Évolution de l`instabilité sur le marché du travail français au

Transcription

Évolution de l`instabilité sur le marché du travail français au
Évolution de l'instabilité
sur le marché du travail français
au cours des trente dernières années
!Romain Aeberhardt et Claire Marbot*
En dépit de son rôle central dans l’explication des inégalités de salaires, l’instabilité de l’emploi est un thème récent dans la littérature économique française. L’exploitation de données
appariées employeurs-salariés sur une période de trente ans est susceptible d’apporter de
nouveaux éclairages sur deux thèmes fréquemment traités dans la littérature étrangère : l’évolution de l’instabilité et la distinction des effets individuels firmes et salariés.
L
e nombre de jours travaillés
dans l’année est le principal
facteur des inégalités salariales.
C’est en tout cas l’un des constats du
7e rapport du Conseil de l’emploi, des
revenus et de la cohésion sociale
(2006). Malgré cela, les études traitant de l’instabilité de l’emploi sont
relativement récentes. Il faut attendre
la fin des années 1990 aux États-Unis
puis le début des années 2000 en
France pour voir apparaître des
études sur ce thème. Suivant les
données, les concepts et la méthodologie retenus, les auteurs trouvent que
la stabilité a diminué ou non. On peut
se référer à L’Horty (2004) pour une
synthèse des principaux articles français sur le sujet ainsi qu’une proposition d ’e x p lic a tion s ur le urs
divergences. Globalement il trouve
que l’instabilité a augmenté de 1969
au milieu des années 1990 avant de
diminuer à nouveau jusqu’en 2002.
Par ailleurs elle s’est diffusée à un plus
grand nombre de catégories de
travailleurs.
Mais la tendance, ou non, à l’augmentation de l’instabilité n’est pas la
seule question en suspens sur ce
sujet. En effet, au cours des dernières
années, la disponibilité de données
appariées employeurs-employés a
fait surgir une nouvelle interrogation
quant aux liens potentiels entre
instabilité liée aux salariés et instabilité
liée à la durée des emplois offerts par les
entreprises. Certaines entreprises
ont-elles tendance à avoir des périodes
d’emploi plus courtes que d’autres ?
Certains individus sont-ils plus ou moins
« stables » que d’autres ? Et qu’en est-il
des liens entre les deux : les individus les « moins stables » travaillent-ils dans des entreprises qui
gardent leurs salariés moins longtemps ? Ces questions qui avaient
déjà été mises sur le devant de la
scène dans le cas des salaires avec
Encadré 1 - Les données
La source statistique
Les données sont issues des « déclarations annuelles de données sociales » (DADS),
une source d’informations couplées employeurs-salariés d’origine administrative
collectées par l’Insee. L’information contenue dans cette base provient du rapport
annuel que les employeurs doivent transmettre chaque année aux administrations
sociales et fiscales et qui contient une liste nominative de leurs salariés et
d’informations concernant ces derniers.
La base de données annuelle contient donc une liste de salariés indiquant
notamment pour chacun : l’employeur, le sexe, l’âge, le mois de naissance, le
montant des rémunérations perçues, le nombre de jours rémunérés, les dates de
début et de fin de la période d’emploi, la catégorie socioprofessionnelle et, depuis
1994, le nombre d’heures travaillées.
À partir de ces données annuelles exhaustives sont extraites les informations
relatives aux salariés nés en octobre des années paires, qui permettent ainsi de
suivre environ 4 % des salariés entre 1976 et 2006.
Le champ : les salariés dont toute la carrière observée s’effectue dans le privé
Le champ des DADS s’est, à partir des années 1980, progressivement élargi aux
entreprises publiques et aux fonctions publiques hospitalière et territoriale. De plus,
parallèlement à ces données, on dispose des « fichiers de paye des agents de l’État »,
qui fournissent des informations comparables sur les salariés de la fonction publique
d’État. Pour disposer d’un champ pertinent et constant sur trente ans, ont donc été
exclus les salariés ayant réalisé tout ou partie de leur carrière dans l’une des trois
fonctions publiques (d’État, territoriale, hospitalière) ainsi qu’au sein de La Poste et
France Télécom. Le champ de l’étude est donc constitué par les salariés ayant
effectué l’intégralité de leur carrière professionnelle entre 1976 et 2006 dans le
secteur privé.
