L`avortement dans l`Antiquité grecque et romaine Marie

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L`avortement dans l`Antiquité grecque et romaine Marie
L’avortement dans l’Antiquité grecque et romaine
Marie-Claude Borgeat, étudiante de première année à l’Université d’Ottawa, Supervisé par
Isabelle Marcoux et Toby Gelfand
Été 2011
Ce projet est supporté par la BOURSE À LA MÉMOIRE DU DR GEZA HETENYI POUR STAGIAIRE EN
RECHERCHE sur l’histoire de la médecine
Remerciements
J’aimerais remercier les gens qui m’ont aidé à bâtir et compléter ce projet.
Premièrement, merci à Isabelle Marcoux qui a supervisé le projet, m’a donné plusieurs
suggestions pour l’améliorer et m’a aidé à réviser le texte en entier. Merci aussi à Dr. Toby
Gelfand pour ses judicieux conseils, son aide dans la recherche de sources bibliographiques, et
pour avoir révisé le projet. Finalement, merci à Caroline Hetenyi pour organiser cette bourse et
m’avoir donné l’opportunité d’y participer.
Introduction
L’avortement au Canada est légal depuis 1969 avec certains critères mais plus librement
en 1988 et son recours serait aujourd'hui relativement fréquent. Même que la procédure est
gratuite, avec bien sûr une carte d’assurance maladie, et prend très peu de temps, sans aucune
hospitalisation, sauf lors de complication rare. Une des seuls restrictions qui s’applique c’est que
l’avortement devrait avoir lieu au début de la grossesse, idéalement dans les premiers mois. La
femme peut même choisir la technique qui lui convient le mieux, soit le D.A.C. (dilatation,
aspiration, curetage) ou à l’aide de médication. L’avortement médical peut être avantageux
puisqu’il est moins invasif et ressemble à une fausse-couche. Les avantages d’un avortement
chirurgical serait plutôt d’avoir un professionnel médical lors de la procédure, ce qui est
rassurant, la procédure prend moins de temps et amène moins d’effets secondaires qu’avec des
médicaments. Elles peuvent aussi bénéficier d’un soutien professionnel, pour s’assurer que la
femme n’aura pas de séquelles psychosociales graves après que l’avortement soit fait. En plus,
le système de santé est dans l’obligation de garder la confidentialité de ses patientes. Donc, la
femme n’ai pas dans l’obligation de le révéler à ses parents, dépendamment de l’âge et des
hôpitaux, ni au père biologique. Voilà la situation pour les femmes qui désirent avoir un
avortement au Canada à ce jour. Même si l’avortement est légal depuis quelques années, il
existe toujours un débat sur ce sujet. Mais qu’en est-il des femmes du passé?
Pour ce projet, nous allons parler de l’avortement dans l’Antiquité gréco-romaine,
puisqu’il serait très intéressant de savoir ce qu’en pensaient nos ancêtres avant que la religion
catholique ne condamne cet acte. En effet, pendant plusieurs siècles les religions a eu une
grande influence sur l’interdiction de l’avortement, sauf aujourd’hui et dans l’Antiquité
classique. Il serait donc plus opportun pour nous de découvrir les opinions et les techniques
d’avortement dans un temps où cet acte n’était pas proscrit. Nous allons d’abord explorer les
connaissances et les théories que les anciens avaient à propos de la conception et du
développement embryonnaire, pour ensuite aborder le sujet de l’humanité attribué au fœtus,
puisque leur opinion sur ce sujet influence beaucoup leur position sur l’avortement. Ensuite,
nous allons explorer les techniques qui étaient disponibles dans l’Antiquité classique pour
effectuer un avortement et discuter de leur efficacité. Finalement, nous allons découvrir les
façons dont la religion, la politique, les philosophes, les médecins, les femmes et les hommes de
cette époque concevaient l’avortement.
Bref historique de la santé de l’Antiquité Grecque et Romaine
La Grèce antique a été marquée par quatre périodes en santé. La première est
représentée par la médecine mythologique où les dieux et demi-dieux gouvernaient la santé en
provoquant des maladies ou en les guérissant, avec Asclépios, fils d’Apollon, comme dieu de la
médecine (Halioua, 2004). Par contre cette période ne sera pas couverte dans ce texte, puisque
nous sommes plutôt intéressé aux théories et connaissances d’une époque qui n’est pas sous
l’influence d’une religion ou de dieux. La seconde période consiste en la médecine des
philosophes-savants entre le 7 ième et 6ième siècle avant J.-C. Lors de cette période, les
philosophes ont plutôt mis de côté l’aspect mythique et ont essayé de comprendre la
physiologie à l’aide des lois de physique et chimie, de dissections humaines et
d’expérimentations (Halioua, 2004). Pythagore (570 av. J.-C. – 480 av. J.-C.), un philosophe
célèbre de cette période, a créé l’école pythagoricienne où l’on enseignait que la santé était une
harmonie des nombres. Vers la fin du 5ième siècle a débuté la période de la médecine
Hippocratique où plusieurs écoles de médecine ont été fondées à la suite de celle de Cos qui fût
créée par Hippocrate en 440 av. J.-C. Selon Hippocrate, les maladies sont d’origine naturelle et
résultent souvent d’un déséquilibre entre les quatre humeurs : le phlegme, le sang, la bile jaune
et la bile noir (atrabile) (Halioua, 2004). La médecine Hippocratique se basait surtout sur les
observations. Il a aussi fait une synthèse des connaissances médicales qui lui ont permis de
rédiger le Corpus Hippocratique; ouvrage comportant plusieurs traités encore accessibles
aujourd’hui. Lors de cette époque, les médecins étaient considérés comme des artisans, certains
provenaient de la haute société et possédaient des cabinets, mais la plupart étaient itinérants et
se promenaient d’une ville à l’autre pour offrir leur service. Jusqu’en 300 avant J.-C., tout le
monde pouvait dire qu’il possédait le titre de médecin. Il y avait donc beaucoup de charlatans à
cette époque (Halioua, 2004). La dernière période grecque est représentée par la médecine
post-hippocratique où plusieurs sectes se sont formées ainsi que l’école d’Alexandrie. L’école
hippocratique, aussi appelé école dogmatiste, a été fondée par les fils d’Hippocrate, Thessalos
et Dracon, ainsi que par son gendre Polybe, qui sont restés fidèles aux enseignements de leur
père. L'apport de Platon (428-348 avant J.-C.) à cette école de pensée porte principalement sur
la physique mais aussi sur la notion de pneuma, qui consistait en d’autre mot à l’air que nous
inspirons (Halioua, 2004). Aristote (384-322 avant J.-C.) qui a été le précepteur d’Alexandre le
Grand, a quant à lui fondé l'école péripatécienne («ceux qui se promènent») à Athènes dont
l'accent portait sur l’anatomie (Halioua, 2004). L’empirisme, autre secte contre les
dogmatismes, mettait plus d’emphase sur les traitements des maladies plutôt que sur les
causes. Enfin, l’école d’Alexandrie, populaire à partir du 4ième siècle av. J.-C., était célèbre pour sa
bibliothèque et ouverte à la dissection, ce qui a permis de découvrir l’anatomie davantage
(Halioua, 2004).
Dès le 2ième siècle av. J.-C, à l'époque de l’Antiquité romaine, plusieurs médecins grecs se
sont rendus à Rome pour pratiquer leur art, dont Thessalos, Asclépiade et Soranos. Deux
périodes peuvent être considérées en médecine, dont la première lors du 1er et 2e siècle après
J.-C. où plusieurs médecins ont produit différents travaux de qualité distinguable. Asclépiade a
formé les atomistes qui étaient contre les préceptes d’Hippocrate et croyaient plutôt que le
corps humain était composé d’«atomes» (Halioua, 2004). Soranos d’Éphèse (1er siècle) est
reconnu comme le fondateur de l’obstétrique et a écrit plusieurs livres dont son traité Des
Maladies des femmes. Les stoïciens mettaient beaucoup d’emphase sur le pneuma qui est un
souffle (ou l’air extérieur) qui remplit et soutient le corps; ils faisaient donc partie de la doctrine
des pneumatistes (Halioua, 2004). Pline l’Ancient (23-79) était un stoïque romain qui a compilé
le savoir de son époque dans une large encyclopédie intitulée l’Histoire naturelle (Riddle, 1992).
Dioscoride (40-90), médecin et pharmacologue grec, était très reconnu tout au long de
l’Antiquité et du Moyen-Âge pour son ouvrage en 5 volumes De materia medica (matériel de
médecine) sur les plantes médicales. Finalement, la seconde période romaine est surtout
influencée par les travaux de Galien (129-200 après J.-C.) qui comme Hippocrate est l’un des
médecins le plus reconnu de l’Antiquité. Il a écrit plusieurs livres, dont plusieurs ont
malheureusement été brûlés lors d’un incendie en 192 (Halioua, 2004). Helvius Vindicianus,
auteur du Gynaecia qui est différent de celui de Soranos, était physicien à Rome vers la fin du
quatrième siècle apr. J.-C. Ce livre, probablement écrit pour les étudiants en médecine de ce
siècle, portait sur l’anatomie, la reproduction, l’embryologie et la gestation humaine (Cilliers,
2004).
La place de la femme et de l'homme dans l'Antiquité grecque et romaine
Pour bien comprendre la situation sociale de l’avortement, il est primordial d’aborder
avant tout la place de la femme et de l’homme dans l’Antiquité gréco-romaine. Avant la
conquête d’Alexandre le Grand, la Grèce était divisée en plusieurs unités avec des opinions
politiques différentes, mais les concepts qui étaient importants pour la majorité étaient la
légitimité des enfants et la constance des citoyens. Même si les activités sexuelles dans la Grèce
antique étaient très présentes et ouvertes, même les relations homosexuelles, les femmes qui
étaient désignées à porter des enfants légitimes, comme les épouses, n’avaient pas la même
liberté sexuelle puisque ceci venait à l’encontre de la valeur de légitimité des nouveaux-nés
(Kapparis, 2002). Malgré certaines différences dans les lois et les cultures dans l’Antiquité
classique, c’est l’homme qui était responsable de la famille et détenait une puissance absolue
(patria potestas) sur toute la descendance, et ce jusqu’à sa mort (Morin, 1997). À Athènes par
exemple, on appelait l’homme en charge kurios et son unité familiale oikos était composé de sa
femme, ses enfants, ses esclaves et ses terres. Pour les hommes en Grèce et en Rome antique, il
est important d’avoir des enfants puisque ceux-ci poursuivront la succession de la famille,
s’occuperont d’eux lorsqu’ils seront plus vieux, mais aussi parce que devenir parent les
remplissaient de joie (Kapparis, 2002). À Rome, les descendants du père n’ont aucun droit de
possession, même leurs propres enfants et leur femme, jusqu’à ce que l’homme en charge
décède. Le père de famille peut mettre à mort son propre enfant s’il le désire, bien que ceci
aurait été fait dans de rare cas car c'était mal vu par la société. Par contre, l’exposition des
nouveaux-nés était assez fréquente, ce qui consiste à abandonner l’enfant quelque part dans la
ville où il pourra soit être adopté par une autre famille, soit pris comme esclave ou prostitué, ou
soit que, malheureusement, il mourra (Morin, 1997).
Il existait deux types de mariage à Rome, dont le premier où la femme devenait la
possession de son mari, tout comme ses futurs enfants. Toutefois, l’homme n’avait pas le droit
de condamner sa femme à mort, ce qui était réservé au père de la fille sous le règne d’Auguste
(27 av. J.-C. – 14 apr. J.-C.), avec l’exception que le mari surprenne sa femme avec son amant. Ce
type de mariage est ensuite devenu désuet et a laissé place au second type où l’épouse reste
sous le règne de son père jusqu’à sa mort (Morin, 1997). Selon la loi Athénienne sur l’homicide
écrite par Dracon au 7 siècle av. J.-C., un homme peut tuer un autre homme lorsqu’il a une
relation sexuelle avec une femme qui lui appartient, à savoir son épouse, sa mère, ses sœurs et
ses filles. D’autres lois mentionnent plutôt des humiliations publiques pour cet homme, par
contre il n’y avait pas de loi punissant la femme adultère avant le 5ième siècle av. J.-C. (Kapparis,
2002).
