Maryse du Souchet-Robert1 Chant harmonique et musicothérapie

Transcription

Maryse du Souchet-Robert1 Chant harmonique et musicothérapie
Maryse du Souchet-Robert1
Chant harmonique et musicothérapie
Dans ma pratique d’orthophoniste, je rencontre des patients qui ont des problèmes de
voix et d’audition. D’autres - qui viennent consulter pour des difficultés de langage écrit,
doublées souvent de difficultés psycho-affectives – ne savent pas bien discriminer les sons,
tout en ayant un bon équipement audio-visuel et phonatoire. Parmi des enfants dyslexiques,
on rencontre aussi des enfants incapables de s’approprier le code musical du solfège.
Par analogie avec dyslexie, je propose de créer le néologisme dysmusie pour désigner,
en l’absence de lésions cérébrales, des difficultés à percevoir certaines caractéristiques de la
musique (alexie et amusie désignent au contraire la conséquence de lésions cérébrales).
Tout comme pour la dyslexie, il serait alors possible d’envisager une rééducation des
dysmusiques en stimulant l’hémisphère droit. Il faudrait commencer par un
déconditionnement en proposant des jeux musicaux qui permettent de faire un pont avec le
plaisir des jeux de sons de l’enfance. Le chant harmonique me paraît être un moyen de
favoriser cet éveil. C’est en tout cas de cette façon que j’ai pu m’ouvrir au plaisir musical.
En 1985 je me suis inscrite à la formation de musicothérapeute2. C’est là que, grâce à
André Fertier, j’appris à entendre les harmoniques de la voix chantée.
En 1989, j’appris, avec Dominique Bertrand3, à émettre des harmoniques4. J’étais
émerveillée d’être capable de faire entendre deux sons simultanément : un bourdon, soit très
grave, soit dans le registre du baryton, ainsi qu’un son guttural ou nasal, et une mélodie
diphonique aiguë5.
Le chant harmonique repose sur l’exercice de la respiration en trois temps : j’inspire,
j’expire, je reste vide. Puis, je me laisse inspirer à nouveau, j’expire, puis je reste vide encore
un temps. Cette respiration initie à l’apprentissage de la perte et même à l’acceptation de la
mort. A ma naissance j’ai inspiré pour la première fois, à ma mort j’expirerai pour la dernière
fois. Ce temps mort, vide, constitue une expérience initiatique. Se laisser inspirer rend plus
conscient de cette merveille qu’est la vie.
Inspirer, c’est renaître. Chanter c’est mettre un son sur l’expiration. Le silence et le
vide permettent l’écoute subtile et la vision de l’invisible.
Si tu veux voir, écoute disait Saint Bernard aux moines bâtisseurs des abbayes
cisterciennes.
1
orthophoniste et musicothérapeute, Viroflay.
Association française de musicothérapie : P. Pennec, Edith Lecourt, Cycle de formation à la musicothérapie,
Université Denis-Diderot, UFR Sciences Humaines cliniques, Institut de formation permanente.
3
Musicothérapeute
4
L’harmonique est un son musical dont la fréquence est un multiple entier du son fondamental. Un son est une
superposition d’ondes sinusoïdales, de différentes fréquences ; une fréquence dite fondamentale correspond à un
son pur et les fréquences dites harmoniques sont des multiples de la fréquence principale. La série
d’harmoniques est une série d’intervalles dont l’ordre reste constant (loi de Fourrier) quelle que soit la hauteur
du fondamental. Le rapport entre chant harmonique et vocalisation est très étroit.
5
La sélection des harmoniques s’effectue par le mouvement de la langue et de l’épiglotte. La position de la
pointe de la langue est très importante, ainsi que celle des lèvres. C’est le principe de la guimbarde, mais
l’excitateur est interne, ce sont les cordes vocales.
2
Maryse du Souchet-Robert, Chant harmonique et musicothérapie
Le son émis sur l’expiration peut avoir une intention directionnelle, à droite, à gauche,
derrière soi, devant soi, en dessous de soi, vers le centre de la terre et au-dessus de soi vers le
cosmos. Il peut varier en intensité, en hauteur et même en rythme.
Chant des voyelles, le chant harmonique peut être complété par celui des consonnes :
