San
Andrés, soit depuis mars 1994, et qu’elle s’était retrouvée trop enlisée dès février 1996. Mais
heureusement pour les zapatistes, et dans un souci de clarté il est indispensable de préciser ce
point, le zapatisme ne se réduit toutefois pas à ses interactions avec le gouvernement fédéral
et aux avatars d’un processus de négociation embourbé. Pour leur propre survie, les zapatistes
ont du développer des relations parallèles avec la société civile : ils tentèrent ainsi de mettre
sur pied une plate-forme nationale, qui devait leur permettre de trouver des relais de dialogue
et des canaux de revendications au cas ou le gouvernement essaierait de court-circuiter
délibérément l’organisation. Mais la volonté sournoise du gouvernement qui pris place lors
des accords de San Andrés, dévoilait aux zapatistes la limite de leur stratégie : même s’ils
disposaient déjà d’un embryon de plate-forme nationale, celle-ci n’était pas assez mature pour
faire face aux tergiversations délibérées du gouvernement. Ainsi, et face à l'enlisement et à la
défiance du gouvernement, les zapatistes choisissent d’opter pour une redéfinition de leur
stratégie d’action : si la négociation sur le plan national n’a pas eu les résultats escomptés,
pour cause de « mauvaise volonté » de la part du gouvernement, et que la plate-forme
nationale n’a pas suffit à faire suffisamment pression sur le gouvernement pour qu’il se
90
contraigne à mettre en place une solution viable au conflit, la seule solution pour redonner du
dynamisme au mouvement et tenter de l’imposer dans l’agenda politique national, paraissait
être un détour obligatoire par l’agenda politique international.
Section 2 : La création d’une plate forme internationale : les tentatives de résolution
de l’enlisement du conflit… et ses réussites.
Afin donc de palier à l’impasse dans laquelle elle semblait se mettre petit à petit,
l’EZLN décide dès l’année 1996 d’approfondir sa stratégie internationale et globale. S’il est
certain que cette année là le mouvement se place de manière plus active sur la scène
internationale, il faut rappeler que dès le début du conflit armé déjà, en janvier 1994, l’EZLN
demandait aux organismes internationaux et à la croix rouge de surveiller et réguler les
combats. L’écho international que va connaître le mouvement se révèle vital, et c’est
notamment en période d’ « impasse » que cela apparaître plus clairement. Tout en faisant
connaître aux yeux du monde la rébellion des oubliés du « miracle mexicain », l’EZLN
s’ingénie donc à conforter son potentiel de pression sur le gouvernement. C’est donc ce que
nous allons étudier ici.
La campagne d’image et de communication mise en place par Marcos a largement participé à
ce que la nouvelle du soulèvement soit connue de forme immédiate aux quatre coins du
monde. En s’imposant comme la première révolution de l’histoire des temps qui utilisa
Internet et l’image pour se faire connaître, l’EZLN se plaçait à la pointe de la nouvelle forme
effective de la communication globale. Les caméras vidéo étaient devenues la meilleure arme
de défense des zapatistes, et les images diffusées sur la toile internet de la lutte de ceux qui se
soulevaient avec leurs fusils de bois, et leurs masques eurent un retentissement inattendu.
N’ayant pas de capacité de feu pour faire face à l’armée mexicaine, les insurgés pouvaient
seulement refuser les agressions de forme pacifique. Cette dernière donnée fut cruciale dans
l’acquisition par le mouvement d’une personnalité et d’une reconnaissance, dans le sens où
elle propageait l’image d’un mouvement guérillero pacifiste et conscient des défis de son
temps.
L’utilisation des nouveaux médias semblait alors être une perspective sans précédent pour les
mouvements contestataires que les pouvoirs nationaux n’hésitaient pas à écraser en silence
dans les décennies précédentes. Les zapatistes possédaient donc le génie de l’utilisation de ces
nouveaux médias, et cette donnée octroyait au mouvement une personnalité toute particulière.
Le mouvement apparaissait donc comme une révolution dans la révolution des médias, et au
91
vu de l’utilisation de ces nouveaux médias, le conflit ne peut pas se comprendre sans
l’avancée spectaculaire des communications94.
Face au fracas des négociations avec le gouvernement et à l’intensification de la
violence, la seule solution viable aux yeux des zapatistes restait être l’internationalisation du
mouvement. A la suite de l’avènement du monde unipolaire, les zapatistes ont su comprendre
très rapidement, dans le nouvel ordre qui était annoncé, quelles étaient les valeurs présentes
dans la raison d’être de l’organisation et celles que le nouvel ordre essayait de répandre bon
gré mal gré autour de la planète : c’est ainsi que les zapatistes tentèrent dès lors de placer leur
propulsion sur la scène internationale sous le signe de la défense des droits de l’Homme et de
la démocratie. Afin de garantir que ses mots soient écoutés et jamais oubliées et encore moins
tergiversées, Marcos décidait donc de s’appuyer sur une stratégie internationale.
Au début 1996 en effet, l'intérêt que l'opinion mexicaine et étrangère portait à l'insurrection
commençait à donner des signes de fléchissement. Dans le but de réalimenter cet intérêt, et
comme pour marquer clairement la nouvelle ligne « internationaliste » du mouvement,
l’EZLN décidait donc de commencer une série de déclarations à destination de la société
civile internationale. Pour ce faire, l’EZLN émis la première déclaration de la Realidad en
janvier 1996, intitulée « Contre le néolibéralisme et pour l’Humanité »95. Dans cette
déclaration, Marcos se dirigeait aux « peuples du monde » : « indigènes, jeunes, femmes,
homosexuels, lesbiennes, gens de couleur, immigrants, ouvriers, paysans ; les majorités qui
forment les soutanes mondiales se présentent, pour le pouvoir, comme des minorités dont on
peut se dispenser. […]. Le nouveau partage du monde détruit l’humanité […]. Contre
l’internationale de la terreur que représente le néolibéralisme, nous devons lever
l’internationale de l’espoir. Une fleur oui, la fleur de l’espoir. Un chant oui, le chant de la
vie »96. Dans cette déclaration Marcos convoquait tous les habitants de la terre à la première
Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme –qui devait avoir
lieu d’avril à août 1996 dans les « Aguascalientes » zapatistes. Cette rencontre devait servir à
discuter les aspects économiques, politiques, sociaux et culturels de l’humanité, et ce, dans le
but de construire à terme « un monde alternatif, juste, solidaire, pluriel, démocratique et
divers ». La première conférence intercontinentale contre le néolibéralisme fut donc organisée
en juillet 1996. A la suite de cette première rencontre, et content du succès de celle-ci, Marcos
94
Sur ce point voir divers ouvrages ont été publiés, dont entre autre : HALLOWAY J., Zapatista ! Reinventing
revolution in México, Editions Y E Peláez, Londres, 1998.
95
Voir en annexe 7: “Première déclaration de La Realidad”.
96
Consulter annexe 7: idem
92
invita dès le 3 août 1996, par le biais de la seconde déclaration de la Realidad 97, à une
nouvelle rencontre intergalactique qui était à prévoir pour la fin de l’année 1997.
Lors de ces rencontres, et comme pour tenter de réussir son premier amarrage à la société
globale, l’EZLN semblait revenir à l’idéologie gauchisante de ses débuts, et Marcos dénonçait
ainsi « la mondialisation convertie le monde en un seul pays, les États nation se fragmentait à
l’intérieur d’eux-mêmes en montrant ses frontières internes ». Face à ce constat négatif de la
situation du monde, et tout en mettant en forme la logique inclusive du mouvement, Marcos
réaffirmait la nécessité de bâtir « un monde fait de plusieurs mondes ». Cette dernière logique
semblait alors similaire à celle de la reconnaissance revendiquée par le mouvement d’un
monde indigène au sein du monde mexicain. Désormais, l’EZLN affirmait alors que sa
nouvelle finalité consistait à réussir à contribuer à construire un monde meilleur, tout en
affirmant que « ya basta ! Ca suffit ! Démocratie ! Liberté ! Justice ! Pour un monde
meilleur ! »98. Pour réussir dans ses desseins, Marcos proposait même de bâtir un « réseau
international de communication de toutes les luttes et résistances particulières »99. Sur le plan
international, il semblait donc évident qu’à cette date les zapatistes étaient déterminés à mener
une politique offensive d’amarrage à la scène internationale.
La diffusion des griefs et des solutions que l’EZLN tentait d’apporter au conflit, fut relayée
par un certain nombre d’intellectuels. En effet, chez les « intellectuels de gauche » et chez les
activistes internationaux taxés d’ « antiglobalisation » le mouvement connaissait un succès
certain. En outre, cet état de fait donnait au mouvement un avantage incontestable : il lui
offrait un canal d’expression mondialisé. Parmi ces intellectuels, nous pouvons en citer un
certain nombre : le directeur du Monde diplomatique, fondateur d’Attac et promoteur du
Forum social de Porto Alegre, Ignacio Ramonet , le directeur général du Monde diplomatique,
Bernard Cassen, le prix Nobel de la paix 1992 Rigoberta Manchú, le prix Nobel de littérature
1998 José Saramago, le linguiste Noam Chomsky, le politologue Alain Touraine, le
sociologue Yvon le Bot, l’écrivain Elena Poniatowska, le romancier Maunuel Vàzquez
Montalbàn, et enfin des penseurs mexicains comme Carlos Monsiváis, Carlos Motemayor ou
Pablo Gonzalez Casanova, qui se dernier n’hésita pas à saluer la lucidité, « la pertinence
universelle » et « la contribution au renouvellement de la gauche latino-américaine et de la
97
Voir en annexe 9: “Seconde déclaration de La Realidad”.
Consulter annexe 9, idem.
99
Consulter annexe 9: idem.
98
93
pensée émancipatrice »100. Bien entendu, le mouvement connaît aussi ses détracteurs, à l'instar
de Maite Rico et de Bertrand de la Grange par exemple101.
Les réformes constitutionnelles proposées par la Cocopa le 29 novembre 1996, et qui
faisaient suite au retrait de l’EZLN des négociations ouvertes avec le gouvernement, tentaient
de préciser les propositions de solution du conflit : le pluriculturalisme de l’Etat mexicain, la
libre autodétermination et l’autogouvernement des peuples indigènes sont les solutions mises
en avant par la Cocopa afin de résoudre le conflit et d’éviter le processus déjà amorcé par
l’EZLN de projeter le Mexique sur la scène internationale. Mais cette proposition de la
Cocopa ne prenait guère en considération la radicalisation des positions des deux côtés des
parties prenantes: d’un côté le Congrès PRIiste rejetait pour « inconstitutionnalité » les
Accords de San Andrés, et de l’autre ceux-ci étaient aussi refusés par l’EZLN qui les jugeait
trop minimalistes.
Alors que sur la scène nationale l’activité de l’EZLN semblait enlisée et sans issue, la
stratégie d’internationalisation commençait à donner des résultats. En avril 1997 a lieu la
« première rencontre œcuménique pour la réconciliation et la paix au Chiapas », qui réunit les
représentants des églises évangéliques et l’église catholique, se proposait d’ébaucher les
premiers changements nécessaires à la résolution du conflit. De son côté, à la même époque,
l’organisation humanitaire américaine Human Right Watch publiait son « Rapport sur la
situation des droits de l’homme au Mexique »102, dans lequel elle fustigeait l’attitude du
gouvernement mexicain vis-à-vis des insurgés et déplorait la triste situation dans laquelle se
trouve le Mexique. Dès lors, les acteurs internationaux qui intervinrent pour appuyer la réalité
du constat dressé par les zapatistes commencèrent à acquérir un véritable poids sur la scène
nationale. A peine quelques mois plus tard, lorsque les citoyens furent appelés à renouveler
leur confiance au gouvernement, lors des élections législatives du 6 juillet 1997, la sanction
tombait: le PRI perdait la majorité absolue à la chambre des députés. Cette situation, inédite
dans l’histoire électorale du Mexique, stigmatisait désormais la machine PRIiste qui se
retrouvait dépossédée du monopole de la représentation, et souffrait alors encore davantage
d’une détérioration de son image dans et au dehors du Mexique. La stratégie
d’internationalisation commençait donc à donner des signaux d’impacts sur la scène
nationale. Le 5 octobre 1997, d’importantes ONG françaises de Droits de l’Homme se
100
GONZALEZ CASANOVA P., Los zapatistas del siglo XXI, Publication OSAL, n°4, 2001.
De la GRANGE Bertrand et RICO Maite, Subcomandante Marcos. La genial impostura, El Pais-Aguilar,
Madrid, 1998.
102
Rapport consultable sur le site internet de Human Right Watch: www.hrw.org.
101
94
réunirent à Paris avec le Président Zedillo. A cette occasion, elles questionnèrent l’attitude de
son gouvernement face à la situation des droits de l’homme au Mexique. Bien que cette
tentative des ONG françaises puissent être perçue comme un acte d’ingérence à la
souveraineté d’un pays sur son territoire, elle confirmait que désormais le gouvernement
PRIiste ne pouvait plus se défausser de sa responsabilité internationale.
Consciente des avantages que la nouvelle configuration lui offrait, l’EZLN allait dès
lors apprendre à cultiver certains appuis stratégiques internationaux afin de maintenir vivant
l’esprit de la lutte indigène du Chiapas. Une marche zapatiste est organisée à San Cristóbal à
la fin de ce même mois d’octobre 1997 pour exiger l’accomplissement intégral des Accords
de San Andrés. Cette action médiatique servait alors aux zapatistes à réaffirmer leur volonté
de dialogue et de construction d’une paix sociale viable. De la même façon elle ne faisait que
stigmatiser davantage l’attitude ambiguë du gouvernement mexicain à son égard et accentuait
alors les possibles pressions internationales exercées sur celui-ci. Mais le gouvernement de
PRIiste, habitué à gérer les affaires intérieures comme bon lui semblait depuis plus de quatrevingts ans, et jugeant l’attitude de l’EZLN comme une provocation, décidait alors de resserrer
l’étau. En réaction, le gouvernement réanima de nouveau la violence envers les insurgés :
preuve en est la tuerie de quarante-cinq personnes réfugiées à Acteal 103 le 22 décembre 1997.
En ces termes, les zapatistes, excédés par le massacre n’hésitèrent à dénoncer ce massacre en
diffusant leur réaction par les moyens de communications contemporains, et en lui donnant
alors une envergure internationale.
Tout en ayant pris conscience de l’erreur stratégique qu’il avait commise, et comme pour
afficher sa volonté de suivre les recommandations de la Cocopa (qui appelait au pacifisme), le
28 février 1998 le gouverneur du Chiapas, Roberto Albores Guillen, annonça un « Accord
étatique pour la réconciliation au Chiapas ». Très vite la supercherie de l’accord était
démasquée, en particulier grâce au Parti d’Action Nationale –le PAN- et à la Centrale
Indépendante des Ouvriers Agricoles et Paysans –la CIOAC- qui critiquèrent le
positionnement unilatéral du gouvernement qui selon eux ne prenait pas en compte tous les
secteurs touchés par l’ampleur des revendications que les zapatistes mettaient en avant, et qui
donc continuaient de stigmatiser les positions infécondes du gouvernement. Lorsque le 5
mars 1998, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (la fameuse CIDH), après
des mois d’observation sur le terrain, déclarait que le gouvernement mexicain n’avait pas fait
les changements nécessaires pour protéger les droits de l’homme, elle contribuait sans aucun
103
La tuerie d’Acteal eu lieu dans le municipe de Chenalhó, Chiapas, México.
95
doute à accentuer la pression internationale que les zapatistes avait réussi à mettre en place sur
le gouvernement, et à laquelle le gouvernement était désormais indéniablement soumis.
Face à cette pression internationale, le gouvernement décidait de changer sa stratégie :
il s’attelait désormais à sous-estimer le nombre de personnes inscrites dans le « problème du
Chiapas » et à minimiser la situation. En avril 1998, c’est ainsi qu’il justifie sa politique
lorsqu’il démantela le municipe autonome Ricardo Flores Magon104. Dans cette situation, le
gouvernement rappelait que le Mexique n’acceptait aucune admission d’étrangers au Chiapas,
et ce, notamment pour éviter que ce territoire ne se convertisse en un lieu de « tourisme
révolutionnaire ». En mai 1998 s’en suivit alors le démantèlement du municipe autonome
« Tierra y Libertad », et la détention de cent vingt observateurs italiens. La stratégie du
gouvernement était donc claire : par ces actions, il tentait coûte que coûte de montrer au mode
sa volonté de rester maître chez lui, et donc de se défaire des pressions internationales et
autres processus qui pesaient désormais trop lourd sur lui.
Mais le gouvernement semblait alors ne pas prendre conscience de l’ampleur du processus
dans lequel il était désormais fait prisonnier. En réponse à ces attaques, l’EZLN décida donc
stratégiquement de s’appuyer de nouveau sur les institutions internationales. C’est en ce sens
notamment, que le Parlement Européen proposait l’installation d’un observateur de droits
humains au Mexique, et dont le siège se situerait à San Cristobal. Le Comité international de
la Croix Rouge (CICR) se proposait quant à lui de donner de l’aide aux populations civiles du
Chiapas.
En
juin
1998
Mireille
Roccatti
Velázquez,
alors
présidente
de
la
Commission Nationale des Droits de l’Homme, demanda non seulement au gouvernement
fédéral la réorientation des camps militaires dans les zones de la Selva et du haut Chiapas
mais aussi le désarmement des groupes civils illégaux –les paramilitaires, sous le contrôle du
gouvernement- qui menaçaient les communautés indigènes. A la même époque,
l’Organisation des Nations Unies dénonça la présumée existence de violations aux Droits de
l’Homme au Chiapas.
A la même date, l’église locale du Chiapas se retira de la Commission National de Médiation
–la CONAI- et dénonçait la survivance de la violence au Chiapas. Cette attitude de rejet de
participer à résoudre un conflit qui ne pouvait l’être tel quel, au vu de l’attitude
gouvernementale surtout, tendait à stigmatiser davantage l’hostilité du gouvernement envers
104
Sur ce point, voir entre autres les articles en libre accès sur les pages internet suivantes:
http://cciodh.pangea.org/segundoinf/entrevistas/ent_IVd08.html
ou http://www.laneta.apc.org/consultaEZLN/noticias/990918fm.htm.
96
les insurgés. Lorsque les représentants d’organismes humanitaires et cinq prix Nobel de la
Paix105 donnèrent une reconnaissance à l’évêque Samuel Ruiz pour son travail de médiateur
dans le conflit du Chiapas, ils ne faisaient que renforcer l’opinion de l’église vis-à-vis du
gouvernement.
La stratégie de l’EZLN de s’appuyer sur les institutions internationales de défense des
droits de l’homme pour garantir que ses revendications soient écoutées connaissait alors un
triomphe : à l'étranger, des Comités de soutien au Chiapas en lutte fleurissaient à bon train, et
à Barcelone, à Paris, au Canada, ou encore aux États-Unis, ces comités se mobilisaient pour
dénoncer la répression de indiens. Aussi, des professionnels des Droits de l'Homme
adoptaient des motions et pétitions qui faisaient le tour du monde et qui se proposées de venir
en aide au Chiapas insurgé. Enfin, et c’est une dimension du zapatisme international qu’il ne
faut pas négliger, le zapatisme offrait alors à une gauche qui se remettait mal de
l'effondrement du « socialisme réel » un motif de remobilisation et une cause à défendre.
Précisons dès lors, et nous l’étudierons plus tard dans notre analyse, que les zapatistes, dans
leur stratégie d’internationalisation, ont certes obtenus des répercussions de la sphère
internationale, mais ils ont aussi contribué, dans le sens contraire, à donner à la société
globale un certain nombre de thématiques et de problématiques d’un grand intérêt pour la
société mondiale, et qui connaîtront plus tard un véritable succès au sein d’organisations
nouvelles qui tenteront d’organiser la mondialisation libérale, à l’instar des mouvements
altermondialistes notamment.
L'image
internationale
du
Mexique
pâtie
indéniablement
de
la
réussite
de
l’internationalisation du conflit. Tous les éléments s’accordent à dévoiler la pression
internationale qui s’exerça de manière croissante sur le gouvernement mexicain, et qui
révélait la qualité de la réussite des zapatistes quant à leur stratégie d’internationalisation du
conflit chiapanèque. En outre, le service diplomatique mexicain, qui ne fut pas à la hauteur
des ambitions gouvernementales, et encore moins à la hauteur de l'importance du pays, se
révéla incapable d'enrayer la dégradation de l’image du pays et de son gouvernement surtout
dans l’opinion publique internationale. L’engouement international pour le zapatisme se
cristallisait alors.
105
Adolfo Pérez Esquivel, Rigoberta Menchu, Oscar Arias Sanchez, Desmond Tutu et le 14ème dalai lama.
97
CHAPITRE 3.
LES RESULTATS DE LA STRATEGIE ORIGINALE DES ZAPATISTES: LA
CONSECRATION DE L'EZLN DANS LA SPHERE NATIONALE ET
INTERNATIONALE.
La pression exercée sur le gouvernement par les zapatistes, surtout grâce à la stratégie
internationale qu’ils ont su privilégier lorsque le conflit était enlisé, est l’élément le plus
pertinent qui leur a permis de s’assurer une durabilité et une légitimité réelle. Alors que le
pouvoir tentait d’étouffer les zapatistes ou de leur couper l’herbe sous les pieds, l’EZLN n’a
eu cesse de mener un combat transversal avec le gouvernement. Ainsi, au lieu d’opter pour
une stratégie d’affrontement frontal avec ce dernier, les zapatistes ont largement préféré
mettre à l’œuvre leur génie et faire preuve d’une intelligence stratégique hors du commun.
L’originalité interne et externe du mouvement n’en était alors que confirmée. Alors, la
stratégie de pacification que les zapatistes entreprennent de construire va définitivement les
éloigner de tout archétype et révéler la position privilégiée de nouveau type d’acteur qu’ils ont
su acquérir. Leur inscription validée dans la sphère internationale, ils vont alors être
clairement bénéficiaire des nombreux avantages que cela procure. La preuve la plus flagrante
de la réussite de l’entreprise zapatiste est clairement visible lors de la Marche de l’EZLN sur
Mexico en 2001.
Section 1. La stratégie de pacification des zapatistes : d’une nouvelle initiative
politique de l’EZLN à la mise en lumière du germe de la solution au conflit.
En juillet 1998, et alors que le conflit s’essouffle et connaît un retentissement moindre
tant au niveau national qu’internationale, et comme pour palier à ce déficit d’audience et
relancer le mouvement, Marcos rompt le silence avec deux communiqués. C’est ainsi que le
16 juillet 1998 il dénonce la trahison des accords de San Andrés, et que le 19 juillet 1998, il
rend publique la cinquième déclaration Selva Lacandona. Dans cette déclaration, l’EZLN
marque désormais sa volonté inconditionnelle d’une stratégie de paix, de lutte pour les droits
indigènes et de transition à la démocratie. C’est en ces termes en effet que Marcos exhorte au
changement politique, tout en insistant sur le fait que la réforme ne doit pas être faite
seulement pour les indigènes. C’est dans un contexte de violence croissante au Chiapas
qu’intervient cette déclaration et donne à voir l’EZLN comme une organisation réellement
pacifiée, mais surtout comme une organisation qui ne voulait plus résister à la violence
gouvernementale mais plutôt s’engager définitivement dans la résolution pacifique et
98
constructive du confit. En outre, il est sûr que la pression internationale exercée sur le
gouvernement mexicain allait dans le sens des zapatistes, et confortait ces derniers dans la
possibilité de réussite de leur proposition.
Comme l’avaient déjà souligné les ONG qui eurent leur voix au chapitre en ce
domaine, l’EZLN réaffirme que « les peuples indigènes devaient parler », que « la société
civile nationale et les organisations politiques et sociales indépendantes devaient juger », que
la Cocopa devait quant à elle intervenir de façon active, et que quant à lui le Congrès de
l’Union devait faire son travail. Somme toute, les zapatistes réclamaient la chose suivante : la
réalisation d’une consultation populaire –revendication acceptée immédiatement par le
Conseil National Indigène- basée sur la société civile et les organisations sociales
indépendantes, et avec une marge de confiance accordée au Congrès. Par la même occasion,
Marcos invitait à une consultation nationale sur l’initiative de loi de la Cocopa, la fin de la
guerre d’extermination menée envers les indigènes, un changement politique général au
Mexique, la défense des droits de l’Homme, et la reconnaissance spécifique des droits des
communautés indigènes. Autant de revendications, qui certes montraient l’attitude pacifiste
des zapatistes, mais qui furent considérées par le pouvoir politique comme une provocation, et
qui organisa alors le renforcement des tensions : cinq bataillons militaires supplémentaires
furent dépêchés dans l’Etat de Tabasco, aux portes du Chiapas. C’est dans ce contexte que le
3 août 1998, le Centre de Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casa dénonçait que depuis
le début de l’année 2006 le Centre avait enregistré dans l’Etat du Chiapas cinquante-sept
exécutions sommaires, six assassinats politiques, cent quatre-vingt-cinq expulsions
d’étrangers, des cas de torture, et des dizaines d’attentats contre les droits de l’homme. C’est
aussi à cette occasion que le Groupe de Travail pour les Peuples Indigènes de l’ONU, alors
présidé par Erica Irene Daes, dénonçait que le Mexique était le pays où l’on violait le plus les
droits de l’homme des peuples indigènes. Cette analyse était notamment appuyée par la
Fondation Arturo Rosenblueth et la sous-commission de prévention des minorités de la
commission des droits de l’homme de l’ONU. Amnesty International confirmait elle aussi les
rapports précédents, tout en ajoutant que les détentions massives et arbitraires d’indigènes
dans les municipalités autonomes était en recrudescence.
En janvier 1999, et alors que Human Right Watch106 pointait du doigt la persistance de
la torture, des disparitions et des exécutions ultra judiciaire au Chiapas, le Pape Jean Paul II,
en se déclarant notamment pleinement en faveur de la reconnaissance du droit à la terre des
106
Le rapport de Human Right Watch est accessible sur le site de l’association : www.hrw.org.
Consultable dans la rubrique « Informe anual 1998 ».
99
indigènes, et se faisant alors le défenseur des « premiers habitants du Mexique », tenta ainsi
de sonner le glas de la violence au Mexique, et d’y mettre un coup d’arrêt,
L’idée de consultation nationale réclamée par l’EZLN fera alors son chemin, notamment
lorsque le PRD l’appuiera par la suite. L’idée d’une loi sur les droits et la culture indigène,
qui devait résoudre le conflit dans les conditions les plus satisfaisantes pour tous, atteignait
ainsi l’organe suprême de la nation, à savoir, le « Congrès de l’Union ». L’EZLN ayant
avancée dans sa stratégie de conscientisation de la société civile et l’ONU exprimant ses
préoccupations pour la « situation des droits humains et les libertés fondamentales au
Mexique », la marge de manœuvre pour le gouvernement est désormais réduite. La volonté
d’aboutir rapidement à la pacification inconditionnelle du Chiapas et à la résolution rapide du
conflit sera appuyée par les manifestations de diverses personnalités internationales ou
d’organisations. En septembre 1999, le Prix Nobel de la Paix de 1977, le nord-irlandais
Mairead Maguire, se rendit au Chiapas pour se prononcer en faveur des insurgés, et pour une
résolution rapide du conflit. Il fut suivit dans cette démarche par Simon Pérez, qui à peine un
mois plus tard en fit de même.
L’intention du gouvernement était alors de faire baisser la tension. L’attitude de celui-ci
oscillait alors entre le versement d’indemnisations, aux victimes d’Acteal notamment, et la
politique de renforcement de la présence militaire dans les communautés chiapanèques.
Malgré la volonté affichée du gouvernement de calmer la situation au Chiapas, les résultats
restaient longs à entrevoir. Afin de donner davantage de rapidité à la résolution du conflit, et
de profiter d’un prestige redoré, l’EZLN décida en 2001 de passer à l’offensive : si la stratégie
de paix, de lutte pour les droits indigènes et de transition à la démocratie devait réussir, il était
désormais indispensable de la présenter devant le Parlement national.
Section 2. Le « Zapatour » et l’apparente apogée de l’EZLN :
vers l’avènement d’un « groupe armé qui fait de la politique » ?
Si à la fin 1999 la situation était telle que nous l’avons décrite dans le paragraphe
précédent notamment, le processus de réconciliation amène les zapatistes à présenter le 28
mars 2001 les fondements de leurs revendications au Congrès de l’Union, et à défendre leur
position. Grâce au « zapatour », les zapatistes vont passer en un temps éclair du silence radio,
dans lequel ils étaient confinés depuis un temps, à la présentation devant le Congrès d’un
discours préalable à l’adoption de mesures législatives relatives aux droits des indigènes.
Enfin, et s’il est sûr qu’en 2001 les zapatistes trouvent un espoir envisageable de réussir enfin
100
à trouver une issue au conflit, il est certain que la rénovation du contexte politique n’y est pas
pour rien.
En 2000, l’heure est au bilan du sextennat de Zedillo. Le rétablissement des grands
équilibres économiques est un succès du gouvernement qui arrive à terme. En effet, le Crédit
du Trésor américain et les Institutions Financières Internationales multilatérales ont connu
une excroissance sans précédent au Mexique depuis 1994. L’inflation est plus ou moins
jugulée, et les équilibres macroéconomiques rétablis. En 1996 la croissance qui repart,
soutenue notamment par les IDE et les exportations, est pourtant de plus en plus conditionnée
par l'évolution de la croissance des États-Unis. Le mouvement montre que l'intégration de
l'économie mexicaine à l'économie américaine s'est accélérée depuis la mise sur pied de
l’Alena. Notamment, la rapidité de Washington en 1995 pour venir en aide à l’économie
mexicaine restera symptomatique de cet état de fait. Mais malgré tout, cette amélioration
économique ne va pas gommer l'accumulation du retard social. Les couches populaires sont
les plus touchées parmi des mexicains. L’augmentation du chômage, la diminution du pouvoir
d'achat et l’extension de la pauvreté, sont autant de constats déplorables pour le Mexique de
2000. Cette situation s’explique par le fait notamment que la restauration des grands
équilibres s’est faite en utilisant l’emploi et la consommation comme variables d'ajustement.
Alors, les salaires ne sont pas parvenus à rattraper l'inflation, qui a amputé le pouvoir d'achat
d'un quart en cinq ans et a précipité la chute du salaire minimum notamment. Cette situation a
favorisé l’accentuation des inégalités sociales et des disparités régionales. En 1997, et comme
pour stopper l’hémorragie, le gouvernement lance le programme Progresa en faveur des
nécessiteux victimes de sa politique économique. Cependant, et dans la longue tradition de
corruption qui caractérise le Mexique, ces programmes servent de manipulation à des fins
politiques. Outre ces programmes ponctuels, le gouvernement de Zedillo n’a pas mis en
oeuvre de véritables programmes de résolution de la fracture sociale107. Cette même année, le
patronat mexicain exprime ses inquiétudes quant à la tension sociale que cette situation
provoque, et la banque américaine JP Morgan classe le Mexique au 6ème rang mondial des
pays à risque.
Dès lors donc, la montée de l’opposition à la veille des élections de 2000 se fait de
plus en plus visible. Le malaise social avait déjà donné des signes lors des législatives de
1997. La situation inédite dans la vie politique mexicaine qu’avait provoqué cette situation, a
débouché sur une configuration où le PRI conserve aisément le contrôle du Sénat mais perd la
107
En effet, la dépense sociale au Mexique est faible: en 1999 elle représente 9,1% du PIB, alors qu’elle est de
15,2% au Chili et atteint les 33,9% en France.
101
majorité absolue à la Chambre des députés. Cette situation avait donc déjà contribué à
rééquilibrer les rapports entre l'exécutif et le législatif. En 2000, les élections marquent la
conclusion d'un cycle politique: cette année marque l’articulation entre deux périodes. Année
critique pour le PRI, 2000 ouvre la voie à un renouvellement du personnel politique apte à
candidater à la magistrature suprême. En juillet 2000, Vicente Fox, candidat du PAN, est élu
président de la République du Mexique. Dès juillet 1997, Vicente Fox Quesada, gouverneur
PANiste de Guanajuato et ancien directeur général de Coca-Cola au Mexique, prend une
envergure nationale. L’outsider Fox interfère avec la stratégie du parti: sa stratégie réside dès
lors à ne pas prendre le pouvoir au sommet mais à le conquérir graduellement à partir de sa
base. Fox, certain qu’il hériterait nécessairement d'une administration toute dévouée au PRI et
qui ne lui permettrait pas de gouverner, décide de s’implanter tout d’abord auprès des
municipes. De plus, celui-ci bénéficie de l’état déplorable dans lequel se trouve la gauche
mexicaine: les chances du principal adversaire, Cuauhtémoc Cardenas, se sont amenuisées au
point de paraître trop faibles, et notamment à cause de la gestion contestée de la mégalopole
mexicaine. Surtout, le PRD doit sa victoire dans les États de Nayarit, de Zacatecas et de
Tlaxcala, à des candidats PRIistes dissidents et à l'appareil local du PRI dont ces derniers ont
conservé le contrôle. En ce sens, le PRD connaît une érosion certaine et une baisse de
légitimité. Cette situation favorisera donc le candidat PANiste. Le 2 juillet 2000, les élections
présidentielles consacrent le triomphe de l’outsider, Vicente Fox, qui gagne les élections à
52,8% contre le PRIiste Pablo Salazar. Dès lors, la situation politique mexicaine apparaît
comme profondément rénovée et redynamisée. Dans l’Etat du Chiapas Pablo Salazar
Mendiguchia, de l’« Alliance pour le Chiapas », est élu gouverneur. S’il parvient à remporter
les élections, il faut souligner que sa victoire est surtout due à la coalition de différentes forces
qui recoupent huit partis –dont le PAN et le PRD surtout. Malgré le changement à la tête de
l’Etat du Chiapas, l’EZLN préfère afficher une prudence avertie envers cette coalition : le but
est de ne pas se lier à une « alliance » qui n’a toujours pas dévoiler ses véritables ambitions
quant à la résolution de la crise.
Le 1er décembre 2000, et dès le premier discours qu’il donne, Fox ordonne le « retrait
inconditionnel de l’Armée » du Chiapas, et annonce un « projet de loi sur les Droits et Culture
des Indigènes » élaboré par la Cocopa. Très rapidement, et comme pour se démarquer des
précédents gouvernements PRIistes, Fox signe avec la Haute commission de l’ONU pour les
droits humains un accord engageant l’Etat mexicain sur le respect des droits et des libertés
fondamentales de l’Homme, et va jusqu’à offrir à l’EZLN une rencontre officielle à haut
niveau et sans intermédiaires. De la même façon, il s’engage à libérer les prisonniers de
102
l’EZLN. Face à cette attitude inespérée, qui semblait marquer définitivement le changement
d’attitude et la volonté d’ouverture impulsée par le haut de l’Etat, l’EZLN se considérait alors
satisfaite des nouvelles conditions dans lesquelles la paix pourrait être négociée, et par là
même elle décidait de revenir à la table des négociations.
Mais Marcos, pape de la stratégie médiatique, s’annonça certes en faveur de la reprise
des négociation, mais posa ses conditions de but en blanc: s’il revenait à négocier avec un
gouvernement fédéral qui de nombreuses fois avait déçu les revendications et les espoirs des
zapatistes, il exigeait de le faire par « la grande porte ». Dès lors, commençait la « Marche
pour la dignité indigène », plus communément connu sous le surnom de « zapatour ». Une
fois de plus, Marcos parvenait incontestablement à confirmer son habileté médiatique.
