Évolution de l`instabilité sur le marché du travail français au
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Évolution de l`instabilité sur le marché du travail français au
Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années !Romain Aeberhardt et Claire Marbot* En dépit de son rôle central dans l’explication des inégalités de salaires, l’instabilité de l’emploi est un thème récent dans la littérature économique française. L’exploitation de données appariées employeurs-salariés sur une période de trente ans est susceptible d’apporter de nouveaux éclairages sur deux thèmes fréquemment traités dans la littérature étrangère : l’évolution de l’instabilité et la distinction des effets individuels firmes et salariés. L e nombre de jours travaillés dans l’année est le principal facteur des inégalités salariales. C’est en tout cas l’un des constats du 7e rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (2006). Malgré cela, les études traitant de l’instabilité de l’emploi sont relativement récentes. Il faut attendre la fin des années 1990 aux États-Unis puis le début des années 2000 en France pour voir apparaître des études sur ce thème. Suivant les données, les concepts et la méthodologie retenus, les auteurs trouvent que la stabilité a diminué ou non. On peut se référer à L’Horty (2004) pour une synthèse des principaux articles français sur le sujet ainsi qu’une proposition d ’e x p lic a tion s ur le urs divergences. Globalement il trouve que l’instabilité a augmenté de 1969 au milieu des années 1990 avant de diminuer à nouveau jusqu’en 2002. Par ailleurs elle s’est diffusée à un plus grand nombre de catégories de travailleurs. Mais la tendance, ou non, à l’augmentation de l’instabilité n’est pas la seule question en suspens sur ce sujet. En effet, au cours des dernières années, la disponibilité de données appariées employeurs-employés a fait surgir une nouvelle interrogation quant aux liens potentiels entre instabilité liée aux salariés et instabilité liée à la durée des emplois offerts par les entreprises. Certaines entreprises ont-elles tendance à avoir des périodes d’emploi plus courtes que d’autres ? Certains individus sont-ils plus ou moins « stables » que d’autres ? Et qu’en est-il des liens entre les deux : les individus les « moins stables » travaillent-ils dans des entreprises qui gardent leurs salariés moins longtemps ? Ces questions qui avaient déjà été mises sur le devant de la scène dans le cas des salaires avec Encadré 1 - Les données La source statistique Les données sont issues des « déclarations annuelles de données sociales » (DADS), une source d’informations couplées employeurs-salariés d’origine administrative collectées par l’Insee. L’information contenue dans cette base provient du rapport annuel que les employeurs doivent transmettre chaque année aux administrations sociales et fiscales et qui contient une liste nominative de leurs salariés et d’informations concernant ces derniers. La base de données annuelle contient donc une liste de salariés indiquant notamment pour chacun : l’employeur, le sexe, l’âge, le mois de naissance, le montant des rémunérations perçues, le nombre de jours rémunérés, les dates de début et de fin de la période d’emploi, la catégorie socioprofessionnelle et, depuis 1994, le nombre d’heures travaillées. À partir de ces données annuelles exhaustives sont extraites les informations relatives aux salariés nés en octobre des années paires, qui permettent ainsi de suivre environ 4 % des salariés entre 1976 et 2006. Le champ : les salariés dont toute la carrière observée s’effectue dans le privé Le champ des DADS s’est, à partir des années 1980, progressivement élargi aux entreprises publiques et aux fonctions publiques hospitalière et territoriale. De plus, parallèlement à ces données, on dispose des « fichiers de paye des agents de l’État », qui fournissent des informations comparables sur les salariés de la fonction publique d’État. Pour disposer d’un champ pertinent et constant sur trente ans, ont donc été exclus les salariés ayant réalisé tout ou partie de leur carrière dans l’une des trois fonctions publiques (d’État, territoriale, hospitalière) ainsi qu’au sein de La Poste et France Télécom. Le champ de l’étude est donc constitué par les salariés ayant effectué l’intégralité de leur carrière professionnelle entre 1976 et 2006 dans le secteur privé. * Insee Courrier des statistiques n° 129, juin 2010 1 Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années l’article précurseur de Abowd, Kramarz & Margolis (1999) ont fait récemment l’objet d’études empiriques dans le cas des périodes d’emploi Cette étude se donne pour objectif d’établir un constat descriptif concernant l’évolution des durées des périodes d’emploi. Dans la première partie, nous étudions l’instabilité en emploi pour déterminer si elle a augmenté au cours des trente dernières années et, si oui, pour quelles c a tégories de s ala riés. Dans la seconde partie, nous nous intéressons spécifiquement aux liens entre les effets propres aux entreprises et ceux propres aux salariés. Les données utilisées proviennent des déclarations annuelles de données sociales (DADS) (encadré 1) de 1976 à 2006. Tous les résultats présentés ici demeurent à un stade exploratoire et sont plutôt donnés à titre descriptif afin de stimuler la recherche tant empirique que théorique sur les questions de stabilité sur le marché du travail. La progression de l’instabilité de l’emploi touche les salariés de manière hétérogène L’évolution de l’instabilité ne suit plus seulement celle de la conjoncture depuis le début des années 1990 Pour caractériser l’évolution de l’instabilité en emploi, on calcule à différentes échéances après l’embauche la probabilité d’être toujours en emploi dans la même entreprise. Ces probabilités sont appelées « taux de survie » en emploi (encadré 2). De manière générale, la stabilité mesurée par cet indicateur a décru de manière importante sur la période 1977-2005 (graphique 1). Si l’on compare plus précisément les différentes échéances, la baisse la plus forte est celle des taux de survie en emploi à court terme — 3 mois, 6 mois et 1 an — alors que les mêmes taux à 2 ans, 3 ans et surtout à 5 ans, ont connu une baisse plus modérée. C’est donc 2 Graphique 1 - Taux de survie à différentes échéances en % 80 70 60 3 mois 50 6 mois 40 1 an 30 2 ans 20 3 ans 10 5 ans 1977 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 Lecture : au moment de son embauche, un salarié embauché en 1980 avait une probabilité d’occuper le même emploi 3 mois plus tard de 64 %. Source : DADS Encadré 2 - Décrire et modéliser l’instabilité en emploi Étudier l’instabilité de l’emploi demande de s’intéresser aux durées pendant lesquelles les individus restent en emploi, et consiste donc concrètement à décrire et modéliser ces durées. Les données de durées peuvent s’interpréter comme le résultat d’un processus sous-jacent qui détermine l’interruption d’une période. On donne souvent une place particulière à des indicateurs facilement interprétables comme le taux de hasard (probabilité que l’interruption survienne à une date donnée) ou le taux de survie (probabilité que cette interruption soit survenue avant une certaine échéance). Décrire : des taux de survie Pour mesurer l’instabilité en emploi, l’indicateur choisi ici est le taux de survie. Il s’agit de la probabilité, au moment de l’embauche, d’être toujours en emploi à une certaine échéance. Par exemple, si le taux de survie à 6 mois est 60 %, cela signifie que lorsqu’une personne est embauchée, sa probabilité d’être encore en emploi 6 mois plus tard est de 60 %. C’est l’estimateur « de Kaplan-Meier » des taux de survie qui est ici utilisé. Cet estimateur est une fonction de répartition empirique qui prend en compte la censure à droite. Les données s’interrompent en effet au 31 décembre 2006, si bien que les durées observées des périodes d’emploi qui s’arrêtent à cette date sont, pour la plupart, inférieures aux durées effectives des périodes. Modéliser : le modèle de Cox Pour modéliser l’instabilité en emploi, on exprime la probabilité d’interruption d’une période d’emploi à une date donnée (le taux de hasard) en fonction de caractéristiques des individus. Cela exige généralement de formuler une hypothèse sur le hasard de base. Le hasard de base est le taux de hasard d’un individu qui possèderait les caractéristiques choisies comme référence ; le taux de hasard de chaque individu se déduit ensuite de ce hasard de base et des coefficients estimés. Le « modèle de Cox » est un modèle à hasard proportionnel, ce qui signifie que des valeurs différentes des variables qui caractérisent l’individu aboutissent à des valeurs du taux de hasard proportionnelles entre elles. La probabilité d’interruption d’une période d’emploi est donc modulée en fonction des caractéristiques de l’individu. Ce sont les coefficients estimés du modèle qui donnent l’effet qu’exerce telle ou telle caractéristique sur le taux de hasard, soit sur l’instabilité de l’emploi. Le « modèle de Cox » est ici choisi parce qu’il permet d’éviter