Au Mexique, le sous-commandant Marcos « cesse d`exister

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Au Mexique, le sous-commandant Marcos « cesse d`exister
Au Mexique, le sous-commandant
Marcos « cesse d'exister »
LE MONDE | 25.05.2014
Par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
En mai 2006, à Mexico. | ASSOCIATED PRESS/GREGORY BULL
« Marcos cesse d'exister », a déclaré, dans un communiqué publié
dimanche 25 mai, le sous-commandant Marcos qui était réapparu en
public, la veille, après cinq ans d'absence. Porte-parole de l'Armée
zapatiste de libération nationale (EZLN), le charismatique guérillero
annonce quitter la direction du mouvement qui lutte, depuis vingt ans
au Mexique, pour la défense des droits des indiens. Une annonce
choc, justifiée par les réorientations stratégiques que connait l'EZLN.
L'homme à la pipe et au passe-montagne a créé la surprise, samedi
24 mai, en faisant une apparition lors des funérailles d'un dirigeant
zapatiste dans un quartier indigène de la ville de Las Margaritas dans
l'Etat du Chiapas (sud). Face à des milliers de membres et
sympathisants de l'EZLN, Marcos serait arrivé « à cheval avec un
bandeau de pirate sur l'œil droit et fumant son inséparable pipe », a
rapporté le Pozol Colectivo, un des rares médias communautaires
autorisés à assister à l'événement. Marcos aurait rendu hommage à
José Luis Solis Lopez, surnommé « Galeano », tué le 2 mai au cours
d'un affrontement entre l'EZLN et des membres d'une organisation
ouvrière, proche du gouvernement du Chiapas et du Parti
révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir).
Quelques heures plus tard, Marcos annonçait que sa « voix ne portera
plus celle de l'EZLN ». Dans un long communiqué au style
sarcastique, il explique que le personnage du « sous-commandant
Marcos » a « été créé » par les Indiens, après l'insurrection armée du
1er janvier 1994. Selon lui, le recours à un métis, pour incarner le
combat pour l'autonomie des communautés indiennes et contre le
néolibéralisme, visait à attirer davantage l'attention de l'opinion
publique. « La sagesse indienne se méfiait de la modernité au sein
d'un de ses bastions : les médias de communication », justifie-t-il.
ÉCHEC DE LA CARAVANE ZAPATISTE
Pari gagné en regard de la popularité suscitée par l'énigmatique
guérillero cagoulé. A l'époque, la pression nationale et internationale
contraint le président Carlos Salinas de Gortari (1988-1994) à
ordonner un cessez-le-feu, après onze jours de combats. Le soutien
de nombreux intellectuels, du sociologue Alain Touraine à l'écrivain
Régis Debray, du linguiste américain, Noam Chomsky, au cinéaste
Oliver Stone, force le gouvernement à négocier avec les rebelles. En
1996, les Accords de San Andres reconnaissent notamment la culture
des Indiens et leur droit à l'autogestion. Mais ce pacte ne sera jamais
appliqué dans sa totalité. Dix ans plus tard, l'échec de la caravane
zapatiste pacifique, baptisée l' « Autre campagne », qui avait traversé
le Mexique pour unir les minorités du pays, incite Marcos à sortir
progressivement de la scène publique.
La dernière apparition de celui que les autorités ont identifié comme
Rafael Sebastian Guillen Vicente remontait au 3 janvier 2009 au
Chiapas, à l'occasion du 15ème anniversaire du soulèvement de
l'EZLN. Depuis, ce philosophe mexicain de 56 ans se contentait de
signer des communiqués et de publier des articles. Cette absence
alimentait les rumeurs sur son état de santé. « Le remplacement au
commandement n'intervient pas pour maladie ou pour décès, ni pour
mutation interne, purge ou épuration », assure-t-il, précisant que cette
décision s'explique par les « changements internes qu'a connus et que
connaît l'EZLN ».
Depuis plusieurs années, le mouvement zapatiste s'est réorienté vers
l'action politique au sein d'une quarantaine de municipalités
autogérées, réunies en cinq zones, appelées « Caracoles ». En
janvier, à l'occasion du vingtième anniversaire de leur soulèvement,
les rebelles ont organisé une nouvelle édition de leurs « écoles
zapatistes », accueillant au sein de ces îlots de résistance des Indiens
d'autres régions du pays, des chercheurs et autres militants des droits
de l'homme, dans l'espoir que leurs méthodes d'autogestion fassent
école.
Selon le communiqué, la mort de M. Solis Lopez a été le « moment
adéquat » pour annoncer la disparition du personnage de Marcos,
prévue de longue date. D'autant que d'autres personnalités
montantes, tels le sous-commandant Moises et le commandant Tacho,
avaient déjà pris la relève. En l'honneur du défunt, Marcos déclare qu'il
se fera désormais appeler « Galeano », sans préciser s'il continuera,
ou non, de jouer un rôle clé au sein de l'EZLN sous ce nouveau
pseudonyme.