Exposition toxique professionnelle pendant la grossesse

Transcription

Exposition toxique professionnelle pendant la grossesse
Risque toxique
professionnel chez la
femme enceinte
Dr François TESTUD
Toxicologie médicale
BTP Santé Travail
69100 Villeurbanne
Plan
 Données
générales, historique, définitions
 Principes de l’évaluation du risque toxique
chez la femme enceinte
 Approche
réglementaire
 Approche « de précaution »
 Approche toxicologique et médicale
 Cas
cliniques illustratifs
 Conclusions
Données générales
 Environ
800 000 naissances / an en
France
 Plus
de 60 % chez des femmes qui travaillent
(INSEE 2006)
 Féminisation de nombreux secteurs
 SUMER 2009 : 33,2 % des salariés des 2
sexes exposés à des substances chimiques
 SUMER 2003 : 1 % à des substances classées reprotoxiques (fertilité et/ou développement)
préoccupation sanitaire +++
Bref historique (1/2)
 Catastrophes
des années 60’ et 70’
 Médicamenteuses
 Thalidomide : 1958-1962
 Diéthylstilbestrol (DES) : 1950-1977
 Environnementales
 Méthylmercure à Minamata (1953-56), puis en Irak (1971-72)
 PCDF des intoxications Yusho (1968) et Yucheng (1978-79)
 Mise
en place de registres de surveillance
des malformations
4
en France, couvrent 30 % des naissances
des effets reprotoxiques 
partie intégrante du dossier toxicologique
 Evaluation
Bref historique (2/2)
 Thalidomide
=
drame fondateur
5
à 10 000 cas
de phocomélie,
(pas en France)
 Rôle tératogène
des médicaments
 Efficacité très relative de la « barrière »
placentaire
 Variabilité de la réponse selon les individus :
effet chez 20 à 25 % des fœtus exposés
Toxicité pour la reproduction
(1/2)
 Effets
néfastes sur la fonction sexuelle et
la fertilité
 Libido,
spermatogenèse, ovogenèse, fécondation → implantation
 Effets
néfastes sur le développement fœtal
3
types d’effets cliniques, selon période d’expo
 Effet embryoléthal  avortement
Précoce +++ : retard à la conception
 Plus tardif : fausse couche (FCS)

Toxicité pour la reproduction
(2/2)
 Effets
néfastes sur le développement fœtal
(suite)
 Effet
tératogène : induction d’une ou plusieurs
malformations chez l’embryon
Exposition pendant l’organogenèse (J15  J60)
 Notion de période de sensibilité +++

fœtotoxique : hypotrophie, pathologie
néonatale, altération développement physique
et mental → puberté
 Effet
 Effets
néfastes sur ou via la lactation
Quelques chiffres
 Reproduction
humaine : imparfaite +++
 Infertilité
= 10 à 15 % des couples
 1 conception sur 2  avortement spontané
35 % de pertes embryons lors de l’implantation
 10 à 15 % de FCS sur les grossesses reconnues



Aberrations chromosomiques létales, avec rôle de l’âge
FCS = mécanisme protecteur +++
 Malformations : 2 à 3 % des naissances
 Dépistage par échographie anténatale (12 et 22 SA) :
⅔ seulement des fœtus malformés détectés
 4 à 5 % des cas : médicaments et toxiques professionnels
 Mort
fœtale in utero ( > 22 SA) = 1 %
 Prématurité ( < 37 SA) = 6 à 9 %
Evaluation du risque chez la
femme enceinte (1/2)
 Dans
l’idéal : évaluation a priori, lors du
projet de grossesse
 En pratique, grossesse non planifiée une
fois sur deux
 Evaluation
« à chaud » le plus souvent
 Lors du diagnostic de la grossesse (6 - 8 SA
en moyenne)

Exposition depuis la conception
Evaluation du risque chez la
femme enceinte (2/2)
 Question
posée au toxicologue (MdT)
 Quel
risque réel sur le déroulement de la
grossesse et pour l’enfant à naître ?
Quel risque du à l’exposition déjà reçue (ITG ?)
 Maintien au poste possible ?