de choisir une forme particulière pour le hasard de base. En effet, pour estimer le modèle, il est possible de maximiser une vraisemblance partielle dont l’expression est indépendante du hasard de base. Courrier des statistiques n° 129, juin 2010 Romain Aeberhardt et Claire Marbot surtout la probabilité de perdre son emploi dans les premiers mois qui s’est accrue. On note également l’existence d’un décrochage au début des années 1990. En effet, jusqu’à cette période, les variations de la stabilité en emploi sont très corrélées avec celles du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), ce qui suggère que ces variations sont de nature conjoncturelle. En revanche, à partir de cette période, les taux de survie en emploi à une échéance inférieure à un an sont orientés à la baisse, contrairement à l’évolution de la conjoncture économique (graphique 2). La fréquence des interruptions d’emploi avant un an semble donc croître tendanciellement à partir du début des années 1990, probablement en lien avec la montée de l’intérim et l’assouplissement, pour les entreprises, des possibilités de recours aux emplois temporaires. Une nette hiérarchie de la stabilité en emploi, inchangée depuis trente ans Cette tendance à la hausse de l’instabilité est-elle concentrée sur certaines catégories de la population ? L’examen des taux bruts de survie en emploi montre qu’ils demeurent peu différenciés selon les sexes, avec un écart dans la plupart des cas inférieur à un point. Le taux de stabilité des femmes diminue cependant tout au long de la période de manière plus importante que celui des hommes. Alors qu’il était plus élevé au milieu des années 1970, la hiérarchie s’inverse à la fin des années 1990. Cette évolution est sans doute en partie due à des changements législatifs (mise en place de l’allocation parentale d’éducation), ou d’éventuelles différences de sensibilité au cycle économique des emplois occupés par les hommes et les femmes. Cela pourrait également s’expliquer par un effet de composition de la population des femmes salariées, puisque la hausse de l’activité féminine s’est en partie concentrée sur des emplois plus précaires. Ensuite, il existe une hiérarchie des catégories socioprofessionnelles qui ne change pas. Les cadres, et dans une moindre mesure les professions intermédiaires sont, sur toute la période, plus stables que les employés et les ouvriers. Si cet ordre demeure inchangé, la tendance à la hausse de l’instabilité touche toutefois l’ensemble des catégories socioprofessionnelles. En particulier, les cadres, dont la stabilité en emploi était à la fin des années 1970 nettement supérieure à celle des autres catégories, ont vu leur stabilité diminuer de manière au moins aussi importante que les autres. L’écart entre les catégories socioprofessionnelles a ainsi connu une période de resserrement. Alors que la différence entre la stabilité en emploi des cadres et celle des professions intermédiaires était Graphique 2 - Évolutions comparées du taux de survie à 6 mois et du Produit Intérieur Brut en % 65 0 60 –2 55 –4 50 45 40 35 Taux de survie à 6 mois (éch. de gauche) –6 –8 Opposé du taux de croissance annuel (échel. de droite) – 10 91 93 95 97 99 01 03 05 1977 79 81 83 85 87 89 Lecture : au moment de son embauche, un salarié embauché en 1980 avait une probabilité d’occuper le même emploi 6 mois plus tard de 49 %. Source : DADS Courrier des statistiques n° 129, juin 2010 importante jusqu’au milieu des années 1980, cet écart s’est fortement amenuisé ensuite pour laisser place à une polarisation entre, d’une part les cadres et professions intermédiaires, d’autre part les employés et ouvriers. L’évolution de la stabilité varie également fortement en fonction de l’âge. La hiérarchie reste la même entre 1977 et 2005 : les plus âgés possèdent les stabilités les plus élevées quelle que soit l’échéance. Pour les salariés de 26 à 55 ans, les évolutions sont parallèles entre elles. En revanche, la sta b ilité de s 16-20 a n s e t d e s 21-25 ans montre un décrochage au début des années 1990 par rapport à celle des autres tranches d’âge, perceptible essentiellement pour les taux de survie en emploi à 3 mois et 6 mois. Si la baisse de la stabilité à moins d’un an est générale, elle est donc plus marquée en début de carrière, probablement parce que la hausse du recours aux contrats temporaires concerne surtout les jeunes salariés. De plus, la composition de la tranche d’âge des 16-25 ans a changé : la part des plus qualifiés y a diminué en raison de l’augmentation de la durée des