questions a pierre bruno psychanalyse, psychotherapie, etat

Transcription

questions a pierre bruno psychanalyse, psychotherapie, etat
QUESTIONS A PIERRE BRUNO
PSYCHANALYSE, PSYCHOTHERAPIE, ETAT
ALESSANDRA GUERRA: Pourquoi le livre "Manifeste pour la psychanalyse"
soutien que la psychanalyse n'est pas une psychothérapie, c'est une question
de méthode ou un défi?
PIERRE BRUNO: Soutenir que la psychanalyse n’est pas une psychothérapie
n’est ni une “question de méthode" ni un “défi» mais un constat. Une
psychanalyse ne prend sens comme telle, quels que soient par ailleurs ses
effets (levée de l’inhibition, résolution d’un symptôme, disparition de
l’angoisse), qu’avec l’avènement d’une fin qui ne relève d’aucune guérison, ni
d’aucune amélioration, mais consiste dans une subversion radicale: le sujet n’
a plus besoin de jouir de son symptôme pour échapper à la pulsion de mort
dont Lacan a montré très tôt qu’elle était le nom donné par Freud à la
néantisation symbolique que requiert l’entrée dans le langage, meurtre de la
chose par le mot, y compris la chose que nous sommes.
C’est ce qui explique que, régulièrement, une fin d’analyse, pour être
authentique, est précédée par une phase maniaco-dépressive dans laquelle la
jouissance que le symptôme procure au sujet est dévalorisée jusqu’à ce que
le sujet s’identifie à son symptôme dans sa fonction de présentifier la
modalité singulière par laquelle il se soustrait au régime de l’Autre, et à sa
légalité. Prenons ce moment de conclure par un autre biais: Lacan, dès son
séminaire sur “L’acte analytique”, distingue voire oppose la castration dont on
jouit (c’est vrai y compris pour Schreber qui jouit de son émasculation par
l’Autre) et la division du sujet qui me permet de ne plus compter, pour jouir,
sur cette seule castration. Discontinuité dans l’économie de jouissance, telle
est la fin, pas toujours au rendez-vous, mais qui, dans le seul fait d’appartenir
à la vection d’une psychanalyse fait que, même à s’arrêter en chemin, un
analysant ne voit plus les choses comme avant, s’il est allé assez loin pour
savoir que cette discontinuité reste une promesse réalisable. Qu’on trouve les
considérations ci-dessus dans les préoccupations d’une psychothérapie, aussi
affine soit-elle à la pensée freudienne, est exclu.
ALESSANDRA GUERRA: En quoi la définition du symptôme et son approche
différencient psychanalyse et psychothérapie?
PIERRE BRUNO: Je viens d’avancer quelques éléments de réponse, mais je
veux
encore
insister.
Le symptôme est un événement de corps, non du corps organisme, car à ce
titre les symptômes obsessionnels n’entreraient pas dans cette définition,
mais du corps en tant que le Symbolique s’y est incorporé. Comment dès lors
rêver que ce corps puisse s’exempter de ce handicap précieux qui empêche
le symbolique langagier de recouvrir le réel? Dès que je parle, le fait que je
parle est asphérique à la sphère dont je parle et le symptôme, tout
symptôme, résulte de cette incompatibilité et la traite. Seul le symptôme
nous guérit de cet écartèlement. Vouloir l’éradiquer est donc vain, d’autant
plus que, une fois que sa jouissance a été dévalorisée (et non pas supprimée)
comme je l’ai dit en réponse à la première question, il devient le seul levier
pour soulever l’univers, en étant hors.
ALESSANDRA GUERRA: La psychanalyse pourrait avoir intérêt à être définie
et reconnue par l'Etat ?
PIERRE BRUNO: L’Etat le voudrait-il, il n’est pas en mesure de définir la
psychanalyse. Qu’il la reconnaisse serait un signe de civilisation, mais ni dans
un décret ni dans une loi. Il suffirait qu’il veille à ce qu’on n’ en interdise pas
le signifiant et qu’on ne se mêle pas de sa pratique.
ALESSANDRA GUERRA: Pourquoi les psychanalystes, et pas seulement en
Italie, ne se sont pas opposés plus nettement à la réduction de la
psychanalyse en psychothérapie ?