3
approches possibles
 Réglementaire
 De
« précaution »
 Toxicologie médicale
actuellement
privilégiées
Approche réglementaire (1/4)
 Repérage
des substances classées
toxiques pour le développement fœtal
 Présence  éviction salariée
 Substances Cat 1A et 1B selon CLP
 Etiquetées H360D : « peut nuire au fœtus »
 Anciennement Cat 1 et 2, étiquetées R 61 : « risque pendant
la grossesse d’effets néfastes pour l’enfant »

1A : substances dont la toxicité pour le développement dans l’espèce humaine est avérée


≈ 20 substances : CO, raticides AVK et dérivés du Pb
1B : substances présumées toxiques pour le
développement (études animales appropriées)

≈ 50 composés : sels de Cd et Ni, borates, phtalates, NMP, DMF,
1-BP, éthers glycol série E, perfluorés (PFOA), phytosanitaires…
App. réglementaire : limites
(2/4)
 Simple,
confortable, mais limites +++
 Nombreuses substances réellement préoccupantes non classées

Ex : nombreux solvants, anesthésiques gazeux
 Substances
non évaluées par l’UE (REACh ?)
 Substances non concernées par les règles
d’étiquetage : aliments (humains et pour le
bétail), médicaments humains et vétérinaires,
cosmétiques, déchets, explosifs…
 Absence
de classement ne garantie pas
une absence de risque
App. réglementaire : limites
(3/4)
(R 61) s’applique indifféremment à
une substance de Cat 1A ou 1B
 H360D
 Niveau
de preuve des données très différent
 Classification en Cat 1B et 2 basée sur des
données animales dont la méthodologie et la
signification pour l’espèce humaine sont
discutées

Etudes anciennes +++


Données positives obtenues à très fortes doses (toxiques
pour la mère) : plus retenues actuellement
Données positives obtenues par des voies inadéquates
(ex : acroléine par voie intra-amniotique…)
App. réglementaire : limites
(4/4)
 Basée
sur le danger et non sur le risque
 Embryofœtotoxicité

= dose-dépendante
Démontré par la toxicologie expérimentale


Mise en évidence de seuils chez l’animal
Mais nocivité avérée des pics de concentration
Etabli en clinique : Rx, alcool, médicaments…
 Démontré par l’épidémiologie en milieu de W


Ex : cytostatiques chez les infirmières
 Impasse
sur le niveau d’exposition (parfois
infime)  nombreuses salariées écartées de
leur poste en l’absence de risque mesurable
 App.
réglementaire : insuffisante +++
Approche « de précaution »
(1/5)
 Toute
exposition chez la femme enceinte
est potentiellement nocive
 Simple notion de grossesse  éviction
 2 assertions mises en avant
 Connaissances
limitées dans le domaine du
risque toxique professionnel
 Données insuffisantes pour de nombreuses
substances
 Simple,
confortable, mais limites +++
App. « de précaution » :
limites (2/5)
 Connaissances
limitées ?
 Inexact
: nombreuses études, cohortes et castémoins, conduites depuis près de 50 ans

Difficultés : facteurs de confusion ++, pas toujours
de données fiables concernant l’exposition…
 En
pratique, peu d’expositions toxiques
identifiées comme réellement à risque
Solvants organiques
 Certains métaux lourds : Pb, Hg, As
 Quelques pesticides (maintenant interdits)
 Antimitotiques, anesthésiques gazeux, oxyde
d’éthylène…

 Elévations
de risque faibles ou très faibles
App. « de précaution » :
limites (3/5)
 Données
insuffisantes ?
 Vrai
: données manquantes pour bcp de
substances
 Mais expositions posant question concernent
majoritairement les toxiques « classiques » :
solvants, métaux, formaldéhyde, produits de
coiffure, tensioactifs et biocides, monomères
de MP, réactifs de labo…

Données pour substances, familles chimiques
et/ou secteur professionnel
 En
pratique, évaluation du risque chez la
femme enceinte le plus souvent possible
App. « de précaution » :
limites (4/5)
 Impasse
sur le bruit de fond et / ou la
production endogène
 >>
à l’exposition professionnelle !
 Ex : borates, méthanol, acétone…
 Impasse
sur les propriétés physicochimiques et toxicocinétiques
 Absence
de tension de vapeur et de
pénétration percutanée sur peau saine

