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Citation style Aillet, Cyrille: Rezension über: A. Katie Harris, From Muslim to Christian Granada. Inventing a City’s Past in Early Modern Spain, Baltimore: The Johns Hopkins University Press, 2007, in: Annales, 2009, 2 - Villes, S. 514-515, heruntergeladen über recensio.net First published: http://www.cairn.info/revue-annales-2009-2-p-497.htm copyright This article may be downloaded and/or used within the private copying exemption. Any further use without permission of the rights owner shall be subject to legal licences (§§ 44a-63a UrhG / German Copyright Act). COMPTES RENDUS trouve ainsi, dans chaque article, des renvois aux articles antérieurs, dans une circularité un peu problématique du point de vue de la rigueur, ce d’autant plus que les chapitres de l’ouvrage ne sont pas présentés explicitement comme la reproduction d’articles déjà parus. À s’auto-citer pour démontrer une affirmation, on court le risque de s’enfermer dans son propre discours, c’est dommage. Cela étant, on trouve des éléments très intéressants dans cet ouvrage, en particulier sur les conséquences locales de l’organisation des expéditions militaires à la fin du XVe siècle en Castille. PASCAL BURESI A. Katie Harris From Muslim to Christian Granada: Inventing a city’s past in early modern Spain Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2007, XXI-255 p. 514 En 1588, des ouvriers morisques œuvrant à l’agrandissement de la cathédrale étaient en train de détruire la Torre Turpiana, un minaret qui constituait le seul vestige survivant de l’ancienne mosquée de Grenade. Dans les fondations, ils découvrirent une caisse en plomb contenant, outre des reliques de la Vierge et de saint Étienne, un parchemin bilingue écrit en arabe et en castillan et qui portait une légende en latin. Celle-ci indiquait à la fois le contenu du coffre et le nom de son ancien propriétaire, Cecilio, un saint jusqu’alors inconnu et le premier évêque de la ville. Quant au parchemin, il transcrivait un apocryphe attribué à saint Jean de Samos, mais qui prophétisait, parmi les calamités annonciatrices de la fin des temps, la venue de Muhammad, le prophète de l’islam, et celle de Luther. La légende latine informait le lecteur que ce texte avait été traduit en castillan et commenté en arabe par saint Cecilio luimême à l’attention des habitants de la péninsule ibérique. Malgré l’enthousiasme suscité dans la ville par cette découverte sensationnelle, quelques témoignages de méfiance à l’égard de son authenticité commençaient à émerger lorsqu’une seconde trouvaille vint confirmer la première en 1595. Dans une grotte du mont Valparaiso, des chercheurs de trésor découvrirent en effet une plaque de plomb écrite en latin. Elle racontait le martyre d’un saint, à cet endroit même et sous le règne de l’empereur Néron en l’an 56 apr. J.-C. Par la suite, d’autres plaques furent exhumées, révélant l’existence de sept martyrs contemporains. On put alors les identifier aux célèbres siete varones apostólicos, des disciples de saint Jacques le Majeur que la légende tenait déjà pour les évangélisateurs de l’Espagne depuis le Moyen Âge. Parmi eux se trouvait bien évidemment saint Cecilio, et la plaque qui commémorait son souvenir se référait aussi à la prophétie de saint Jean découverte sept ans auparavant. Des miracles ne tardèrent pas à se produire parmi les innombrables pèlerins qui affluèrent sur les lieux de l’inventio, à tel point que l’endroit allait bientôt porter le nom de « Sacromonte » (colline sacrée), tandis que Cecilio deviendrait le patron de la ville. Mais ce n’était pas tout : parmi les cendres des martyrs se trouvaient dix-neuf à vingt-deux étranges livres formés de disques circulaires en plomb, de la taille d’une hostie, où l’on pouvait lire, dans un arabe transcrit avec des caractères inusités, des textes religieux totalement inédits. On y trouvait entre autres des hagiographies consacrées aux sept compagnons, qui enseignaient que Cecilio et un autre de ses compagnons étaient en réalité natifs de la péninsule arabique. Infirmes, ils avaient été guéris par le Christ en personne en Galilée, avant de partir pour la péninsule ibérique avec saint Jacques. Le reste des livres de plomb contribuait à renforcer cette légende syncrétiste en vantant les qualités des Arabes et de leur langue et en proposant une christologie visiblement influencée par la vision coranique. Un « Livre des énigmes et des mystères » de la Vierge Marie racontait le voyage céleste qu’elle avait effectué à dos de jument, escortée par l’archange