La marche s’engagea le 24 février 2001 à partir San Cristobal de Las Casas. Ce n’est qu’après
avoir parcouru quelques trois milles kilomètres et traversé douze États de la République, que
la caravane zapatiste arrivait dans la capitale, le 9 mars 2001. Dès sa première prise de parole,
et comme pour montrer que le dialogue entre les zapatistes et le gouvernement était plus que
jamais renoué, et que cette marche devait être le climax des négociations , Marcos offrit « la
disparition de l’EZLN en échange de la paix et de a justice sociale au Chiapas ». Dès son
arrivée à Mexico, l’EZLN étalait donc fièrement sur la place publique son désir d’en découdre
définitivement avec le conflit qui avait déjà duré sept ans. Le mouvement réalisé alors un
énorme coup médiatique, et la stratégie n’était pas sans confirmer l’habileté politique du
mouvement : en refusant de s’entrevoir avec le président Fox et en choisissant de parler
directement au Congrès de l’Union, Marcos s’assurait non seulement d’une audience, mais
aussi de la redynamisation du mouvement, et surtout il évitait que la parole de l’EZLN ne soit
tergiversée. De plus, l’organisation zapatiste tout en affirmant son attachement à croire en la
valeur du Congrès, et donc au possible avènement de la démocratie, et si publiquement cela
lui servait à donner des signaux de sa bonne volonté, en sous-main il est possible de penser
que cette tentative lui permettait notamment de s’extraire de l’emprise de l’exécutif, et donc
d’augmenter les chances de réussir à établir un consensus auprès des législateurs et d’aboutir
alors à la promulgation d’une loi qui réponde réellement aux attentes de l’organisation. La
seule explication possible à cette nouvelle dynamique n’était autre que l’ouverture du système
politique était le seul macro-élément qui permettait d’envisager une telle refonte des relations
entre les deux partis pris au conflit
103
Aidé par la « Commandante Esther », Marcos clamait la « nécessité de construire un monde
pluriel de paix dans lequel tous les mexicains auraient leur place, un Mexique juste,
respectueux des différences, une société dans laquelle toutes les femmes récupèrent leur
dignité »108. Dans cette intervention, il faut notamment noter la tentative de repositionnement
du moment quant à la dignification de la femme. Mais donc, cette déclaration synthétique des
volontés de Marcos, prononcée devant le Congrès national, résume les principales
thématiques défendues par les zapatistes à cette occasion : la défense des droits indigènes, la
dignification de la femme, la justice, la liberté et la démocratie. Désormais, et après tant de
temps de conflit, la compassion ou le complexe de faute parfois devait être définitivement
laissé de côté, afin de donner place à la légalité et à la justice. Comme pour marquer son
attachement à privilégier la dynamique nationale, et donc à inscrire le conflit dans un registre
inclusif, Marcos précisait à la même occasion qu’« avec les peuples indiens, vive le Mexique,
la démocratie, la liberté et la justice ! ».
Dans cette optique, le zapatisme représente un ambitieux projet de construire une
relation humaine différente de l'actuelle. Selon eux, il est possible de créer un monde distinct,
et c’est sans doute cet aspect du zapatisme –international notamment- que l’EZLN a tenté de
diffuser. Ce que le zapatisme remet au centre des discutions en cette phase d’audience
nationale, c’est qu’il ne demande aucun type d'indépendance, qu’il n'est pas partisan de la
guerre, qu’il ne veut pas le pouvoir, qu’il n'éprouve pas de nostalgie pour un communisme
primitif, qu’il n'est pas anxieux de construire une autonomie excluante, qu’il ne cherche pas à
proclamer la naissance la Nation Maya, qu’il ne lutte pas pour l'immobilisme des peuples
indiens et pour le maintient à tous les prix de ses coutumes ancestrales, qu’il ne désire pas
fragmenter la République en une multitude de petits pays indigènes. En ce sens notamment,
les propositions du zapatisme s'éloignent ainsi des revendications classiques des guérilleros
du XIXème siècle, et établit un cadre d'action propre au XXIème siècle. En ce sens, et selon
les mots d'Octavio Paz109, l’EZLN n’est pas un mouvement "postmoderne" mais
"ultramoderne". La stratégie médiatico-politique du mouvement connaissait alors un succès
sans précédent, et le sous commandant Marcos accomplissait sa promesse de janvier 1994 : en
avançant vers la capitale, il démontrait non seulement sa confiance dans la valeur des mots en
parlant au sein de l'institution politique la plus importante, mais aussi il exhibait la nature
clandestine du mouvement -en continuant d'utiliser des passe-montagnes notamment-, et se
108
Source : Commandant Esther, « Message central de l’EZLN devant le Congrès de l’Union », mercredi 28 mars
2001.
109
PAZ Octovio, "Chiapas: hechos, dichos, gestos ", in Vuelta, numéro 208, 1994, p°55-57.
104
moquer de l'armée en se baladant dans les rues de la capitale. Dès lors, l’EZLN occupait de
nouveau les titres de la presse nationale et internationale.
Sous la pression internationale, et sur le poids d’une opinion nationale favorable à la
résolution définitive du problème du Chiapas, la « loi sur les Droits et la culture indigène »
voyait le jour le 25 avril 2001. La réforme prévue par cette loi annonçait la réforme
structurelle pacifique des institutions, et la construction d’un véritable État de droit. Surtout, il
est indéniable que le gouvernement, séduit par le succès des zapatistes sur la scène
internationale, tentait lui aussi de faire un clin d’œil à cette même scène internationale et de
lui dévoiler ces volontés de résoudre le conflit par la voie légale. Cette loi visait à régler le
problème en laissant en apparence une grande marge de manœuvre aux municipes et aux
États, mais les nouvelles obligations prévues par cette loi devaient reposer exclusivement sur
la loi de recettes et de dépenses de la Fédération. Dès lors, la solution du conflits "des indiens"
restait une fois de plus dans les mains des autorités fédérales plus que dans celles des autorités
étatiques ou municipales. De la même façon, la loi fermait la possibilité de créer une pluralité
d'identités au sein de la nation : en effet, la nouvelle loi défendait l"unité de la Nation"
mexicaine, et refusait la possibilité d'établir un quelconque « État plurinational ». Dès lors, et
comme pour montrer la détermination des législateurs à ne pas transiger avec ce principe
fondateur
de
la
République
mexicaine,
cette
dernière
expression
fut
frappée
d'inconstitutionnalité. Un coup d’arrêt était alors porté aux revendications des zapatistes, et les
indigènes étaient désormais qualifiés d’ « entités d'intérêt public", comme pour prévenir toute
nouvelle stratégie de la part des zapatistes. Tout dans l’attitude du Congrès paraissait donc
indiquer que malgré le nouveau cadre d’action dans lequel on se situait désormais, on
conservait les pratiques du passé.
En ces termes, et tout refusant cette nouvelle loi, Marcos retranchait le conflit dans une
situation autrement conflictuelle : après l'approbation de la nouvelle loi, la voie légale se
refermait. Pour réagir face à ce nouveau défi tendu par le gouvernement, les zapatistes
décidèrent d’impulser des « municipes autonomes rebelles zapatistes », suivis plus tard par les
Juntes de Bon Gouvernement. Ce que les zapatistes mirent surtout en avant lors de leur
croisade sur Mexico restait être avant tout le pari pour l'autonomie municipale, et il est
certains que les propositions formulées par le gouvernement en la matière ne correspondait en
rien aux revendications portées par le mouvement. Cette attitude montre en effet
l’éloignement des positions entre les zapatistes et le gouvernement à la suite de la Marche sur
Mexico : malgré la nouvelle donne politique, les zapatistes se trouvaient donc une nouvelle
105
fois en porte-à-faux avec le gouvernement. Notamment, et si cette loi limitait dès lors
l'autodétermination pactée dans les accords de San Andrés, les zapatistes insistèrent sur les
ambiguïtés sur les mécanismes pour la rendre effective. Les « municipes autonomes »,
premier pas vers la construction d’un État plurinational, était considéré comme une « pratique
inconstitutionnelle ». L’attitude des zapatistes devait donc permettre de tester la capacité de
réaction du système politique mexicain.
106
CONCLUSION PARTIE 2
L’une des questions auxquelles nous avons tenté de répondre dans cette partie, est de
savoir dans quelle mesure le conflit chiapanèque a t’il permis d’imposer une relecture de la
stratégie et des tactiques des mouvements de guérilla (en Amérique latine notamment), au
point de lui permettre de se hisser durablement sur la scène politique nationale et
internationale ? Suite à la démonstration que nous avons effectué dans cette deuxième partie,
nous disposons de plusieurs éléments. Sans trop revenir sur les détails, nous allons brièvement
en retracer les grands traits.
En 10 ans de vie publique, l’EZLN a marqué les esprits en profondeur. Par ses actes, ses
écrits, ses évolutions, ses dialogues avec l’extérieur, ses ajustements aux circonstances,
l’originalité du mouvement n’a cessé de faire le consensus. La caractère novateur du
mouvement n’est plus à démontré, et preuve en est que sa seule originalité lui suffit à
s’imposer durablement sur la scène publique nationale et internationale. Ainsi, le
retentissement de l’EZLN est inversement proportionnel à ses faits d’armes. L’originalité et le
caractère novateur du mouvement, tant sur le plan interne qu’externe, sont donc deux traits
importants de sa personnalité qui lui ont permis de prétendre acquérir un retentissement
national et international durable.
Une des réussite du mouvement est aussi d’avoir réussi a établir une connexion entre les deux
sphères. La logique de mise en réseau (des acteurs et des informations) qu’il a mis en œuvre
lui a ainsi donné la possibilité de trouver des canaux pour relayer sa contestation et l’appuyer.
Les méthodes de l’EZLN, qui mettent à contribution et donne la parole à des acteurs
généralement de second ordre, à l’instar de la société civile par exemple, s’intégrait
totalement dans la nouvelle logique des Nations Unies (qualifiée « méthode du bottom-up »),
et allait donc servir amplement le mouvement. La stratégie entreprise par celui-ci sur la scène
médiatique contribuera à accentuer encore davantage l’écho international dont il bénéficiait
déjà. Cependant, si la logique internationale a beaucoup servi aux insurgés pour leur
permettre de débloquer la situation lorsque celle-ci était enlisée, certains auteurs évoquent la
possibilité d’une « instrumentalisation110 » de la sphère international.
110
PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La
Documentation française, Eté/Automne 2006.
107
Ensuite, il s’agissait de présenter la portée du discours zapatiste, qui oscille entre le
particularisme et l’universalisme. En effet, l’audace des zapatistes est probante lorsqu’ils
invoquent la particularité tout en usant et abusant de l’universalité. Dans un contexte postguerre froide, les zapatistes ont donc servis à attirer l’attention internationale sur l’hégémonie
des valeurs occidentales et la revendication des particularités. Ainsi, les zapatistes sont
novateur, dans le sens notamment qu’ils « n’en appelle pas à des principes universels abstraits
[…] mais à la formation d’acteurs historiques concrets, à leurs droits […]. Son horizon est
celui d’une universalité […] qui se conjugue avec la diversité culturelle111 ».
Dans l’extrait ci-dessous, Bernard Duterme dévoile en quelques mots la nature du zapatisme
comme celle d’un mouvement aux milles visages :
« Une insurrection indigène qui lutte à coups de communiqués à la presse, de déclarations
solennelles, d’actions symboliques et de happenings pacifiques. Un porte-parole, le « souscommandant » Marcos, érudit et ironique, dont les bons mots filent sur le Web et
déstabilisent ses interlocuteurs. Une armée d’Indiens mayas, « premier mouvement
symbolique contre la globalisation », qui revendique des droits légitimes, encourage à
démocratiser le Mexique et à combattre le néolibéralisme. Une jacquerie post-guerre froide
suffisamment identitaire pour ne pas se diluer, suffisamment universelle pour ne pas se
replier. Un mouvement social régional qui multiplie les ancrages – indien, mexicain et
humaniste – sans les opposer, et qui tempère son cosmopolitisme par l’enracinement et son
attachement au territoire par l’autodérision. Des révolutionnaires démocrates qui somment
la « société civile » de prendre le relais. Une révolte qui parle d’« indéfinition » quand on la
pousse à se définir, qui affiche ses doutes en guise de vérités. Un groupuscule pionnier de
l’altermondialisme qui, dès 1996, invite le monde entier à la « première rencontre
intergalactique pour l’humanité et contre le néolibéralisme ». »112
(Bernard Duterme)
Il est évident que cette multitude de facette contribue indéniablement à donner aux
zapatistes une originalité apparemment certaine.
111
Le BOT Y., « Chiapas : malaise dans la mondialisation », in Les Temps Modernes, N°607, 2000.
DUTERME Bernard, « Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas », in Le monde diplomatique, Paris, janvier
2004. p°14-15.
112
108
S’il est indubitable que le conflit a été internationalisé, il est tout aussi certain que
l’EZLN que depuis 2001 le mouvement est plus ou moins rentré dans sa « traversée du
désert ». Ainsi, de nombreuses voix se sont élevées pour relativiser l’originalité de
l’organisation zapatiste. Pour donner quelques pistes d’analyses, il faut par exemple soulever
le fait que les modes de consultation des « bases d’appui » zapatiste, décrits comme
participatifs et démocratiques par certains leaders rebelles ne sont pas vérifiés. Ainsi, il
semble que la plus importante faille des zapatistes soit que les hypothèses qui font la
renommée restent peu vérifiées et que par alors la lecture du mouvement demeure plus
subjectiviste qu’objectiviste
Suite à la "marche des zapatistes sur Mexico", en mars 2001, une réforme constitutionnelle
pour donner suite aux Accord de San Andrés vit le jour. La situation semblait réglée, et
l’EZLN revenait pacifiquement à la forêt. Mais il n’en était rien.
Au cours des deux dernières années le mouvement insurrectionnel s'est quelque peu éssoufflé.
En effet, l’EZLN semble avoir perdu l'initiative et se retrouver sur la défensive. Le courant de
symphatie qu'elle a suscité commence à se tarir. Les avancées du conflit paraissent minces, et
donnent à penser que le Chiapas restera plusieurs années encore une zone grise du globe ou
prévaut sur toute autre la loi de l'entropie. En effet, et en dépit de la démocratisation du jeu
politique mexicain, et des diverses avancées que l’on peut incomber aux zapatistes, les
données sur le terrain n'ont pas réellement changées.
109
TROISIEME PARTIE
LE CHIAPAS, ACTEUR ENRACINE DANS LE JEU POLITIQUE
NATIONAL ET DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: VERS
UN PANAORAMA DES HERITAGES DE L'ACTEUR ZAPATISTE
POUR LES FUTURS COMBATS A VENIR.
Lorsqu'un nouvel acteur s'inscrit dans la postérité...
110
Les parties précédentes de notre étude nous ont surtout servi à démontrer que l’EZLN
avait acquis une réelle capacité internationale. Ainsi, le mouvement avait su s’inscrire sur
l’agenda public nationale et international, comme nous le démontrions dans le chapitre
précédent. Ici, il sera donc question d’interroger la pérennité du mouvement.
Cette question des héritages de l’EZLN est relativement importante dans le sens que, comme
nous l’avons montré dans les chapitres précédents, l’EZLN a su s’imposer sur le plan national
et se propulser sur le plan international pour tenter de donner une solution viable au conflit du
Chiapas. Mais, si l’EZLN a su s’inscrire comme nouveau type d’acteur au sein des Relations
Internationales, la question de la permanence de l’organisation au sein de celles-ci est
révélatrice des failles qui peuvent venir gangrener la capacité de ce nouveau type d’acteurs.
En 2007, il semble que l’activité de l’EZLN soit en suspens, non pas parce que les buts visés
ont été atteints, mais bien parce que les données du terrain ont changé et que la capacité du
mouvement à intégrer ces mutations s’est faite moindre. Sans vouloir présenter les éléments
dans un quelconque ordre d’importance, il est indéniable que le mouvement a connu de
nombreux succès, toujours palpables dans la sphère nationale et internationale, mais il a aussi
connu de nombreuses failles internes.
111
CHAPITRE 1.
L’EZLN : DES METHODES D'ACTION FECONDES?
Au vu de l’évolution des zapatistes, tant dans leur discours que dans leurs actes, il est
certain que désormais le mouvement n’a plus rien à voir avec celui qui était né en 1994. Cet
état de fait s’explique donc tant par l’évolution du contexte politico-économico-social du
début du 21ème siècle, que par les positions qu’ont du adopté les gouvernements et le
mouvement pour tenter d’aboutir à la pacification des tensions et à la production d’accord
féconds. Du point de vue de l'architecture de l'organisation politique du pays et de la région,
ce travail a participé à mettre en place une gouvernance plus effective. Dès les années 2000 en
effet, le Mexique connaissait la fin d’une ère politique et l’avènement d’une nouvelle :
l’EZLN n’était en rien étranger à ces avancées. Cependant, et malgré cette approche par le
haut qui tendrait à donner à présenter l’entreprise de l’EZLN comme un succès total, la « loi
indigène » de 2001 est venu ternir le tableau, et l’attitude des zapatistes face aux
« provocations » du gouvernement a quelque peu remis en question la capacité de ces derniers
à privilégier le dialogue par-dessus tout. Désormais, les « caracoles » qui ont vu le jour,
contre les indications du gouvernement notamment, sont le signe emblématique de la volonté
zapatiste d’arriver à leurs fins par tous les moyens.
Section 1.La transformation politique et la coopération : les résultats de dix ans de
rébellion zapatiste au Chiapas.
Comme nous l’avons ébauché dans les chapitres antérieurs, le soulèvement des
zapatistes va laisser un legs majeur au système politique national et régional : le catalyseur
chiapanèque a contribué formidablement a accélérer la démocratisation du pays et a favoriser
l’avènement d’un nouveau type de pouvoir, davantage basé sur des méthodes nouvelles de
gouvernance et d’exercice du politique que sur une gestion du pays fondée sur l’archaïsme et
l’autoritarisme tel que cela fut le cas pendant l’ère PRIiste désormais révolue. Alors que nous
avons commencé à aborder avant l’ampleur de la démocratisation dans le pays, nous allons ici
nous intéresser à analyser quels sont les défis majeurs que les zapatistes ont ouverts quant à la
possibilité de succès de la nouvelle ère de gestion politique au Mexique.
112
A. Les effets contrastés des stratégies de l’EZLN sur la vie politique chiapanèque
Au niveau local tout d’abord, quel sont en effet les défis que la démocratisation
chiapanèque suppose à l'aube du nouveau millénaire? Les résultat des votes de 2OOO nous
serviront à nous éclairer quant à ces point. En effet, les élections du Chiapas furent à cette
date les plus disputées de l’histoire de cet État. Le candidat de l'opposition, Pablo Salazar
Mendiguchia, est élu gouverneur du Chiapas. Le fait remarquable de ces élections fut la
construction d’une ample coalition qui vu le jour et qui dès lors favorisa la récupération de la
participation électorale dans la région. Ainsi, lors de ces élections, la population vota en
faveur de la paix, et favorisa alors la mise en place d’un gouvernement de transition beaucoup
plus pluriel, démocratique et légitime que les gouvernements précédents. Dès lors donc, de
nouveaux espaces de dialogue et de négociation était ouverts, et la configuration politique
d’alors permettait d’envisager une meilleur intégration des secteurs sociaux autrefois exclus
de la vie institutionnelle. Ainsi, le dialogue ouvert par les zapatistes avait donc amené à
garantir de façon plus certaine la gouvernabilité de la région. Il est sûr en effet, que lorsque
les zapatistes prirent les armes en 1994, le Mexique expérimentait à peine ses premières
alternances électorales, et que la gouvernabilité, quant elle était obtenue, l’était davantage par
la force et les transactions politiques douteuses que par un véritable accord viable sur le long
terme. Aujourd'hui le système institutionnel s'est transformé, et l’ouverture à un jeu politique
plus représentatif et démocratique tend à rendre plus difficiles et inefficientes les pratiques
anciennes. Alors, s’il est sûr que la rébellion zapatiste a contribué à l'essor de la
démocratisation chiapanèque, il faut aussi bien lui reconnaître le mérite d’avoir, grâce à la
dynamique qu’elle a lancé, d’avoir favorisé la gouvernance dans cet état conflictuel du
Chiapas. Ainsi, et sans s’attacher au fait que la redynamisation de la vie chiapanèque résulte
de la dynamique lancée par l’EZLN, le mouvement a indéniablement permis de créer une
synergie et de d’ouvrir le dialogue à d'autres acteurs, issus du champ politique notamment, et
de l’opposition plus précisément, ce qui permettait au final de mettre sur pied une alternance
politique féconde et de favorisé le débat et la discussion en vu de donner réellement naissance
à une gouvernance effective et potentiellement efficace.
Mais la stratégie d’action des zapatistes n’aura pas été sans avoir des contre-effets. Les
éléments de l’histoire électorale du pays montrent entre autre, que la volonté d’une
gouvernance réelle au Chiapas était en gestation depuis quelques temps déjà, et correspondait
à l’idée des zapatistes de construire une démocratie réelle au Mexique. En effet, lorsque
Zedillo déclenche la contre initiative en novembre 1997, et met fin à la possibilité de
113
poursuivre les négociations, les zapatistes ne trouvent d’autres moyens de protester qu’en
brûlant des urnes, comme pour s’attaquer au symbole emblématique de l’absence de
légitimation d’un pouvoir qui, selon leur vision, ne résidait pas en la démocratie mais
davantage en la corruption. Cependant, et paradoxalement, cette action a affaibli à nouveau
les partis d'opposition et contribue à augmenter le fort taux d'abstention. Dans leur tentative
d’impulser la gouvernance dans l’Etat du Chiapas, il semble que les zapatistes se soient
d’abord heurter, de par leurs propres méthodes de questionnement du système politique en
place, à affaiblir la dynamique nécessaire au renouvellement de la vie politique au Chiapas
notamment. Dès lors, le rétrécissement des espaces institutionnels qui en découle, conduit à
faire entrer le conflit dans une phase de pourrissement, de retrait des négociations, de violence
politique, et de guerre civile larvée. Les conflits sociaux qui ressurgissent alors dans ce
contexte vont maintenir l'Etat dans une situation d'ingouvernabilité constante.
B. L’amélioration visible du climat politique : la gouvernance politique du Mexique
Le conflit armé qui a commencé au Chiapas en 1994, a très rapidement induit une
polarisation à outrance des opinions publiques et politiques, et ce phénomène a vite abouti à la
fermeture des espaces politiques institutionnels au niveau national. Lorsque les zapatistes
décident de couper le dialogue avec le gouvernement, à la suite des accords de San Andrés, ils
se coupent de la même façon d’une partie de l’audience nationale qu’ils avaient. Mais en ce
sens, comment prétendre alors renforcer la gouvernabilité démocratique et le développement
humain au Mexique, alors que les négociations ne pouvaient désormais plus aboutir ?
Ce que les zapatistes ont entrepris de mener, depuis le début des hostilités, reste être sans
aucun doute la tenue d’un véritable dialogue social. Cette perspective mise ne œuvre par les
zapatiste devait répondre à des enjeux inattendus. En effet, comme le souligne le PNUD, « la
frustration croissante due au manque d’opportunité et aux hauts niveaux d’inégalité, de
pauvreté, et d’exclusion sociale, s’exprime dans la perte de confiance dans le système
politique, et dans des actions radicalisées »113. L’analyse de la situation au Mexique montre
dans quelle mesure cette affirmation a pu se vérifier, depuis 1994 tout au moins, avec entre
autre l’apparition de l’EZLN sur la scène publique. Les zapatistes visaient non seulement à
accélérer la création d’un « agenda de réforme pour renforcer le développement de la
démocratie, l’efficience, la transparence, et l’équité dans les institutions publiques »114, mais
113
Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D), Etat de la démocratie en Amérique latine,
vers une démocratie de citoyennes et de citoyens, Madrid, Mundi-Prensa, 2004
114
Ibidem
114
aussi la mise en place dans des délais satisfaisant d’une véritable « démocratie de citoyens »115
, qui cette dernière devait se substituer à la démocratie électorale (faussement) généralisée
dans le pays.
Si selon les zapatistes, et comme le soutien le Rapport sur le Développement Humain
de 2002116 qui affirme que « la démocratie n’est pas seulement une valeur en soi même, mais
un moyen nécessaire pour le développement », le mouvement aura à de multiples occasions
tenté de favorisé l’avènement d’une véritable démocratie, si l’on conçoit bien entendu la
démocratie comme étant « le cadre propice pour ouvrir des espaces de participation politique
et sociale, en particulier pour ceux qui souffrent le plus : les pauvres et les minorités ethniques
et culturelles »117. En tentant d’intégrer la lutte des indigènes oubliés dans celle de la
démocratie falsifiée telle que le PRI la pratiquée, l’EZLN a dès lors servi à mettre en lumière
au Mexique la véritable dimension de ce qu’est la démocratie et à souligner le fait que pour
mettre sur pied un tel système il faudrait s’attaquer aux deux principaux mots qui gangrènent
le potentiel de la démocratie au Mexique, à savoir : la pauvreté et l’inégalité, qui sont toutes
deux particulièrement liées au monde indigène dans ce pays.
Pour ce faire, et parvenir à l’avènement rapide de cette véritable démocratie, les zapatistes ont
dès lors pointé l’urgence de la mise en œuvre d’une politique génératrice de pouvoir
démocratique et dont l’objectif soit la citoyenneté intégrale. Les indiens nécessitait la « pleine
reconnaissance de la citoyenneté politique, civile et sociale »116, et les zapatistes dénonçaient
alors le fait que cette citoyenneté ne se réduisait pas qu’aux élections et que la citoyenneté
sociale, celle qui a trait à l’inégalité et à la pauvreté, devait être au fondement de la nouvelle
démocratie à naître, pour peu bien entendu que l’on veuille que celle-ci soit stable et viable à
long terme.
Mais, et comme le souligne le PNUD, la démocratie est surtout basée sur la perception
que les individus qui y sont assujettis s’en font. Ainsi, si « 54,7% des latino-américains
seraient prêts à accepter un gouvernement autoritaire si celui-ci résolvait la situation
économique », cette donnée tend à dévoiler les limites de la volonté motivée de mettre sur
pied cette démocratie : en effet, si « la démocratie est une immense expérience humaine », ce
n’est pas pour autant qu’elle n’est pas « liée à la recherche historique de liberté, de justice et
de progrès matériel et spirituel ». De la sorte, c’est seulement avec une meilleure démocratie
que les sociétés latino-américaines pourront être plus égalitaires et développées. Mais pour le
115
116
Ibidem
Ibidem
115
moment, et les chiffres donnés par le PNUD en la matière peuvent interpeller, la majorité des
latino-américains restent sceptiques face à l’effectivité de la démocratie sur le continent :
64,7% pensent que « les gouvernements ne respectent pas leur promesses électorales parce
qu’elles ne sont que mensonges pour gagner les élections »117. Pendant les deux dernières
décennies l’Etat s’est terriblement affaibli et, dans certaines zones de nos pays, « il s’est
virtuellement évaporé »118
Comme le révèle le conflit chiapanèque, qui dure depuis désormais plus de treize ans, la
tension entre les pouvoirs institutionnels et les pouvoirs factices continue à être présente dans
la réalité latino américaine. De manière générale on peut dire que, sauf exceptions119, le
scepticisme envers les partis politique est très étendu, et la disposition à se lier à eux tend à
diminuer en Amérique Latine : les partis politiques traversent une forte crise de représentation
qui se canalise alors par d’autres voies. C’est donc dans ce contexte que la lutte menée par les
zapatistes aura permis de renouveler le débat sur la démocratie en Amérique latine et au
Mexique en particulier, et aura permis d’esquisser certaines issues, de donner certains
éléments nouveaux à prendre en considération dans la construction d’une démocratie viable et
effective. De plus, il est certain que le processus de gouvernance qui émerge au Chiapas, et
qui a montré ses réussites quant à la gouvernabilité de l’Etat, ne s’est pas amorcé, et ne se fait
toujours pas aujourd’hui, sans difficultés. Entre autre, il est certain que la difficulté de mettre
sur pied la « loi indigène » votée à la suite de la marche sur Mexico de 2001 ne fait que
remettre en question la capacité et la réussite des zapatistes à aider à créer un véritable
système de démocratie et d’en faciliter la gouvernabilité.
Section 2. L’émergence d’une « loi indigène »
Comme nous l’avons annoncé en fin de chapitre 2, la reprise des dialogues entre les
zapatistes et le gouvernement a en effet débouché en 2001 sur l’approbation par le Congrès
national d’une « loi sur les droits et cultures indigènes », et ce, afin de résoudre le problème
des « indiens ».
A. La promulgation de la « loi indigène » de mars 2001 : …
Le 11 mars 2001 est marqué par l'adoption par le Parlement du projet de « loi sur les
droits et la culture des Indiens », rédigé par une commission mixte à partir des accords signés
117
Ibidem, p°51.
Ibidem, p°65.
119
Parmi lesquelles nous pouvons citer ici par exemple l’Uruguay et le Honduras.
118
116
en février 1996 à San Andrés. En substance cette loi prévoyait d’une part de créer les
conditions pour renouer le dialogue avec le gouvernement, et d’autre part de préparer la
reconversion des rebelles et leur intégration dans la vie politique mexicaine. Dès lors, la
volonté du nouveau gouvernement dirigé par Vicente Fox était claire : mettre fin au
« problème du Chiapas » et aux tensions que provoque le discours de l’EZLN à la théorie du
nationalisme intégrateur que favoriserait le métissage à la mexicaine.
Si le texte de loi approuve la « composition pluriculturelle » de l’Etat, il se garde pourtant
bien de faire une référence explicite à la « composition pluriethnique » de l’Etat. En optant
pour cette formule, le Congrès choisit par conséquent de consacrer le caractère culturel et non
pas ethnique des indiens. La volonté des législateurs est claire : l’être mexicain continuera
d’être ancré dans le « nationalisme intégrateur » et le « métissage culturel ». C’est en partie ce
que confirme la dénomination « multiculturelle » que met en valeur cette loi.
Pour clarifier davantage le cadre de manœuvre que permet la loi, le Congrès spécifie
que « le droit des peuples indigènes à la libre détermination s’exercera dans le cadre
constitutionnel d’autonomie qui assure l’unité nationale »120. Si les premiers chapitres de la loi
l’amènent à être perçue comme permissive, très rapidement le texte de loi se referme : « cette
reconnaissance indigène devra se retrouver dans les constitutions et les lois des entités
fédératives ». Ce dernier élément vient donc compliquer par avance l’équation, car il implique
notamment la prise en compte de critères ethnologiques et géographiques pour permettre cette
reconnaissance.
Cette loi permet donc non seulement de passer le « témoin » aux États de la fédération et aux
municipalités, mais aussi de sacraliser le fait que le principe de reconnaissance du droit
« indiens » doit être sanctionné par des autorités non indigènes. Le problème majeur réside
donc dans le fait que la loi devra être édictée en conformité avec la Constitution mexicaine et
avec l’accord des autorités des États respectifs de la Fédération et des municipalités.
La loi établit aussi que la Chambre nationale des Députés, les législatures des entités
fédératives, et les mairies, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent « établir les
partages spécifiques » -en vue d’accomplir les obligations- « dans les budgets qu’ils
approuvent annuellement ». Mais la réalité se trouve clairement distancée de la théorie: les
nouvelles obligations déclarées dans la « loi indigène » finissent par reposer une nouvelle fois
sur la loi de recettes et de dépenses de la Fédération. Ainsi, une fois de plus, la solution aux
120
Voir en annexe: “loi indigène de 2001”.Tout notre raisonnement sur la loi de 2001 se fonde sur le texte de loi
disponible en annexe.
117
conflits des « indiens » restera dans les mains des autorités fédérales et étatiques. Cette
logique laisse alors penser que les réactions clientélistes resteront encore davantage
surdéterminantes par rapport au jeu transparent entre les droits et les obligations que prévoit la
loi. Il est présumable alors que les indiens « collaborationnistes » recevront plus d’appuis –en
terme financier et en terme d’autonomie notamment- que ceux qui persisteront dans leur
position rebelle. En apparence donc, il s’agit d’une déclaration de bonne volonté qui se
trouverait certes un peu compliquée à exécuter. Mais la loi, qui défend clairement la thèse de
« l’unité de la nation », et refuse la possibilité d’établir un « État plurinational », connaît par
conséquent un succès indéniable sur le plan national.
Malgré les premières critiques qui se lèvent contre l’étau constitutionnel que représente cette
loi, les défenseurs de l’autonomie indigène ne voient pas eux d’un bon œil que l’on déclare
que les « peuples indiens » ont le droit à leur libre « détermination ». Pour eux la loi évite de
peu de préciser le terme d’ « autodétermination », ce qui ne lui permettrait qu’à peine de
protéger l’unité nationale. Pour faire face à cette critique, les législateurs se sont appliqués à
confirmer pourtant qu’une quelconque réclamation d’autodétermination sera interprétée
comme un mouvement subversif « anticonstitutionnel ». Cette volonté de sacraliser l’unité
nationale et d’empêcher à tout prix que la loi puisse amener les communautés indigènes à
clamer leur autodétermination, ces communautés sont qualifiées dans la nouvelle loi comme
« entité d’intérêt public », comme pour garantir le faible cadre de « détermination » qui leur
ait attribué. De la sorte, cette loi déclenche des tensions certaines dans sa mise en pratique. De
plus, et si désormais la tension a été déplacée de la responsabilité de la Fédération à celle des
États et des municipalités, la capacité de décision reste toujours indirectement contrôlée par le
Congrès National.
B. … entre changement et continuité de l’attitude ambiguë du gouvernement
Le fonctionnement de la « loi indigène » tel que nous l’avons expliqué ci-dessus,
révèle donc à quel point la marge de manœuvre pour les communautés indigène est réduite,
notamment en vu de ne pas remettre en cause l’essence de l’être mexicain. En outre donc,
cette loi ne respecte pas les demandes de l’EZLN émises depuis 1994, et va changer
sensiblement les revendications de l’organisation zapatiste.
118
Désormais donc, c’est un nouveau scénario qui prend place : bien que certaines communautés
indigènes acceptent le nouveau cadre constitutionnel –en considérant notamment qu’il leur
permettra de bénéficier et de dépasser les situations de retard et de marginalisation- cette
résignation ne va pas être globale. En effet, lors du Congrès National Indigène célébré à
Nurio, dans l’Etat de Michoacán, le 4 mars 2001, les indigènes réunis rendent publique la
Déclaration pour la reconnaissance constitutionnelle des droits collectifs des peuples
indigènes, qui revendique l’exigence pour les indigènes d’être considéré comme peuple à part
entière avec « les droits à la libre détermination exprimée dans l’autonomie et dans le cadre de
l’Etat121 ». L’autre option qui est soulignée lors du Congrès est que, en cas de refus
catégorique de l’Etat, les indigènes réunis seraient amenés à opérer dans l’inconstitutionnalité
et à être considérés comme des terroristes.
Dès lors, le mouvement indigène doit choisir entre la transformation de son identité,
telle que prévue par la « loi indigène », ou se convertir à la violence, et tout en admettant que
cette deuxième solution ne laissait que peu de possibilités d’être accepté et appuyé
internationalement, hypothèse notablement renforcée après les faits du terrorisme du 11
septembre 2001. Dans ce scénario de négociation apparemment ouvert, les zapatistes durent
donc confirmer leur position et donner des signaux clairs pour montrer s’ils s’engageaient à
rentrer dans le cadre de la loi et accepter les faibles avancées que celle-ci octroyait aux
indigènes, ou si au contraire ils préféraient se situer hors la loi, dans l’ « inconstitutionnalité »,
et être poursuivre par alors dans la voie de la révolte indigène.