Ex : éthanol (ANSES), huiles minérales, réactifs de
laboratoire (BEt), tensioactifs…
App. « de précaution » :
limites (5/5)
 Impasse
sur les propriétés physicochimiques et toxicocinétiques (suite)
 Réaction
avec les protéines des tissus super-
ficiels

Acides et bases minéraux forts, gaz irritants
(ammoniac, chlore…), aldéhydes, méthacrylates…
 Pour
toutes ces substances : pas de pénétration systémique significative dans les
conditions usuelles de W
Pas de retentissement possible sur le
déroulement et l’issue de la grossesse
 nb salariées écartées de leur
poste en l’absence de risque mesurable
 Précaution
Approche toxicologique et
médicale (1/5)
 Expertise
toxicologique et médicale
individuelle : préférable +++
 Démarche classique en 3 étapes
 1.
Identification des dangers = toxicité
embryofœtale des substances manipulées
Inventaire, composition
 Propriétés : pénétration systémique ?
 Recherche documentaire approfondie




Synthèse des données épidémiologiques
Interprétation critique des données animales
Outils spécifiques : Demeter, Reprotox (payant !)
Approche toxicologique et
médicale (2/5)
 Démarche
 2.
classique en 3 étapes (suite)
Evaluation de l’exposition au poste de W
Etude de poste : volumes, fréquence, process,
EPI…
 Interrogatoire : signes d’imprégnation (solvants) ?
 Métrologie ou mieux biométrologie


Niveau d’exposition réel de la salariée
VLEP et VLB non valides pour la grossesse
 Recommandations Société de Médecine du Travail

(F. Conso et coll, DMT, 2005 ; 101 : 9-21)
exposition acceptable = VME / 10 et/ou VLB / 10

Idem en Finlande, Pays-Bas, Danemark
Approche toxicologique et
médicale (3/5)
 Démarche
classique en 3 étapes (suite)
 3.
Caractérisation du risque intégrant les
relations doses / effets
 prise de décision rationnelle

Prise en compte du statut gynéco-obstétrical
 Mise
en œuvre au CAPTV de Lyon → 2011
 Gynécologues
et généralistes : 60 %,
salariées : 25 %, médecins du travail : 15 %
 Réponse écrite individualisée (pas de CAT type)

Entretien systématique avec la salariée
690 demandes d’évaluation du risque toxique
reproductif en milieu professionnel
Imputabilité après
survenue d’un
évènement : 54
Question préventive
en vue d’une
future grossesse : 75
Exposition paternelle : 12
Exposition
ponctuelle : 131
Salariées perdues
de vue et/ou
évolution inconnue : 46
Allaitement : 19
353 grossesses exposées
d’évolution connue
Solvants
organiques: 224
Produits divers : 129
Techniciennes de laboratoire : 97
Approche toxicologique et
médicale (5/5)
 Conclusions
EVR
dangereuse pour la grossesse 
éviction indispensable : 21,5 % des cas
(parfois en dépit absence substances R 61…)
 Exposition non susceptible de modifier le
pronostic spontané de la grossesse : 53,5 %
des cas (malgré présence de R 61 !)
 Suppression de certains produits ou de
certaines tâches, amélioration de l’hygiène de
travail, aménagement du poste nécessaire :
25 % des cas
 Exposition
Perchloréthylène
(1/2)

Employée de pressing, 23 ans, P2 / G2, 10 SA
 Dangers du PCE



Exposition



Ambiance : 1,5 à 3 ppm (VLEP-8h = 20 ppm)
PCE sanguin fin de poste : 13,7 µg/L (VLB = 400 µg/L)
CAT préconisée : poursuite du travail possible
avec éviction des opérations exposantes (pics)


Non tératogène expérimentalement, mais fœtotoxique
(DSE = 300 ppm)
Epidémiologie : augmentation dose-dépendante des
FCS, pas de malformations
Vidange / remplissage des machines, filtres…
Déroulement et issue de la grossesse normaux
Perchloréthylène

(2/2)
Ouvrière en décolletage, 26 ans, P1 / G1, 7 SA

Lavage de pièces métalliques au PCE

Dangers : idem
 Exposition




Niveaux élevés dans ce secteur professionnel
Confirmés par dosages atmosphériques (CRAM et
médecin du W) : 35 à 50 ppm
Signes ébrionarcotiques occasionnels
CAT préconisée : éviction rapide nécessaire +++
( → mutation au secrétariat)
 Déroulement et issue de la grossesse normaux
Bromure d’éthidium

