Couples islamo-catholiques - Saint
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Couples islamo-catholiques - Saint
JANVIER 2016 L’E SS E N T I E L Editorial Sommaire Couples islamo-catholiques IEdito IIEclairage Couples islamo-catholiques : obstacle ou chance ? VI Ce qu’en dit la Bible Des mariages interreligieux : Joseph et Moïse XI Bonne idée! Les cafés d’AVANT messe XII Jeunes engagés Naomi Kauffmann XIII Familles Aider les ados à croire en l’avenir VII Le point de vue historique Mariages mixtes XIV Le sens des mots Messe VIII Vu de Rome Le dialogue avec l’islam XVJ’aime Trois propositions IXTémoins Claire Regad XVI A la découverte de l’art La Pêche miraculeuse VINCENT LAFARGUE Quelques questions. Je connais des couples interreligieux dans lesquels la foi de chacun est bien vécue et enrichit l’autre. J’en connais aussi d'autres où rien n’est simple. Particulièrement dans le cas d’un mariage entre une femme chrétienne et un mari musulman. Quelques questions me paraissent importantes à poser avant de telles unions : la partie chrétienne pourra-t-elle vivre sa foi, la faire vivre à ses enfants, les catéchiser ? Qu’en sera-t-il s’il y a déménagement dans le pays d’origine du mari ? L’épouse devra-t-elle embrasser la foi musulmane, les coutumes de cette foi, porter le voile ? Les grands-parents chrétiens pourront-ils prier avec leurs petits-enfants ? A-t-on rencontré la belle-famille de l’autre religion ? Ces simples questions viennent de cas vécus où l’on s’est rendu compte que rien n’était aussi simple que la partie musulmane semblait le dire au départ. Avec toute l’admiration que je dois aux couples qui vont bien, et mes encouragements aux fiancés, je crois pourtant légitime de se poser ces quelques questions sans… se voiler la face. Editeur Saint-Augustin SA, case postale 51, 1890 Saint-Maurice Directrice générale Dominique-A. Puenzieux Rédactrice en chef Dominique-A. Puenzieux Secrétaire de rédaction Claude Jenny | [email protected] | Tél. 024 486 05 25 Abonnements [email protected] | Tél. 024 486 05 39 Rédaction romande Véronique Benz | Abbé Pascal Bovet | Abbé Vincent Lafargue | Laurent Passer | Abbé Thierry Schelling | Jean-Luc Wermeille Collaborateurs externes Abbé FrançoisXavier Amherdt | Diacre Bertrand Georges | Couverture Ciric, Corine Simon Maquette Essencedesign Prochain numéro Action de Carême I Couples islamo-catholiques: obstacle ou chance? ÉC L A I R AG E 1 David et Saliha se disent oui à Puteaux le 5 juin 2010. L’hétérogamie est le mariage avec un conjoint d’une classe sociale, religion ou culture différente de la sienne. Anne-Marie et Selim s’aiment, comme Damien et Zabina, Nicolas et Donika, Hicham et Marine, Jean-Claude et Florianna. Ils vivent à Genève ou en France voisine et désirent se dire oui devant Dieu. Mais comme jadis pour les couples mixtes (catholiques-protestants), leur décision dérange : comment préparer les belles-familles respectives à ce mariage hétérogame 1, tranquilliser les récalcitrants, les coreligionnaires, le curé ou l’imam ? Et que nous dit Dieu si leur amour est sincère ? THIERRY SCHELLING Photo : LDD Une attitude rassurante serait : « Mais pourquoi l’autre ne change pas de religion, ce serait plus simple ? » Quand on ne leur déconseille pas d’abandonner leur projet marital, tout simplement. De facto, d’aucuns témoignent qu’après quelques années de vie commune, certains couples islamo-catholiques sont devenus… islamo-musulmans. II L’E SS E N T I E L 2 Un Groupe des couples islamo-catholiques a été constitué le 12 novembre dernier à Genève, afin de pérenniser un espace de rencontres, d’échanges et d’accueil d’intervenants pour accompagner la vie de couples et de parents islamochrétiens. Contact : [email protected] A quoi bon accompagner cette initiative interreligieuse pour se faire gruger à la fin ? Quelle pression du mari ou de l’imam ? Mais où sont les Equipes Notre-Dame islamo-catholiques, la Pastorale pour couples et familles interreligieuse, les week-ends-ressourcement aux