Cumul des fonctions d`administrateur avec un contrat de travail

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Cumul des fonctions d`administrateur avec un contrat de travail
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438 Cumul des fonctions d’administrateur avec un contrat de travail 1
. La question de savoir s’il convient d’autoriser au sein de la société anonyme le cumul entre un « mandat » social et
un contrat de louage de services, conférant des fonctions de directeur technique (directeur du personnel, directeur
commercial, financier...) est délicate.
2
- D’un côté, le cumul permet d’assurer la promotion sociale des cadres de l’entreprise . Il
facilite également le fonctionnement des petites sociétés familiales dans lesquelles les
administrateurs sont souvent chargés par nécessité des fonctions de directeur technique.
Fiscalement, l’administrateur salarié a un régime plus avantageux, dans la mesure où le salarié
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bénéficie de la déduction de 10 % . En outre, les salaires sont en principe déductibles du
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résultat imposable de la société . Si l’entreprise connaît des difficultés, l’administrateur, grâce à
son contrat de travail, peut prétendre aux indemnités de licenciement, aux allocations du régime
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de l’assurance chômage et à la garantie du paiement des salaires par l’AGS .
- Mais, d’un autre côté, l’autorisation de cumul risque d’être à l’origine d’emplois créés de
façon fictive uniquement pour procurer à certains administrateurs une rémunération
supplémentaire et les garanties du droit social. De plus, le cumul peut porter atteinte au principe
de libre révocabilité : il est généralement difficile d’admettre que l’administrateur soit inapte à
conserver son « mandat » social et soit donc révoqué, mais que ses qualités de salarié soient
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telles qu’il conserve son contrat de travail . Pour éviter cette contradiction, il conviendrait de
résilier le contrat de travail, mais l’opération risque d’être très onéreuse pour la société
(indemnités de congédiement ; dommages-intérêts pour rupture abusive). C’est pourquoi le
conseil d’administration, dans cette situation, pourra préférer ne pas prononcer de révocation,
ce qui est en contradiction avec la révocabilité ad nutum de l’article L. 225-18, al. 2. Enfin, le
président du conseil d’administration, s’il est directeur général, a les salariés sous son autorité,
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et va, paradoxalement, être contrôlé par eux, en leur qualité d’administrateur .
En considération de ces avantages et de ces inconvénients, le législateur (art. L. 225-22) a
adopté une position restrictive, appliquée par la Cour de cassation : « lorsqu’il s’agit d’un
mandataire social, la production d’un écrit ne suffit pas à créer une apparence de contrat de
travail et il appartient à l’intéressé de rapporter la preuve du lien de subordination qu’il prétend
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avoir existé parallèlement à son contrat de travail » . Le système est le suivant :
1
. F. Collin, Le droit social du dirigeant d’entreprise ; la problématique du contrat de travail du dirigeant social, Dr. sociétés juin
2005. 7 ; juill. 2005. 7 ; C. Puigelier, Les incidences du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social : de trop nombreuses
incertitudes, JCP E 1992, I, 188 ; A. Couret et B. Dondero, L’organisation du pouvoir dans les sociétés entre salariat et mandat
social : la question du cadre dirigeant, JCP E 2012. 1175. V. sur la pratique du cumul systématique en Allemagne,
Cl. Ducouloux-Favard, Le cumul des fonctions de dirigeant et de salariés dans les sociétés de capitaux en Allemagne, Rev.
sociétés 1988. 381.
2
. Sur la condition des cadres-dirigeants, cf. A. Couret, Existe-t-il une jurisprudence sociale en droit des sociétés ?JCP éd.
soc.2013, 1446.
3
. Plafonnée à 12 170 € pour les revenus perçus en 2015 (CGI, art. 83-3°).
4
. Il convient, toutefois, de réserver le cas où cette rémunération ne correspondrait pas à un emploi effectif ou serait excessive
eu égard à l’importance des services rendus (CGI, art. 39.1.1 ; v. infra, no 439).
5
. Cf. Y Guyon, t. II, no 1352, sur l’assurance garantissant les créances salariales.
6
. Soc. 4 févr. 1993, n° 91-41.913, RJS 5-1993, no 559 (le licenciement ne peut être fondé sur des éléments tirés du
comportement de l’intéressé en tant que mandataire social). Rappr. Soc. 7 avr. 1993, n° 91-42.914, Bull. Joly 1993. 665,
no 182.