études. La catégorie socioprofessionnelle et l’âge sont des déterminants essentiels de la stabilité en emploi Pour affiner cette analyse, on cherche à isoler plus précisément les déterminants de l’instabilité et de son évolution. Pour cela, on modélise les durées des périodes d’emploi en fonction de l’âge, du sexe et de la catégorie socioprofessionnelle. Les coefficients estimés de ce modèle indiquent l’effet qu’exerce telle ou telle caractéristique sur la probabilité d’interruption de la période d’emploi (encadré 2). Tout d’abord, l’effet d’être une femme est d’ampleur très faible, au regard des autres coefficients. On s’intéresse donc plutôt à la catégorie socioprofessionnelle et à l’âge. L’effet de la catégorie socioprofessionnelle a évolué de manière non 3 Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années linéaire. Le rapprochement entre les catégories observé au milieu des années 1980 se matérialise par un pic du c o e ffic ie nt à c e tte da te (graphique 3). L’effet du fait de travailler comme "cadre", qui distinguait nettement cette catégorie des autres au début de la période étudiée, a fortement diminué à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante. Cette période marquée par une convergence des différentes catégories socioprofessionnelles a été suivie d’une période de divergence entre, d’un côté cadres et professions intermédiaires, de l’autre employés et ouvriers. Si l’âge est le deuxième paramètre qui joue fortement sur l’instabilité, ce sont en réalité les âges extrêmes qui sont déterminants. Les indicatrices des classes d’âge comprises entre 31 et 55 ans n’exercent pas d’effet propre marqué. En revanche le fait d’être âgé de plus de 56 ans est lié à une stabilité inférieure du fait des départs en retraite ou en préretraite. Parmi les plus jeunes, l’effet du coefficient est d’autant plus important que les salariés sont jeunes. De plus les coefficients des tranches d’âge des moins de 25 ans ont connu une forte hausse sur la période (graphiques 4 et 5). Graphique 3 - Coefficients des indicatrices de catégories socioprofessionnelles en point Finalement, les principaux résultats sont les suivants : 0,1 0 – 0,1 – 0,2 Cadres – 0,3 Professions intermédiaires – 0,4 Employés – 0,5 Ouvriers (réf.) 1977 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 Lecture : en 1992, le fait de travailler comme cadre conduirait à une probabilité instantanée d’interruption de la période d’emploi inférieure de 0,2 point par rapport aux ouvriers, à sexe et âge identiques. Source : DADS Graphiques 4 et 5 - Coefficients des indicatrices de tranches d’âge - la stabilité en emploi s’est, depuis le début des années 1990, décorrélée de l’évolution conjoncturelle pour suivre une tendance à la baisse ; - sur la période, la probabilité d’interruption d’une période d’emploi est constamment plus faible parmi les cadres et professions intermédiaires q u e p a r m i le s o u v r i e r s e t le s employés, et parmi les salariés âgés de 31 à 50 ans que parmi les salariés des autres tranches d’âge ; en point 0,95 - la hausse de l’instabilité se concentre sur les moins de 25 ans ; 0,85 0,75 16-20 ans 0,65 21-25 ans 0,55 26-30 ans 0,45 0,35 31-35 ans 0,25 36-40 ans (réf) - l’écart de stabilité entre les cadres d’une part, ouvriers et employés de l’autre, a diminué au milieu des années 1980 avant de s’accroître de manière importante. 0,15 0,05 – 0,05 1977 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 0,7 0,6 36-40 ans (réf.) 0,5 41-45 ans 0,4 46-50 ans 0,3 0,2 51-55 ans 0,1 56-60 ans 0 61-65 ans – 0,1 – 0,2 1977 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 Lecture : en 1990, être âgé de 16 à 20 ans conduirait à une probabilité instantanée d’interruption de la période d’emploi de 0,6 point plus élevée que celle des personnes âgées de 36 à 40 ans, à sexe et catégorie socioprofessionnelle identiques. Source : DADS 4 Des différences de stabilité marquées suivant les caractéristiques des salariés et des entreprises S’il semble se dégager une tendance à l’augmentation de l’instabilité au cours des trente dernières années, on note cependant que tous les individus ne sont pas touchés de la même manière. La seconde partie de cette étude tente justement de prendre en compte plus précisément les spécificités fixes dans le temps qui sont propres à chaque salarié et à chaque entreprise. Courrier des statistiques n° 129, juin 2010 Romain Aeberhardt et Claire Marbot polarisé en ce sens que les individus qui ont tendance à avoir des périodes d’emplois courtes sont plus souvent embauchés