livres saints ? Rien (ou presque) 2 n’existe de notre côté en Suisse romande. Or, dès après ÉC L A I R AG E leurs premiers baisers, ignorance, méfiance, voire désapprobation de la part de proches comme d’autorités religieuses les téléscopent, les déconcertent, les heurtent. Et les stimulent aussi, les obligent à approfondir, à mettre des mots, à se frotter, voire se piquer, aux aspérités parfois inconscientes de l’autre quant à sa religion, les futurs enfants, Ramadan ou Noël. Alors, quels sont les enjeux pour un couple islamo-catholique en Romandie aujourd’hui ? Lors de notre première réunion à Genève, les couples présents ont listé par ordre d’importance leurs difficultés. Primo, l’éducation spirituelle des enfants : circoncision et/ou baptême, madrasa à la mosquée du Grand Saconnex et/ou catéchisme à la paroisse d’à côté ? Secundo, le lien avec la belle-famille : on observe certains méca- Photo : LDD nismes d’influence, de peur, de colère même, de réserve souvent, chez des Kosovars… comme chez des Palermitains (le réflexe clanique est transreligieux !). Mais Marine ou Damien ont vécu de belles « premières rencontres » entre conjoint-e-s et belles-familles. De nouveau, généraliser est irréaliste. Tertio, le sens que l’on donne aux mots religion ou spiritualité du point de vue personnel et pratique, étant donné que notre environnement permet de vivre sa foi plus librement qu’à Assiout ou Catania : « Pour moi, la foi c’est… » Des difficultés de taille, donc, qui nécessitent le regard extérieur et neutre d’un connaisseur des deux systèmes religieux pour aider à affiner la préparation par des questions concrètes : régime alimentaire, vie sexuelle, loisirs, Damien et Zabina s’unissent devant Dieu à Satigny le 19 juillet 2014. JA N V I E R 20 1 6 III ÉC L A I R AG E égalité entre les sexes, etc. et suggérer, pourquoi pas, un accord par écrit sur les points difficiles – une charte du vivre ensemble, en somme – qui sera révisée régulièrement. Et même cela n’est pas une garantie absolue. Il n’en est rien pour un couple catholique, qui répond toujours à l’unisson « oui » et « non » dans le dossier de mariage alors que les divorces ne diminuent pas ; pourquoi en serait-il autrement pour un couple interreligieux ? Par contre, un couple islamo-catholique est amené à avoir des échanges profonds sur son binôme très tôt dans la vie à deux… au contraire de bien des mariages endogames ! Et ils déclarent vouloir rester bireligieux ! C’est presque une clause dans leur démarche ; Hicham Photo : Ciric, Corine Simon IV Un couple islamo-chrétien en dialogue avec un responsable religieux. L’E SS E N T I E L insiste : « Je respecte totalement la religion de Marine, ça ne saurait être autrement. » Nicolas, lui, fait Ramadan avec Donika : « Cela nous permet de le vivre bien ensemble, et me fait du bien à moi aussi ! » Florianna, elle, découvre des aspects très attirants dans l’islam, tout en restant dévote à la Madone. L’art du partage et du compromis inhérent à toute aventure à deux dans le fond. Enfin, n’en déplaise à d’aucuns, on ne peut exclure la conversion quand elle est un processus sincère, dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs : le catéchuménat d’adultes de l’archidiocèse de Paris regorge de musulmans qui découvrent le Christ au travers notamment des mouvements charismatiques. A l’inverse, JeanClaude témoigne : « Catholique ÉC L A I R AG E Stéphane et Shahzia se marient à Grandvaux en présence d’un mollah shiite et d’un prêtre catholique le 31 juillet 2010. et Breton d’origine, j’ai mis dix ans à embrasser l’Islam après réflexions, lectures et échanges ; un vrai chemin logique d’authenticité avec ce que je ressens dans le cœur depuis longtemps. » En tout cas, sa démarche est protégée par l’article 18 de la Déclaration des droits humains… Photo : LDD Depuis le Concile Vatican II, un rituel de mariage existe pour une personne catholique qui souhaite s’unir avec une personne d’une autre religion ; l’Eglise bénit la réalité nuptiale