Gabriel, jusqu’au Paradis. Il s’agissait d’un évident pastiche de l’ascension nocturne du prophète de l’islam. Le corpus proposait donc une reformulation des dogmes et des rites du christianisme à l’aune des croyances et des pratiques du milieu morisque, c’està-dire des musulmans convertis qui consti- COMPTES RENDUS tuaient encore, en cette fin du XVIe siècle, une part importante de la population grenadine. Cette série de récits, en accréditant l’idée que les origines chrétiennes de la ville avaient partie liée avec les Arabes et leur langue, contribuait à effacer les clivages entre islam et christianisme et à réconcilier deux mémoires antagonistes. L’auteur restitue la vive polémique qui s’engagea très rapidement entre les érudits à propos de l’authenticité des reliques. Leur principal défenseur fut l’archevêque Pedro de Castro, qui résista à toutes les injonctions de Rome lui demandant d’envoyer les pièces du dossier pour expertise. Ce ne fut qu’à sa mort que les livres de plomb, ramenés à Madrid en 1631, furent confiés au Vatican en 1641. La papauté conclut alors qu’il s’agissait de faux, fabriqués par les morisques pour discréditer le catholicisme, ce qui provoqua leur confiscation. Conservés pendant plus de quatre siècles dans les archives secrètes du Vatican, ils ne furent restitués à l’archevêché de Grenade qu’en l’an 2000, attisant de nouveau l’intérêt des chercheurs et suscitant une nouvelle floraison d’études. Parcimonieusement exposés à la curiosité du public, ils n’ont pourtant pas été mis à la disposition de la communauté scientifique qui, depuis longtemps, cherche à percer l’énigme de ces documents à la lumière de leur contexte d’origine, Grenade et l’Espagne entre la fin du XVIe et le XVIIe siècle. Étudiée et traduite en castillan par Miguel José Hagerty 1 à partir des copies réalisées par les érudits locaux – faute de pouvoir disposer des originaux –, cette documentation résulte tout d’abord d’une opération de falsification des plus ambitieuses et des plus ingénieuses. Elle est l’œuvre de quelques morisques des plus savants, d’ailleurs impliqués dans la traduction des textes arabes. Elle reflète les efforts ultimes d’intégration menés par une communauté aux abois, amenuisée par la révolte de 1568 et les déportations qui s’ensuivirent, confrontée à la pression grandissante de l’Église et des « Vieux chrétiens ». Alors même qu’ils allaient bientôt être expulsés de l’ensemble de la péninsule sur ordre de Philippe II, ces livres de plomb miraculeu- sement découverts dans les entrailles du territoire urbain tentaient d’arrimer cette population de plus en plus marginalisée à l’identité catholique de la ville en formulant un récit d’origine syncrétique et réconciliateur, une « communauté de mémoire » qui rattachait le passé islamique à un héritage chrétien légendaire. L’auteur s’attache donc avant tout aux enjeux sociaux mis en œuvre par l’invention de cette tradition partagée. Le dossier révèle en effet les arcanes d’une société locale travaillée par un intense mouvement de christianisation dont il éclaire les modalités, le déroulement et les acteurs. La falsification des livres de plomb ne fait d’ailleurs paradoxalement que vérifier la profondeur de ce processus, puisqu’en s’inventant un passé apostolique, la minorité morisque diluait son patrimoine historique dans le creuset des légendes édifiantes qui caractérisaient l’imaginaire urbain dans l’Espagne de la ContreRéforme. En effet, l’originalité du livre consiste à démontrer à quel point ce mythe de fondation, produit de l’activité de résistance des morisques, devint le ciment d’une identité civique plus large, fondée sur l’idée d’une continuité historique placée sous le signe du christianisme. Au-delà du débat sur la véracité du dossier, question qui continua à passionner les érudits locaux bien après le jugement rendu par Rome, les livres de plomb répondaient aux attentes d’une société locale en pleine mutation, où s’effaçaient les dernières traces d’un passé islamique refoulé auquel ils avaient substitué le mythe des origines apostoliques de la ville. La tentative réalisée par les faussaires pour islamiser certains aspects du dogme chrétien fut finalement noyée dans un mouvement plus large, celui de la christianisation de la mémoire historique, instrument d’une compétition pour sauvegarder le prestige d’une ville qui, de fait, était désormais reléguée à un rang secondaire face à l’essor de Séville, capitale du commerce avec les Indes. CYRILLE AILLET 1 - Miguel José HAGERTY, Los libros plúmbeos del Sacromonte, Grenade, Editorial Comares, [1980] 1998. 515