En 451 av. J.-C., Périclès, un homme d’État athénien a introduit une loi selon laquelle
seulement un enfant venant de deux parents citoyens peut être un citoyen lui-même. Voici un
exemple pris de Démosthène, orateur attique, dans un discours de la cour: «After he catches
the adulterer, the man who caught him shall not be permitted to continue living with the
women in marriage. If he continues living with her in marriage he is to be disfranchised. And the
women with whom an adulterer has been caught shall not be permitted to enter the public
temples. If she enters, she is to suffer whatever she suffers, except death, with impunity»
(Kapparis, 2002). Eschyle, un auteur grec reconnu pour ces pièces de théâtre, aurait écrit qu’une
femme qui s’est fait prendre à avoir des relations hors mariage n’a pas le droit de bien s’habiller
et de porter des bijoux ou d’entrer dans un temple puisque, si elle le fait, n’importe qui a le droit
de déchirer ses vêtements, de prendre ses bijoux et la rouer de coups jusqu’à ce qu’elle soit près
de la mort avec des blessures permanentes (Kapparis, 2002). Il semble que d’autres villes
auraient des lois encore plus strictes qui autorisent le meurtre des deux auteurs d'adultère. À
l'époque romaine, l’adultère était fréquente dans la population élite et certaines lois ont été
conçues pour décourager ces comportements chez les riches. Par exemple, en l'an 18 av. J.-C.,
les femmes adultères pouvaient être tuées par leur père et quelques fois par leur mari, mais il
semblerait que ces mesures aient eu des résultats limités (Kapparis, 2002). Le divorce était
relativement fréquent et les conjoints étaient libres de divorcer. Par contre, les femmes ou leurs
pères pouvaient reprendre une partie seulement de leur dot lorsqu’elles avaient des enfants ou
en entier si le mari est responsable de la rupture puisque le mari était toujours responsable de
l’entretien et l’éducation des enfants (Morin, 1997). Les femmes étaient donc libres d’une
certaine manière de quitter leur mari, sauf qu'elles perdaient une partie de leur dot lorsqu’elles
étaient responsables du divorce et recevaient une sanction si elles avaient des relations
adultères. Si la femme devenait enceinte dans les 30 jours suivant le divorce ou le décès du
mari, elle pouvait demander à son ex-mari ou à la famille de reconnaître l’enfant comme le sien.
Habituellement, le mari ou la famille envoyait des gardiennes pour surveiller l’ex-femme pour
s'assurer qu’elle ne prenne pas le nouveau-né d’une autre pour que celui-ci devienne l’héritier
du père (Morin, 1997).
Théorie et croyances sur la conception du fœtus chez les Gréco-romain
Pour bien comprendre le débat dans l’Antiquité sur l’avortement, il faut tout d’abord
comprendre leur niveau de connaissance et leur théorie sur la conception du fœtus. Platon
attribue à Timaeus, un philosophe pythagoricien, dans Origins of the desire for procreation, la
mention selon laquelle lorsque qu’un homme est lâche et agit injustement, il est transformé en
femme lors de la seconde génération puisque les femmes sont plus peureuses que les hommes.
C’est pour cette raison que les dieux ont mis deux animaux différents dans le corps des femmes
et des hommes pour créer la passion sexuelle. Les hommes possèdent une moelle (marrow)
vivante qui peut respirer; elle est indocile et n’obéit pas à la raison, mais possède plutôt le désir
de se décharger. La femme possède aussi un animal avide de concevoir qui devient misérable et
furieux lorsque ce rôle n’est pas accompli pendant une longue période de temps; il se promène
donc dans le corps et amène des maladies. Lorsque le désir et la passion entre l’homme et la
femme aboutie à une relation sexuelle, ils sèment ainsi dans l’utérus un être vivant qui est trop
petit pour être visible, mais que la femme nourrira et amènera dans la lumière (Lefkowitz et
Fant, 2005). Galien quant à lui mentionne que la femme est moins parfaite que l’homme
puisqu’elle est froide, et l’homme chaud. Par contre, ceci a son avantage puisque, étant donné
que la femme n’a pas assez de chaleur lors de sa conception, les organes génitaux restent à
l’intérieur au lieu de sortir comme ceux de l’homme. La femme peut donc porter un fœtus à
l’intérieur d’elle et lui donner ses restants de nourritures étant donné qu’elle n’est pas chaude,
ainsi la nourriture ne s’évapore pas (Lefkowitz et Fant, 2005). Hippocrate mentionne quant à lui
que lorsque la femme doit concevoir, la semence des deux (hommes et femmes) reste à
l’intérieur puisque la matrice se ferme (Hippocrate, 1961). Ainsi la femme saura donc quel jour
elle a conçu ou bien la semence sortira lorsqu’il n’y a pas conception.
Une croyance sur la conception qui semble très controversée dans l’Antiquité classique
est l’idée selon laquelle la femme contribue également à la progéniture du fœtus. Il existerait
deux théories (one-seed or two-seed theory), dont une stipule que seulement l’homme fournit
la semence, tandis que la femme fournit du sang pour aider la croissance de la semence de
l’homme. La deuxième par contre amène l'idée que la femme fournirait également une graine
pour la conception du fœtus (Cilliers, 2004). Aristote adhère à la première théorie selon laquelle
la femme apporterait seulement de la matière et non de la semence, et suggère même qu’elle
serait comme un mâle mutilé (Bernard, Deleury, Dion et Gaudette, 1989). En effet, Aristote dans
On the Generation of Animals croit que l’homme donne le principe de la vie avec le concept du
mouvement, mais que la femme donne la matière et que ce mélange primitif est le produit de la
conception (Angeletti, 1992; Lefkowitz et Fant, 2005). Aristote explique son opinion en disant
que, pareillement à la semence de l’homme, les décharges menstruelles commencent vers le
même âge, que tous deux sont suivis de changements corporels, mais que les deux phénomènes
cessent de se produire avec l'âge. Il croit toutefois qu’il est impossible pour un animal de
produire deux semences et que puisque la femme produit plutôt des fluides menstruels, seul
l’homme produit la semence (Lefkowitz et Fant, 2005). Aristote mentionne néanmoins que
d’autres pensent que la femme produit également une semence puisque, parfois lors de la
relation, la femme peut expérimenter autant de plaisir que l’homme et sécrète un fluide. Par
contre, selon ce philosophe, ce fluide ne contient pas de semence, puisque seules certaines
femmes en sécrètent et la quantité de ce liquide est beaucoup plus grande que celui de
l’homme (Lefkowitz et Fant, 2005). Dans la plupart de ces recueils, Vindicianus semble en accord
avec la théorie d’une semence d’Aristote mais, dans une section de son ouvrage Gynaecia, il
serait mentionné que les semences masculine et féminine joueraient un rôle dans la
détermination du sexe du fœtus, quoique ceci pourrait simplement être une erreur de
retraduction ou d’interpolation avec les années (Cilliers, 2004).
Hippocrate semble quant à lui supporter la théorie de deux-semences dans ses ouvrages
tout comme les Présocratiques. Même si Hippocrate ne connaissait pas les ovaires, il croyait
toutefois que d’une façon inconnue la semence allait dans l’utérus lors d’une relation sexuelle.
Dans le livre d’Hippocrate De la génération, le médecin grec mentionne: «… la semence de la
femme est tantôt plus forte, tantôt plus faible; de même que pour l’homme. Chez l’homme est
la semence femelle et la semence mâle; semblablement chez la femme. La semence mâle est
plus forte que la semence femelle. C’est de la plus forte semence que naîtra le produit. Voici ce
qui en est : si la semence plus forte vient des deux côtés, le produit est mâle; si la semence est
plus faible, le produit est femelle. Celle des deux qui l’emporte en quantité prédomine aussi
dans le produit…» (Hippocrate, 1961; Lefkowitz et Fant, 2005).
C’est au médecin grec Hérophile, fondateur de l’école médicale d’Alexandrie ainsi que
l’un des pères de l’anatomie, à qui l'on attribue d’avoir décrit les ovaires pour la première fois
et ce au 3e siècle avant J.-C.. Toutefois, celui-ci croyait que le conduit séminal était attaché à la
vessie et pensait donc que la semence de la femme était excrétée vers l’extérieur rendant
impossible à celle-ci de contribuer à la reproduction. Il faudra attendre jusqu’au 2e siècle après
J.-C. pour que Galien corrige cette erreur et indique que le conduit séminal achemine l’œuf vers
l’utérus et non la vessie, ce qui rend la femme capable de contribuer à la descendance sur un
point anatomique (Cilliers, 2004). Galien mentionne dans On the Usefulness of the Parts of the
Body que la femme possède des glandes reproductives (testes) beaucoup plus petites et
imparfaites que l’homme et que la semence créée dans ceux-ci est d’une quantité insuffisance,
plus froid et plus humide que le sperme de l’homme. L’homme possède donc la semence
compétente pour produire la génération, tandis que la femme accumule son surplus de
nutriments. Elle crée une semence imparfaite (le rôle de celle-ci n’est pas mentionné) et
possède un espace pour recevoir la semence parfaite de l’homme par son membre allongé
(Lefkowitz et Fant, 2005).
Hippocrate mentionne dans De morbis mulierum que le meilleur temps pour la
conception d’un enfant est à la fin des menstruations puisque l’ouverture du vagin serait grand
ouverte (Cilliers, 2004). Dans son livre Gynécologie, Soranos explique que la meilleure tranche
d’âge pour une femme de concevoir est entre 15 et 40 ans puisque l’utérus ressemble au corps
de la femme : lorsque celle-ci est trop jeune, l’utérus est trop ferme pour retenir la semence et
lorsque celle-ci est trop âgée, son utérus est trop souple et atonique et laisse donc tomber la
graine (Lefkowitz et Fant, 2005; Soranus, 1991). Soranos aurait aussi écrit que le moment où la
relation sexuelle a lieu est important pour que la semence puisse s’implanter correctement dans
l’utérus (Cilliers, 2004). Selon lui: «The best time for fruitful intercourse is when menstruation is
ending and abating, when urge and appetite for coitus are present, when the body is neither in
want nor too congested and heavy from drunkenness and indigestion, and after the body has
been rubbed down and a little food been eaten and when a pleasant state exists in every
respect» (Lefkowitz et Fant, 2005; Soranus, 1991). Il mentionne aussi que la femme ne devrait
pas boire d’alcool lors de la relation sexuelle pour ne pas que l’enfant soit difforme, puisque
l’âme qui est saoule possède des fantaisies étranges, et qu'il y ait risque que l’enfant conçu ne
ressemble pas seulement physiquement à la mère lors de la conception mais aussi mentalement
(Lefkowitz et Fant, 2005). Selon Vindicianus, il y a un temps spécifique où la femme peut
concevoir, soit au début ou à la fin des menstruations, puisque s’il y avait conception à chaque
relation sexuelle entre un homme et une femme, il y aurait une surpopulation (Cilliers, 2004).
Pline a écrit dans Histoire naturelle que l’humain est un des seuls animaux qui
s’accouple lorsque la femelle est enceinte et croit que l’être humain peut féconder plusieurs
œufs, et ce à des moments différents. Lorsque l’intervalle entre les deux conceptions est court,
les bébés seront mis au monde en même temps. C’est ce qui est arrivé pour Hercule et Iphiclès
selon un mythe grec : Hercule serait le fils d’Alcamène et Zeus, tandis que son frère jumeau
serait plutôt le fils d’un mortel Amphytrion. Pour ce qui est d’un intervalle plus long, Platon
mentionne un exemple où les enfants n’avaient pas le même âge lors de la naissance (un à
terme et l’autre de 5 mois de conception) et un autre exemple où l’accouchement n’était pas en
même temps (Lefkowitz et Fant, 2005). Hippocrate (1961) dans De la nature de l’enfant ne
serait pas d’accord avec Pline pour ce qui est des jumeaux, puisqu’il dit plutôt que les jumeaux
proviennent du même coït, tout comme la chienne et d’autres animaux qui ont plusieurs bébés
dans la même portée, puisqu’ils naissent la même date, même pour les jumeaux fille et garçon
(Hippocrate, 1961).
Connaissances et croyances du développement du fœtus chez les Gréco-romain
Hippocrate et Vindicianus s’accordent sur la croyance que la semence s’assemble dans
l’ombilic (Cilliers, 2004). Hippocrate compare même le fœtus à un œuf d’oiseau où la semence
est entourée d’une membrane et l’ombilic est dans le milieu (Hippocrate, 1961). Lorsque la
semence des deux parents reste dans l’utérus : «… d’abord elle se mêle, attendu que la femme
n’est pas immobile; elle se condense et s’épaissit en s’échauffant; puis elle a du souffle, et parce
qu’elle est en lieu chaud, et parce que la mère respire. Quand elle est remplie de souffle, le
souffle se fait à lui-même une voie vers l’extérieur au milieu de la semence, par où il sort. Quand
une voie vers l’extérieur a été faite au souffle qui est chaud, un autre souffle froid vient de la
mère par inspiration. Et cette alternative dure tout le temps» (Hippocrate, 1961). Hippocrate
semble dire que de l’air chaud s’accumule dans la graine, la gonfle puis ressort pour laisser
entrer de l’air froid, et donc que le fœtus acquière la respiration à ce stade. Cette respiration
crée des mouvements qui favorisent la séparation de la chair en plusieurs parties et donnent
donc les différents membres ainsi que solidifie les os. Hippocrate dit aussi que le sang provenant
de la mère est coagulé pour former la chair du fœtus et, au milieu de celle-ci, se trouve l’ombilic
qui opère la respiration et la croissance (Hippocrate, 1961). Aristote croit plutôt que ce sont les
nutriments qui s’infiltrent dans le sang qui permettent la formation de l’embryon, créant
comme premier organe le cœur, et que ce sont les résidus séminales qui forment les os.