interreligieuse. Si Anne-Marie et Selim ont choisi de se marier et d’avoir des enfants, ce n’est pas d’abord parce qu’ils voulaient tenter de mélanger l’huile et l’eau. C’est parce qu’ils s’aiment en faisant l’apprentissage d’une grammaire commune à partir de lexiques différents, pour vivre dans le monde contemporain, qui est à leur image, interculturel et interreligieux. C’est pourquoi ces couples islamo-chrétiens peuvent être prophétiques et méritent une attention pastorale particulière. L’hétérogamie et le métissage embelliraient-ils le monde ? Islam et christianisme : ne pas amalgamer « Islam » et « christianisme » sont des termes génériques qui regroupent une grande variété d’écoles juridiques, de sensibilités théologiques, de cultures et de degrés d’intensité dans la pratique: Nicolas, Florianna ou Damien, catholiques, s’échelonnent entre scepticisme, agnosticisme ou fidélité traditionnelle. Idem pour Donika, Selim ou Zabina, musulmans, croyants ou… athées ! Autant dire qu’on ne saurait amalgamer. De plus, nos deux religions sont missionnaires, propageant leurs visions de la vie et de l’amour, et donc du couple et de la famille avec entrain et conviction. Pour elles, le couple est le principal vecteur de leurs valeurs. Or, ces situations « borderline », à cheval sur deux religions, sont bien évidemment des défis… et des cibles dans leur entreprise de conviction au nom de leur cohérence interne. C’est aussi le défi pour une Eglise au Verbe incarné dans les cultures et les cœurs des humains d’aujourd’hui – et l’interreligieux en est une caractéristique incontournable, comme l’a répété le pape François lors d’une audience interreligieuse du mercredi : « l’interdépendance croissante des peuples, le regard positif de l’Eglise, depuis Nostra Aetate, sur les autres religions, ne rejettant rien de ce qui s’y trouve de beau et de vrai » et même plus, « fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent » en elles (Nostra Aetate, 5§). Quel plus beau terrain que le couple interreligieux ? JA N V I E R 20 1 6 V Mariages interreligieux: Joseph et Moïse C E Q U’E N D I T L A B I B L E FRANÇOIS-XAVIER AMHERDT C’est vrai que l’Ancien Testament recommande plutôt les mariages au sein du peuple juif. Ainsi Ruth épouse-t-elle Booz en terre étrangère, du même clan que ses beaux-parents Elimélek et Noémi ; Tobie prend pour femme Sarra, fille de Ragouël, juive exilée en Médie, et il le fait en toute confiance, malgré la disparition prématurée des premiers maris successifs de son épouse, car il sait qu’il peut s’appuyer sur le Dieu d’Israël ; avancé en âge, Abraham fait jurer à son plus vieux serviteur d’empêcher son fils Isaac de s’unir à une femme cananéenne, et d’aller lui chercher une femme dans sa parenté : ce sera Rebecca. (Genèse 24) Nous pourrions multiplier les exemples ! Et pourtant, les épousailles avec des étrangères d’une autre tradition religieuse sont nombreuses, comme si la Bible s’ingéniait à transgresser les règles qu’elle édicte elle-même et donc à les relativiser. De plus, ceux qui « commettent » une pareille union ne sont pas des personnages secondaires: ils font partie des figures tutélaires les plus importantes de la foi juive. Photo : DR Deux illustrations : tout d’abord le patriarche Joseph, le fils préféré de Jacob, que ses frères veulent éliminer et qui finit par aboutir en Egypte où il prospère, devient le modèle de l’intendant fidèle et épouse Asnath, la fille de Poti-Phéra, un prêtre égyptien d’On – un culte solaire. Cela ne VI L’E SS E N T I E L l’empêche pas, bien au contraire, de préfigurer le Christ en s’ouvrant constamment à la volonté de Dieu et en pardonnant à ses bourreaux. (Genèse 37-50) Quant à Moïse, le plus grand prophète de l’histoire du salut, il prend pour femme Cipporah, la fille de Jéthro, prêtre de Madian. Et c’est là, au cœur de son exil, qu’il rencontre Dieu dans le buisson ardent et qu’il reçoit la révélation du nom au-delà de tout nom, « Je suis qui je serai. » (Exode 2-3) Le moins que l’on puisse