Section 3. L’inconnue zapatiste : vers l’invention de nouvelles formes d’action pour
combattre l’ostracisme des indigènes ?
A. La création des « caracoles » en 2001 : dernière initiative en date de l’EZLN
Présentée comme une avancée sans précédent par le gouvernement mexicain, la loi est
pourtant loin de remplir les attentes qui été portées sur elle : il est indéniable que la loi
approuvée en mars 2001 dénaturait le projet rédigé en 1996 par la Cocopa lors des accords de
San Andrés. Pour les zapatistes cette loi n’était en définitive qu’une nouvelle insulte aux
réalités des indigènes : « une négation des populations autochtones en tant que sujets de
121
“Déclaration pour la reconnaissance constitutionnelle des droits collectifs des peuples indigènes”, consultable
sur le site de l'Unesco: http://portal.unesco.org.
119
droit »122. Dès lors donc, les zapatistes décidèrent de ne pas accepter le « cadeau
empoisonné » que leur offrait le gouvernement, et reprirent alors l’initiative des actes. En août
2003, la nouvelle initiative de l’EZLN pris forme avec la création de cinq « Caracoles »123,
dans les régions rebelles du Chiapas, en lieu et place des anciens Aguascalientes –où s’étaient
notamment déroulés les actes des deux rencontres intergalactiques.
Cette initiative se présentait alors comme un « nouveau pas dans l’affirmation de l’autonomie
zapatiste »124. Ces « caracoles » visaient à « à appliquer les accords de San Andrés dans les
territoires rebelles par la voie des faits », selon la volonté zapatiste. A la suite de cette
initiative une trentaine de communes, déjà autoproclamées « communes autonomes
zapatistes » depuis décembre 1994, accèderont à la création de leur gouvernement régional,
chargé entre autre de l’éducation, de la santé, de la justice et du développement. Ces
gouvernements régionaux, qui allaient prendre le nom de « conseils de bonne gouvernance »
été conçus pour être des « espaces de résistance et de dialogue » avec la société civile
notamment. Le but affiché par l’EZLN avec la création de ces « caracoles » était certes
d’atteindre la justice sociale, mais surtout de favoriser la « responsabilisation » du pouvoir.
Les « caracoles » zapatistes : idée et fonctionnement
Ces caracoles sont présentés par les zapatistes comme étant les ébauches de ce qu’ils
prévoient de construire à terme, à savoir : un réseau d'espaces autonomes au sein d'Etats
pluriethniques et souverains, et dans lequel le mot d’ordre est clairement défini par le slogan
« mandar obedeciendo » (commander en obéissant).
A partir d’août 2003, et s’inspirant de l’imaginaire collectif maya, les communautés
zapatistes ont concentré leurs efforts sur la reconstitution de leurs techniques anciennes de
résistance, construisant alors une autonomie à travers des zones baptisées « caracoles » (spirales) et
des conseils de bon gouvernement (juntas de buen gobierno), instances de coordination des
communes autonomes dans chaque zone. L’idée principale qui préfigure la construction de ces
espaces est que « le vent vienne d’en bas », et que l’impulsion doit donc venir des communautés et
non pas d’une équipe de supérieurs. N’acceptant ni l’argent ni les projets du gouvernement, ces
122
Déclaration de Gilberto Lopez y Rivas, ancien président de la Cocopa.
Nous nous référons ici aux lieux suivants: La Garrucha, Morelia, Oventic, La Realidad et Roberto Barrios.
124
DUTERME Bernard, « Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas, » in Le monde diplomatique, Paris, janvier
2004. p°14-15.
123
120
communautés définissent de façon critique leur temps contre celui de la marchandisation, et
affrontent le discours de la mondialisation grâce au souvenir et aux légendes indiennes.
Texte élaboré à partir de l’article de Bernard Duterme,
« Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas »,
in Le Monde diplomatique
Dès lors que les zapatistes décident de préférer la voie « inconstitutionnelle » à la voie
légale, le défi pour eux va être clairement de mieux maîtriser les relations externes des
communautés partisanes tant avec leurs interlocuteurs extérieurs -ONG, solidarité
internationale- qu’avec les indigènes non zapatistes. Il en va semble t’il de la survie du
mouvement : en effet, plus de dix ans après le début du conflit, les tensions inter ou intra
communautaire persistent, et même si les zapatistes bénéficient toujours de « bases d’appui »
certaines, la lassitude a gagné du terrain au sein de la population, chiapanèque notamment,
dont le quotidien n’a cessé de se détériorer depuis 1994.
B. Les zapatistes pris au piège : le « suicide » de l’isolement ?
Ce faisant, la loi ferme un cycle et ouvre une nouvelle phase dans le dialogue entre les
zapatistes et les autorités fédérales. Pour l’EZLN et les communautés il est indispensable de
marquer leur position. Mais le mouvement doit désormais affronté une situation qui peut
l’amener à sa perte : l’insurrection et l’adoption d’une position essentialiste de type indianiste,
qui a un coût politique élevé et qui peut amener à des positions fondamentalistes excluantes,
se situe en totale opposition avec le discours revendicatif incluant et pacifique que l’EZLN a
toujours cherché à mettre en valeur auparavant. Il est notamment certain que la situation
internationale a bien changé depuis les actes terroristes du 11 septembre 2001 : si l’EZLN
compte se convertir en référant international, étendard de la critique des conséquences
perverses du « néolibéralisme », elle va désormais être confronté à davantage de difficultés.
De manière plus essentielle, il est important de souligner que le problème relève tout autant de
l’attitude de l’EZLN que de celle des communautés indigènes. En effet, il s’agit de voir si les
communautés indigènes du Mexique, indépendamment de la position de l’EZLN, sont
disposées à se battre pour la reconnaissance d’une identité propre alternative, intégrée au sein
de la nation, ou si au contraire elles s’inclinent pour bénéficier des promesses déclarées dans
la nouvelle Constitution issue de l’approbation du projet de loi. Il faut cependant préciser à ce
121
point de la réflexion que dans tous ces textes l’EZLN reconnaît l’unité de la Nation pour se
donner les moyens d’appeler de façon plus commode à la pluralité culturelle et au droit à la
libre détermination, sans que ces revendications ne soient considérées comme sécessionnistes.
La pérennité du Mexique n’est pas en décision : c’est davantage le caractère « pluriculturel »
ou « plurinational » qui doit être débattu.
Mais pour le gouvernement, l’EZLN a de son côté un formidable potentiel qu’elle
pourrait s’ingénier à utiliser : en effet, conjugué aux effets de variabilité de l’économie et de
malaise social national, il s’agit pour le gouvernement de tempérer la situation et de tout faire
pour que la pauvreté, qui atteint les 50% de la population mexicaine, ne commence pas à se
teindre de valeurs indigènes. En effet, si la variable indigène était récupérée par les plus
miséreux, afin notamment de bénéficier des programmes d’appui qu’offre la nouvelle
constitution, les effets pour le gouvernements seraient catastrophiques. De la sorte, ce dernier
doit s’attacher à tout faire pour consolider la démocratie dans le pays, et accompagner celle-ci
des améliorations économiques qui y sont liées. Pour les pouvoirs publics il s’agit donc de
défendre la version selon laquelle le cadre institutionnel “remodelé” répond de plus en plus
aux exigences de la démocratie. Dans l’opinion publique, ils peuvent pou ce faire se justifier
en invoquant la “marche zapatiste” de mars 2001, qui démontrerait la réalité de ces propos, et
même si cette marche a surtout servi dans sa dimension hautement symbolique.
En effet, cet événement aura mis en scène la guérilla pauvrement armée, et qui, aspirant à
devenir une force politique, a laissé ses armes pour se lancer dans une vaste campagne de
promotion médiatique. Ainsi, si le gouvernement peut brandir sa volonté de négociation et
l’ouverture de l'espace politique institutionnel, l’EZLN en est aussi sortie gagnante de cette
marche: le gouvernement fédéral l'a appuyé, et la réception au Congrès a fait oublié qu’il
s’agissait d’une organisation clandestine qui avait déclaré la guerre au gouvernement. Face au
défi que pose l’attitude des zapatistes suite au refus de la « loi indigène », le gouvernement
devra non seulement faire preuve de volonté démocratique –et non plus de force- et de
consensus, mais aussi proposer une sortie digne et une possibilité effective de reconversion
politique et sociale pour les rebelles. Après cette longue période de résistance, l'EZLN devra
décider si elle veut persister comme organisation politico-militaire ou si elle veut se
transformer en une force politique démocratique. Cependant, il est certain que l’option à
prendre sera fortement influencée par les partisans du mouvement, qui lors des appels de 1995
et de 1999 ont clairement choisi de privilégier la deuxième option.
122
Pour autant, les zapatistes peuvent continuer de lutter comme un "groupe armé qui fait
de la politique"125. Cela reviendrait alors à se transformer en mouvement politique du jeu
démocratique, créateur de dynamiques fécondes. L’autre option serait de se replier sur leur
structure militaire de "lutte populaire prolongée". Mais dans ce cas l’EZLN serait hautement
mis en difficulté: le cadre institutionnel a cessé d'être le monopole d'un parti hégémonique et
c’est ouvert à la liberté d'expression, au pluralisme et aux formes civiles de participation
politique. Comment dans ce cas justifier que le mouvement reste campé dans ses positions?
Le processus de négociation entre le gouvernement et l’EZLN semble réellement enlisé. Si la
« loi indigène » était présentée comme la « dernière chance » pour résoudre ce conflit « vieux
de 500 ans », il est pourtant certain qu’elle n’a pas vraiment répondu aux revendications
portées par l’EZLN depuis 1994. Dès lors, se pose la question de l’attitude que l’EZLN et le
gouvernement vont adopter pour relancer le dialogue. Mais il est certain que les deux parti
pris au conflit bénéficient d’un contexte désormais très différent à celui de 1994. Ainsi, et
comme il est sûr que le gouvernement du Mexique des années 2000 n’a plus que peu de
choses à voir avec celui des années 1990, il est tout aussi certain que l’EZLN a suivi le même
bouleversement interne. Déjà très distincte d'autres mouvements indiens du continent, crispés
et repliés sur de mythiques identités, et des révolutionnaires latino-américains qui les ont
précédés, l’EZLN s’affirmait en 1990 comme un mouvement presque anachronique. Sa
capacité de dialogue, de négociation, et surtout, de transformation, lui auront permis maintes
fois de redorer une image qui, au bout de plus de dix ans de lutte, tendait parfois à s’être
détériorée. Pourtant, et malgré ce formidable potentiel interne, il est certain que l’EZLN
connaît depuis un certain nombre d’année déjà une dynamique qui doit l’amener à se
repositionner sur certains plans si elle veut survivre aux défis qu’elle doit surmonter.
125
Entrevue de Julio Scherer Garcia avec le sous-commandant Marcos, in Proceso, 11 mars 2001, p°13.
123
CHAPITRE 2.
L' « INTERNATIONALE ZAPATISTE »: L'ACTEUR ZAPATISTE
CONONISÉ A L'INTERNATIONAL.
L’attitude du mouvement, notamment quant à ses méthodes d’actions, a commencé à
remettre en cause la capacité du mouvement à défendre réellement les intérêts
des
populations qu’il revendiquait défendre. Ainsi, les résultats matériels pour les populations
chiapanèques notamment sont plus que faibles, et les désespérassions ont gagné du terrain.
Cependant, et si comme nous allons le voir il est certain que les zapatistes ont été marginalisé
de façon croissante sur le plan local et national, il est tout aussi surprenant que sur le plan
international ils aient laissés des legs importants. Cette dernière donnée notamment, tend à
appuyer notre démonstration et la logique de notre étude, en ce sens qu’elle dévoile
clairement le fait que bien que l’EZLN soit un mouvement tout d’abord national et local, tant
ses méthodes et ses modes d’action que ses héritages, tendent à imposer l’imposer comme
nouvel acteur des relations internationales. Cet élément entérine donc le fait que l’EZLN
préfigure les combats internationaux du XXIè siècle, et donc qu’il a su s’imposer comme
nouvel acteur des relation internationales.
Section 1. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau local et régional
A. Le contrecoup du soulèvement zapatiste sur la région.
L’impact contradictoire du soulèvement dans la région chiapanèque a été notamment
souligné par Willibald Sonnleitner126. Afin d’étudier la transition politique au Chiapas et de
dresser par alors un panorama qualitatif de la démocratisation du Chiapas, cet auteur s’est
efforcer à mettre en oeuvre une méthode mixte et complète, recoupant les deux éléments
suivant: d’une part l “étude des tendances électorales au Chiapas”, ce qui permet d'
“appréhender le rapport des forces politiques régionales, municipales et locales, et qui
renseigne également sur l'implantation effective et les stratégies des divers acteurs collectifs”,
et d’autre part un travail d’ “interprétation sociologique et anthropologique des changements
politiques” dans la région. Il faut bien entendu préciser qu’il est indispensable pour ce faire de
replacer la transition démocratique du Chiapas dans son contexte historique: les macro126
SONNLEITNER Willibald, « Chiapas: de rébellion armée à l’alternance politique », in Problèmes
d’Amérique latine numéro 41, La Documentation française, avril-juin 2001.
124
changements au Mexique ont fait passer le pays d’un système de parti unique à un jeu
politique plus ouvert, pluriel et compétitif.
En ce qui concerne le travail de Sonnleitner, et en ce qui nous intéresse quant à notre
démonstration, l’auteur souligne les “conséquences néfastes” de l’action de l’EZLN sur le
processus de démocratisation au Chiapas. Les positions que l’EZLN a successivement fait
adopter aux populations qui soutenaient le mouvement, allant par exemple d’un soutien
inconditionnel au PRD en 1994 à une attitude plus qu’attentiste qui se manifesta par le soutien
en faveur d’aucun candidat aux élections suivantes, ont certainement déboussolé les électeurs.
De fait, les données révèlent les logiques et les contradictions de cette stratégie pour laquelle
l'EZLN a opté: si le mouvement a favorisé l'ouverture démocratique dans le Chiapas et dans le
pays, il est certain qu’à partir de 1995 le conflit a freiné la démocratisation électorale
chiapanèque. De la sorte, et si “le Mexique est entré dans une nouvelle ère politique”, la
situation du Chiapas reste pour le moment en-deça des espérances originelles sur ce point.
Désormais donc, le Mexique est entré dans un nouveau contexte politique. Il est
indéniable que le contexte national est dorénavant clairement favorable à la consolidation des
conquêtes démocratiques. La fin du régime postrévolutionnaire, dominé par un seul part, a
donné naissance au niveau national a un Congrès dont la composition est désormais
particulièrement plurielle. Pourtant, au Chiapas la situation reste plus problématique: la
division de l'opposition favoriserait l'ancien parti au pouvoir. De plus, l’intransigeance du PRI
dans la région met fortement à l'épreuve la gouvernabilité de l'Etat. En outre, il est sûr que
l’état des autres partis présents dans la région n’aide pas à favoriser la diffusion de la
dynamique nationale dans la région. En effet, les autres partis ne sont pas forcément à la
hauteur: c’est surtout le cas pour le PRD, principale force d'opposition au PRI dans la région,
qui connaît une crise profonde. La Chiapas est donc dans une situation plus délicate que le
reste du pays. La région est confrontée à un double défi: contenir les ambitions dévorantes du
PRI, et restaurer la capacité des parti d’opposition au pouvoir. Il est certain notamment que la
tâche est particulièrement ardue, surtout parce qu’il s’agit de gouverner un Etat
particulièrement hétérogène, tout en y proposant un projet de développement cohérent et en
créant des conditions favorables à la résolution d'un conflit armé qui a eu un coût social élève.
Enfin, dans l’aile la plus radicale du mouvement zapatiste, il est certain que la
« mascarade » démocratique actuelle, qui a trouvé son climax lors du vote des « lois
indigènes » de 2001, marque le désaveu de la part du gouvernement. Face à cette logique,
125
certains auteurs, à l’instar notamment d’Yvon le Bot, fervent partisan de la cause zapatiste, il
faudrait craindre de l’EZLN « la possibilité d’une régression, d’un retour à l’idéologie et aux
pratiques révolutionnaires anciennes »127 tant les chances de trouver des issues au conflit sont
en train de s’amenuiser. S’il n’est pas question ici de porter un jugement normatif sur cette
attitude, il est pourtant certain que les voies de négociation et de dialogue n’auraient alors plus
lieu d’être dans ce cas.
B. L’EZLN face à l’ambition des partis politiques : les effets contradictoires des actions des
zapatistes.
Les élections locales du 7 octobre 2001, et qui se sont donc déroulées après la Marche
zapatiste sur Mexico, ont esquissé la possibilité d’une nouvelle donne au Chiapas. Les partis
d’opposition ont pu réellement affronter le PRI dans des conditions compétitives. De la sorte,
ils ont du laisser de coté leurs divergences: même si les élections se sont soldées par l’échec
de l’opposition, les partis semblent avoir compris que tant qu’ils ne parviendront pas à
consolider leurs structures, l'ancien parti hégémonique continuera à bénéficier de sa longue
expérience électorale et de sa forte présence dans tout l'Etat, et donc a monopoliser les rênes
du pouvoir au Chiapas. Les résultats électoraux du Chiapas, que l’on s’intéresse aux élections
locales, municipales ou régionales, montrent que le PRI est encore le parti le plus puissant au
Chiapas. Malgré cela, il apparaît aussi que celui-ci a perdu la plupart de ses privilèges
politiques et que dans l’avenir il devra être performant pour se donner les moyens de faire
face à une concurrence politique qui met tout en œuvre pour réussir ses ambitions.
Ainsi, et s’il est certain que ce “conflictuel” Etat du sud-est fait parti intégrante du
processus qui a transformé la vie politique mexicaine au long des années 1990, deux bilans
sont a tirer de cette situation:
Premièrement, l’attitude de l’EZLN vis-à-vis des partis d’opposition n’a pas réellement
permis de transfuser la dynamique nationale qu’elle avait sur créer de l’Etat national à la
région du Chiapas. Son attitude vis-à-vis des élections dans la région, à quelque échelon que
ce soit, et vis-à-vis des partis d’opposition, à commencer par le PRD surtout, s’est révélée
contre-productive sur ce point.
Ensuite, dans le contexte de forte compétitivité électorale et politique qui a pris place depuis
la fin du règne du PRI et le retour à la “normalisation démocratique”, l'attitude de l'EZLN
vis-à-vis des prochaines élections va peser considérablement en terme symbolique plus que
numérique. C’est par les options qu’elle va décider de soutenir qu’elle va pouvoir donner des
127
Le Bot Y., Le rêve zapatiste, Paris, Seuil, 1997, p° 72.
126
signaux forts quant à sa volonté de relancer la démocratisation dans la région, et donc de
prouver aux observateurs la réalité de ses “dires” démocratiques.
Les changements que nous venons donc d’analyser tendent à montrer que l'EZLN n'a pas été
l'unique acteur de cette transition démocratique mexicaine. Les partis ont commencé à
canaliser la croissante diversité sociale, économique, religieuse et culturelle vers des voies
plus institutionnelles. Les suffrages qui ont eu lieu depuis le début des années 2000, ont tous
tendu à montrer à quel point le système politique a changé et à quel point les partis politiques
doivent désormais y jouer un rôle majeur, dans le but notamment d’asseoir cette transition.
Il faut préciser enfin que les conflits inter ou intra-communautaires persistent au
Chiapas et que ces tensions semblent avoir un impact sur les "bases d'appui" des zapatistes
dans la région surtout, et dans le pays plus généralement. Ainsi, la lassitude des populations
dont la quotidien s'est détérioré depuis 1994 semble donner des signaux de l’essoufflement du
mouvement au niveau régional, ce qui tend à questionner la capacité des zapatistes quant à
leur aptitude a désormais pouvoir influencer le changement politique régional.
Ainsi, le processus dynamique de reconsidération des structures politiques au Mexique, et
l’orientation démocratique que ces derniers ont favorisés depuis l’émergence du mouvement
en 1994, semble avoir atteint ici leurs limites. La capacité de l’EZLN dans la région ne
semble plus suffisamment forte pour pouvoir influencer en profondeur les rythmes du
changement démocratique au Chiapas. Dorénavant, la situation dans la région semble
indiquer qu’il serait plus efficace, plus prudent et plus productif de laisser aux partis
politiques, qui ont engagé un processus de renforcement de leur structure, les rênes de la
transition démocratique chiapanèque.
Somme toute donc, il est certain que la marginalisation de l’EZLN au niveau local
s’est faite autant à cause des échecs de la politique de transition menée par l’EZLN au niveau
de la région, que par la concurrence des partis et par les conflits inter ou intra communautaires
qui tendaient à remettre chaque fois davantage en question l'aptitude de l'EZLN à gérer
maintenant les avancées de la transition qu'elle avait elle même déclenché.
127
Section 2. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau national
A. Des signes de fléchissement de l’intérêt de l’opinion
Comme nous l’avons précisé lorsque nous avons évoqué les « lois indigènes » de
2001, ces dernières, bien qu’elle ne répondirent pas aux attentes que les zapatistes plaçaient
en elles, sont passé pour être des « preuves » de la volonté du nouveau pouvoir politique de
rendre concrète la volonté de démocratisation politique et d’amélioration des conditions des
indigènes, et par la même occasion de donner une sortie « digne » au conflit chiapanèque.
L’adoption par les autorités de cette loi indigène « paternaliste », a surtout souligné aux yeux
de l’opinion publique l’action volontariste de la part du pouvoir, et a sans nul doute provoqué
la « marginalisation de l’acteur zapatiste128 » sur la scène nationale.
La sympathie flottante des zapatistes dans l’opinion publique nationale est désormais réelle.
La tentation de soutenir activement la « parole des sans-visage » se fait chaque jour moins
forte. Comme le précise Bernard Duterme129, la radicalité démocratique des rebelles « séduit
plus qu’elle n’engage ». Les multiples tentatives d’articulation avec la société, qu’elles soient
nationales, sociales, partisanes ou organisationnelles, mise en œuvre par les zapatistes afin de
restaurer leur prestige, ne leur a pas permis de parvenir à ces fins : « leur atterrissage sur la
scène politique nationale a fini par capoter »130 notifie Duterme.
La raison principale de cet échec réside sans doute dans la difficulté d’inscrire un
mouvement contestataire au sein de la sphère publique d’un pays moteur de la mondialisation
néolibérale. Le projet zapatiste est un projet exigeant des renouvellements de la culture
politique, mais qui doit dépasser le fait que les contours de cette culture politique sont
volontairement non arrêtés. Entre-temps, et l’approfondissement de l’ALENA et des
problématiques afférentes (telle que celle de l’effusion de migrants mexicains vers les ÉtatsUnis), ont réorienté les priorités du gouvernement (sous la pression du voisin du Nord
notamment), et « le problème Chiapas », déjà en perte de vitesse, est « sorti des priorités de
l’agenda national »131.
128
DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”,
in Mouvements numéro 45-46, mai-juin-juillet-août 2006.
129
idem
130
idem
131
idem
128
B. L’amélioration du climat national
Malgré tout, les zapatistes ont légué au pouvoir politique la volonté de mener un
dialogue régulier entre l’Europe et l’Amérique latine, et ce notamment pour sortir du joug
hégémonique des États-Unis sous lequel demeure le territoire national. Les accords de libreéchange signés entre l’Union Européenne et le Mexique en 2000 sont notamment le fruit de
cette prise de conscience. Nouveauté donc, fortement reprise du débat avec les zapatistes, les
négociations se sont accompagnés d’un volet visant à certes à élargir les échanges
économiques, mais aussi à instaurer un dialogue politique. Divers programmes européens132,
qui intègrent souvent divers pays latino-américains, ont d’ailleurs été mis sur pied en ce sens.
Un autre élément qui dévoile l’influence et la fécondité du débat zapatiste sur le pouvoir
national mexicain, reste être la tenue à Guadalajara en 2004 du troisième « Sommet des chefs
d’Etat d’Europe et d’Amérique latine et des Caraïbes », et qui a eu le mérite d'insister sur
l’importance à accorder aux échanges entre les deux régions en matière politique, sociale et
culturelle. Si les zapatistes ont depuis toujours dénoncé l’hégémonie américaine sur le
continent, et critiqué le manque de réaction de gouvernement latino-américains soumis à
Washington, il est certain qu’ils voient d’un très bon œil que l’échéance fixée par les ÉtatsUnis à 2005 pour la création du grand marché continental –la ZLEA- n’ait pu être respectée.
En outre, il est tout aussi certain que la « virée à gauche » qu’a connue le sous-continent au
cours des dernières années, et qui va pleinement dans l’orientation que les zapatistes ont
donné dès 1994, explique grandement cette remise en question.
Section 3 La béatification de l’acteur zapatiste au niveau international
A. Des zapatistes aux Nouveaux Mouvements Sociaux : même jeu, même combat
Sur la scène internationale, le mouvement zapatiste a là encore été marginalisé. La
« guerre entre l’hyperpuissance américaine et le terrorisme islamiste », ou encore la « montée
des communautarismes »133, ont renouvelé les thématiques internationales, et ont relégué le
Chiapas au rang de fait divers. Tout comme cela s’est passé au niveau national, il semble que
le Chiapas soit aussi sorti des priorités de l’agenda international. Ainsi, et comme ce fut le cas
pour le traitement médiatique du mouvement antinucléaire des années 1970 et 1980 par
exemple, le Chiapas est en perte de vitesse sur la scène internationale. Il est monnaie courante
132
Pour ne donner que quelques exemples de ces programmes nous pouvons citer les suivants: Alfa, Alban,
Eurol, @lys, Alinvest, Urbal.
133
Le BOT Y., « Le zapatisme, première insurection contre la mondialisation néolibérale », in WIEVIORKA M.
(dir.), Un autre monde, Paris, Balland, 2003
129
au niveau international que des thématiques soient éclipsés aussi vite qu’elles n’y soit
parvenu, et selon Duterme le Chiapas a lui aussi obéit à la logique « investissement- illusion ;
désillusion- désinvestissement »134.
B. La continuation et la pérennisation du combat des zapatistes : « changer le monde sans
prendre le pouvoir ».
Désormais, sur la scène internationale, le zapatisme repose essentiellement sur ce
qu’en font les observateurs et les « zapatisans » d’Europe et d’Amérique du Nord, d’une part,
et sur les « sorties » intermittentes du porte-parole Marcos, de l’autre.
Dans l’agenda des premiers, la dynamique altermondialiste des forums sociaux
mondiaux a quelque peu bousculé la destination Chiapas. Il est évident que les débats
militants et théoriques qui portaient sur le zapatisme renvoient désormais à ceux qui
interrogent le mouvement altermondialiste. Les questions sont identiques, mais sont
dorénavant traitées au niveau international et livrées telles quelles au Chiapas. Il est certain
pourtant que la « nouvelle pensée critique » qui émerge au niveau international, et qui anime
les débats contemporains sur l’identité, le respect des différences, l’égalité formelle, etc.,
trouve notamment ses origines dans le conflit du Chiapas et les thématiques que les insurgés
ont su mettre en avant. C’est principalement pour son rôle de précurseur dans ce domaine,
que les zapatistes bénéficient d’une reconnaissance mondiale.
Si les zapatistes ont été taxés par certains détracteurs, à l’instar de Pedro Pitarch 135, de
« reprendre le langage du mouvement anti-globalisation » tout en lui donnant une coloration
indigène, il est indéniable que cela perception est plus qu’incertaine. Cette affirmation réside
clairement en un « brouillage chronologique », selon les mots de Jérôme Baschet136. En effet,
lorsqu’en 1996 l’EZLN invite à la première rencontre intercontinentale, le « mouvement antiglobalisation » n’existait pas encore. A la suite de l’EZLN prendront lieu la réunion de
l’OMC à Seattle en novembre 1999, et le Forum social de Porto Alegre en janvier 2001. C’est
à ces occasions surtout que le mouvement altermondialiste est lancé, sur la base des questions
posées par les zapatistes notamment.
134
DUTERME Bernard, « Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste »,
in Mouvements numéro 45-46, p° 116
135
PITARCH Pedro, “Ventriloquie confuse”, in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation
française, Eté/Automne 2006.
136
BASCHET Jérôme, “Les zapatistes : “ ventriloquie indienne ” ou interactions créatives ?”, in Problèmes
d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006.
130
En ce sens, il est indéniable que l’EZLN a eu une longueur d’avance sur le mouvement
altermondialiste. L’EZLN « ne plagie pas mais innove », comme le fait remarquer Jérôme
Baschet. Lorsqu’il pose les questions de l’unité dans la diversité, des particularismes dans les
universalismes, l’EZLN fait preuve d’une véritable capacité de questionnement sur la société
contemporaine et sur les dynamiques actuelles. Dans la société de l’après-guerre froide, où les
consciences sont gagnées par le pragmatisme et le déclin des idéologies, les zapatistes ont su
donner à penser aux populations du monde entier. Au niveau international notamment, les
zapatistes auront eu un rôle d’anticipation des revendications à venir. Lorsqu’ils dénoncent le
capitalisme globalisé comme cause des inégalités sociales et des souffrances des populations,
les zapatistes, à leur manière, tendent à redynamiser un débat devenu stérile du fait de
l’hégémonie d’une valeur, d’une conception du monde et d’un ordre sur le reste du monde.
Insoumis, les zapatistes ont contribué à lancer un mouvement qui prétend repenser les
données acceptées sans être interrogées jusqu’alors. Les mouvements altermondialistes qui
ont fleuri depuis lors137, ne cesse d’être redevable à l’EZLN et aux questionnements que
l’organisation a ambitionné de soulever, sur la scène publique internationale, dès 1994.
137
Et qui recoupe des positions aussi variées que celles prises par exemple par: Attac, FSM, Amnesty
international, Max Havellar, Via Campesina, etc.
131
CHAPITRE 3.
VERS UN APERCU DU TRIPLE DEFI A RELEVER PAR L'EZLN A L'AUBE
DU NOUVEAU MILLENAIRE.
A l'aube du nouveau millénaire, et même s’il préfigure le renouvellement de la
configuration des acteurs internationaux, l’EZLN doit faire face à de nombreux défis.
La campagne électorale de 2006 au Mexique a clairement révélé cette impression.
Ainsi, les zapatistes, réduit au silence depuis qu’ils ont opté pour la construction des
« caracoles », souffrent clairement d’un baisse d’audience dans l’opinion publique nationale
et internationale. Les tentatives de l’EZLN pour se maintenir coûte que coûte dans l’agenda
public ne connaissent plus que des semi succès. Ainsi, de l’ « Autre Campagne » aux appels
internationaux qu’il lance, le mouvement tente désespérément de reconquérir une place dans
la vie publique.
Aussi, les zapatistes font ils les frais de la politique de privatisation de l’espace public
qui connaît une recrudescence au Chiapas et qui tend à transposer la tension des communautés
envers les entreprises et non plus envers le gouvernement. Peut-être le gouvernement y a-t-il
donc trouvé le salut de son âme ? En attendant, les effets pour les populations autochtones
sont des plus redoutables, notamment quant à la perspective peu encourageant que cela leur
offre.
Enfin, quant aux méthodes d’action des zapatistes, de nombreuses critiques ont vu le
jour et sont venus contrastés cette originalité apparemment sans faille qui lui été reconnue.
Ainsi, l’autonomisation des peuples indigènes qui était recherchée par le mouvement semble
connaître certaines limites, notamment quant à l’utilisation des NTIC pour se promouvoir et
assurer leur survie. De la sorte, certaines analyses que nous présenterons, à l’instar de celles
de Oscar de Alamo, de l’Institut International de Gouvernabilité de Barcelone, affirme que
même si cette technique d’utilisation des NTIC présente des avantages indéniables pour les
communautés indigènes, elle ne fait que maintenir la domination, ne serait ce car ils ne
maîtrisent pas les NTIC et que l’on se charge de les maîtriser pour eux. Cet argument ne fait
en effet que préciser la thèse de Pedro Pitarch, qui met en lumière la possible existence d’une
« ventriloquie indienne » qui reflèterait l’instrumentalisation des indigènes qui a été faite par
l’EZLN, et qui tendrait donc à révéler une des failles majeures de cet acteur et amenuiserait
132
par alors les potentialité de cet acteur à s’enraciner durablement sur la scène nationale et
internationale.
Section 1. L’acteur zapatiste lancé dans une nouvelle quête d’oxygène ? : les
élections de 2006 et l’« Autre Campagne ».
A. La volonté des zapatistes de rester dans l’agenda politique international…
Conscients de l’essoufflement de leur mouvement, les zapatistes réapparaissent
soudainement avec la « Sixième déclaration de la Selva Lacandona »138 de juin 2005 dans
laquelle ils affirment : « un nouveau pas dans la lutte indigène n’est possible que si elle s’allie
avec les ouvriers, les paysans, les étudiants, les enseignants, les employés, c’est-à-dire les
travailleurs de la ville et de la campagne”. Dès lors, il apparaît clair aux yeux des analystes
que les zapatistes sont clairement « en quête d’oxygène face au suicide de l’isolement ».
Proposant une alliance avec les organisations populaires et une concertation en vu de
l’élaboration d’un « programme national de lutte anticapitaliste et de gauche », l’EZLN
aimerait s’inscrire dans le renouveau des résistances mondiales dont, à ses yeux, les
rassemblements de Seattle, Rome, Paris, Hongkong, La Havane, Caracas, Brasília, La Paz ont
porté témoignage. En effet, et comme nous l’avons précisé précédemment, si l’EZLN est la
matrice spirituelle de ces mouvements, il n’est pas moins sûr que les divers processus de
marginalisation dont l’EZLN a du faire face a considérablement affaibli le rayonnement de
l’organisation sur la scène internationale et a par alors favorisé le rayonnement de ses héritiers
spirituels.
Mais avant de pouvoir atteindre ces objectifs internationaux, l’EZLN est désormais
consciente qu’il lui faudra envisager de passer par la sphère nationale. Face à l’effervescence
des mouvements de gauche altermondialistes qui bourgeonnent sur la scène internationale,
l’EZLN ne peut désormais plus utiliser les mêmes recettes pour réussir : lorsque avant elle
devait passer par la scène internationale pour entrouvrir un espoir de trouver une audience et
un soutien national, elle doit désormais passer par la porte mexicaine pour trouver un
hypothétique soutien mondial.
138
En annexe 11: “Sixième déclaration de la Selva Lacandona”.
133
B…. passe par la nécessité de se réinscrire dans l’agenda politique national.
Lors de la campagne des élections présidentielles de 2006, les zapatistes vont mesurer
leur perte de vitesse. Désormais, et alors que Andrés Manuel Lopez Obrador –“AMLO”s’impose comme le “candidat de l’espoir » pour des millions de citoyens. L’enthousiasme
pour les zapatistes, surmédiatisés dans les années 1990, dévoile alors ces limites.
Pour faire face à cette hémorragie, Marcos, rebaptisé « sous-délégué Zéro », décide d’une
nouvelle initiative politique. A cette occasion, il ne cessera de lancer des clins d’oeil qui
visent à faire de lui l’effigie de la « révolution » qu’il veut annoncer : sur sa moto – rebaptisé
elle aussi « la Poderosa » à cette occasion- Marcos mène l’ « Autre campagne » à travers le
pays. Le but de sa démarche consiste alors à « mener véritablement une autre campagne »,
selon ses dires, une campagne qui « écoute les gens ». Le discours lui, par contre, ne semble
pas avoir changé radicalement : « nous avons défini une ligne très claire : une ligne de gauche
et anticapitaliste. Pas du centre, pas de droite modérée, pas de gauche rationnelle et
institutionnelle. Mais de gauche, là où se situe le coeur, là où est l’avenir », annonce t’il en
guise d’engagement. Peut-être cette stratégie (médiatique) s’explique t’elle par le fait que
Marcos aurait voulu sanctionner l’opposition politique (le PAN et le PRD surtout), qu’il avait
soutenu lors des élections de 2000. Comme nous l’avons précisé en effet, le vote « utile »
pour le PAN a abouti à la « loi indigène », décevant alors les espoirs que les zapatistes
plaçaient sur la volonté de relancer les accords de San Andrés. L’“Autre campagne” serait
donc la réaction des zapatistes au triangle PAN/ PRI/ PRD qui, tous trois, ont voté une cette
loi “nocive” aux autochtones.