Technicienne de laboratoire en biologie
moléculaire (INRA), 25 ans, P1 / G1, 10 SA


Dangers du BEt



Arrêt du développement embryonnaire chez l’oursin,
malformations sur larves de grenouille…
Epidémiologie : issues grossesses des techniciennes
de labo = idem population générale
Exposition


Colorations ADN au BEt (acridines), agent intercalant,
mutagène in vitro
Aucune pénétration systémique
CAT préconisée : poursuite du travail sans
modification, issue de la grossesse normale
Acide borique et borates (1/2)
 Risque
en cas de grossesse ?
 Brasure
sur installations frigorifiques, emploi
de baguettes laiton enrobées à l’acide borique
(0,7 %)
 Cat 1B (fertilité et développement) depuis
2008 étiquetage H360FD
 Dangers
borates
et malformations (squelette, cœur
et cerveau) à très fortes doses
 Hypotrophie

DSE acide borique : 125 (lapin) et 248 (souris) mg/kg/jour
 Pas d’étude épidémiologique en milieu de
 Pas de signal provenant de l’utilisation thérapeutique
W
Acide borique et borates (2/2)
 Exposition


Bruit de fond +++ : apport en bore de plusieurs mg/jour
par l’alimentation (légumes) et l’eau ( ≤ 1 mg/L)
Métrologie métaux (Cu/Zn/Sn/Ag) = quelques µg/m3





VLEP-8h de l’ordre du mg/m3
Bore non dosé mais % très faible dans la baguette et
mise en œuvre à 800°C (fusion à 2300°C)
 concentration ≤ métaux
Pas de biométrologie utilisable du fait du bruit de fond
Estimation dose absorbée : infime, sans commune
mesure doses ingérées quotidiennement
Risque


Approche réglementaire : poste dangereux pour la G
En réalité : pas de risque
Méthanol (1/2)
 Technicienne
de laboratoire, 28 ans
 Analyses
en chromatographie HPLC
 Risque en cas de grossesse, car produit perçu
comme hautement toxique ?
 Dangers
 Données
insuffisantes +++
 Pas d’étude reprotox à doses adéquates
Effets tératogènes à doses massives chez les
rongeurs, toxicité maternelle ++
 Du à l’acidose

 Aucune

donnée épidémiologique
2 intoxications aiguës par ingestion
Méthanol (2/2)
 Exposition
 Méthanolémie
physiologique jusqu’à 1 mg/L
Production endogène : composé terminal de
nombreuses voies métaboliques
 Apports alimentaires : jus de fruits (140 mg/L),
bières, vins et alcools

 Etude
de poste : volumes faibles, sorbonnes…
Faible volatilité, jamais d’exposition significative
sauf procédé à chaud
 Métrologie : 0,6 à 1,5 ppm (VLEP-8h = 200 ppm)

 Calcul
de la dose absorbée sur un poste de
8 h ≈ 10 mg ( ≤ 1 verre jus d’orange !)
 Risque
: nul
Conclusions (1/2)
 Evaluation
du risque toxique chez la
femme enceinte

Compter des H360D (R 61) sur des FDS…
 Expertise toxicologique et médicale au cas
par cas (biométrologie +++)
 Pratiquement toujours possible
 Utile +++ : salariée, corps médical, collectivité
Moins d’ ¼ des situations imposent l’éviction
 Pas de risque identifiable dans la moitié des cas

 Décisions
d’aptitude ou d’inaptitude au poste
fondées sur les preuves (EBM)
Conclusions (2/2)
 Réglementation
en vigueur inadaptée
 Méconnaît
la notion de seuil : interdiction
d’exposition pour toute substance de catégorie
1A et 1B, y compris lorsqu’elle est infime, voire
virtuelle
 Substances d’usage courant ayant des effets
avérés sur le développement fœtal non
classées
 Une
approche purement réglementaire
et/ou « de précaution » ne permet pas de
répondre aux questions que nous posent
les salariées en état de grossesse ou
souhaitant le devenir
Pour en
savoir plus

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