D’autres pensent que le développement commence à partir de la tête et procède vers le bas de
la colonne (mais le nom de ces personnes n’est pas mentionné) (Cilliers, 2004). Vers le 10ième
jour, selon Pline l’Ancien, lorsque le fœtus commence à se former, la mère ressent plusieurs
symptômes comme des maux de tête, des étourdissements et de la nausée. Les fœtus mâles
amène une meilleure grossesse et un meilleur accouchement pour la mère qu’une future fille
(Lefkowitz et Fant, 2005).
Empédocle, un philosophe et médecin grec du 5e siècle av. J.-C., pensait que la
formation du fœtus commençait au 36e jour et se terminait le 49e jour. Les Pythagoriciens se
sont plutôt fiés sur des formules mathématiques que sur des observations anatomiques et
cliniques pour dire que la formation du fœtus était complète en 40 jours (Kapparis, 2002). Dans
De la nature de l’enfant, Hippocrate spécifie que le fœtus de sexe masculin serait formé en 30
jours par expérience d’avoir vu des fœtus avorté avant et après 30 jours, tandis que celui de
sexe féminin serait formé en 42 jours puisque la semence pour une fille est plus faible et
humide, et donc qu'elle coagule plus lentement dû à sa froideur et se solidifie plus tardivement
(Cilliers, 2004; Hippocrate, 1961; Kapparis, 2002). Les 40 premiers jours seraient plus dangereux
pour des avortements spontanés selon Hippocrate (Hippocrate, 1961). Dans History of Animals,
Aristote mentionne qu’au début le fœtus ressemble à de la chair sans aucune partie distincte,
mais qu’au bout de 40 jours pour un garçon et 90 jours pour une fille, le fœtus commence à
former des parties (Carrick, 2001). Selon Galien, le développement embryonnaire serait divisé
en quatre étapes; 1) la semence; 2) une forme sanglante (incluant les organes vitaux comme le
cœur, le cerveau et le foie, mais encore informes); 3) l’embryon (début des membres et du
ventre) et finalement 4) le fœtus achevé (organes perfectionnés avec mouvements et considéré
comme animal) (Angeletti, 1992; Cilliers, 2004). Galien semble appuyer la croyance selon
laquelle le fœtus de sexe masculin soit considéré comme plus chaud et sec que celui de sexe
féminin, et que le fœtus d’un garçon se forme en moins de jours et bouge plus vite que celui
d’une fille (Cilliers, 2004). Vindicianus croyait que tous les aspects du fœtus étaient formés en 40
jours, mais il ne semblait pas faire de distinction entre les garçons et les filles (Cilliers, 2004).
Pline indique que les garçons commence à bouger dans le ventre de leur mère vers le 40e jour
tandis que pour les filles c’est 90e jour. Il dit que la mère devrait faire attention à ce qu’elle fait
lorsqu’elle est enceinte puisque le fœtus est très précaire, par exemple le fait de manger des
aliments trop salés fera que l’enfant n’aura pas d’ongles ou même que le fait d’éternuer peut
causer un avortement (Lefkowitz et Fant, 2005).
Selon Vindicianus, le fœtus possède des ongles et des cheveux et commence à bouger
lors du 3e et 4e mois de grossesse, tandis que les organes génitaux seraient formés au 5e mois, le
bébé serait assez former pour révéler une relation adultère à ce stade (Cilliers, 1961).
Hippocrate mentionne dans ses ouvrages, sans toutefois spécifier de date exacte, que l’embryon
se ramifie comme les branches d’un arbre : la tête saillit, les membres apparaissent, la bouche,
le nez et les oreilles sont formé, les yeux sont remplis d’eau, les organes génitaux deviennent
distinguables et finalement les entrailles se développent (Hippocrate, 1961). Par la suite, c’est le
système respiratoire qui se développe pour prendre le dessus sur l’ombilic, et finalement les
organes excrétoires se forment (Cilliers, 2004; Hippocrate, 1961). Les extrémités osseuses se
ramifient de nouveau pour former les doigts et les orteils et ensuite les ongles et les cheveux se
forment. Par la suite, vers environ 3 mois pour les garçons et 4 mois pour les filles, le foetus
pourra commencer à faire des mouvements.(Hippocrate, 1961). Il dit aussi que les mouvements
du fœtus ne commencent que vers 70, 80, 90 ou 100 jours, dépendamment de ses ouvrages.
Aristote évoque que les ongles se forment à partir des éléments naturels retrouvés dans les
aliments fournis par la mère (Cilliers, 2004).
Selon Vindicianus, le système nerveux se forme et la moelle devient dure vers le 6e et 7e
mois, et les os se renforcent vers le 8e mois (Cilliers, 2004). Dans la section Du fœtus de sept
mois du Corpus Hippocratique, il est écrit que le fœtus de sept mois (182 jours) «croît et prend
bien plus de vigueur à ce terme que dans tout le reste du temps» et que les embryons les plus
forts et développés déchirent la membrane et causent le début de l’accouchement (Hippocrate,
1961). Hippocrate mentionne que la membrane relaxe, permet au fœtus de se déplacer et de
rester dans cette position pour un autre 40 jours où il se nourrira. Par contre, cette position
rend la mère et le fœtus inconfortables, même souffrants, puisque le cordon ombilical est étiré
et que le poids du bébé est moins bien soutenu. Donc, plusieurs mères peuvent ressentir de la
douleur et développer de la fièvre, et certaines mourraient même avec leur bébé. Le 8e mois est
donc considéré comme un des plus difficiles, et les mères sont en accord avec ce fait
(Hippocrate, 1961; Leftkowitz et Fant, 2005). Lors du 8e mois de grossesse, le fœtus doit
surmonter les maladies et la souffrance. Ainsi la plupart du temps, un enfant qui nait lors du 8e
mois ne survit pas puisqu’il est beaucoup trop difficile de surmonter les maladies du 8e mois
dans l’utérus, en plus de l’accouchement, et ce dans un court intervalle. Même que les enfants
qui naissent plus tard mais qui ont eu des souffrances et des maladies pénibles lors du 8e mois
seront estropiés, aveugles ou auront d’autre informités. Par contre, les bébés nés au 7e mois
survivraient plus souvent puisqu’ils n’ont pas à vivre les maladies du 8e mois, tout comme ceux
qui naissent vers la fin du 9e mois plus puisqu’ils sont plus forts et les plus éloignés des maladies
du 8e mois (Hippocrate, 1961). Pline écrit dans son ouvrage que les 4e et 8e mois de grossesse
sont plus dangereux pour la femme enceinte, et même qu’un avortement pendant ces mois
pourrait être mortel (Lefkowitz et Fant, 2005).
Le Corpus hippocratique mentionne plusieurs termes différents pour une grossesse;
240, 270, 280 (7 période de 40 jours) ou 300 jours (Cilliers, 2004). Dans De la nature de l’enfant
par Hippocrate (1961) et cité par Lefkowitz et Fant (2005) il est écrit: «Je vais vous dire pourquoi
la grossesse ne dure pas plus de dix mois. La nourriture et l’accroissement fournis par la mère ne
suffisent plus à l’enfant quand les dix mois sont passés, et qu’il a grandi. Il attire à soi la partie du
sang la plus douce et il profite aussi un peu du lait. Quand ces sources deviennent trop peu
abondantes, et qu’il a grossi, il désire plus de nourriture qu’il n’en a actuellement, il s’agite et
rompt les membranes. » Aristote quant à lui croit que la durée de gestation peut varier entre 7
et 10 mois, le dernier étant plus commun (Cilliers, 2004). Par contre, il est fort possible que les
Anciens comptaient les mois avec le nombre de jours de menstruation, donc 28 jours
(Hippocrate, 1961). Les manuscrits de Vindicianus indiquent que la Nature fait bouger le fœtus
dans le ventre à partir du 9ième mois, que les filles naissent lors du 9e mois tandis que les garçons
voient plutôt la lumière au 10e mois. Un fœtus de 7 mois est considéré comme viable, mais non
légitime étant donné qu’il n’a pas rempli le temps nécessaire, et pourrait donc être rejeté de son
père (Cilliers, 2004). Selon Pline l’Ancien qui a écrit l’Histoire naturelle à l'époque romaine, l’être
humain possède une variété de période de gestation; parfois 7 mois, 8 mois et d’autre fois vers
le début du 11ième mois, mais aucun enfant ne serait viable avant le 7ième mois de gestation. Il
croit aussi que les enfants qui naissent au 7ième mois sont ceux qui ont été conçu le jour avant ou
après la pleine lune. Par contre, un bébé qui nait lors du 8e mois est en danger jusqu’à ce qu’il
atteint 40 jours de vie (cité par Lefkowitz et Fant, 2005).
L’humanité attribuée au fœtus en Grèce et à Rome
Il semblerait que les Anciens avaient des opinions divergentes sur le commencement de
la vie et le début de l’identité humaine chez le fœtus. Certains attribuent cette qualité au tout
début de la conception, d’autres au moment de l’accouchement et les derniers à différents
moments entre ces deux événements.
Les Pythagoriciens croyaient que la semence humaine a tout ce qu’il faut pour créer un
être humain incluant le corps et l’âme; cette dernière étant considérée comme de la vapeur et,
dès le moment de la conception, la graine relâche cette vapeur (Kapparis, 2002). Donc, selon les
Pythagoriciens, l’embryon possède une identité humaine dès la conception (Bernard et al.,
1989; Carrick, 2001; Edelstein, 1967; Kapparis, 2002; Pundel, 1971). Malgré qu’il n’y ait pas de
sources où Pythagore mentionne cette théorie, Porphyre, un philosophe néoplatonicien,
mentionne dans son ouvrage sur l’embryologie que c’est aux Pythagoriciens que l’on peut
attribuer cette position. Alexander Polyhistor aurait aussi attribué aux Pythagoriciens la
croyance selon laquelle la semence serait en fait un morceau de cerveau qui contient de la
vapeur chaude, et donc que l’âme et la sensation seraient créées par cette vapeur au moment
de la conception (Carrick, 2001).
Malgré qu’il n’y ait aucun passage où Platon affirme penser que le fœtus acquière une
vie humaine au moment de la naissance, son dialogue sur l’aventure de l’âme vers le corps
semble en suggérer autant. Les Platoniciens et les néo-Platoniciens refusent de croire que le
fœtus puisse posséder une âme puisque celle-ci, aussi divine qu’elle puisse l’être, doit
forcément venir de l’extérieur (Carrick, 2001). Il y avait donc une minorité de médecins et de
philosophes grecs et romains qui pensaient que l’enfant obtenait une âme au moment de la
naissance seulement, et ce fût quelques siècles plus tard que cette croyance pris plus d’ampleur
avec les stoïciens et les médecins hellénistiques (Bujalkova, 2007). Selon Galien, Empédocle
serait le premier à avoir eu cette opinion. Par après, Diogène d’Apollonie, un autre philosophe
grec du 5e siècle avant J.-C., considérait l’air froid qui entre le corps lors de la naissance comme
étant l’âme (Kapparis, 2002). Hérophile croyait justement que le fœtus avait effectivement des
mouvements mécaniques, mais non pneumatiques, et donc qu’il ne peut être considéré comme
un être humain avant d’avoir inspiré de l’air (Kapparis, 2002). Sénèque (4-65), un philosophe de
l'école stoïcienne dans le temps romain, croyait que l’enfant naissait lors de la première
inspiration. Les Stoïques qui croient que l’âme contient une petite partie de Dieu, pensent
justement que le moment où l’enfant devient un être humain est lorsqu’il prend sa première
inspiration au moment de l’accouchement (Carrick, 2001). C’est l’air inspiré qui est froid qui
transforme le souffle vital de l’embryon en âme (Bernard et al., 1989). Porphyre (234-305), un
néoplatonicien, mentionne que l’être humain est seulement un corps qui pourrait servir à l’âme
et que l’embryon qui ne fait que se nourrir et grandir ressemble à une plante. Donc, il adhère à
la pensée que le fœtus n’est pas vivant, il est plutôt «une boue non solidifiée» (Bernard et al.,
1989). Par contre, il ne faut pas assumer que ceux qui croyaient que le fœtus ne s’animait qu’à
la naissance étaient pour l’avortement, mais ceci veut tout simplement dire qu’ils seront
probablement en désaccord avec le fait que l’avortement soit classé comme un homicide étant
donné que le fœtus ne possède pas d’âme. Comme exemple, Philo voyait l’embryon comme
étant une extension de la mère plutôt qu’un être humain, mais il était contre l’avortement
(Kapparis, 2002).
