La prévention des drogues
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La prévention des drogues
ACTUALITÉSOCIALE | POINT FORT N o1 8 _ J A N V I E R – F É V R I E R 2 0 0 9 Texte: Serge Bregnard, président de Swiss Prevention Avec l’aimable collaboration de Geneviève Praplan, coordinatrice de Swiss Prevention, sociologue à l’ISPA Il était une fois … Aborder le sujet de la prévention en matière de drogue implique un bref come back obligatoire. C’est à la fin des années 1980 que le débat (tant pédagogique que politique) fait son entrée en scène. Jusque-là, les problèmes liés à la toxicomanie sont principalement traités par les ordonnances du Code pénal, globalement répressives. Il s’agit de poursuivre et de condamner les trafiquants, comme de réprimer les consommateurs. Le virage s’opère vers la fin des années 1980, lorsque la personne toxicomane change peu à peu d’identité. De délinquante, elle passe au statut de personne La prévention des drogues malade, qui nécessite des soins. Ce changement de lunettes va profondément changer les mentalités, mais pas la loi. Ce qui caractérise aussi l’action de la Suisse depuis les années 1990, c’est une volonté marquée de coopération active entre les services concernés: de la police aux structures de soin, en passant par les services sociaux. Cette manière de faire permet d’atteindre un meilleur niveau de cohérence, comme de gagner en efficacité dans la réduction des problèmes liés à l’usage et à l’abus de drogue. Les déclencheurs à l’origine de cette volonté de changement sont multifactoriels: • Visibilité des personnes toxicodépendantes dans un pays riche, «propre en ordre» • Apparition du sida et crainte de cette maladie • Perception de la criminalité organisée (p. ex. refus des systèmes «maffieux») En 1989, La Commission fédérale des experts pour les problèmes liés à la drogue recommande, notamment, de renforcer les mesures visant à prévenir la consommation abusive et d’améliorer l’offre des traitements. Elle préconise des mesures de prévention du sida qui n’impliquent pas l’abstinence de la toxicomanie, de même qu’un renforcement de la recher9 POINT FORT | ACTUALITÉSOCIALE che, de l’information et de la prévention. Pour la première fois, l’idée de dépénaliser la consommation de stupéfiants est lancée. En matière de répression, la commission préconise l’intensification de la lutte contre le trafic de drogue et le blanchiment d’argent. Ces propositions sont mises en consultation auprès des milieux politiques et sociaux. Les avis divergent, ce qui conduit la Confédération à devoir renoncer à modifier la loi. Modèle des quatre piliers à l’échelle nationale En 1990, la Confédération donne des moyens supplémentaires à l’Office fédéral de la police. Puis, en 1991, le gouvernement suisse adopte un programme de mesures (ProMéDro) en vue de réduire les problèmes liés à la drogue. Ce programme prévoit des mesures de prévention auprès des jeunes. Il renforce aussi l’offre thérapeutique et envisage des mesures de réduction des risques (prévention du sida et aide à la réinsertion). La force de la politique dite «des quatre piliers» est d’avoir conceptualisé un catalogage plus précis de la problématique posée. La lisibilité du concept permet de distinguer les étapes nécessaires: 1. Prévention (primaire et secondaire) 2. Traitement (thérapies) 3. Réduction des risques (sida) 4. Répression Dans cette perspective, la Confédération s’implique dans des campagnes nationales, alors que les cantons interviennent principalement au niveau des cadres scolaires et des systèmes de santé (prévention primaire). De 1991 à 1999, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) soutient 300 projets et programmes, dont Fil Rouge et Supra-f. Prévention Ce terme généraliste continue d’accréditer un certain nombre de représentations, parfois idéologiques, souvent confuses. «Chacun» semble posséder sa propre définition de l’objet, en ne tenant pas toujours compte du travail de définition donné par les experts de l’OFSP. Rappelons brièvement ces quelques repères pertinents: Le but de la prévention consiste à empêcher l’apparition des problèmes de santé (aussi psychosociale) ou à assurer le dépistage et les traitements précoces. 