Virginité - Clarence Edgard-Rosa

Transcription

Virginité - Clarence Edgard-Rosa
C O R P S
&
â me
Virginité
Je ne suis pucelle
que vous croyez
S
achant que l’âge du premier rapport sexuel
en France est de 17,2 ans pour les garçons
et 17,6 ans pour les filles. Qu’on nous répète
que, de nos jours, les jeunes sont des dévergondés, alors qu’en fait cette première fois ne se
produisait que quelques mois plus tard, en 1974*.
Sachant que l’on peut commander sur Internet un
kit qui imite un saignement pour se racheter une
virginité, mais que toutes les femmes ne saignent
pas au premier rapport (voir page 54).
Sachant qu’un hymen peut se perforer pendant
une session poney bien avant l’âge moyen du
­premier coït et qu’on peut tomber enceinte tout en
étant encore vierge.
Sachant qu’on n’est même pas sûrs que la vierge
Marie le soit restée, vierge, mais qu’apparemment
plus c’est gros mieux ça passe (voir page 58).
Sachant que ça arrange bien les hommes qu’on
ne puisse pas leur délivrer de certificat de virginité
et que, de toute façon, les médecins qui les rédigent admettent que ces bouts de papier n’ont ni
queue ni tête…
Sachant tout cela, de quoi, vraiment, est-on
vierge ? On a tenté de résoudre l’équation et, puis­
qu’elle comporte bien trop d’inconnues, on vous
le dit : il n’y a rien de mathématique là-dedans.
­Causette s’est aventurée, naïve like a virgin, aux
frontières poreuses d’une pureté qui, finalement,
fleure plus l’arnaque que la fleur des champs.
Dossier coordonné par Clarence Edgard-Rosa
Photos : Krista van der Niet pour Causette
* Sources : Institut national d’études démographiques (Ined).
CAUSETTE #49 • 51
corps & âme
corps & âme
Vierges pas si saintes
Depuis la libération sexuelle, la virginité a perdu son sens premier, celui d’assurer la filiation. Causette
a rencontré Yvonne Knibiehler, historienne et auteure de La Virginité féminine *.
mariage : on donne une fille vierge à un homme pour qu’il soit
sûr d’être le père des enfants qu’elle mettra au monde. C’est
vrai en tout cas dans le monde occidental et dans l’islam.
Cette forme de virginité protégeant la filiation a été rendue
obsolète par la contraception, d’une part, et par l’existence
de tests ADN, d’autre part. Et tout ça a supprimé la virginité
comme témoin biologique et comme valeur « morale ».
Donc, la virginité a perdu de son sens originel quand les
filles ont découvert que la sexualité pouvait n’être qu’un
plaisir, au-delà de la procréation ?
Y. K. : Auparavant, c’était la mission des prostituées de dissocier les deux. Que ce soit mis à la portée de toutes les
femmes, c’est là la grande coupure. Une révolution dans les
mœurs qui a changé notre rapport à la virginité.
Au point d’entraîner des clivages sociaux ?
Y. K. : Bien sûr ! Chez les monothéistes intégristes à tout le
moins. Ça a créé une différence, une tension. Toutefois, le
christianisme et l’islam ont deux positions très différentes.
L’église a toujours considéré la virginité comme une valeur
morale : une fille qui est violée reste moralement vierge. Dans
l’islam, non : celle qui a perdu son hymen a été souillée, elle a
perdu toute valeur.
La France est un état laïque depuis le début du xxe siècle.
Pourquoi n’avons-nous pas laissé tomber ces traditions
religieuses plus tôt ?
Y. K. : Avant, la domination masculine reposait essentiel­
lement sur l’innocence des filles, leur virginité, leur ignorance
de l’amour. Pour les laïques comme pour les religieux. C’est
une question de machisme. La première raison d’exiger la
virginité des filles, c’est la filiation. Mais la seconde raison,
c’est la volonté de dominer. Un homme qui épouse une
fille vierge espère lui révéler le plaisir de la chair ; ainsi, il la
rendra amoureuse et elle lui sera fidèle… Du moins, c’est
ce qu’il espère.
Causette : Qu’appelle-t-on la virginité ?
