Le passé simple et respectivement, en roumain

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Le passé simple et respectivement, en roumain
L’expression de l’espace et du temps en français : quelles formes pour quels sens ?
Université de Belgrade, 23 – 26, mars, 2011
Convergences et divergences dans l’emploi du passé simple en français et en roumain
Eugenia Arjoca-Ieremia, Université de l’Ouest, Timisoara, Roumanie
[email protected]
0. Introduction. Notre objectif
• Le passé simple et respectivement, en roumain perfectul simplu sont hérités du parfait latin. Ex.
pour la première personne du singulier, aux formes latines : habŭī, fŭī, cantāvī, tacŭī, fēcī, dixi,
correspondent, en français, les formes : j’eus, je fus, je chantai, je tus, je fis, je dis et, en
roumain, avuĭ, fuĭ, cântaĭ, tăcuĭ, făcuĭ, ziseĭ ; aux formes latines : mersi et audīvi correspondent
en roumain merseĭ et auziĭ.
• Notre objectif : observer quelques convergences et divergences dans l’emploi du passé simple
dans les deux langues, en tenant compte d’abord du fait qu’il appartient à deux systèmes verbaux
apparentés, mais aussi différents.
• En français, on l’appelle aussi passé défini en l’opposant ainsi au passé indéfini ou passé
composé , tous les deux appartenant au prétérit ou parfait : « Nous en avons un autre [i.e ;
prétérit] qui dénote l’action ou passion un peu plus parfaite [sc. que l’imparfait] : duquel
toutefois le temps n’est pas bien déterminé : de sorte qu’il dépend de quelque autre : comme je
vis le Roe lorsqu’il fut coroné. De vrai, quand je dis je vis le Roe, je dénote bien la perfection de
mon acte, mais cette façon de parler me tient suspendu, comme n’étant satisfait, si je n’ai autre
détermination de temps, d’autant que les Français l’ont introduite pour être déterminée par
quelque autre moyen certain : comme je fís çe qe tu m’avoes mandé, soudein qe je reçu tes
lettres. Mais, comme il soit quelquefois nécessaire de parler des choses passées parfaitement et
sans suite, les Français ont forgé un autre prétérit parfait, par le moyen du verbe ey, as, a
gouvernant l’infinitif [i.e. le participe passé], signifiant le temps passé du verbe actif nécessaire à
la locution : comme j’ey eymé Dieu : là où eymé […] ne requiert aucune suite qui lui soit
nécessaire pour donner perfection de sens ». (Meigret, 1550/1980 : 69s.) » « Le prétérit parfait
simple ne peut pas être employé de manière autonome, sans être déterminé temporellement par
un adverbe, par un autre temps verbal ou par le contexte […]Le prétérit parfait composé, en
revanche, n’a pas besoin d’ancrage » (Ossenkop : 23).
• Le passé antérieur n’a pas d’équivalent en roumain ; on le traduit par le perfectul simplu :
(1) Quand elle eut passé l’angle de la dernière maison, Cosette s’arrêta (V. Hugo). - Când dădu
colţul ultimei case, Cosette se opri.
• En roumain, le passé simple peut être en relation avec l’imparfait et le plus-que-parfait :
(2) O lumină cenuşie, tulbure privea prin ferestre, când se trezi Glanetaşu (L. Rebreanu) – Une
lumière grise, trouble passait à travers les vitres, lorsque Glanetaşu se réveilla.
(3) Nu se uita şi nu vedea pe nimeni şi pentru intâia oară nu răspunsese la salutul cuiva care trecu pe
lângă el şi îi dădu bună ziua. M. Preda) – Il ne regardait nulle part et ne voyait personne et pour
la première fois, il n’avait pas répondu au salut de quelqu’un qui passa près de lui et lui dit
« bonjour ».
1. Convergences
1.1.
Le PS - temps de « l’événement »
• En français comme en roumain, le PS exprime l’aspect perfectif : « On admet généralement que
le PS saisit les événements dans leur globalité » (Vetters, 1993b : 25).