PIERRE BRUNO: Les psychanalystes, Freud en a fait l’expérience et Lacan
encore plus, véhiculent les bacilles de la résistance à la psychanalyse.
L’emprise médicale y est pour beaucoup, l’emprise psychologique aussi, mais
encore, on commence à s’en apercevoir, l’emprise philosophique. Les trois
ont en commun l’amour du signifiant au détriment de la lettre. Rappelons
l’équivoque de la “lettre volée”: elle ne féminise que parce que le contenu de
son message n’est pas accessible, ce qui va, heureusement, contre la pente
du signifiant à accréditer l’idée que la barre de la signification est toujours, au
bout du compte, franchissable. C’est ainsi qu’on construit des théories,
impérialistes par essence, dans lesquelles l’ob-jection du sujet (terme cher à
Marie-Jean Sauret) est méconnaissable. Cependant nous, psychanalystes,
pouvons être des porteurs sains, c’est à dire laïques, ou mieux profanes, des
dits bacilles.
ALESSANDRA GUERRA: Le livre "Manifeste pour la psychanalyse" soutien que
la psychanalyse, qui n'est rien sans l'hypothèse du transfert, vise à la
résolution du transfert. Pouvez-vous en dire plus ?
PIERRE BRUNO: Le transfert est obscurantiste, mais il est d’abord la
condition d’une psychanalyse, car il transforme la présence du psychanalyste
en présence “réelle”. Du coup, pour reprendre la triade freudienne, il
confronte l’analysant à la répétition. L’entrée dans l’analyse se juge à ce point
de bascule où le candidat analysant passe au “travail de traversée”
(Durcharbeitung). Cela suppose déjà un pas de côté par rapport à un
transfert à l’analyste pris comme un maître, puisque le dévoilement d’un bout
d’inconscient dans lequel l’analyste n’est pour rien est l’événement grâce
auquel la bascule a lieu. Reste la suite, c’est à dire l’analyse proprement dite,
dans laquelle la tâche de l’analysant est de se découpler de l’analyste comme
moyen de sa quête de savoir, en découvrant que ce savoir est structuré par
son trou, dont ni l’analyste ni l’analysant ne peuvent rien dire, mais
seulement, comme on l’a vu, le symptôme.
C’est pourquoi il y a lieu de parler de résolution, et non de “liquidation”,
terme qui indique un point de haine passionnelle jouant dans le départ de
l’analysant. La passe, qui en est encore à ses débuts, malgré les plus de
quarante ans qui la séparent de sa mise en œuvre, pourrait être la procédure
appropriée pour juger de cette résolution, et prévenir les ménages obscènes
qui, dans certaines associations de psychanalyse, lient jusqu’à la mort l’image
à son miroir.
ALESSANDRA GUERRA: En quel sens la formation de l'analyste tend à être un
savoir? Ce savoir est-il transmissible ?Quel est le rapport de ce savoir avec
l'émergence de la vérité tant dans une analyse que dans une formation?
PIERRE BRUNO: Il y a beau temps que l’on ressasse, à juste titre, que le
savoir n’est pas un corpus demeurant dans le ciel des Idées , mais le savoir
du – psychanalyste ou psychanalysant.
Ce savoir, sans l’expérience , est stérile et nul n’ignore que les “progrès”dans
ce savoir sont des progrès de la cure. Freud, analysant avec Fliess, découvre
d’abord la perversité du père, qu’il nomme sa neurotica, puis la récuse, pour
découvrir le fantasme, et ainsi de suite. C’est vrai aussi pour Lacan, sans
cesse dans la passe de son enseignement, dans lequel le public était là pour
soutenir la fiction d’un sujet supposé savoir. C’est vrai à chaque pas d’une
analyse, pour tout un chacun. C’est en ce sens que la psychanalyse est
impossible à transmettre, mais c’est aussi en ce sens que “tout ne peut
s’apprendre de l’expérience”et qu’il faut construire les symptômes adéquats
(mathèmes et topologie notamment) pour qu’il ne soit pas vain de
s’entretenir de ce savoir.
Parigi, 1 maggio 2012