France : cap sur une politique de l`offre

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France : cap sur une politique de l`offre
Apériodique – n°14/05 – 15 janvier 2014
France : cap sur une politique de l’offre ?
 Lors de sa conférence de presse mardi
14 janvier François Hollande a fait l’annonce
de la suppression d’ici à 2017 des cotisations patronales familiales, dans le cadre de
son « pacte de responsabilité ». Cette nouvelle orientation de la politique économique,
davantage tournée vers l’offre, répond à une
contrainte structurelle sur laquelle butait
l’économie française : un déficit d’investissement des entreprises, aux conséquences
lourdes en termes de compétitivité qualité et
donc coûteux en termes de parts de marché
à l’exportation.
 Le montant total de l’allègement de charges
représentera de 30 à 35 milliards d’euros,
CICE inclus. Il convient de regarder avec
précision les sommes évoquées, de même
que les conditionnalités retenues.
effectivement utile pour lutter contre les faiblesses
structurelles françaises.
Rappel sur le CICE
Principale proposition du « pacte national pour
la croissance, la compétitivité et l’emploi »
présenté en novembre 2012, le crédit d’impôt
pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est une
réduction d’impôt de 20 milliards d’euros par
an, avec une montée en puissance sur trois ans
(10 milliards en 2013, 5 milliards en plus en
2014, 5 milliards en plus en 2015). Le montant
est calculé en proportion de la masse salariale
brute des salariés du secteur privé (hors cotisations
patronales), pour les salaires compris entre 1 et
2,5 SMIC. Il est imputé sur les impôts à payer.
L’impôt sur les sociétés étant perçu avec une
année de décalage, l’avantage fiscal sera
perceptible à partir de 2014.
 Ces inflexions vont dans le sens souhaité
par les investisseurs et les agences de
notation. Elles favoriseront une reprise de
l’investissement et de la compétitivité.
L’effet global risque d’être toutefois assez
mesuré.
Au sens de la comptabilité nationale, l’impact
du CICE intervient dans le calcul du revenu
disponible brut, et non dans l’excédent brut
d’exploitation, puisqu’il s’agit d’un crédit
d’impôt « sur les bénéfices ». La mise en place
du CICE n’a donc pas d’impact positif sur le taux
de marge (EBE/VA), mais sur le taux d’épargne
(RDB/VA) des SNF. Ce n’est pas le cas des
allègements de charges annoncés le 14 janvier, qui
interviennent, dans le compte entreprises au sens
macro-économique, directement dans le calcul de
l’EBE.
François Hollande a annoncé, lors de sa
conférence de presse du 14 janvier, la
suppression d’ici à 2017 des cotisations patronales familiales, qui financent les allocations
familiales et représentent 30 milliards d’euros.
 Il conviendra donc de voir précisément
comment vont s’articuler en pratique ces
deux dispositifs. A priori, le CICE serait
transformé en baisse de cotisations dès
2016, mais cela implique de fortes
contraintes techniques.
 Le financement des nouveaux allègements
sera effectué par de nouvelles économies
sur les dépenses publiques, dont le détail
n’est pas encore connu.
Le crédit d’impôt compétitivité emploi sera intégré
dans le nouveau dispositif. Il représente à lui seul
20 milliards d’économie d’impôts à compter de
2015 (cf. encadré rappel sur le CICE). Ainsi, les
nouveaux allègements réellement compris
dans le « pacte de responsabilité » ne représentent que de 10 à 15 milliards d’euros
supplémentaires. Le montant global des allègements devrait néanmoins permettre une inflexion
dans l’évolution du coût du travail français,
Études Économiques Groupe
http://etudes-economiques.credit-agricole.com
Une nouvelle orientation de la politique
économique pour pallier le double
problème de compétitivité
Le taux de marge des entreprises françaises a
fortement baissé sur la période récente, de
31,8% de la valeur ajoutée en 2012 à 28% en
2013, soit un niveau proche de celui observé au
milieu des années 1980.
Olivier ELUERE
Axelle LACAN
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%
France : taux de marge et taux
d'épargne des SNF
% 20
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recherche & développement. Les entreprises
françaises se trouvent ainsi comme piégées dans
le milieu de gamme et inscrites dans un cercle
vicieux, d’érosion des profits par les hausses de
coûts subies, sans capacité d’investir et de
s’extraire de la concurrence des pays bénéficiant
d’une compétitivité-coûts plus favorable.
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90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14
Taux de marge des SNF (EBE/VA)
Taux d'épargne des SNF (RDB/VA) (éch. dr.)
Source : Insee, Crédit Agricole S.A.
