vague à l`âme - Oeuvres Ouvertes

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vague à l`âme - Oeuvres Ouvertes
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POURQUOI TON VAGUE A L’ÂME
Pourquoi ton vague à l’âme revenant, peu importe où tu es,
ici ou ailleurs, dans ton pays ou au bout du monde, en forme
ou fatigué, vague à l’âme te saisissant, s’emparant de toi sur
ce canapé, le canapé étant le lieu parfait pour que le vague à
l’âme te saisisse et s’empare de toi, tu n’es pas assis sur le
canapé, mais presqu’allongé, la tête contre l’accoudoir, et
bien sûr tu as mis la musique, tu as mis ces satanées
chansons, des chansons pour vague à l’âme, des chansons
générant du vague à l’âme, des chansons exprimant du vague
à
l’âme,
le
vague
à
l’âme
étant
particulièrement
communicatif, une espèce de virus qu’on attrape en regardant
ou en écoutant quelqu’un, juste un instant suffit, juste
quelques mots chantonnés voire susurrés et un joli petit air,
les chanteurs savent faire ça, ne font d’ailleurs que ça,
générer du vague à l’âme, on les paye pour ça, on les paye
pour écrire des paroles et composer de la musique qui te
feront t’allonger, écouter, plonger dans un certain état de
mélancolie et de mollesse physique, et avant cela, surtout,
acheter leurs disques, des 33 tours à l’époque, toute une série
de disques, tout un monde de mélodies qui, les unes après les
autres, saisissent leurs auditeurs, s’emparent de leur âme,
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juste quelques mots parfois, il suffit juste de quelques mots
chantonnés à la guitare ou à je ne sais quel instrument,
rythmes, accords tout bêtes, mots chantonnés juste une
seconde comme tu ne la voyais pas comme ça ta vie au
détour d’une chanson, et d’un coup c’est le vague à l’âme sur
ce canapé, il n’y a plus rien d’autre qui compte, il n’y a plus
que cela, des flux de ta propre vie t’envahissent, toi le père
allongé, des images, des voix, des idées qui à nouveau
s’emparent de toi, t’emportent je ne sais où, dans des
courants anciens de ton existence, dans des souvenirs
récurrents mais qui reviennent seulement à ce niveau de
conscience, dans ce vague à l’âme qui ne passe pas, dans ce
vague à l’âme que tu entretiens en rejouant la même chanson,
tu t’es juste redressé un instant pour repositionner la tête de
lecture sur le bon sillon du disque et te revoilà reparti dans le
même flux, tu as prolongé le vague à l’âme, essayant cette
fois-là d’aller plus loin, plus profond, à l’aide de la même
mélodie, des mêmes mots tu ne la voyais pas comme ça ta
vie, et ce rêve-là on l’a tous fait, en boucle, en boucle ces
mots, des jours, des semaines, des mois et des années,
cultivant très jeune ton rapport obsessionnel à la musique, à
la chanson, mais pourquoi ce chanteur précisément, pourquoi
lui tenant sa guitare sur la plage, pourquoi ce vague à l’âme
précisément, celui produit par ce chanteur debout au soleil
couchant sur une plage au bout du monde, il a les cheveux
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frisés comme on aime les porter à l’époque, longs, un gros
paquet de cheveux frisés sur la tête devant le soleil couchant
et la guitare sur laquelle on fait mine de jouer, et les paroles
tristes, mélancoliques que le chanteur lance vers toi, lance en
toi, toi allongé sur le canapé laisse aller les paroles et la
musique en toi, ou te laisse aller, flotter dans ces paroles et
cette musique, tu t’empares de ces quelques mots chantonnés
par un inconnu au bout du monde, sur une plage exotique,
d’une voix mélancolique, son visage, son nom peuvent
changer selon les jours, mais à chaque fois, pour faire durer le
vague à l’âme, tu remets plusieurs fois la même chanson, il y
a quelque chose d’obsessionnel dans ta recherche ponctuelle
mais répétitive, quasi quotidienne, du vague à l’âme, c’est
ton activité préférée, cela ne fait aucun doute, dès que tu le
