Le devoir de protection? La sécurité du personnel local et des

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Le devoir de protection? La sécurité du personnel local et des
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Renforcement des capacités des pays du Sud: rhétorique et réalité
RMF 28
Le devoir de protection? La sécurité du
personnel local et des travailleurs humanitaires
Par Katherine Haver
Les agences humanitaires s’appuient de plus en plus sur
le personnel local dans les endroits où les questions de
sécurité forcent les travailleurs humanitaires internationaux
à se retirer. Les agences ont tendance à croire les que
les autochtones sont un moindre risque, mais ce n’est
pas nécessairement le cas. Elles ont largement ignoré
les questions d’éthique en transférant les risques sur la
sécurité du personnel d’expatriés vers le personnel local.
Le nombre d’actes de violences
majeures commis envers les travailleurs
humanitaires (meurtres, enlèvements
et attaques à main armée causant des
blessures graves) a quasiment doublé
depuis 1997. Une étude récente menée par
le Centre International de Coopération
(CIC) et le Groupe de Politique
Humanitaire (GPH) [Humanitarian Policy
Group (HPG)1] a établi la base de données
contemporaine la plus complète des
incidents de violences majeurs envers les
travailleurs humanitaires. Globalement,
plus de cinq cent actes de violence envers
les travailleurs humanitaires, causant 1127
victimes dont 511 morts, ont fait l’objet de
rapports entre 1997 et 2006. Les violences
envers les travailleurs humanitaires sont
les plus répandues en Somalie, au Soudan
en Afghanistan, en Iraq, en République
Démocratique du Congo (DRC), en
Tchétchénie et dans le Caucase du nord.
La plupart des travailleurs humanitaires
sont ciblés délibérément, à des fins
politiques et/ou économiques ; ils ne sont
pas victimes de violences aléatoires.
Il ressort de cette étude que le manque
de sécurité ne touche pas toutes les
institutions de la même manière.
Historiquement, ce sont l’ONU et le CICR
qui ont souffert le plus grand nombre
de victimes en proportion du nombre
de personnel déployé plutôt que les
ONG. Cependant, au cours des quatre
dernières années, les ONG internationales
sont devenues moins sûres que leurs
homologues de l’ONU et du CICR. Qui
plus est, les ONG internationales ont vu
la sécurité de leur personnel s’accroitre
récemment, alors que leur personnel
autochtone et leurs partenaires souffrent
d’un nombre croissant de victimes. Le
personnel national représente 79% du
nombre total les victimes. En 2005, le
taux d’incidents rapportés envers le
personnel national (sept pour 10 000
travailleurs) a dépassé pour la première
fois celui du personnel international
(six pour 10 000 travailleurs). 2
Dans bien des cas, les agences ont manqué
d’identifier les risques particuliers
auxquels sont exposés les personnels
nationaux. On présume souvent, sans
savoir si c’est nécessairement le cas, que le
personnel autochtone est plus facilement
accepté par les communautés locales et par
conséquent, nécessite moins de mesures
générales de sécurité. Dans certains cas, le
personnel local peut faire l’objet d’une plus
grande acceptation par les communautés
mais ceci n’est pas forcément le cas
pour un national posté dans une région
éloignée du pays. De même, le personnel
local peut être trop ‘local’, et il peut être
supposé, à tort ou à raison, qu’il prend fait
et cause pour un parti en conflit à cause
de ses origines ethniques ou religieuses.
Dans certains contextes, ils courent le
risque de subir des attaques en raison de
leur accès à des fonds liquides ou aux
biens de l’agence, comme les ordinateurs
ou les véhicules. S’il est mis fin à un
projet, ils se trouvent aussi dans une
position où ils risquent de perdre leurs
revenus et donc ceux de leur famille.