Yvonne Knibiehler : On peut confronter trois définitions :
anatomique, psychologique et symbolique. La femme est
vierge anatomiquement tant que son hymen est intact, sauf
qu’il y a une définition psychologique de la virginité : on peut
être vierge anatomiquement et avoir une expérience de la
jouissance sexuelle. Des sages-femmes voient de plus en
plus de filles vierges demander une IVG [voir page 54, ndlr]…
Eh oui, les spermatozoïdes savent se faufiler partout. Dans ce
cas, qu’est-ce donc que la virginité psychologique ? Une fille
* La Virignité féminine, d’Yvonne Knibiehler. éd. Odile Jacob, 2012.
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qui ignore tout ou une fille qui n’ignore rien, mais qui a toujours son petit hymen ? La virginité est aussi symbolique : on
parle d’une forêt vierge, d’une terre vierge, de neiges vierges.
Dans ce cas, ça veut dire que ça peut encore être révélé et
donner des émotions de découverte.
Quelle place la virginité a-t-elle occupée jusqu’à présent ?
Y. K. : Jusqu’à la libération sexuelle, dans les années 60-70,
la virginité était censée préserver la fille de tout contact pour
assurer l’authenticité de la filiation. C’est le fondement du
Entre les bals de pureté aux États-Unis (voir page 59) et
le mouvement No Sex, on se demande si on n’assiste
pas à un retour en grâce de la virginité ?
Y. K. : Socialement parlant, en Europe occidentale, ça ne
se voit pas. Mais, aux États-Unis, où les gens s’expriment
­bruyamment, oui. Il y a des manifestations en faveur d’un
retour à la virginité. En général, l’argument massue c’est :
« Je veux être libre, je ne veux pas céder comme tout le
monde à la chair. La sexualité est une puissance redoutable,
je montre que je sais m’en protéger. » Les femmes ne se
réservent pas pour l’homme, elles se réservent pour elles-
mêmes. Dans ce cas, la virginité exprime la liberté et même
une expression du féminisme.
Le concile Vatican II a rétabli un ancien rituel de « virginité consacrée ». Vous pouvez nous en dire plus ?
Y. K. : Dès le ie siècle, l’Église catholique permet aux femmes
de refuser le mariage et l’enfantement. Beaucoup se précipitent sur cette liberté qui leur permet de renier la puissance du père et celle d’un mari. Vierges
consacrées par l’Église, elles se regroupent
pour prier et vivre en communauté. Les
Déflorer
premières chrétiennes considèrent
alors la virginité comme une libéraC’est arracher à la pucelle
tion. Petit à petit, l’Église a imposé
sa petite fleur. Pourquoi
à ses vierges de vivre ensemble
ce vocabulaire botanique ?
enfermées dans un cloître. La
virginité consacrée est devenue
­
Étymologiquement, la fleur
vœu monastique. Le concile Vatiest la meilleure partie
can II [1962-1965, ndlr] a restauré
la possibilité initiale pour une fille
de toute chose…
seule de déclarer à l’évêque qu’elle
veut rester vierge, mais sans être obligée
d’entrer au couvent.
Quel est l’intérêt aujourd’hui ?
Y. K. : Ces vierges consacrées font reconnaître leur liberté
individuelle en étant dévouée au Christ, mais avec une vie
« normale ». Il y en a une, par exemple, qui est danseuse à
l’opéra. Celles qui se cloîtrent perdent leur liberté individuelle.
Il y a un féminisme chrétien : le chrétien le plus proche de
Dieu, c’est Marie, une femme, une fille vierge (voir page 58).
La virginité est-elle l’apanage des femmes ?
Y. K. : Non, l’hymen n’est pas l’apanage de la virginité ni du
féminin, puisqu’il peut se déchirer lors d’une activité intense
par exemple, mais c’est ainsi que les hommes le veulent,
l’imaginent. C’est comme ça que s’est construit le fantasme
masculin.
C’est fréquent, ce fantasme ?
Y. K. : Non, il est moins général depuis la libération sexuelle :
un jeune homme ne demande plus à une jeune femme si elle
est vierge. C’est démodé, ridicule, et puis elle pourrait lui
répondre : « Et toi ? » Autrefois, un homme qui voulait juste
une passade s’adressait à une prostituée. Aujourd’hui, s’il
veut une histoire d’un soir, il ne va pas s’encombrer d’une
vierge. Et la réciproque est vraie !
