L`activité des enseignants et des élèves en classe

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L`activité des enseignants et des élèves en classe
L’activité des enseignants et des élèves en classe d’EPS :
éclairages des approches de l’action située
Nathalie Gal-Petitfaux, Dijon, janvier 2007
Références
J.Guérin, S.Testevuide, C.Roncin, Les effets des aménagements des « situations-jeu »
en tennis de table sur l’activité d’un élève en cours d’éducation physique, in Revue STAPS
n°69, 2005.
J.Saury, L.Ria, N.Gal-Petitfaux, Action ou cognition située : enjeux scientifiques et
intérêts
pour
l'enseignement
en
EPS,
in
Revue
EPS
n°321,
2006.
N.Gal-Petitfaux, J.Saury, Analyse de l'agir professionnel en éducation physique et en
sport dans une perspective d'anthropologie cognitive, in Revue Française de Pédagogie
n°138, 2002.
Introduction
L’action située fait partie du paradigme écologique.
C’est une théorie qui permet de porter un regard sur un phénomène : l’action. Elle
nous permet d’étudier quelque chose qu’on appelle l’action. L’EPS est un lieu où
s’accomplissent des actions. L’enseignant agit en enseignant et l’élève agit en apprenant. La
focale d’analyse est l’action. Les présupposés valent pour n’importe quel type d’activité :
l’apprentissage, l’enseignement, l’entraînement, ou une autre activité professionnelle. Ce qui
est considéré, ce sont des acteurs qui sont en situation d’agir. Si c’est l’enseignant qui est
étudié Æ la focale est sur l’action de l’enseignant en situation de travail en classe. Si c’est
l’élève qui est étudié Æ la focale est sur l’action de l’élève en situation d’apprentissage.
Dès qu’il y a une action, il y a accomplissement dans un contexte particulier. Il y a un acteur,
un contexte (la situation), et une action.
L’action située vient d’un regroupement de deux traditions théoriques :
1. Une tradition sociologique et anthropologique (Suchman, 1987) : étude des
relations contexte / action individuelle et sociale Æ « chaque cours d’action
dépend de façon essentielle des circonstances sociales et l’organisation de
l’action est conçue comme un système émergeant in situ de la dynamique des
interactions » (Conein et Jacopin, 1994). Toutes les actions sont liées au
contexte (avec ses propriétés particulières). Il n’y a pas un sujet de manière
objective et un contexte de manière objective. Ces deux entités ne se
définissent que par l’intermédiaire d’un couplage. Le contexte ne prend une
réalité pour le sujet qu’en fonction des significations que lui donne le sujet.
Couplage = l’un ne peut se définir sans l’autre.
2. Une tradition psychologique et de l’intelligence artificielle : étude des relations
contexte / cognition. L’accent est mis sur le caractère distribué de la cognition
et sur la singularité des raisonnements pratiques (Hutchins, 1995; Norman,
1993).
Exemple : situation de cours (connaissances) Æ examen Æ échec. Pourquoi ?
Parce que les deux contextes sont différents. C’est la même chose entre une
situation d’apprentissage et une situation de production de performance.
L’action située fait l’étude des relations entre une action, une cognition, et un contexte
Æ il y a couplage entre les trois.
L’action ou la cognition située est un paradigme. Le paradigme est plus large que la
théorie car plusieurs théories peuvent être regroupées autour d’un paradigme (paradigme Æ
plusieurs théories Æ plusieurs modèles). Le paradigme est une idée centrale qui va structurer la
manière dont les chercheurs pensent et proposent des théories (autre exemple de paradigme =
cognitivisme, qui se décline en plusieurs théories : la psychologie cognitive, les neurosciences… ; autres
exemple de paradigme = le comportementalisme, auquel appartient la théorie du conditionnement ou le
béhaviorisme…).