dire, c’est que les mariages interreligieux n’empêchent pas les grands témoins bibliques d’accomplir leur mission. Au contraire, ils reçoivent de la culture étrangère un réel élargissement de leur horizon et annoncent ainsi le Dieu de tout l’univers, à condition qu’ils lui restent fidèles. Mariages mixtes L E P O I N T D E V U E H I STO R I Q U E JEAN-LUC WERMEILLE Les mariages interconfessionnels et interreligieux sont un bon indicateur de l’intégration ou non d’une population migrante. Si l’amour ne connaît pas de frontières, jusqu’en 1850 les lois suisses interdisaient les mariages mixtes; le conjoint « étranger » devait changer de confession. Un premier exode rural conduisit à une rapide augmentation des mariages mixtes entre 1870 et 1900. Toutefois, jusque dans les années 1960, de nombreuses familles continuaient à faire pression sur l’un des deux conjoints pour qu’il change d’appartenance reli- JA N V I E R 20 1 6 gieuse. De nos jours, les mariages entre chrétiens de confessions différentes sont bien acceptés en Suisse. La mixité entre chrétiens est conforme aux probabilités de rencontrer un conjoint d’une autre confession, évidemment plus fortes dans l’Arc lémanique que dans les cantons de Fribourg, du Valais ou de Berne. Toutefois, des groupes minoritaires comme les musulmans, les orthodoxes ou les juifs se mélangent encore relativement peu au reste de la population, surtout si on les compare à la minorité catholique-chrétienne. VII Le dialogue avec l’islam V U D E RO M E Une priorité du pontificat de François LAURENT PASSER Dès les débuts de son pontificat, le pape François a insisté sur le dialogue avec les autres religions, notamment avec l’islam. Ainsi, s’adressant au corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, le 22 mars 2013, il a déclaré: «On ne peut vivre des liens véritables avec Dieu en ignorant les autres. Pour cela, il est important d’intensifier le dialogue entre les différentes religions, je pense surtout au dialogue avec l’islam, et j’ai beaucoup apprécié la présence, durant la messe du début de mon ministère, de nombreuses autorités civiles et religieuses du monde islamique.» Joignant le geste à la parole comme il aime à le faire, le SaintPère a tenu à signer lui-même le traditionnel message adressé le 2 août 2013 aux musulmans à l’occasion de la fin du Ramadan, «comme expression d’estime et d’amitié envers tous les musulmans, spécialement envers leurs chefs religieux». Dans ce message, le pape François demande notamment le respect des chefs religieux et des lieux de culte, Photo : DR VIII L’E SS E N T I E L dénonçant les attaques à leur encontre. Commentant ce fait sans précédent, le cardinal Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue religieux, a estimé que, par ce message, le Pape avait voulu montrer que le dialogue islamo-chrétien était une des priorités de son pontificat: «Le Pape est conscient que nous ne nous connaissons pas suffisamment», a ajouté le cardinal. Et d’insister: «Malgré nos efforts, nous devons apprendre à nous respecter», et cela passe par la formation des fidèles afin de «faire tomber les préjugés». Enfin, récemment, dans la bulle d’indiction pour l’Année sainte de la Miséricorde, le pape François, en souhaitant que l’Année jubilaire favorise la rencontre avec les religions, a indiqué: «La valeur de la miséricorde dépasse les frontières de l’Eglise. Elle est le lien avec le judaïsme et l’islam qui la considèrent comme un des attributs les plus significatifs de Dieu. Israël a d’abord reçu cette révélation qui demeure dans l’histoire comme le point de départ d’une richesse incommensurable à offrir à toute l’humanité […]. L’islam, de son côté, attribue au créateur les qualificatifs de miséricordieux et clément. On retrouve souvent ces invocations sur les lèvres des musulmans qui se sentent accompagnés et soutenus par la miséricorde dans leur faiblesse quotidienne. Eux aussi croient que nul ne peut limiter la miséricorde divine car ses portes sont toujours ouvertes.»