Propos recueillis par Pauline Marceillac
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corps & âme
corps & âme
Bon sang ne saurait mentir ?
Attention ! scoop. « Beaucoup de praticiens ne savent pas
dire si une femme est vierge ou pas en examinant son
hymen », assure le chirurgien esthétique Marc Abecassis. Et
pour cause : la membrane qui clôt partiellement l’orifice
­vaginal a un aspect différent chez chaque femme (elle peut,
par exemple, être perforée de plusieurs petits trous). Le
­planning familial avance le chiffre d’« environ un tiers de filles
qui n’en ont pas ». Et on connaît toutes les histoires d’hymens
se déchirant sans qu’on s’en rende compte, en dansant ou
en pratiquant l’équitation. L’hymen peut aussi exister, mais
ne pas être assez vascularisé pour saigner lors de sa déchirure. Conséquence, nombreuses sont les femmes qui n’ont
pas perdu de sang lors de leur première fois.
« Ce qu’il faudrait, c’est une campagne d’information à
grande échelle pour en finir une bonne fois pour toutes avec
le mythe de l’hymen garant de la virginité », plaide la sagefemme Chantal Birman. Parce qu’en fait, il existe des cas où
des « vierges anatomiques » tombent enceintes : les spermatozoïdes sont des cellules mobiles qui peuvent remonter de la
vulve jusqu’aux trompes sans qu’il n’y ait eu pénétration.
Mais alors, à quoi sert l’hymen ? Selon le Dr Martin Winckler,
on a postulé qu’il servait, chez les toutes petites filles, à
protéger la cavité vaginale et l’utérus des bactéries venues
de l’extérieur, notamment des matières fécales éliminées
par le tube digestif. Mais cela n’a pas été démontré, précise-t-il sur son blog.
En attendant de savoir, la fable de l’hymen a de beaux jours
devant elle. A. C.
Se refaire une virginité
La reconstruction chirurgicale de l’hymen (hyménoplastie) divise le corps médical. Faut-il aider la
patiente en détresse ou refuser d’entretenir ce mythe, qui serait le symbole de la virginité ?
«M
ais vous savez, Sarah, que le prophète Mahomet
s’est marié avec Khadija, qui était veuve et donc qui
n’était pas vierge ? » demande le Dr Abecassis, chirurgien esthétique. À l’autre bout du téléphone, la jeune fille dit
qu’elle sait bien, mais qu’elle n’a vraiment pas le
choix : il lui faut être équipée d’un hymen pour
son mariage, qui a lieu dans un mois. « On
Casser son sabot
va faire en sorte que cette membrane
En patois solognot, celle
soit comme avant, la rassure-t-il. Je
qui a cassé son sabot
ne peux pas vous garantir que cela
saignera. Les hommes savent que,
perd le droit de porter
parfois, ça ne saigne pas, mais il
un bouquet de fleurs
­sentira une résistance. »
d’oranger… Attribut
Une anesthésie, une demi-heure
qui symbolise
d’opé­
ration, et 2 000 à 4 000 euros :
la virginité bien sûr !
c’est le prix à débourser pour se racheter une virginité, en France. La reconstruc-
54 • CAUSETTE #49
tion de l’hymen échappe à toute comptabilité de la Sécurité
sociale. Ce que l’on sait, c’est que les patientes viennent
majoritairement frapper à la porte des chirurgiens, écrasées
par le poids du conservatisme de leur famille ou du futur
époux, qui exigent une nuit de noces sanguinolente. Elles
l’ont intériorisé. Mais, parfois, ce sont des femmes violées ou
encore des ex-prostituées qui se font recoudre pour surpasser un traumatisme.
Un leurre chirurgical
Concrètement, les chirurgiens suturent les lambeaux restants
de la membrane pour la recréer. S’ils n’ont plus assez de
matière, ils utilisent la muqueuse vaginale à proximité. « C’est
un leurre chirurgical qui consiste à faire saigner une femme »,
s’indigne la sage-femme Chantal Birman. Souvent, les chirurgiens esthétiques qui la pratiquent ont longtemps hésité
avant de s’y résoudre. « Ce n’est pas à moi seul que je
­hangerai la société, je ne peux pas me substituer aux
c
­pouvoirs publics. En attendant, j’ai le sentiment d’écouter
les demandes des femmes », argue le Dr Abecassis, qui n’a
franchi le pas qu’après dix ans d’exercice. Il en pratique
aujourd’hui deux par semaine en moyenne. « On aide surtout
des femmes en détresse », renchérit le chirurgien esthétique
Stéphane Smarrito.