Cette faiblesse de la profitabilité
principalement par trois facteurs :
s’explique
 Un poids élevé des prélèvements sociaux ;
 Une progression rapide des coûts salariaux
unitaires, conséquence de fortes hausses de
salaire par tête (même en cas de hausse du
taux de chômage) et de gains de productivité
assez faibles ;
 Une sensible hausse des autres coûts
(consommations intermédiaires, fiscalité).
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g.a.
Ce rapide constat permet de comprendre
qu’au-delà de l’amélioration de la situation
financière des entreprises, l’allègement des
charges annoncé dans le cadre du pacte de
responsabilité a pour but de redynamiser
l’activité française dans sa globalité, avec un
impact direct du côté de l’offre bien sûr, mais
également du côté de la demande, par un effet
d’entraînement.
L’enjeu des allègements de charges est une
moindre progression des coûts de production,
via un freinage du coût salarial.
UEM : coûts salariaux unitaires
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En raisonnant par unité de production, le coût
salarial unitaire est égal au salaire par tête (y
compris cotisations sociales) rapporté à la
productivité du travail par tête.
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2
Pour abaisser ce coût salarial unitaire, il faut agir
sur ses déterminants, c’est-à-dire :
0
-2
-4
2000
L’activité globale de la France est pleinement
impactée par cette faiblesse structurelle.
L’investissement des sociétés non financières, qui
fait déjà face à une demande atone, est plombé
par un taux de marge très amoindri. Les
exportations restent molles, en conséquence de
pertes de marché tendancielles. Les contraintes
que subit l’activité sont donc nombreuses, avec un
impact défavorable sur l’emploi et donc la
consommation des ménages.
2002
2004
2006
Allemagne
2008
2010
France
2012
Italie
Sources : ISTAT, DESTATIS, INSEE, Crédit Agricole SA
Les entreprises françaises font donc face à une
compétitivité-coût dégradée. Or, le contexte de
forte concurrence mondiale limite la possibilité
pour les entreprises de répercuter ces hausses de
coûts au niveau de leurs prix. Le maintien de
cette compétitivité-prix impose donc aux
entreprises de comprimer leurs marges,
notamment pour celles (nombreuses en
France) positionnées sur des produits de
milieu de gamme, en concurrence avec des
pays où la main d’œuvre est bien moins chère.
La conséquence de cette compression des
profits est un amoindrissement des efforts en
matière d’investissement, d’innovation et de
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 Les salaires. Il est néanmoins difficile de les
faire freiner, compte tenu du système
d’indexation au SMIC et des conséquences en
termes de pouvoir d’achat et donc de
consommation privée.
 Les gains de productivité. Leur redressement
est ardu, puisqu’il implique un ajustement de
l’emploi.
 Les cotisations employeurs. C’est l’option qui a
été retenue par le gouvernement.
La réduction des cotisations entraînerait, d’après
nos estimations, une diminution du coût du travail
de près de 5% (35 milliards d’euros sur une masse
salariale de 750 milliards d’euros environ).
Cette proposition de réduction des cotisations des
entreprises est très proche de celle faite en 2012
par Louis Gallois. La mesure proposée avait été
modifiée (crédit d’impôt et non baisse de charges)
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compte tenu des efforts budgétaires
conséquents à réaliser en 2013.
très
seuil jugé critique par les ménages et par les
entreprises.
La transformation du CICE en allègement de
charges semble par ailleurs un élément plutôt
favorable, à la fois pour l’amélioration de la
confiance (mesure plus simple et plus lisible)
et dans une optique de redressement de la
compétitivité. Le CICE cible les salaires compris
entre 1 et 2,5 SMIC. Les salaires des secteurs
exposés à la concurrence internationale, notamment l’industrie sont en moyenne un peu plus
élevés. Ils bénéficieront ainsi davantage des
allègements proposés.
L’effort structurel portera donc essentiellement sur
les dépenses. Ceci va d’ailleurs dans le sens
souhaité par les marchés et les agences de
notation. À moyen terme, les hausses de
prélèvements pèsent davantage sur l’activité et sur
la croissance potentielle que les mesures en
dépenses.
Avec la mise en place de ces allègements, le taux
de marge pourrait augmenter de 5 points, et
atteindre environ 35%. Ceci favorisera une reprise
de l’investissement productif et une montée en
gamme des produits français.
L’effet risque d’être toutefois assez mesuré, les
sommes en jeu (baisse du coût du travail de
5%) étant probablement insuffisantes pour opérer cette montée en gamme. De plus, il faudrait
également prendre en compte, dans ces calculs, la
hausse de l’emploi, qui constitue une conditionnalité de ces allègements. Des questions demeurent autour de cette conditionnalité. Le patronat
s’est engagé à créer des emplois en échange de
réduction de charges. Les contreparties effectivement demandées aux entreprises en termes de
recrutement sont néanmoins en suspens.