10 N o1 8 _ J A N V I E R – F É V R I E R 2 0 0 9 Les objectifs: • Eviter la consommation de drogue, en particulier chez les jeunes • Eviter que les effets néfastes liés à la consommation se répercutent sur l’individu et la société • Eviter que la consommation passe d’une consommation occasionnelle à une consommation abusive, voire à la dépendance Les interventions: • Prévention primaire: agir avant, anticiper, informer • Prévention secondaire: empêcher (par une prise en charge) qu’une consommation occasionnelle devienne régulière • Prévention tertiaire: s’adresse aux consommateurs actifs (réduction des risques). Empêcher une détérioration de l’état de santé physique, psychique et sociale De Supra-f (pour Sucht Prävention forschung) à Swiss Prevention C’est sous l’impulsion de Ruth Dreyfuss, en 1999, que l’OFSP injecte une im portante somme d’argent pour mettre sur pied un vaste programme de prévention dite «secondaire» (auprès des jeunes considérés à risques), nommé Supra-f. Ce programme fait l’objet d’une étude longitudinale menée par l’Université de Fribourg. Treize projets voient ainsi le jour en Suisse: 2 à Genève (Année Humanitaire et Transit), 3 dans le canton de Vaud (L’appar’t, Arcades, UTT), 1 dans le Jura (Classe-atelier), 1 à Liestal (Take off), 2 à Zurich (Vert.Igo et Ventil), 2 à Winterthur (Jump et Jumpina), 1 à Berne (Hängebrücke) et 1 à Fribourg (Choice). Tous ces projets sont rattachés à des structures publiques ou privées existantes. Ces structures socio-éducatives communiquent par région linguistique sous la responsabilité de deux coordinateurs. Une rencontre annuelle de l’ensemble des projets est mise sur pied par l’OFSP. Supra-f a été subventionné jusqu’en 2004, puis ponctuellement soutenu financièrement au cours des années suivantes. Depuis 2004, une fédération suisse de prévention, nommée Swiss Prevention, regroupe les centres ayant participé au programme de l’OFSP. Seize membres collectifs actifs font aujourd’hui partie de cette fédération. Commentaires La réalisation de Supra-f fut un modèle du genre. Après avoir constitué leur «prototype» d’intervention et de prise en charge, les projets (novateurs) ont obtenu une somme de CHF 50 000.– pour la mise en place de leur structure. Cet argent a permis aux chefs de projet de résoudre les questions concrètes (recherche de locaux et de personnel, par exemple) comme de soumettre un projet pédagogique étayé et pertinent à l’OFSP. Les écrits sont d’excellentes factures. Les structures ont démarré sous l’œil attentif de l’Université de Fribourg, via une équipe de chercheurs. Malgré des dissensions entre spécialistes, des grilles d’évaluation ont été proposées et remplies par le équipes éducatives. Très rapidement, cinq catégories de prise en charge des jeunes ont été répertoriées. En catégorie A, on trouve des préadolescents et adolescents considérés à risques, identifiés par les écoles et les services sociaux. Ce groupe est constitué d’une population encore intégrée (école, famille, etc.). Peu de ces jeunes ont consommé des produits (alcool ou drogue). Les problématiques sont avant tout familiales (conflits intrafamiliaux, familles monoparentales, migration et intégration difficiles, etc.). C’est le groupe le plus représentatif de la prévention secondaire. Ces jeunes ont une moyenne d’âge d’environ 11 à 13 ans. En catégorie B, les jeunes sont moyennement intégrés. Certains d’entre eux ne se rendent plus à l’école. Ils consomment davantage de produits que le groupe A. Les problèmes familiaux sont nombreux. Ils sont un peu plus âgés que les jeunes de la catégorie A. En catégorie C, les utilisateurs sont, de manière générale, plus âgés et présentent des symptômes installés. La plupart ne sont pas