Surprises de printemps - Le Spectacle du Monde

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Surprises de printemps - Le Spectacle du Monde
Surprises de printemps
Écrit par Patrice de Plunkett
Mardi, 15 Mai 2012 19:17
Un « conservateur » révolutionnaire - Titanic 2 : naufrage et business - Syrie, vérités incorrectes - La
messe du père Abou Khalil - Le crépuscule des lords
Un « conservateur » révolutionnaire
Bruxelles, 2 avril – « Devant les mécanismes d’exclusion et d’exploitation qui, de par le monde,
sacrifient toujours plus d’hommes et de femmes pour le seul profit ; devant le refus, imposé
par une économie de marché exacerbée, de régulations et de pratiques qui assureraient
pourtant l’accès du plus grand nombre aux biens fondamentaux ; devant l’exaltation
dangereuse et injuste de la pure croissance du bienêtre matériel, car la croissance illimitée
conduira tôt ou tard au chaos ; devant les agissements des acteurs financiers, tels les
agences de crédit facile incitant au surendettement des familles précarisées... » De qui est
cette philippique? De l’épiscopat belge ! Et plus précisément : de Mgr André-Joseph Léonard,
archevêque de Malines-Bruxelles depuis 2010. Ami de Benoît XVI et bête noire des médias, il
passe pour le prélat le plus « conservateur ». Pourquoi ? Parce que son séminaire est plein, ce
qui fait mauvais genre ; et parce qu’il traite les nouvelles mœurs de produit dérivé de la société
de consommation... Mgr Léonard aime le mariage homme-femme et la famille stable. Mais il
n’aime pas le veau d’or ! Déjà, le 24 décembre 2011, à la messe de minuit, son homélie avait
électrisé les fidèles : « Je sympathise avec les “indignés” qui protestent contre les méfaits du
néolibéralisme déferlant sur la planète et engendrant chômage, exclusion, pauvreté matérielle
et spirituelle, parce que le profit est idolâtré au détriment des plus vulnérables… Comme le
pape, j’estime que c’est le devoir de l’Etat de corriger les excès de l’économie de marché afin
de garantir le bien commun en obligeant les plus fortunés à se montrer solidaires des plus
démunis. » Et l’archevêque de prôner la création d’une autorité mondiale, pour garantir « une
solidarité entre les nations de la planète » ! Altermondialiste, en plus? Il va être combattu par la
droite ! Il l’était déjà par la gauche. C’est la preuve qu’il va dans la bonne direction.
Titanic 2 : naufrage et business
Atlantique Nord, 14 avril – On est à 650 kilomètres au sud de Terre-Neuve, par 41° 46’ Nord et
50° 14’ Ouest. Il est 23 h 40. Ici même, il y a cent ans heure pour heure, le paquebot géant
Titanic – 269 mètres, dix ponts, le plus grand et le plus luxueux bateau jamais construit – se
déchirait bêtement sur un iceberg et coulait en moins de deux heures, malgré ses seize
compartiments étanches et sa réputation d’insubmersibilité. C’était son voyage inaugural. Il y
eut 1500 disparus, surtout parmi l’équipage et les émigrants irlandais du pont de 3e classe qui
n’avaient pu accéder aux embarcations... Ce fut un drame de l’incompétence : les officiers
avaient oublié de donner des jumelles aux vigies.... L’officier radio avait fait taire un navire qui
voulait lui signaler l’iceberg (« silence, vous encombrez la fréquence »)... On n’avait pas
expliqué l’usage des chaloupes aux passagers, même à ceux de 1re classe... La White Star
Line avait ordonné au commandant d’aller le plus vite possible, au détriment de la sécurité...
Même le chantier naval avait triché : les cloisons étanches n’étaient pas assez hautes, la
coque n’était pas double sur les flancs du navire, son acier et les rivets de fer étaient cassants
par température au-dessous de zéro.