(4) Sa conversion artistique eut lieu, d’une manière inattendue, au cours d’une errance un jour
d’hiver, alors qu’il visitait le petit musée Edison (…). À l’entrée du bâtiment d’accueil, s’élevait
un arbre spectaculaire, un banian, qui fit une très vive impression sur lui. C’était la première fois
qu’il voyait un tel arbre. Il contempla longuement ce géant séculaire dont les racines adventives
aériennes partaient des branches et descendaient verticalement vers le sol où, formant de
multiples piliers, elles devenaient de nouveaux troncs. C’était l’image du lent travail du temps,
ce grand sculpteur, et comme une sorte de synthèse du monde. (…) À partir de ce moment, le
banian devint son arbre de référence et sa devise : ce fut dorénavant pour lui l’emblème du travail
créateur (Gaëtan Brulotte, Le sculpteur du temps, 93-95).
• Si les verbes au PS ont à l’infinitif le trait aspectuel [+duratif], alors ils admettent la
combinaison avec des adverbes ayant le même trait, tels que longuement, dans (4) : « il
contempla longuement >> et encore, dans (5) : « Les hostilités durèrent encore ».
• Tout texte a sa propre temporalité, issue du réseau de relations entre les temps exprimés par les
formes verbales et/ou par les adv. temporels ou par d’autres spécifications temporelles.
‐
La règle générale pour l’emploi du passé simple formulée par Kamp et Rohrer en
1983 et reprise par Vetters (1993 : 17) : i. le Ps introduit un nouvel événement e qui
précède le moment de la parole to ; ii. e suit le dernier événement déjà introduit.
‐
La règle générale pour l’emploi de l’imparfait (Kamp et Rohrer, 1983 ; Vetters,
1993 : 18) : i. la phrase à l’IMP. introduit un nouvel état s ; ii. cet état se situe avant le
moment de la parole to ; iii. Contient le dernier événement e (introduit par une phrase
au PS). « On peut dire que le PS fait avancer le récit alors que l’IMP le retarde (…),
le PS avance le point de référence en le déplaçant vers la droite, tandis que l’IMP
garde le point de référence du dernier événement ». (Vetters, 1993 : 18)
‐
Dans le texte de l’ex (4 ; le récit fictionnel portant sur un épisode de la vie du
sculpteur Turcotte commence par une triple spécification temporelle : les couples au
cours d’une errance, un jour d’hiver et la propos. temporelle « alors qu’il visitait ».
La trame temporelle qui est comme un « squelette textuel » est construite par les
verbes à l’imparfait, imparfait narratif ou descriptif, à valeur aspectuelle
« perfective » ; l’imp. correspond à la règle générale de l’IMP, (voir ci-dessus).
‐
Les nœuds ou articulations du texte sont représentés par les verbes au PS, dont le
rôle, à notre avis, est de signaler les événements importants vécus par Turcotte, autour
desquels vont se disposer des fragments textuels, dont la cohésion est assurée par
l’imparfait.
La traduction en roumain du texte (4) respecterait l’alternance du PS et de l’IMP, à
une exception près : le dernier verbe au PS « Ce fut dorénavant » serait traduit, pour
des raisons stylistiques, par un IMP « era de aci inainte ».
‐
La même analyse peut s’appliquer « grosso modo » au texte suivant, (5), dans lequel
apparaissent aussi le PC et le Présent.