* Insee
Courrier des statistiques n° 129, juin 2010
1
Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années
l’article précurseur de Abowd,
Kramarz & Margolis (1999) ont fait
récemment l’objet d’études
empiriques dans le cas des périodes
d’emploi
Cette étude se donne pour objectif
d’établir un constat descriptif concernant l’évolution des durées des périodes d’emploi. Dans la première
partie, nous étudions l’instabilité en
emploi pour déterminer si elle a
augmenté au cours des trente dernières années et, si oui, pour quelles
c a tégories de s ala riés. Dans la
seconde partie, nous nous intéressons
spécifiquement aux liens entre les
effets propres aux entreprises et ceux
propres aux salariés. Les données
utilisées proviennent des déclarations
annuelles de données sociales
(DADS) (encadré 1) de 1976 à 2006.
Tous les résultats présentés ici demeurent à un stade exploratoire et
sont plutôt donnés à titre descriptif
afin de stimuler la recherche tant empirique que théorique sur les questions de stabilité sur le marché du
travail.
La progression de l’instabilité
de l’emploi touche les salariés
de manière hétérogène
L’évolution de l’instabilité ne suit
plus seulement celle de la conjoncture depuis le début des années 1990
Pour caractériser l’évolution de l’instabilité en emploi, on calcule à différentes échéances après l’embauche
la probabilité d’être toujours en
emploi dans la même entreprise. Ces
probabilités sont appelées « taux de
survie » en emploi (encadré 2).
De manière générale, la stabilité
mesurée par cet indicateur a décru de
manière importante sur la période
1977-2005 (graphique 1). Si l’on
compare plus précisément les différentes échéances, la baisse la plus forte
est celle des taux de survie en emploi
à court terme — 3 mois, 6 mois et 1 an
— alors que les mêmes taux à 2 ans, 3
ans et surtout à 5 ans, ont connu une
baisse plus modérée. C’est donc
2
Graphique 1 - Taux de survie à différentes échéances
en %
80
70
60
3 mois
50
6 mois
40
1 an
30
2 ans
20
3 ans
10
5 ans
1977 79
81
83
85
87 89
91
93 95
97 99
01
03
05
Lecture : au moment de son embauche, un salarié embauché en 1980 avait une probabilité d’occuper le même
emploi 3 mois plus tard de 64 %.
Source : DADS
Encadré 2 - Décrire et modéliser l’instabilité en emploi
Étudier l’instabilité de l’emploi demande de s’intéresser aux durées pendant
lesquelles les individus restent en emploi, et consiste donc concrètement à décrire et
modéliser ces durées. Les données de durées peuvent s’interpréter comme le résultat
d’un processus sous-jacent qui détermine l’interruption d’une période. On donne
souvent une place particulière à des indicateurs facilement interprétables comme le
taux de hasard (probabilité que l’interruption survienne à une date donnée) ou le taux
de survie (probabilité que cette interruption soit survenue avant une certaine
échéance).
Décrire : des taux de survie
Pour mesurer l’instabilité en emploi, l’indicateur choisi ici est le taux de survie. Il
s’agit de la probabilité, au moment de l’embauche, d’être toujours en emploi à une
certaine échéance. Par exemple, si le taux de survie à 6 mois est 60 %, cela
signifie que lorsqu’une personne est embauchée, sa probabilité d’être encore en
emploi 6 mois plus tard est de 60 %.
C’est l’estimateur « de Kaplan-Meier » des taux de survie qui est ici utilisé. Cet
estimateur est une fonction de répartition empirique qui prend en compte la censure à
droite. Les données s’interrompent en effet au 31 décembre 2006, si bien que les
durées observées des périodes d’emploi qui s’arrêtent à cette date sont, pour la
plupart, inférieures aux durées effectives des périodes.