par des entreprises qui gardent leurs salariés moins longtemps ? Les questions que l’on se pose sont les suivantes : - certains individus sont-ils plus stables que d’autres ? - certaines entreprises gardentelles leurs salariés plus longtemps que d’autres ? - quels sont les liens entre la « stabilité » des individus ou des entreprises et leurs caractéristiques observables ? - le marché du travail est-il Tableau - Effets fixes moyens suivant la catégorie socioprofessionnelle Effet fixe individu Cadre Profession intermédiaire Employé Ouvrier 0,10 0,13 – 0,15 0,04 Intervalle de confiance à 95 % [0,09 ; 0,11] [0,12 ; 0,14] [– 0,16 ; – 0,15] [0,04 ; 0,04] Effet fixe entreprise Intervalle de confiance à 95 % 5,56 5,47 5,28 5,23 [5,56 ; 5,57] [5,46 ; 5,47] [5,27 ; 5,28] [5,23 ; 5,23] Lecture : les effets fixes sont définis à une constante additive près ; l’écart entre les effets fixes moyens des cadres et des professions intermédiaires est de 0,03, ce qui correspond à des périodes d’emploi en moyenne 3 % plus longues pour les professions intermédiaires à entreprise fixée. L’effet fixe entreprise est en revanche plus élevé en moyenne de 0,09 pour les cadres, ce qui correspond à des périodes d’emploi 9 % plus longues en moyenne pour les entreprises dans lesquelles se trouvent les cadres. Source : DADS au 1/25, carrières uniquement dans le secteur privé Encadré 3 - Effets propres aux entreprises et aux individus Pour estimer des effets propres aux individus et aux entreprises, on se place dans un cadre linéaire en s’inspirant de Abowd, Kramarz & Margolis (1999). Le modèle estimé est le suivant où i représente un individu et j une entreprise : ln(Tij ) = α i + γ j + ε ij Cette estimation a un sens dans le cas où on possède des données complètes (i-e sans censures) et où le modèle est de type exponentiel, log-logistique ou log-normal, ce qui est assez général. Afin de travailler sur des données aussi complètes que possibles, on se limite aux périodes d’emploi ayant commencé en 2001 et avant. Les périodes censurées en 2006 seront tronquées mais elles ne sont finalement qu’assez peu nombreuses : elles ne représentent que 3 % des périodes d’emploi de l’échantillon. Les paramètres individus et entreprises sont identifiés à une constante additive près. On a choisi de fixer la moyenne des effets individus à 0, de ne pas contraindre les effets entreprises et donc de ne pas inclure de constante dans le modèle. Comme il est expliqué par exemple dans Abowd, Creecy & Kramarz (2002), l’identification d’un tel modèle ne peut se faire que sur des sous-ensembles particuliers du marché du travail pour lesquels on peut trouver un lien entre deux salariés ou deux entreprises. Plus précisément, deux individus appartiennent au même groupe s’ils ont travaillé dans une même entreprise (pas nécessairement en même temps), et deux entreprises appartiennent au même groupe si au moins un individu a travaillé dans les deux entreprises. En pratique, dans notre échantillon, le plus grand de ces groupes représente 91 % des individus, 87 % des entreprises et 97 % des périodes d’emplois. On se limitera à l’estimation des paramètres sur ce groupe uniquement. On estime ce modèle de panel à doubles effets fixes par une méthode itérative (algorithme de Gauss-Seidel) qui consiste à estimer successivement les effets entreprises et individus de manière répétée. On obtient ainsi 1 326 267 effets fixes individus et 965 695 effets fixes entreprises à partir des 5 628 028 périodes d’emploi. On peut craindre qu’individuellement chaque coefficient soit estimé de manière assez imprécise, mais ce qui nous intéresse ici n’est pas leur valeur exacte mais la forme de leur distribution. Courrier des statistiques n° 129, juin 2010 Pour répondre à ces questions, nous avons développé un modèle où la période d’emploi serait le produit d’une durée de base par un facteur propre à chaque individu, un facteur propre à chaque entreprise et un terme aléatoire représentant l’hétérogénéité inobservée spécifique à la période d’emploi en question. Nous estimons alors pour chaque individu et chaque entreprise ces facteurs propres que l’on nommera « effet fixe individu » et « effet fixe entreprise ». L’encadré 3 expose rapidement la méthode utilisée pour obtenir ces estimations. Nous étudions ensuite la répartition de ces effets fixes individu et entreprise pour chaque tranche de taille d’entreprise, secteur d’activité, catégorie socioprofessionnelle et année de naissance. Les grandes entreprises ont tendance à garder leurs salariés plus longtemps que