Selon Hippocrate dans De la nature de l’enfant et selon Galien dans On the use of the
members, le fœtus acquière son statut d’être humain lorsqu’il est formé, donc environ 40 jours
après la conception, quoique cette date change selon les auteurs. Dans la Septante, une version
grecque de la bible hébraïque, le Tanakh, on peut y lire ceci: «If two men are fighting and hit a
pregnant women, and her child comes out unformed, he must pay compensation, according to
the demands of the women’s husband, after an estimate, but if it was formed, he must give a
soul for a soul, an eye for an eye, a tooth for a tooth…» On peut donc voir que les grecs
attribuaient une valeur humaine au fœtus formé (Kapparis, 2002; Pundel, 1971). C’est surtout
grâce au travail d’Hippocrate, en essayant de comprendre le développement du fœtus humain,
que la théorie gradualiste est devenue populaire dans l’Antiquité et que, malgré l’importance de
l’accouchement, l’embryon développé dans le ventre peut être considéré comme un être vivant
(Kapparis, 2002).
Un autre moment critique pendant la grossesse où certains médecins et philosophes de
l’Antiquité pensaient que le fœtus commençait à vivre est lorsque celui-ci peut faire des
mouvements dans le ventre de sa mère. Par contre, ce n’est pas tout le monde qui était en
accord avec cette idée puisque certains pensaient plutôt que les mouvements du fœtus sont
mécaniques et non conscients. Selon Aristote, il y aurait trois niveaux d’âme dans la nature; le
premier niveau, minimal, consiste en l’âme végétative ou nutritive où un être peut se nourrir et
grandir comme le zygote ou une plante; le deuxième niveau est l’âme sensitive où, par exemple,
un animal peut ressentir la douleur ou le plaisir; et dernièrement, l’âme intellective qui est
seulement attribuée aux êtres humains en raison de leur capacité de penser et de raisonner
logiquement. Aristote semble dire que le fœtus acquière les trois niveaux d’âme avant la
naissance selon la croissance et le développement des organes. Par exemple, l’embryon acquiert
l’âme sensitive lorsqu'il commence à faire des mouvements (Bernard et al., 1989), soit vers le
quarantième jour après la conception pour les fœtus de sexe masculin et vers quatre-vingts dix
jours pour les fœtus de sexe féminin (Androutsos, 2002; Carrick, 2001; Pundel, 1971). L’âme
intellective quant à elle proviendrait de l’extérieur, bien que le moment ne soit pas spécifié
(Bernard et al., 1989). Dans Generation of animals (cité par Kapparis, 2002), Aristote mentionne
ceci : «It is necessary to clarify matters concerning… the soul – because a living being is defined
by it (a living being possesses the sentient part of the soul) – whether it exists in the semen and
the foetus or not, and where does it come from. No one should consider the foetus as soulless
and deprived of life in every respect. The seeds and the foetuses of living beings are no less alive
than those of the plants, and up to a certain point fertile. It is obvious that they possess the
nutritive soul, … but as they acquire the sentient soul too, and thus become living beings.»
Méthodes abortives employées dans l’Antiquité classique
Van de Walle, E. (1998) a fait la compilation de 120 citations sur l'avortement
provenant de la période de l’Antiquité. Dans 51 de ces citations, la méthode utilisée n’est
toutefois pas mentionnée. Il a fait un sommaire des techniques utilisées; sept textes parlent de
violence et coups, deux de mouvements violents, quatre d’objets aigus, 43 de drogues ou
médecines (parmi ceux-ci, on retrouve des potions (13); des pessaires (4); des emplâtres (1);
des bains (1) et d'autres méthodes non spécifiées). Par contre, les termes grecs pharmakon ou
pharmakeia peuvent autant être un poison ou de la magie, ce qui crée de la confusion quant aux
résultats de cette compilation. Prioreschi (1995) et Hopkins (1965) indiquent que plusieurs
auteurs ont mentionné de façon plus ou moins détaillée des méthodes abortives dans leurs
textes; Aetius (6e siècle), Aristote (4e siècle av. J.-C.), Caelius Aurelianus (5e siècle), Celse (1e
siècle), Dioscoride (1e siècle), Galien (2e siècle), Hippocrate (Corpus hippocratique) (5e siècle av.
J.-C.), Mustio (6e siècle), Oribase (4e siècle), Paul d’Égine (7e siècle), Pline (1e siècle), S. Placitus
Papyriensis (5e siècle), Ps. Apuleius Platonicus (4e siècle), Soranos (2e siècle) et Théodore
Priscianus (4e siècle). Nous allons ci-dessous discuter de ces méthodes avec quelques exemples
de ces auteurs. Avec l’abondance de ces références, il est sans aucun doute qu’il y avait bien une
pratique de l’avortement dans l’Antiquité classique.
Médecine et produits - Générale
Les auteurs hippocratiques connaissaient la plupart des plantes, des minéraux ou
d’autres produits d’animaux, même s’il est fort probable qu’ils se soient fiés sur des sources très
anciennes et que, par la suite, d’autres aient rajouté quelques éléments à cette liste.
Effectivement, plusieurs produits ont été inscrits dans le Corpus hippocratique et dans les
ouvrages des Anciens. On peut en distinguer quelques classes différentes dont les
emménagogues (qui provoquent les règles et seraient soupçonnés comme abortifs également),
les expulsifs (surtout mentionnés lorsque le fœtus est mort ou pour sortir les restants du
placenta après l’accouchement) et les abortifs qui détruisent l’embryon (utilisés surtout lors
d'un avortement thérapeutique i.e. lorsque la vie de la mère est en danger ou lorsque le fœtus
est à demi formé ou ne bouge plus) (Congourdeau, 1997). Dioscoride mentionne également des
produits qui peuvent être classés dans ces catégories, avec les mêmes raisons pour les utiliser,
mais il n’émet aucun commentaire quant à son opinion face à l’avortement. Il mentionne
justement que le lait de chienne, la racine du cyclamen (à enjamber), l’odeur de la serpentaire à
la fin de la floraison ainsi que l’aubépine auraient toutes des propriétés abortives (Congourdeau,
1997). Pline mentionne quant à lui que la prise orale de fougère et de rue (plante herbacée),
ainsi que l’odeur d’une lampe qui vient de s’éteindre peut faire avorter une femme enceinte.
Dioscoride décrit différentes méthodes abortives, notamment du thelypteris (une sorte de
fougère) mélangé avec du miel et du vin, des graines de giroflée avec du vin, des testicules de
castor, du fung de chèvre avec des épices aromatiques, une décoction de clinopodium, l’alun
introduit vaginalement et plusieurs pessaires faient avec du choux. Oribase, un médecin de
l’empereur romain Julien, mentionne quant à lui d’autres sortes de produits tels du savin, de la
myrrhe, du lupin et de la centaurée (Prioreschi, 1995). Dans cet ouvrage, seules quelques
plantes et recettes abortives sont toutefois mentionnées comme exemples (voir Riddle (1992)
pour plus de détails).
Drogues prises oralement
Plusieurs recettes sont mentionnées dans les livres des Anciens dont en voici quelques
exemples : Hippocrate écrit que du trèfle mélangé avec du vin blanc serait un produit
emménagogue et abortif; selon Dioscoride, du thé de dracon (dracon the ou drakontia ou aussi
appelé edderwort en anglais) mélangé avec du vinaigre et de l’eau était considéré tellement fort
que l’odeur seule pouvait être toxique; l’aristoloche (birthwort en anglais) était non seulement
un accélérateur de l’accouchement mais aussi un abortif selon Dioscoride et Pline. Plusieurs
autres plantes et herbes ont été mentionnées dans les ouvrages d’Hippocrate, de Théophraste,
de Dioscoride, de Pline, de Galien et de Soranos; l’hellébore blanc, thelypteris (un genre de
fougère), thlaspi, calament, giroflée et plusieurs autres (Kapparis, 2002).
Les drogues prises oralement étaient probablement les plus populaires, même si elles
étaient souvent inefficaces ou dangereuses pour la santé puisque cette méthode était plus
discrète que les autres. En effet, les femmes qui désiraient se faire avorter et garder cela secret
avaient souvent recours à cette méthode puisqu’elle n'exige pas l’implication intensive d’une
autre personne. La femme pouvait simplement demander des conseils ou une recette d’une
autre femme, d'une sage-femme, d'un avorteur ou d'un médecin et ensuite retourner à la
maison pour prendre des ingrédients du jardin ou du marché. Une autre raison pour laquelle les
femmes préféraient cette méthode est que celle-ci semble moins drastique et cruelle pour le
corps de la femme puisque, en général, elles ne connaissent pas les plantes et le danger que
certaines d’entre elles puissent représentées (Kapparis, 2002).
Au départ, les recettes étaient plus simples, comme celles d’Hippocrate; un poireau en
purée avec de la myrrhe et du vin doux ou des racines de fenouil dans de l’huile, du vin et du
miel. Par contre, avec le temps, les recettes comme celles de Galien sont devenues beaucoup
plus compliquées et difficiles à faire à la maison. Il fallait plutôt un laboratoire et des
connaissances spécifiques pour pourvoir préparer ses antidotes, en plus que les ingrédients
étaient plus difficiles à dénicher. Même les médecins et pharmaciens avaient de la difficulté à
trouver les ingrédients et devaient sûrement les remplacer par d’autres ou ne les incluaient
tout simplement pas dans la recette (Kapparis, 2002).
Pessaire
Un pessaire est un suppositoire vaginal qui sert à avorter et les ingrédients ressemblent
beaucoup à ceux pris oralement, sauf qu’ils sont généralement plus puissants et peuvent
contenir des substances irritantes comme du jus de figue sauvage qui ne peut pas être pris
oralement. Hippocrate et Galien mentionnent plusieurs recettes dans leurs livres : du safran
mélangé avec de la graisse d’oie, le tout tamisé que l’on met ensuite dans l’utérus le plus
longtemps possible (Hippocrate); deux figues et demi mélangées avec environ 0.71 gram (one
obol) de carbonate de sodium (Galien) (Kapparis, 2002). Soranos mentionne quant à lui
quelques recettes de suppositoire abortif vaginal : «Of myrtle, wallflower seed, bitter lupins
equal quantities, by means of water, mould troches the size of a bean. Or: Of rue leaves 3
drachms, of myrtle 2 drachms and the same of sweet bay, mix with wine in the same way, and
give her a drink. Another vaginal suppository which produces abortion with relatively little
danger: Of wallflower, cardamom, brimstone, absinthium, myrrh, equal quantities, mould with
water » (Soranos dans Gynécologie cité par Lefkowitz et Fant, 2005; Soranus, 1991). L’avantage
des pessaires était que, comme pour les drogues prises oralement, la femme pouvait le faire
secrètement à la maison. Par contre, cette méthode semble plus dangereuse, même
qu’Hippocrate interdit l’usage de pessaire dans son serment. Hippocrate, Soranos et Galien
connaissaient les risques des pessaires puisqu'ils ont mentionné dans leurs ouvrages que ceux-ci
pouvaient causer des ulcères, de l’inflammation ou des fièvres, et donc qu'ils pouvaient mener
vers la stérilité ou même la mort (Kapparis, 2002).
Crème et onguent
En général, les substances utilisées sont les mêmes que pour les drogues prises
oralement et les pessaires. Notamment, la plante cyclamen aurait été tellement puissante
comme moyen abortif que, selon Galien, on pouvait l’appliquer directement sur l’abdomen et
celle-ci pénétrait le ventre jusqu’à l’embryon. Galien et des Pseudo-Galien mentionnent d’autres
recettes de crèmes, dont une qui serait sécuritaire et sans douleur, et pouvait être appliquée
pendant que la femme dort (Kapparis, 2002). Soranos aussi prescrivait des onguents, mais ils
étaient toujours combinés avec d’autres méthodes qui seront mentionnés plus bas. Cette
technique ne semble pas avoir été très efficace, mais les crèmes apportent peu de danger, et
celles-ci sont souvent utilisées avec d’autres méthodes, ce qui rassurait les femmes (Kapparis,
2002).
Ferula ou Férule (opopanax ou jus de Cyrénaïque)
La ferula fait partie de la famille des Apiacées, elle est retrouvée dans la région
méditerranéenne et elle contient plusieurs sortes d’espèce dont ferula assafoetida et f.
communis. Dans l’Antiquité, cette plante était reconnue comme un moyen de contraception
ainsi qu’une méthode abortive en début de grossesse (Riddle, 1991). Dioscoride indique
effectivement que la ferula est un composé abortif, mais aussi contraceptif (Nelson, 2009).
