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F a s c i c u l e LIBRE-CHOIX en matière d’avortement 4 LA LUTTE POUR LE DROIT À L’AVORTEMENT LIBRE ET GRATUIT EST L’UNE DES LUTTES LES PLUS IMPORTANTES POUR LE MOUVEMENT FÉMINISTE QUÉBÉCOIS et sûrement l’une des plus mouvementées1 . C’est en 1869 que le Parlement canadien adopte une première loi qui criminalise l’avortement au Canada et il faudra attendre 100 ans, pour que les choses changent2. Mais cette interdiction ne vient pas seule et sera accompagnée, dès 1892, d’une autre, tout aussi importa n te pour les femmes : désormais il leur sera refusé d’avoir recours non seulement à l’avortement, mais aussi à l’information et aux moyens de contraception. C’est une période sombre : des avortements clandestins, souvent pratiqués par des charlatans, mettant en péril la vie de milliers de femmes. On apprend qu’en 1924, près de 25 maisons, seulement à Montréal, pratiquent clandestinement des avortements. Malgré le climat de répression, il est intéressant de noter, qu’en 1936, un procès des plus controversés va concerner une infirmière de l’Ontario, Dorothea Palmer, accusée d’avoir diffusé des renseignements et du matériel sur la contraception, dans une petite municipalité francophone et pauvre. Elle sera acquittée, mais cela nous parle de la résistance des femmes qui, sans être ouverte et organisée, n’en sera pas moins agissante. 1 2 Ce texte est inspiré de la brochure FIIQ, Les infirmières face à l’avortement, 1988, 28 p.; de l’ouvrage de Louise Desmarais, Mémoires d’une bataille inachevée, Montréal, éd. Trait d’union, 1999, 441 p.; et de la recherche-action de la FQPN, Le planning des naissances : portrait des services et paroles de femme, Québec, 2002, 101 p. Pendant toute cette période et malgré des changements mineurs en 1892 et 1955, l’avortement est toujours considéré comme un crime passible d’emprisonnement. Cependant, en 1969, le Bill Omnibus décriminalise l’avortement pour des raisons thérapeutiques et met fin à l’interdiction concernant les moyens contraceptifs. 3 Comment passer sous silence l’attitude intrans i g e a n te et rigide de l’Église catholique, toujours aussi vive de nos jours. À partir de 1869, l’exco m m u n i cation guette to u tes les personnes qui auront fait un avortement et, en 1917, cette mesure s’étendra à toutes les femmes qui auront avorté. L’arrivée sur le marché de la pilule va signifier pour bon nombre de Q u é b é coises une nouvelle autonomie. La publication, en 1968, de l’encyclique Humanae Vitae, vient à la rescousse d’un clergé déjà sur le quivive. Cependant, l’opinion publique prendra de plus en plus ses distances a vec ce discours conservateur qui considère l’objectif du mariage dans la seule perspective de la reproduction et qui défend toute utilisation de moyens contraceptifs. Le Centre de planification familiale des naissances dépose, en 1967, un mémoire en vue de faire amender la loi fédérale relative à l’avortement. Ce mémoire révèle entre autres les conditions inacceptables et dangereuses auxquelles sont encore confrontées les femmes qui doivent avorter. Situation corroborée par le Bureau fédéral de la sta t i stique qui dévoilait que les a vo r tements clandest i n s é taient en 1966, la principale cause des admissions dans les hôpitaux. En 1969, le Bill Omnibus est adopté. Il a pour effet de retirer du Code criminel la loi qui interdisait la diffusion et la vente de contraceptifs et de décriminaliser l’avo r tement pour des raisons thérapeutiques. Les conditions sont limitées : l’avortement doit être pratiqué dans un centre hospita l i e r accrédité, où un comité, formé d’au moins trois médecins, juge que la vie ou la santé de la mère est en danger. Cette modification3 est loin de satisfa i re les féministes. Elles dénoncent le fait que les femmes n’ont toujours pas le contrôle de leurs maternités et que la décision est