Oui mais. « On n’avancera pas si on continue à accepter
de recoudre des hymens », note Chantal Birman. Et à laisser
vivre la symbolique de virginité rattachée à ce petit bout de
peau. Pour celles qui ne peuvent se payer une hyméno­
plastie, il y a d’autres techniques. Le faux hymen : le foie de
volaille inséré dans le vagin, par exemple, qui ne coûte que
60 euros sur Internet… Ou la sodomie, histoire de rester
vierge au moins côté face.
L’hypocrisie s’accompagne parfois d’une demande de certificat de virginité. La gynécologue Claudine Zimmer se retranche
derrière les positions du Conseil national de l’ordre des médecins, qui indique que lorsque l’examen pour délivrer le fameux
sésame « n’a aucune justification médicale, il ne relève pas du
rôle du médecin ». Elle n’en a jamais délivré. Quand un couple
se rend chez le Dr Zimmer, en quête de l’attestation, pour
Madame, destinée à rassurer les familles, elle a cette question
à l’adresse de Monsieur : « Il vous en faudra une à vous aussi ? »
Anna Cuxac
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corps & âme
corps & âme
Entourage
Autour d’eux, les amis se mettent en couple, racontent leurs
déboires amoureux, projettent d’avoir des enfants. Thomas,
un professeur de 29 ans, se sent « monstrueux ». Il vit sa virginité comme « une preuve de dysfonctionnement humain ».
Alors, forcément, le sujet est un sacré tabou. « Mes parents
ne le savent pas, mais ils insistent de plus en plus lourdement
pour que je me trouve une copine. »
Maxime, lui, a plus de chance : « Mes proches le savent et ont
la délicatesse de ne pas aborder le sujet, m’acceptent tel que
je suis. Mais c’est une chose dont je ne parle pas, et je vis par
procuration les relations des autres. » Parfois, le puceau
moqué dans la cour de récré prend sa revanche : « Je l’ai
avoué une fois à un garçon qui s’est enfui. […] Je viens de
rencontrer quelqu’un. On avance doucement, et je lui en ai
parlé. Cet homme est tellement bien que, quelque part, je suis
heureuse d’être toujours vierge et de pouvoir faire de lui cette
personne spéciale », confie Eva, 26 ans.
Solitude
Gare au temps,
toujours puceau
I
ls sont entrés dans la vie adulte, ont un métier, des amis,
mais sont toujours vierges, malgré eux. Cet état qui
leur pèse, devenu au fil du temps une souffrance, ils
l’appellent VT, pour « ­
virginité tardive ». La communauté
des VT francophones, hommes et femmes, a son forum 1 où
s’échangent les conseils pour séduire et s’épanouir enfin
dans sa vie sexuelle… et sentimentale surtout. On leur en a
touché un mot.
Blocage
Sur le forum, c’est un jeunot. Eliot 2 a seulement 22 ans, mais
est déjà complexé par sa virginité. Dans sa ville, certes, il y a
« des discothèques », mais il n’a jamais su y faire avec les
filles. Planqué derrière sa volonté de « tomber amoureux », il
idéalise la rencontre avec l’inconnue qui l’aimera et qu’il
aimera. Tout le reste lui semble trop trivial. Boire deux-trois
1. www.forum.virginite-tardive.fr. 2. Tous les prénoms ont été modifiés.
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verres pour se désinhiber et avoir le courage d’aborder une
fille ? La voix chevrote dans le téléphone : « Je suis à moitié
choqué quand tu me parles d’alcool. J’ai des parents assez
protecteurs… Je n’ai juste pas l’habitude de faire ça. »
Confiance en soi
L’un des points communs à tous les VT, c’est le manque
de confiance en eux. Ils se disent pêle-mêle « introverti »,
« émotif », « hypersensible », « anxieux social, mais c’est
pathologique », ou « tout simplement malhabile avec les
filles ». Et l’absence de confiance en soi, ça s’entretient. « Je
suis entrée dans une sorte de cercle vicieux : comment avoir
confiance en moi alors que je ne plais à personne, et que
personne ne me désire ? Mais pour plaire, il faut d’abord
avoir confiance en soi pour renvoyer une image positive »,
analyse Laure, 38 ans.