ssssssss, zzzzzzzz, ffffffffffff, mmmmm.
Chant des consonnes et chant des voyelles peuvent être proposés en musicothérapie
comme voyage sonique écouté ou émis.
La pratique du chant harmonique a libéré ma voix. Un travail d’écoute m’a permis
l’ouverture de zones restées fermées depuis l’enfance. J’ai senti de façon très subtile
l’ouverture de mon oreille interne.
Quand je me suis sentie assez sûr de moi pour le transmettre à d’autres, j’ai introduit le
chant harmonique dans ma pratique d’orthophoniste et de musicothérapeute.
Le conte qui va suivre à été inventé avec un groupe d’enfants en musicothérapie, dans
un dispensaire de la région parisienne. Ce conte fut élaboré au cours de l’année et représenté
devant les parents des enfants du groupe en fin d’année. Il a été parfois difficile d’obtenir
suffisamment de silence et de concentration pour faire écouter aux enfants le double son, le
fondamental et les harmoniques qui s’en dégagent. Ils préféraient les temps de charivari. Au
cours de l’année, cependant, la plupart d’entre eux sont devenus capables de prendre plaisir au
chant des voyelles. La confection de masques ainsi que d’un Arlequin et d’un Pierrot en
marionnettes géantes permirent à chacun de trouver un intérêt à la réalisation de ce petit
spectacle.
L’ARLEQUIN DES SONS
Conte musical
Il était une fois dans la ville de Bergame un enfant nommé Arlequin. Il portait un
masque brun de fauve et un costume noir bigarré de taches sombres comme celles d’un
léopard.
C’était la fête du carnaval et tous les enfants étaient costumés avec des déguisements
multicolores.
Arlequin était triste, personne ne le regardait car il était presque le seul à n’être pas
coloré.
Un autre enfant, en effet, lui faisait pendant: c’était un Pierrot tout de blanc vêtu. Il
avait surgi d’on ne sait où, peut-être de la lune.
Quand Pierrot aperçut le pauvre Arlequin qui pleurait, il rassembla les enfants et
suggéra que chacun d’entre eux lui donne un petit losange de son costume de couleur afin de
recouvrir les taches sombres de son costume, d’un arc-en ciel de tâches colorées. Les enfants
applaudirent à cette idée et déclenchèrent une belle averse de confettis de tissus multicolores.
Pierrot se mit à chanter d’une voix grave. Il n’émettait qu’un seul son fondamental,
mais de celui-ci s’éleva une gerbe d’harmoniques.
‘On dirait un arc-en-ciel de sons’, s’écria Arlequin en séchant ses larmes. Alors les
enfants lui firent une ovation :
‘vive l’Arlequin des sons, vive l’Arlequin des sons !’
Ils essayèrent ensuite d’émettre eux aussi des harmoniques comme le faisait Pierrot,
mais chacun poussa, qui des cris d’animaux, qui des bruits de moteurs. Ce fut un vrai
charivari, qui correspondait au carnaval, mais aucun ne réussit à émettre ce double son qui
les avait tant émerveillés. Déçus, ils prirent un instrument de musique, et le charivari
recommença.
2
Maryse du Souchet-Robert, Chant harmonique et musicothérapie
Au bout d’un moment les uns et les autres furent las de ce tintamarre. C’était une nuit
de pleine lune. Pierrot alors se leva, tout rayonnant de lumière, dans le rayon de lune.
Arlequin dit à Pierrot ‘apprends-nous à chanter les harmoniques.’
Pierrot les fit asseoir sur l’herbe. Il attendit qu’un profond silence se soit établi.
Il expira lentement puis inspira profondément et exhala à nouveau l’air en entonnant
les voyelles O-I OM MMM puis ONNNNN. Les enfants avaient fermé les yeux, certains
visualisaient un point qui rayonnait de lumière dorée. Parfois l’un ou l’autre d’entre eux, en
plaçant sa langue au palais, réussissait à faire entendre quelques harmoniques. Après un
crescendo de sons où les uns évoquèrent le bruit de la mer, d’autres ceux de la forêt, le
voyage sonique prit fin progressivement. Le mystère de la nuit emplissait leur cœur de paix et
de silence.
Pierrot et Arlequin alors se levèrent, tendirent les mains aux enfants et la fête se
termina en joyeuse farandole.
3

Documents pareils