7
. Cf. par ex. Soc. 16 oct. 1975, n° 74-40.774, Rev. sociétés 1976, 489, D. Randoux ; Soc. 14 juin 1979, n° 77-41.783, Rev.
sociétés 1980, 87, P. Le Cannu, sur le droit de critique du salarié-administrateur. Cf. aussi Com. 27 mars 1990, n° 88-20.356,
Bull. Joly p. 530, no 138, P. Le Cannu.
8
. Soc. 17 sept. 2008, n° 07-43.626, Bull. Joly 2009. 12, no 1, B. Saintourens.
a) Un administrateur en fonction ne peut pas conclure un contrat de travail avec la
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société . La règle n’est pas expressément formulée par le texte, mais elle a été affirmée avec
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netteté par la Cour de cassation , conformément aux travaux préparatoires.
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Le contrat de travail serait frappé de nullité absolue et l’administrateur devrait restituer le salaire et les
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accessoires de salaire qu’il a perçus . La Chambre sociale, se fondant sur une lecture stricte de l’article
L. 225-44, considère qu’une action pour enrichissement sans cause doit être rejetée car elle se heurte à
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un obstacle de droit .
Cependant, depuis la loi Warsmann II du 22 mars 2012, un administrateur en fonction peut devenir
salarié, à condition que son contrat de travail corresponde à un emploi effectif et que la société soit une
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er
PME au sens du droit européen (art. L. 225-21-1, al. 1 ).
b) Un salarié peut devenir administrateur, sans perdre le bénéfice de son contrat de
travail, si deux conditions sont remplies :
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1. Le contrat de travail doit être effectif (art. L. 225-22)
. Reprenant la solution
jurisprudentielle antérieure, le législateur a voulu que le contrat de travail soit « sérieux et
sincère » et qu’il y ait un lien de subordination avec la société. Cette condition suscite un
contentieux abondant, à l’initiative des Assedic, devenues Pôle emploi en 2008, qui, à la suite
de la multiplication des dépôts de bilan, ont eu l’occasion de contester de plus en plus souvent
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la régularité des cumuls .
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Pour la jurisprudence, les fonctions d’administrateur et de salarié doivent être nettement distinctes ;
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cette dualité sera mieux admise, si elle se traduit par deux rémunérations différentes et si les fonctions
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salariées sont techniques plutôt qu’administratives . Lorsque les fonctions sociales absorbent les
fonctions salariées ou lorsque le lien de subordination vient à faire défaut (ce sera plus fréquent pour les
fonctions de président, de PDG ou de directeur général que pour celles d’administrateur) la Cour de
cassation a admis que le contrat de travail se trouve, en l’absence de convention contraire,
automatiquement suspendu, pendant le temps d’exercice du mandat social, peu important qu’il ait été
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modifié dans l’un de ses éléments substantiels lors de la cessation du mandat .
9
. Les fonctions d’administrateur débutent au moment de leur acceptation et non à partir de l’immatriculation de la société,
Paris (sol.) 29 juin 2001, supra no 432. L’antériorité du contrat de travail de l’administrateur s’apprécie à sa date de prise d’effet,
Soc. 26 févr. 2013, n° 11-26.101, BRDA n° 7 -2013, p. 4. Sur le sort du contrat de travail conclu par un administrateur
postérieurement à sa démission, Soc. 25 juin 1996, n° 94-19.992, D. 1997. 341, C. Puigelier ; Soc. 26 juin 2008, n° 06-18.056,
BRDA no 18-2008, p. 3 (démission non publiée). Sur une hypothèse de démission frauduleuse d’un mandat social pour conclure
immédiatement un contrat de travail, Soc. 18 mai 2005, n° 03-41.799, RTD com. 2006. 138, P. Le Cannu.
10
. Cf. par ex. Soc. 7 juin 1974, n° 73-40.155, Rev. sociétés 1975, 91, Y. Chartier ; Soc. 7 (n° 72-40.672) et 21 nov. (n° 7440.055) 1974, RTD com. 1975. 543, no 15, R. Houin ; Com. 7 mars 1989, n° 86-12.678, Bull. Joly 1989. 435, no 155 (le contrat
de travail étant nul, la clause de rachat d’actions en cas de licenciement, qu’il contient, doit être déclarée sans effet) ; Soc. 2
nov. 1993, n° 89-42.640, RJDA 1994. 154, no 178.