C’est donc par une marche de 3 000 kilomètres jusqu’à la capitale que les zapatistes
rompaient une nouvelle fois un silence jugé peu fécond. Il faut préciser ici qu’en les faisant
sortir de la clandestinité et en leur donnant les armes symboliques pour se réimplanter sur la
scène nationale, et même si les zapatistes restèrent finalement éloignés de cette dernière entre
2001 et 2006, la stratégie de dialogue et de médiatisation adoptée par le mouvement dès les
débuts du conflit, servait encore les zapatistes en 2006: elle leur offrait une sortie nationale.
Mais cette « consolidation silencieuse » du pouvoir local ne va pas sans des difficultés :
depuis leur sortie au grand jour les temps ont changé, et malgré les avancées qu’a connu
l’EZLN, l’organisation n’a pas su se transformer en force nationale. Désormais donc,
« Marcos a été éclipsé par M. Andrés Manuel López Obrador », l’ex-maire PRD de Mexico.
Comme le souligne Fernando Matamoros Ponce, « comme Marcos, López Obrador est un
134
symbole de la volonté historique de transformation. Il représente non seulement un passé de
luttes, mais aussi la parole exaltée par les néozapatistes et les chilangos . Les symboles
s’entremêlent : dans l’imaginaire populaire, « AMLO » est associé à Marcos, il concentre les
particules de désir de changement”139. Autant d’éléments qui, il est sûr, ne font que rendre
plus difficile la tentative de retour des zapatistes sur la scène nationale à la veille des élections
de juillet 2006.
Afin de se démarquer du « concurrent » AMLO, de tirer de nouveau leur épingle du
jeu, et de réaffirmer leur originalité des débuts, les zapatistes ont rappelé que leurs formes
d’organisation ne sont pas centrées sur les élections, et que l’« Autre campagne » constituait
avant tout un bouclier de réflexion face aux « pratiques politiciennes ». C’est en se
positionnant en marge de l’échiquier politique que les zapatistes pensent donc tirer profit de la
situation. Une attitude qui, il faut le noter, n’a elle pas vraiment évolué depuis la décennie
1990. L’ « Autre campagne » a désarçonné bien des gens au Mexique : comment expliquer
que ces deux courants, l’un institutionnel et l’autre non, ne fassent pas route ensemble ? De
nombreux PRDistes se sont en effet solidariser avec les zapatistes, mais cela n’a pas suffit.
Les zapatistes aiment à faire entendre qu’ils n’oublient pas que d’autres PRDistes les ont
abandonnés, condamnant alors le mouvement à se réduire à peau de chagrin.
Entre autre, il semble que pour réacquérir une envergure internationale le mouvement
soit prêt à beaucoup de choses. En effet, lorsque dès 2002 il tenta d’étendre ses propositions
d'actions à d'autres régions, l’attitude opportuniste et ventriloque du mouvement tendait à
apparaître clairement. Ainsi, lorsque dans le conflit entre le gouvernement espagnol et
l’ETA140 il essayait de se convertir en intermédiaire entre les deux en défendant le dialogue et
refusant la violence, le mouvement indiquait clairement sa volonté de se retrouver un destin
international. Certains ont même pensé que Marcos soutenait le terrorisme141, ce qui montre
bien le bourbier dans lequel le sous-commandant s'enfonçait pour tenter de garder une place
sur la scène internationale. De la même manière, lorsqu’il s’insurgeait contre la guerre
d'Irak142, en 2003, le mouvement réaffirmait cette même volonté. Au vu de tous ces éléments,
et comme nous le traiterons plus en avant, certains analystes du Chiapas, à l’instar de Pedro
Pitarch, on mis en avant le fait que l’EZLN, par son attitude à brouiller les pistes et à
139
MATAMOROS PONCE Fernando, « L’ “autre campagne ” des zapatistes », in Le Monde diplomatique,
Paris, février 2006, p°20.
140
Lettre de Marcos en date du 7 décembre 2002, " A la société civile espagnole et basque. Péninsule Ibérique,
Planète Terre”.
141
Sur ce point, consulter le sites internet suivants: http://hns.samizdat.net/article2701.html.
142
Se référer au communiqué de l'EZLN diffusé pendant la manifestation de Rome, Italie, 15 février 2003 (lu par
Heidi Giuliani) par exemple.
135
réadapter constamment son discours pour obtenir diverses sympathies, était une organisation
en proie à pratiquer la « ventriloquie indienne ». Ainsi, il est certain que la volonté suprême
des zapatistes de connaître un rayonnement international l’a sûrement amené à faire perdre au
mouvement une certaine « naturalité » qui, en ses débuts tout au moins semblait le
caractériser.
Section 2. L’acteur zapatiste face à la privatisation des biens publics au Mexique :
deux visions d’un projet national divergent.
A. De la mise en valeur du patrimoine écologique et culturel …
La création des « caracoles » par l’EZLN date d’il y a cinq ans déjà. Créés en réaction
à la « loi paternaliste » qui visait à encadrer les communautés indigènes, ces structures, qui
ont connu un certain succès, ont aussi servi à diffuser l’idée qu’une autre forme
d’organisation sociale, davantage respectueuse des hommes et des femmes qui y vivent, est
possible. Bien entendu, face à la menace que peut représenter une telle idée pour le pouvoir
central, il est sûr que l’attitude des autorités fédérales vis-à-vis de ces structures parallèles de
pouvoir sera déterminante. Aujourd’hui il semble que le gouvernement n’est toujours pas
décidé d’opter pour une politique féroce d’éradication de ces « caracoles » : bien au contraire,
l’attitude semble presque hésitante, voire conciliante. Bien entendu, et tradition militaire
mexicaine aidant, les forces armées restent toujours visibles au Chiapas. Pour éviter de se
laisser prendre de court, le gouvernement assure ses bases- arrières.
Ces structures dénommées “caracoles” sont présentées par les zapatistes comme la
partie visible de leur projet. En effet, la taille et l’engagement bien ancré de ces structures,
sont autant d’éléments qui, conjugués à la vision maya de l’environnement, permettent de
donner des réponses à la gestion durable des ressources naturelles et au maintien du
patrimoine écologique et culturel. Pour le moment il ne s’agit bien sûr que de réussites
partielles, mais l’idée semble séduire, au moment surtout où les touristes européens et nordaméricains qui affluent au Chiapas voient en cet essai un formidable potentiel à cultiver et où
l’EZLN y voit une potentiel novateur à exploiter pour “se redresser”. Cependant, certains
éléments viennent troubler cette expérimentation : entre autre, le mouvement de libéralisation
qui s’abat sur le Mexique, et la privatisation qui l’accompagne vont bel et bien dans un sens
tout opposé à ce projet.
136
B. … à la construction du « Mexique de l’avenir ».
La privatisation des biens publics est donc un des défis majeurs qui pèsent désormais
sur le Chiapas. Alors que le mouvement de privatisation et d’IDE dans cette partie de la
péninsule mexicaine était plus que minime lors de la décennie 1990, la dynamique s’est
accélérée depuis le début du XXè siècle. Sûrement l’ALENA n’est-il pas étranger à ce
phénomène.
Dans les privatisations en cours, l'Etat du Yucatan et la Banque du Mexique invitent
les IDE à penser au Sud et à son grand potentiel. Désormais, le sud-est du Mexique, aux
portes de l’Amérique centrale et des Caraïbes, est présenté comme le “Mexique de l’avenir”.
Autant d’éléments donc qui ont suscité l’engouement des investisseurs privés pour cette
région143. Néanmoins pour le Chiapas, la privatisation des biens publics pose un certain
nombre de problèmes. Le souci majeur est surtout que cette privatisation tend à transformer la
tension entre peuples indigènes et Etat en une confrontation entre peuples indigènes et
entreprises transnationales, avec comme enjeu central les richesses naturelles du Chiapas. Ce
point a été développé de façon exhaustive par Braulio Moro dans son article intitulé « Une
recolonisation nommée « plan Puebla Panamá » »144. L’ampleur et les répercussions à attendre
de ce phénomène sont notamment à redouter lorsque l’on évoque le "mégaprojet de l'Isthme"
mis sur pied sur initiative du gouvernement PANiste.
De fait donc, il est certain que le Chiapas voient aujourd’hui l’affrontement de deux
visions de la gestion du territoire : l’une, d’inspiration libérale et utilitariste, tend à vouloir
privatiser l’espace public et à le rendre alors plus productif et plus exploitable, alors que
l’autre, d’inspiration davantage humaniste et presque animiste, tend à désirer une protection
majeure du patrimoine écologique et culturel, dans le but notamment de préfigurer le
développement durable de cet espace. Aujourd’hui encore, le conflit qui se déroule aux
confins du Chiapas cristallise les luttes menées au niveau international par une série d’acteurs
conscients de l’importance des décisions qui seront tranchées sur ce sujet.
143
Sur ce point, voir notamment : “Des Espagnols se disposent à investir dans une chaine de froid”, in La
Jornada, 4 avril 1997
144
BRAULIO Moro, « Une recolonisation nommée « plan Puebla-Panamá » », in Le Monde diplomatique,
décembre 2002.
137
Section 3. L’acteur zapatiste face aux fondements de sa propre nature : les enjeux
de la « ventriloquie indigène » et des technologie de la communication.
Nous avons déjà envisagé un certain nombre de défi auxquels l’EZLN est confronté et
qu’elle tente, dans la mesure de son possible, de résorber afin de s’assurer une durée de vie
maximale. Cependant, il s’agissait de défis mineurs, mais qui ont une importance cruciale
quant à l’espérance de vie que l’EZLN veut se donner, en comparaisons de défis structurels
que l’EZLN doit s’efforcer de surmonter si elle veut aujourd’hui survivre. Ce sont notamment
quelques uns de ces défis structurels que nous allons analyser ici.
A. La crédibilité des zapatistes remise en question : la nécessaire refonte des « statuts » de
l’organisation.
L’historien madrilène Pedro Pitarch, dans la revue Lettres Libres, a entre autre relevé
l’un des problèmes majeurs qui ronge la capacité de l’EZLN a s’imposer dans le débat:
l’EZLN, « continue de construire des « indiens imaginaires » et de « pratiquer la
ventriloquie » indienne ». Malgré les diverses tentatives des zapatistes de s’auto-légitimer, en
invoquant notamment le principe d’organisation « horizontale » qui fonde la structure interne
de l’EZLN, les arguments qu’elle met en avant ne semblent plus très convaincants à la
lumière de cette observation que fait Pitarch. Selon lui, « on continue » d’écouter le discours
de zapatistes « sans voir le problème depuis la perspective des propres populations
affectées ». L’analyse montre alors que les indigènes, sorte de « marionnettes manipulées de
l’extérieur », ne serait que les instruments du mouvement pour mettre en action son « art de la
ventriloquie145 ». De la sorte, la superposition du « je » de Marcos et du « nous » indigène146
relèverait du mensonge, de l’illusion, de l’« indigénisme artificiel instrumentalisé ».
En outre donc, l’attitude de l’EZLN, et de Marcos surtout, est parfois jugée d’opportuniste.
L’EZLN est parfois taxée d’avoir instrumentalisé l’indigénisme. L’’ « indigénéité est à la
mode », et Marcos l’a bien compris. Il est certain que les observateurs ont été parfois déroutés
par ce mouvement qui en l’espace de quelques semaines a présenté des séquences successives
de discours révolutionnaire marxiste, de discours nationaliste, et de discours indigéniste enfin.
La stratégie de l’EZLN pour se donner à voir, est qualifiée par Pitarch de « tromperie ». Cette
« recherche d’avantages tactiques et l’adaptation opportune aux circonstances » n’aurait
145
PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La
Documentation française, Eté/Automne 2006.
146
Entretien avec Julio Scherer, journal Proceso, 10 mars 2001
138
fournit finalement à l’EZLN qu’une « visibilité illusoire ». Peut-être est-ce pour cela que le
mouvement peine désormais à « faire entendre la voix des sans voix ».
Si l’observateur peut être déboussolé par les adaptations successives du mouvement,
ce n’est pas pour autant que celles-ci restent sans explication. La technique de l’EZLN, qui
réside à maximiser sa visibilité, tire obligatoirement avantage à parler au nom d’une catégorie
abstraite ou sans existence réelle : le prolétariat, la paysannerie, le peuple, l’indien. En effet, à
la suite des nombreux travaux sociologiques parus sur le thème de communication, il est
démontré que l’appropriation et l’approbation d’une catégorie confère un bénéfice très élevé
aux dirigeants qui s’en font les représentants : tout au moins, elle justifie et leur octroie toute
une légitimité.
Un des lieux communs associés au zapatisme a été celui d’affirmer que grâce à l’EZLN, les
indigènes sont enfin parvenus à « faire entendre leur voix ». La ventriloquie pratiquée par le
mouvement a clairement supplanté et modifié la « voix des sans voix ». Le constat d’échec de
l’EZLN est d’autant plus patent lorsque nous prenons conscience qu’aujourd’hui encore « les
indigènes ne nous importent que dans la mesure où il est possible de parler à travers eux », et
que tout comme il y a cinq siècles, « les seuls paroles d’indigènes qui nous émeuvent sont
celles que nous les européens mettons dans leur bouche en projetant nos propres
préoccupations et débats ».
Un des arguments de poids avancé par les observateurs sceptiques quant à la
transparence et à la réalité de l’incarnation du discours des « vrais » indigènes dans la bouche
du mouvement, réside en la concordance de nombreux discours quant à l’attitude « suspecte »
du mouvement lorsqu’il s’agit de s’entretenir directement avec les indigènes. En effet, pour
pouvoir s’entretenir avec un indigène quel qu’il soit, il est d’abord nécessaire d’obtenir
l’autorisation de la Junta de Buen Gobierno correspondante. Il est évident que cela requiert un
bon nombre d’identifications et de justifications, et prend en général beaucoup de temps.
Ensuite, il faut fournir une liste des questions qui seront posées et dont aucune ne doit avoir
un caractère politique ou apparenté à la politique. Une fois que l’officier a éliminé les
questions considérées comme « inappropriées », l’entretien peut avoir lieu, mais sans
dictaphone. Au final, et malgré toutes ces précautions douteuses quant à la sincérité du
mouvement, un quelconque entretien ne sert pas à grand-chose : « les gens savent qu’en
acceptant de répondre à un entretien, ils deviennent suspects ». C’est ce qui conduit Pitarch a
affirmer qu’il « reste persuadé que les différences entre la présentation publique de l’EZLN et
139
son fonctionnement interne, en tant qu’organisation à la fois militante et civile, sont
immenses »147. C’est dans le fait que l’EZLN est mis sur pied un langage indianisme mais
toutefois nationaliste que réside la ventriloquie pratiquée par le mouvement.
Suite à la relégation du mouvement en arrière plan de la scène publico-médiatique, Marcos
tenta alors de faire changer la trajectoire du zapatisme. Désormais il déplaçait le cœur de ses
opérations sur la scène européenne. C’est entre autre l’utilisation ahurissante d’arguments
utilisés d’abord par l’organisation terroriste basque Herri Batasuna, qui l’a amené entre autre
situations absurdes, à l’erreur stratégique mémorable qu’il commis et qui consista à accuser
l’ex-premier ministre espagnol Felipe Gonzalez d’être l’auteur intellectuel du massacre
d’Acteal. C’est notamment à ces occasions que le mouvement montrait ses limites propres, en
dévoilant clairement aux observateurs la portée opportuniste du mouvement.
Plusieurs analyses montrent à quel point, depuis le 1er janvier 1994, l’EZLN a du
opter pour l’opportunisme afin d’acquérir en notoriété. Dans la concurrence avec les autres
organisations gauchisantes, et dès 1994, l’attitude de l’EZLN dévoile déjà ses limites : la
tension exploitée par le mouvement dans le Chiapas relève avant tout d’initiatives extérieures
d’organisations qui se disputent sur la clientèle et les questions, et non pas une tentative active
de prise en charge de la population elle-même. Lorsqu’en 1997 la grève de l'Université
Nationale Autonome de Mexico –la UNAM- éclate, là encore les tentation de l’EZLN de
gérer en sous main cette dynamique sont fortement visibles. En effet, le Comité Général de
Grève –le CGH- qui se met en place est dominé par les milieux syndicaux proches du PRD et
connus des autorités rectorales dont ils constituent les interlocuteurs attitrés. Cependant, et
très vite, ces dirigeants se trouvent marginalisés et supplantés par de nouveaux leaders mal
identifiés, et dont on apprendra par la suite qu'ils sont issus entre autre du FZLN 148 et du Front
de Libération Francisco Villa. Dès lors, le CGH radicalise ses positions, et le mouvement
change de nature: de corporatiste la grève se fait politique et tend à devenir insurrectionnelle.
Le président Zedillo, hanté par 1968149, cherche alors d’éviter à tout prix le piège de la CGH:
il décide de miser sur le pourrissement du conflit. A partir d'octobre les grévistes cherchent
directement la répression de leur mouvement: les actions qu'ils lançaient en ville depuis le
campus s’approchait véritablement à une guérilla urbaine. Mais alors que la tension était à son
maximum, à 292 jours des débuts du conflit, l'opinion publique, gagnée par la lassitude,
147
PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La
Documentation française, Eté/Automne 2006.
148
Comme nous l’avons précisé il s’agit du FZLN, le bras politique dont s'est doté l'EZLN en 1997.
149
Fait allusion au massacre de Tlatelolco en octobre 1968 dans la ville de Mexico.
140
penche de plus ne plus en défaveur des insurgés, et en faveur du gouvernement. La tentative
de l’EZLN de récupérer un mouvement gréviste étudiant et de le transformer en fer de lance
de sa machine revendicative échoue alors. En outre, cette stratégie de l’EZLN démontre bien
que, dans la course à la visibilité publique, le mouvement n’hésite pas à utiliser un
opportunisme actif.
Pourrait-on penser que l’utilisation de la thématique indigène par le mouvement relève
elle aussi de l’opportunisme du mouvement ? Jun-Ichi Yamamoto, de la Keio University, a
analysé le nombre de références faites à certains termes dans les cinq déclarations de la Selva
Lacandona faite par l’EZLN entre 1994 et 1998. En ce qui concerne le terme « indigène », la
récurrence qu’il a relevé est la suivante : dans la première déclaration de la Selva Lacandona
le terme apparaît 0 fois, puis il apparaît 6 fois dans la seconde, 12 fois dans la troisième, 15
fois dans la quatrième, et enfin 32 fois dans la cinquième. Cette analyse de Jun-Ichi
Yamamoto montre bien comment l’EZLN a utilisé chaque fois davantage la thématique
indigène à mesure que la dynamique du mouvement le nécessitait et que l’organisation
gagnait des sympathies dans l’opinion publique.
Les discours de l’EZLN, et la prise de position successive du sous-commandant
Marcos révèle en effet la ligne générale du mouvement : un abandon soudain et définitif du
langage marxiste, l’adoption d’un langage nationaliste et populiste, pour passer
immédiatement à un langage indien. Il est alors possible d’expliquer cette étude par
l’existence d’un jeu complexe de relations et d’intermédiations qui existe entre les secteurs
intellectuels, la presse et le sous-commandant Marcos dans la « ré-création » du zapatisme. Si
le zapatisme indigéniste eut d’abord un caractère négatif associé aux carences matérielles, il
acquit ensuite un caractère fondamentalement positif, de type identitaire, et qui connotait la
possession d’une culture propre.
Les arguments de Pitarch sont nombreux sur ce thème, et il n’est pas utile de tous les
répertorier. Cependant, et en ce qui nous concerne, l’analyse de Pitarch a réellement appuyé
notre propos, surtout dans le sens où elle dénonçait clairement ce qu’en définitive l’EZLN n’a
en définitive jamais changé en l’espace d’une dizaine d’année dans la vie publique : sont art
de pratiqué la ventriloquie.
141
B. Les méthodes de communication des zapatistes remises en question : de l’usage
dangereux des NTIC pour les communautés indigènes vers l’ « Apartheid global ».
Afin de réussir son internationalisation, et de pouvoir ainsi résoudre un certain nombre
de difficultés qu’il rencontrait, le mouvement a du faire usage, comme nous l’avons montré
dans les chapitres précédents, des nouvelles technologies de l’information (NTIC). En effet, il
n’est pas un seul acte de l’EZLN qui n’est était retransmis dans le monde par le biais
d’internet durant les dix dernières années. Mais l’on peut se demander si les nouvelles
technologies de l’information et de la communication sont réellement des outils valables pour
consolider les processus de développement humain et la résolution des conflits des indigènes
du Chiapas notamment ?
La massification des nouvelles technologies a fait d’internet l’outil technologique et de
communication le plus important de la période contemporaine, notamment grâce à sa nature
démocratique et interactive. Lorsque les mouvements indigènes cherchent donc à modifier
sensiblement la situation actuelle dans laquelle elles vivent, elles commencent à voir internet
comme l'outil chance de changement dont elles doivent se prémunir. Sur l’exemple des
populations d’Europe et des États-Unis, il est certain qu’internet a déjà montré qu’il pouvait
se mettre au service de l’amélioration des droits et des conditions de vie de certains secteurs
de la population, qui tentent de donner une résonance à leurs revendication par le biais
d’internet.
En Amérique latine, et même si l’usage de la technologie de l’information et de la
communication en Amérique latine n’est pas nouveau150, il est pourtant certain que le réseau
internet à jouer un rôle majeur dans la reconfiguration de l’espace des luttes dans lequel
s’inscrivent les revendications indigènes.
En effet, internet leur a servi pour créer un espace de connaissance et d’expériences
partagées entre les peuples indigènes et non indigènes à travers le monde. Le cyberespace a
donc été un moyen de favoriser au niveau mondial la représentation de la diversité culturelle
existante: internet présente des opportunités énormes pour la conservation et le
développement de la diversité linguistique et culturelle propre aux populations indigènes. De
plus, il est certain que le réseau planétaire leur permet de communiquer avec le reste du
monde en s’émancipant des contraintes d’isolement géographique dans lequel elles vivent
150
Les moyens de communication traditionnels, depuis les années 1940 ont en effet servi pour appuyer leurs
demandes
142
habituellement. Dès lors, les contacts entre les diverses communautés indigènes du Mexique
ou d’Amérique latine ont connu une révolution : l’intégration dans un réseau transfrontalier et
transnational a permis a des cultures et des traditions souvent confinées au fin fond d’un
territoire de connaître une véritable renaissance, notamment par le bénéfice que l’ouverture au
monde et l’échange avec d’autres cultures leur a apporté.
Dans les territoires marginalisés dans lesquels vivent habituellement les communautés
indigènes, internet est apparu comme un aspect clé pour le développement éducatif et
sanitaire : les opportunités de lutte contre l’analphabétisme151 et de télémédecine152 qu’offrait
le réseau internet ont permis à des communautés de s’engager dans la voie de la
redynamisation active de leur groupe. Aussi, élément intéressant, internet a parfois ouvert des
communautés indigènes au dynamisme économique, avec notamment les débuts du
commerce électronique et du tourisme durable, qui permet de traiter directement avec le
consommateur.
Mais pour parvenir à demander l’égalité des droits et l’amélioration de leurs
conditions de vie, les communautés doivent souvent lutter pour avoir leur propre territoire
dans le cyberespace et jouir de l’utilisation des nouvelles technologies. Certaines études sur le
sujet ont tendu à montrer que si internet pouvait avoir des avantages pour des groupes jusque
là stigmatisés et confinés, la lutte dans le cyberespace n’était que le prolongement par la lutte
virtuelle d’une lutte déjà menée dans la réalité. Alors, les effets néfastes des NTIC pour des
communautés marginalisés ont rapidement été soulevés. En effet, certains acteurs, à l'instar
d'Oscar del Alamo se sont particulièrement intéressés à ce sujet153.
Cette appropriation des NTIC par les communautés indigènes ne consiste pas en une lutte
contre l’impérialisme culturel et économique mais à profiter des avantages de la technologie
pour pouvoir satisfaire ses demandes, c’est-à-dire réussir la survivance de ses cultures au
début du XXI siècle. Dès lors, la logique de lutte des indigènes zapatistes notamment, est
réorientée et semble, en apparence du moins, s’affaiblir quelque peu. Ensuite, il est certain
que les communautés indigènes ne disposent pas réellement des ordinateurs ou des lignes
téléphoniques indispensables pour avoir accès à internet. De plus, certaines menaces et
151
Internet peut aussi servir à l’éducation : se référer au réseau Inkarri-net né en 1998, réseau télématique qui sert
de support de formation , de communication, d’info et de doc aux peuples indigènes à travers les NTIC.
152
Il faut préciser sur ce point que l’attention sanitaire dans les régions indigènes les plus inaccessibles par voie
de conférence vidéo notamment.
153
DEL ALAMO Oscar, Indigenas en la red, Institut International de Gouvernabilité de Catalogne, Espagne; et
DEL ALAMO Oscar, Esperanza tecnológica:Internet para los pueblos indigenas de América Latina, idem.
143
certains risques inhérents à l’utilisation des NTIC par les communautés indigènes pour
diffuser leurs revendications ont été identifiés154, parmi lesquelles : l’augmentation des
inégalités (manque d’accès, absence d’infrastructures nécessaires), l’homogénéisation et
l’imposition (les contenus, les langues ou les cultures dominantes sur internet peuvent
uniformiser les idées, les préférences et les visions du mode, et cela pourrait tendre à
reproduire les relations de domination existantes dans la société), l’isolement et la
fragmentation (le monde virtuel recevrait plus d’attention que le monde réel).
Par conséquent, et s’il est certain que les NTIC ne sont pas intrinsèquement bonnes ou
mauvaises, il est très difficile d’évaluer les usages positifs ou négatifs qu’elles ont dans le
développement humain155. Les résultats de l’usage d’internet par les communautés indigènes
dépendent de l’application qu’elles souhaitent en faire. Si internet a permis de satisfaire des
besoins qui, d’une autre façon, n’auraient pas été satisfaits, il est tout aussi sûr qu’il n’a pas
non plus réellement fermé les brèches sociales du monde réel. Ainsi, les sites des
communautés indigènes, et cela est vrai pour le Chiapas, sont créés et gérés par des usagers
particuliers (souvent européens ou nord-américain) qui se chargent ainsi de diffuser les
thématiques indigènes depuis leurs propres pays. Cette méthode dévoile alors ses propres
limites : elle accentue la dépendance technologique des communautés (et malgré les bonnes
intentions), et pourrait se convertir en base de la perpétuation et de la marginalisation des
indigènes en les privant alors des possibilités pour l’instant existantes de leur
autoreprésentation. Par conséquent, il est évident que les NTIC pourrait avoir un usage
contre-productif. Alors, et s'il est tout de même indéniable qu'au Chiapas elles ont souvent
servi à médiatiser le conflit et donc le désenliser, il est tout de même certain que l'usage des
NTIC doit être strictement étudier, dans le sens notamment d'éviter les travers énoncés
précédemment.
154
MARTÍNEZ, J. et GÓMEZ R., “Internet y Sociedad. Más allá del acceso: ¿Qué puede hacer la Internet por
una mayor equidad social?” Serie Políticas Públicas. IDRC, Canadá; Fundación Acceso, Costa Rica, 2001.
155
GÓMEZ, R. & CASADIEGO, B. Carta a la Tía Ofelia: Siete propuestas para un desarrollo equitativo con el
uso de Nuevas Tecnologías de Información y Comunicación. IDRC. Abril, 2002.
144
CONCLUSION GENERALE
« Le petit rebelle tenait bon, protégé et résistant sous son bouclier, attendant le moment
propice pour l’arc et la flèche. »
Marcos, in La Jornada, Mexico, 3 février 2003.
Comme nous l’évoquions dès l’introduction de notre étude, la fascination ou
l’exaspération dont font preuve les analystes et les observateurs vis-à-vis de l’EZLN a abouti
à une forte polarisation des opinions et à une idéalisation inconditionnelle ou une
disqualification viscérale de l’EZLN : il s’agit d’« amasser des pierres pour accabler l’EZLN
ou des fleurs pour la glorifier »156. Il nous a donc été extrêmement coûteux de développer une
analyse qui essaye de sortir de ces carcans et d’examiner le rôle du Chiapas dans la
reconfiguration nationale du Mexique et son intégration réussie dans la nouvelle configuration
de l’ordre international.
Ce point là étant définitivement souligné, il s’agit maintenant de présenter une conclusion à
notre étude, et de voir quelles semblent être les perspectives que l’on peut en dégager.
L’avènement de l’EZLN sur la scène nationale et internationale « ne fait pas suite à la
« mort du marxisme », mais plutôt à la liquidation du « socialisme réel », qui n’avait depuis
longtemps plus rien de réellement socialiste, mais qui tenait le marxisme en otage »157. C’est
en ce sens notamment que le mouvement zapatiste a ébauché une critique de la tradition
révolutionnaire dont il est issu, et surtout de son noyau léniniste, caractérisé par la centralité
de la conquête de l’appareil d’Etat. Si l’EZLN a voulu remettre en cause la justice et l’égalité
si souvent mis à mal au Mexique (et dans le monde), il est certain que dans le contexte
d’après-guerre froide le mouvement allait devoir s’adapter, pour des raisons tactiques
notamment. La recherche de l’avantage politique et médiatique maximal amènera l’EZLN à
des ajustements tactiques successifs dictés par un impératif de survie. Dès lors, à la figure
marxiste devait s’ajouter un élément supplémentaire : la politique identitaire.
Si lorsque le conflit du Chiapas éclate en 1994, le Mexique fonctionnait comme une
monarchie absolue, le pays fonctionne aujourd’hui comme une monarchie limitée. En effet il
156
BASCHET Jérôme, “Les zapatistes : ““ ventriloquie indienne ” ou interactions créatives ?”, in Problèmes
d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006, page 153.
157
VAYSSIERE Pierre, Les révolutions d’Amérique latine, Collection Points Histoire, Editions du Seuil, Paris,
2001.
145
est patent que les élections locales sont très fragiles (pratiques électorales anciennes et
désintérêt des médias étrangers), et que la vie politique s’apparente surtout à une très
performante machine électorale : la fonction de mobilisation du système est encore difficile à
remplir. Malgré tout, il est certain que la vie politique est plus ouverte, et que l’électorat
mexicain a connu son « entrée en citoyenneté »158. Cependant, l’"ivresse de la démocratie"159
qu'expérimente le Mexique est évidente : à Tuxtla, au Chiapas, et dès la fin 1994, le
gouverneur est du PRI, le maire du PAN, et le district électoral a été gagné par le PRD. Dans
un espace complexe, chargé de mémoire et où coexistent depuis longtemps plusieurs modèles,
le politique demeure la pierre angulaire de constructions nouvelles. Comme nous l’avons
montré, l’EZLN a fortement favorisé ce processus d’ouverture du système politique et de
démocratisation. Ainsi, et même s’ils n’ont jamais réellement voulu s’intégrer au jeu politique
(au sens strict), les zapatistes ont bien compris que la coopération entre les partis politiques et
avec de nouveaux acteurs était plus viable que le système archaïque et verrouillé qui étouffait
la société civile, et surtout sa composante indigène, depuis plus de quatre-vingts ans.
L’EZLN a donc été le catalyseur de la démocratisation du Chiapas et du Mexique, l’artisan de
la chute du PRI, et le moteur de la constitution d'un « mouvement indigène national, voire
latino-américain, affirmatif, massif et démocratique, initiateurs d'un universalisme nouveau
qui respecte les particularités ». C’est ce dernier caractère qui s’est le plus démarqué de
l’action de l’EZLN et a confirmé sa personnalité originale. Le mouvement allait tout mettre
en
œuvre
pour
"dépasser
ces
oppositions
que
la
modernité
occidentale
croit
irréconciliables"160, et tenter de démontrer qu’il peut ne pas y avoir de tension entre unité et
différence. C’est en ce sens le zapatisme participe "à la mise en place d'une nouvelle pensée
critique"161. L’EZLN a bel et bien montré que ses revendications pouvaient s’inscrire dans un
« Mexique pluriel », dans lequel on déterre définitivement l’affrontement manichéen entre la
« République des blancs » et la « République des Indiens ».
Les processus internes et les interactions externes, qui caractérisent la dynamique qui
ne cessera d’animer le mouvement pendant ses dix ans de vie publique, ont été pour une
bonne part favorable à l’avènement de l’EZLN sur la scène nationale et internationale. Si les
zapatistes ont pendant un temps triomphé, il est certain que la réussite interne du mouvement
(le fait de transformer un noyau guévariste en une armée des communautés indigènes), et
158
COUFFIGNAL Georges, « Mexique : le chemin convulsif vers le pluralisme politique », in Problèmes
d’Amérique latine numéro 15, La Documentation française, octobre-décembre 1994.
159
Idem.
160
BASCHET Jérôme, L'Etincelle zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire. Denoël, Paris, 2002
161
ibid
146
l’interaction déterminante qu’il a réussi à mettre en place avec la société mexicaine, ainsi
qu’avec des tendances globales du système –monde n’y sont pas pour rien. Ainsi, l’EZLN a
su mettre en œuvre un remarquable processus d’auto-transformation. Le mouvement a certes
une base indigène, mais sa lutte s’affirme à la fois comme indigène et non-indigène, et invite
à rejeter toute définition étroite de l’identité, au nom de l’indéfinition.
Pedro Pitarch tente de minimiser ce succès interne de l’EZLN en portant sur l’organisation
un regard démystificateur : « L’EZLN, qui se présentait d’abord comme une organisation
révolutionnaire communiste, en est venu, pour des raisons purement stratégiques, à se
présenter comme un mouvement d’autonomie culturelle indigène »162. Il est sûr en effet que le
passage du marxisme-léninisme au populisme nationaliste, et finalement à l’indianisme aura
déboussolé certains analystes qui ne conçoivent le mouvement que comme un opportunisme
en action.
Cependant, il est certain que ces interrogations n’ont pas réduit à néant le grand capital moral
et le rôle de premier ordre qu’a joué l’EZLN dans la transition mexicaine. Enfin, et même si
l’EZLN n’a pas pu se transformer en force nationale (notamment car elle a favorisé
l’avènement d’un système basé sur les partis politiques), le mouvement a fortement marqué
les esprits de la « société civile mondialisée ».
Les zapatistes auront eu le mérite d’établir un dialogue transparent dans le cadre de
l'Etat de droit. Malgré tout, et même si les problèmes du Chiapas ne peuvent pas être
solutionnés en « un quart d’heure »163, il est certain qu’il y a des sorties possibles. La
dimension internationale du zapatisme lui a permis, entre autre artifice tactique, de désenliser
les problèmes auxquels le mouvement était confronté un certain nombre de fois.