Modéliser : le modèle de Cox
Pour modéliser l’instabilité en emploi, on exprime la probabilité d’interruption d’une
période d’emploi à une date donnée (le taux de hasard) en fonction de
caractéristiques des individus. Cela exige généralement de formuler une hypothèse
sur le hasard de base. Le hasard de base est le taux de hasard d’un individu qui
possèderait les caractéristiques choisies comme référence ; le taux de hasard de
chaque individu se déduit ensuite de ce hasard de base et des coefficients estimés.
Le « modèle de Cox » est un modèle à hasard proportionnel, ce qui signifie que des
valeurs différentes des variables qui caractérisent l’individu aboutissent à des valeurs
du taux de hasard proportionnelles entre elles. La probabilité d’interruption d’une
période d’emploi est donc modulée en fonction des caractéristiques de l’individu. Ce
sont les coefficients estimés du modèle qui donnent l’effet qu’exerce telle ou telle
caractéristique sur le taux de hasard, soit sur l’instabilité de l’emploi.
Le « modèle de Cox » est ici choisi parce qu’il permet d’éviter de choisir une forme
particulière pour le hasard de base. En effet, pour estimer le modèle, il est possible de
maximiser une vraisemblance partielle dont l’expression est indépendante du hasard
de base.
Courrier des statistiques n° 129, juin 2010
Romain Aeberhardt et Claire Marbot
surtout la probabilité de perdre son
emploi dans les premiers mois qui
s’est accrue.
On note également l’existence d’un
décrochage au début des années
1990. En effet, jusqu’à cette période,
les variations de la stabilité en emploi
sont très corrélées avec celles du taux
de croissance du produit intérieur
brut (PIB), ce qui suggère que ces
variations sont de nature conjoncturelle. En revanche, à partir de cette
période, les taux de survie en emploi
à une échéance inférieure à un an
sont orientés à la baisse, contrairement à l’évolution de la conjoncture
économique (graphique 2). La
fréquence des interruptions d’emploi
avant un an semble donc croître
tendanciellement à partir du début
des années 1990, probablement en
lien avec la montée de l’intérim et
l’assouplissement, pour les entreprises, des possibilités de recours aux
emplois temporaires.
Une nette hiérarchie de la stabilité en
emploi, inchangée depuis trente ans
Cette tendance à la hausse de l’instabilité est-elle concentrée sur certaines
catégories de la population ?
L’examen des taux bruts de survie en
emploi montre qu’ils demeurent peu
différenciés selon les sexes, avec un
écart dans la plupart des cas inférieur
à un point. Le taux de stabilité des
femmes diminue cependant tout au
long de la période de manière plus
importante que celui des hommes.
Alors qu’il était plus élevé au milieu
des années 1970, la hiérarchie s’inverse à la fin des années 1990. Cette
évolution est sans doute en partie due
à des changements législatifs (mise en
place de l’allocation parentale d’éducation), ou d’éventuelles différences
de sensibilité au cycle économique
des emplois occupés par les hommes
et les femmes. Cela pourrait également s’expliquer par un effet de
composition de la population des
femmes salariées, puisque la hausse
de l’activité féminine s’est en partie
concentrée sur des emplois plus
précaires.
Ensuite, il existe une hiérarchie des
catégories socioprofessionnelles
qui ne change pas. Les cadres, et
dans une moindre mesure les
professions intermédiaires sont, sur
toute la période, plus stables que les
employés et les ouvriers. Si cet ordre
demeure inchangé, la tendance à la
hausse de l’instabilité touche toutefois l’ensemble des catégories
socioprofessionnelles. En particulier, les cadres, dont la stabilité en
emploi était à la fin des années 1970
nettement supérieure à celle des
autres catégories, ont vu leur stabilité diminuer de manière au moins
aussi importante que les autres.