confiée au pouvoir médical souvent hostile à l’avortement, particulièrement du côté des hôpitaux francophones. Des manifestations auront lieu un peu partout au Québec et marqueront donc le coup d’envoi d’une lutte à tous les pouvoirs en place : judiciaire, 3 4 Il s’agit des articles 251 et 252 du Code criminel canadien. m é d i cal, religieux et politique. L’un des événements décle n c h e u rs est sans contredit les procès du docteur Morgentaler, accusé, en 1970, de pratique illégale d’avortement, i.e. en d e h o rsdu cadre prévu par la loi ca n adienne. Ces procès, qui retiendront l’ a t tention pendant sept ans, vont donner lieu à une grande mobilisation et permettront au mouvement féministe de réclamer pour les femmes de vivre leur sexualité, comme elles l’entendent, et de déte rminer elles-mêmes les conditions dans lesquelles elles veulent vivre leurs maternités. Le gouvernement, en 1977, mettra fin à toute cette saga en libérant le médecin des charges retenues contre lui et en décrétant la fin des poursuites de médecins qui pratiqueront des avo r tements en d e h o rs des hôpitaux accrédités. Le Comité de lutte pour l’avortement libre et gratuit, créé au moment de l’incarcé ration du Dr Morgentaler, rend public, le 8 mars 1977, un manifeste signé par plus de 25 groupes de femmes : Nous aurons les enfants que nous voulons. Quant à l’état des services, il est lamentable. Malgré l’adoption, en 1972, de la première Politique en planification des nais 4 sances, six ans plus tard, seulement 11 CLSC sur 74 offrent des cliniques de planification familiale. À la même période, 14 comités thérapeutiques sur une possibilité de 95 sont fonctionnels et 97,6 % des avortements sont faits à Montréal, dont 93 % en milieu anglophone. Pour contourner cette résistance, le gouvernement va a u toriser l’ouverture de cliniques spécialisées dans les hôpita u x , appelées les cliniques Lazure ce qui va donner lieu à de vives réactions de la part des groupes anti-avortement. Toujours pour pallier le manque de services, le Centre de santé des femmes de Québec ouvre ses portes en 1978. Il sera le premier à offrir des services d’interruption volontaire de grossesse. De son côté, la Coalition, plutôt sceptique quant à l’impact des cliniques Lazure, effectue sa propre recherche et publie, en 1980, un rapport choc , L’avortement : résistance tranquille des pouvoirs hospitaliers, dont l’un des constats concerne la ré s i stance d’un grand nombre de médecins4. Quelques années plus tard, les CLSC prendront le relais et, en 1986, 12 CLSC sur 160 offriront un tel service. C’est au cours de cette période, qu’on assiste à un change- Cette résistance du pouvoir médical sera aussi à l’œuvre dans le débat concernant la reconnaissance des sages-femmes. 5 ment dans le discours. En effet, les féministes, souhaitant élargir leurs appuis, vont commencer à parler du droit de choisir plutôt que du droit à l’avortement. Cela permettra à bon nombre de femmes, opposées à l’avo r tement, de se sentir parties prenantes d’une lutte qui exige, pour toutes les femmes, le droit de décider librement de leurs maternités. Les femmes devront attendre 1988 pour que l’avortement cesse d’être considéré comme un crime au Canada. En effet, la Cour suprême invalide, au nom des droits et libertés garantis par la Charte canadienne, les articles 251 et 252 du Code criminel. Après vingt ans de l u t te, c’est une belle victoire mais de courte durée. En effet, à peine un an plus tard, l’affaire Chantale Daigle vient rappeler combien cette victoire e st fra g i le. Cette histo i re d’une femme, poursuivie par son ex-conjoint violent qui lui interdit de se faire avorter, suscite un tollé à travers le pays et va donner lieu à de nombreuses manifestations. C’est le choc et l’indignation : deux décisions de la Cour supérieure vont donner raison au conjoint Jean-Guy Tremblay et m a i n