« Comme de nombreux VT ici, ma virginité n’est pas le fond
du problème – bien que, comme tout le monde, j’ai des
envies. Non, le vrai problème, c’est la solitude sentimentale »,
explique Marion, 22 ans. Charles, lui, s’est finalement payé
une escort à 31 ans, mais reste sur le forum. Et pour cause :
« Si cette expérience a allégé le fardeau mental, elle n’a en
aucun cas comblé le vide affectif. »
Temps
« J’espère qu’il n’est pas trop tard, tout simplement », dit
Maxime, 35 ans. Pour les VT, plus le temps passe, plus le
« problème » est difficile à surmonter. Et puis, il y a le sentiment
d’avoir été dépossédé : « Il va falloir que je porte toute ma vie la
blessure de n’avoir rien vécu durant ma vingtaine, censée
être la plus belle période de la vie », regrette
Charles, 33 ans, qui n’est plus vierge depuis
deux ans. Mais le créateur du forum,
Voir le loup
Jean-Baptiste, plaide pour que le rapCelle qui a vu le loup
port au temps dépende de l’appréciaa perdu son innocence
tion de l’individu et ne soit plus dicté
dans les plaisirs
par la société : « Il n’y a pas d’âge
pour passer le cap. Il faut changer
de la chair. Alors que
les mentalités des gens qui pensent
celui qui l’a vu est
qu’il y a un âge pour cela. » A. C.
Voir la louve
« Je suis lesbienne », dit la patiente pour se justifier de ne pas
prendre de contraception. « Vu que vous êtes vierge, je peux
vous examiner ? » répond la blouse blanche. On aurait préféré
qu’il s’agisse d’une mauvaise blague, mais c’est ce qui est
arrivé à Anne-Sophie, la trentaine, au service gynécologique
de l’hôpital de Limoges. Et comme pour enfoncer le clou, le
rapport de l’examen précise : « Pas de contraception, pas de
rapports sexuels ».
Ce témoignage a été publié par le site d’info LGBT Yagg.com
et a pété les scores de reprise sur le Web. Devant les tweets
et les commentaires indignés, on comprend que les internautes sont nombreux à croire qu’il s’agit d’un cas isolé,
d’une interne à la ramasse ou d’un coup de « pas de bol ».
Pourtant, une bonne partie du personnel médical estime
aujourd’hui que « lesbienne » veut dire « vierge ». Judith Silberfeld, rédactrice en chef de Yagg, précise : « Des histoires de
ce genre, on en entend tout le temps, et elles nous rappellent
à toutes quelque chose. » Morgane, 27 ans, a ainsi été face à
une gynéco parisienne qui lui a expliqué que, « n’étant pas
sexuellement active », elle était plus encline à développer des
aguerri, expérimenté,
a vécu. Chacun
sa spécialité, donc.
infections. Elle venait de lui dire qu’elle vivait avec sa compagne depuis deux ans.
C’est marrant, ces professionnels de santé qui ne conçoivent
le sexe que comme l’emboîtement d’un monsieur dans une
dame ! Dans le dictionnaire de l’Académie de médecine, « rapport sexuel » veut dire « coït » qui veut dire « intromission », qui
veut dire en effet « pénétration du pénis dans le vagin ». En
2014, on apprend donc aux étudiants en médecine qu’il n’y a
d’autre rapport sexuel qu’une pénétration tout hétéro ?
Dingue. Pourtant, les femmes qui aiment les femmes ont bien
évidemment une sexualité. Ben oui, quand deux femmes font
l’amour, elles ne se contentent pas de se faire des petits
bisous dans le cou en se caressant les cheveux. Mélanie,
30 ans, situe la perte de sa virginité à sa première fois avec
une fille, les expériences hétéros de son adolescence ne
comptant pas à ses yeux. Sonia, 26 ans, la situe quant à elle
au jour de son premier orgasme. En tout cas, le « loup » n’a
pas le monopole. Si vous êtes à Limoges, on vous saurait gré
de bien vouloir déposer un exemplaire de Causette au CHU.