Soranos prescrit du silphion, maintenant disparu, et de l’opopanax dans ses deux premiers
composés oraux qui sont des espèces de la ferula. Dioscoride mentionne que le silphion est un
emménagogue puisqu’il provoque les menstruations, et que d’autres espèces de la ferula sont
des abortifs; conclusions partagées par Galien et Aetius (Riddle, 1991). Plus récemment, une
étude réalisée avec des rats par Keshri et al. (cité par Nelson, 2009) indique que la ferula
diminue le nombre de grossesse ainsi que le nombre d’implantation par grossesse et ce, en
interférant avec des enzymes dans la paroi des trompes de Fallope.
Rue (Ruta graveolens)
La rue provient du sud de l’Europe et fait partie de la famille des Rutacées. Soranos
mentionne la rue dans deux différentes recettes comportant plusieurs ingrédients dont la
première est un suppositoire abortif vaginal et le second un contraceptif oral (Nelson, 2009).
Pline mentionne dans son livre Natural History que la rue est une de leur principale médecine et
qu’elle provoque les menstruations et expulse le fœtus mort. Théodore Priscianus et des traités
Pseudo-Galien disent aussi que la rue peut induire un avortement (Riddle, 1991). Des
expériences ont été faites par Gutierrez-Pajares et al. (cité par Nelson, 2009) sur des souris
enceintes de quelques jours seulement à l’aide d’extraits de rue. Ces expériences ont démontré
que, comparé au groupe contrôle, le pourcentage d’embryons qui ont atteint le stade de
blastocyste était de 45% au lieu de 75% et que ceux qui ont atteint le stade de blastocyste
avaient un plus petit pourcentage de cellules normales (10-20% selon la dose) que le groupe
contrôle (70-80%). Finalement, il y avait beaucoup moins de cellules en général et l’embryon
était transporté moins loin dans les trompes de Fallope.
Menthe pouliot (Pennyroyal)
La menthe pouliot peut être retrouvée dans plusieurs parties de l’Europe, dont la Grèce.
Dioscoride mentionne que la menthe pouliot est un abortif (Riddle, 1991; Nelson,2009), tandis
que dans le Corpus hippocratique celle-ci est plutôt identifiée comme un moyen de
contraception (Nelson, 2009). Un écrivain Romain, Quintus Serenus (année 212), indique que
lorsqu’une femme est enceinte d’un fœtus faible, elle peut boire de la menthe pouliot dans de
l’eau tiède (Riddle, 1991; Riddle, 1992). Cette plante contient plusieurs composés différents,
mais celui qui serait reconnu pour avoir des effets abortifs serait le pulégone qui, selon Soares et
al. (cité dans Nelson, 2009), inhibe l’amplitude des contractions oscillatoires des muscles lisses
de la paroi utérine. Par contre, ces données sont issues d'une étude réalisée in vitro avec des
cellules de rats. Il n’est donc pas certain que ce soit la même situation avec le corps humain et
que ce ne serait pas plutôt d’autres propriétés de ce composé qui aurait un effet abortif,
comme par exemple la relaxation des vaisseaux sanguins qui créerait un apport insuffisant pour
le placenta et l’utérus.
Concombre d’âne (Ecballium elaterium (L.) ou squirting Cucumber en anglais)
Cette plante fait partie de la famille des Cucurbitacées, et provient surtout des régions
méditerranéennes. Son nom en anglais provient du fait que le pédicule de la plante se détache
pour disperser ses graines, ce qui fait que le concombre d’âne explose et propulse ses graines à
quelques mètres (Riddle, 1991). Dans le corpus Hippocratique, il est écrit qu’il n’y a rien de
mieux comme suppositoire abortif pour l’utérus. De même, Galien et Dioscoride soulignent dans
leur ouvrage que c’est un abortif. Oribase et Mustio classent plutôt cette plante comme un
emménagogue, mais un Pseudo-Apuleius mentionne que cette plante serait utilisée pour
avorter (Riddle, 1991). Farnsworth et al. (cité par Riddle, 1991) auraient réalisé une étude
récente sur des souris et conclu que le concombre d’âne serait plutôt un contraceptif et non un
abortif.
Carotte sauvage (Daucus carota L. ou Queen Anne’s Lace en anglais)
Son nom anglais provient d’une légende qui dit que le petit point rouge dans le milieu
de la touffe blanche serait le sang de la reine Anne lorsqu’elle se serait piquée en faisant de la
dentelle. Scribonius Largus, médecin du 1er siècle entre autre pour l’empereur romain Claude,
serait un des premiers à inclure cette plante dans une recette pour induire un avortement
(Riddle, 1991; Riddle, 1992). Galien propose que la carotte sauvage possède des propriétés antifertilisantes. Plus récemment, plusieurs études (cité dans Riddle, 1991) mentionnent que cette
plante a effectivement des propriétés contraceptives, et ce même après une relation sexuelle,
en empêchant l’implantation.
Mouvements violents
Les mouvements violents sont utilisés dans l’Antiquité afin de fatiguer la femme et de
faire décoller l’embryon de la paroi utérine. À cet effet, Soranos mentionne dans son ouvrage
Gynécologie quelques moyens tels que marcher ou sauter énergiquement, lever des poids très
lourds et faire une promenade en voiture attelée afin de secouer la femme dans tous les sens
(Gourevitch, 1984; Lefkowitz et Fant, 2005; Soranus, 1991). Le médecin Euryphon propose une
technique d’avortement où l’on attache la femme enceinte sur une échelle et on secoue celle-ci
jusqu’au moment où le fœtus tombe par terre (Pundel, 1971). La fameuse histoire où
Hippocrate conseilla à une prostituée chanteuse de sauter plusieurs fois en touchant ses talons
sur ses fesses (que nous allons voir plus en détail dans une autre section), fait justement partie
de cette catégorie. Dans son étude De la génération (Hippocrate, 1961; Kapparis, 2002),
Hippocrate mentionne ceci : «Quant à l’enfant estropié dans les matrices, je dis qu’il est estropié
à la suite d’une contusion, la mère ayant été frappée sur le lieu répondant au fœtus, ou ayant
fait une chute, ou ayant essuyé quelque autre violence. Si l’enfant éprouve une contusion, il
devient estropié en la partie contuse; si la contusion est plus forte, la membrane qui l’enveloppe
se rompt et la femme avorte». Galien écrit aussi dans ses livres que si une femme enceinte
saute, tombe ou qu’elle se fait pousser violemment, et ce physiquement ou mentalement, il
peut facilement y avoir un avortement (Kapparis, 2002). Ce qui était intéressant pour les
femmes par rapport à ces techniques, c’est qu'encore une fois elles pouvaient le faire seules,
sans l’aide de personne. De plus, si elles se faisaient prendre, elles pouvaient dire qu'il s'agissait
d'un accident, contrairement à la prise de drogue. Le désavantage est que ces techniques sont
plus ou moins efficaces et dépendent plutôt de la volonté et du courage de la femme d’effectuer
des mouvements assez violents sur leur corps (Kapparis, 2002).
Moyens médicaux généraux – saignée, bain, régime
Encore une fois le principe ici est le même que la prescription de mouvements violents,
le but étant d’épuiser le corps de la femme enceinte pour se débarrasser de l’embryon à
l’intérieur. Hippocrate et Soranos indiquent dans leurs livres qu’une saignée fera avorter la
femme, mais Soranos avertit qu’une femme peut devenir trop faible si elle réagit mal. Il
mentionne également qu’un long bain quotidien dans de l’eau tiède est moins dangereux et
peut également faire avorter (Gourevitch, 1984; Soranus, 1991). Le célèbre gynécologue de
l’Antiquité écrit aussi qu’une femme qui désire avorter peut manger des aliments âcres, boire du
vin, et avoir des massages avec de l’huile douce partout sur le corps, mais surtout dans la région
du pubis, du ventre et du bassin (Gourevitch, 1984; Lefkowitz et Fant, 2005). Soranos mentionne
beaucoup d’autres méthodes telles que: prendre des décoctions diurétiques, des lavements
épicés pour vider l’estomac et des injections d’huile d’olive chaude et douce. Si tout cela ne
fonctionne pas, la femme peut prendre un bain dans une décoction de graines de lin, du
fenugrec, deux espèces de la famille des Malvaceaes (fleurs) dont la malva (mauve ou mallow en
anglais) et l’althaea (guimauve ou mars mallow en anglais) et finalement de l’armoise. Avec cela,
elle doit aussi faire un cataplasme (préparation pâteuse de plantes à appliquer sur la peau) avec
ces mêmes produits, ainsi que faire une injection avec de l’huile vieillie, seule ou mélangée
plusieurs produits comme du jus de rue ou du miel (Gourevitch, 1984; Lefkowitz et Fant, 2005;
Soranus, 1991). Il conseille aussi, deux ou trois jours avant l’avortement, que la femme prenne
de longs bains, mange peu, utilise des suppositoires vaginaux amollissants, ne boive pas de vin
et se fasse saigner. Selon Pline, une autre méthode consiste à attacher sur elle, dans de la peau
de cerf, une phalange qui serait une araignée contenant deux petits verts qui auraient des
pouvoirs magiques, et ce avant le lever du soleil. Par contre, les médecins trouvaient ce procédé
risqué et n’y avaient recourt que lorsque la grossesse était dangereuse (Gourevitch et RaepsaetCharlier, 2001).
Moyens chirurgicaux – objet pointu
Soranos est contre cette méthode; il la considère beaucoup trop dangereuse pour la
femme étant donné les risques que l'on abime les régions proches de l’embryon en essayant de
le détacher avec l’objet tranchant. Une hémorragie pouvait mettre en péril la vie de la mère, ou
même une infection. Bref, cette méthode pouvait faire beaucoup de dommages et entrainer la
stérilité ou la mort (Gourevitch, 1984; Soranus, 1991). À cet effet, le corps d’une femme morte
enceinte, provenant de l’antiquité, aurait été retrouvé en Belgique avec un os pointu toujours
en place (Gourevitch et Raepsaet-Charlier, 2001). Tertullien, écrivain du 2e siècle qui se converti
au Christianisme, mentionne dans son ouvrage De anima qu’une aiguille de bronze aurait été
utilisée pour faire des avortements, et non pas seulement pour des accouchements difficiles
(Gourevitch, 1984). Tertullien et Hérophile font justement référence à cet outil utilisé depuis le
temps hippocratique qui s’appelle embruosphaktês, qui voudrait dire au sens littéraire assassin
d’embryon (Kapparis, 2002). Ovide, un poète romain, mentionne aussi que l’avortement peut
être produit ictu caedo (blind blow ou coup aveugle) (Prioreschi, 1995). L’embryotomie, où l’on
enlève de manière chirurgicale l’embryon, était aussi utilisée comme dernière mesure lorsque la
femme enceinte est en danger (Carrick, 2001). Celse, au 1er siècle de notre ère, a écrit dans De
medicina un long passage qui détaille la procédure où il rentre sa main à l’intérieur de l’utérus
pour guider le fœtus et où il insère un crochet pour l’aider à sortir. Toutefois, il indique au
début que cette méthode n'est utilisée que lorsque le fœtus est mort à l’intérieur de la femme
et qu'il ne veut pas sortir. Il mentionne également que cette procédure est très dangereuse
(Kapparis, 2002). À l'instar d’Hippocrate, Celse a aussi un passage sur cette méthode, mais elle
est plus sommaire, moins précise.
Efficacité
Selon Prioreschi (1995), les médecins de l’Antiquité classique n’avaient pas des moyens
efficaces pour induire l’avortement, mis à part les moyens mécaniques qui étaient considérés
comme très dangereux et donc utilisés très rarement. Aussi, il y avait tellement de produits
différents dits abortifs que même ceux qui auraient pu l’être réellement étaient noyés dans
cette longue liste et n’auraient donc pas été utilisés plus fréquemment que les autres produits
inefficaces. Dans les recettes abortives de la plupart des anciens auteurs, la dose des plantes ou
autres produits à utiliser n’est pas mentionnée. Il faut un minimum de produit pour qu’il y ait un
effet et un maximum à ne pas dépasser pour ne pas causer de problèmes de santé à la femme.
Donc, sans le minimum de dosage requis, le produit est inefficace (Nelson, 2009). En plus, les
plantes peuvent varier grandement d’une région à l’autre, et donc les doses des composés
chimiques qui ont comme propriété d’être abortive changent aussi, et peuvent donc rendre le
produit inefficace (Nelson, 2009). Toutefois, le simple fait qu’autant de remèdes et ingrédients
différents aient été inscrits dans les livres, cela peut nous indiquer que les médecins et
pharmaciens ne trouvaient pas qu’ils étaient fiables, et qu'ils continuaient donc d’expérimenter
et d’inventer de nouveaux remèdes abortifs (Kapparis, 2002).