peux tu te jettes sur le canapé après avoir choisi un disque,
pas n’importe lequel évidemment, mais un de tes préférés, un
de ceux qui génèrent le vague à l’âme, tu en possèdes au
moins une dizaine de particulièrement efficace, ce sont le
plus souvent des disques de jeunes chanteurs du milieu des
années 70, chanteurs qui sont venus après les grandes gloires
des sixties et qui leur doivent tant, mais qui sont déjà dans la
nostalgie d’un âge d’or du rock auquel ils n’ont pas pu
participer, des chanteurs qui sont venus après, juste après la
vague rock et qui à cause de cela, d’être venus juste après,
d’être venus un tout petit peu trop tard, juste quelques années,
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sont, plus que leurs prédécesseurs, experts en vague à l’âme,
et ce rêve-là on l’a tous fait, le cultivant, l’entretenant, le
fortifiant par leurs nouvelles chansons et musiques, jouant de
la musique et composant des paroles pour l’entretenir, pour le
cultiver, pour le fortifier en eux, faisant des concerts pour
communier avec leur public dans le vague à l’âme, oui, une
époque est finie, une époque exaltante est derrière nous, et
notre enfance, et notre adolescence, et notre jeunesse, tout
cela évanoui, Toto trente ans rien que tu malheur, tu es
allongé sur ton canapé et tu te laisses saisir par ce constat
Toto trente ans rien que du malheur, vague à l’âme complexe
car en même temps tu souris, tu saisis bien le ridicule de la
situation, tu comprends l’ironie du chanteur, sa mélancolie
surjouée, certes, mais toujours réussie à cause de cela, car
c’est bien cette légère ironie qui t’autorise à te laisser aller,
toi aussi tu as raté les sixties, toi aussi tu es venu après, tu as
même passé mai 68 au lit, malade, allongé déjà, le nom Toto
te fait sourire, oui, Toto, c’est bien toi, le type trentenaire
allongé sur son canapé à écouter un autre trentenaire
surjouant le vague à l’âme après avoir été un jeune homme
d’une vingtaine d’années allongé dans son lit pendant que
d’autres à sa place jetaient des pavés sur les CRS, après avoir
été un adolescent écoutant à la radio les vedettes des sixties,
certaines d’entre elles déjà sur le déclin, mais toi tu es venu
après, tu es venu après cette vague rock, et tu as raté mai 68,
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et tu es venu aussi après ton enfance, comme tout le monde,
alors tu écoutes ces chanteurs experts en vague à l’âme, tu les
imagines sur leur plage en Bretagne ou au bout du monde, les
cheveux frisés, une guitare en bandoulière, chantant leur
mélancolie de trentenaires eux aussi venus après, et
s’apprêtant à vieillir en étant venus après, en ayant sans doute
raté mai 68 comme toi, tu les vois en les écoutant, tu les vois
aussi à la télévision car ils sont parmi les premiers chanteurs
français à faire des clips, à mettre en scène leurs chansons,
plusieurs d’entre eux feront du cinéma, ce qui est normal
quand on voit leur talent d’acteur dans leurs clips, mais toi tu
ne joues pas, oh non tu ne joues pas, tu es allongé sur le
canapé et tu te redresses un instant pour remettre la tête de
lecture sur le bon sillon, et la même chanson reprend, oui,
c’est quand même mieux que la télé un tourne-disque, on
peut réécouter à volonté, qui t’en empêche, tu es tout seul sur
ton canapé, il y a bien les enfants qui passent et s’assoient un
instant, mais lorsqu’ils te voient saisi par ton vague à l’âme,
alors ils se relèvent et te laissent tranquille, ou alors ils restent
assis à l’autre bout du canapé et t’observent, et il se peut
qu’en eux aussi se développe le vague à l’âme, il se peut
qu’eux aussi écoutent les chansons, et ce rêve-là on l’a tous
fait, oui, ce rêve-là on l’a tous fait, rêve d’une vie meilleure
ailleurs, rêve de l’enfance, rêve d’autres pays, rêves qui tous
génèrent du vague à l’âme, oh, mais en silence, seulement à