tenir l’injonction interdisant à 6 C h a n tal Daigle de se faire avorter. Même la Cour d’appel lui refusera le droit d’en appeler. C’est dans ce co ntexte que le gouvernement Mulroney promet une loi. La situation est grave et, dans l’urgence, la Coalition pour l’avortement libre et gratuit publie le Manifeste des femmes du Québec. Elle y dénonce l’offensive du pouvoir judiciaire qui constitue, à ses yeux, une atteinte à la dignité, à la liberté de conscience et au droit à l’égalité des femmes. Les appuis affluent de partout. En plein mois de juillet, une manife station s’organise. Plus de 10 000 personnes viennent scander dans les rues de Montréal : « Ni pape, ni juge, ni médecin, ni conjoint, c’est aux femmes de décider! ». Une première à ce t te manife station : le Manifeste des femmes est lu dans cinq langues. La Cour suprême se réunit d’urgence et c’est à l’unanimité que les juges cassent l’injonction et affirment que la décision appartient à la femme seule. Pendant ce temps, le g o u vernement fédéral prépare et dépose un projet de loi, le projet C-43, qui a pour effet de recriminaliser l’avortement. La contestation s’organise à nouveau. C’est dans ce contexte où l’avortement n’est pas encore décriminalisé, que 900 déléguées appuient, presque à l’unanimité, une résolution en faveur du libre-choix et mandatent le comité Condition féminine pour qu’il se penche sur le sujet à l’intérieur d’une publication. Elles donnent aussi leur appui à deux recommandations complémentaires : la décriminalisation de l’avortement par l’abrogation des articles 251 et 252 du Code criminel canadien et l’accès pour toutes les femmes à des services complets et gratuits de planification des naissances incluant les services d’interruption de grossesse. Dans un objectif de s’inscrire dans les grands débats qui traversent la société québécoise, les déléguées adoptent également une résolution à l’effet de participer aux travaux de la Coalition québécoise pour l’avortement libre et gratuit. Il n’est pas étonnant que la question du libre-choix en matière d’avortement soit à l’ordre du jour du Congrès de fondation de la FIIQ. Elle avait déjà fait l’objet de débat et de décision au sein des fédérations. En effet, dès 1978, les déléguées de la FQII s’étaient prononcées en faveur du libre-choix et de la mise sur pied de programmes de planification des naissances adaptés aux besoins des femmes. Du côté de la FSPIIQ, c’est par le biais de ses syndicats régionaux que les déléguées s’étaient aussi prononcées en faveur du libre-choix, dont le SPIIQ en 1978. Le comité Condition féminine va donc s’inscrire dans cette continuité et produire une brochure de réflexion et de discussion qui sera publiée en 1988 : Les infirmières face à l’avortement. Comme la brochure paraît au moment où le projet de loi C-43 est en débat à la Chambre des communes, un geste concret est proposé aux membres. Elles sont invitées à faire parvenir une carte postale, aux trois chefs des par7 tis fédéraux, afin de leur rappeler que le libre-choix est, pour les femmes, une question d’égalité. La brochure va également reprendre le communiqué que la Fédération avait signé comme membre de la Coalition : Pas de loi, mais des services. Dans ce communiqué, la Coalition interpellait le gouvernement provincial et exigeait qu’il prenne ses responsabilités et mette sur pied, dans toutes les régions, les services dont les femmes avaient besoin. Au cours des années, la Fédération va continuer à s’inscrire dans le mouvement pour la santé des femmes. Cela prendra la forme de liens de solidarité avec la Fédération du Québec pour le planning des naissances sur une base continue. Cela se traduira également par une participation active aux travaux du Réseau québécois d’action sur la santé des femmes, mis sur pied dans la continuité des centres de santé des femmes et par une collaboration plus récente à la Coalition sur la santé reproductive. 