L’écart entre les catégories socioprofessionnelles a ainsi connu une
période de resserrement. Alors que
la différence entre la stabilité en
emploi des cadres et celle des
professions intermédiaires était
Graphique 2 - Évolutions comparées du taux de survie à 6 mois et du Produit Intérieur Brut
en %
65
0
60
–2
55
–4
50
45
40
35
Taux de survie
à 6 mois
(éch. de gauche)
–6
–8
Opposé du taux
de croissance
annuel
(échel. de droite)
– 10
91 93 95 97 99 01 03 05
1977 79 81 83 85 87 89
Lecture : au moment de son embauche, un salarié embauché en 1980 avait une probabilité d’occuper le même
emploi 6 mois plus tard de 49 %.
Source : DADS
Courrier des statistiques n° 129, juin 2010
importante jusqu’au milieu des
années 1980, cet écart s’est fortement amenuisé ensuite pour laisser
place à une polarisation entre,
d’une part les cadres et professions
intermédiaires, d’autre part les
employés et ouvriers.
L’évolution de la stabilité varie également fortement en fonction de l’âge.
La hiérarchie reste la même entre
1977 et 2005 : les plus âgés possèdent
les stabilités les plus élevées quelle
que soit l’échéance. Pour les salariés
de 26 à 55 ans, les évolutions sont
parallèles entre elles. En revanche, la
sta b ilité de s 16-20 a n s e t d e s
21-25 ans montre un décrochage au
début des années 1990 par rapport à
celle des autres tranches d’âge,
perceptible essentiellement pour les
taux de survie en emploi à 3 mois et 6
mois. Si la baisse de la stabilité à
moins d’un an est générale, elle est
donc plus marquée en début de
carrière, probablement parce que la
hausse du recours aux contrats
temporaires concerne surtout les
jeunes salariés. De plus, la composition de la tranche d’âge des 16-25 ans
a changé : la part des plus qualifiés y a
diminué en raison de l’augmentation
de la durée des études.
La catégorie socioprofessionnelle et
l’âge sont des déterminants essentiels de la stabilité en emploi
Pour affiner cette analyse, on cherche
à isoler plus précisément les déterminants de l’instabilité et de son évolution. Pour cela, on modélise les
durées des périodes d’emploi en
fonction de l’âge, du sexe et de la
catégorie socioprofessionnelle. Les
coefficients estimés de ce modèle
indiquent l’effet qu’exerce telle ou
telle caractéristique sur la probabilité
d’interruption de la période d’emploi
(encadré 2).
Tout d’abord, l’effet d’être une femme
est d’ampleur très faible, au regard
des autres coefficients. On s’intéresse
donc plutôt à la catégorie socioprofessionnelle et à l’âge.
L’effet de la catégorie socioprofessionnelle a évolué de manière non
3
Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années
linéaire. Le rapprochement entre les
catégories observé au milieu des
années 1980 se matérialise par un pic
du c o e ffic ie nt à c e tte da te
(graphique 3). L’effet du fait de
travailler comme "cadre", qui distinguait nettement cette catégorie des
autres au début de la période étudiée,
a fortement diminué à la fin des
années 1970 et au début de la
décennie suivante. Cette période
marquée par une convergence des
différentes catégories socioprofessionnelles a été suivie d’une période
de divergence entre, d’un côté cadres
et professions intermédiaires, de
l’autre employés et ouvriers.
Si l’âge est le deuxième paramètre qui
joue fortement sur l’instabilité, ce
sont en réalité les âges extrêmes qui
sont déterminants. Les indicatrices
des classes d’âge comprises entre 31
et 55 ans n’exercent pas d’effet propre
marqué. En revanche le fait d’être âgé
de plus de 56 ans est lié à une stabilité
inférieure du fait des départs en
retraite ou en préretraite. Parmi les
plus jeunes, l’effet du coefficient est
d’autant plus important que les salariés sont jeunes. De plus les coefficients des tranches d’âge des moins
de 25 ans ont connu une forte hausse
sur la période (graphiques 4 et 5).