(5) Les hostilités durèrent (=durară /au durat) encore huit mois. Au mois d’avril 1945, quelques
semaines avant la capitulation de l’Allemagne, pendant les vacances de Pâques, je vins
(=venisem) à Paris pour le dernier trimestre scolaire. Je découvris (= am descoperit) le théâtre,
le wisky, l’holocauste, les soldats américains (…). Les fêtes que Paris se donna ( =avură loc)
pour la fin de la guerre, le 8 Mai, et surtout le 14 juillet de cette année-là, sont inoubliables
(=rămân de neuitat). Jamais je n’ai revu (n-am mai văzut) pareille certitude dans la joie. Mon
parrain, ancien prisonnier libéré, m’ emmena (=m-a dus) voir Le Dictateur de Chaplin. Trois
mille personnes riaient et applaudissaient (=rîdeau şi aplaudau). Je revins (=mă întorsei) en
vacances à Colombières trois ans après en être parti, avec mes parents. J’y retrouvais (=îmi
regăseam) mes amis, le soleil et la pêche. Tout semblait (=părea) indiquer un retour à la paix,
aux mêmes manières de vivre. On commençait (=Începea) à parler des camps d’extermination ;
et rien ne laissait imaginer (=nu lăsa să se întrevadă) les vastes horreurs soviétiques. C’était
(=era) comme un étrange réveil. L’énergie jaillissait(=ţâşnea) des ruines, l’euphorie l’emportait
(=trecea înaintea) sur la conscience des choses. Au milieu du siècle, hommes et femmes avaient
(=le era greu) quelque peine à reconnaître la destruction, la mort et l’atrocité révélée. Il fallut (=
a trebuit) des années pour admettre l’Histoire ( Jean-Claude Carrière, Le vin bourru, 304)
• La traduction en roumain révèle des convergences et des divergences dans l’emploi des temps.
En français, on a 7 verbes au PS, dont 2 se traduisent par le PS (se donna=avură loc, je
revins=mă-ntorsei), 1 cas est traduit par le PQP (je vins=venisem) et 3 PS sont traduits par 3 PC
(je découvris=am descoperit ; m’emmena= m-a dus ; il fallut= a trebuit) ; pour 1 cas, on peut
choisir le PS ou le PC : durèrent = durară / au durat.
• La référence temporelle initiale est donnée, quelques pages auparavant, par l’indication de la
date historique « au mois de juin 1945 ». À partir de cette date, il y a les huit mois suivants, après
le passage desquels – une nouvelle spécification temporelle précise : « au mois d’avril 1945 »,
donc le comput temporel se fait à l’aide des unités de mesure du calendrier. Cette spécification
temporelle est renforcée par le complément « quelques semaines »…
• Les événements présentés seront donc ultérieurs à ces dates chronologiques ; ils se succèdent
assez rapidement les uns aux autres et leur succession est rendue par la succession des verbes au
PS. Le complément temporel « cette année-là » indique lui aussi que les événements racontés se
passent bien avant l’époque où l’auteur, J. Cl. Carrière, les évoque. (le 15 février 2000). Les
IMP : « j’y retrouvais, c’était comme… » illustrent bien l’IMP narratif à usage perfectif. Tout
comme le PS, ces imparfaits introduisent de nouveaux épisodes textuels à l’intérieur desquels
d’autres verbes à l’IMP ont le rôle de détailler les faits produits en concomitance ou simultanéité
temporelle avec les 2 imparfaits « perfectifs ».
• Le PC « jamais je n’ai revu ») et le présent « sont inoubliables » sont employés pour introduire
les commentaires actuels de l’énonciateur et aussi le moment de l’énonciation, différent de la
temporalité « passée » du texte (les événements avaient eu lieu 50 ans auparavant).
• La traduction en roumain révèle des similitudes importantes, mais aussi une forte
tendance à remplacer le PS par le PC, forme temporelle qui assure dans les écrits, les
fonctions propres au PS.
1.2.
Le PS – temps susceptible d’exprimer une succession d’événements
(6) Deux coqs vivaient en paix. Une poule survint. (La Fontaine) – Doi cocoşi trăiau în bună pace.
Dar apăru o găină.
(7) Au mois de juin 1944, des maquisards firent sauter une bombe dans le tunnel de Sainte-Colombe.