Les enjeux du zapatisme sont nombreux, mais un certain nombre d’entre eux ont déjà
été résolus. Ainsi, pour les anciens défenseurs des positions les plus radicales de l’EZLN, la
nécessité de passer d’une lutte du monde indigène à une convocation capable d’incorporer
tous les mexicains et les mexicaines s’est faite sans difficulté, car il était sûr que le futur du
mouvement allait dépendre grandement de cette donnée. Le mouvement devait démontrer que
ce n'était pas pour des peuples du passé qui se réfugient dans la nostalgie des temps
historiques et naviguent contre la modernité qu'il s’était engagé. Il s’agissait de construire un
162
PITARCH Pedro, “Ventriloquie confuse”, in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation
française, Eté/Automne 2006.
163
Comme l'avait maladroitement affirmé Vicente FOX lors de sa première allocution en décembre 2000.
147
nouveau cadre socio-politico-culturel dans lequel tous auraient leur place et où aucun ne soit
obligé de souffrir d’acculturation forcée et encore moins de discriminations ancestrales. La
valeur humaniste du mouvement, qui s’affirmait dès les débuts de l’insurrection, allait donner
au mouvement une portée nationale et internationale.
Ignacio Ramonet affirme : « le zapatisme représente un ambitieux projet dont la
finalité est de construire une relation humaine différente de l’actuelle, fondée sur la
conviction qu’il est possible de créer un monde distinct dans lequel personne ne soit de trop
ni de doive être soumis à des acculturations forcées ; et qui est un processus d’affirmation
des différences qui ne signifie pas la fermeture, qui ne veut pas non plus continuer de lutter
pour reconstruire le modèle social basé sur des compartiments étanches qui ne font qu’aider
à maintenir séparés les divers peuples entre eux . […] Le zapatisme dans cette nouvelle phase
ne demande aucun type d’indépendance, il n’est pas partisan de la guerre, il ne veux pas le
pouvoir, il ne regrette pas un retour au communisme primitif, il ne lorgne pas une autonomie
excluante, il ne prétend pas instaurer un égalitarisme radical qui occulte les différences
existantes, il ne cherche pas à proclamer la naissance de la Nation maya, il ne lutte par pour
l’immobilisme des peuples indiens et le maintien à n’importe quel prix de ses coutumes
ancestrales, ne désire pas non plus fragmenter la République en une multitude de petits pays
indigènes . Son objectif est la paix, le dialogue, la justice, la liberté, la démocratie ».
L’identité, la stratégie, la structuration et les interactions qu’a réussi à construire l’EZLN
durant ces quelques dix années de vie publique en ont fait un acteur novateur et innovant, et
on donc favorisé sa propulsion sur la scène nationale et internationale.
Preuve en est d’ailleurs que la région du Chiapas est désormais un laboratoire qui accueille
chaque jour de nombreux médiateurs, experts transnationaux, institutions internationales,
grandes fondations, et ONG. Des acteurs prêts à évaluer, proposer, et résoudre les défaillances
du système qu’ils observent, et qui parfois il est sûr seront porteurs de remèdes ou bien du mal
(du fait qu’ils proviennent souvent de système socio-culturels distincts de ceux du Chiapas).
En outre, l’EZLN a marqué l’apparition d’un nouveau type d’acteur au sein des Relations
Internationales. Un acteur qui usait un déguisement militaire pour donner de la visibilité au
marasme mexicain, et qui se dépêchait par la suite de s’auto-dissoudre en tant que tel pour
s’assurer d’une légitimité et d’une estime d’autant plus grande.
148
La convergence entre les propositions zapatistes et les tendances globales des mouvements
sociaux actuels a déjà été démontrée dans notre étude, mais il faut la repréciser ici afin de
comprendre l’avantage majeur qu’a eu le zapatisme pour le système international : l’usage
zapatiste s’adresse non pas au prolétariat ou aux masses seulement, mais à la diversité de la
société sociale.
Avant l’avènement de l’EZLN, aucun ordre n’avait eu à agir sous les yeux d’une opinion
démocratique mondiale et dans un contexte caractérisé par une explosion technologique de
cette ampleur. Les zapatistes ont donc ouvert la boite de pandore, et ont consolidé pendant
une dizaine d’année la brèche qu’ils avaient ouverts dans l’ordre international.
Si « le Chiapas exerce un rôle de révélateur des idéologies et des fantasmes, aussi bien en
Amérique latine qu'en Europe »164, il a aussi favorisé la prise de conscience du monde entier
que le monde de l’après-guerre froide n’est pas celui que l’on espérait. En effet, le système de
sécurité collective dont rêvait les États Unis n’a pas succédé à la bipolarisation du monde :
face à l’universalisme grossier dont a fait preuve le système à la suite de 1989, les zapatistes
ont fait prendre conscience au monde entier que le système ne pourrait fonctionner
efficacement, et ne serait effectivement une démocratie mondiale, s’il ne participait pas à
construire « un monde qui contienne plusieurs mondes ».
C’est donc en ce sens que le « nouvel ordre international » ne sera effectif que s'il régule le
statut de ces nouveaux acteurs non étatiques et s'il définit leur position respective au sein du
système-monde.
Plus de dix ans après le début du conflit du Chiapas, il est indéniable que l’on peut affirmer
que l’EZLN a marqué les esprits en profondeur au-delà du Mexique. Le soulèvement des
zapatistes a fait le tour du monde et a connu un écho international sans précédent : peut-être
est-ce parce que, dans le contexte de perte d’influence des idéologies qu’a favorisé
l’avènement du monde unipolaire, « le réenchantement du monde »165 commençait dans la
Chiapas ? Il est bien entendu difficile de trancher cette question.
164
VAYSSIERE Pierre, Les révolutions d’Amérique latine, Collection Points Histoire, Editions du Seuil, Paris,
2001.
165
Le BOT Y., « Le zapatisme, première insurection contre la mondialisation néolibérale », in WIEVIORKA M.
(dir.), Un autre monde, Paris, Balland, 2003.
149
Ce qui est plus certain par contre, est que l’originalité du mouvement fait le consensus.
L'EZLN est décrite comme une « armée » contestataire, de filiations indigène-marxisteguévariste-chrétienne, qui n’aspire pas à prendre le pouvoir mais bien davantage à disparaître.
Les communiqués de presse, les déclarations solennelles et les actions symboliques du
mouvement pour tenter d’imposer ses revendications dans le débat, en auront fait le "premier
mouvement symbolique contre la globalisation", qui revendique des droits légitimes, et
encourage à démocratiser le Mexique et à combattre le néolibéralisme. Comme le précisait
Ignacio Ramonet, l’EZLN est « une jacquerie post-guerre froide suffisamment identitaire pour
ne pas se diluer, suffisamment universelle pour ne pas se replier. […] un groupuscule pionnier
de l'altermondialisme qui dès 1996 invite le monde entier à la "première rencontre
intergalactique pour l'humanité et contre le néolibéralisme" ». L’aspiration républicaine à la
démocratie politique et à la citoyenneté, conjugué à la quête socialiste et Tiers-mondiste
d’égalité entre les groupes sociaux et entre les peuples sont autant d’éléments qui ont distancé
l’EZLN des mouvements de guérilla marxiste d’Amérique latine qui l’ont précédée, et qui lui
ont permis alors d’acquérir une personnalité publique. Mais si l’EZLN séduit, s’est aussi
parce qu’elle a su s’enrichir d’accents plus inattendus : le souci du sujet, le statut de l’individu
dans le collectif et de son émancipation, la reconnaissance des diversités et des identités
culturelles, la conscience écologique des limites du progrès, la revendication d’égalité entre
les hommes et les femmes, les liens étroits entre problèmes locaux et réalités mondiales, la
culture expérimentale et participative, etc.
C’est en conjuguant habilement toutes ces données, que le soulèvement isolé de l’EZLN dans
la région la plus marginale d'un Etat périphérique de la Fédération mexicaine a réussi a
acquérir un retentissement national et international sans précédent dans le monde d'aprèsguerre froide. Appréhendée comme « la première insurrection post-communiste du XXIè
siècle », l’EZLN n’aura cessé de révéler au monde entier l’originalité des diverses données
qui construisent sa personnalité.
Mais désormais, il semble que l’EZLN ait connu son apogée. Le problème du Mexique ce
n’est pas les peuples indigènes sinon un nationalisme qui oblige tous les groupes sociaux à se
comporter d’une forme prédéfinie, et l’inexistence d’un cadre juridique et politique qui
permette la diversité. Les zapatistes se sont donc trouvés confrontés à certains problèmes
inhérents à l’identité de la nation mexicaine. En 2001, la grande majorité de la société
mexicaine acceptait la « loi indigène » et pensait que l’EZLN devait s’asseoir à la table des
négociations. S’il est certain que cette loi redéfinissait les bases de la discussion, il est tout
150
aussi sûr qu’elle tentait de cristalliser l’attitude ambiguë du pouvoir vis-à-vis des populations
autochtones. Aussi, l’EZLN est confronté à l’affirmation de valeurs nouvelles (celles du
modèle américain par exemple), et les valeurs du passé auquel elle est lié ne font que
favoriser son isolement. De plus, certains analystes ont souligné le fait que si l’EZLN est en
marge, c’est surtout parce qu’il s’agit d’un acteur qui s’auto-exclut, qui s’affirme pour la
nation mais qui ne souhaite pas intégrer son action au sein d’un schéma politique et
institutionnel stabilisé. Par conséquent, la perspective géopolitique et politique du mouvement
n’a cessé de diminuer, et la nébuleuse que le mouvement avait contribué à construire tend à
éclater.
Enfin, aux critiques d’opportunisme et de ventriloquie qui caractérisent le mouvement, et qui
semblent être le talon d’Achille de celui-ci, il est d’une nécessité impérieuse pour l’EZLN de
corriger cet élément tant il mine la légitimité et la lisibilité du mouvement sur la scène
nationale et internationale. Ainsi, si les zapatistes avaient su s’affirmer comme les tenants des
nouvelles méthodes d’organisation interne dont devaient faire preuve les acteurs afin de se
légitimer, leur entreprise a été à plusieurs reprise mise à mal par différents analystes. A titre
d’exemple, nous citerons le cas de Pedro Pitarch qui à la suite d’une tribune dans El Pais le 12
janvier 1998 et dans laquelle il avait émis la volonté de penser de façon plus complexe le
zapatisme, a du faire face aux réaction suivantes : « au lieu de débattre et critiquer l’article,
quelques pro-zapatistes espagnols et latino-américains ont préféré envoyer des lettres à la
direction du journal m’accusant d’ignorer la réalité chiapanèque, mais surtout d’être au
service du gouvernement mexicain, d’accepter des bourses octroyer par l’ambassade
[..](Paradoxalement plusieurs pro-zapatistes recevaient, eux, des bourses du gouvernement
mexicain). Mon bureau de l’université fut couvert de graffitis, j’ai été menacé de mort, et
plusieurs collègues ne m’adressaient plus la parole. C’étaient les mêmes qui lors des
manifestations
répétaient le slogan « Un monde composé de plusieurs mondes ! ». Ce
témoignage incite donc à souligner le fait que le zapatisme, malgré son apparente ouverture,
tend à fonctionner comme une alternative du tout ou du rien : on est pour ou contre les
zapatistes, mais les positions intermédiaires nuancées sont rares. Autant d’éléments qui
contrastent avec l’attitude de dialogue que les zapatistes se sont évertués de mettre en avant
comme l’une des caractéristiques principales de leur mouvement, et qui semble désormais
avoir clairement montré ses limites. Aussi, si le succès du zapatisme réside à la fois dans sa
capacité à être plusieurs choses à la fois, « c’est là certes son avantage, mais aussi au final le
secret de son impuissance »166. Le côté extraordinairement vague du discours zapatiste n’aura
166
PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation
française, Eté/Automne 2006.
151
cessé de favoriser l’hémorragie de ses soutiens, tant dans la sphère nationale
qu’internationale.
Mais ce que les zapatistes auront réussi à coup sûr, est d’avoir remis la question indienne dans
le débat politique des pays latino-américains. Désormais, il semble qu’une tendance forte à
l’apparition de l’indianité comme nouvel acteur de la vie politique se dessine en Amérique
latine, et l’EZLN a largement contribué à cette dynamique. Depuis les années 1990 en effet, la
question des droits a gagné de l’importance dans un grand nombre de pays d’Amérique
centrale ou andine. Les indigènes sont ainsi passés des revendications culturelles aux
revendications sociales. Dans cette dynamique, l’EZLN est emblématique de la lutte politique
des indigènes. Avec le slogan « Tierra y libertad », ce mouvement a remis en avant la
question des droits des Indiens dans le débat politique mexicain et plus largement latinoaméricain. Le mouvement a donc ouvert la voie à un nouveau type d’acteur au sein des entités
politiques nationales. De nouveaux acteurs politiques indigènes ont émergé sur la scène
politique : au Pérou (Alejandro Toledo élu en 2001, premier président d’origine indienne
d’Amérique latine), ou en Equateur par exemple (deux indiens ont accédé en 2002 à des
postes de ministre : Luis Maca à l’Agriculture et Nina Pacari aux Affaires étrangères,
première femme indienne à accéder à une haute fonction politique). Enfin, en décembre 2005,
l’aymara Evo Morales était élu président de la République de Bolivie avec 54% des suffrages.
Le combat qu’il tente de mener depuis est révélateur des espoirs que l’organisation marxisteindigéniste zapatiste rêvait d’entreprendre pour le Mexique : Morales refuse tout ethnicisme et
rassemble autour de lui de nombreux métis. Il met en œuvre un programme radical basé sur la
nationalisation des hydrocarbures (du gaz naturel surtout), la légalisation de la culture de la
coca et la lutte contre l’impérialisme américain. Mais la force de Morales a été de savoir
intégrer habillement le jeu politique bolivien, afin de pouvoir par la suite disposer de canaux
plus influents pour entreprendre ses réformes. Les zapatistes eux, bien qu’ils ait tout fait pour
donner les preuves de leur ouverture et de leur originalité, n’ont pas réussi à sauter ce pas (de
peur notamment de donner l’image de s’être corrompu au système qu’ils dénonçaient), et
n’ont donc pas réussi à imposer solidement les avancées qu’ils revendiquaient. Au milieu
2005 en effet, et après plus de dix ans de lutte, les communautés autonomes de la région du
Chiapas continuent le combat pour un idéal et pour la défense de formes de vies spécifiques.
152
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 :
Carte de la République des États-Unis du Mexique et de l’Etat du Chiapas..................154
Annexe 2:
Entretien avec Monsieur Raymond de Saint-Martin, Consul honoriaire du Mexique à
Toulouse.............................................................................................................................155
Annexe 3 :
Première déclaration de la Selva Lacandona...................................................................157
Annexe 4 :
Deuxième Déclaration de la Forêt Lacandone................................................................ 159
Annexe 5 :
Troisième déclaration de la jungle lacandone................................................................. 161
Annexe 6 :
Quatrième déclaration de la foret lacandone................................................................... 164
Annexe 7 :
Première déclaration de " La Realidad "contre le néolibéralisme et pour l'humanité..168
Annexe 8 :
Les accords de San Andrés Larraizan ............................................................................. 171
Annexe 9 :
Deuxième déclaration de la Realidad............................................................................... 173
Annexe 10 :
Cinquième déclaration de la forêt Lacandone................................................................. 175
Annexe 11 :
Sixième déclaration de la forêt Lacandone...................................................................... 180
Annexe 12 :
Balance comparativo entre la propuesta de reformas constitucionales presentada por la
Cocopa y las observaciones del Ejecutivo.........................................................................187
153
Annexe 1 :
Carte de la République des États-Unis du Mexique et de l’Etat du Chiapas
154
Annexe 2:
Entretien avec Monsieur Raymond de Saint-Martin,
Consul honoriaire du Mexique à Toulouse.
Mercredi 14 mars 2007.
●
Le Chiapas, un potentiel de revendications:
Comment présenteriez vous brièvement la situation au Chiapas?
La pression politique et religieuse est très forte dans cette région du Mexique. Le catholicisme est
fortement présent dans les communautés les plus faibles. Les guerres fratricides à l’intérieur de
l’Eglise a renforcé le poids de l’Eglise dans les milieu simples. Lors du conflit la pacification a été
obtenue par l’intermédiaire de l'évêque de San Cristóbal, Samuel Ruiz, afin de tempérer les deux
parties en conflit. Il lui a été reproché d’être trop favorable aux Indiens, notamment car il étalé trop
visiblement la culture de la compassion, directement liée à l’idée chrétienne.
Le marxisme-léninisme présent dans la région de l’Amérique centrale, et les reflux des guérillas des
années 1980 ont amené au Chiapas, région frontalière avec cette zone, l’idéologie et la ferveur
révolutionnaire d’alors. Une sorte de cousinage donc.
Selon vous, les caractéristiques principales des communautés chiapanèques ont-elles été propice a
déclenché le conflit de 1994 au Chiapas?
L’isolation des peuples chiapanèques, les a conduit au final a une crise d’identité sans précédent.
La différence sociale au Mexique à toujours existé entre les métis et les Indiens, et les mexicains en
sont généralement conscients. Ce que Marcos et l’EZLN ont fait, a été somme toute de sonner l’alerte
rouge, le fameux “Ya basta!”.
Au sûr, le Chiapas est dans le tiers-monde, mais cela se remarque surtout dans les mentalités des
chiapanèques, attachés à l’ancestral. Lors du processus de conflit, et au moment de trouver des
solutions, cette caractéristique à largement eu son importance. Ces gens sont engagés dans une culture
de la préservation. Les États de Puebla, Oaxaca, Chiapas, et Tlaxco sont des régions ou les mentalités
de gens sont beaucoup plus fermées, comme rétive au changement.
Laissez-moi vous conter une anecdote:
A la fin des années 1990, les pouvoirs publics avaient mis en place la déviation d’un cours d’eau qui
passait au pied de la montagne, et où les villages environnants allés faire leur lessive, dans le but de
leur rendre la vie plus commode et de leur amener plus de confort. Le phénomène qui a suivi a été
surprenant. Les communautés se sont rendues compte que le nouveau système réduisait le lien social
entre elles, et ce car le service de déserte d’eau été désormais plus individualisé. En réaction, les
communautés ont naturellement décidé, dans le but de préserver le lien social existant, de sacrifier
cette commodité, et de retourner en bas des montagnes.
●
Le Chiapas glocalisé:
Comment peut-on expliquer qu’après plus de 10 ans de conflit, le mouvement existe toujours?
Il est évident que le conflit du Chiapas ne pouvait pas être réglé en l’espace d’un moment. Les
négociations vont être longue. La domination des indigènes du Chiapas date de l’arrivée des espagnols
au Mexique, et elle s’est renforcée davantage après l'indépendance du pays. Les zapatistes ont ouvert
155
la boite de pandore. Après tant de siècle de domination, il est sûr que l’on s'apprête à vivre au Chiapas
une sorte de guerre de Cent Ans des temps modernes.
Quelle image avez-vous du sous-commandant Marcos?
Le sous-commandant est un véritable stratège politique. De plus, il bénéficie désormais, et ce depuis
2000, de l’ouverture des moyens de communication, avant sous le contrôle de l’Etat.
Considérez-vous ce mouvement comme étant un “mouvement populaire”?
Au Chiapas, l’EZLN ne représente l’opinion que d’une partie de la population. De nombreux groupes
d’Indiens ne suivent pas ou plus le mouvement. En effet, tout dépend des mentalités inhérentes à
chaque communauté, de l’intérêt que chacune a pu trouver dans le mouvement, et des factions
présentes au Chiapas.
●
Les héritages du mouvement:
Quel a été l’impact de la guérilla chiapanèque?
Dans la région: le mouvement a eu un formidable attrait quant au développement du tourisme dans la
région du Chiapas. Désormais le tourisme est devenu un véritable moteur de l’économie de ce
territoire. Le monde et les Institutions Internationales portent désormais plus d’attention à cette région,
et les subventions s’en font ressentir. De plus, les infrastructures et les moyens de communication ont
été améliorés largement depuis 1994.
Dans le pays: il est clair que l’EZLN a été un détonateur pour mettre fin à l’hégémonie du PRI qui
dominait le pays depuis 80 ans. Ce que le mouvement a fait, dans le pays, a surtout été de réaffirmer à
une nation qui l’avait souvent oublié au cours de son Histoire la dignité du peuple indigène.
Dans le monde: il est clair que l’EZLN a largement contribué à la diffusion et à la proclamation de
l’existence des indigènes et de l’oppression des communautés au Mexique et dans le monde.

En ce qui concerne le lancement politique du mouvement (La Otra Camapana):
Selon vous, est-ce paradoxal pou les zapatistes de se lancer dans l’arène politique, bien que
revendiquant leur non intention de se présenter, etc., et d’avoir toujours affirmé ne pas vouloir faire
partie du système politique?
Marcos a adopté une stratégie déroutante pour les mexicains, peu compréhensible. Il donne
l’impression d’être une comète qui ressort à chaque veille d’élection politique. L’activité de l’EZLN
depuis 2001 se réduit à peu. Elle s’apparente à un cycle qui alternerait les moments d’euphorie et les
moments d’hibernation.
156
Annexe 3 :
Première déclaration de la Selva Lacandona
AUJOURD'HUI NOUS DISONS : BASTA!
1er janvier 1994.
AU PEUPLE DU MEXIQUE, FRÈRES MEXICAINS,
Nous sommes le produit de cinq cents ans de lutte, d'abord contre l'esclavage, durant la guerre
d'indépendance contre l'Espagne menée par les insurgés, ensuite contre les tentatives d'expansionnisme
nord-américain, puis pour promulguer notre Constitution et expulser l'Empire français de notre sol, enfin
contre la dictature porfiriste qui refusa une juste application des lois issues de la Réforme. Du peuple
insurgé formant ses propres chefs surgirent Villa et Zapata, des pauvres comme nous, à qui on a toujours
refusé la moindre formation, destinés que nous étions à servir de chair à canon, afin que les oppresseurs
puissent piller impunément les richesses de notre patrie, sans qu'il leur importe le moins du monde que
nous mourions de faim et de maladies curables; sans qu'il leur importe que nous n'ayons rien, absolument
rien, ni un toit digne de ce nom, ni terre, ni travail, ni soins, ni ressources alimentaires, ni instruction,
n'ayant aucun droit à élire librement et démocratiquement nos propres autorités, sans indépendance aucune
vis-à-vis de l'étranger, sans paix ni justice pour nous et nos enfants.
Mais nous, AUJOURD'HUI, NOUS DISONS : BASTA ! Nous, les millions de dépossédés, héritiers des
véritables fondateurs de notre nationalité,nous appelons tous nos frères à suivre cet appel, seule possibilité
pour ne pas mourir de faim devant l'ambition insatiable d'une dictature vieille de soixante-dix ans, dirigée
par une bande de traîtres qui représentent les groupes les plus conservateurs, les bradeurs de la patrie. Ce
sont les mêmes que ceux qui se·sont opposés à Hidalgo et à Morelos, qui ont trahi Vicente Guerrero, les
mêmes qui ont vendu plus de la moitié de notre sol à l'envahisseur étranger, qui ont amené un prince
européen pour nous gouverner, les mêmes encore qui ont formé la dictature des scientifiques portïristes, qui
se sont opposés à l'expropriation des compagnies pétrolières, qui ont massacré les cheminots en 1958 et les
étudiants en 1968, les mêmes enfin qui, aujourd'hui, nous prennent tout, absolument tout.
Pour éviter cela et en désespoir de cause, après avoir tout tenté pour que soit réellement pratiquée la
légalité de la Carta Magna, notre Constitution, nous faisons appel à elle pour en faire appliquer l'article 39,
qui dit textuellement :
" La souveraineté nationale réside essentiellement et originellement dans le peuple. Tout pouvoir public
émane du peuple et s'institue à son profit. Le peuple a, en tout temps, le droit inaliénable de modifier la
forme de son gouvernement ou d'en changer. "
Par conséquent, fidèle à notre Constitution, nous adressons la présente :
DÉCLARATION DE GUERRE
à l'armée fédérale mexicaine, principal pilier de la dictature que nous subissons, monopolisée par le parti
au pouvoir et dirigée par l'exécutif fédéral aux mains de son chef suprême et illégitime, Carlos Salinas de
Gortari.
Conformément à cette déclaration de guerre, nous demandons aux autres forces de la nation de s'engager à
restaurer la légalité et la stabilité de la nation en déposant le dictateur.
Nous demandons également aux organismes internationaux et à la Croix-Rouge internationale de veiller à
la régularité des combats que livrent nos forces, en protégeant la population civile, car nous déclarons
solennellement que nous respectons et nous engageons à toujours respecter les règles de la Convention de
Genève, et constituons l'EZLN comme force belligérante de notre lutte de libération. Nous avons le soutien
du peuple mexicain, nous avons une patrie et le drapeau tricolore est aimé et respecté des combattants
157
INSURGÉS. Nous avons adopté pour nos uniformes le rouge et le noir, couleurs symbolisant la lutte des
travailleurs en grève, et sur notre drapeau, qui nous accompagnera toujours au combat, figurent les lettres "
EZLN ", EJÉRCITO ZAPATISTAA DE LIBERACIÔN NACIONAL.
Nous condamnons d'avance toute tentative de discréditer notre juste cause en l'accusant de narco-trafic ou
narco-guérilla, de banditisme et autres qualificatifs que pourraient employer nos ennemis. Notre lutte
s'appuie sur le droit constitutionnel et porte l'étendard de la justice et de l'égalité. Ainsi, conformément à
cette déclaration de guerre, nous donnons aux forces militaires de l'Armée zapatiste de libération nationale
les consignes suivantes :
Premièrement. - Défaire l'armée fédérale mexicaine et marcher sur la capitale du pays en protégeant dans sa
progression libératrice la population civile et en permettant aux populations libérées d'élire librement et
démocratiquement leurs propres autorités administratives;
Deuxièmement. - Respecter la vie des prisonniers et remettre les blessés à la Croix-Rouge internationale
pour qu'elle leur prête assistance;
Troisièmement. - Entreprendre les jugements sommaires des soldats de l'armée fédérale mexicaine et des
agents de la police politique qui ont été formés et conseillés, entraînés ou financés par des étrangers, au sein
de la nation ou à l'étranger, sous l'accusation de trahison envers la patrie, ainsi que ceux de tous ceux qui
répriment et maltraitent la population civile ou volent et attentent à ses biens;
Quatrièmement. - Former de nouvelles colonnes avec tous les Mexicains qui désirent s'allier à notre juste
cause, y compris avec les soldats ennemis qui se rendent sans combattre etjurent d'obéir aux ordres de ce
Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale;
Cinquièmement. - Demander la reddition inconditionnelle des garnisons ennemies avant d'engager les
combats;
Sixièmement. - Faire cesser le pillage de nos richesses naturelles dans les zones contrôlées par l'EZLN.
PEUPLE DU MEXIQUE,
nous, hommes et femmes libres et intègres, sommes conscients que la guerre que nous avons déclarée est
une mesure ultime mais juste. Les dictateurs pratiquent une guerre génocide larvée contre nos peuples
depuis de nombreuses années. C'est pour cela que nous te demandons ta participation active en soutenant ce
projet du peuple mexicain en lutte pour le travail, pour la terre, le logement, l'alimentation, la santé,
l'instruction, l'indépendance, la liberté, la démocratie, lajustice et la paix. Nous déclarons que nous ne
cesserons pas le combat avant l'entière satisfaction de ces exigences fondamentales de notre peuple et la
formation d'un gouvernement libre et démocratique de notre pays.
REJOINS LES FORCES INSURGÉES
DE L'ARMÉE ZAPATISTE
DE LIBÉRATION NATIONALE!
Commandement général de l'EZLN
an 1993 - forêt Lacandone, Chiapas, Mexique.
158
Annexe 4 :
Deuxième Déclaration de la Forêt Lacandone
juin 1994
Frères mexicains,
Notre lutte continue. Le drapeau zapatiste flotte toujours dans les montagnes du Sud-Est
mexicain et aujourd'hui nous disons :
Nous ne nous rendrons pas !
Tournés vers la montagne, nous avons parlé avec nos morts, afin que leur parole nous
désigne le bon chemin, celui que doit emprunter notre visage bâillonné.
Les tambours ont retenti et dans la voix de la terre a parlé notre douleur et notre histoire a
parlé.
" Tout pour tous ", disent nos morts. Tant qu'il n'en sera pas ainsi il n'y aura rien pour nous.
Dites la parole des autres Mexicains, trouvez le chemin du cœur à l'écoute de ceux pour qui
nous luttons, invitez-les à marcher du pas digne de ceux qui n'ont pas de visage. Appelez tout
le monde à résister, que personne n'accepte rien de ceux qui commandent en commandant.
Que le fait de ne pas se vendre devienne une bannière commune. Demandez qu'on ne se
contente pas de paroles d'encouragement devant notre douleur. Demandez qu'on la partage,
demandez que l'on résiste avec vous, que l'on rejette toutes les aumônes qui viennent des
puissants. Que toutes les bonnes gens qui vivent sur ces terres organisent aujourd'hui la
dignité qui résiste et ne se vend pas. Que demain cette dignité s'organise pour exiger que la
parole qui est dans le cœur du plus grand nombre soit reconnue et saluée par ceux qui
gouvernent. Que s'impose le bon chemin, où celui qui commande commande en obéissant.
Ne vous rendez pas! Résistez! Ne faillissez pas à l'honneur de la parole vraie. Résistez avec
dignité sur les terres des hommes et des femmes vrais, que les montagnes abritent la douleur
des hommes de maïs. Ne vous rendez pas! Résistez! Ne vous vendez pas! Résistez!
C'est ce qu'a dit la parole venant du cœur de nos morts de toujours. Nous avons vu que la
parole de nos morts était bonne, nous avons vu qu'il y a vérité et dignité dans leur conseil.
C'est pour cela que nous appelons tous nos frères indigènes mexicains à résister avec nous.
Nous appelons tous les paysans à résister avec nous, les ouvriers, les employés, les fermiers,
les femmes au foyer, les étudiants, les instituteurs, ceux qui font leur vie de la pensée et de la
parole, tous ceux qui ont le sens de l'honneur et de la dignité, nous les appelons tous pour
qu'ils résistent avec nous, car ce mauvais gouvernement veut qu'il n'y ait pas de démocratie
sur notre sol. Nous n'accepterons rien qui vienne du cœur pourri de ce gouvernement mauvais,
ni le moindre sou, ni un médicament, ni une pierre, ni un grain de nourriture, ni la moindre
miette des aumônes qu'il propose en échange de notre digne cheminement.
Nous ne recevrons rien du suprême gouvernement. Même si notre peine et notre douleur
augmentent, même si la mort demeure à notre table, sur notre terre et dans notre lit, même si
nous voyons que d'autres se vendent à la main qui les opprime, même si tout fait mal, même si
notre peine pleure jusque dans les pierres. Nous n'accepterons rien, nous résisterons. Nous ne
159
recevrons rien du gouvernement, nous résisterons jusqu'à ce que celui qui commande
commande en obéissant.
Frères, ne vous vendez pas. Résistez avec nous. Ne vous rendez pas. Résistez avec nous.
Répétez avec nous, frères : " Nous ne nous rendons pas! Nous résistons! " Que cette parole ne
s'entende pas seulement dans les montagnes du Sud- Est mexicain, qu'elle s'entende aussi
dans le Nord et dans les péninsules, qu'on l'écoute sur les deux côtes, qu'on l'entende dans le
centre, qu'elle se fasse cri dans les vallées et dans les montagnes, qu'elle résonne à la ville et à
la campagne. Unissez vos voix, frères, criez avec nous, faites vôtre notre voix :
Nous ne nous rendons pas! Nous résistons!
Que la dignité brise le cercle par lequel les mains sales de ce mauvais gouvernement nous
asphyxient. Nous sommes tous cernés, ils ne laissent pas la démocratie, la liberté et la justice
pénétrer en terre mexicaine. Frères, nous sommes tous cernés. Ne nous rendons pas!
Résistons! Soyons dignes! Ne nous vendons pas!
À quoi serviront au puissant toutes ses richesses s'il ne peut pas acheter ce qu'il y a de plus
précieux sur ces terres? Si la dignité de tous les Mexicains n'a pas de prix, à quoi sert le
pouvoir du puissant?
La dignité ne se rend pas!
La dignité résiste!
Démocratie!
Liberté!
Justice!
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale
Mexique, juin 1994.
160
Annexe 5 :
Troisième déclaration de la jungle lacandone
janvier 1995
Un an après le soulèvement zapatiste, nous disons aujourd'hui :
La patrie vit ! Et elle nous appartient ! Nous avons été malheureux, c'est vrai; la chance nous a souvent
été défavorable, mais la cause du Mexique, qui est la cause du droit et de la justice, n'a pas succombé, n'est
pas morte et ne mourra pas, parce qu'il existe encore des Mexicains courageux dans le cœur desquels brûle
le feu sacré du patriotisme et, quel que soit l'endroit de la République où ils se trouvent, les armes et le
drapeau national à la main, il existera, comme ici, vif et énergique, le refus que le droit oppose à la force.
Que l'homme imprudent qui a accepté la triste mission d'être l'instrument de la mise en esclavage d'un
peuple libre le comprenne bien : son trône vacillant ne repose pas sur la libre volonté de la nation, mais sur
le sang et les cadavres de milliers de Mexicains qu'il a sacrifiés sans motif, pour la simple raison qu'ils
défendaient leur liberté et leurs droits.
Mexicains : vous qui avez le malheur de vivre sous la domination de l'usurpation, ne vous résignez pas
à supporter le joug d'opprobre qui pèse sur vous.
Ne vous méprenez pas sur les perfides allusions des partisans des faits accomplis, parce qu'ils sont, et
ont toujours été, les partisans du despotisme.
L'existence du pouvoir arbitraire est une violation permanente du droit et de la justice, que ne peuvent
jamais justifier ni le temps ni les armes, et qu'il est nécessaire de détruire pour l'honneur du Mexique et de
l'humanité.
MANIFESTE : DEBOUT ET AUSSI RÉSOLUS QU’AU PREMIER JOUR.
Benito Juârez, janvier 1865, Chihuahua .
Au peuple du Mexique.
Aux peuples et gouvernements du monde.
Frères,
Le 1er janvier 1994, nous faisions connaître la Première Déclaration de la jungle lacandone. Le 10 juin
1994, nous avons lancé la Deuxième Déclaration de la jungle lacandone . L'une et l'autre étaient motivées
par la volonté de lutter pour la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains.
Dans la première, nous avons appelé le peuple mexicain à se soulever en armes contre le mauvais
gouvernement, principal obstacle dans la marche de notre pays vers la démocratie. Dans la deuxième, nous
avons appelé les Mexicains à un effort civil et pacifique, par l'intermédiaire de la Convention nationale
démocratique, pour obtenir les profonds changements que demande la nation.
Alors que le gouvernement suprême montrait sa déloyauté et sa superbe, nous, entre ces deux
manifestes, nous sommes efforcés de faire voir au peuple mexicain, notre support social, le bien-fondé de
nos demandes et la dignité qui anime notre lutte. Nos armes alors se sont tues et se sont écartées, pour que
la lutte légale démontre ses possibilités... et ses limites. À partir de la Deuxième Déclaration de la jungle
lacandone, l'EZLN a tenté, par tous les moyens, d'éviter la reprise des hostilités, et a cherché une issue
politique, digne et juste, qui permette d'apporter une réponse aux demandes exprimées dans les onze points
de notre programme de lutte : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, justice, indépendance,
liberté, démocratie et paix.