Clarence Edgard-Rosa
CAUSETTE #49 • 57
corps & âme
corps & âme
Marie
à tout prix
A
u mois de janvier, Arte diffusait Contes de la virginité, un
documentaire qui suivait les Wilson, une famille chrétienne évangélique de Colorado Springs, aux états-Unis.
Tandis que maman popote, papa organise l’annuel bal de
pureté, dont il est à l’initiative. Cette cérémonie, qui ressemble
à s’y méprendre à un mariage, consiste, pour les filles, à revêtir une robe blanche et à sceller au pied de la croix un pacte
par lequel leur père se porte garant de leur virginité. Nous
avons retrouvé Jordyn, l’une des filles de la fratrie Wilson, qui
perpétue l’héritage de ses parents, une main sur la Bible,
l’autre sur son anneau de pureté.
Comme une Américaine sur huit, Jordyn s’est engagée à
demeurer « sans souillure » jusqu’au mariage. Au moment du
tournage, elle est pile poil entre l’aînée qui vient de se marier et
les cadettes pour lesquelles la virginité est encore un concept
abstrait. La caméra la suit dans l’attente de rencontrer l’homme
que « Dieu mettra sur [sa] route » et pour lequel elle préserve sa
pureté. Dans une scène glaçante, elle confie son angoisse que
cet époux fantasmé, vierge de préférence, ne se pointe jamais,
avant de prier avec son papa pour le faire venir.
Deux ans après le tournage, elle nous l’assure : ce qu’on
voyait à l’écran, ce n’était pas le poids trop lourd de son vœu
de chasteté (encore moins celui de ses parents !), ni la frustra-
R
ester vierge, c’est difficile, mais le redevenir après avoir
eu un enfant, seule Marie, mère du Christ, en était
capable. À la fois sujet d’une GPA (gestation pour autrui)
et d’une PMA (procréation miraculeusement assistée), la
Vierge a bénéficié en outre de ce qu’on appellerait aujourd’hui
une hyménoplastie 1 (reconstruction de l’hymen) divine : son
pucelage est resté intact malgré l’accouchement. C’est le
concept de la virginité perpétuelle de Marie, dogme officiel
des églises catholique et orthodoxe depuis 553 2.
Parabole, me direz-vous ? Non, assure Florence Hosteau,
théologienne et psychothérapeute, « la position de l’église,
c’est que la virginité de Marie est réelle ». Et c’est une sacrée
innovation théologique, car, dans la tradition juive de laquelle
est issu le christianisme, « une femme ne doit pas rester
vierge : elle doit procréer ». Mais Jésus étant à la fois homme
et Dieu, charnel et divin, il avait besoin d’une maman avec
des pouvoirs spéciaux.
Rappelons d’ailleurs que le concept d’Immaculée Conception concerne Marie elle-même, conçue en dehors du péché
originel, et non son fils, comme on le croit souvent à tort.
Marie est vierge de tout péché, même du péché originel :
« Elle réussit là où la première femme, Ève, a échoué »,
décrypte la théologienne.
Les ennuis commencent lorsqu’on s’aperçoit que
Jésus a peut-être eu des frères et sœurs.
Or, ces enfants-là n’ayant pas été
conçus, comme leur aîné, par
l’opération du Saint-Esprit, il a
Dévierger
bien fallu que Marie et Joseph
D’après notre cher Dr Kpote,
aient des… Enfin, vous comla diffusion de cette expression
prenez : adieu la virginité,
quoi ! L’église s’en tire en
chez les plus jeunes découle de
expliquant que les frères de
l’omniprésence de certaines
Jésus sont en réalité des
valeurs religieuses comme
cousins, le mot « frère » ayant
la virginité féminine. Dépuceler,
été utilisé abusivement ; un
c’était trop subtil ; dévierger,
peu comme quand on dit
« salut, mon frère ! » à un, heu…
c’est plus direct !