Graphique 3 - Coefficients des indicatrices de catégories socioprofessionnelles
en point
Finalement, les principaux résultats
sont les suivants :
0,1
0
– 0,1
– 0,2
Cadres
– 0,3
Professions
intermédiaires
– 0,4
Employés
– 0,5
Ouvriers (réf.)
1977 79
81 83 85 87 89
91 93 95 97 99 01 03
05
Lecture : en 1992, le fait de travailler comme cadre conduirait à une probabilité instantanée d’interruption de la
période d’emploi inférieure de 0,2 point par rapport aux ouvriers, à sexe et âge identiques.
Source : DADS
Graphiques 4 et 5 - Coefficients des indicatrices de tranches d’âge
- la stabilité en emploi s’est,
depuis le début des années 1990,
décorrélée de l’évolution conjoncturelle pour suivre une tendance à la
baisse ;
- sur la période, la probabilité d’interruption d’une période d’emploi est
constamment plus faible parmi les
cadres et professions intermédiaires
q u e p a r m i le s o u v r i e r s e t le s
employés, et parmi les salariés âgés
de 31 à 50 ans que parmi les salariés
des autres tranches d’âge ;
en point
0,95
- la hausse de l’instabilité se
concentre sur les moins de 25 ans ;
0,85
0,75
16-20 ans
0,65
21-25 ans
0,55
26-30 ans
0,45
0,35
31-35 ans
0,25
36-40 ans (réf)
- l’écart de stabilité entre les
cadres d’une part, ouvriers et
employés de l’autre, a diminué au
milieu des années 1980 avant de s’accroître de manière importante.
0,15
0,05
– 0,05
1977 79
81
83
85
87
89
91
93
95
97
99
01
03
05
0,7
0,6
36-40 ans (réf.)
0,5
41-45 ans
0,4
46-50 ans
0,3
0,2
51-55 ans
0,1
56-60 ans
0
61-65 ans
– 0,1
– 0,2
1977
79
81
83
85
87
89
91
93
95
97
99
01
03
05
Lecture : en 1990, être âgé de 16 à 20 ans conduirait à une probabilité instantanée d’interruption de la période
d’emploi de 0,6 point plus élevée que celle des personnes âgées de 36 à 40 ans, à sexe et catégorie socioprofessionnelle identiques.
Source : DADS
4
Des différences de stabilité
marquées suivant
les caractéristiques
des salariés et des entreprises
S’il semble se dégager une tendance à
l’augmentation de l’instabilité au
cours des trente dernières années, on
note cependant que tous les individus
ne sont pas touchés de la même
manière. La seconde partie de cette
étude tente justement de prendre en
compte plus précisément les spécificités fixes dans le temps qui sont
propres à chaque salarié et à chaque
entreprise.
Courrier des statistiques n° 129, juin 2010
Romain Aeberhardt et Claire Marbot
polarisé en ce sens que les individus
qui ont tendance à avoir des périodes
d’emplois courtes sont plus souvent
embauchés par des entreprises qui
gardent leurs salariés moins longtemps ?
Les questions que l’on se pose sont les
suivantes :
- certains individus sont-ils plus
stables que d’autres ?
- certaines entreprises gardentelles leurs salariés plus longtemps
que d’autres ?
- quels sont les liens entre la
« stabilité » des individus ou des
entreprises et leurs caractéristiques
observables ?
- le marché du travail est-il
Tableau - Effets fixes moyens suivant la catégorie socioprofessionnelle
Effet fixe
individu
Cadre
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
0,10
0,13
– 0,15
0,04
Intervalle
de confiance à 95 %
[0,09 ; 0,11]
[0,12 ; 0,14]
[– 0,16 ; – 0,15]
[0,04 ; 0,04]
Effet fixe
entreprise
Intervalle
de confiance à 95 %
5,56
5,47
5,28
5,23
[5,56 ; 5,57]
[5,46 ; 5,47]
[5,27 ; 5,28]
[5,23 ; 5,23]
Lecture : les effets fixes sont définis à une constante additive près ; l’écart entre les effets fixes moyens des cadres et
des professions intermédiaires est de 0,03, ce qui correspond à des périodes d’emploi en moyenne 3 % plus longues pour les professions intermédiaires à entreprise fixée. L’effet fixe entreprise est en revanche plus élevé en
moyenne de 0,09 pour les cadres, ce qui correspond à des périodes d’emploi 9 % plus longues en moyenne pour
les entreprises dans lesquelles se trouvent les cadres.