Un train militaire y fut immobilisé quelque temps. Les Allemands se dispersèrent dans le village
et prirent plusieurs otages. Ils les alignèrent devant le tunnel comme pour les fusiller. (…)
Georges Barthès, son père et son beau-père travaillaient ce jour-là dans les parages. Ils
réussirent à s’esbigner en douce le long de la rivière, en se cachant entre les roseaux (Carrière,
Le vin bourru, 288).
Dans l’ex. (7), l’évocation des événements tragiques, horribles (la France était occupée
par les nazis) se fait à l’aide d’une série de verbes au PS, ce qui accroît la tension
dramatique du récit et maintient éveillée l’attention du lecteur.
• Un exemple similaire en roumain : le texte tiré du roman de Marin Preda, Cel mai iubit
dintre pământeni : (8)
•→ Le PS fait avancer le récit : « Perfectul simplu face să progreseze acţiunea, în măsura
în care succesiunea de verbe la perfectul simplu indică o succesiune de evenimente, întrun mod mult mai clar decât o face perfectul compus ». (GBLR , 2010 : 253) – Le passé
simple fait progresser l’action, dans la mesure où la succession des verbes au passé
simple indique une succession d’événements de manière beaucoup plus claire que ne le
ferait le passé composé. (notre traduction)
(8) Încă din stradă văzui (=je vis) lumină în dormitorul nostru. Va să zică Matilda nu dormea (=ne
dormait pas) ! Intrai ( =j’entrai) în curte şi sunai. (=je sonnai) (…) Dar Matilda nu deschise
(=n’ouvrit pas). Sunai (=je sonnai) a doua oară şi a treia oară. Nimic. Tăcere totală, a oraşului şi
a casei. Stătui câteva clipe lungi ( = je me tins quelques bons moments) în singurătatea care mă
cuprinse (= saisit :avait saisi)) în faţa propriei mele porţi. Scosei cheile (=je sortis mes clés),
intrai (=j’y entrai) şi începui (=je commençai) să urc scările (M. Preda, Cel mai iubit…, I,
258).
2. Convergences et /ou divergences : l’emploi du PS simple et du Passé composé dans
les récits historiques et les dépliants touristiques
(9) Le roumain a une histoire complexe : entre 101 et 106 après J.-C., les Romains entreprirent
(=întreprinseră/au întreprins) une colonisation massive de la Dacia, territoire habité par des
peuplades thraces. En 271, Aurélien retira (îşi retrase/şi-a retras) ses troupes du territoire, qui
posait de grandes difficultés d’occupation, et les Romains s’installèrent (= se instalară/s-au
instalat) au sud du Danube. Sous l’effet des invasions slaves, ce domaine (correspondant à celui
de la Bulgarie actuelle) fut déromanisé (=fu/a fost deromanizat) , et on connaît mal les
conditions dans lesquelles la latinité a pu se préserver pendant les siècles d’invasions (par les
Slaves et plus tard par les Hongrois) et donner lieu à une enclave romane dans le monde slave.
(Bibliographie…, 54).
(10)
Domniţa Zamfira, fiica domnitorului muntean Moise Vodă Basarab din Bucureşti (…) a
venit (=est venue) să vadă mănăstirea Prislop şi fiind impresionată de frumuseţea ei a restaurat
(=a entrepris la restauration) biserica între anii 1564-1580, devenind a doua ctitoră a Mănăstirii
Prislop. A împodobit (=a fait/fit décorer) biserica cu o pictură nouă în frescă şi a dăruit (= a
fait don / fit don) bisericii o icoană a Maicii Domnului, care a fost dusă (=a été / fut
transportée) în 1762 la Blaj, după incendierea bisericii din ordinul generalului Buccow,
guvernatorul Transilvaniei. (Dépliant touristique : Sfânta Mănăstire Prislop, 2008 :4).
En français, on utilise le PS pour présenter des événements historiques anciens ou très
anciens, dans les textes historiques et dans les dépliants touristiques qui présentent
l’histoire d’un monument, d’un palais, etc. Voir l’ex. (9). En roumain, le PS est souvent
remplacé par le PC qui semble être plus facile à apprendre et à manier. Voir l’ex. (10)
3. Divergences dans l’emploi du PS en français et en roumain actuels
3.1.