11
. Soc. 21 nov. 2006, n° 05-45.416, Bull. Joly 2007. 383, no 88, G. Auzero ; Com. 26 janv. 1999, n° 97-10.018, Bull. Joly
1999. 657, no 145, Th. Granier. V. sur la possibilité d’un contrat de travail conclu tacitement après la disparition de la cause de
nullité, Soc. 10 janv. 2001, n° 98-45.643, RJDA 2001. 618, no 699 et sur la possibilité de prendre en compte l’ancienneté même
en cas de cumul irrégulier, Soc. 21 mars 2002, n° 00-40.189, RJDA 2002. 766, no 902.
12
. Com. 16 mai 1995, n° 93-14709, Bull. Joly 1995. 757, no 260, P. Le Cannu.
13
. Soc. 5 nov. 2009, n° 08-43.177, Bull. Joly 2010. 462, no 91, P. Le Cannu.
14
. C’est-à-dire : effectif inférieur à 250 salariés et total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros ou montant H. T. du chiffre
d’affaires n’excédant pas 50 millions d’euros.
15
. F. Mansuy, La notion d’emploi effectif et ses conséquences sur le maintien du contrat de travail des dirigeants sociaux, Rev.
sociétés 1987. 1.
16
. C’est à celui qui soutient qu’il a été mis fin au contrat de travail par la nomination d’un salarié à des fonctions de mandataire
social d’en rapporter la preuve, Soc. 10 févr. 1993, n° 91-43.539, RJDA 1993. 866, no 1033.
17
. Soc. 13 mars 2013, n° 11-27.201, Bull. Joly 2013, 392, B. Saintourens.
18
. V. par ex. Soc. 4 janv. 1974, n° 73-40.002, Bull. civ. V, no 13, p. 12.
19
. Paris, 22 oct. 1973, RTD com. 1974. 533, no 5, R. Houin ; Soc. 5 juin 1980, n° 79-11.906, Rev. sociétés 1981. 88, 1re esp.,
Y. Chartier.
20
. Soc. 12 déc. 1990, n° 87-40.596, Bull. Joly 1991. 842, no 302, P. Le Cannu ; Soc. 8 oct. 2003, n° 01-43.556, JCP E 2004,
no 29, J. J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; Paris 26 sept. 2003, Bull. Joly 2004. 47, no 5, B. Saintourens. Cf. B. Petit, La
suspension du contrat de travail des dirigeants de société anonyme, RTD com. 1981. 29 et Le sort du contrat de travail des
directeurs généraux, Dr. sociétés 1991. 463 ; R. Vatinet, Des hypothèses de non-cumul d’un contrat de travail et d’un mandat
social, Rev. sociétés 1999. 273.
En conséquence, pendant la durée de la suspension, l’intéressé ne perçoit pas son salaire et perd sa
couverture sociale. À l’expiration du mandat social, le contrat de travail suspendu retrouve tous ses
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effets . Dès lors que cette condition est remplie, les fonctions d’administrateur et de salarié vont
coexister. Au cas où le contrat de travail serait modifié, il devrait être soumis à la procédure de contrôle
o
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des articles L. 225-38 s. (infra, n 449 s.) . Mais la modification ne doit pas être d’une telle importance
qu’elle donne naissance à un nouveau contrat de travail, car le cumul ne serait plus possible (supra, a).
Le code AFEP-MEDEF considère cependant que cette suspension est insuffisante dans les sociétés
cotées. Il recommande que lorsqu’un salarié devient mandataire social il soit mis fin au contrat de travail
qui le lie à la société.
2. Le nombre des administrateurs liés à la société par un contrat de travail ne peut
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dépasser le tiers des administrateurs en fonction (art. L. 225-22, al. 2) .
Ne doivent pas être comptés pour la détermination des administrateurs liés à la société par
un contrat de travail, les administrateurs élus par les salariés, les administrateurs représentant
les salariés actionnaires ou le fonds commun de placement d’entreprise (art. L. 225-22 al. 3 ; cf.
o
infra, n 612). Mais doivent l’être les administrateurs de la PME devenus salariés (art. L. 22521-1, al. 2).
Curieusement, la loi ne prévoit pas de sanction en cas de dépassement, mais, par analogie, il
er 24
convient d’appliquer celle prévue à l’alinéa 1
.
Cette règle du tiers est beaucoup trop rigide. Elle a été heureusement écartée en cas de rachat d’une
entreprise par ses salariés, à condition que l’opération se situe dans le cadre d’un RES (CGI, art. 220
quater A-I, al. 6). Le rapport Marini suggérait que la limitation légale soit portée à la moitié des postes
(p. 45).