Les présupposés théoriques (= postulats)
1. L’activité émerge d’un couplage dynamique sujet / contexte.
•
La notion de couplage suppose un engagement du sujet dans une
situation (le sujet n’est pas posé dans la situation mais il manifeste un
engagement, il est engagé dans un contexte.) En retour, par cette action,
la situation prend une réalité pour le sujet. La notion d’interaction est
une notion trop faible, trop floue, trop molle.
•
La notion de dynamique suppose que le couplage change constamment
= l’action évolue et se transforme (cours d’action). Il y a modification
permanente de l’action en fonction du couplage qui change
constamment. Toute action humaine n’est que développement dans le
temps Æ on ne peut regarder l’action des élèves que dans sa
dynamique. Il faut regarder le déroulement des actions des élèves pour
comprendre les actions Æ l’apprentissage est située dans une
temporalité.
2. L’activité est incarnée. Il y a également un accomplissement pratique. Agir,
c’est viser une transformation de la situation avec laquelle on interagit (=
provoquer, empêcher, arrêter une action). Il y a un engagement corporel. La
théorie de l’action située réhabilite l’importance du corps dans la situation
(même lorsque l’action n’est que verbale). Cela met donc au premier plan la sensorimotricité (comportements, postures, gestes), mais aussi les perceptions, et les
émotions. La perception est engagée dans toute action humaine parce qu’elle
est corporelle (et pas seulement les actions sportives).
Exemple : quand on parle avec quelqu’un, il n’y a pas que la parole Æ la
posture, le regard changent l’engagement dans la situation et changent aussi la
transformation produite sur autrui.
Il y a toujours une tonalité émotionnelle. Il n’y a pas d’action qui ne soit
marquée émotionnellement. Toute action est portée par des affects.
3. L’activité est liée à la signification que le sujet attribue à la situation au
moment où il la vit. La planification d’une action ne suffit pas pour
comprendre l’activité réelle = elle est insuffisante pour expliquer ce qui se
passe. Ce qui organise fondamentalement l’action, c’est la signification
attribuée à ce qu’on est en train de faire ou de voir au fur et à mesure des
actions. Tout ce que je fais est fonction des interprétations subjectives (=
significations que je donne à la situation). C’est le décours des actions qui
structure les nouvelles actions. La notion de signification ne peut être
provoquée, elle fait partie de l’autonomie des êtres humains = on ne peut pas
prescrire les interprétations subjectives. Toute action est une construction de
sens subjectif par celui qui fait cette action (concept clé de l’anthropologie).
Selon Varela, l’enaction est l’émergence du sens pendant l’action (couplage
action / cognition). L’enaction est la signification que chacun de nous attribue
à ce qu’il est en train de faire au moment où il le fait.
On ne peut pas prescrire complètement l’action des personnes dans la situation
qu’ils vivent car il existe une autonomie de ces personnes. Il y a toujours une
marge de liberté qui n’est pas contrôlable. Un même événement est vécu et
interprété par les gens de manière différente.
Un lieu d’enseignement est un lieu où l’on cherche à orienter les interprétations
vers la bonne réponse. Comment amène-t-on alors des individus différents à
interpréter la situation de façon identique ? Est-ce qu’on peut prescrire l’action
des élèves ? La prescription est quand même nécessaire même si les
interprétations vont être différentes.
Les connaissances sur lesquelles on s’appuie pour agir sont celles qui vont in
situ servir l’action. Ces connaissances sont « situées », contextualisées. Ce qui
est premier, c’est l’action, et c’est en fonction de l’action que nos
connaissances sont mobilisées (Æ mobilisation des connaissances STAPS sur le
terrain ?).
4. L’activité et la situation se co-déterminent. La situation est constitutive de
l’activité :
• L’action est en partie co-déterminée par la situation.
•
La situation et porteuse de ressources (artefacts) pour l’action.
(ce qui ne veut pas dire que le sujet exploite les ressources).