Le processus préélectoral d'août 1994 a apporté l'espoir, dans de vastes secteurs du pays, que la
transition démocratique était possible par la voie électorale. Sachant que les élections ne sont pas, dans les
conditions actuelles, le chemin du changement démocratique, l'EZLN a commandé en obéissant et s'est
161
effacée pour permettre aux forces politiques légales d'opposition de lutter. L'EZLN a alors engagé sa parole
et ses efforts dans la recherche d'une transition pacifique vers la démocratie. À travers la Convention
nationale démocratique, l'EZLN a appelé à un effort civil et pacifique qui, sans s'opposer à la lutte
électorale, ne s'y épuiserait pas et chercherait de nouvelles formes de lutte capables d'impliquer davantage
de secteurs démocratiques au Mexique et de tisser des liens avec des mouvements de lutte pour la
démocratie d'autres parties du monde. Le 21 août a mis fin aux illusions d'un changement immédiat par la
voie pacifique. Un processus électoral souillé, immoral, inéquitable et illégitime, s'est achevé en nouveau
pied-de-nez à la juste volonté des citoyens. Le système du parti-État a réaffirmé sa vocation
antidémocratique et imposé, partout et à tous les niveaux, sa volonté arrogante. Face à une participation
électorale sans précédent, le système politique mexicain a opté pour l'autoritarisme, coupant court aux
espoirs que suscitait la voie électorale. Des rapports de la Convention nationale démocratique, de l'Alliance
Civique et de la Commission pour la vérité ont mis en lumière ce que cachaient, avec une honteuse
complicité, les grands médias : une fraude gigantesque. Les multiples irrégularités, l'iniquité, la corruption,
le chantage, l'intimidation, le vol et la falsification, ont été le cadre dans lequel se sont déroulées les
élections les plus sales de toute l'histoire du Mexique. Les taux élevés d'abstention des élections locales de
Veracruz, Tlaxcala et Tabasco, démontrent que le scepticisme civil régnera de nouveau au Mexique. Mais,
non content de cela, le système du parti-État a renouvelé la fraude d'août, en imposant des gouverneurs, des
maires et des parlements locaux. Comme à la fin du XIXe siècle, lorsque les traîtres organisèrent des
"élections " pour légitimer l'intervention française, on prétend aujourd'hui que la nation salue, avec
bienveillance, la continuité de la contrainte et de l'autoritarisme. Le processus électoral d'août 1994 est un
crime contre l'État. C'est en tant que criminels que doivent être jugés les responsables de cette fraude.
D'un autre côté, le gradualisme et le renoncement apparaissent dans les rangs de l'opposition, qui
accepte de voir dissoudre une grande fraude en multitude de petites "irrégularités ". Voici qu'apparaît à
nouveau la grande fracture dans la lutte pour la démocratisation au Mexique : prolongation de l'agonie par
le pari sur une transition "sans douleur " ou coup de grâce dont l'éclat illumine le chemin de la démocratie.
Le cas du Chiapas n'est que l'une des conséquences de ce système politique. En ne tenant aucun
compte des aspirations du peuple chiapanèque, le gouvernement a redoublé la dose d'autoritarisme et
d'arrogance.
[… ]
Dans l'attente de signes de la volonté gouvernementale d'aboutir à un règlement politique, juste et
digne, du conflit, l'EZLN a vu, impuissante, les meilleurs enfants de la dignité du Chiapas assassinés,
emprisonnés et menacés ; elle a vu ses frères indigènes du Guerrero, de l'Oaxaca, du Tabasco, de
Chihuahua et de Veracruz réprimés et ne recevoir que railleries en réponse à leur demande d'amélioration
de leurs conditions de vie.
Pendant toute cette période, l'EZLN n'a pas seulement subi le siège militaire et les menaces et
intimidations des forces fédérales ; elle a aussi résisté à une campagne de calomnies et de mensonges.
Comme aux premiers jours de l'année 1994, nous avons été accusés de recevoir assistance militaire et
financement étrangers ; on a tenté de nous forcer à déposer nos drapeaux en échange d'argent et de postes
gouvernementaux ; on a tenté d'enlever sa légitimité à notre lutte en diluant la problématique nationale dans
le cadre indigène local.
Pendant ce temps, le gouvernement suprême préparait la solution militaire à la rébellion indigène du
Chiapas, et la nation était plongée dans le désespoir et le dégoût. Avec sa prétendue volonté de dialogue,
qui n'occultait que la volonté de tuer l'EZLN en l'asphyxiant, le mauvais gouvernement laissait passer le
temps et la mort dans les communautés indigènes de tout le pays.
Pendant ce temps, la Parti révolutionnaire institutionnel, branche politique du crime organisé et du
trafic de stupéfiants, prolongeait sa phase de décomposition la plus aiguë en recourant à l'assassinat comme
méthode de règlement de ses luttes internes. Incapable de tenir un dialogue civilisé en son sein, le PRI
ensanglantait le sol national. L'usurpation des couleurs du drapeau national par le sigle du PRI est pour tous
les Mexicains une honte qui dure.
[…]
Aujourd'hui nous répétons :
162
NOTRE LUTTE EST NATIONALE.
On nous a critiqués en disant que, nous, les zapatistes, demandons beaucoup, que nous devons nous
contenter de l'aumône que nous a offerte le mauvais gouvernement. Celui qui est prêt à mourir pour une
cause juste et légitime a le droit de tout demander. Nous, zapatistes, sommes prêts à offrir la seule chose
que nous ayons, la vie, pour exiger la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains.
Nous réaffirmons aujourd'hui :
TOUT POUR TOUS, RIEN POUR NOUS
À la fin de l'année 1994 explosait la farce économique avec laquelle le salinisme avait trompé la
nation et la communauté internationale. La patrie de l'argent a appelé en son sein les grands seigneurs du
pouvoir et de la superbe, et ceux-ci n'ont pas hésité à trahir le sol et le ciel où ils s'enrichissaient par le sang
mexicain. La crise économique a réveillé les Mexicains du doux rêve abrutissant de l'accession au premier
monde. Le cauchemar du chômage, de la vie chère et de la misère, sera désormais plus aigu pour la
majorité des Mexicains.
Cette année qui se termine, 1994, a fini de montrer le vrai visage du système brutal qui nous domine.
Le programme politique, économique, social et répressif du néolibéralisme a démontré son inefficacité, sa
fausseté, et la cruelle injustice qui en est l'essence. Le néolibéralisme en tant que doctrine et en tant que
réalité doit être jeté, et vite, à la poubelle de l'histoire nationale.
[…]
Frères,
La paix viendra, amenée par la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains. Nos pas ne
peuvent trouver la juste paix que réclament nos morts, si c'est au prix de notre dignité mexicaine. La terre
n'a pas de répit et marche dans nos cœurs. L'offense faite à nos morts demande la lutte pour laver leur
peine. Nous résisterons. L'opprobre et la superbe seront vaincus.
Comme avec Benito Juârez face à l'intervention française, la patrie marche, à présent, aux côtés des
forces patriotes, contre les forces antidémocratiques et autoritaires.
Aujourd'hui, nous disons :
LA PATRIE VIT ! ET ELLE NOUS APPARTIENT !
Démocratie ! Liberté ! Justice !
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
Comité clandestin révolutionnaire indigène-Commandement général de l'Armée zapatiste de libération
nationale.
Mexique, janvier 1995
163
Annexe 6 :
Quatrième déclaration de la foret lacandone
Aujourd'hui, nous disons : Nous sommes toujours là!
Nous sommes la dignité rebelle, le cœur oublié de la patrie!
1er janvier 1996.
"Tous ces peuples, tous ceux qui travaillent la terre, tous nous les invitons à s'unir et se joindre à nous
et nous donnerons notre vie a une seule lutte, pour que nous marchions avec votre aide.
Luttons encore et sans repos et nôtre sera la terre, propriété des gens, la terre qui fut à nos aïeux et que
les doigts de pieds de pierre écraseurs nous ont arrachée, à l'ombre de ceux qui sont passés, ceux qui
toujours commandent; qu'ensemble nous portions haut, la main sur un site élevé et avec la force de notre
coeur, ce qui doit être vu, qu'on appelle étendard de notre dignité et de notre liberté, à nous travailleurs de
la terre; ensemble luttons toujours et vainquons ceux qui de nouveau se sont hissés en haut, ceux qui
appuient ceux-là qui enlèvent à d'autres leur terre, ceux qui tirent grande richesse du travail de ceux qui
sont comme nous, et ces trompeurs des haciendas, c'est notre devoir d'honneur, si nous voulons être appelés
des hommes de bonne vie, et en vraie vérité bons habitants du peuple.
Aujourd'hui, de quelque façon, plus que jamais, il nous faut aller tous unis, avec tout notre coeur, et
avec tout notre effort, dans ce grand travail de l'unification merveilleuse, bien véritable, de ceux qui
engagèrent la lutte, qui gardent purs dans leur coeur ces principes et ne perdent pas la foi de la vie juste.
Nous supplions que qui ait entre ses mains ce manifeste, qu'il le fasse passer à tous les hommes de ces
terres."
Réforme, Liberté, Justice et Loi.
Le Général en chef de l'Armée Libératrice du Sud,
Emiliano Zapata.
Au peuple du Mexique,
Aux peuples et gouvernements du monde,
Frères,
Elle ne mourra pas, la fleur de la parole. Le visage invisible de qui la dit aujourd'hui peut mourir, mais la
parole revenue du fond de l'histoire, du fond de la terre, la superbe du pouvoir ne pourra plus l'arracher.
Nous sommes nés de la nuit. En elle nous vivons. Nous mourrons en elle. Mais la lumière sera demain
pour tous, pour tous ceux qui pleurent la nuit, auxquels le jour est refusé, ceux pour qui la mort est un don,
auxquels la vie est interdite. Pour tous, la lumière. Pour tous, tout. Pour nous, la douleur et l'angoisse, pour
nous la joyeuse rÈbellion, pour nous le futur fermé, pour nous, la dignité insurgée. Pour nous, rien.
[…]
Nous luttons pour la Patrie, et le mauvais gouvernement rêve du drapeau et de la langue de l'étranger.
Nous luttons pour la paix, et le mauvais gouvernement annonce guerre et destruction.
164
Toit, terre, pain, santé, éducation, indépendance, démocratie, liberté, justice et paix. Tels furent nos
drapeaux à l'aube de 1994. Telles furent nos demandes pendant la longue nuit des 500 ans. Telles sont,
aujourd'hui, nos exigences.
[…]
-IFrères:
Le 1° janvier 1995, après avoir rompu l'encerclement militaire par lequel le mauvais gouvernement
prétendait nous enfouir dans l'oubli et nous épuiser, nous avons appelé les différentes forces et citoyens à
construire un ample front d'opposition qui unisse les volontés démocratiques contre le système de parti
d'Etat : le Mouvement pour la Libération Nationale. Bien qu'à ses débuts cet effort d'unité oppositionnelle
ait rencontré bon nombre de problèmes, il s'est poursuivi dans la pensée des hommes et des femmes qui ne
se satisfont pas de voir leur patrie livrée aux décisions du pouvoir et de l'argent étrangers. L'ample front
d'opposition, après avoir suivi une route pleine de difficultés, incompréhensions et reculs, est sur le point de
concrétiser ses premiers projets et accords d'action conjointe. Le long processus de maturation de cet effort
d'organisation devra atteindre sa plénitude au cours de l'année qui commence. Nous, les zapatistes, saluons
la naissance du Mouvement pour la Libération Nationale et désirons qu'entre ceux qui en fassent partie
existe toujours la volonté d'unité et le respect des différences.
Le dialogue était renoué avec le gouvernement suprême quand fut trahie la bonne volonté de l'EZLN
dans la recherche d'une issue politique à la guerre commencée en 1994 . Feignant de vouloir le dialogue, le
mauvais gouvernement choisit lâchement la solution militaire et, avec des arguments maladroits et stupides
, déclencha une grande persécution politique et militaire dont l'objectif suprême était l'assassinat de la
direction de l'EZLN. Les forces armées rebelles de l'EZLN résistèrent avec sérénité au coup de force de
dizaines de milliers de soldats qui prétendaient, avec les conseils de l'étranger et toute leur machinerie de
mort moderne, noyer le cri de dignité qui surgissait des montagnes du Sud-Est Mexicain. Un repli ordonné
permit aux forces zapatistes de conserver leur puissance militaire, leur autorité morale, leur force politique
et la raison historique qui est leur arme principale contre le crime fait gouvernement. Les grandes
mobilisations de la société civile nationale et internationale ont arrêté l'offensive traîtresse et obligé le
gouvernement à revenir à la voie du dialogue et la négociation. Des dizaines de civils innocents furent
emprisonnés par le mauvais gouvernement et sont aujourd'hui encore emprisonnées, comme otages des
terroristes qui nous gouvernent. Les forces fédérales n'ont eu d'autres victoires militaires que la destruction
d'une bibliothèque, d'une salle de réunions culturelles et d'une piste de danse et le pillage des maigres biens
des indiens de la forêt Lacandone. Le gouvernement couvrit d'un mensonge la tentative d'assassinat, avec la
mascarade de la "récupération de la souveraineté nationale".
Oublieux de l'article 39 de la Constitution qu'il a jurée de défendre le 1° décembre 1994, le
gouvernement suprême a réduit l'Armée Fédérale Mexicaine au niveau d'une armée d'occupation, lui a
assigné la tâche de sauvegarder le crime organisé fait gouvernement et a voulu la lancer contre ses frères
mexicains.
Pendant ce temps, la véritable perte de la souveraineté nationale se concrétisait en pactes secrets et
publics du cabinet économique avec les maîtres de l'argent et les gouvernements étrangers. Aujourd'hui,
alors que des dizaines de milliers de soldats fédéraux agressent et harcèlent un peuple armé de fusils de
bois et de mots de dignité, les plus hauts gouvernants achèvent de vendre les richesses de la grande nation
mexicaine et finissent de détruire le peu qui reste debout.
[…]
Voyant que le gouvernement refusait une approche sérieuse du conflit national que représente la guerre,
l'EZLN prit une initiative de paix pour débloquer le dialogue et la négociation. Appelant la société civile à
un dialogue national et international pour la recherche d'une paix nouvelle, l'EZLN convoqua la
Consultation pour la Paix et la démocratie, pour entendre la pensée nationale et internationale sur ses
demandes et son avenir.
Avec la participation enthousiaste des membres de la Convention Nationale Démocratique, le
dévouement désintéressé de milliers de citoyens sans organisation mais anxieux de démocratie, la
165
mobilisation des comités de soutien internationaux et des groupes de jeunes, et l'aide irréprochable des
frères et soeurs d'Alianza Cívica Nacional, les mois d'août et septembre 1995 virent se dérouler un exercice
de citoyenneté sans précédents dans l'histoire mondiale : une société civile et pacifique qui dialoguait avec
un groupe armé et clandestin. Plus d'un million trois cent mille dialogues se réalisèrent pour faire de cette
rencontre de volontés démocratiques une vérité. A l'issue de cette consultation, la légitimité des
revendications zapatistes se vit ratifiée, l'ample front d'opposition, qui était en panne, reçut une nouvelle
impulsion, et le désir s'exprima clairement de voir les zapatistes participer à la vie politique civile du pays.
La grande participation de la société civile internationale attira l'attention sur la nécessité de construire des
espaces de rencontre entre les volontés de changement démocratique qui existent dans différents pays.
L'EZLN prit au sérieux les résultats de ce dialogue national et international et commença les travaux
politiques et d'organisation nécessaires pour suivre le chemin qu'ils signalaient.
En réponse au succès de la Consultation pour la Paix et la Démocratie, les zapatistes ont lancé trois
initiatives nouvelles. Une initiative internationale, qui appelle à réaliser une rencontre internationale contre
le néolibéralisme. Deux initiatives sont de caractère national : la formation de comités civils de dialogue
comme base de discussion des principaux problèmes nationaux et germe d'une nouvelle force politique non
partidiste; et la construction de nouveaux Aguascalientes, lieux de rencontre entre la société civile et le
zapatisme.
Trois mois après ces trois initiatives, la convocation à la rencontre internationale pour l'humanité et
contre le néolibéralisme est sur le point d'être lancée; plus de 200 comités civils de dialogue se sont formés
dans toute la République mexicaine et, aujourd'hui même, s'inaugurent 5 nouveaux Aguascalientes : un
dans la communauté de La Garrucha, un autre à Oventic, un à Morelia, un à La Realidad, et le dernier, et
premier, dans le coeur de tous les hommes et femmes honnêtes qui se trouvent au monde.
Au milieu des menaces et des carences, les communautés indiennes zapatistes et la société civile sont
parvenues à édifier ces centres de résistance civile et pacifique qui seront des lieux de défense de la culture
mexicaine et mondiale.
Le Nouveau Dialogue National a passé son premier essai à l'occasion de la "Table 1" du Dialogue de San
Andrés. Tandis que le gouvernement révélait son ignorance des habitants originaires de ces terres, les
conseillers et invités de l'EZLN jetaient les bases d'un dialogue si riche et si neuf qu'il dépassa
immédiatement l'étroit réduit de San Andrés et se situa à sa place véritable : la nation. Les indiens
mexicains, ceux qu'on a toujours obligé à écouter, à obéir, à accepter, à se résigner, prirent la parole et
dirent la sagesse qui marche dans leurs pas. L'image de l'indien ignorant, pusillanime et ridicule, l'image
que le pouvoir avait décrétée pour la consommation nationale, vola en éclats et l'orgueil et la dignité
indiennes revinrent dans l'histoire pour y prendre la place qui leur revient : celle de citoyens pleins et
entiers.
Indépendamment des résultats de la première négociation d'accords à San Andrés, le dialogue engagé par
les différentes ethnies et leurs représentants va continuer dans le Forum National Indien, et aura le rythme
et la portée que les indiens eux-mêmes voudront et décideront ensemble.
[…]
Tandis que l'opposition véritable s'efforce pour trouver le centre dans une nation moribonde, de larges
couches de la population renforcent leur scepticisme face aux partis politiques et cherchent, sans la trouver
encore, une option d'action politique nouvelle, une organisation politique de type nouveau.
[…]
Une nouvelle société plurielle, tolérante, incluante, démocratique, juste et libre n'est possible, aujourd'hui,
que dans une patrie nouvelle. Le pouvoir n'en sera pas le constructeur. Le pouvoir n'est désormais que
l'agent de vente des décombres d'un pays détruit par les véritables subversifs et déstabilisateurs : les
gouvernants.
Les projets d'opposition indépendante souffrent d'une carence qui devient, aujourd'hui, plus décisive :
nous nous opposons à un projet de pays qui implique sa destruction, mais nous manquons de la proposition
166
d'une nouvelle nation, une proposition de reconstruction. Dans l'effort pour la transition à la démocratie,
l'EZLN a été et reste une partie, non e tout ni l'avant-garde. En dépit des persécutions et des menaces, pardelà les tromperies et les mensonges, forte de sa légitimité et de sa cohérence, l'EZLN poursuit sa lutte pour
la démocratie, la liberté et la justice pour tous les mexicains.
Aujourd'hui, la lutte pour la démocratie, la liberté et la justice au Mexique est une lutte pour la libération
nationale.
[…]
-IIIFrères,
Beaucoup de mots marchent dans le monde. Beaucoup de mondes se font. Beaucoup de mondes nous
font Il y a des mots et des mondes qui sont mensonges et injustices. Il y a des mots et des mondes qui sont
vérités et véritables. Nous faisons des mondes véritables. Nous sommes faits par des mots véridiques.
Dans le monde du puissant, il n'y a place que pour les grands et leurs serviteurs. Dans le monde que nous
voulons, il y a place pour tous.
Le monde que nous voulons est fait de beaucoup de mondes, tous y ont place. Dans la Patrie que nous
construisons, il y a place pour tous les peuples et leurs langues, que tous les pas y marchent, que tous les
rires la rient, que tous soient son aurore.
Nous disons l'unité, même quand nous nous taisons. Doucement et en pleuvant nous parlons les mots qui
trouvent l'unité qui nous enlace dans l'histoire, pour rejeter l'oubli qui nous sépare et détruit.
Notre parole, notre chant et notre cri, montent pour que ne meurent plus les morts. Pour qu'ils vivent,
nous luttons, pour qu'ils vivent, nous chantons.
Vive la parole. Vive le Ya Basta! Vive la nuit qui se fait matin. Vive notre digne pas avec ceux, tous, qui
pleurent. Pour détruire l'horloge de mort du puissant, nous luttons. Pour un nouveau temps de vie.
La fleur de la parole ne meurt pas, même si nos pas marchent en silence. La parole, en silence, se sème.
Pour qu'elle fleurisse en cris elle se tait. La parole se fait soldat pour ne pas mourir dans l'oubli. Pour vivre
meurt la parole, semée pour toujours dans le ventre du monde. A naître et vivre, nous mourons. Nous
vivrons toujours. Seuls ceux qui livrent leur histoire retourneront à l'oubli.
Nous sommes toujours là. Nous ne nous rendons pas.
Zapata est vivant et, en dépit de tout, la lutte continue.
Depuis les montagnes du sud-est mexicain
CCRI-CG de l'EZLN
Mexique, 1° janvier 1996
167
Annexe 7 :
Première déclaration de " La Realidad "
contre le néolibéralisme et pour l'humanité
Janvier 1996.
Me voilà arrivé, je suis là, moi chanteur.
Réjouissez-vous à la bonne heure,
que se présentent ici ceux dont le cœur est endolori.
Moi, j'élève mon chant.
Poème nahuatl.
Aux peuples du monde.
Frères,
Ces dernières années, le pouvoir de l'argent a présenté sous un nouveau masque son visage criminel. Pardessus les frontières, sans distinction de race ou de couleur, le pouvoir de l'argent humilie les dignités,
insulte les honnêtetés et assassine les espérances. Rebaptisé " néolibéralisme ", le crime historique de la
concentration de privilèges, de richesses et d'impunités, démocratise la misère et le désespoir.
Une nouvelle guerre mondiale se livre, mais contre l'humanité tout entière à présent. Comme dans toutes
les guerres mondiales, ce qui est recherché, c'est un nouveau partage du monde.
Cette guerre moderne qui assassine et oublie porte le nom de " mondialisation ". Le nouveau partage du
monde consiste à concentrer du pouvoir au pouvoir et de la misère dans la misère.
Le nouveau partage du monde exclut les " minorités ". Indigènes, jeunes, femmes, homosexuels,
lesbiennes, gens de couleur, immigrés, ouvriers, paysans ; les majorités qui forment les sous-sols du
monde, le pouvoir ne les voit que comme des minorités superflues. Le nouveau partage du monde exclut les
majorités.
L'armée moderne du capital financier et des gouvernements corrompus avance en conquérant de la seule
façon qu'elle connaît : la destruction. Le nouveau partage du monde détruit l'humanité.
Le nouveau partage du monde n'a de place que pour l'argent et ses serviteurs. Hommes, femmes et
machines sont égaux puisque également asservis et également négligeables. Le mensonge gouverne,
multipliant ses formes et ses moyens.
On nous vend un nouveau mensonge en guise d'histoire. Le mensonge de la défaite de l'espoir, le mensonge
de la défaite de la dignité, le mensonge de la défaite de l'humanité. Le miroir du pouvoir nous propose, en
contrepoids sur la balance : le mensonge de la victoire du cynisme, le mensonge de la victoire de la
servilité, le mensonge de la victoire du néolibéralisme.
Au lieu de l'humanité, on nous offre des indices boursiers, au lieu de la dignité on nous offre la
mondialisation de la misère ; au lieu de l'espoir, on nous offre le vide ; au lieu de la vie, on nous offre
l'intemationale de la terreur.
Contre l'internationale de la terreur que représente le néolibéralisme, nous devons élever l'internationale de
l'espoir. L' unité, par-dessus les frontières, les langues, les couleurs, les cultures, les sexes, les stratégies, et
les pensées, de tous ceux qui préfèrent l'humanité vivante.
L'internationale de l'espoir. Pas la bureaucratie de l'espoir, pas l'image renversée et, par là même, semblable
à ce qui nous anéantit. Pas le pouvoir sous un signe ou un habillage nouveau. Mais un souffle le souffle de
la dignité. Une fleur, la fleur de l'espoir. Un chant, le chant de la vie.
La dignité est cette patrie sans nationalité, cet arc-en-ciel qui est aussi un pont, ce murmure du cœur quel
que soit le sang qui le vit, cette irrévérence rebelle qui se moque des frontières, des douanes et des guerres.
168
L'espoir est cette insubordination qui rejette le conformisme et la défaite. La vie, voilà ce qu'ils nous
doivent : le droit de gouverner et de nous gouverner, de penser et d'agir avec une liberté qui ne s'exerce pas
sur l'esclavage des autres, le droit de donner et de recevoir ce qui est juste.
C'est pourquoi, aux côtés de ceux qui, par-dessus les frontières, les races et les couleurs, partagent le chant
de la vie, la lutte contre la mort, la fleur de l'espoir et l'élan de la dignité.. .
L'Armée zapatiste de libération nationale parle...
À tous ceux qui combattent pour les valeurs humaines de démocratie, liberté et justice.
À tous ceux qui s'efforcent de résister au crime mondial appelé " néolibéralisme " et qui aspirent à ce que
l'humanité et l'espoir d'être meilleurs soient synonymes d'avenir.
À tous les individus, groupes, collectifs, mouvements, organisations sociales, citoyennes et politiques, aux
syndicats, aux associations de quartier, aux coopératives, à toutes les gauches passées et à venir ; aux
organisations non gouvernementales, groupes de solidarité avec les luttes des peuples du monde, aux
bandes, tribus, intellectuels, indigènes, étudiants, musiciens, ouvriers, artistes, enseignants, paysans,
groupes culturels, mouvements de jeunes, médias alternatifs, écologistes, habitants des banlieues,
lesbiennes, homosexuels, féministes, pacifistes.
À tous les êtres humains privés de toit, privés de terre, privés de travail, privés de nourriture, privés de
santé, privés d'éducation, privés de liberté, privés de justice, privés d'indépendance, privés de démocratie,
privés de paix, privés de patrie, privés de lendemain.
A tous ceux qui, sans distinction de couleur, de race ou de frontières, portent les armes et les couleurs de
l'espoir.
. . et les convoque à la Première rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme.
Qui se tiendra entre les mois d'avril et d'août 1996 sur les cinq continents, selon le programme d'activités
suivant :
Premièrement. Assemblées préparatoires continentales au mois d' avril 1996 dans les lieux suivants :
1. Continent européen : Berlin, Allemagne.
2. Continent américain : La Realidad, Mexique.
3. Continent asiatique : Tokyo, Japon.
4. Continent africain : lieu à définir.
5. Continent océanien : Sydney, Australie.
Note : Les lieux des rencontres continentales peuvent changer si les groupes organisateurs le décident.
Deuxièmement. Rencontre internationale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, du 27 juillet au 3 août
1996, dans les " Aguascalientes " zapatistes du Chiapas, Mexique, sur les bases suivantes :
Thèmes :
Atelier 1: Aspects économiques de la vie sous le néolibéralisme, comment on y résiste, comment on lutte et
propositions de lutte contre lui et pour l'humanité.
Atelier 2 : Aspects politiques de la vie sous le néolibéralisme, comment on y résiste, comment on lutte et
propositions de lutte contre lui et pour l'humanité.
169
Atelier 3 : Aspects sociaux de la vie sous le néolibéralisme, comment on y résiste, comment on lutte et
propositions de lutte contre lui et pour l'humanité.
Atelier 4 : Aspects culturels de la vie sous le néolibéralisme comment on y résiste, comment on lutte et
propositions de lutte contre lui et pour l'humanité.
Organisation : les réunions préparatoires en Europe, en Asie, en Afrique et en Océanie seront organisées
par les Comités de solidarité avec la rébellion zapatiste, des organismes proches, et des groupes de citoyens
intéressés à la lutte contre le néolibéralisme et pour l’humanité. Nous,appelons les groupes de tous les pays
à travailler unis à l’organisation et à la tenue des assemblées préparatoires.
La rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, qui se tiendra du 27 juillet au 3
août 1996 au Chiapas, Mexique, sera organisée par I EZLN et par des citoyens et des organisations non
gouvernementales mexicaines que l'on fera connaître en temps voulu.
Accréditations : les inscriptions pour les assemblées préparatoires de chacun des cinq continents se feront
auprès des comités d'organisation qui se formeront en Europe, en Asie, en Afrique, en Océanie et en
Amérique, respectivement.
Les inscriptions pour la rencontre au Chiapas, Mexique, se feront à travers les comités de solidarité avec la
rébellion zapatiste, avec le peuple du Chiapas, et avec le peuple du Mexique, dans leurs pays respectifs ; et
au Mexique, auprès de la commission d'organisation, que l'on fera connaître en temps voulu. ,
Note générale et intercontinentale : tout ce qui n'est pas abordé par cette convocation sera réglé par les
différents comités organisateurs en ce qui concerne les assemblées continentales préparatoires, et par le
comité organisateur intercontinental en ce qui concerne la rencontre au Chiapas, Mexique.
Frères,
L'humanité vit dans chacune de nos poitrines et, comme le cœur, elle préfère le côté gauche. Il faut la
retrouver, il faut nous retrouver.
Il n'est pas nécessaire de conquérir le monde. II suffit de le refaire. Nous. Aujourd'hui.
Démocratie ! Liberté ! Justice !
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale,
sous-commandant insurgé Marcos.
170
Annexe 8 :
Les accords de San Andrés Larraizan
16 février 1996.
En la segunda parte de la Plenaria Resolutiva del Tema 1 sobre Derechos y Cultura Indígena, y después de
las consultas que cada parte realizó, el EZLN y el Gobierno Federal llegaron al siguiente
Respecto a los documentos
“pronunciamiento conjunto que el gobierno federal y el ezln enviarán a las instancias de debate y decisión
nacional”,
“propuestas conjuntas que el gobierno federal y el ezln se comprometen a enviar a las instancias de debate
y decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las reglas de procedimiento” [...]emanados de la
primera parte de la Plenaria Resolutiva correspondiente al tema de Derechos y Cultura Indígena:
A. El Gobierno Federal, a través de su delegación, manifiesta su aceptación de dichos documentos.
B. El EZLN, a través de su delegación, manifiesta su aceptación de dichos documentos. En relación con las
cuestiones respecto a las cuales formuló, en la sesión del 14 de febrero de 1996 de esta segunda parte de la
Plenaria Resolutiva, propuestas de agregados y de sustituciones o eliminaciones en el texto de los mismos,
de acuerdo con los resultados de la consulta realizada por el EZLN, expresa lo siguiente:
1. La delegación del EZLN insiste en señalar la falta de solución al grave problema agrario nacional, y en la
necesidad de reformar el Artículo 27 Constitucional, que debe retomar el espíritu de Emiliano Zapata,
resumido en dos demandas básicas: la tierra es de quien la trabaja, y Tierra y Libertad. (Documento
“Propuestas conjuntas que el Gobierno federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de
debate y decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las Reglas de Procedimiento”: página 11,
apartado 5, “Reformas Constitucionales y Legales”, inciso B).
2. Por lo que se refiere al desarrollo sustentable, la delegación del EZLN considera insuficiente que el
gobierno indemnice a los pueblos indígenas por los daños ocasionados en sus tierras y territorios, una vez
ocasionado el daño. Es necesario desarrollar una política de verdadera sustentabilidad, que preserve las
tierras, los territorios y los recursos naturales de los pueblos indígenas, en suma, que contemple los costos
sociales de los proyectos de desarrollo. (Documento “Pronunciamiento conjunto que el Gobierno Federal y
el EZLN enviarán a las instancias de debate y decisión nacional”, página 5, en el subtítulo “Principios de la
nueva relación”, inciso 2).
3. En lo referente al tema Situación, Derechos y Cultura de la Mujer Indígena, la delegación del EZLN
considera insuficientes los actuales puntos de acuerdo. Por la triple opresión que padecen las mujeres
indígenas, como mujeres, como indígenas y como pobres, exigen la construcción de una nueva sociedad
nacional, con otro modelo económico, político, social y cultural que incluya a todas y a todos los
mexicanos. (Documento 3.2 “Acciones y medidas para Chiapas. Compromisos y propuestas conjuntas de
los gobiernos del Estado y Federal y el EZLN”, página 9).
4. En términos generales la delegación del EZLN considera necesario que, en cada caso, se expliciten los
tiempos y plazos en que los acuerdos deben ser llevados a la práctica, y que, para ello, los pueblos
indígenas y las autoridades correspondientes deben programar y calendarizar de mutuo acuerdo su
instrumentación.
5. Acerca de las garantías de acceso pleno a la justicia, la delegación del EZLN considera que no puede
pasarse por alto la necesidad del nombramiento de intérpretes en todos los juicios y procesos que se sigan a
los indígenas, asegurando que dichos intérpretes cuenten con la aceptación expresa del procesado y
conozcan tanto el idioma como la cultura y el sistema jurídico indígenas.(Documento 2 “Propuestas
conjuntas que el Gobierno Federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y
decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las Reglas de Procedimiento, página 6, subtítulo:
“Garantías de acceso pleno a la justicia”).
171
6. La delegación del EZLN considera indispensable que se legisle para proteger los derechos de los
migrantes, indígenas y no indígenas, dentro y fuera de las fronteras nacionales. (Documento 1,
“Pronunciamiento conjunto que el Gobierno Federal y el EZLN enviarán a las instancias de debate y
decisión nacional”, página 5, punto 8, subtítulo: “Proteger a los indígenas migrantes”):
7. A fin de fortalecer los municipios, la delegación del EZLN considera que se requieren compromisos
explícitos del gobierno para garantizar su acceso a la infraestructura, capacitación y recursos económicos
adecuados. (Documento 2 “Propuestas conjuntas que el Gobierno Federal y el EZLN se comprometen a
enviar a las instancias de debate y decisión nacional correspondientes al punto 1.4 de las Reglas de
Procedimiento”, página 3).
8. Por lo que se refiere a los medios de comunicación, la delegación del EZLN considera necesario que se
garantice el acceso a información veraz, oportuna y suficiente sobre las actividades del gobierno, así como
el acceso
de los pueblos indígenas a los medios de comunicación existentes, y que se garantice el derecho de los
pueblos indígenas a contar con sus propios medios de comunicación (radiodifusión, televisión, teléfono,
prensa escrita, fax, radios de comunicación, computadoras y acceso a satélite). (Documento 2 “Propuestas
conjuntas que el Gobierno federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión
nacional correspondientes al punto 1.4 de las reglas de procedimiento”, página 9, punto 8: “Medios de
comunicación”).
C. Con relación a las partes de los documentos a las que se refiere el inciso B, ambas delegaciones
convienen que, en la oportunidad que identifiquen de común acuerdo durante el diálogo, agotarán los
esfuerzos de negociación sobre las mismas.
D. Las Partes harán llegar a las instancias de debate y decisión nacional y a las instancias que correspondan
los tres documentos que se acompañan, mismos que contienen los acuerdos y compromisos alcanzados por
las Partes.
E. Ambas partes asumen el compromiso de enviar el presente resolutivo a las instancias de debate y
decisión nacional y a las instancias del estado de Chiapas que correspondan, en el entendido de que los
puntos señalados en el inciso B también deberán ser consideradas, por dichas instancias, como materia
producto del diálogo.
El presente y los tres documentos que lo acompañan, quedan debidamente formalizados como acuerdos en
los términos de las Reglas de Procedimiento y de la Ley para el Diálogo, la Conciliación y la Paz Digna en
Chiapas, y se integran como tales al Acuerdo de Concordia y Pacificación con Justicia y Dignidad.
16 de febrero de 1996.
172
Annexe 9 :
Deuxième déclaration de la Realidad
Août 1996.