Bien que le personnel local forme plus de
90% des travailleurs sur le terrain, il ne
figure pas de manière proéminente dans
les politiques de protection des agences. Il
ressort aussi de cette étude qu’il existe de
grands écarts entre les formations relatives
à la sécurité offertes aux travailleurs
locaux et internationaux, ainsi qu’à leur
sensibilisation et leur équipement. Le fait
que les travailleurs humanitaires locaux
ne soient pas toujours pris en compte lors
de l’élaboration des politiques de sécurité
entraine des conséquences négatives,
non seulement pour le personnel local
concerné mais aussi pour l’ensemble
de l’organisation. Le personnel local
possède de vastes connaissances sur son
environnement, mais les ressources de
sécurité offertes par ces connaissances ne
sont pas souvent exploitées pleinement par
les organisations internationales. Cela est
peut-être dû aux obstacles de langue entre
le personnel international et national, au
manque de confiance envers le personnel
national de peur qu’ils transmettent des
informations aux factions belligérantes
locales ou encore à une culture
d’organisation dysfonctionnelle. Le
personnel international à souvent du mal à
comprendre qu’il est extrêmement difficile
pour leurs collègues nationaux de refuser
un emploi potentiellement dangereux pour
des raisons économiques et/ou altruistes.
La gestion à distance, une tendance qui
mène le personnel international à se
retirer ou à limiter ses mouvements en
période d’accroissement des risques,
gagne en expansion dans des endroits
comme la Somalie, l’Irak et certaines
régions du Darfour alors que le personnel
national continue à assurer la tâche de
joindre les populations nécessiteuses
en dépit des contraintes d’accès et de
sécurité. Dans certains cas, le personnel
international continue à prendre les
décisions sur la formulation et la mise en
application des réponses humanitaires
à distance en déléguant au personnel
national, aux associations partenaires
locales, aux autorités locales, à des
entreprises privées ou à des organisations
communautaires. Ceci évite la clôture
totale des projets en permettant aux
personnes dans le besoin de recevoir une
assistance continue tout en rehaussant le
profil des agences dans les crises faisant
l’objet d’exposition accrue aux médias.
La gestion à distance est pratiquée
en ce moment de manière ad hoc et
aléatoire. Peu d’organisations possèdent
une politique spécifique prévoyant
quels types d’équipements de sécurité
devraient être fournis au personnel
national ou aux partenaires locaux dans
le cas où une détérioration de la sécurité
provoquerait le départ du personnel
international. Les défis pratiques de la
gestion à distance – une fourniture de
services moins efficace, les difficultés à
assurer une concentration stratégique et
responsable, et les risques de corruption
– n’ont pas fait l’objet d’évaluation en
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Renforcement des capacités des pays du Sud: rhétorique et réalité
profondeur. Cette démarche est toujours
considérée comme l’option de dernier
recours, à n’utiliser que dans de rares
instances de haute insécurité, alors que,
malheureusement, de telles situations se
produisent de plus en plus fréquemment .
La difficulté de débattre de la sécurité
du personnel et de la gestion à distance
provient en partie du fait que les réponses
pratiques semblent être basée sur une
hiérarchie des valeurs placées sur les
vies différentes : celles du personnel
international, du personnel national/local
et des populations nécessiteuses. Bien
qu’il soit reconnu que ces questions sont
certainement difficiles et éthiquement
lourdes de conséquences, ne pas y faire
face ne fait qu’ajouter aux délais à la
formation de politiques transparentes et
pratiques, clairement communiquées, et
à l’établissement de plans opérationnels
basé sur les expériences sur le terrain.
Le personnel national et local mérite
d’être mieux traité. Les agences
humanitaires ont le même devoir de
protection envers tous leurs employés,
quelle que soit leur nationalité.
Katherine Haver (katherine.haver@
nyu.edu) est Research Associate
auprès du Centre de Coopération
International, Université de New York.
1. A Stoddard, A Harmer, and K Haver, Providing aid in
insecure environments: trends in policy and operations,
Humanitarian Policy Group, ODI, and New York: Center
on International Cooperation, 2006. www.odi.org.uk/
hpg/papers/hpgreport23.pdf
2. This is particularly striking because incidents against
national staff are less likely to be reported than those
against international colleagues.
