Le régime de retrait des points au regard des exigences de

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Le régime de retrait des points au regard des exigences de
Version pré-print – pour citer ce commentaire :
E. Vergès, « Le régime de retrait des points au regard des exigences de la présomption d’innocence », note
sous CE 26 juillet 2006, Revue pénitentiaire et de droit pénal 2007-1, p. 176.
Le régime de retrait des points au regard des exigences de la présomption d’innocence
CE, avis du 26 juillet 2006, N° 292750
Dans une précédente chronique, nous avions signalé l’existence d’un important arrêt rendu par la Cour de
cassation, relatif aux règles de preuve applicables aux contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales
autorisées 1. De façon synthétique, il résultait de cet arrêt que le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est
redevable pécuniairement de l'amende encourue pour des contraventions à la réglementation sur les vitesses
maximales autorisées en vertu de l’article L. 121-3 du Code de la route, mais que la loi ne définit aucune présomption
de culpabilité à l’égard du propriétaire du véhicule qui doit acquitter le montant de l’amende. L’article L. 121-3
précise d’ailleurs que « lorsque le tribunal de police ou la juridiction de proximité, (…) fait application des dispositions du présent
article, sa décision (…) n'entraîne pas retrait des points affectés au permis de conduire ».
Le retrait de points est une sanction administrative, indépendante de la sanction pénale 2, et qui peut faire
l’objet d’une demande d’annulation devant la juridiction administrative. Pour autant, le retrait de points, s’il relève de
la compétence de l’autorité administrative, n’en est pas moins lié à la commission de l’infraction et donc à la
condamnation pénale. Saisi d’une demande d’annulation de la décision administrative de retrait de points, le juge
administratif doit ainsi composer avec les règles relatives à la preuve pénale, ce qui relève parfois du jeu
d’équilibriste 3.
Pour éviter de commettre une erreur d’interprétation sur le sens de l’article L. 121-3 du Code de la route et
son incidence sur le retrait de points du propriétaire d’un véhicule, le tribunal administratif de Nantes a saisi pour
avis le Conseil d’Etat. La haute juridiction administrative a dû se prononcer sur les incidences de poursuites pénales
exercées selon la procédure de l’amende forfaitaire sur le retrait de points. Cet avis est instructif en ce qu’il combine
les règles du droit administratif avec les principes de la procédure pénale.
La première question posée au Conseil d’Etat consistait à connaître les conséquences du paiement de
l’amende forfaitaire par le titulaire du certificat d’immatriculation sur une action postérieure en annulation du retrait
des points. Pour y répondre, le Conseil d’Etat s’en tient à la logique de la jurisprudence de la Cour de cassation. En
cas d’excès de vitesse non suivi de l’arrestation ou de l’identification de l’auteur de l’infraction, la procédure d’amende
forfaitaire débute avec un avis de contravention adressé au propriétaire du véhicule. Ce dernier est redevable de
l’amende forfaitaire, mais n’est pas présumé coupable. Il peut alors contester être l’auteur de l’infraction 4. Si le
représentant du ministère public choisit de poursuivre le propriétaire du véhicule devant la juridiction de proximité,
la charge de la preuve de l’infraction repose sur l’autorité de poursuite. Le Conseil d’Etat en déduit justement que
« l’intéressé pourra alors apporter devant le juge pénal tous les éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur véritable de
l’infraction. Dans le cas où il ne parviendrait pas à établir cet élément, mais que sa culpabilité ne pourrait être davantage démontrée, et où
la juridiction de proximité le déclarerait redevable de l’amende en application des dispositions du premier alinéa de l’article L. 121-3 du
Code de la route, cette décision n’entraînerait pas le retrait de points affectés à son permis de conduire ». La solution s’impose avec
évidence. Si le prévenu n’a pas été interpellé par l’agent verbalisateur et qu’aucune photographie n’a permis de
l’identifier au moment de l’infraction, le ministère public ne sera pas en mesure de démontrer que le propriétaire du
véhicule est l’auteur de l’infraction. Dans cette circonstance, la Cour de cassation a précisé que « le Code de la route n'a
institué, relativement à la contravention d'excès de vitesse, aucune présomption légale de culpabilité à l'égard des propriétaires de
véhicules » 5. En l’absence de preuve matérielle de la commission de l’infraction, la juridiction pénale doit relaxer le
prévenu, tout en le condamnant au paiement de l’amende forfaitaire dont il est redevable. L’autorité ou la juridiction
administrative doit en déduire toutes les conséquences en ne procédant pas au retrait de points. En d’autres termes,
l’incertitude sur l’auteur de l’infraction n’entraîne pas de retrait de points, même si le propriétaire du véhicule se
trouve dans l’incapacité d’expliquer pourquoi son véhicule était en excès de vitesse au moment du contrôle.