les petites entreprises mais elles ont également tendance à employer des salariés plus stables que la moyenne. Ces effets sont du même ordre de grandeur et l’idée que les périodes d’emploi sont plus longues dans les grandes entreprises serait donc due tout autant aux entreprises elles-mêmes qu’aux salariés qui y travaillent. La plupart des entreprises industrielles et commerciales (hors commerce de détail) ont tendance à employer des individus plutôt plus stables que la moyenne, mais les effets fixes des entreprises sont dans la moyenne. Au contraire, certains secteurs comme l’hôtellerie-restauration, les activités récréatives et les activités associatives ont tendance à avoir des périodes d’emploi plus courtes tant du fait des entreprises que des salariés qu’elles emploient. Les services personnels et domestiques ont la particularité d’avoir des effets fixes entreprises plutôt plus élevés que la moyenne tout en embauchant des individus en moyenne moins stables. C’est sans doute le signe que ces entreprises offrent des contrats plus longs à des salariés qui ont globalement des difficultés à se stabiliser dans d’autres secteurs du marché du travail. 5 Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années Les services opérationnels ont quant à eux tendance à avoir des effets entreprises plutôt plus bas que la moyenne, alors que les salariés qui y travaillent sont plutôt dans la moyenne. Il est à noter que le secteur des activités financières cumule des effets fixes individuels et entreprises en moyenne plus élevés que les autres secteurs. Les cadres et les professions intermédiaires ont tendance à la fois à être individuellement plus stables et à travailler dans des entreprises qui ont tendance à garder leurs salariés plus longtemps (tableau). Les employés, au contraire, travaillent dans des entreprises qui gardent leurs salariés plutôt légèrement moins que la moyenne, et sont individuellement b e a u c o u p m o in s s ta b le s . L e s ouvriers, quant à eux, sont dans les entreprises qui ont le moins tendance à garder leurs salariés mais sont plutôt légèrement au-dessus de la moyenne en termes de stabilité individuelle. Les effets mesurés sur les années de naissance ne sont pas faciles à interpréter car les individus ne sont pas observés sur la même période de leur 6 carrière. Ceux qui sont nés en 1922 avaient 55 ans en 1977 et leurs effets fixes individuels ont donc été calculés sur la fin de la carrière uniquement. Au contraire, ceux qui sont nés en 1976 avaient 25 ans en 2001 et leurs effets fixes individuels n’ont été estimés que sur leurs toutes premières périodes d’emploi. Cette première approche laisse tout de même penser qu’il y a une double dimension dans l’instabilité plus forte des plus jeunes salariés. Non seulement ils ont tendance à rester moins longtemps dans une entreprise quelle que soit l’entreprise dans laquelle ils travaillent, mais ils ont également tendance à travailler dans des entreprises qui proposent des contrats plus courts que la moyenne. Afin d’essayer de mieux tenir compte des différences de périodes d’observation pour les différentes années de naissance, on recalcule les effets fixes individuels sur 5 ans entre 25 et 29 ans pour les années de naissances 1964, 1968 et 1972 et sur 10 ans entre 21 et 30 ans pour les années de naissance 1958, 1964 et 1970. Les e ffe ts fix e s indiv idue ls ont e u tendance à fortement diminuer entre les individus nés en 1958, 1964 et 1970 observés sur 10 ans. Cette baisse des effets fixes individuels moyens se confirme également quand on compare les individus nés en 1964, 1968 et 1972 observés sur 5 ans. Pour l’année de naissance 1964, les effets fixes individuels mesurés sur 5 ans sont artificiellement surestimés par rapport à leur estimation sur plus longue période car ils sont calculés dans une phase de baisse du cycle économique où la mobilité est en général plus faible. n Bibliographie ü Abowd, J., Creecy, R. et Kramarz, F. (2002), « Computing person and firm effects using linked longitudinal employer-employee data », Cornell University Working Paper. ü Abowd, J., Kramarz, F. et Margolis, D. (1999), « High wage workers and high wage firms », Econometrica, 67(2), p. 251–333. ü Conseil de l’emploi des revenus et de la cohésion Sociale (2006), « La France en transition - 1993-2005 », Rapport n° 7 . ü L’Horty, Y. (2004), « Instabilité de l’emploi: quelles ruptures de tendance?, Communication au séminaire L’évolution de l’instabilité de l’emploi, CERC, 6 novembre 2003. Courrier des statistiques n° 129, juin 2010