Hommes et femmes d'Afrique,d'Asie, d'Amérique, d'Europe et d'Océanie
Considérant que nous sommes
Contre l'internationale de la mort, contre la globalisation de la guerre et de l'armement
Contre la dictature, contre l'autoritarisme, contre la répression
Contre les politiques de libéralisation économique, contre la faim, contre la pauvreté, contre le vol, contre
la corruption
Contre le patriarcat, contre la xénophobie, contre la discrimination, contre le racisme, contre le crime,
contre la destruction du milieu environnant, contre le militarisme
Contre la stupidité, contre le mensonge, contre l'ignorance
Contre l'esclavage, contre l'intolérance, contre l'injustice, contre la marginalisation, contre l'oubli
Contre le néolibéralisme
Considérant que nous sommes
Pour l'internationale de l'espérance, pour la paix nouvelle, juste et digne
Pour la nouvelle politique, pour la démocratie, pour les libertés politiques,
Pour la justice, pour la vie et le travail dignes
Pour la société civile, pour des droits complets pour les femmes sous tous les aspects, pour le respect des
anciens, des jeunes et des enfants, pour la défense et la protection de l'environnement
Pour l'intelligence, pour la culture, pour l'éducation, pour la vérité
Pour la liberté, pour la tolérance, pour l'inclusion, pour la mémoire
Pour l'humanité
Nous déclarons :
Premièrement. Que nous allons organiser un réseau de nos luttes et résistances particulières. Un réseau de
résistance contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental de résistance pour l'humanité. Ce réseau
intercontinental de résistance, en reconnaissant les différences et en connaissant les ressemblances,
cherchera à rencontrer d'autres formes de résistances dans le monde. Ce réseau intercontinental de
résistance sera le moyen où les diverses résistances pourront s'appuyer les unes sur les autres. Ce réseau
intercontinental de résistance n'est pas une structure organisée, n'a pas de centre directeur, ni de centre
décisionnel, n'a pas de mandat ni de hiérarchie. Le réseau est constitué de tous ceux qui résistent.
Deuxièmement. Que nous allons organiser un réseau de de nos luttes et résistances. Un réseau
intercontinental de communication contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental de communication
pour l'humanité. Ce réseau intercontinental de communication alternative cherchera à tisser les liens pour
que la parole de tous ceux qui résistent s'exprime. Ce réseau intercontinental de communication alternative
sera le moyen par lequel toutes les différentes résistances communiquent. Ce réseau intercontinental de
communication alternative n'est pas une structure organisée, n'a pas de centre directeur, ni de centre
décisionnel, n'a pas de mandat ni de hiérarchie. Le réseau est constitué de tous ceux qui nous parlent et qui
nous écoutent.
Nous déclarons:
Parler et écouter au nom de l'humanité et contre le néolibéralisme. Résister et lutter pour l'humanité et
contre le néolibéralisme. Pour le monde entier : Démocratie ! Liberté ! Justice ! En fonction de la réalité de
chaque continent.
Frères et sœurs
173
Nous ne voulons pas que cette déclaration soit fermée et que cette Rencontre se termine aujourd'hui. Nous
proposons que la Rencontre Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme continue sur
chaque continent, dans chaque pays, dans chaque campagne et chaque ville, dans chaque maison, école,
lieu de travail où vivent des êtres humains qui veulent un monde meilleur.
Les communautés indigènes nous ont appris que pour résoudre un problème, si grand soit-il, il faut
simplement écouter tous ceux que nous sommes. Nous proposons donc que soit réalisée une consultation
internationale sur cette déclaration. Nous proposons que cette déclaration soit connue du monde entier et
que dans tous les pays une consultation soit réaliser avec cette question : Êtes-vous d'accord pour souscrire
à la Deuxième Déclaration de la Realidad pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme?
Nous proposons que cette Consultation Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme soit
faite sur les cinq continents durant la première quinzaine de décembre 1996
Nous proposons que cette Consultation soit réalisée de la même façon qu'a été organisée cette rencontre,
que tous ceux qui assistent à cette Rencontre et tous ceux qui ne sont pas là mais qui nous accompagnent de
loin organisent et réalisent cette Consultation. Nous proposons que que soient utilisés tous les moyens
possibles et impossibles pour que cette consultation concerne le maximum d'êtres humains des cinq
continents. La Consultation Intercontinentale est une forme de la résistance organisée par nous et est aussi
une forme de générer des contacts et des rencontres avec d'autres résistances. Elle fait partie d'une nouvelle
forme de faire de la politique dans le monde, c'est cela que doit être la Consultation Intercontinentale.
Ce n'est pas tout. Nous voulons aussi appeler à la
Seconde Rencontre Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme
Nous proposons qu'elle soit réalisée durant la deuxième partie de l'année 1997 et que le continent européen
en soit le siège. Nous proposons que la date précise et le lieu de la Rencontre soient choisis par nos frères et
sœurs d'Europe.
Nous espérons tous que cette Deuxième Rencontre Intercontinentale ait lieu et qu'elle ait lieu sur un autre
continent. Lorsque cette Deuxième Rencontre aura lieu, nous en verrons la forme et nous désirons y
participer en quelque endroit choisi.
Frères et sœurs
Nous continuons à être des trouble-fêtes. C'est faux ce que nous disent les théoriciens du néolibéralisme :
que tout est sous contrôle, même ce qui est incontrôlé.Nous ne sommes pas la valve d'échappement à la
rébellion qui peut déstabiliser le néolibéralisme. Il est faux que notre existence rebelle légitime le pouvoir.
Le pouvoir nous craint. Pour cette raison, il nous poursuit et nous encercle. Pour cette raison, il nous
emprisonne et nous tue.
En réalité, nous sommes une possibilité qui peut le vaincre et le faire disparaître.
Certes, nous ne sommes pas nombreux, mais nous sommes des hommes et des femmes qui luttons pour
l'humanité, qui luttons contre le néolibéralisme.
Nous sommes des hommes et des femmes qui luttons dans le monde entier
Nous sommes des hommes et des femmes qui demandons pour les cinq continents :
Démocratie !
Liberté !
Justice !
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène –
Commandement Général de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale.
La Realidad, planète Terre, août 1996
174
Annexe 10 :
Cinquième déclaration de la forêt Lacandone
juillet 1998.
Aujourd’hui nous disons : Nous sommes là ! Nous résistons !
Nous sommes les vengeurs de la mort. Notre lignée ne s’éteindra pas tant qu’il y aura de la lumière dans la
lueur du matin.
Popol Vuh.
Frères et sœurs,
Elle n’est pas nôtre la maison de la douleur et de la misère. C’est ainsi que l’a décrit celui qui nous vole et
nous ment.
Elle n’est pas nôtre la terre de la mort et de l’angoisse. Il n’est pas nôtre le chemin de la guerre. Elle n’est
pas nôtre la trahison et l’oubli n’existe pas dans notre passé. Ils ne sont pas nôtres le sol vide et le ciel
creux.
Est nôtre la maison de la lumière et de l’allégresse. Nous la construisons, nous luttons pour elle, nous la
faisons croître. Est nôtre la terre de la vie et de l’espérance. Est nôtre le chemin de la paix qui se sème avec
dignité et se récolte avec justice et liberté.
I - La résistance et le silence.
Frères et sœurs.
[…]
Ces accords, les accords de San Andrès, ne sont pas le fruit de notre unique volonté et ne sont pas nés seuls.
À San Andrès, il y avait des représentants de toutes les populations indiennes du Mexique, là, leur voix
était représentée et leurs revendications exprimées. Leur lutte - qui est un chemin et une leçon - fut
resplendissante, elles ont parlé de leurs propres voix et avec leur cœur.
Il n’y avait pas que les zapatistes à San Andrès et ses accords. Les zapatistes furent et sont avec et derrière
les populations indiennes du pays. Comme aujourd’hui, nous n’étions qu’une petite partie de la grande
histoire avec le visage, la parole et le cœur des náhuatl, paipai, kiliwa, cúcapa, cochimi, kumiai, yuma, seri,
chontal, chinanteco, pame, chichimeca, otomí, mazahua, matlazinca, ocuilteco, zapoteco, solteco, chatino,
papabuco, mixteco, cuicateco, triqui, amuzgo, mazateco, chocho, izcateco, huave, tlapaneco, totonaca,
tepehua, popoluca, mixe, zoque, huasteco, lacandón, maya, chol, tzeltal, tzotzil, tojolabal, mame, teco, ixil,
aguacateco, motocintleco, chicomucelteco, kanjobal, jacalteco, quiché, cakchiquel, ketchi, pima, tepehuán,
tarahumara, mayo, yaqui, cahita, ópata, cora, huichol, purépecha et kikapú.
Nous continuerons à lutter la main dans la main avec toutes les populations indiennes dans la lutte pour la
reconnaissance de leurs droits. Non pas comme avant-garde ou comme direction, seulement comme partie.
Nous mettons en application notre parole de chercher une solution pacifique.
Mais le gouvernement suprême a failli à sa parole et n’a pas mis en application le premier accord
fondamental auquel nous étions arrivés : la reconnaissance des droits indigènes.
À la paix que nous offrions, le gouvernement a opposé la guerre de son obstination.
[…]
Depuis, il a tenté d’oublier sa parole et a tenté d’occulter la trahison qui gouverne les terres mexicaines.
II - Contre la guerre, il n’y a pas d’autre guerre mais la résistance digne et silencieuse.
175
Alors que le gouvernement démontrait au Mexique et au monde sa volonté de mort et de destruction, nous
les zapatistes, ne répondions pas par la violence, ni n’entrions en compétition sinistre pour voir quel était
celui qui causait le plus de morts et de douleurs à l’autre partie.
[…]
Alors que le gouvernement répartissait les subornations, les appuis économiques de mensonges pour
acheter des fidélités et briser les convictions, nous, les zapatistes avons fait de notre digne refus aux
aumônes du pouvoir un mur qui nous protège et nous en éloigne.
Alors que le gouvernement montrait des mirages par des richesses corrompues et imposait la faim pour
soumettre et vaincre, nous les zapatistes faisions de notre faim un aliment et de notre pauvreté la richesse
de celui qui se sait digne et conséquent.
Le silence, la dignité et la résistance ont été notre force et notre meilleure arme. Grâce à elle, nous avons
combattu et mis en déroute un ennemi fort mais dont la cause manquait de raison et de justice. Grâce à
notre expérience et à la grande et lumineuse histoire de la lutte indigène que nous avons héritée de nos
ancêtres, les premiers habitants de ces terres, nous avons repris ces armes et nous avons transformé nos
silences en combattants, la dignité en lumière et notre résistance en muraille.
Cependant, durant le temps que dura notre silence, nous sommes restés à l’écart de toute participation
directe dans les problèmes nationaux principaux où nous n’avons pas fait de proposition ni montré notre
position ; Bien que notre silence ait permis au pouvoir de faire naître et croître les rumeurs et les
mensonges concernant les divisions et les ruptures internes zapatistes et chercher à nous vêtir de l’habit de
l’intolérance, l’intransigeance, la faiblesse et la claudication ; bien que certains se découragèrent du fait de
l’absence de notre voix et que d’autres en profitèrent pour faire croire qu’ils étaient cette voix, malgré
toutes ces douleurs et même à cause de ces douleurs, grands furent les pas qui nous firent avancer et ouvrir
les yeux.
Nous vîmes que nous ne pouvions plus garder muets nos morts, que les morts parlaient pour nos morts, que
les morts accusaient, que les morts criaient, que les morts ressuscitaient. Nos morts ne mourront jamais.
Ces morts seront toujours les nôtres et ceux de tous ceux qui combattent.
[…]
Nous vîmes également que le gouvernement n’était pas unanime quant à la vocation de mort dont se
prévalait son chef. Nous vîmes qu’il y avait dans ce gouvernement des gens qui désiraient la paix, qui la
comprenaient, qui en voyaient la nécessité et l’obligation. Alors que nous nous taisions, nous vîmes que
d’autres voix à l’intérieur de la machine de guerre s’élevaient pour s’opposer à son dessein.
Nous vîmes le pouvoir désavouer sa propre parole et envoyer aux législateurs une proposition de loi qui ne
tenait pas compte des revendications des tous premiers habitants de ces terres, qui faisait s’éloigner la paix,
et qui frustrait les espérances d’une solution juste rendue impossible par la guerre. Nous le vîmes s’asseoir
à la table de l’argent, annoncer sa trahison et chercher là un appui que lui refusait le peuple. Du monde de
l’argent, le pouvoir reçût des applaudissements, de l’or et l’ordre d’en finir avec ceux des montagnes. "Que
meurent ceux qui doivent mourir, des milliers si nécessaire, mais qu’on en finisse avec ce problème",
murmurait l’argent à l’oreille de celui qui disait gouverner. Nous vîmes que sa proposition allait à
l’encontre de celle qu’il avait déjà approuvée, à l’encontre de notre droit à nous gouverner et à prendre part
à la Nation.
Nous vîmes que sa proposition tentait de nous briser, de nous enlever notre histoire, de nous faire
disparaître de la mémoire, et d’oublier la volonté de toutes les populations indiennes devenue collective à
San Andrès. Nous vîmes que sa proposition était chargée de division et de rupture en détruisant les ponts et
en effaçant les espérances.
[…]
III - San Andrés : une loi nationale pour tous les indigènes et une loi pour la paix
176
Une loi indigène nationale doit répondre aux espérances des populations indiennes de tout le pays. À San
Andrès étaient représentés tous les indigènes du Mexique et pas seulement les zapatistes. Les accords
signés l’ont été avec tous les peuples indiens, et pas seulement avec les zapatistes. Pour nous, et pour des
millions d’indiens et de non indiens mexicains, une loi qui ne respecte par les accords de San Andrès n’est
qu’une simulation, c’est une porte vers la guerre et un précédent pour les rebellions indigènes qui, dans le
futur, auront à payer la facture que l’histoire présente régulièrement aux mensonges.
[…]
Bien qu’elle n’inclue pas tous les accords de San Andrès (nouvelle preuve que nous ne fûmes pas
intransigeants puisque nous avons accepté le travail de la médiation et que nous le respectons), l’initiative
de loi élaborée par la Commission de Concorde et Pacification est une proposition de loi issue du processus
de négociations ; étant dans l’esprit de donner une continuité et une raison d’être au dialogue, elle constitue
une base solide qui peut amener vers une solution pacifique du conflit et une aide importante pour arrêter la
guerre et parvenir à la paix. La dite" loi COCOPA" a été élaborée sur la base des revendications indiennes,
elle reconnaît les problèmes et jette les bases pour les solutionner, elle reflète une autre forme de
participation politique qui aspire à la démocratie et répond à une demande nationale de paix incluant les
demandes sociales et permettant une ouverture sur les grands problèmes nationaux. C’est la raison pour
laquelle nous confirmons notre appui à l’initiative de loi élaborée par la Commission de Concorde et
Pacification et nous demandons qu’elle soit approuvée au niveau constitutionnel.
IV - le dialogue et la négociation sont possibles s’ils sont véritables
[…]
La médiation dans la négociation d’un conflit est incontournable, sans elle aucun dialogue n’est possible
entre les deux partis opposés. Par sa guerre contre la Commission nationale de médiation, le gouvernement
a détruit le seul pont permettant le dialogue, s’est éloigné d’un important obstacle à la violence et a
provoqué le jaillissement d’une question : médiation nationale ou internationale ?
Le dialogue et la négociation répondront aux critères de pertinence, viabilité et efficacité quand, ajoutées à
une médiation, la confiance et la crédibilité seront restituées. Jusqu’à ce moment, ils ne seront qu’une farce
à laquelle nous ne voulons pas participer. Nous n’en voulons pas. Nous voulons un dialogue pour chercher
des solutions pacifiques et non pas pour gagner du temps en pariant sur des supercheries politiques. Nous
ne serons pas les complices d’une simulation.
[…]
Aujourd’hui, avec tous ceux qui marchent à nos côtés, nous disons : Nous sommes là ! Nous résistons !
Malgré la guerre que nous subissons, malgré nos morts et nos prisonniers, nous, les zapatistes, n’oublions
pas pourquoi nous luttons ni que notre fer de lance dans la lutte pour la démocratie, la liberté et la justice au
Mexique est la reconnaissance des droits des populations indiennes.
Comme dans le compromis fait depuis le premier jour de notre soulèvement, aujourd’hui nous réaffirmons
en premier lieu, par-dessus notre souffrance, par-dessus nos problèmes, par-dessus les difficultés,
l’exigence que soient reconnus les droits des indigènes par un changement de la constitution politique des
États-Unis du Mexique qui assure à tous le respect et la possibilité de lutter pour ce qui leur appartient : la
terre, le toit, le travail, le pain, la médecine, l’éducation, la démocratie, la justice, la liberté, l’indépendance
nationale et la paix digne.
VI - L’heure est venue pour les populations indiennes, la société civile et le Congrès de l’Union
Frères et sœurs : la guerre avec son cortège de mort et de destruction a déjà parlé.
Le gouvernement et son masque criminel ont déjà parlé.
Il est temps que fleurissent à nouveau en paroles les armes silencieuses que nous portons depuis des siècles,
il est temps de parler de paix, c’est le temps de la parole pour la vie.
177
C’est notre temps.
Aujourd’hui, avec le cœur indigène qui est la digne racine de la nation mexicaine et après avoir écouté la
voix de la mort qui vient de la guerre du gouvernement et, nous appelons le peuple du Mexique, les
hommes et les femmes de toute la planète à unir leurs pas et leurs forces aux nôtres dans cette étape de la
lutte pour la liberté, la démocratie et la justice, au travers de cette ...
Cinquième déclaration de la Forêt Lacandone
Dans laquelle nous appelons tous les hommes et les femmes honnêtes à lutter pour la
RECONNAISSANCE DES DROITS DES POPULATIONS INDIENNES ET POUR LA FIN DE LA
GUERRE D’EXTERMINATION.
Il n’y aura pas de transition vers la démocratie ni de réforme de l’État ni de solution réelle aux principaux
problèmes nationaux sans la participation des populations indiennes. Avec les indigènes l’évolution vers un
pays meilleur et neuf est nécessaire et possible. Sans eux, il n’y a pas de futur pour la Nation.
Le moment est venu pour les populations indiennes de tout le Mexique. Nous les appelons pour
qu’ensemble, nous continuions à lutter pour les droits que l’histoire, la raison et la vérité nous ont donnés.
[…]
L’heure est venue pour le Congrès de l’Union.
Après une grande lutte pour la démocratie ayant placé en-tête les partis politiques d’opposition, une
nouvelle corrélation de force s’est établie à la chambre des députés et des sénateurs qui complique les
procédés et arbitraires du présidentialisme et qui aspirent à une véritable séparation et indépendance des
pouvoirs de l’Union. La nouvelle composition politique des deux chambres relève le défi de rendre digne le
travail législatif, en tentant de le transformer en un espace au service de la Nation plutôt qu’au service de
son président, espérant ainsi faire refleurir le titre de "Honorable" qui qualifiait autrefois le nom collectif
donné aux sénateurs et députés fédéraux. Nous appelons les députés et sénateurs de la République de tous
les partis politiques enregistrés et les congressistes indépendants à légiférer au bénéfice de tous
lesMexicains. Pour qu’ils commandent en obéissant. Pourqu’ils fassentleur devoir en appuyant la paix et
non la guerre. Pour que, rendanteffectiveladivision des pouvoirs, ils obligent l’exécutif fédéral à arrêter la
guerre d’extermination visant les populations indiennes du Mexique. Pour que, dans le plein respect des
prérogatives que la Constitution politique leur confère, au moment de légiférer, ils écoutent la voix du
peuple mexicain qui les a élus. Pour qu’ils donnent leur soutien ferme et entier à la Commission de
Concorde et Pacification, pour que cette commission législative puisse remplir efficacement et de façon
efficiente son rôle de contribution au processus de paix. Pour qu’ils entendent l’appel historique qui exige
la pleine reconnaissance des droits des populations indiennes. Pour qu’ils contribuent à créer une image
internationale digne de notre pays. Pour qu’ils laissent à la postérité l’image d’un congrès qui a su cesser
d’obéir et de servir un seul pour obéir et servir tous.
[…]
Le temps est venu de la lutte pour les droits des populations indiennes pour un passage à la démocratie, la
liberté et la justice pour tous.
[…]
Nous proposons d’organiser une consultation nationale sur l’initiative de loi élaborée par la Commission de
Concorde et de Pacification dans toutes les municipalités du pays pour que tous les mexicains et
mexicaines puissent manifester leur opinion concernant cette initiative. L’EZLN enverra une délégation à
chacune des municipalités de notre pays pour expliquer le contenu de l’initiative de la COCOPA afin
qu’elles participent à la réalisation de cette consultation. L’EZLN s’adressera en temps voulu et
publiquement à la société civile nationale et aux organisations politiques et sociales pour leur faire savoir la
convocation suivante.
Nous appelons :
Les populations indiennes de tout le Mexique à se mobiliser de concert avec les zapatistes et à se
manifester en exigeant la reconnaissance de leurs droits dans la Constitution.
178
Les frères et sœurs du congrès national indigène à participer, avec les zapatistes, à l’organisation de la
consultation de tous les mexicains et les mexicaines sur l’initiative de loi de la COCOPA.
Aux travailleurs, paysans, enseignant, étudiant, femmes à la maison, fermiers, petits propriétaires, petits
commerçants et entrepreneurs, retraités, laissés-pour-compte, religieux et religieux, jeunes, femmes,
enfants, homosexuels et lesbiennes, garçons et filles à participer directement avec les zapatistes, de manière
collective ou individuelle, à la promotion, l’appui et la réalisation de cette consultation pour un pas en avant
vers la paix avec justice et dignité.
À la communauté scientifique, artistique et intellectuelle pour qu’elle s’associe aux zapatistes dans les
tâches d’organisation de la consultation sur tout le territoire.
Aux organisations sociales et politiques pour que, conjointement avec les zapatistes, elles travaillent à la
réalisation de cette consultation.
Aux partis politiques honnêtes engagés dans les causes populaires à octroyer tout l’appui nécessaire à cette
consultation nationale. Pour cela, l’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement aux directions
nationales de tous les partis politiques du Mexique.
Au Congrès de l’Union pour qu’il assume son engagement de légiférer au bénéfice du peuple pour
contribuer à la paix et non pas à la guerre en permettant la réalisation de cette consultation. Pour cela,
l’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement au coordinateur des fractions parlementaires et aux
législateurs indépendants des chambres de Députés et de Sénateurs.
À la Commission de Concorde et de Pacification pour que, remplissant son travail de contribution au
processus de paix, elle ouvre la voie à la réalisation de la consultation concernant son initiative. Pour cela,
l’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement aux législateurs membres de la COCOPA.
VII - Temps de la parole pour la paix.
Frères et sœurs :
Le temps des trompettes de la guerre du pouvoir est passé, nous ne les laisserons plus retentir.
Le temps est venu de parler de paix, la paix que nous méritons et qui est nécessaire à tous, la paix avec
justice et dignité.
Aujourd’hui, 19 juillet 1998, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale approuve cette Cinquième
Déclaration de la Forêt Lacandone. Nous vous invitons tous à en prendre connaissance, à la défendre et à
vous joindre aux efforts et au travail qu’elle demande.
DÉMOCRATIE
LIBERTÉ
JUSTICE
Depuis les montagnes du sud-est mexicain
Comité Clandestin Révolutionnaire IndigèneCommandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale.
179
Annexe 11 :
Sixième déclaration de la forêt Lacandone
22 juillet 2005.
ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE
SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE
Voici notre parole simple qui voudrait arriver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais,
tout comme nous aussi, rebelles et dignes. Voici notre parole simple pour raconter le chemin que nous
avons parcouru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expliquer comment nous voyons le monde et
notre pays ; pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres à
faire le chemin avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose
de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voici notre parole simple pour faire savoir à tous les
cœurs honnêtes et nobles ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Voici notre parole simple,
parce que c’est notre volonté d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, partout où ils
vivent et où ils luttent.
I. CE QUE NOUS SOMMES
Nous sommes les zapatistes de l’EZLN. On nous appelle aussi les "néozapatistes". Bien, alors nous, les
zapatistes de l’EZLN, nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous avons trouvé qu’il y en
avait assez de tout ce mal que faisaient les puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous jeter
en prison et nous tuer, sans que rien de ce que l’on puisse dire ne change rien. C’est pour cela que nous
avons dit "¡Ya basta !" Ça suffit, maintenant ! Pour dire que nous ne permettrons plus qu’ils nous
diminuent et nous traitent pire que des animaux. Et alors nous avons aussi dit que nous voulions la
démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, même si nous nous sommes surtout occupés des
peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous autres de l’EZLN nous sommes presque tous des indigènes
d’ici, du Chiapas, mais que nous ne voulons pas lutter uniquement pour notre propre bien ou uniquement
pour le bien des indigènes du Chiapas ou uniquement pour les peuples indiens du Mexique : nous voulons
lutter tous ensemble avec tous les gens humbles et simples comme nous et qui sont dans le besoin et
subissent l’exploitation et le vol de la part des riches et de leur mauvais gouvernement, ici dans notre
Mexique et dans d’autres pays du monde.
[…]
Mais rien à faire, ceux du mauvais gouvernement ne respectaient pas les accords, alors nous avons décidé
de parler avec beaucoup de Mexicains pour avoir leur soutien. Alors d’abord, en 1997, nous avons organisé
une marche jusqu’à Mexico qui s’est appelée la "Marche des 1 111", parce qu’il y avait un compañero et
une compañera pour chaque village zapatiste, mais le gouvernement n’a pas réagi. Après, en 1999, nous
avons organisé dans tout le pays une consultation et on a pu voir que la majorité était d’accord avec les
exigences des peuples indiens, mais ceux du mauvais gouvernement n’ont pas non plus réagi. Et en dernier,
en 2001, nous avons organisé ce qui s’est appelé la "Marche pour la dignité indigène" qui a reçu le soutien
de millions de Mexicains et de gens d’autres pays et qui est même arrivée là où sont les députés et les
sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains.
[…]
Alors, à ce moment-là, nous avons compris que le dialogue et la négociation avec ceux du mauvais
gouvernement du Mexique n’avaient servi à rien. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine de discuter avec les
hommes politiques, parce que ni leur cœur ni leurs paroles ne sont droits, ils sont tordus et ils ne font que
mentir en disant qu’ils vont respecter des accords. Et ce jour-là, quand les hommes politiques du PRI, du
PAN et du PRD ont approuvé une loi qui ne vaut rien, ils ont tué et enterré le dialogue et ils ont montré
clairement que ça ne leur fait rien de faire des accords et de signer, parce qu’ils n’ont pas de parole. Alors
nous n’avons plus cherché à avoir de contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que
le dialogue et la négociation avaient échoué à cause de ces partis politiques.
[…]
180
Alors, après avoir vu tout ça se passer, nous nous sommes mis à penser avec notre cœur à ce que nous
allions pouvoir faire. Et la première chose que nous avons vue, c’est que notre cœur n’est plus le même
qu’avant, quand nous avons commencé notre lutte, mais qu’il est plus grand parce que nous avons pénétré
dans le cœur de beaucoup de gens bons. Et nous avons aussi vu que notre cœur est un peu plus meurtri, un
peu plus blessé qu’avant. Ce n’est pas à cause de la tromperie de ceux du mauvais gouvernement, c’est
parce que quand nous avons touché le cœur de ces autres gens, nous avons aussi touché leur douleur.
Comme si nous nous étions regardés dans un miroir.
II. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT
Alors, en zapatistes que nous sommes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas de cesser de dialoguer avec
le gouvernement, mais qu’il fallait poursuivre notre lutte malgré ces parasites jean-foutre que sont les
hommes politiques. L’EZLN a donc décidé d’appliquer, tout seul et de son côté ("unilatéralement" quoi,
comme on dit, parce que c’est seulement d’un côté), les Accords de San Andrés en ce qui concerne les
droits et la culture indigènes. Pendant quatre ans, de la mi-2001 à la mi-2005, nous nous sommes consacrés
à ça, et à d’autres choses que nous vous raconterons aussi.
[…]
Depuis, et jusqu’à la mi-2005, la direction de l’EZLN n’est plus intervenue avec ses ordres dans les affaires
des civils, mais elle a accompagné et appuyé les autorités démocratiquement élues par les communautés,
sans oublier de vérifier que l’on informe correctement la société civile mexicaine et internationale des aides
reçues et de ce à quoi elles ont servi. Et maintenant, nous passons le travail de vigilance du bon
gouvernement aux bases de soutien zapatistes, avec des mandats temporaires et rotatifs, pour que tous et
toutes apprennent et puissent effectuer ce travail. Parce que, nous autres, nous pensons qu’un peuple qui ne
contrôle pas ses dirigeants est condamné à être leur esclave et que nous luttons pour être libres, par pour
changer de maître tous les six ans.
Pendant les quatre dernières années, l’EZLN a aussi passé aux conseils de bon gouvernement et aux
communes rebelles autonomes les aides et les contacts au Mexique et dans le monde entier que nous avons
obtenus tout au long des années de guerre et de résistance. Mais, en même temps, l’EZLN a aussi mis en
place un réseau d’aide économique et politique qui permette aux communautés zapatistes d’avancer avec
moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est
pas encore assez, mais c’est beaucoup plus que ce qu’il y avait avant notre soulèvement, en janvier 1994. Si
vous prenez une de ces études que font les gouvernements, vous verrez que les seules communautés
indigènes qui ont amélioré leurs conditions de vie, c’est-à-dire la santé, l’éducation, l’alimentation, le
logement, ce sont celles qui sont en "territoire zapatiste", comme nous disons pour parler de là où sont nos
villages. Tout ça a été possible grâce aux progrès effectués dans les communautés zapatistes et grâce au très
grand soutien que nous avons reçu de personnes bonnes et nobles, "les sociétés civiles", comme nous les
appelons, et de leurs organisations, du monde entier. C’est comme si toutes ces personnes avaient fait du
"Un autre monde est possible" une réalité, mais dans les faits, pas dans des discours.
[…]
Mais il n’y a pas que les communautés zapatistes qui ont progressé. L’EZLN aussi. Parce que ce qui s’est
passé pendant tout ce temps, c’est que de nouvelles générations ont renouvelé toute notre organisation. Un
peu comme si elles lui avaient redonné des forces. Les commandants et les commandantes, qui étaient déjà
majeurs au début de notre soulèvement, en 1994, possèdent maintenant la sagesse de ce qu’ils ont appris
dans une guerre et dans un dialogue de douze ans avec des milliers de femmes et d’hommes du monde
entier. Les membres du CCRI, la direction politico-organisationnelle zapatiste, conseillent et orientent les
nouvelles personnes qui entrent dans notre lutte et celles qui vont occuper des postes de dirigeant. Il y a
déjà longtemps que "les comités" (comme nous appelons ceux du CCRI) préparent toute une nouvelle
génération de commandants et de commandantes pour qu’ils apprennent les tâches de direction et
d’organisation et commencent, après une période d’instruction et d’essai, à les assumer. Et il se trouve aussi
que nos insurgés et insurgées, nos miliciens et miliciennes, nos responsables locaux et régionaux et nos
bases de soutien, qui étaient jeunes quand nous avons pris les armes, sont devenus des femmes et des
hommes, des combattants vétérans et des leaders naturels dans leurs unités et dans leurs communautés. Et
ceux qui n’étaient que des enfants ce fameux 1er janvier 1994 sont maintenant des jeunes qui ont grandi
dans la résistance et qui ont été formés dans la digne rébellion menée par leurs aînés au long de ces douze
181
années de guerre. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que n’avaient pas ceux et
celles qui ont commencé le mouvement zapatiste. Ces jeunes viennent grossir aujourd’hui, et toujours plus,
aussi bien nos troupes que les postes de direction de notre organisation. Et puis, finalement, nous avons
tous pu assister aux tromperies de la classe politique mexicaine et aux ravages destructeurs qu’ils ont
perpétrés dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injustices et les massacres que produit la
mondialisation néolibérale dans le monde entier. Mais nous parlerons de cela plus tard.
L’EZLN a donc résisté de cette manière à douze ans de guerre et d’attaques militaires, politiques,
idéologiques et économiques, à douze ans de siège, de harcèlement et de persécutions, et ils n’ont pas pu
nous vaincre, nous ne nous sommes pas rendus ou vendus et nous avons avancé. Des compañeros d’autres
lieux sont entrés dans notre lutte et, au lieu de nous affaiblir au long de tant d’années, nous sommes
devenus plus forts. Bien sûr, il y a des problèmes qui peuvent se résoudre simplement en séparant plus le
politico-militaire du civil-démocratique. Mais il y a certaines choses plus importantes, comme le sont les
exigences pour lesquelles nous luttons, qui n’ont pas encore été entièrement satisfaites.
[…]
III. DE COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE
Nous allons vous expliquer maintenant comment nous voyons ce qui se passe dans le monde, nous autres,
les zapatistes. D’abord, nous voyons que c’est le capitalisme qui est le plus fort aujourd’hui. Le capitalisme
est un système social, autrement dit la façon dont sont organisées les choses et les personnes, et qui possède
et qui ne possède pas, qui commande et qui obéit. Dans le capitalisme, il y a des gens qui ont de l’argent,
autrement dit du capital, et des usines et des magasins et des champs et plein de choses, et il y en a d’autres
qui n’ont rien à part leur force et leur savoir pour travailler ; et dans le capitalisme commandent ceux qui
ont l’argent et les choses, tandis qu’obéissent ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail.
Alors, le capitalisme ça veut dire qu’il y a un groupe réduit de personnes qui possèdent de grandes
richesses. Et pas parce qu’ils auraient gagné un prix ou qu’ils auraient trouvé un trésor ou qu’ils auraient
hérité de leur famille, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploitant le travail de beaucoup
d’autres. Autrement dit, le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs, un peu comme s’il les
pressait comme des citrons pour en tirer tous les profits possibles. Tout ça se fait avec beaucoup d’injustice
parce qu’on ne paye pas aux travailleurs correctement leur travail, sinon qu’on leur donne juste un salaire
suffisant pour qu’ils puissent manger et se reposer un peu et que le jour suivant ils retournent au pressecitron, à la campagne comme en ville.
[…]
Autrement dit, sur le marché on voit des marchandises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle
elles ont été faites. Et alors le capitalisme a besoin de beaucoup de marchés... Ou d’un marché très grand,
un marché mondial.
Et alors il se trouve que le capitalisme d’aujourd’hui n’est plus le même qu’avant, où les riches se
contentaient d’exploiter les travailleurs chacun dans leurs pays, mais qu’il en est maintenant à un stade qui
s’appelle "globalisation néolibérale". La globalisation en question, ça veut dire que maintenant les
capitalistes ne dominent plus seulement les travailleurs dans un pays ou dans plusieurs pays, mais qu’ils
essayent de dominer tout dans le monde entier. Et alors le monde, la planète Terre autrement dit, on dit
aussi que c’est le "globe terrestre", c’est pour ça qu’on dit "globalisation", la mondialisation, autrement dit
le monde entier.
Et le néolibéralisme, eh bien, c’est l’idée selon laquelle le capitalisme est libre de dominer le monde entier
et qu’il n’y a rien à dire et qu’on n’a plus qu’à se résigner et à l’admettre et à la fermer, autrement dit à ne
pas se rebeller. Alors, le néolibéralisme c’est comme la théorie, le plan, de la mondialisation capitaliste. Et
le néolibéralisme a des plans économiques, politiques, militaires et culturels. Dans tous ces plans, il ne
s’agit de rien d’autre que de dominer le monde entier. Et ceux qui n’obéissent pas, on les réprime ou on les
isole pour les empêcher de donner leurs idées de rébellion aux autres.