intégrés (ni à l’école, ni au travail). Les familles sont très problématiques, voire désintégrées. Certains consomment des produits de manière régulière. En catégories D et E, les jeunes sont pris en charge de manière différente: à l’intérieur d’une Classe-atelier (CAT), ou par une démarche intensive de recherche de travail (UTT). Les chercheurs évalueront ces deux structures de manière différenciée. Le rapport final de l’étude de Supra-f est disponible depuis novembre 2008. Les résultats d’ensemble et les recommanda- ACTUALITÉSOCIALE | POINT FORT N o1 8 _ J A N V I E R – F É V R I E R 2 0 0 9 tions finales sont largement positifs et encourageants. Le paradoxe du programme Supra-f fut de ne pas accréditer, ni de définir les structures socio-éducatives auprès des jeunes et des familles comme des moyens d’aide visant à protéger les adolescents de la drogue. A notre connaissance, cette protection ne fut guère mentionnée comme un objectif à atteindre. Ne pas être identifié comme un service «drogue», mais agir en amont sur les facteurs de protection (maintien dans la famille, poursuite de l’école ou de l’apprentissage, socialisation avec les pairs) ont été les principaux éléments repérables de la réussite de Supra-f. Les points communs des centres affiliés à Swiss Prevention (ex-Supra-f + les nouveaux membres) s’articulent autour de quatre items incontournables: maintien du jeune à domicile, prises en charge ambulatoires sur la base d’une pédagogie contractuelle (même pour les mandats pénaux), travail avec les familles, approches pluridisciplinaires en réseau. En sus, une charte réfléchie et élaborée par des délégués des structures de la fédération fait aujourd’hui office de référence éthique. La démarche de Swiss Prevention s’inscrit dans une volonté de promouvoir la prévention secondaire. Elle collabore avec Infodrog (Berne), et tente d’offrir, par la diversité et la richesse de ses diverses structures, des alternatives possibles aux courants actuels (plutôt inscrits dans une vision répressive). Conclusion Les problèmes liés à la toxicomanie et à l’ensemble des autres addictions auprès des jeunes peinent à trouver des solutions globales. Les diversités culturelles, comme les courants de pensée, influent tour à tour sur un balancier en mouvement perpétuel. Le débat est éminemment émotionnel et les visions divergent. Depuis vingt ans, la Suisse a opté pour la politique des quatre piliers. D’importants changements ont eu lieu, notamment la disparition des scènes ouvertes de la drogue, visions cauchemardesques, s’il en est, de l’humain occidental désintégré. Si le sujet continue de poser les mêmes questions, les réponses divergent. La sagesse en matière de drogue consisterait, à notre sens, à favoriser une approche centrée sur une prévention des risques, autrement dit sur une protection accrue des mineurs et des parents en difficulté (le plus en amont possible). Pour atteindre cet objectif précis, le territoire de l’école apparaît comme une source très importante d’observation et d’intervention précoces possibles. Les dépendances aux produits ne font pas partie des causes des problématiques des jeunes. Elles ne réfléchissent que des symptômes d’autres disfonctionnements plus profonds, principalement issus de souffrances familiales (maltraitance), sociales (pauvreté, échec scolaire, migration), psychiques (dépressions). En sus, et par la dépendance qu’il instaure, le produit fabrique un problème supplémentaire. Les méfaits des drogues restent trop souvent banalisés par les jeunes consommateurs. En conséquence, les réveils et les prises de conscience demeurent tardifs. «Yaka» ne possède pas la clé du problème. La gauche et la droite non plus. Seule une concertation multidisciplinaire d’acteurs compétents, neutres et authentiquement touchés par la problématique pourraient s’aventurer sur des propositions du «moindre mal». C’est le pari tenté par Supra-f et Swiss Prevention, et c’est la moindre des choses … | 11