Les méthodes abortives qui étaient considérées efficaces étaient aussi considérées
comme les plus dangereuses pour la vie de la mère. Voici un passage de Galien (cité par
Kapparis, 2002) qui prouve cet argument : «Most of the drugs… are too weak to be efficient for
such an undertaking, but some, even though potent, are dangerous for human life». Pour la
population générale, l’avortement est vu comme étant dangereux, et ce beaucoup plus qu’une
grossesse ou qu'une fausse-couche naturelle. Ovide dans son poème nous démontre justement
sa crainte de perdre sa maîtresse Corinne lorsqu’elle se fait avorter. De même, Julie qui avait
une relation incestueuse avec son oncle Domitien et qui a eu plusieurs avortements en mourût à
l’âge de 25 ans (Gourevitch, 1984; Gourevitch et Raepsaet-Charlier, 2001).
L’avortement dans l’Antiquité grecque et romaine – Opinions et motivations
Nous allons maintenant aborder le débat qui était présent à propos de l’avortement
dans l’Antiquité, premièrement nous allons voir ce qu’en disaient la religion et la politique,
ensuite les différents opinions des médecins et philosophes et pour finir, nous allons explorer ce
que la population en général pensaient sur ce sujet, en séparant celui des femmes et des
hommes. Avant de commencer, voici un aperçu général de l’avortement. Sur les 120 citations
sur l'avortement de l'époque de l'Antiquité grecque et romaine analysées par Van de Walle
(1998), il y en aurait 58 où la raison de l’avortement n’est pas citée et 7 cas avortements
résulteraient plutôt d’un accident, comme lors d’une bataille entre deux hommes où la femme
serait bousculée. J’emprunte ici le tableau de Van de Walle sur les motifs des avortements dans
l’Antiquité :
Indications sociales :
Éviter une naissance illégitime, adultérine ou incestueuse
Éviter d’avoir des enfants esclaves ou soumis à un régime d’oppression
Problèmes de succession, compétition entre héritiers
Hostilité au mari ou jalousie
Remariage d’une femme enceinte
Indications esthétiques :
Pour conserver sa beauté
23
10
4
2
5
2
13
8
Prostitution
Indications médicales
Indications économiques
Divers :
Intérêt eugénique de l’État
Rite hérétique
5
8
5
6
4
2
Dans 75 citations, il y a une désapprobation plus ou moins absolue de l’avortement.
Pour 11 citations, qui sont majoritairement des médecins, l’avortement est reconnu seulement
lorsque la vie de la femme enceinte est en danger ou lorsqu'ils préviennent des dangers des
abortifs, tandis que 16 autres citations de pharmacologues ou naturalistes mentionnent des
recettes sans toutefois exposer leur opinion. Enfin, 17 citations sont plutôt d'auteurs qui
semblent dire que l’avortement est normal même s’ils ne mentionnent pas s’ils l’approuvent
eux-mêmes (Van de Walle, 1998).
Religion et politique
Puisque la plupart de la population en général n’était pas en accord avec l’humanité
attribué aux fœtus, l’avortement n’était pas considéré comme un crime ou un homicide, ni vu
comme une offense pour les dieux. Les religions ne sont donc pas intervenue dans le débat sur
l’avortement et restera indifférente face à ce sujet (Edelstein, 1967; Kapparis, 2002). Les
religions n'accordant aucune valeur humaine à l’embryon considèrent par contre que l’acte luimême de l’avortement serait comme une pollution pour l’être humain puisque ce qui sort du
corps (sang, excrément et autres) est considéré comme de la souillure et crée une rupture avec
ce qui est sacré; la femme devrait donc suivre un rite de purification (Bernard et al., 1989).
Plusieurs passages mentionnent justement qu’une purification serait nécessaire et qu'il ne faut
pas entrer dans un temple après un avortement, tout comme lors des menstruations, après des
relations sexuelles, d’accouchement ou de mort dans la famille, bien que le nombre de jours à
respecter change d'une source à l’autre (Kapparis, 2002). Il faut toutefois souligner que le
nombre de jours de purification nécessaire après l’avortement semblerait augmenter plus tard
dans la période de l’Antiquité grecque et romaine puisque l’attitude face à ce sujet devient plus
hostile.
La première loi qui peut être retracée dans le Digeste par rapport au fœtus est celle-ci :
«les femmes enceintes condamnées à mort ne peuvent être exécutées avant l’accouchement.
Cette loi a été introduite en Grèce (parce que) le fils est du père et de la mère», donc cette loi
considère le fœtus comme un futur héritier pour le père et il possède des droits patrimoniaux
(Angeletti, 1992). L’ambivalence par rapport au statut du fœtus, l’importance de la liberté des
individus et l’idée dominante que la société fonctionne mieux avec de petites familles sont tous
des facteurs qui ont fait en sorte que la politique ne voyait pas d’intérêt à contrôler
l’avortement, et qu'elle laissera donc cet enjeu aux individus et aux familles concernées.
Habituellement, c’était plutôt le pater familias (« père de la famille » en latin) ou le censeur, un
magistrat romain, qui était en charge de décourager ou de punir un avortement. Même que,
selon Aristote, l’épouse n’est seulement qu’un pot de fleur où le père peut faire pousser sa
semence (Watts, 1973). Donc, aucune loi grecque ou romaine ne protégeait le fœtus. Par
contre, dans certaines villes, il y aurait eu des poursuites du père contre la mère qui aurait
enlevé le droit à sa progéniture en effectuant un avortement (Edelstein, 1967). Un des plus
célèbres cas d’avortement qui fût porté devant le Conseil d’Aréopage est celui d’Antigène qui
désirait faire reconnaître sa femme coupable d’homicide après avoir provoqué un avortement,
mais cette accusation fût rejetée (Kapparis, 2002). Le Digeste, une compilation de citations de
juristes romains, ne considère pas le fœtus comme étant un être humain, mais plutôt comme
une partie de la mère, et donc l’avortement ne peut pas être considéré comme un homicide.
La Grèce, qui était séparée en plusieurs petits états, ne voyait pas l’importance d’avoir
de grandes familles et d’augmenter la population puisque, pour elle, moins il y a de citoyens,
plus il est facile de contrôler la société. Il n’y avait donc pas de loi qui empêchait l’avortement
parce que cette pratique n’était pas une menace pour la société. Même que Platon mentionne
dans le République qu’il serait avantageux d’avoir recours à l’avortement pour limiter le nombre
de naissance (Kapparis, 2002). Il aurait aussi dit que lorsque les parents ne sont plus dans la
tranche d’âge où il est idéal de procréer, un avortement devrait avoir lieu, par exemple lorsque
la mère dépasse la quarantaine (Bujalkova, 2007; Edelstein, 1967). Platon avait plutôt une
opinion eugéniste par rapport à l’avortement puisque, selon ce philosophe grec, il serait
avantageux d’avorter les enfants qui ne proviennent pas de parents dans leur meilleur âge pour
procréer ou qui proviennent d’une relation illégitime, et ce par peur que ces progénitures ne
seraient pas d’une qualité maximale (Carrick, 2001). Voici à cet effet un passage provenant de
Platon : «As soon, however, as the men and the women have passed the age prescribed for
producing children, we shall leave them free to form a connection with whom they will…; and all
this only after we have exhorted them to see that no child, if any be conceived, shall be brought
to light, or, if they cannot prevent its birth, to dispose of it on the understanding that no such
child can be reared» (Carrick, 2001; Pundel, 1971). Aristote semblait du même avis lorsqu’il a
mentionné que l’avortement devrait être utilisée pour contrôler le nombre de citoyens dans la
population, mais ce avant que le fœtus ait atteint une âme sensitive, puisqu’il ne considère pas
le fœtus comme un être vivant au début de la conception (Angelettis, 1992; Kapparis, 2002;
Pundel, 1971). Ce qui signifie donc vers 40 jours après la conception pour les garçons et 90 jours
pour les filles (Carrick, 2001), sinon ceci est contre la sainteté (Edelstein, 1967). Voici les mots
d’Aristote sur ce sujet : «Il doit y avoir sur le sort des nouveau-nés, une loi qui décide ceux qu’on
exposera et ceux qu’on élèvera; qu’il ne soit jamais permis d’en élever aucun de ceux qui
naissent mutilés, c’est-à-dire privés de quelques-uns de leurs membres; qu’on détermine au
moins, pour éviter la surcharge du trop grand nombre, s’il n’est pas permis par les lois du pays
de les abandonner, jusqu’à quel chiffre on en aura et qu’on fasse avorter les mères avant que
leurs fruits aient sentiment et vie» (Bernard et al., 1989; Carrick, 2001; Kapparis, 2002). Par
contre, ceci n’est que l’opinion de deux hommes et il n’y a pas de preuve que l’avortement ait
vraiment été utilisé pour ces raisons, même que d’autres personnes trouvaient que
l’avortement était éthiquement incorrect. Par ailleurs, dans le temps Romain, la politique était
en faveur d’augmenter la population par peur de ne pas pouvoir se défendre contre leurs
ennemis, mais les romains de l'élite n’avaient pas la même opinion et désiraient plutôt de
petites familles. Les femmes de ce milieu avaient donc tendance à se tourner vers l’avortement.
Les Perses étaient du même avis que les Romains, mais se sentaient encore plus comme une
minorité visible. Ils ont pris plusieurs moyens pour augmenter leur population, notamment la
polygamie, et ils ont imposé une loi très stricte contre l’avortement (Kapparis, 2002).
Stobée semble dire dans son Anthologie grecque que Caius Musonius Rufus, un
philosophe stoïcien de Rome, aurait écrit dans ses propres textes qu’il était en accord avec la
politique d’augmenter les naissances d’Auguste, empereur romain et fils adoptif de Jules César,
et même que certains législateurs avaient interdit l’avortement en donnant des peines
(Angeletti, 1992). Selon un Pseudo-Galien et Musonis, des lois contre l’avortement auraient été
créées par Solon (594-590 avant J.-C.), un homme d’État, et Lycurgue (884-871 avant J.-C.),
législateur de Sparte, mais aucun écrit ne les confirme et plusieurs doutent de leur existence
(Angeletti, 1992; Pundel, 1971). Par contre, peut être que Lycurgue aurait simplement
réglementé avec des «lois non-écrites» ou des «coutumes ancestrales» puisque l’avortement
est plutôt un sujet moral portant à discussion philosophique (Angeletti, 1992). Dans la Vita
Lycurgi de Plutarque, l’histoire mentionne que la reine veuve désire avorter de son enfant pour
marier Lycurgue et le prononcer roi, mais que Lycurgue est contre cette idée et désire plutôt
abandonner le nouveau-né. Par contre, il ne le fît pas et l’annonça plutôt comme futur roi de
Sparte. Lysias (Ve siècle av. J.-C.), un orateur attique, aurait fait un discours contre l’avortement
disant que la femme devrait être condamnée puisque le fœtus est comme un homme, mais il
s'agit plutôt d'un discours moral puisqu'aucune trace de lois contre l’avortement ne peut être
trouvée (Angeletti, 1992). Il est donc le premier à avoir souligné que le problème avec
l’avortement est de savoir si le fœtus est un être vivant ou non, et Lysias considère qu’un fœtus
possède une âme à partir du 6e et 7e mois (Pundel, 1971).
Ce ne serait qu’au troisième siècle qu’une femme aurait été punie légalement par l’exil:
«To the reign of Septimius Severus and Antonius Carcalla belong the first legal measures of the
Roman state against abortion. The reasons for these sanctions are revealing, in the first instance
the rescript involves a women who after a divorce has an abortion against the will of her
husband» (Digeste cité par Bernard et al., 1989; Morin, 1997). Malgré différentes opinions,
celle-ci aurait été introduite par l’empereur Caracalla et Septime Sévère au moment où Rome
avait beaucoup de menaces extérieures puisqu’ils voulaient augmenter le nombre de citoyens
dans la population romaine, afin de conserver leur identité et leur vaste territoire (Kapparis,
2002). Dans le Digeste, il est également indiqué que le marchand qui vend des drogues abortives
qui tue une femme est condamné par la mort (Gourevitch et Raepsaet-Charlier, 2001; Morin,
1997). Ce ne serait donc pas pour des raisons éthiques ou parce que les médecins et les
philosophes se sont mis en accord sur l’humanité attribuable au fœtus que cette loi aurait été
créée, mais simplement pour des raisons politiques dont celle de protéger l’héritier du mari
(Kapparis, 2002). Il semble également que, lorsque le mari décidait d’avorter l’enfant ou lorsque
la femme était célibataire, aucune sanction n'était imposée (Morin, 1997).