3. Jusqu’à la loi Madelin du 11 février 1994, une troisième condition était exigée : le contrat de travail
devait être antérieur de deux ans au moins à la nomination comme administrateur (art. L. 93 al. 1 anc.).
Ce délai minimum avait été instauré pour que l’intéressé ne puisse pas se faire consentir un contrat de
travail juste avant sa nomination en qualité d’administrateur.
Cette condition d’antériorité a été jugée excessive, compte tenu du contrôle exercé par les tribunaux sur
le caractère effectif du contrat de travail, et a donc été supprimée. Dans la logique de cette réforme, le
rapport Marini proposait d’autoriser l’administrateur à conclure, postérieurement à sa désignation, un
contrat de travail avec la société (p. 37).
En revanche, cette condition d’antériorité de deux ans du contrat de travail demeure exigée par l’article
L. 225-28 pour devenir administrateur, élu par les salariés.
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En pratique, cette réglementation sur les cumuls est source de beaucoup d’insécurité ; elle
est surtout gênante pour les sociétés anonymes de taille modeste. Dans les groupes de
sociétés, rien ne s’oppose à ce que le salarié d’une société soit nommé administrateur d’une
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autre société... .
21
. Soc. 21 mai 2014, n° 13-16 663, Rev. sociétés 2014, p. 494, B. Saintourens (à propos d'un mandataire social). Sur le sort
de la période d'essai qui était en cours au moment où est intervenue la suspension, Soc. 24 avril 2013, n° 12-11825, BRDA
n° 10-2013, p. 3 ; sur la neutralisation de l’ancienneté pendant la période de suspension, Soc. 30 oct. 2001, n° 99-45.300,
RJDA 2002. 222, no 260, sauf convention contraire, Paris 30 sept. 2003, RJDA 2004. 764, no 819.
22
. Soc. 8 déc. 1976, n° 75-12.486, Rev. sociétés 1977, 251, I. Balensi, montrant bien que l’augmentation de salaire est
soumise à la procédure des art. L. 225-38 s., alors que l’augmentation de rémunération en qualité de directeur général ne peut
résulter que d’une décision du conseil d’administration.
23
. La « règle du tiers » est écartée dans certaines sociétés, par exemple les SEL (art. 12 al. 2 L. 31 déc. 1990), mais pas en
cas de fusion (R.M. JO déb. AN 24 avr. 1995, p. 2211 ; Bull. Joly 1995. 517, no 179).
24
. Cf. Com. 11 juin 1986, JCP E 1986, II, 15846, no 10, A. Viandier et J.-J. Caussain, décidant qu’il y a nullité de la nomination
aux fonctions d’administrateur, mais pas nullité du contrat de travail.
25
. Cf. par ex. Agen, 1er mars 1994, Rev. sociétés 1994. 786, Y. Guyon.
26
. Soc. 20 mars 1996 (aff. Personnaz), n° 92-41.581, Bull. Joly 1996. 514, no 175, J. Ph. Dom, id. p. 477, no 163 (Chaussetrappes d’une garantie de réintégration). N. de Sevin, Exercice d’un mandat social dans une filiale en exécution d’un contrat de
travail conclu avec la société mère, RJS 6-1992, p. 391 ; Soc. 7 avr. (n° 91-42.914) et 6 oct. (n° 90-44.561 et n° 92-40.077)
1993, Rev. sociétés 1994. 76, B. Petit ; Soc. 4 mars 1997, n° 93-45.674, Bull. Joly 1997. 661, no 251, J.-P. Dom ; Paris 24 oct.
2013, Bull. Joly 2014, p. 86, D. Poracchia (licenciement sans incidence sur les mandats sociaux exercés dans le groupe). Sur le
statut des dirigeants de filiale, B. Petit et Y. Reinhard, RTD com. 1998. 174 ; R.M. JO déb. AN 9 mars 1981, p. 1028 ; Rev.
sociétés 1981. 426. De son côté, le juge fiscal admet la déductibilité des indemnités de licenciement versées par une filiale à
une salariée mise à sa disposition par sa société mère, dès lors qu’ayant exercé le pouvoir de direction et de contrôle du travail
de l’intéressée elle était solidairement responsable des conséquences financières de la rupture de son contrat de travail, TA
Paris 24 oct. 2007, Sté Groupe David Girard, RJF 5/08, no 538.

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