1
Cass. crim. 4 mai 2004, RPDP 2005, n°4, p. 974.
2
Au sens du droit interne seulement. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le
retrait de points relevait de la matière pénale, tout en remarquant que la procédure de retrait n’était pas
contraire à l’article 6§1 de la Convention. CEDH 23 sept. 1998, Malige c/ France, n°68/1997/852/1059.
3
Notamment lorsque la condamnation pénale résulte de la procédure de l’amende forfaitaire.
4
En adressant une requête en exonération au service indiqué dans l’avis de contravention.
5
Cass. crim. 4 mai 2004 précit.
La solution est différente lorsque le titulaire du certificat d’immatriculation ne conteste pas l’avis de
contravention. Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat s’en tient aux termes de l’article L. 223-1 al. 4 du code de la
route selon lequel « la réalité d’une infraction entraînant retrait de points est établie par le paiement d’une amende forfaitaire ou
l’émission du titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée, l’exécution d’une composition pénale ou par une condamnation définitive ».
Cette disposition renverse la charge de la preuve de l’infraction 6. Ainsi, le seul paiement de l’amende forfaitaire fait
présumer la culpabilité du propriétaire du véhicule et « établit la réalité de l’infraction ». Les points sont retirés de son
permis et ce dernier ne peut contester utilement cette sanction devant la juridiction administrative. En définitive, le
sort de la sanction administrative de retrait de points se joue essentiellement devant la juridiction répressive. La
solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation 7.
Le Conseil d’Etat était saisi d’une seconde question, que l’on commentera de façon incidente, car elle ne
concerne qu’indirectement la procédure pénale. L’article L. 223-3 du Code de la route prévoit ainsi que « lorsqu'il est
fait application de la procédure de l'amende forfaitaire ou de la procédure de composition pénale, l'auteur de l'infraction est informé que le
paiement de l'amende ou l'exécution de la composition pénale entraîne le retrait du nombre de points ». Le tribunal administratif
interrogeait ainsi la haute juridiction sur l’incidence d’une absence d’information du propriétaire du véhicule sur la
validité de la décision administrative de retrait des points. En effet, lorsque le propriétaire du véhicule s’acquitte de
l’amende forfaitaire, il peut avoir à l’esprit que ce paiement lui est imposé par le Code de la route, mais qu’il n’aura
pas d’incidence sur le nombre de points en vertu de l’article L. 121-3 du même Code. L’obligation d’information de
l’article L. 223-3 est donc essentielle, car elle doit porter à l’attention du conducteur l’incidence d’un paiement
spontané de l’amende sur le retrait des points. Le Conseil d’Etat en déduit que « eu égard aux conséquences du paiement de
l’amende sur la validité de son permis de conduire, la délivrance de cette information préalable constitue une garantie essentielle donnée au
destinataire de l’avis de contravention pour lui permettre de contester, devant la juridiction de proximité, être l’auteur de l’infraction, et
constitue ainsi une condition de la légalité de la décision de retrait de points ». S’il n’a pas reçu l’information prévue à l’article L.
223-3, le propriétaire du véhicule est fondé à obtenir, devant la juridiction administrative, l’annulation la décision de
retrait de points.
Cette dualité de sanctions pénale et administrative en matière de délinquance routière crée des difficultés de
coordination procédurale entre juridictions pénale et administrative. Le Conseil d’Etat, en suivant l’orientation
donnée par la Cour de cassation en la matière, a clarifié utilement l’incidence des règles de procédure pénale sur la
sanction administrative que constitue le retrait de points. Voici un exemple de coopération qui mérite d’être réitéré.
6
L’effet est plus important encore en matière pénale puisque le paiement de l’amende éteint l’action publique.
7
Cass. crim. 26 juin 1996, bull., n° 277 : « chaque perte partielle de points, bien que s'appliquant de plein droit et échappant
à l'appréciation des juridictions répressives, est subordonnée à la reconnaissance de la culpabilité de l'auteur de l'infraction, soit
par le juge pénal, après examen préalable de la cause par un tribunal indépendant et impartial, soit par la personne concernée
elle-même qui, en s'acquittant d'une amende forfaitaire, renonce expressément à la garantie d'un procès équitable ».