cousin (par exemple). Sauf que,
Des nouvelles des Wilson
comme le mot « cousin » est également utilisé dans les textes,
on ne voit pas très bien pourquoi il n’aurait été remplacé par
frère que dans certains passages, et bon, bref, on s’y perd…
Au final, le dogme de la virginité perpétuelle a fini par s’imposer dans la chrétienté – à part chez les protestants, qui trouvaient le concept un peu acrobatique –, et une fameuse
pucelle guerrière 3 est encore célébrée à ce jour. Pourtant, le
sacré ayant déserté nos chambres à coucher, la virginité a
largement perdu sa dimension divine. On se gardera bien de
le regretter, même si, comme l’ajoute malicieusement Florence Hosteau, « remettre une dimension divine dans le charnel serait plus érotique ».
Et on laissera Georges Moustaki rendre un hommage mérité à
l’éternel laissé-pour-compte de toute cette histoire : « Parfois
je pense à toi, Joseph / Mon pauvre ami / Lorsque l’on rit / De
toi qui n´avais demandé / Qu´à vivre heureux avec Marie. »
Éric la Blanche
tion de ne pas avoir de vie sentimentale à 23 ans, non, non :
« C’était le désir ardent de vivre [son] rêve : épouser un homme
merveilleux et construire une famille avec lui. » Dans le sillon de
son paternel, Jordyn a fondé la School of Grace, une classe
de « féminité selon la Bible ». Au programme : comment servir
le thé comme une lady, se tenir avec la grâce d’une princesse
et savoir régaler ses convives de délicieux petits plats.
Jordyn est maintenant « happily married » et mère d’un parfait
chérubin. Quand on lui demande comment elle compte parler de sexe à son fils, elle répond qu’elle lui transmettra la
beauté d’une relation avec Jésus et l’importance de choisir le
chemin de l’intégrité. On sait déjà ce que ce petit fera de ses
étés : le frère de Jordyn, Logan, 18 ans, a fondé la School of
Honor. C’est pour les garçons, et, là-bas, pas besoin d’apporter sa tasse de thé et sa tenue du dimanche. Le matin, on
apprend la galanterie et les valeurs masculines selon Dieu ;
l’après-midi, on tire au fusil en treillis. Pourquoi sa communauté exige avec tant de pugnacité des filles qu’elles soient
pures, alors que ça passe au second plan pour les garçons ?
Jordyn rétorque que les garçons sont élevés avec les mêmes
attentes, « mais n’ont pas besoin d’aller à un bal » contrairement aux filles, qui « sont attirées par les belles choses ».
Clarence Edgard-Rosa
Like a virgin
« C’est un grand mythe l’idée que, lorsqu’un pénis pénètre
un vagin, ça transforme la personne comme par magie !
Innocente, elle devient expérimentée. Pure, la voilà salie.
On se retrouve avec un baromètre qui mesure la valeur des
corps et des personnes », nous explique la féministe américaine Therese Shechter. Ces mythes sclérosants, elle les
déboulonne dans le jouissif documentaire How to Lose
Your Virginity 1.
Les témoignages qu’elle a recueillis élargissent la définition
de la perte de la virginité. Chacun a la sienne : « C’était la
première fois que je me suis sentie bien dans mon corps en
faisant l’amour », estime une jeune femme. «La première
fois que j’ai aimé partager mon intimité », glisse un jeune
homme. Ces témoignages sont à retrouver sur le Web 2.
Chacun y est invité à venir parler désir, pression, peurs…
« Une ado nous a demandé si son vagin allait se détendre à
cause du sexe et si elle allait ressembler à une “salope”.
Des jeunes hommes se disent angoissés de ne pas avoir
déjà couché, de ne pas avoir assez de relations… Comme
si on ne leur apprenait qu’à devenir des prédateurs », analyse Therese Shechter. Ce film, c’est un plaidoyer pour une
éducation sexuelle honnête et drôle, permettant à chacun
de cultiver une sexualité libérée des pressions de l’industrie
porno, de la pub, de la religion.
Iris Derœux
1. “Comment perdre votre virginité ?”
En streaming sur www.virginitymovie.com.
2. http://virginitymovie.herokuapp.com
1. Voir page 54. 2. Deuxième concile de Constantinople. 3. Vous n’avez pas trouvé ? Il s’agissait de Jeanne d’Arc (1412-1431).
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