Médecins et philosophes
Étant donné la grande importance attribuée à l’âme pour les Pythagoriciens et la
croyance ou l'idée que celle-ci se forme dès le moment de la conception, il est donc légitime de
croire qu’ils condamnaient sûrement l’avortement de manière générale. Si le fœtus possède une
âme, et ce autant qu’un adulte, il serait plutôt juste de laisser les dieux décider de l’avenir de
l’âme et ce même lorsque la mère est en danger (Carrick, 2001).
Dans le serment d’Hippocrate, il est indiqué qu’il ne faut pas remettre de pessaire
abortif à une femme enceinte: « Je ne remettrai à personne, même sur sa demande, une drogue
mortelle, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion. De même, je ne remettrai pas non
plus à une femme de pessaire abortif » (Bodiou, 2005). Cette citation, qui date de l’Antiquité
grecque, pose un problème d’interprétation chez plusieurs personnes puisque seule la méthode
abortive à l’aide de pessaire est mentionnée. En effet, certains disent que toutes les méthodes
abortives sont interdites selon Hippocrate puisqu’il mentionne cette phrase toute suite après
qu’il ait écrit qu’aucune drogue mortelle ne devrait être remise. D’autres pensent plutôt
qu’Hippocrate n’ait seulement mentionné les pessaires puisque cette méthode est considérée
comme dangereuse pour la femme enceinte (Bodiou, 2005). En plus, Edelstein et d’autres
auteurs qui lui ont succédé croient que le Serment ne serait pas d’origine Hippocratique. Selon
eux, il proviendrait plutôt des pythagoriciens puisqu’il y a plusieurs contradictions entre le
Serment et les pratiques de ces médecins hippocratiques, tandis que le Serment représente
vraiment les coutumes de Pythagore et ses successeurs (Edelstein, 1967; Angeletti, 1992;
Pundel, 1971). Soranos mentionne que ce passage du Serment d'Hippocrate a provoqué
différentes opinions chez les médecins philosophes de cette époque puisque certains étaient
contre l’avortement de manière générale; d’autres, dont lui-même, y étaient favorables dans
certaines circonstances seulement, comme lorsque la mère ou l’enfant est en danger; et
finalement, certains croyaient plutôt que c’est la méthode d’avortement qui compte, donc
aucune drogue ou pessaire (Bujalkova, 2007; Kapparis, 2002; Pundel, 1971; Riddle, 1992;
Soranus, 1991). Soranos était contre l’avortement non seulement parce que c’est ce qu’il avait
compris du serment d’Hippocrate, mais aussi parce que conserver ce que la nature a produit est
selon lui une tâche de la médecine (Edelstein, 1967). Il croyait également que les méthodes
contraceptives étaient beaucoup plus sécuritaires que l’avortement (Soranus, 1991). Pour
Scribonius Largus, le Serment d’Hippocrate indiquait qu’il était interdit d’avorter une femme,
peu importe le moyen (Bujalkova, 2007; Kapparis, 2002; Riddle, 1992). Théodore Priscianus (4e
siècle), disciple et traducteur de Soranos, ainsi que ses prédécesseurs étaient contre
l’avortement de manière générale puisqu’il croyait que ceci était contre la science médicale et
voici ce qu’il a mentionné: «It is not permissible to give anyone an abortifacient, because as the
oration of Hippocrates attests, it is not appropriate for the conscience of the doctors to soil an
office destined to do no harm with such a grave offence» (Kapparis, 2002), sauf dans le cas où la
mère est en danger de mort, par exemple lorsque la mère trop jeune (Bujalkova, 2007; Riddle,
1992). Par contre, une traduction arabique préservée par Ibn Ali Usaybia et une autre
traduction médiévale semblent mentionner qu’il est seulement interdit de donner des pessaires
(Jones, 1924 cité par Riddle, 1992), même que le père Tertullien accuse Hippocrate de posséder
des instruments chirurgicaux pour démembrer le fœtus et suggère qu’Hippocrate et ses adeptes
étaient associés à des procédures abortives (Riddle, 1992).
Au début de ce document, nous avons expliqué que la plupart des médecins de
l’Antiquité classique attribuaient une humanité au fœtus à des moments différents entre la
conception et l’avortement. Donc, selon la majorité des médecins et philosophes gréco-romains,
le fœtus n’avait pas encore d’âme lors des premières semaines de grossesse. Certains d’entre
eux, tel qu'Aristote et Hippocrate, employaient même d’autres termes que celui d’avortement
comme «efflux» ou «pertes» (ekrusies) lors des six ou sept premiers jours suivant la conception,
et «dissolution of the conceptus» par Soranos dans les 30 premiers jours de la grossesse
(Androutsos, 2002; Angeletti, 1992; Bujalkova, 2007; Kapparis, 2002). Pour Hippocrate, la
conception arrive lorsque la semence de l’homme a fait coaguler celle de la femme et donc,
avant cela, il s’agirait plutôt d’une méthode contraceptive qui empêche ce mélange de se
produire dans l’utérus (Bodiou, 2005). Ceci pourrait expliquer le fait qu’il ait aidé une prostituée
à se faire avorter avec des sauts énergétiques quelques jours après la relation sexuelle. Donc, la
plupart des grecs n’attribuait pas d’humanité à un fœtus non formé et n’utilisait pas en général
le terme avortement dans un stade précoce de la grossesse.
Toutefois, même si plusieurs médecins de l’Antiquité classique étaient d’accord avec
l'idée que l’avortement était contre la nature de la médecine, la plupart ont tout de même
mentionné différentes méthodes d'avortement dans leurs ouvrages. De fait, selon K. Hopkins
(1965), 18 auteurs en médecine sur 22 parlent d’avortement dans leur ouvrage et 15 donnent
des conseils à ce propos. Il avance même que l’avortement serait mentionné plus fréquemment
que la contraception ou les méthodes qui aideraient la conception dans les anciens ouvrages.
Par contre, ceci pourrait être dû au fait que les méthodes abortives n’étaient pas très efficaces
ou simplement parce que les méthodes contraceptives étaient mal différenciées des méthodes
abortives à cette époque, sauf pour Soranos et Dioscoride qui comprenaient que la
contraception était le fait d’empêcher la conception, tandis que le fœtus déjà formé est détruit
lors d’un avortement (Hopkins, 1965; Nelson, 2009; Soranus, 1991). En effet, tel que
mentionné plus haut, Scribonius était contre l’avortement, mais il décrit tout de même dans
son ouvrage une méthode d’avortement à utiliser si la santé de la femme est en danger. Par
contre, il n’est pas le seul à le faire. Galien critique les autres auteurs qui mentionnent des
méthodes abortives dans leur ouvrage, mais il fait la même chose en précisant que ces
techniques devraient être utilisées lorsque la santé de la mère en dépend. Soranos nomme aussi
des méthodes d’avortement, mais il indique qu’il est contre un avortement pour des raisons
comme un adultère ou pour la vanité de la femme. Pareillement, Priscianus décrit les herbes et
substances abortives après avoir dit qu’il est contre l’avortement (Edelstein, 1967; Kapparis,
2002). Certaines personnes peuvent penser que ceci est de l’hypocrisie, mais il ne faut pas
oublier que même si les médecins refusent d’avorter, il y toujours des charlatans ou des femmes
qui décident de s’avorter elles-mêmes avec des techniques encore plus dangereuses pour leur
vie. Donc, il était mieux de mentionner des méthodes plus sécuritaires, même si elles présentent
tout de même des risques. En effet, Hippocrate mentionne à plusieurs reprises dans ses
ouvrages qu’il aurait aidé des femmes dont la vie était en danger car elles avaient utilisé des
pessaires âcres et même des objets coupants (Van de Walle, 1998). Tel que mentionné plus
haut, la plupart des médecins étaient itinérants et il est fort possible qu’ils cédaient à la
tentation d’avoir de l’argent et qu'ils devaient donc mettre leurs valeurs de côté pour pouvoir
survivre.
Les Stoïques était favorable à l’avortement puisque, pour eux, le fœtus est simplement
une continuité du corps de la mère, comme un fruit pour un arbre. Celle-ci peut donc faire ce
qu’elle veut avec le fœtus avant qu'il ne soit prêt et naisse (Carrick, 2001). De fait, plusieurs
médecins grecs et romains croyaient qu’une bonne raison pour effectuer un avortement est
lorsque la santé de la femme enceinte est en danger. Hippocrate, Galien et Soranos en
mentionnent quelques-uns; le passage où l’utérus est trop petit, un fœtus mort, une fissure, une
tumeur ou de l’inflammation dans le passage (Kapparis, 2002). Même si ces conditions ne sont
aujourd'hui que de simples complications, celles-ci pouvaient mettre la vie de la mère ou de
l’enfant en danger dans l’Antiquité classique. En effet, dans les livres d’Hippocrate, 27 cas
d’avortement thérapeutique sont mentionnés, comme lorsque le fœtus est mort ou
endommagé (Demand, 1994). Par contre, il ne faut pas oublier le passage où Hippocrate aide
une jeune prostituée danseuse à avorter d’un embryon d’une semaine en sautant dans les airs
tout en touchant ses fesses avec ses talons. Dans Commentary on Hippocrates ‘On the nature of
the child’ (cite par Kapparis, 2002), John d’Alexandrie mentionne qu’Hippocrate aurait aidé une
courtisane (prostituée) qui menaçait de se pendre à avorter puisque sa beauté était plus
importante que sa vie. Donc, le médecin aurait eu de l’empathie pour cette femme et préférait
perdre une vie au lieu de deux. Tel que mentionné plus haut, Théodore Priscianus pensait aussi
qu’une des seule raisons valables pour effectuer un avortement est lorsque la vie de la mère en
dépend, tout comme Aetius d’Amide (502-525), médecin byzantin.
Selon Soranos, Socrate et Platon, les sages-femmes auraient eu comme tâches
d’effectuer des avortements, mais elles devaient le faire seulement lorsque le fœtus était
immature et ne devaient pas le faire pour de l’argent. De fait, il se pourrait que les sagesfemmes étaient issues de familles pauvres et qu'elles devaient justement travailler pour cette
raison (Carrick, 2001; Kapparis, 2002). Socrate mentionne notamment que les sages-femmes
sont reconnues: «… si elles jugent utile l’avortement du fœtus encore peu avancé, elles le font
avorter» (Carrick, 2001; Pundel, 1971). Par contre, ces sages-femmes, ou iatrina, étaient moins
impliquées dans le dilemme éthique de l’avortement, elles auraient donc effectué des
avortements pour des raisons telles que l’adultère (Kapparis, 2002). On dit même que les
femmes auraient rarement eu recours aux médecins pour effectuer un avortement, sauf dans
des cas désespérés, puisqu’elles allaient plutôt voir les sages-femmes ou toutes autres femmes
ayant un savoir sur cet aspect (Bodiou, 2005). Galien, Soranos et Aetius mentionnent que
plusieurs femmes et accoucheuses ont pratiqué des avortements, mais aussi enseigné aux
autres les méthodes abortives, dont Aspasie (la compagne de Périclès), Olympias, Cléopâtre,
Laïs et Elephantis (Pundel, 1971). Un traité sur les maladies des femmes aurait été écrit par une
femme, qui aurait probablement emprunté le nom de Cléopâtre, et elle aurait inclus dans celuici une liste de pessaires emménagogues et expulsifs ainsi que quelques méthodes abortives
(Congourdeau, 1991; Riddle, 1992). Métrodore, une autre femme, mentionne la recette d’un
purgatif ombilical qui expulse les fœtus qu’elle aurait elle-même essayé, ainsi que d’autres
produits emménagogues (Congourdeau, 1997).
Les femmes
Comme nous avons souligné plus haut, l’adultère était très mal vu à cette époque. On
peut donc comprendre à quel point une femme préférait avoir recours à un avortement que
d'en subir ces conséquences ou d’amener la honte dans sa famille à cause d’une grossesse
illégitime. Par contre, lorsque le mari est présent, il peut être difficile de savoir si l’enfant n’est
pas de lui, sauf lorsque l’amant est d’une ethnie différente. Par exemple, lorsque la femme à la
maison trouve plus de réconfort avec son esclave, qui habituellement venait d’Afrique, qu'avec
son mari, il pouvait être avantageux d’utiliser un abortif à l’insu de son mari et de continuer sa
vie sans conséquence. Pour les hommes qui étaient partis longtemps, comme par exemple à la
guerre, les femmes n’avaient pas l’option de poursuivre la grossesse sous prétexte que l’enfant
provient du mari, et donc elles avaient avantage à utiliser une méthode d’avortement (Kapparis,
2002).