Source : DADS au 1/25, carrières uniquement dans le secteur privé
Encadré 3 - Effets propres aux entreprises et aux individus
Pour estimer des effets propres aux individus et aux entreprises, on se place dans un
cadre linéaire en s’inspirant de Abowd, Kramarz & Margolis (1999). Le modèle
estimé est le suivant où i représente un individu et j une entreprise :
ln(Tij ) = α i + γ j + ε ij
Cette estimation a un sens dans le cas où on possède des données complètes (i-e sans
censures) et où le modèle est de type exponentiel, log-logistique ou log-normal, ce
qui est assez général. Afin de travailler sur des données aussi complètes que
possibles, on se limite aux périodes d’emploi ayant commencé en 2001 et avant. Les
périodes censurées en 2006 seront tronquées mais elles ne sont finalement qu’assez
peu nombreuses : elles ne représentent que 3 % des périodes d’emploi de
l’échantillon. Les paramètres individus et entreprises sont identifiés à une constante
additive près. On a choisi de fixer la moyenne des effets individus à 0, de ne pas
contraindre les effets entreprises et donc de ne pas inclure de constante dans le
modèle.
Comme il est expliqué par exemple dans Abowd, Creecy & Kramarz (2002),
l’identification d’un tel modèle ne peut se faire que sur des sous-ensembles
particuliers du marché du travail pour lesquels on peut trouver un lien entre deux
salariés ou deux entreprises. Plus précisément, deux individus appartiennent au
même groupe s’ils ont travaillé dans une même entreprise (pas nécessairement en
même temps), et deux entreprises appartiennent au même groupe si au moins un
individu a travaillé dans les deux entreprises. En pratique, dans notre échantillon, le
plus grand de ces groupes représente 91 % des individus, 87 % des entreprises et
97 % des périodes d’emplois. On se limitera à l’estimation des paramètres sur ce
groupe uniquement.
On estime ce modèle de panel à doubles effets fixes par une méthode itérative
(algorithme de Gauss-Seidel) qui consiste à estimer successivement les effets
entreprises et individus de manière répétée. On obtient ainsi 1 326 267 effets fixes
individus et 965 695 effets fixes entreprises à partir des 5 628 028 périodes d’emploi.
On peut craindre qu’individuellement chaque coefficient soit estimé de manière
assez imprécise, mais ce qui nous intéresse ici n’est pas leur valeur exacte mais la
forme de leur distribution.
Courrier des statistiques n° 129, juin 2010
Pour répondre à ces questions, nous
avons développé un modèle où la
période d’emploi serait le produit
d’une durée de base par un facteur
propre à chaque individu, un facteur
propre à chaque entreprise et un
terme aléatoire représentant l’hétérogénéité inobservée spécifique à la
période d’emploi en question. Nous
estimons alors pour chaque individu
et chaque entreprise ces facteurs
propres que l’on nommera « effet fixe
individu » et « effet fixe entreprise ».
L’encadré 3 expose rapidement la
méthode utilisée pour obtenir ces
estimations. Nous étudions ensuite la
répartition de ces effets fixes individu
et entreprise pour chaque tranche de
taille d’entreprise, secteur d’activité,
catégorie socioprofessionnelle et
année de naissance.
Les grandes entreprises ont tendance
à garder leurs salariés plus longtemps
que les petites entreprises mais elles
ont également tendance à employer
des salariés plus stables que la
moyenne. Ces effets sont du même
ordre de grandeur et l’idée que les
périodes d’emploi sont plus longues
dans les grandes entreprises serait
donc due tout autant aux entreprises
elles-mêmes qu’aux salariés qui y
travaillent.