•
L’usage des ressources dépend des intentions d’action du
moment (il n’y a pas de ressource exploitée indépendamment
des intentions du sujet). La notion d’intention correspond aux
orientations du sujet au moment où il est en train de faire (la
notion de but est plutôt emprunte à la psychologie cognitive et précède
l’action).
5. L’activité individuelle est inscrite dans une culture. Si on s’arrêtait là, on
pourrait conclure qu’il n’y a que des significations, des modes personnels, des
micro-mondes. Si on s’arrêtait là, la vie sociale serait impossible. Il faut
dépasser le niveau du singulier, du particulier pour considérer qu’il y a quelque
chose qui est partagé et qui permet de fonder une culture et la vie sociale. Il
faut un minimum de coordination des actions et des interprétations pour que la
vie communautaire soit viable. Sinon, c’est le chaos. L’activité individuelle
exprime les traits d’une culture, d’une communauté de pratique. Au-delà de ce
qu’il y a de personnel, il y a quelque chose de commun permettant d’obtenir un
minimum de cohésion sociale (ce qui n’est pas toujours le cas dans une classe
d’EPS). Il y a des propriétés de typicalité au-delà de la singularité. Dans tout
groupe il y a des aspects partagés. On ne peut pas envisager l’action
individuelle sans considérer le groupe dans lequel il agit.
Le collectif a un poids sur ce qui s’apprend. Il n’y a pas d’action individuelle
indépendamment du collectif. Les élèves apprennent dans une situation sociale
à partir des normes construites par le groupe. En même temps qu’ils
apprennent du moteur, ils apprennent du social.
La prescription scolaire est donc négociée selon les normes du groupe. Si on ne
regarde l’apprentissage qu’au regard de la tâche prescrite, on passe à côté de
l’essentiel. La question du collectif et des normes est très importante. C’est
difficile car ces normes ne sont pas déclarées mais incorporées.
Exemples d’études Æ Le guidage des apprentissages lors des situations de
nage en « file indienne » (= format pédagogique, c'est-à-dire dispositif d’organisation)
Questions :
1. Quelles sont les formes d’enseignement typiques qui caractérisent la
professionnalité des enseignants experts dans l’enseignement de la natation ?
2. Quelles connaissances en natation sont transmises par l’enseignant ? Quelles
sont les conditions contextuelles de transmission ?
3. Quel est le rôle du dispositif d’organisation spatiale « file indienne » ? Quelles
sont les compétences de l’enseignant dans l’utilisation du dispositif ? Idée
sous-jacente = il y a une expertise dans l’exploitation des ressources de
l’environnement.
Résultats : l’activité de l’enseignant peut être analysée en termes d’interventions
typiques. Il existe en effet des mêmes façons de faire, au sein de la leçon. L’observation
montre qu’il y a des séquences où les comportements d’intervention (verbaux, non-verbaux)
sont les mêmes.
Rappel des présupposés théoriques : tout comportement prend un sens pour celui qui le
produit. Dans toute action, il y a du comportement et du sens. Quelle signification le sujet
attribue à ses comportements au moment où il les produit ? Deux focales donc :
• Quels sont les comportements ?
• Quelles significations cela a pour les acteurs ? Quelles intentions et interprétations ils
ont et quels indices ils cherchent dans la situation ?
L’étude a montré trois grands types d’intervention (= façons de se comporter différentes et
sens attribué différent) : flash, suivi et par arrêt.
1.
Mode flash = façon de faire typiquement marquée où l’enseignant se place au
milieu avec des interventions très courtes. But = surtout conserver le contrôle
de la classe.
2.
Mode suivi = corrections verbales pendant out le temps où l’élève se déplace. Il
ne lâche pas l’élève tant que les consignes ne sont pas appliquées et il valide la
transformation. La préoccupation principale de l’enseignant est ici d’amener
l’élève à changer sa conduite et faire apprendre. L’enseignant adopte ce style
de guidage quand la classe tourne ou quand les élèves rencontrent une
difficulté un peu plus importante.