Le devoir de protéger : les
enseignements du Sud Kivu
Par Jaya Murthy
La protection est l’un des éléments de la nouvelle
démarche d’un groupe mené par l’ONU dans les situations
d’urgence. 1 Le groupe de protection peut-il mobiliser
la communauté internationale afin de protéger les
civils dans les régions où les états ne veulent pas ou
ne peuvent pas le faire? Un projet pilote en République
Démocratique du Congo montre peut-être la voie.
En 2001 la Commission Internationale
pour l’intervention et la Souveraineté
des Etats (ICISS) a publié son rapport
crucial The Responsibility to Protect.2
(Le devoir de protéger). La Commission
répondait ainsi au défi lancé par l’exSecrétaire Général des Nations Unies Kofi
Annan à la communauté internationale
d’élaborer un plan d’action plus fiable
et plus prévisible lors des réponses
aux crises humanitaires, en particulier
lorsque les principes humanitaires et les
notions de souveraineté des états sont
disparates. ICISS a développé un cadre
global dont la communauté internationale
peut faire usage afin de déterminer
ses actions envers les états dont les
populations souffrent grièvement – y
compris le déploiement de forces armées.
La contribution individuelle la plus
importante de la Commission fut la
reconceptualisation de l’idée centrale du
‘droit à l’intervention’ pour des motifs
humanitaires de la part de la communauté
internationale vers ‘le devoir de protéger’
les populations civiles en danger. Ce
changement a enfin déplacé le point focal
depuis ceux qui exercent le pouvoir de
l’état vers les vraies victimes du conflit.
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La notion du Droit de Protéger (R2P)
a gagné une grande légitimité et est en
passe de devenir une norme internationale
reconnue. Les dernières résolutions du
Conseil de Sécurité de l’ONU (1738 et
1674, adoptées en 2006) visant à protéger
les civils dans les conflits prennent
clairement note de la responsabilité de
la communauté internationale à assurer
la protection. Les missions du maintien
de la paix de l’ONU bénéficient de plus
en plus du mandat du Chapitre 74 leur
permettant de protéger les civils dans
les conflits par la force des armes. Dans
ses dépositions au Conseil de Sécurité
l’ancien Coordinateur Humanitaire de
l’ONU Jan Egeland a demandé une plus
grande prévisibilité dans la réponse aux
obligations internationales de R2P envers
les civils en danger. Lors du Sommet
de 2005, tous les gouvernements ont
accepté à l’unanimité et sans ambigüité
l’obligation collective de protéger les
populations des crimes contre l’humanité.
Alors que ces développements étaient
importants pour la capacité de la
communauté internationale à faire
pression sur les états à exercer leur
R2P, peu d’attention a été adressée à la
façon dont il est possible de structurer
R2P et de l’utiliser de manière à ce que
la communauté internationale puisse
l’appliquer sur le terrain. En 2005 les
états membres de l’ONU ont fait appel à
une action humanitaire plus prévisible,
efficiente et efficace lors des réponses aux
crises humanitaires, en particulier dans
les situations de déplacements intérieurs
de grande échelle. Il a résulté qu’en
septembre 2005, les Responsables du
Comité permanent interorganisations5 ont
mis en place la démarche de ‘l’approche
par grappe’ (cluster approach), assignant
les responsabilités aux agences pilotes
afin d’assurer une réponse humanitaire
plus prévisible et plus responsable en
période de crise, en particulier celles qui
ont pour conséquence des déplacements
intérieurs de grande échelle. L’approche
par grappe fut élaborée dans l’intention
de donner une réaction prévisible par
l’analyse des besoins, la réponse aux
priorités et l’identification des carences
dans des secteurs spécifiques. En se
référant à l’efficacité potentielle de
l’approche par grappes dans la réponse
aux questions de protection, Erica Feller,
UNHCR’s Assistant High Commissioner
for Protection, a pris note récemment que
‘l’approche en grappes …a été formulée
comme un moyen de rendre opérationnelle
la notion du ‘devoir de protéger’6.
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