Le PS – temps déictique en ancien et moyen français
En ancien et moyen français, le passé simple est couramment employé en
référence avec le moment de l’énonciation situé dans le présent du locuteur.
Donc, il peut se combiner avec des adverbes temporels ou d’autres circonstants
temporels faisant eux-aussi référence au présent :
(11)
Sire, nos estiiens orains ci entre prime et tierce, si mangiens no pain a ceste fontaine,
aussi con nos faisons ore, et une pucele vint ci, …si nos dona… – Seigneur, nous étions donc ici
dans la matinée entre six et neuf heures, et nous mangions notre pain auprès de cette source, tout
comme maintenant, quand survint une jeune fille…elle nous donna…(Aucassin et Nicolette,
XXII, 31,35, apud De Mulder, p. 183).
Le passé simple est d’un emploi général, non seulement dans les narrations, mais même dans
la conversation courante :
(12)
Or sire, la bonne Laurence, / Vostre belle ante, mourut-elle ? (La Farce du Maître
Pathelin, apud N. Condeescu, 1968 : 187 ).
Un exemple pour le moyen français, dans lequel le PS exprime bien « la perfection de
mon acte » (voir la citation tirée de Meigret, à notre paragraphe 0.)
(13)
« (…) pour hausser ma langue maternelle, / Indonté du labeur, je travaillai pour elle, / Je
fis des mots nouveaux, je rappelay les vieux /Si bien que son renom je poussay jusqu’aux cieux ;
/Je fis d’autre façon que n’avoient les antiques »
(Ronsard, Responce aux injures et calomnies de je ne sçay quels
Predicans et Ministres de Geneve, 1563, vers 1019-1023)
La situation a radicalement changé à présent, le passé simple étant exclu de la conversation
quotidienne (sauf quelques rares exceptions régionales). Il réfère « à un moment du passé,
sans considération du contact que ce fait, en lui-même ou par ses conséquences, peut avoir
avec le moment présent. » (Grevisse et Goosse, 2008 : 1093).
3.2.
Le PS – temps déictique en roumain actuel (populaire et régional)
Ceci est vrai aussi pour le roumain actuel standard où l’on observe une extension abusive
du passé composé, qui remplace le passé simple et, parfois, même le plus-que-parfait. En
revanche, le passé simple reste une forme vivante employée couramment dans les parlers
de certaines régions telles que l’Olténie, une partie des Monts Apuseni, certaines zones
du Maramureş :
(14)
- Unde-ai fost ? (azi dimineaţă) // - Tu as été où (ce matin) ?
-Am fost la pită, lapte ; luai şi nişte ouă (conversation authentique) // J’ai été
(littéralement)= Je suis allée acheter du pain, du lait. Je pris (trad. littérale) J’achetai aussi
des œufs.
Essentiel au point de vue narratif, le passé simple est employé pour exprimer des actions
accomplies dans un passé très récent, en référence avec le moment de l’énonciation qui
comprend l’espace de toute une journée. « Ainsi, on dit correctement “ am făcut asta ieri - j’ai
fait cela hier” et “făcui asta azi-dimineaţă - je fis cela ce matin ” » (Adevărul, 2009).
Remarque :
Les écrivains roumains, soucieux de distinguer, dans les textes narratifs, différentes époques
temporelles, emploient l’opposition passé simple vs passé composé pour opposer des faits
accomplis au moment où l’on parle à des faits situés à des périodes antérieures à ce moment,
dans un passé plus éloigné.
Nous allons présenter deux textes tirés du roman Baltagul de M. Sadoveanu, textes
remarquables du point de vue de leur cohésion temporelle. Dans les deux textes, on évoque une
série d’événements liés à la découverte par Victoria Lipan du fidèle chien de son mari disparu.