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l’intérieur, en secret, personne n’en saura jamais rien, des
voix, des images, des idées qui sont seulement à toi, voix,
images et idées qui reviennent, que tu nourris, que tu
entretiens, devant l’enfant, devant ton enfant tu rêves, qui sait
d’un autre enfant, d’un meilleur enfant, d’un enfant qui
t’écouterait, mais tu ne parles pas, d’un enfant avec un
brillant avenir, meilleur que le tien, car à trente ans ta vie est
déjà faite, tout est joué, d’un enfant qui te dirait comment
faire pour que la vie ne te mette pas KO comme dans la
chanson, vague à l’âme, ô vague à l’âme qui te replonge dans
l’enfance, dans des représentations et des rêveries de ton
enfance, mais si cette enfance avait eu lieu au bord de
l’océan, là où le chanteur chante et joue de la guitare, que
serait-il advenu de toi, peut-être aurais-tu vécu mai 68, peutêtre n’aurais-tu pas été immobilisé dans ton lit pendant tout
un mois et peut-être ne serais-tu pas allongé aujourd’hui sur
ce canapé à rêver de cette autre vie, peut-être serais-tu aux
côtés du chanteur, peut-être serais-tu son guitariste, ou bien
son producteur, peut-être serais-tu à ses côtés sur cette plage,
même sur cette plage de Bretagne, ce serait déjà mieux qu’un
canapé dans cette banlieue pavillonnaire, peut-être aurais-tu
une autre vie, te dis-tu plongé dans ton vague à l’âme, plongé
dans le vague à l’âme que produisent en toi ces chansons du
chanteur sur sa plage lointaine, même si elle peut être si
proche, la Bretagne, ou bien vraiment lointaine, une plage
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exotique, en Guadeloupe ou en Martinique certainement, tu te
souviens d’ailleurs du clip où le chanteur chante et joue de la
guitare, ou fait semblant de jouer de la guitare, il est devant
un magnifique coucher de soleil tropical, il est venu jusque là
pour fuir son propre vague à l’âme, celui causé par son regret
de ne pas avoir vécu les années de gloire du rock, celui
d’avoir dû quitter très jeune son pays lointain et exotique,
celui de ne plus être enfant ou bien celui d’avoir été enfant
dans cette banlieue parisienne loin de son île natale, mais
heureusement, tu le vois, il y est revenu, oh, comme tu
connais bien ce vague à l’âme, c’est le tien, vous partagez le
même vague à l’âme, ou plutôt il te communique
parfaitement son vague à l’âme et tu le partages, ou bien
encore tu produis ton propre vague à l’âme à partir du sien et
le chanteur que tu écoutes et que tu vois devant son soleil
couchant est partie intégrante de ton vague à l’âme, il chante
et joue de la guitare dans ton vague à l’âme, j’ai le cœur
grenadine chante-t-il aussi, un autre chanteur mais le même
en fait, la même génération, le même monde que le tien, car
ces chanteurs ont en commun d’avoir une trentaine d’années
comme toi, mais eux chantent très bien leur trente ans tandis
que toi tu écoutes, te laisses saisir par leur trente ans, par le
vague à l’âme qu’engendrent chez eux leur trente ans, ton
canapé est le leur, ils pourraient être allongés avec toi sur le
même canapé, ils sont allongés en toi et tu les vois sur l’écran
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de la télé devant toi, en toi, ils chantent ensemble sur une
plage lointaine et exotique, ou en Bretagne, peu importe, ils
sont sur un bateau, les cheveux toujours frisés, ils chantent en
même temps leurs chansons mélancoliques, je voudrais
tellement, tellement, être là-bas avec toi, à côté du travail, à
côté de tes enfants, à côté de ta famille ces longues séances
de vague à l’âme, plongé je ne sais où, les enfants regardent,
passent ou s’assoient, n’osent rien dire, grand saut, plongeon
dans des images, des voix et des idées anciennes, cour de
ferme, chiens, Vendée peut-être, oui Vendée plutôt que
Bretagne pour ses plages grises et la silhouette du chanteur et