La plupart des entreprises industrielles et commerciales (hors
commerce de détail) ont tendance à
employer des individus plutôt plus
stables que la moyenne, mais les
effets fixes des entreprises sont dans
la moyenne. Au contraire, certains
secteurs comme l’hôtellerie-restauration, les activités récréatives et les
activités associatives ont tendance à
avoir des périodes d’emploi plus
courtes tant du fait des entreprises
que des salariés qu’elles emploient.
Les services personnels et domestiques ont la particularité d’avoir des
effets fixes entreprises plutôt plus
élevés que la moyenne tout en
embauchant des individus en
moyenne moins stables. C’est sans
doute le signe que ces entreprises
offrent des contrats plus longs à des
salariés qui ont globalement des
difficultés à se stabiliser dans d’autres secteurs du marché du travail.
5
Évolution de l'instabilité sur le marché du travail français au cours des trente dernières années
Les services opérationnels ont quant
à eux tendance à avoir des effets
entreprises plutôt plus bas que la
moyenne, alors que les salariés qui y
travaillent sont plutôt dans la
moyenne. Il est à noter que le
secteur des activités financières
cumule des effets fixes individuels et
entreprises en moyenne plus élevés
que les autres secteurs.
Les cadres et les professions intermédiaires ont tendance à la fois à être
individuellement plus stables et à
travailler dans des entreprises qui ont
tendance à garder leurs salariés plus
longtemps (tableau). Les employés,
au contraire, travaillent dans des
entreprises qui gardent leurs salariés
plutôt légèrement moins que la
moyenne, et sont individuellement
b e a u c o u p m o in s s ta b le s . L e s
ouvriers, quant à eux, sont dans les
entreprises qui ont le moins tendance
à garder leurs salariés mais sont plutôt
légèrement au-dessus de la moyenne
en termes de stabilité individuelle.
Les effets mesurés sur les années de
naissance ne sont pas faciles à interpréter car les individus ne sont pas
observés sur la même période de leur
6
carrière. Ceux qui sont nés en 1922
avaient 55 ans en 1977 et leurs effets
fixes individuels ont donc été calculés sur la fin de la carrière uniquement. Au contraire, ceux qui sont nés
en 1976 avaient 25 ans en 2001 et
leurs effets fixes individuels n’ont été
estimés que sur leurs toutes premières
périodes d’emploi. Cette première
approche laisse tout de même penser
qu’il y a une double dimension dans
l’instabilité plus forte des plus jeunes
salariés. Non seulement ils ont
tendance à rester moins longtemps
dans une entreprise quelle que soit
l’entreprise dans laquelle ils travaillent, mais ils ont également tendance
à travailler dans des entreprises qui
proposent des contrats plus courts
que la moyenne.
Afin d’essayer de mieux tenir compte
des différences de périodes d’observation pour les différentes années de
naissance, on recalcule les effets fixes
individuels sur 5 ans entre 25 et 29
ans pour les années de naissances
1964, 1968 et 1972 et sur 10 ans
entre 21 et 30 ans pour les années de
naissance 1958, 1964 et 1970. Les
e ffe ts fix e s indiv idue ls ont e u
tendance à fortement diminuer entre
les individus nés en 1958, 1964 et
1970 observés sur 10 ans. Cette
baisse des effets fixes individuels
moyens se confirme également
quand on compare les individus nés
en 1964, 1968 et 1972 observés sur 5
ans. Pour l’année de naissance 1964,
les effets fixes individuels mesurés sur
5 ans sont artificiellement surestimés
par rapport à leur estimation sur plus
longue période car ils sont calculés
dans une phase de baisse du cycle
économique où la mobilité est en
général plus faible. n
Bibliographie
ü Abowd, J., Creecy, R. et Kramarz, F. (2002),
« Computing person and firm effects using linked longitudinal employer-employee data »,
Cornell University Working Paper.
ü Abowd, J., Kramarz, F. et Margolis, D.
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Courrier des statistiques n° 129, juin 2010

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