La prostitution était très fréquente dans l’Antiquité classique même que, à l'époque
grecque, c’était parfaitement légal et accepté par la religion et la société. Par contre, à l'époque
romaine, la prostitution était reconnue comme un métier de basse classe et il existait des règles
pour que les femmes ne puissent pas monter dans la hiérarchie. Les gens voyaient cette
profession comme nécessaire pour combler le désir sexuel des hommes qui autrement aurait
été dirigé vers les femmes décentes, et dont on considère qu'elles méritent mieux que de
remplir l’appétit sexuel des jeunes hommes (Kapparis, 2002). Pour les femmes exerçant ce
métier, la beauté de leur corps était très important puisque c’est grâce à lui qu’elles peuvent se
faire de l’argent et même demander plus cher que les autres. Ces femmes avaient des
connaissances sur les moyens de contraception pour éviter une conception, comme par
exemple un suppositoire vaginal qui rend le milieu vaginal alcalin ou qui bloque mécaniquement
l’entrée, ou même l’application d’huile d’olive ou de miel à l’ouverture de l’utérus. Toutefois,
ces moyens n’étaient pas toujours efficaces et elles avaient donc recours aux méthodes
abortives lorsqu’elles ressentaient les premiers signes de grossesse. Hippocrate y fait
notamment référence : «The courtesans, the public women, who have a lot of experience of
such things, when they go with a man, they know it every time they have conceived; then they
have an abortion» (Kapparis, 2002). Un autre passage d’Hippocrate décrit une musicienne qui
offre des faveurs sexuelles aux hommes dans les fêtes : «Une femme que je connais avait une
chanteuse renommée ayant commerce avec les hommes; il ne fallait pas qu’elle devînt enceinte,
pour ne pas perdre de sa valeur. Cette chanteuse avait entendu ce que les femmes se disant
entre elles : que si une femme doit devenir enceinte, le sperme ne sort pas mais reste dans la
matrice. (…). Dès qu’elle s’aperçut que le sperme ne sortait pas; elle le dit à sa maîtresse et le
propos vint jusqu’à moi. Et moi, j’invitai à sauter en faisant aller ses talons jusqu’à ses fesses.
Elle l’avait déjà fait sept fois, lorsque le sperme coula à terre en faisant un bruit» (Bodiou, 2005;
Hippocrate, 1961; Kapparis, 2002; Lefkowitz et Fant, 2005; Pundel, 1971).
À l'époque grecque, il semblerait que la beauté de la femme était tout aussi important
ou même plus que dans notre société actuelle. Les femmes se maquillaient, s’habillaient bien et
portaient des bijoux pour séduire leur mari ou futur mari. Par contre, avoir des enfants et
former une famille était plus important pour les Grecs. Il ne semblerait donc pas que les
femmes mariées aient utilisé des méthodes d’avortement simplement pour pouvoir garder leur
beauté (Kapparis, 2002). Toutefois, à l’époque romaine, l’aspect de la beauté semblait plus
important et le fait d’avoir des enfants aurait été moins valorisé qu'à l'époque grecque, et ce
surtout dans les milieux favorisés (Carrick, 2001; Kapparis, 2002). ). Voici un passage de Aulus
Gellius dans Attic Night cité par Kapparis (2002): «The foetuses conceived in their bodies are
aborted, so that the flatness of the abdomen is not wrinkled, and it does not become loose by
the weight of the burden and labours of childbirth. » En plus, l’élite romaine aurait préféré de
petites familles et ceci pour faciliter l’héritage, autrement dit, pour ne pas diviser la fortune de
la famille en de nombreuses parties (Androutsos, 2002; Kapparis, 2002). Selon Platon, l’idéal
pour une famille était d’avoir un garçon et une fille, notamment parce que les filles n’amènent
pas de revenu à la maison puisqu’elles ne travaillent pas, mais aussi parce qu'elles doivent
prendre des biens de la famille lorsqu’elles se marient (Androutsos, 2002Juvénal, un poète de
l’Antiquité classique, aurait justement écrit un passage à propos des gens de haute classe qui
ont les moyens d’acheter les médecins : «les pauvres à la rigueur acceptant leur progéniture,
«mais sur un lit doré on ne voit guère de femmes en couches», car, dans ce milieu, on connaît
bien «les drogues qui rendent les femmes stériles et tuent à prix fait les enfants dans le sein de
leur mère». Et cela vaut mieux, car si l’épouse «voulait bien dans son ventre distendu sentir le
tressaillement douloureux de l’enfant», celui-ci pourrait bien être un Éthiopien!» (Gourevitch, D.
et Raepsaet-Charlier, M.-T., 2001; Kapparis, 2002).Ce passage parle également des relations
adultères entre les femmes et leur esclave, qui était majoritairement d’origine africaine,
notamment de l’Éthiopie.
L’avortement pour des raisons socio-économiques était beaucoup plus rare dans
l’Antiquité classique que de nos jours puisque le rôle des femmes était majoritairement celui de
s’occuper de la famille. Donc, elles n’avaient pas vraiment de carrière qui les empêchait d’avoir
des enfants. Il y avait aussi d’autres méthodes, moins dangereuses pour la mère que
l’avortement, lorsque la famille avait des problèmes financiers dont l’exposition des bébés (qui
veut dire l’abandon du nouveau-né dès sa naissance), l’infanticide ou le déshéritement de
l’enfant (le refus d’accepter sa légitimité) (Kapparis, 2002).
Les hommes
Étant donné l’importance pour le père d’avoir un héritier, on peut donc comprendre
qu’un homme de cette époque pouvait devenir très irrité si sa femme se faisait avorter sans lui
demander la permission. Une des premières raisons reconnues pour le divorce à Rome était
justement lorsque la mère a donné du poison à leur enfant (Devereux, 1976). Il y a même un cas
qui s'est retrouvée devant les tribunaux : «Antigenes suspected that his wife’s abortion was
deliberately procured by means of drugs, and felt hurt and angry. He might even have been in a
position to confirm that she had taken drugs, and he was determined to avenge the injury to his
emotions, his interests as a father, and the damage to his oikos. Nothing would deter him from
seeking for revenge, not even the fact that the laws of the city did not consider his wife’s action
to be an offence. He was convinced that she had killed his child, and saw himself in the role of
the avenger of his dead child’s life. He believed that his wife deserved the same punishment as
the killer of any other human being, and decided to bring homicide charges against her»
(Kapparis, 2002). Comme mentionné plus haut, il ne gagna pas sa cause puisqu’aucune loi à
cette époque ne supportait son opinion. Plusieurs histoires littéraires et de pièces de théâtre de
ce temps parlent de sympathie au père qui a perdu la chance d’avoir un enfant, et c’est donc le
père qui est la victime de la décision d’avortement de la mère. Par exemple, dans une pièce
d’Euripide, son personage mentionne : «For if I gave drugs to your daughter and made her
womb abort, as she claims, I will not kneel before the altar, but willingly, rather than unwillingly,
I will be punished by your son-in-law, to whom I am equally responsible, if I have deprived him
of children » (Kapparis, 2002). Par contre, la plupart des avortements avaient lieu sans que
l’homme ne le sache puisqu’il était difficile de faire la différence entre un avortement et une
fausse-couche ou simplement parce que la femme le cachait à son mari. Effectivement, il ne faut
pas oublier que les avortements étaient généralement plus fréquents chez les femmes adultères
et chez les prostituées, donc les hommes concernés n’en avaient aucune idée (Kapparis, 2002).
Un passage de Plutarque, historien et penseur de Rome, sur les femmes de Sparte cité par
Lefkowitz et Fant (2005) démontre bien cet aspect: «when a young women who had a secret
love affair aborted her baby, she endured bravely and never uttered a sound, so that her father
and the other people nearby did not know that she had been in labour. Bearing her suffering
with propriety cancelled out her impropriety».
Ovide aurait écrit deux poèmes parlant d’avortement puisque Corinne, sa maîtresse que
plusieurs auteurs croient fictive, aurait eu recours à cette méthode. Selon Watts (1973), Ovide
avait différentes opinions sur ce sujet dont celle que l’avortement est dangereux, qu'il n’est pas
naturel et qu'il serait une menace pour la nature sociale des êtres humains. En effet, dans son
poème, Ovide semble avoir peur pour la vie de Corinne puisqu’il l’aime et ne veut pas la perdre :
«In the foolish attempt to destroy the weight in her belly, Corrina lies exhausted near death. For
taking such a risk without my knowledge she deserves my anger, but out of fear I forget my
anger » (Watts, 1973). Il mentionne également dans un de ses poèmes qu’aucune tigresse ou
lionne aurait l’instinct de tuer ses propres petits. Donc, selon lui, l’avortement serait anormal
tout comme l'utilisation d'une méthode violente ne serait pas naturel. Il croit également que les
femmes qui pratiquent l’avortement sont égoïstes : «What pleasure can it be for girls, though
exempt from military service, to hold back and refuse to follow the heartless troops, armed with
a shield, if in peacetime they endure wounds inflicted by their own weapons and arm their
unseeing hands against their natural fate?» Finalement, Ovide pense que l’avortement peut
causer une dépopulation, et même que le fœtus avorté aurait pu être un génie et apporter
quelque chose de bien à la société, mais que maintenant le monde en sera dépourvu (Watts,
1973).
Conclusion
Plusieurs choses ont changé depuis l’Antiquité classique sur la question de l’avortement.
Tout d'abord, nos connaissances médicales se sont beaucoup améliorées, que ce soit pour
l’anatomie de l’homme et de la femme, la conception et le développement du fœtus, ainsi que
les méthodes abortives. En effet, grâce à l'avancement des technologies biomédicales, nous
avons pu observer le fœtus grandir à l’intérieur de l’utérus et ainsi mieux comprendre son
développement. En effet, nous avons résolu certains dilemme de l’Antiquité, dont la question si
la femme produit une semence ou non. Nous savons depuis plusieurs siècles que la femme
fournit effectivement un matériel génétique à l’aide des ovaires, et qu’elle contribue à 50% à
l’ADN de l’enfant. Les médecins et philosophes se questionnaient aussi sur le meilleur moment
pour la conception de l’enfant et maintenant, non seulement que nous avons les réponses, mais
nous avons même développé des outils qui peuvent nous indiquer si la femme est dans sa
période d’ovulation. Nous pouvons aussi dire à quel moment le fœtus a été conçu et lorsqu’un
enfant ne nait pas après 9 mois de grossesse, nous allons souvent provoquer l’accouchement. Il
est toutefois intéressant que dès l’Antiquité, Soranus avait mentionné qu’il ne faut pas
consommé d’alcool, sinon le fœtus ne sera pas formé parfaitement. Par contre, la technologie a
suscité un nouveau débat, qui n’était pas présent dans l’Antiquité, qui est celui d’avorter un
fœtus qui est déformé, comme par exemple lors d’une trisomie 21. Bien sûr dans l’Antiquité, il
ne faut pas oublié que ces enfants sont souvent exposés lors de la naissance. Aujourd'hui, nous
avons même la possibilité de créer une conception in vitro pour les couples qui ont des
problèmes de stérilité. En outre, nos recherches empiriques nous ont permis de trouver des
méthodes d’avortement sécuritaires et efficaces pour les femmes. Dans l’Antiquité, il y avait
énormément de choix par rapport à la méthode et aux ingrédients qui suscite un avortement,
par contre ceux-ci étaient en général pas très efficace ou très dangereuse pour la santé de la
femme enceinte. Aujourd’hui au contraire, nos méthodes sont très efficaces et sécuritaires pour
la femme. Nous avons aussi beaucoup développé le côté chirurgicale de l’avortement, qui était
assez rare dans l’Antiquité puisque c’était beaucoup trop dangereux étant donnée le risque
d’hémorragie et d’infection. Par contre, même avec toute cette nouvelle technologie, la
question à quel moment le fœtus acquière son humanité est toujours en débat, comme pour
nos ancêtres. Toutefois, ce qui semble avoir le plus changé est la liberté de la femme face à
l’avortement. Dans l’Antiquité classique, c’est l’homme qui devait décider du sort du fœtus, à
savoir s’il le voulait ou non comme héritier, et les lois protégeaient le fœtus contre l’avortement
non pas pour son propre bien, mais plutôt pour celui du père. Dans notre société, c’est plutôt le
contraire, c’est la femme qui est responsable de l’avenir du fœtus, et ce même si le père
biologique en veut autrement puisqu’il n’y a aucune loi qui protège un homme contre
l’avortement de son futur enfant au Canada. Les motifs principaux qui poussent les femmes vers
l’avortement sont aussi différents. Autrefois, les femmes subissaient un avortement pour cacher
une relation adultère et pour conserver leur beauté pour les prostitués et certaines femmes
romaines de l’élite. L’aspect socioéconomique était beaucoup moins présent qu’aujourd’hui.
Maintenant les femmes ont des avortements pour ne pas subir de freinage dans leur carrière,
parce qu’elles n’ont pas le moyen financier ou elles sont trop jeune pour élever un enfant ou
simplement parce que l’enfant conçu provient d’une relation d’une soirée.
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