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Ce naufrage fut un traumatisme international. Après quoi il y eut 1914, et le drame du Titanic
s’éloigna dans les brumes de la légende. Jusqu’à ce que le film de James Cameron (1997) en
fasse un soap opera sentimental... C’est pourquoi, en cette nuit du 14 avril 2012, deux
paquebots de croisière viennent évoluer sur les lieux de la catastrophe. Le plus blingbling est
le Balmoral, de la compagnie Fred Olsen Cruises : il promène à son bord 1300 passagers qui
ont payé leur place à prix d’or. Le navire a suivi le même trajet que le Titanic, avec les mêmes
escales et les mêmes menus au Dom Pérignon, accompagnés de la même musique...
(L’orchestre aura la décence de ne pas attaquer Plus près de toi, mon Dieu à 1 h 15).
Quelques heures plus tard, à New York, une vente de milliers d’objets retrouvés dans l’épave
du Titanic se tiendra au profit de leur propriétaire : la firme Titanic Inc. A Belfast, le chantier
Harland & Wolff – qui avait si mal construit le navire mais qui appartient aujourd’hui au
croisiériste Olsen– ouvre une sorte de Disneyland du Titanic ; les foules y viendront
s’émouvoir en pensant, non aux centaines de victimes de 1912, mais à l’idylle Leonardo
DiCaprio- Kate Winslet dans le film commercial de Cameron. « Hegel note quelque part que
tous les grands événements historiques surviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié
d’ajouter : une fois comme tragédie, et la fois d’après comme farce. » (Karl Marx, Le 18
Brumaire de Louis Bonaparte).
Syrie, vérités incorrectes
Capharnaüm, 14 avril – Dix heures du matin : soleil et petit vent sur le lac de Tibériade. Un
bateau de tourisme israélien longe la rive ; ses haut-parleurs tonitruent O Happy Day. Assis à
côté de moi sous un sycomore, un médecin français me raconte qu’il arrive de Syrie. Il est
venu au volant de sa voiture par la route du Golan, Kuneitra et le secteur des colonies juives. Il
dit à mi-voix : « Sachant ce que racontent les médias et les politiques à Paris, j’hésite à
témoigner de ce qui se passe réellement sur le terrain...». Les exactions de l’armée d’Assad
sont montées en épingle, dit-il, mais on ne parle pas de ce que font les bandes armées
salafistes. A Homs (un million d’habitants), 90 % des chrétiens, mais aussi les alaouites et
nombre de musulmans modérés, ont été forcés de partir sans rien emporter : « Leurs maisons
sont occupées par les familles des insurgés sunnites. On enlève des instituteurs, on assassine
des chauffeurs de taxi pour prendre leur voiture, on tue des fonctionnaires : c’est une
campagne d’éviction par la terreur... La presse à Paris croit devoir dire que les chrétiens de
Syrie ont tort de soutenir Assad. Ont-ils le choix ? »
Véritable nation contrairement à l’Irak, la Syrie ignorait les haines communautaristes. Celles-ci
sont créées aujourd’hui par les salafistes qui infiltrent l’Armée syrienne « libre ». Comme l’a
révélé l’envoyé spécial du journal espagnol ABC, cette armée est commandée sur le terrain
par... deux Libyens : Abdelhakim Belhadj (ex-compagnon de Ben Laden, ex-chef historique
d’al- Qaida en Libye, ex-« gouverneur militaire » de Tripoli lors de la révolution contre
Kadhafi); et Mahdi al-Harati, ex-commandant de la « brigade de Tripoli », ex-numéro2 du «
conseil militaire révolutionnaire » dans la capitale libyenne. Ils ne sont pas venus seuls : six
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cents volontaires libyens opèrent sous leurs ordres. Les résultats sont là... Quand une de ces
bandes armées s’est emparée du bourg de Kusayr, entre Homs et la frontière libanaise, elle a
massacré plusieurs familles et appelé à éradiquer les « traîtres à l’islam ». La population –
même musulmane – s’est enfuie. La maison du curé, le père Georges Louis, a été détruite au
mortier. Toutes les factions insurgées ne sont pas salafistes, et la majorité des musulmans
syriens dénoncent ces violences sectaires : elles sont inspirées par le wahhabisme saoudien.
