A l`ombre des manguiers en fleurs
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A l`ombre des manguiers en fleurs
témoignage A l’ombre des manguiers en fleurs Il s’en échange des idées, il s’en joue des destins à l’ombre des manguiers ! C’est ce que j’ai découvert dans la cour de la maison de ma famille d’accueil à Kpalimé au Togo. Pendant un mois et demi, la durée de mon projet de volontariat avec Astovot, j’ai eu la joie de partager le quotidien de la famille Zikpi : Papa, Dada, Kwami et Amélie. L ’Afrique ? J’en connaissais des statistiques, l’Histoire coloniale ou encore certaines guerres. Au cours de mon projet à Kpalimé, je souhaitais dépasser cela. Je voulais nouer de bonnes relations avec ma famille d’accueil, connaître leur vie de tous les jours, leurs souvenirs personnels et leurs aspirations. J’espérais également qu’ils aient envie de me découvrir. Cela demande du temps et une confiance réciproque. Au fil des jours, des discussions et des activités partagées, nous avons appris à nous connaître. Une grande famille Il me fallait tout d’abord comprendre les liens de parenté unissant mes hôtes entre eux ou à leur entourage. Ce qui n’est pas évident... Dada, ma maman d’accueil, m’a présenté Amélie comme sa fille. Plus tard, j’ai compris qu’elle n’était pas sa « vraie » fille, mais sa nièce. Tout comme une dame rencontrée au marché n’était pas ce que nous appellerions en Belgique sa sœur, comme elle me l’avait dénommée, mais une amie très proche. Kwami n’était pas le fils de la maison, mais l’enfant d’un ami de la famille… Il existait parfois bel et bien un lien de parenté biologique entre ma famille d’accueil et un visiteur. Après un bref salut dans la cour de la maison, il m’était présenté : « Il s’agit du petit-fils du cousin de l’oncle de mon père ». 18 / Le SCIlophone - n°51 Dans ce cas, c’est la précision qui me perdait ! J’opinais du chef en essayant vainement de me représenter mentalement ce lien familial. A ma grande joie, j’ai moi-même été intégrée à la famille : au bout d’une semaine, les parents Zikpi m’appelaient « leur fille ». C’est ainsi que j’ai découvert certains traits de la famille togolaise : grande, conviviale, dont les nombreuses ramifications reposent sur des liens de sang ou des expériences partagées. Les espoirs de Dada et Papa Zikpi Retraités, très actifs au sein de leur congrégation protestante, mes parents d’accueil togolais ont eu jusqu’à présent une vie La famille Zikpi. Ph.: Amandine Kech bien remplie. Dada, ce qui signifie grande sœur, était commerçante de machettes et de pagnes. Pour acheter sa marchandise, elle faisait régulièrement le voyage à pied jusqu’au Ghana tout proche. Papa Zikpi quant à lui, a appris à réparer les appareils électroniques au Ghana, pour devenir ensuite responsable du matériel sonore de la Mairie de Kpalimé. Quatre de leurs cinq enfants ont fait des études universitaires, mais une seule, Abra, travaille aujourd’hui. Fiers de leurs enfants, ils regrettent cependant que certains ne trouvent pas d’emploi. Cette situation des diplômés chômeurs est régulièrement débattue par les jeunes. Elle serait liée au pouvoir de l’ethnie Kabyé, dont est issu leur Président. Les Kabyés obtiendraient la majorité des postes à responsabilités au détriment d’autres ethnies comme celle des Éwés, dont les habitants de Kaplimé font partie. témoignage Sous le manguier, Papa et Dada Zikpi m’ont dit un jour « nous luttons toujours pour la démocratie ». Les chemins de Kwami Kwami, mon frère d’accueil, volontaire dans l’association Astovot à Kpalimé, professeur particulier, sillonne tous les jours sa ville à grandes enjambées. Ni la chaleur, ni la poussière ne l’arrêtent. Seuls ses nombreux amis peuvent lui faire prendre une pause le long du chemin en l’interpellant : « Voilà l’International Togolais !». En effet, Kwami a séjourné 2 mois et demi en Europe l’an dernier pour y encadrer un chantier de volontaires en Belgique et suivre des formations en France et en Allemagne. Zikpi, Amélie allait débuter une période d’examens au collège. Notre première discussion eut lieu alors qu’elle complétait ses notes de cours, profitant de la fraîcheur de la frondaison du manguier. Inscrite en filière littéraire, Amélie étudie principalement le français, l’anglais et l’allemand. Sa mère agricultrice Electromécanicien de formation, il est passionné par l’animation de chantiers de volontaires locaux et internationaux dans sa région. Il guide volontiers les bénévoles « longs termes » à travers le pays et partage avec eux son savoir et son enKwami. Ph. : Amandine Kech thousiasme. et ses sœurs aînées respectiveEn partageant un bon plat de fu- ment couturière et coiffeuse le fu, après un jeu de cartes en soi- lui ont dit : « Les espoirs de la farée ou en marchant à travers la mille repose sur toi ». C’est ville, Kwami me faisait parfois Amélie qui doit faire des études part de ses inquiétudes. Il re- et briguer un poste de fonctioncherche un emploi. A 29 ans, il naire. C’est le seul type de méveut construire sa vie. Comme la tier qui assurera stabilité et plupart des jeunes hommes de sûreté à toute la famille. son âge, pas question de se marier avant de travailler. Pour le Accueillie par Dada, sa tante, à moment, il vit volontiers chez Da- Kpalimé, Amélie lui rend de nomda et Papa, mais il souhaite voler breux services. Dès 5h30 du made ses propres ailes. tin, elle balaie la cour. A son retour de l’école, l’attendent souLes responsabilités vent des lessives ou un repas à d’Amélie préparer. Les dimanches, pas de grasse matinée: elle anime des Quand je suis arrivée chez les lectures de la Bible pour enfants. Et, malgré ses nombreuses tâches, c’était toujours avec une grande douceur ou un dynamisme pétillant qu’Amélie m’accueillait à la maison. Saveur de la vie togolaise L’Afrique de l’Ouest, et particulièrement le Togo, est évidemment bien différente des uniques aspects qui parviennent généralement jusqu’à nous via les média : chiffres, catastrophes humanitaires ou bouleversements politiques. Ma perception théorique de l’Afrique s’est muée en une rencontre personnelle d’habitants de Kpalimé. Lorsque l’Afrique de l’Ouest est évoquée, je ne pense plus à une population anonyme, loin de moi, mais à Papa et Dada Zikpi, Kwami et Amélie, des personnes aux destins singuliers vivant leur vie avec simplicité et persévérance. Durant mon séjour, j’ai vu les fleurs des manguiers. Les jeunes fruits étaient loin d’être mûrs à mon départ. Grâce à ma famille d’accueil, j’ai néanmoins goûté à quelque chose d’infiniment savoureux, la vie togolaise, qu’il me tarde déjà de retrouver. Amandine Kech, volontaire au SCI Le SCIlophone - n°51 / 19