[…]
182
Alors, la mondialisation néolibérale veut détruire les nations du monde et veut qu’il n’y ait plus qu’une
seule nation ou pays : le pays de l’argent, le pays du capital. Le capitalisme cherche donc à faire que tout
soit comme lui veut que ce soit. Et tout ce qui est différent, ça ne lui plaît pas et il le persécute, il l’attaque,
il l’isole dans un coin et fait comme si ça n’existait pas.
Alors, comme qui dirait en résumé, le capitalisme de la mondialisation néolibérale se fonde sur
l’exploitation, sur la dépossession, sur le mépris et sur la répression de ceux qui ne se laissent pas faire.
Autrement dit, pareil qu’avant mais maintenant globalement, mondialement.
Mais tout ne marche pas comme sur des roulettes dans la mondialisation néolibérale, parce que les
exploités de chacun des pays ne veulent pas l’accepter et qu’ils ne se résignent pas à courber l’échine, mais
se rebellent, et que ceux qui sont de trop et gênent résistent et ne se laissent pas éliminer. Et alors nous
voyons que dans le monde entier ceux qui sont dans un sale pétrin opposent une résistance pour ne pas se
laisser faire ; autrement dit, ils se rebellent, et pas seulement dans un pays mais dans plein d’endroits.
Autrement dit, de la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de
la rébellion.
[…]
Et tout ça fait que nous éprouvons une grande inquiétude devant la stupidité des néolibéralistes qui veulent
détruire l’humanité tout entière avec leurs guerres et leur exploitation, mais nous éprouvons en même
temps une grande satisfaction en voyant que partout surgissent des résistances et des rébellions ; un peu
comme la nôtre qui est un peu petite mais qui est toujours là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier
et notre cœur sait que nous ne sommes pas seuls.
IV. DE COMMENT NOUS VOYONS NOTRE PAYS, LE MEXIQUE
Nous allons parler maintenant de comment nous voyons ce qui se passe au Mexique, notre pays à nous.
Alors, ce que nous voyons, c’est que notre pays est gouverné par les néolibéralistes. Autrement dit, comme
nous l’avons expliqué auparavant, les gouvernants que nous avons sont en train de détruire ce qui est notre
nation, notre patrie mexicaine. Et le travail de ces gouvernants n’est pas de veiller au bien-être du peuple,
non, ils ne pensent qu’au bien-être des capitalistes. Par exemple, ils font des lois comme le traité de libreéchange qui plongent dans la misère beaucoup de Mexicains, aussi bien des paysans et des petits
producteurs, parce qu’ils sont "mangés" par les grandes entreprises de l’agro-industrie, que des ouvriers et
des petits entrepreneurs, parce qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les grandes entreprises multinationales,
qui s’installent sans que personne ne s’y oppose - et il y en a même qui leur disent merci - et qui imposent
leurs bas salaires et leurs prix élevés. Alors, certaines des bases économiques, comme on dit, de notre
Mexique, comme l’agriculture et l’industrie ou le commerce national, sont sacrément détruites et il ne reste
d’elles que des ruines qui vont sûrement être vendues aussi.
[…]
Et alors ce qui se passe, c’est que l’économie du peuple est tellement patraque, à la ville comme à la
campagne, que beaucoup de Mexicains et de Mexicaines doivent abandonner leur patrie, leur terre
mexicaine, pour aller chercher du travail dans un autre pays, comme les États-Unis, et que là-bas ils ne sont
pas mieux traités, parce qu’on les exploite, on les persécute, on les méprise et même ils se font tuer.
Alors, avec le néolibéralisme que nous imposent ceux du mauvais gouvernement, l’économie ne s’est pas
améliorée, sinon tout le contraire. Les campagnes sont très pauvres et en ville il n’y a pas de travail. Ce qui
se passe, en fait, c’est que le Mexique n’est plus que le pays où naissent, durent un moment et puis après,
meurent, ceux qui travaillent pour enrichir des étrangers, principalement des gringos riches. C’est pour ça
que nous disons que le Mexique est dominé par les États-Unis.
[…]
Et maintenant les hommes politiques mexicains veulent aussi vendre la Pemex, autrement dit le pétrole des
Mexicains. La seule différence, c’est qu’il y en a qui disent qu’ils vendront tout et d’autres qui disent qu’ils
ne vendront qu’une partie. Et ils veulent aussi privatiser la sécurité sociale, et l’électricité, et l’eau, et les
forêts, et tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du Mexique et que notre pays devienne une sorte de terre
183
en friche ou un parc d’attractions réservé aux riches du monde entier, et que les Mexicains et les
Mexicaines ne soient plus que leurs domestiques, dépendant de ce qu’on veut bien leur donner, vivant mal,
sans racines, sans culture, autrement dit sans patrie.
Autrement dit, les néolibéralistes veulent tuer le Mexique, notre chère patrie mexicaine. Et les partis
politiques officiels non seulement ne la défendent pas, mais sont les premiers à se mettre au service de
l’étranger, principalement des États-Unis. Ce sont eux qui se chargent de nous tromper et de nous faire
regarder ailleurs pendant qu’ils vendent tout et gardent la paye pour eux. Nous disons bien tous les partis
politiques officiels qui existent aujourd’hui, pas seulement l’un d’entre eux. Essayez de trouver s’ils ont fait
quelque chose de bien et vous verrez que non. Ils n’ont fait que voler et mentir. Et vous verrez qu’eux ont
toujours leurs belles maisons et leurs belles voitures et tout leur luxe. Et en plus ils voudraient qu’on leur
dise merci et qu’on vote encore une fois pour eux. Il faut bien dire qu’ils n’ont pas honte, comme on dit. Ils
n’ont pas honte tout simplement parce qu’ils n’ont pas de patrie, ils n’ont que des comptes en banque.
[…]
Alors, en général, nous, nous voyons que, dans notre pays, qui s’appelle le Mexique, il y a beaucoup de
gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autrement dit, qui sont
dignes. Et cela nous réjouit et nous donne une certaine satisfaction, parce que avec tous ces gens ça ne va
pas être si facile pour les néolibéralistes et peut-être que l’on parviendra même à sauver notre patrie des
incroyables vols et de la destruction que les néolibéralistes ont entrepris. Et nous nous prenons à penser que
ce serait bien si notre "nous autres" incluait toutes ces rébellions...
V. CE QUE NOUS VOULONS FAIRE
Bien, alors maintenant nous allons vous dire ce que nous voudrions faire dans le monde et au Mexique,
parce que nous sommes incapables de nous taire, sans plus, devant tout ce qui se passe sur cette planète,
comme s’il n’y avait que nous qui étions là où nous en sommes.
Alors dans le monde, nous voulons dire à vous tous qui résistez et luttez à votre façon et dans votre pays
que vous n’êtes pas seuls et que nous, les zapatistes, même si nous sommes tout petits, nous vous soutenons
et nous allons chercher un moyen de vous aider dans vos luttes et de parler avec vous pour apprendre, parce
que s’il y a bien une chose que nous avons apprise, c’est à apprendre.
Et nous voulons dire aux peuples latino-américains que nous sommes fiers d’être des leurs, même si nous
n’en sommes qu’une petite partie. Et que nous nous rappelons parfaitement comment ce continent s’est
illuminé, il y a des années de cela, et qu’une lumière s’appelait Che Guevara, comme auparavant elle s’était
appelée Bolivar, parce que parfois les peuples se saisissent d’un nom pour dire qu’ils se saisissent d’un
étendard.
[…]
Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs de l’Europe sociale, autrement dit l’Europe digne et rebelle,
qu’ils ne sont pas seuls. Que nous nous réjouissons de leurs grands mouvements contre les guerres
néolibérales. Que nous observons attentivement leurs formes d’organisation et leurs formes de lutte pour en
apprendre éventuellement quelque chose. Que nous cherchons un moyen de soutenir leurs luttes et que
nous n’allons pas leur envoyer des euros, pour qu’après ils soient dévalués à cause de l’effondrement de
l’Union européenne, mais que nous allons peut-être leur envoyer de l’artisanat et du café, pour qu’ils les
commercialisent et en tirent quelque chose pour les aider dans leurs luttes. Et que peut-être que nous leur
enverrons du pozole, ça donne des forces pour résister, mais qu’après tout il est possible que nous ne le leur
envoyions pas, parce que le pozole c’est quelque chose bien de chez nous et qu’il ne manquerait plus qu’ils
attrapent mal au ventre et qu’après, leurs luttes s’en ressentent et qu’ils soient vaincus par les
néolibéralistes.
[…]
Alors, au Mexique, nous voulons arriver à un accord avec des personnes et des organisations de gauche,
uniquement, parce que nous pensons que ce n’est qu’au sein de la gauche politique que l’on trouve la
volonté de résister à la mondialisation néolibérale et de construire un pays où tout le monde jouisse de la
justice, de la démocratie et de la liberté. Et non comme maintenant où la justice n’existe que pour les
184
riches, où la liberté n’existe que pour leurs grands négoces et où la démocratie n’existe que pour couvrir les
murs de propagande électorale. Et aussi parce que nous pensons que c’est uniquement de la gauche que
peut surgir un plan de lutte pour que notre patrie, c’est-à-dire le Mexique, ne meure pas.
Et alors, ce à quoi nous avons pensé, c’est de dresser avec ces personnes et organisations de gauche un plan
pour aller partout au Mexique où il y a des gens humbles et simples comme nous.
Et nous n’allons pas aller leur dire ce qu’ils doivent faire, autrement dit leur donner des ordres.
[…]
VI. COMMENT NOUS ALLONS LE FAIRE
[…]
Au Mexique...
1. Nous allons continuer à lutter pour les peuples indiens du Mexique, et plus seulement pour eux ni rien
qu’avec eux, mais aussi pour tous les exploités et les dépossédés du Mexique, avec eux tous et dans
l’ensemble du pays. Et quand nous parlons de tous les exploités du Mexique, nous parlons aussi des frères
et sœurs qui ont dû partir aux États-Unis chercher du travail pour pouvoir survivre.
2. Nous allons aller écouter et parler directement, sans intermédiaires ni médiations, avec les gens
simples et humbles du peuple mexicain et, en fonction de ce que nous entendrons et apprendrons, nous
élaborerons, avec ces gens qui sont, comme nous, humbles et simples, un programme national de lutte.
Mais un programme qui soit clairement de gauche, autrement dit anticapitaliste et antinéolibéral, autrement
dit pour la justice, la démocratie et la liberté pour le peuple mexicain.
3. Nous allons essayer de construire ou de reconstruire une autre façon de faire de la politique, une façon
qui renoue avec l’esprit de servir les autres, sans intérêts matériels et avec sacrifice, en consacrant son
temps et avec honnêteté, en respectant la parole donnée et avec pour seule paye la satisfaction du devoir
accompli. Autrement dit, comme le faisaient auparavant les militants de gauche que rien n’arrêtait, ni les
coups, ni la prison, ni la mort, et encore moins des dollars.
4. Nous allons aussi essayer de faire démarrer une lutte pour exiger une nouvelle Constitution, autrement
dit des nouvelles lois qui prennent en compte les exigences du peuple mexicain, à savoir : logement, terre,
travail, alimentation, santé, éducation, information, culture, indépendance, démocratie, justice, liberté et
paix. Une nouvelle Constitution qui reconnaisse les droits et libertés du peuple et qui défende le faible
contre le puissant.
DANS CE BUT...
L’EZLN enverra une délégation de sa direction pour accomplir cette tâche sur l’ensemble du territoire
mexicain et pour une durée indéterminée. Cette délégation zapatiste se rendra aux endroits où elle sera
expressément invitée, en compagnie des organisations et des personnes de gauche qui auront souscrit à
cette Sixième Déclaration de la forêt Lacandone.
Nous informons à l’avance que l’EZLN mènera une politique d’alliances avec des organisations et des
mouvements non électoralistes qui se définissent, en théorie et en pratique, comme des mouvements et
organisations de gauche, aux conditions suivantes :
[…]
Frères et sœurs,
Voici notre parole. Nous disons :
Dans le monde, nous allons davantage fraterniser avec les luttes de résistance contre le néolibéralisme et
pour l’humanité.
185
Et nous allons soutenir, même si ce n’est qu’un petit peu, ces luttes.
Et nous allons échanger dans un respect mutuel expériences, histoires, idées et rêves.
Au Mexique, nous allons parcourir l’ensemble du pays, au milieu des décombres qu’a semés la guerre
néolibérale et parmi les résistances, retranchées, qui y fleurissent.
Nous allons chercher, et trouver, des gens qui aiment ces terres et ces cieux au moins autant que nous.
Nous allons chercher, de La Realidad à Tijuana, des gens qui veulent organiser et lutter et construire, qui
sait, le dernier espoir que cette nation, qui existe au moins depuis le jour où un aigle s’est posé sur un nopal
pour y dévorer un serpent, ne meure pas.
Nous invitons les indigènes, les ouvriers, les paysans, les professeurs, les étudiants, les ménagères, les
habitants des quartiers, les petits propriétaires, les petits commerçants, les micro-chefs d’entreprise, les
retraités, les handicapés, les prêtres et les bonnes sœurs, les chercheurs, les artistes, les intellectuels, les
jeunes, les femmes, les vieillards, les homosexuels, les lesbiennes et les enfants, garçons et filles, à
participer directement, de manière individuelle ou collective, à la construction d’une autre façon de faire de
la politique et d’un programme de lutte national et de gauche, et à lutter pour une nouvelle Constitution.
Voilà quelle est notre parole pour dire ce que nous allons faire et comment nous allons le faire. Elle est à
votre disposition, si cela vous intéresse.
[…]
Voilà quelle a été notre parole simple s’adressant aux cœurs nobles des gens simples et humbles qui
résistent et se rebellent contre l’injustice dans le monde entier.
DÉMOCRATIE !
LIBERTÉ !
JUSTICE !
Des montagnes du Sud-Est mexicain.
Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale.
Mexique, en ce sixième mois, autrement dit en juin, de l’an 2005.
186
Annexe 12 :
Balance comparativo entre la propuesta
de reformas constitucionales presentada por
la Cocopa y las observaciones del Ejecutivo
Extrait de la revue Chiapas n°5.
Ante la necesidad de destrabar el diálogo entre los representantes del gobierno y el EZLN y de dar cauce al
cumplimiento de los Acuerdos de San Andrés, la Comisión de Concordia y Pacificación elaboró la
propuesta que debía ser sancionada por las partes y turnada al Congreso de la Unión. Contrariamente a lo
acordado (sólo era posible decir sí o no), el gobierno de la república contesta con un documento que
pretende introducir nuevas modificaciones.
La improcedencia del hecho y la necesidad de establecer claramente el carácter de las objeciones del
gobierno llevaron a los asesores del EZLN a elaborar este documento comparativo entre la propuesta
presentada por la Cocopa, aceptada por el EZLN y a estas alturas también por el Congreso Nacional
Indígena, por el Encuentro Nacional por la Paz y por un sinnúmero de organizaciones civiles e individuos,
y las enmiendas propuestas por el Ejecutivo.
Propuesta de la Cocopa
20 de noviembre de 1996
(Subrayado: eliminado o modificado por el
gobierno)
Observaciones del gobierno
20 de diciembre de 1996
(Negritas: agregado o modificado por el
gobierno)
La Nación mexicana tiene una composición
pluricultural sustentada originalmente en sus
pueblos indígenas, que son aquellos que
descienden de poblaciones que habitaban en el
país al iniciarse la colonización y antes de que
se establecieran las fronteras de los Estados
Unidos Mexicanos, y que cualquiera que sea su
situación jurídica, conservan sus propias
instituciones sociales, económicas, culturales y
políticas o parte de ellas.
Los pueblos indígenas tienen el derecho a la
libre determinación y, como expresión de ésta, a
la autonomía como parte del Estado mexicano,
para:
I. Decidir sus formas internas de convivencia y
de organización social, económica, política y
cultural.
La nación mexicana tiene una composición
pluricultural sustentada originalmente en sus
pueblos indígenas a los cuales, en los términos
de esta Constitución, se les reconoce el derecho
a la libre determinación que se expresa en un
marco de autonomía respecto a sus formas
internas de convivencia y de organización
social, económica, política y cultural. Dicho
derecho les permitirá:
II. Aplicar sus sistemas normativos en la
regulación y solución de conflictos internos,
respetando las garantías individuales, los
derechos humanos y, en particular, la dignidad
e integridad de las mujeres; sus procedimientos,
juicios y decisiones serán convalidados por las
autoridades jurisdiccionales del Estado;
I. Aplicar sus normas, usos y costumbres en la
regulación y solución de conflictos internos
entre sus miembros, respetando las garantías
que establece esta Constitución y los derechos
humanos, así como la dignidad e integridad de
las mujeres. Las leyes locales preverán el
reconocimiento a las instancias y
procedimientos que utilicen para ello, y
establecerán las normas para que sus juicios y
resoluciones sean homologados por las
autoridades jurisdiccionales del Estado;
III. Elegir a sus autoridades y ejercer sus formas II. Elegir a sus autoridades municipales y ejercer
187
de gobierno interno de acuerdo a sus normas en
los ámbitos de su autonomía, garantizando la
participación de las mujeres en condiciones de
equidad.
sus formas de gobierno interno, siempre y
cuando se garantice el respeto a los derechos
políticos de todos los ciudadanos y la
participación de las mujeres en condiciones de
igualdad;
IV. Fortalecer su participación y representación
políticas de acuerdo con sus especificaciones
culturales;
III. Fortalecer su participación y representación
políticas de conformidad con sus
especificidades culturales;
V. Acceder de manera colectiva al uso y
disfrute de los recursos naturales de sus tierras y
territorios, entendidas éstas como la totalidad
del hábitat que los pueblos indígenas usan u
ocupan, salvo aquellos cuyo dominio directo
corresponde a la Nación;
IV. Acceder al uso y disfrute de los recursos
naturales de sus tierras, respetando las formas,
modalidades y limitaciones establecidas para
la propiedad por esta Constitución y las leyes.
VII. Adquirir, operar y administrar sus propios
medios de comunicación.
VI. Adquirir, operar y administrar sus propios
medios de comunicación, conforme a la ley.
El Estado impulsará también programas
específicos de protección de los derechos de los
indígenas migrantes, tanto en el territorio
nacional como en el extranjero.
El Estado impulsará también programas
específicos de protección a los derechos de los
indígenas migrantes en el territorio nacional y,
de acuerdo con las normas internacionales, en
el extranjero.
ARTÍCULO 115
Los Estados adoptarán...
I. Cada municipio...
II. Los municipios.
III. Los municipios, con el concurso de los
estados...
IV. Los municipios administrarán libremente...
V. Los municipios...
En los planes de desarrollo municipal y en los
programas que de ellos se deriven, los
ayuntamientos le darán participación a los
núcleos de población ubicados dentro de la
circunscripción municipal, en los términos que
establezca la legislación local. En cada
municipio se establecerán mecanismos de
participación ciudadana para coadyuvar con los
ayuntamientos en la programación, ejercicio,
evaluación y control, de los recursos, incluidos
los federales, que se destinen al desarrollo
social.
ARTÍCULO 115
Los Estados adoptarán...
I. Cada municipio...
II. Los municipios...
III. Los municipios con el concurso de los
Estados...
IV. Los municipios administrarán libremente...
V. Los municipios...
En los planes de desarrollo municipal y en los
programas que de ellos se deriven, los
ayuntamientos le darán participación a los
núcleos de población ubicados dentro de la
circunscripción municipal, en los términos que
establezca la legislación estatal. Asimismo, las
leyes locales establecerán mecanismos de
participación ciudadana para coadyuvar con los
ayuntamientos en la programación, ejercicio,
evaluación y control de los recursos, incluidos
los federales, que se destinen al desarrollo social.
X. En los municipios, comunidades, organismos
auxiliares del ayuntamiento e instancias afines
que asuman su pertenencia a un pueblo
indígena, se reconocerá a sus habitantes el
derecho para que definan, de acuerdo con las
prácticas políticas propias de la tradición de
cada uno de ellos, los procedimientos para la
elección de sus autoridades o representantes y
para el ejercicio de sus formas propias de
gobierno interno, en un marco que asegure la
unidad del Estado nacional. La legislación local
establecerá las bases y modalidades para
asegurar el ejercicio pleno de este derecho.
X. En los municipios, comunidades, organismos
auxiliares del ayuntamiento e instancias afines,
de carácter predominantemente indígena y
para el ejercicio de sus formas propias de
gobierno interno, se reconocerá a sus habitantes
el derecho para elegir a sus autoridades o
representantes internos, de acuerdo con sus
prácticas políticas tradicionales, en un marco
que asegure la unidad del Estado nacional y el
respeto a esta Constitución. La legislación
local establecerá las bases y modalidades para
asegurar el ejercicio pleno de este derecho.
Las Constituciones y leyes locales
188
Las legislaturas de los Estados podrán
proceder a la remunicipalización de los
territorios en que estén asentados los pueblos
indígenas, la cual deberá realizarse en consulta
con las poblaciones involucradas.
establecerán los requisitos y procedimientos
para constituir como municipios u órganos
auxiliares de los mismos, a los pueblos
indígenas o a sus comunidades, asentados
dentro de los límites de cada Estado.
ARTÍCULO 18
Sólo por delito que merezca.
Los gobiernos...
Los gobernadores...
La Federación...
Los reos de nacionalidad...
Los indígenas podrán compurgar sus penas
preferentemente en los establecimientos más
cercanos a su domicilio, de modo que se
propicie su integración a la comunidad como
mecanismo esencial de readaptación social.
ARTÍCULO 18
Sólo por delito que merezca...
Los gobiernos...
Los gobernadores...
La Federación...
Los reos de nacionalidad...
Las leyes fijarán los casos en que la calidad
indígena confiere el beneficio de compurgar las
penas preferentemente en los establecimientos
más cercanos a su domicilio, de modo que se
propicie su integración a la comunidad como
mecanismo esencial de readaptación social;
asimismo determinarán los casos, en que por
la gravedad del delito, no gozarán de este
beneficio.
ARTÍCULO 26
El Estado organizará...
Los fines del proyecto...
La ley federal facultará...
La legislación correspondiente establecerá los
mecanismos necesarios para que en los planes y
programas de desarrollo se tomen en cuenta a
las comunidades y pueblos indígenas en sus
necesidades y especificidades culturales. El
Estado les garantizará su acceso equitativo a la
distribución de la riqueza nacional.
ARTÍCULO 26
El Estado organizará...
Los fines del proyecto...
La ley federal facultará...
La legislación correspondiente establecerá los
mecanismos necesarios para que en los planes y
programas de desarrollo se tomen en cuenta a los
pueblos indígenas en sus necesidades y
especificidades culturales. El Estado promoverá
su acceso equitativo a la distribución de la
riqueza nacional.
ARTÍCULO 116
El poder público de los estados...
I...
II. El número de representantes...
Los diputados de las legislaturas...
En la legislación electoral...
Para garantizar la representación de los pueblos
indígenas en las legislaturas de los estados por
el principio de mayoría relativa, los distritos
electorales deberán ajustarse conforme a la
distribución geográfica de dichos pueblos.
ARTÍCULO 116
El poder público de los estados...
I...
II. El número de representantes...
Los diputados de las legislaturas...
En la legislación electoral...
Para garantizar la representación de los pueblos
indígenas en las legislaturas de los Estados por el
principio de mayoría relativa, en la
conformación de los distritos electorales
uninominales, se tomará en cuenta la
distribución geográfica de dichos pueblos.
189
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Institut de Gouvernabilité de Barcelone: iigov.org
198
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE........................................................................................... 10
PREMIERE PARTIE
LE CHIAPAS, ACTEUR INCERTAIN DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES
RELATIONS INTERNATIONALES: DE LA DISSIDENCE DE L'EZLN A LA
PROPULSION DU CHIAPAS SUR LA SCENE NATIONALE ET
INTERNATIONALE..............................................................................................................27
CHAPITRE 1.
LE CHIAPAS, UN CONTEXTE REGIONAL SPÉCIFIQUE: ENTRE CONFLIT
POTENTIEL ET CRISE LATENTE, LE ZAPATISME INCUBATEUR.......................... 29
Section 1. L’existence d’un potentiel de conflit : le Chiapas, un Etat en détresse..........29
A. Les contexte local de mise en place du conflit zapatiste: le Chiapas et sa place
particulière au sein de la nation mexicaine................................................................. 30
B. Le paradoxe chiapanèque : de la clarification des raisons du conflit à l’ébauche de
la radicalisation à venir............................................................................................... 33
Section 2. L’existence d’un potentiel idéologique au Chiapas : l’Armée Zapatiste de
Libération Nationale et son diagnostic........................................................................... 35
A. L’EZLN, ou une organisation marxiste : vers un soulèvement d’exclus ? ........... 36
B. Les bases de l’EZLN revisitée : du marxisme orthodoxe au marxisme nuancé par
le pragmatisme du mouvement................................................................................... 39
Section 3. L’existence d’un potentiel spécifique au Chiapas : de l’indigénisme des
théologiens aux zapatistes paladins de l’indianité.......................................................... 41
A. La force de l’Eglise catholique dans la région : la constitution d’un bassin de
fidèles en quête de dignité...........................................................................................41
B. Les zapatistes à l’assaut du potentiel chiapanèque : de la récupération de la
dynamique indigéniste aux zapatistes paladins de l’indianité. .................................. 43
CHAPITRE 2.
LE PRI, RÉVÉLATEUR DE L'ETAT DE MALAISE DU PAYS: UN CONTEXTE
FAVORABLE A L'ENGAGEMENT DU PROCESSUS DE REVENDICATION
ZAPATISTE.........................................................................................................................45
Section 1. Du PRI ciment de la nation…......................................................................... 45
A. La « monarchie » mexicaine : un système politique immobile et une société
muselée....................................................................................................................... 46
B. La modernisation économique des années 1980 et ses conséquences sur la
société : les débuts de la désarticulation du PRI et le déverrouillage de la société
civile. ..........................................................................................................................47
199
Section 2. … au PRI catalyseur du conflit. .....................................................................48
A. L’avènement d’une « démocratie » tardive … mais trop incomplète : les remouds
de la présidence de Salinas dans l’opinion. ............................................................... 48
B. La financiarisation de l’économie mexicaine dans les années 1990 et la
vulnérabilité du système : la société civile en proie à ses « démons ». .................... 51
CHAPITRE 3.
LE ZAPATISME, FIXATEUR DU CONFLIT: DU ZAPATISME MILITAIRE AU
ZAPATISME SOCIAL ET DE LA SCENE NATIONALE A LA SCENE
INTERNATIONALE........................................................................................................... 53
Section 1. La « guerre éclair » et ses conséquences immédiates, ou de l’éclatement du
conflit à l’échec de sa contention et de sa désactivation : ..............................................54
l’EZLN catapultée sur la scène nationale........................................................................ 54
A Le détonateur du 1er janvier 1994 : la première déclaration de la Selva Lacandona
et le combat des zapatistes « pour la nation mexicaine ». ......................................... 54
B. L’absence d’alternative concrètes du gouvernement pour étouffer la rébellion :
l’échec des manœuvres gouvernementales pour canaliser et absorber le conflit. ......56
Section 2. La cristallisation de l’EZLN : de l’envergure nationale à l’envergure
internationale...................................................................................................................57
A. Briser la colonne vertébrale du système : se garantir un ancrage national par le
recours à la société civile en son entier. .....................................................................58
B. Affirmer la singularité du conflit : se connecter à la sphère internationale par le
biais de la première révolution humaniste du XXIè siècle......................................... 60
CONCLUSION PARTIE 1.................................................................................................... 63
SECONDE PARTIE:
LE CHIAPAS, ACTEUR STABILISÉ DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES
RELATIONS INTERNATIONALES: DE L'AFFIRMATION DE L'ACTEUR
ZAPATISTE AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL A LA
CONSECRATION D'UN NOUVEAU TYPE D'ACTEUR................................................ 65
CHAPITRE 1.
LE KALEIDOSCOPE ZAPATISTE: L'EZLN, UNE ORGANISATION NOVATRICE ET
ATTRACTIVE.....................................................................................................................67
Section 1. De la capacité d’organisation interne à la stratégie de communication de
l’EZLN : la construction de la personnalité publique du mouvement.............................67
Section 2. La capacité d’action de l’EZLN : de la capacité de dialogue du mouvement
aux premières avancées sur la scène nationale. .............................................................76
Section 3. De la capacité d’adaptation de l’EZLN à la revalorisation de la thématique
indigène : du Chiapas objet au Chiapas sujet de la mondialisation. ............................. 80
200
CHAPITRE 2.
L'ORIGINALITE D'UNE GUERILLA EXTRAVERTIE: LA CONSTRUCTION D'UNE
MOSAIQUE DE PLATEFORMES POUR CANALISER ET POTENTIALISER LES
MERITES DES INSURGÉS................................................................................................85
Section 1 : La création d’une plate-forme nationale : les débuts de l’amarrage de
l’EZLN dans le cadre national … et ses échecs.............................................................. 86
Section 2 : La création d’une plate forme internationale : les tentatives de résolution de
l’enlisement du conflit… et ses réussites......................................................................... 91
CHAPITRE 3.
LES RESULTATS DE LA STRATEGIE ORIGINALE DES ZAPATISTES: LA
CONSÉCRATION DE L'EZLN DANS LA SPHERE NATIONALE ET
INTERNATIONALE........................................................................................................... 98
Section 1. La stratégie de pacification des zapatistes : d’une nouvelle initiative
politique de l’EZLN à la mise en lumière du germe de la solution au conflit.................98
Section 2. Le « Zapatour » et l’apparente apogée de l’EZLN : ................................... 100
vers l’avènement d’un « groupe armé qui fait de la politique » ?.................................100
CONCLUSION PARTIE 2..............................................................................................107
TROISIEME PARTIE
LE CHIAPAS, ACTEUR ENRACINÉ DANS LE JEU POLITIQUE NATIONAL ET
DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: VERS UN PANAORAMA DES
HERITAGES DE L'ACTEUR ZAPATISTE .................................................................... 110
CHAPITRE 1.
L’EZLN : DES METHODES D'ACTION FECONDES?................................................. 112
Section 1.La transformation politique et la coopération : les résultats de dix ans de
rébellion zapatiste au Chiapas...................................................................................... 112
A. Les effets contrastés des stratégies de l’EZLN sur la vie politique chiapanèque 113
B. L’amélioration visible du climat politique : la gouvernance politique du Mexique
114
Section 2. L’émergence d’une « loi indigène »............................................................ 116
A. La promulgation de la « loi indigène » de mars 2001 : …...................................117
B. … entre changement et continuité de l’attitude ambiguë du gouvernement .......118
Section 3. L’inconnue zapatiste : vers l’invention de nouvelles formes d’action pour
combattre l’ostracisme des indigènes ?.........................................................................119
A. La création des « caracoles » en 2001 : dernière initiative en date de l’EZLN... 119
B. Les zapatistes pris au piège : le « suicide » de l’isolement ?............................... 121
201
CHAPITRE 2.
L' « INTERNATIONALE ZAPATISTE »: L'ACTEUR ZAPATISTE CONONISÉ A
L'INTERNATIONAL........................................................................................................ 124
Section 1. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau local et régional.......... 124
A. Le contrecoup du soulèvement zapatiste sur la région. ...................................... 124
B. L’EZLN face à l’ambition des partis politiques : les effets contradictoires des
actions des zapatistes................................................................................................ 126
Section 2. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau national....................... 128
A. Des signes de fléchissement de l’intérêt de l’opinion .........................................128
B. L’amélioration du climat national ....................................................................... 129
Section 3 La béatification de l’acteur zapatiste au niveau international......................129
A. Des zapatistes aux Nouveaux Mouvements Sociaux : même jeu, même combat129
B. La continuation et la pérennisation du combat des zapatistes : « changer le monde
sans prendre le pouvoir ». ........................................................................................ 130
CHAPITRE 3.
VERS UN APERCU DU TRIPLE DÉFI A RELEVER PAR L'EZLN A L'AUBE DU
NOUVEAU MILLENAIRE...............................................................................................132
Section 1. L’acteur zapatiste lancé dans une nouvelle quête d’oxygène ? : les élections
de 2006 et l’« Autre Campagne ». ................................................................................133
A. La volonté des zapatistes de rester dans l’agenda politique international…....... 133
B…. passe par la nécessité de se réinscrire dans l’agenda politique national.......... 134
Section 2. L’acteur zapatiste face à la privatisation des biens publics au Mexique : deux
visions d’un projet national divergent. ........................................................................136
A. De la mise en valeur du patrimoine écologique et culturel ….............................136
B. … à la construction du « Mexique de l’avenir ». ................................................ 137
Section 3. L’acteur zapatiste face aux fondements de sa propre nature : les enjeux de la
« ventriloquie indigène » et des technologie de la communication...............................138
A. La crédibilité des zapatistes remise en question : la nécessaire refonte des
« statuts » de l’organisation...................................................................................... 138
B. Les méthodes de communication des zapatistes remises en question : de l’usage
dangereux des NTIC pour les communautés indigènes vers l’ « Apartheid global ».
142
CONCLUSION GENERALE.................................................................................................145
TABLE DES ANNEXES........................................................................................................153
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................. 190
TABLE DES MATIERES...................................................................................................... 199
202
GIVAJA Gautier
« L’EZLN, ou l’apparition d’un nouveau type d’acteur au sein du jeu politique
national et des Relations Internationales ».
Le 1er janvier 1994, le Mexique voyait naître en son sein ce que certains appelleront le
"premier mouvement symbolique contre la globalisation" néolibérale. Depuis lors, et même si
cela semble un peu moins vrai aujourd’hui, le gouvernement mexicain devra faire face à la
montée des oppositions et des revendications de quelques centaines d’indigènes du Chiapas
qui n’auront cesse de mettre en leur pouvoir tous les moyens possibles et inimaginables pour
tenter d’une part de contrer les tentatives de l’Etat qui veut les bâillonner, et d’autre part de
proclamer enfin un monde qui accepte les différences et « qui contienne plusieurs mondes ».
Alors, nous nous sommes intéressés à comprendre ici comment « les sans voix » sont
parvenus à se donner une voix qu’ils avaient perdue « depuis plus de 500 ans ». Ainsi,
comment ces indigènes de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) ont-ils
réussi pendant plus de dix ans à déjouer les pièges de la mondialisation uniformisante et les
obstacles tendus par un gouvernement avide de préserver le statut quo au sein de la
République ?
L’axe majeur de notre étude va alors consister à démontrer que c’est en combinant avec une
habileté hors norme l’utilisation des ressources locales, nationales, et internationales, que
l’EZLN a réussi à faire avancer ses revendications jusqu’à arriver à la consécration de 2001 :
la réception des insurgés au Congrès de la Nation à la suite du « Zapatour ».
Si l’EZLN a réussi son pari, à savoir conscientiser le monde entier sur le sort des indigènes
chiapanèques et des minorités en général, il est évident que le caractère du mouvement n’est
pas étrange à son succès. Ainsi, c’est en se construisant une personnalité originale et en
affirmant son caractère novateur, que l’EZLN s’est donné une légitimité sans précédent pour
un mouvement de filiation marxiste, surtout dans un contexte international voué corps et âme
à l’imposition de l’hégémonie libérale. Un nouveau type d’acteur était donc né au sein du
Mexique, mais ses stratégies et ses méthodes allaient le propulser sur la scène internationale
qu’il allait savoir très régulièrement mettre à son profit.
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Mots clés :
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Zapatistes/ néozapatistes/ EZLN.
Indigènes/ Indiens.
Cadre local/ national/ international.
Mexique/ Chiapas.
Stratégies/ méthodes.
Revendications/ Acteur public.
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