3.
Mode arrêt = l’enseignant attend un élève en bout de ligne et provoque un
arrêt. L’intention est de s’occuper d’un élève en particulier en le sortant de
l’effervescence de la file indienne pour expliquer, reprendre les bases, et
prendre le temps de lui faire analyser son action. Il fait cela quand un élève
rencontre une difficulté majeure (défaut de base).
Conclusion :
• Les formes de guidage dans les apprentissages en natation changent. Il y a trois
formes récurrentes typiques d’intervention.
•
Chacune d’elle est fortement contextualisée et dépend de la situation du
moment, notamment le degré de gravité du problème que les enseignants
jugent chez les élèves. Ils sont capables de hiérarchiser et catégoriser le niveau
des problèmes moteurs repérés chez les élèves (= ils repèrent des priorités chez
les élèves in situ). Ils sont capables d’apprécier le seuil d’engagement de la
classe dans le travail.
•
L’expert exploite le dispositif spatial (défilé des élèves, intervalles, fenêtres de
communication) pour optimiser son intervention :
9 Saisir les opportunités de passage,
9 Ajuster les consignes (durée, contenu, lieu d’émission),
9 Il sait se placer et placer sa voix pour « atteindre » les élèves.
Retour à la théorie :
•
les connaissances professionnelles des enseignants sont incorporées = mise en
jeu du corps dans la relation pédagogique. Il y a un usage corporel de l’espace
(la file indienne comme artéfact).
•
Les contenus d’enseignement sont toujours contextualisés. C'est-à-dire que la
relation pédagogique et la relation didactique sont indissociables (Æ approche
holistique). Il ne faut pas dissocier ce qui est de l’ordre du contenu et ce qui est
de l’ordre de la pédagogie.
•
La connaissance de la natation possédée par l’enseignant = interprétation des
habiletés motrices des élèves en situation dynamique de classe (= interpréter le
problème moteur de l’élève au moment où il se pose). Les connaissances
théoriques et sur le terrain diffèrent car le contexte est différent. D’un côté une
habileté d’identification in situ des comportements de l’élève, de l’autre une
habileté déclarative à restituer à l’oral ou à l’écrit.
Quelques idées pour bousculer l’activité d’enseignement
1. Il faut différencier la tâche et l’activité. Il faut donc étudier l’activité en train de
se faire, celle-ci ne pouvant se réduire à ce que prescrit la tâche Æ différence
action prescrite et action située.
2. Poids, importance des significations : l’action est fortement structurée par les
significations subjectives que les élèves attribuent à ce qu’ils font et voient. Ce qui
organise le cours d’action de la tâche, c’est moins la tâche prescrite que la
signification personnelle qu’ils attribuent à la situation. La dimension importante à
retenir dans la notion de signification, ce sont les intentions.
Exemple en sport collectif avec la « grappe » : si je n’ai pas l’intention de faire
progresser la balle, je ne peux utiliser les ressources qu’incarne le partenaire Æ
pour voir et utiliser les ressources, il faut une intention. Un partenaire en sport
collectif, cela ne se déclare pas. Il faut qu’il y ait intention de faire progresser la
balle vers la cible. Pour favoriser l’exploitation d’une ressource, il faut s’assurer
que l’élève ait un engagement intentionnel (le même exemple peut être décliné si
l’intention est d’éviter le ballon).
3. Rôle de l’environnement : la notion d’aménagement du milieu ne peut prescrire
l’action. Elle constitue plutôt un ensemble de ressources potentielles qui peut aider
l’activité des élèves (ou de l’enseignant). L’aménagement matériel ne peut
déterminer l’action. Il ne joue un rôle que s’il y a rencontre entre des intentions et
des ressources disponibles. L’exploitation de ces ressources suppose un
apprentissage, c'est-à-dire un savoir les utiliser pour servir une action.