les nuages gris en toile de fond, chanter, oh ne pas crier juste
chanter, susurrer les quelques paroles qui s’évanouissent
doucement comme des bulles légères portées par le vent,
dans chaque bulle une pièce du puzzle de soi, de toi, tu
contemples dans chaque bulle un morceau de ta vie, un
morceau changeant de ta vie en fonction des reflets et de la
voix qui passe et s’efface, guitare portée en bandoulière,
cheveux frisés, mai 68, le rock en toile de fond, mais qui
s’efface déjà, d’autres maisons de l’autre côté de la digue que
désormais tu dépasses, de l’eau vive, de nouvelles paroles,
anciennes mais toujours nouvelles dans ce pays qu’j’connais
pas, non, des chiens, un cochon qu’on égorge dans la cour de
ferme à côté, mais loin, bien loin, les cris du cochon
heureusement recouverts par la voix du chanteur, par ses
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paroles, tu entends, tu vois aussi la sortie de la cour de ferme,
ce tracteur, ce maudit tracteur, vague à l’âme persistant tout
un après-midi de dimanche, mais était-ce vraiment un disque
celui-là, non, une cassette en vérité, une cassette qui passait
en boucle à la maison mais aussi en voiture les vacances une
coquille de noix bleu marine dans les Pyrénées sans doute, de
virage en virage les mêmes chansons en boucle dont celle-ci,
on peut aussi se laisser envahir par le vague à l’âme au
volant, d’un geste souple tourner le volant à chaque virage
dans un pays sucré doucement, chiens qui courent devant
quand on sort de la cour de la ferme, et puis le tracteur, pas
de casque sur la moto comme dans les sixties, la Vendée du
vague à l’âme, son ciel gris sa mer grise dis-tu, le cochon
qu’on égorge, la Bretagne du vague à l’âme où sur la plage
un chanteur joue de la guitare les cheveux frisés, les plages
lointaines et exotiques que ses chansons dessinent, paroles en
boucle, de virage en virage les mêmes chansons en boucle,
quand le tracteur lui va tout droit, toi tu avances au volant de
ta voiture ou allongé sur ton canapé, même vague à l’âme,
même silence dans lequel tu es plongé, au milieu des images,
des voix et des idées, passant de l’une à l’autre au rythme des
chansons, porté vers ce pays lointain que les chansons
dessinent heure après heure, le chanteur a grandi comme toi
en banlieue parisienne, comme toi il vient d’ailleurs, comme
toi il porte en lui un ailleurs, remettre la tête de lecture sur le
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bon sillon, la tête saute, ça grésille un instant, ça commence
avant la chanson que tu veux réécouter, puis c’est reparti, tu
t’allonges à nouveau, au volant tu laisses la cassette tourner,
puis tu rembobines jusqu’au début puis tu relances, virage
après virage les mêmes chansons, le tracteur tout droit à la
sortie de la cour de ferme, tu es en Vendée, tu es au bout du
monde, tu es en forme ou fatigué, tu reviens du travail ou
bien c’est le week-end, c’est un dimanche gris et froid en
banlieue parisienne, tu le vois jeune homme marcher avec ses
cheveux frisés et sa peau brune je suis né dans le gris par
accident, toi non, tu es né dans le gris parce que tu devais
naître dans le gris, tu n’as pas de parent lointain, insulaire,
exotique, tu es d’ici, tu as grandi ici mais pendant tes séances
de vague à l’âme tu penses à des lieux lointains, sur ton
canapé tu voyages, dans ton lit loin de mai 68 tu voyages, tu
es quand même né dans un espace différent, tu n’as rien à
faire ici, toi aussi t’en as rêvé des cornemuses et tu la voyais
pas comme ça ta vie, toute petite vie que tu visionnes en
panorama, tu es étranger à ta propre vie, ta propre vie n’est
pas ta vie, il y en a une autre cachée et ce sont eux les
chanteurs du vague à l’âme qui te la révèlent jour après
jour, ton enfant te regarde dans ton vague à l’âme, cet enfant
qui te regarde dans ton vague à l’âme apprend à avoir le
vague à l’âme, s’allonge lui aussi sur le canapé, mais