Celui-ci avait beaucoup de troupeaux de moutons et avait été assassiné en haute montagne. La
découverte du chien devra hâter la fin des recherches du berger disparu.
(15)
Cotiră pe o hudiţă, subt o râpă. În fund sta închisă o gospodărie bine întocmită. Cum
ajunseră la zaplazul de scânduri, domnu Toma bătu cu toiagul în poartă. Îndată răspunseră
câinii. Vitoria se grăbi să treacă înainte şi împinse portiţa. Îşi trase de la subsuoară beţişorul ca
să se apere. Domnu Toma păşi în urma ei, întinzând cu luare-aminte gâtul într-o parte, ca să vadă
ce se întâmplă. Trei câni năvăliră cu zăpăituri supărate. Deodată, cel mai mare, din mijloc, se
opri. Stătură şi ceilalţi; apoi se răzleţiră, lătrând din laturi. Cel din mijloc stătea neclintit şi
aţintit. Era un dulău sur şi flocos, cu urechile şi cu coada scurtate, după moda din munte a
ciobanilor. Vitoria îşi trecu beţişorul în stânga şi întinse spre el mâna dreaptă. – Lupu !
(Sadoveanu, Baltagul, XII, 140-141)
Ils tournèrent l’angle d’une petite rue étroite qui se perdait en bas d’un ravin. Au fond on voyait
la porte fermée d’une belle ferme. Dès qu’ils furent arrivés à la palissade, M. Toma frappa de sa
canne dans la porte. Aussitôt ce furent les chiens qui répondirent. Vitoria se hâta pour passer
devant et poussa la porte. Elle tira la baguette qu’elle portait sous le bras, pour se défendre. M.
Toma la suivit de près, tendant attentivement le cou, pour voir ce qui se passait. Trois chiens se
précipitèrent en clabaudant. Soudain, le gros, qui se trouvait au milieu, s’arrêta net. Les autres
firent pareillement, puis ils se dispersèrent en continuant d’aboyer. Celui du milieu se tenait
immobile, le regard fixé sur les hôtes. C’était un gros chien au poil gris et abondant, aux oreilles
et à la queue écourtées, d’après l’habitude des bergers montagnards. Vitoria se passa la baguette
dans la main gauche et tendit vers lui la main droite. – Mon Loup ! (notre traduction)
La relation de coordination est dominante ; le passé simple s’impose : il s’agit d’actions rapides,
achevées au moment même où l’auteur les présente. (C’est le moment de l’énonciation). Presque
tous les verbes sont au passé simple ; les adverbes îndată - aussitôt et deodată - soudain
soulignent l’aspect momentané exprimé aussi par les verbes prédicats. L’imparfait apparaît deux
fois seulement (stătea, era) pour exprimer un état duratif. Puisque le moment où se passent
toutes les actions est le moment « présent », d’autres temps, comme le subjonctif présent (să
treacă, să apere, să vadă) et le présent de l’indicatif (se întâmplă) apparaissent normalement ;
c’est le présent exprimant la simultanéité par rapport au passé simple păşi – il (la) suivit.
Si on voulait transposer le texte en français, on devrait employer les mêmes temps passés,
à savoir le passé simple et l’imparfait, avec les mêmes valeurs aspectuelles. Au niveau des
formes, il y aurait une seule différence, sans que l’on puisse observer une différence de valeur
modale : à la place des verbes au subjonctif présent, en roumain, il y aurait des verbes à
l’indicatif, en français.
La valeur modale reste inchangée, le subjonctif et l’infinitif expriment le but de l’action.
La différence essentielle entre le texte roumain et sa variante française serait donnée par les
valeurs temporelles du passé simple en roumain et en français. Si en roumain le texte est
rattaché au moment « présent » (T0), en français, il serait rattaché à un passé lointain car le passé
simple interrompt généralement, en français, la liaison avec le présent.