8 Enjeux actuels Il est urgent de prendre conscience de l’impact dévastateur de l’interdiction des méthodes contraceptives en 2005. Dans une perspective de solidarité internationale, il faut fa i re les pressions nécessaires en vue de mettre un terme à la morale rigide qui touche des millions de femmes et de petites filles à travers le monde, particulièrement au Sud. On pense ici à toutes celles qui sont aux prises avec l’excision, qui sont enfermées dans des réseaux de prostitution ou de trafic sexuel ou qui sont victimes du sida. De la même façon, il faut savoir que trop de femmes meurent chaque année des suites d’avortements faits dans de mauvaises conditions sanitaires alors que cette intervention médicale ne présente aucun risque. Qu’on se rappelle ici la première décision de Geoges W. Bush à la suite de son élection en 2000, un retour d’ascenseur de la dro i te religieuse qui l’avait porté au pouvoir. Son premier geste fut de mettre fin aux subventions des ONG qui, dans les pays les plus pauvres, œuvraient dans des organismes de planification des naissances. On n’a pas fini de voir les ravages de ces coupures de services si essentiels pour bon nombre de femmes. L e s conjonctures de droite signifient toujours une fragilisation des droits qu’il s’agisse des droits des femmes, des droits des personnes homosexuelles, des droits des minorités ethniques. Il importe donc de ne pas banaliser la montée des valeurs de droite qui mettent l’accent sur la famille patriarcale et qui dénient aux femmes le droit de disposer de leur corps et de leur vie. On serait tenté de croire qu’au Québec la question de l’avo r tement est réglée. On connaît l’ouverture et la to l é ra n ce de la société québécoise sur les questions sociales. Un important sondage, effectué par CROP en 1989, révélait que 67 % de la population québécoise acceptait l’avortement jusqu’à douze semaines de gro ss e ss e . Po u r tant, malgré une opinion publique largement fa vo rable, le 9 Parti conservateur canadien, en mars 2005, débattait de la question à son congrès, ici même à Montréal. Cette droite canadienne se situe dans le courant de la droite religieuse américaine, à l’origine de la violence autour des cliniques d’avortement et responsable de l’assassinat de médecins qui y pratiquaient. La question est donc toujours en suspens et on peut craindre qu’elle resurgisse à tout moment. Il s’en fallut de peu, en 1990, alors que la Chambre des communes avait adopté le projet de loi C-43 qui recriminalisait l’avortement. On doit au Sénat de l’avoir rejeté. Les services de planning constituent, pour les Québécoises, un enjeu important. Selon les résultats de la recherche de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) le portrait provincial des services offerts en CLSC et en CH démontre que la majorité des établissements n’offre pas les services intégrés prévus dans les Orientations ministérielles en matière de planification des naissances, adoptées en 1995. En 2001, seulement 12 % des CLSC offraient des services complets d’avortement. Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que dorénavant les infirmières seront en mesure de prescrire la pilule contraceptive. Mais il y a tant à faire si l’on considère que les avortements et les MTS sont en augmentation chez les adolesce n tes. Le libre-choix fa ce à la maternité est un enjeu d’égalité pour les femmes : une bata i l le inachevée, selon Louise Desmarais. La vigilance s’impose. 10 FÉDÉRATION DES INFIRMIÈRES ET INFIRMIERS DU QUÉBEC Siège social : 2050, rue de Bleury, 4e étage, Montréal (Québec) H3A 2J5 Tél. : (514) 987-1141 1 800 363-6541 Téléc. : (514) 987-7273 Bureau de Québec : 1260, boul. Lebourgneuf, bureau 300, Québec (Québec) G2K 2G2 Tél. : (418) 626-2226 1 800 463-6770 Téléc. : (418) 626-2111 Site Internet : www.fiiq.qc.ca Courriel : [email protected]