discrètement, en silence, pour ne pas te gêner toi qui es en
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face, chaque jour il se joint à toi, écoute et regarde ton
silence, comment tu fais pour plonger dans tes profondeurs,
le ciel gris, la mer grise, la plage avec les chanteurs, le
tracteur, les chiens, le père, le gamin ou plutôt l’adolescent
qui monte sur sa moto et démarre, sort sans doute trop
rapidement de la cour de ferme, au loin les cris du cochon
qu’on égorge dont tu parles souvent pour les avoir entendus
enfant, au loin les cris, par-dessus toujours les voix des
chanteurs, tes voix, tes images et tes idées, tu glisses làdessus vers les profondeurs, tu te laisses emporter dans ce
pays que j’connais pas, toujours plus profond, et toi le
chanteur que fais-tu là dans ce restaurant, vieilli mais
toujours avec cette allure de jeune premier, les cheveux
moins nombreux mais toujours frisés, l’enfant a plongé dans
le vague à l’âme du père, ce poster dans l’escalier, une photo
de plage tropicale au soleil couchant, les formes noires des
palmiers, le ciel orange, si loin de la Vendée, des digues pour
contenir la mer je voudrais tellement être là-bas avec toi, les
couleurs déferlent, les couleurs de ce bout du monde sont
toujours là, disponibles, affichées au mur de l’escalier, on ne
peut pas monter à l’étage sans les voir, sans s’y plonger ne
serait-ce qu’une seconde, sans casque, comme dans les
sixties, sur la moto sans casque, sort de la cour de ferme, et
toi allongé toujours, et toi au volant de la même voiture
écoutant la même chanson de virage en virage, le ciel de
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Vendée mêlé à ce soleil couchant tropical tout mon cœur est
resté là-bas dans ce pays que j’connais pas, le tracteur, les
cris du cochon, la cour de ferme, trente ans, et toi le chanteur
que fais-tu là, sur cette plage, loin du canapé, un ordinateur
sous le bras et non une guitare, tes cheveux moins nombreux
mais toujours frisés, que fais-tu là au milieu de la journée,
sans soleil couchant derrière toi, bavardant avec des clients
du restaurant, sans aucune expression de vague à l’âme sur le
visage, l’air détendu, revenu au pays que tu connais pas,
joyeux même, sans aucune nostalgie des sixties apparente,
mais peu importe, maintenant tu es là, tant pis, l’enfant qui
s’est donc allongé un jour, l’enfant qui s’allonge maintenant
chaque jour face à toi, écoutant ton silence, observant ton
vague à l’âme, plongeant sinon avec toi, du moins à côté de
toi dans un pays sucré doucement, percuté, le tracteur, les cris
du cochon, à terre, se relève, marche, retombe, il t’initie en
silence à son art du vague à l’âme, à sa connaissance par le
vague à l’âme, à ses côtés tu découvres le ciel de Vendée et
les plages lointaines, exotiques, tu partages peu à peu le
même vague à l’âme, tu nages à ses côtés sur le canapé, vos
voix, vos images, vos idées, sans casque, il est sorti à moto de
la cour de ferme et il ne portait pas de casque j’en passe j’en
passe des nuits des nuits à caresser du papier, et ce silence
de mort à la sortie de la cour de la ferme, le paysan du
tracteur qui s’avance, le motard sans casque qui se relève, fait
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quelques pas, retombe, et toi le chanteur aux cheveux moins
nombreux mais toujours frisés, un ordinateur sous le bras,
face à moi, silencieux, tu vas rejoindre une femme blonde
assise à une table, ciel de Vendée encore une fois, ciel de
Bretagne encore une fois, le canapé encore une fois, toi
allongé dessus encore une fois, plus loin, plus profond dans le
vague à l’âme, silencieux toi aussi, l’enfant silencieux et
même muet à tes côtés t’es loin tellement loin de moi, un
virage après l’autre, une chanson après l’autre, se redresse,
remet la tête de lecture sur le bon sillon, retombe, reste
allongé.
Laurent Margantin