Dans le deuxième texte, situé au début du chapitre suivant (le chapitre XIII), le récit des
événements se fait à l’aide du passé composé pour exprimer des faits antérieurs au moment où
l’on parle. Les discours indirect et surtout indirect libre caractérisent ce texte narratif. Le
nouveau maître du chien de Victoria Lipan raconte comment il avait trouvé, quelques mois
auparavant (« astă-toamnă » - « l’automme dernier ») le chien égaré dans les montagnes :
(16)
Dând lămurire la întrebarea nevestei, arătă că acest câne de pripas a venit la gospodăria
lui astă-toamnă, din râpile muntelui. L-a văzut dând târcoale ; pe urmă s-a suit pe-un colnic ş-a
urlat, cum urlă cânii în singurătate. A coborât şi s-a aşezat în preajmă, supunându-se cu
pântecele de pământ. Munteanul a înţeles că poate să fie un câne rătăcit de la ciobanii care au
trecut cu oile. L-a judecat deştept şi vrednic după înfăţişare şi a strigat la nevastă să-i caute o
bucată de mămăligă rece. … (Sadoveanu, Baltagul, XIII, 141-142) – Donnant des explications à
la question de la femme, il dit que ce chien vagabond était venu à la ferme en automne, des
ravins de la montagne. Il l’avait vu rôder aux alentours, puis il était monté sur une butte et s’était
mis à hurler, comme font les chiens solitaires. Il en était descendu et s’était assis, ventre à terre.
Le montagnard avait compris que c’était peut-être un chien de berger égaré après le passage des
troupeaux. Il l’avait jugé intelligent et adroit et il avait dit à sa femme de lui apporter un morceau
de polenta froide. (notre traduction).
Comme on le voit, la relation syntaxique de coordination est dominante aussi dans ce texte. Mais
les deux textes s’opposent chronologiquement ; l’opposition chronologique est réalisée par
l’opposition formelle et sémantique entre le passé simple (employé dans le premier texte) et le
passé composé du deuxième texte.
Par conséquent, si on voulait transposer en français le deuxième texte, l’emploi du passé
composé ne serait pas recommandable. En français, le passé composé reste lié (par son
auxiliaire) au présent du moment de la parole. C’est pourquoi le temps qui irait dans ce cas,
comme équivalent sémantique du passé composé roumain serait le plus-que-parfait. L’indicatif
présent poate serait remplacé par l’imparfait : « Le montagnard avait compris qu’il (= ce chien)
pouvait être un chien égaré »
4. Conclusion : y a-t-il deux paradigmes homonymiques pour le PS en roumain ?
Ce que nous avons constaté jusqu’à présent, nous autorise à affirmer qu’il ya en roumain actuel
deux paradigmes homonymiques pour le PS, à savoir :
• le paradigme du PS, temps du passé, utilisé comme temps narratif et interprété comme forme
qui exprime la saisie globale d’un événement (usage aspectuo-temporel).
Comme temps fictionnel, le PS apparaît dans les contes de fées, surtout à la 3ème
personne :
(17)
Prinţul văzu un glob de foc.
-Ce cauţi aici, îl intrebă dragonul , // Le prince vit un globe de feu. - Que fais-tu ici ? lui
demanda le dragon.
« În asemenea contexte nici nu se poate pune problema unei distanţe în timp, pentru că nu există
raportare la vreun moment al vorbirii » ( GBLR, 2010 : 252) – Dans de tels contextes, le problème
d’une distance temporelle ne se pose même pas, puisqu’il n’y a aucun rapport avec le moment de
la parole. (notre traduction)
• le paradigme du PS temps déictique, dans le langage populaire régional, interprété comme un
passé récent de valeur aspectuelle perfective, utilisé pour parler de faits passés dans un intervalle
d’au maximum 24 heures.
S’il est employé de manière déictique, le PS est lié aux acteurs de l’énonciation, le locuteur et
l’énonciataire; il peut favoriser l’expression d’une confession à la 1ère pers, pour relater des
événements très récents de la vie de l’énonciateur. Le PS devient ainsi une marque de la
subjectivité.
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