Les armes aussi viennent d’Arabie saoudite, et l’argent vient du Qatar. Deux alliés de l’Otan,
comme chacun sait... Fataliste, mon médecin de Capharnaüm conclut: « L’Irak... La Libye...
maintenant la Syrie... J’aimerais qu’on me dise pourquoi nous, Occidentaux, nous mettons
systématiquement ces gens au pouvoir. »
Le bateau israélien s’est éloigné vers l’autre rive du lac de Tibériade ; O Happy Day décroît et
s’éteint.
La messe du père Abou Khalil
Naplouse, 15 avril – La paroisse palestinienne de Rafidia, c’est une poignée de chrétiens dans
la masse des musulmans de l’agglomération de Naplouse. Le curé s’appelle Abou Khalil.
Aujourd’hui 15 avril, il dit la messe de Pâques: dans les paroisses du patriarcat de Jérusalem,
les Arabes « latins » célèbrent cette fête à la même date que les Arabes orthodoxes, et vice
versa à Noël... Bâtie en 1885, l’église de Rafidia est dédiée à saint Justin, né en l’an 110 à
Naplouse (alors Neapolis) et martyrisé sous Marc-Aurèle en 165 : des siècles avant l’arrivée
du premier musulman en Palestine. Les chrétiens d’ici sont les plus anciens du monde... Et ils
sont menacés de disparition. On ne les persécute pas, mais le mur israélien rend la vie
économique aléatoire : les Palestiniens musulmans peuvent aller travailler dans les pays
arabes et envoyer de l’argent à leur famille ; pas les Palestiniens chrétiens. Ils doivent partir
pour l’Europe, l’Amérique, ou encore plus loin. Souvent, ils y restent. D’où le dépeuplement
progressif de la chrétienté palestinienne : en 2012, les chrétiens de Jérusalem sont moins
nombreux à Jérusalem qu’à Sydney. Dans les territoires palestiniens, les catholiques sont
encore 17000 (sur 50000 chrétiens : moins de 3 % de la population). En Israël, les chrétiens
arabes sont 130000 au total... Même à Bethléem (Palestine) et à Nazareth (Israël), les
musulmans sont majoritaires aujourd’hui. Les Palestiniens musulmans sont épaulés par les
Etats de l’Islam ; les Palestiniens chrétiens n’ont pour eux que les chrétiens du reste du
monde.
Les Arabes chrétiens de Palestine sont aidés notamment par l’ordre du Saint Sépulcre, chargé
de cette mission par le pape Pie IX au XIXe siècle. C’est pourquoi quarante Français sont là
ce matin, à Rafidia, dans l’église du martyr saint Justin : il s’agit de montrer aux catholiques de
Naplouse qu’ils ne sont pas seuls au monde. Ces Français portent le manteau de l’ordre,
blanc à croix rouge, souvenir du royaume croisé... (il y eut un concile catholique à Naplouse en
1120). L’église est bondée, les familles au coude à coude sont en train de chanter en arabe un
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air familier aux oreilles catholiques françaises : c’est le très vieil O Filli et Filiae... «O fils et
filles / Le Roi des cieux, le Roi de gloire / A surgi de la mort aujourd’hui / alléluia ! » Composé
en 1494 par un franciscain, ce chant fut apporté en Palestine par d’autres franciscains : ils
étaient là depuis 1220, et sous les Ottomans ils ont tenu la chrétienté de Palestine à bout de
bras. C’est aussi « à main forte et bras étendu » (Deutéronome 26,8) que le père Abou Khalil
tient sa communauté. Son homélie en arabe est d’un ton qui étonnerait ailleurs. Index tendu,
ou bras ouverts, il affirme, il proclame, il commande ! Ensuite il dit aux Français : « Nous
sommes six cents chrétiens parmi les cent cinquante mille musulmans de Naplouse, mais
avec vous, les chrétiens du monde, nous sommes la majorité ! Priez avec nous pour une
résurrection de l’amour au Moyen-Orient ! »
Les chrétiens du monde prient pour ceux de Palestine. Certains font autre chose aussi : ils
viennent s’installer. Pas dans les Territoires, mais en Israël. Comme travailleurs étrangers...