La réussite de cette réforme dépendra enfin
des hausses de salaires octroyées. Si les
allègements entraînent une forte progression des
rémunérations versées, ils n’auront les effets
favorables escomptés ni sur l’offre (ils ne feront
que soutenir temporairement la demande), ni sur
l’emploi.
Financement des baisses de charges
par des économies en dépenses
Les nouvelles baisses de charges annoncées
seront financées par des économies sur les
dépenses publiques. Il faut en effet respecter les
objectifs prévus de réduction des déficits publics.
Au regard des projections pluriannuelles les plus
récentes (octobre 2013), le déficit public, prévu à
4,1% du PIB en 2013 et 3,6% en 2014, doit être
ramené à 1,2% en 2017 et le solde structurel
(-2,6% en 2013) doit atteindre l’équilibre en 2017.
On ne peut pas reporter ces objectifs, compte tenu
des engagements européens et du niveau très
élevé de la dette publique. Par ailleurs, l’effort ne
portera pas sur les impôts. Ils ont déjà été
nettement accrus en 2011-2013 et le niveau des
prélèvements obligatoires atteint désormais un
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Économies en dépenses
Rappelons que « économies en dépenses » ne
signifie pas « baisse de dépenses ». Les calculs
de déficits publics décomposent ce déficit en déficit
conjoncturel et déficit structurel. Les dépenses
publiques sont essentiellement dans le solde
structurel (à l’exception, très minoritaire, des
dépenses chômage). Les économies en dépenses
correspondent à la différence entre leur hausse
effective et leur hausse « spontanée ». Elles
correspondent également à la réduction du déficit
structurel liée aux dépenses. En point de PIB, cette
réduction est égale à :
Pour réaliser des économies en dépenses et
réduire le déficit structurel, il faut donc que la
progression des dépenses soit inférieure à la
croissance potentielle. Mais il n’est pas nécessaire
que les dépenses baissent en valeur.
15 milliards environ d’économies par an étaient
déjà planifiées pour 2015-2017. Le montant
nouveau annoncé est de 53 milliards : 18 en 2015,
18 en 2016 et 17 en 2017. L’effort global est
important, mais pas beaucoup plus que ce qui était
déjà prévu.
Cet effort correspondrait approximativement à une
croissance nulle des dépenses en volume
(sachant que leur hausse « spontanée » est proche de 2% par an en volume et que la hausse
prévue dans les projections d’octobre 2013 était de
0,2% par an en volume pour 2015-2017).
Notons que l’effort supplémentaire en dépenses
(près de 10 milliards) financera les nouvelles
mesures sur les baisses de charges. Mais on ne
peut pas réellement mettre en relation la baisse
globale des charges, 30 à 35 milliards, qui inclut le
CICE, déjà financé (par les hausses de TVA
notamment) à l’effort global en dépenses, 53 milliards, dont une large part sera destinée à la
réduction des déficits publics entre 2015 et 2017.
Le détail des économies n’est pas encore établi. Il
est probable qu’il n’y aura pas une réforme
radicale des dépenses publiques, mais une série
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de mesures de réduction, concernant l’ensemble
des administrations.
 L’État pourrait accentuer encore les efforts sur
ses crédits de fonctionnement et d’intervention
(hors pensions et charges de la dette).
 La dotation de l’État aux collectivités locales
pourrait être encore réduite, avec un système
de « bonus-malus ».
 .Des regroupements pourraient être opérés au
niveau des régions (qui de 22 pourraient passer
à 8 ou 10) ou des départements.
 L’objectif de hausse des dépenses d’assurance
maladie, fixé à 2,4% en valeur en 2014, serait
freiné encore plus nettement que prévu (limiter
les prescriptions inutiles, réduire la consommation de médicaments et promouvoir le
générique, baisser les tarifs dans certaines
spécialités etc.).
Ces arbitrages nous semblent aller dans le bon
sens. Il paraît nécessaire de réduire significativement les dépenses, dont le poids dans le PIB
est très élevé, 57,1% en 2013.
Il nous semble toutefois que, au-delà de ces
séries de mesures, une remise à plat de
l’ensemble du système des dépenses publiques serait nécessaire : redéfinition des périmètres, de ce qui incombe réellement au
secteur public, économies plus marquées sur
les prestations sociales (dont le poids est très
élevé, 550 milliards environ, soit la moitié des
dépenses publiques), simplification du « millefeuilles » territorial. Une baisse plus significative des dépenses donnerait des marges de
manœuvre pour des allègements d’impôts et
pour une diminution de la dette publique. 
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