Israël compte aujourd’hui cent mille immigrés philippins, fervents catholiques et qui vont à la
messe célébrée en hébreu ; leur pasteur est le jésuite israélien David Neuhaus, converti du
judaïsme au catholicisme. Le monde change de plus en plus vite.
Le crépuscule des lords
Westminster, 23 avril – Obi, chien policier du Surrey, a reçu la médaille de la bravoure animale
lors d’une émouvante cérémonie à la Chambre des lords. A ceuxci un chien de meute aurait
mieux convenu: on se souvient d’Oscar Wilde définissant la chasse au renard comme «
l’indicible poursuivant l’immangeable » ; l’indicible, c’était l’aristocratie britannique. Quoi de plus
indicible que des parlementaires non élus? Depuis le XIVe siècle ils siègent à Westminster
dans une chambre séparée de celle des Communes: « les très honorables lords spirituels et
temporels du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord réunis en Parlement »
(dont 26 évêques anglicans) portent robe rouge et perruque dans les séances solennelles.
Sous des fresques représentant la Religion, la Chevalerie et la Loi, le lord Speaker s’assied
sur un coussin rouge rempli de laine (le « sac »); les bancs à droite du sac sont appelés « côté
spirituel » (spiritual side): on y asseyait les évêques. Les bancs à gauche sont le « côté
temporel » (temporal side): on y asseyait les lords. Ainsi, même le plus indicible des lords
savait que la différence entre le temporel et le spirituel était un sac de laine, idée plus décente
que les lois françaises de 1905. Hélas tout s’est brouillé à l’âge moderne, quand les lords du
parti au pouvoir ont décidé de s’asseoir du côté spirituel, laissant le côté temporel à
l’opposition. Le progrès est incongru. Élargie depuis 1999 à 800 membres (dont seuls 92
restent héréditaires et dont beaucoup « représentent les diversités »), la Chambre des lords
n’a plus de pouvoirs, mais elle revêt un cachet surréaliste en 2012. Plusieurs ministres
voudraient donc la réformer. Leur plan est prêt: la nouvelle Chambre n’aurait plus que 450
membres dont 80 % seraient élus au suffrage universel, démocratie oblige. Or, voici le gag:
cette démocratisation est rejetée par l’opposition de gauche. Les travaillistes aiment une
Chambre des lords sans pouvoirs. Ils n’ont aucune envie d’une sorte de Sénat élu, capable de
contredire les Communes. Et ils se sont mis d’accord avec le palais de Buckingham, dont les
lords sont un loyal soutien... Cette alliance renvoie la réforme aux calendes grecques. Une
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Chambre de « pairs à vie » présente l’inconvénient de contenir un certain nombre de nobles
vieillards, distingués mais brumeux. Qu’en faire? Dans un roman follement drôle de Nancy
Mitford (Charivari, 1935), les Right Honourable Lords un peu fatigués sont accueillis, à la
campagne, par une maison de repos imitant exactement Westminster, avec tours, flèches et
salle des séances à vitraux gothiques. On y loge les ducs et pairs ayant franchi la ligne, ce qui
donne à l’établissement un grain de fantaisie: « Lord Rousham vient de grimper au faîte d’un
gros orme et s’y fabrique un nid », explique le directeur de l’asile. « Merveilleux camarade, ce
Rousham », dit le très vieux duc de Driburgh: « c’est un nid de première classe qu’il s’est
fabriqué. On m’a raconté qu’il est entièrement tapissé de fragments de l’India Report. » Plutôt
que de perdre son temps à démocratiser les lords, Cameron devrait lire Nancy Mitford.
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