Polycopié du cours d`intermédiation financière

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Polycopié du cours d`intermédiation financière
COURS : Intermédiation financière
Thierry Granger
2014/2015
Théories de l’intermédiation financière et des crises
bancaires
1. Références
2. Compléments de cours
3. Exercices
26 février 2015
Table des matières
I – RÉFÉRENCES
3
1 Ouvrages
3
2 Articles de synthèse
3
3 Autres articles
3
III – COMPLÉMENTS DE COURS
5
1 Le service de la liquidité peut-il être rempli par des actions
(Jacklin, 1987) ?
5
2 Substitution d’actif et risque de liquidité
3 La ruée sur le shadow banking
6
11
4 Quelques exemples historiques de crises provoquées par l’excès du crédit
13
III – EXERCICES
17
1 Liquidité des dépôts à vue et risque de transformation :
Diamond et Dybvig (1983)
17
2 Boucle infernale : dette souveraine – solvabilité bancaire,
dans une Union monétaire
18
3 Liquidité des dépôts, choc macroéconomique et risque de
transformation : Allen et Gale (2007)
18
4 Liquidité de la dette sans risque, illiquidité des actions :
Gorton et Pennacchi (1990)
20
5 Rôle des fonds propres et des intermédiaires
financiers dans l’offre de crédit : Holmström et Tirole (1997) 21
6 Crise du crédit bancaire (« credit crunch) » : Holmström et
Tirole (1997)
23
7 La demande de liquidité des entrepreneurs :
Holmström et Tirole (1998, 2010)
2
24
I – Références
1
Ouvrages
Allen F. et Gale D. (2007), Understanding Financial Crises, Clarendon Lectures in Finance, Oxford University Press.
Etner F. et Granger Th.
Economica.
(2011), Économie Financière, Paris,
Freixas, X. et Rochet, J.-C. (1997), Microeconomics of Banking,
Cambridge, Mass., The MIT Press .
Tirole, J. (2006), The Theory of Corporate Finance, Princeton University Press..
2
Articles de synthèse
Gorton, G. et Winton, A. (2003), « Financial Intermediation », in Handbook of the Economics of Finance, G.M. Constantinides, M. Harris
et R. Stulz (eds.), Elsevier.
Gorton, G., et Metrick, A. (2012). « Securitized banking and the run
on repo ». Journal of Financial Economics, 104(3), 425-451.
Tirole, J. (2011), « Illiquidity and All Its Friends », Journal of Economic
Literature, 49(2), p. 287-325.
3
Autres articles
Allen, F. et Gale, D. (2000), « Bubbles and Crises », Economic Journal,
110, pp. 236-255.
Borio, C., Lowe, P. (2002), « Asset prices, financial and monetary stability », Working Papers No 114, Bis.
Dang, T.V., Gorton, G. et Holmström, B. (2010), « Financial crises and
the Optimality of Debt for Liquidity Provision », Draft, May 10.
3
Diamond, D.W. et Dybvig, P.H. (1983), « Bank Runs, Deposit Insurance, and Liquidity », Journal of Political Economy, 91(3), p. 401419.
Gorton, G. B., et Ordoñez, G. (2012). « Collateral crises » (No. w17771).
National Bureau of Economic Research.
Gorton, G. et Pennacchi, (1990), « Financial Intermediaries and Liquidity Creation », The Journal of Finance, 45(1), p. 49-71.
Gorton, G., Metrick, A., Shleifer, A., et Tarullo, D. K. (2010). « Regulating the shadow banking system » [with comments and discussion].
Brookings Papers on Economic Activity, 261-312.
Holmström, B. (2014), « Understanding the Role of Debt in the Financial System ». In paper delivered at the 13th BIS Annual Conference.
Holmström, B. et Tirole, J. (1997), « Financial intermediation, loanable
funds, and the real sector », Quarterly Journal of Economics, CXII
(3), August, pp. 663-690.
——————— (1998), « Private and public supply of liquidity », Journal of Political Economy, 106, pp. 1-40.
Herring, R. et Wachter, S. (2002), « Bubbles in Real Estate Markets »,
Zell/Lurie Real Estate Center Working Paper, n°402.
Jacklin, C. J (1987), "Demand deposits, trading restrictions and risk
sharing", in Prescott, E.C. et Wallace, N. (eds.), Contractual arrangements for intertemporal trade, Minneapolis, University of Minnesota
Press.
Martin, A., Skeie, D., et von Thadden, E. L. (2014). « The fragility of
short-term secured funding markets ». Journal of Economic Theory,
149, 15-42.
4
II – Compléments de cours
1
Le service de la liquidité peut-il être rempli par
des actions (Jacklin, 1987) ?
Le modèle de Diamond et Dybvig a été critiqué pour ne pas avoir justifié,
dans un cadre général, la forme de la réserve de valeur liquide, à savoir le dépôt
à vue. Jacklin a notamment montré que si cette réserve de valeur prenait la
forme d’une action – chaque consommateur reçoit une action de la banque – un
choix correct des paiements de cette action (dividende en date 1, principal en
date 2) permettait de dupliquer le profil de paiements d’un dépôt à vue optimal.
Cette critique a été le point de départ d’une recherche sur la forme optimale
que devait revêtir un actif liquide. Le modèle de Gorton et Pennacchi – et plus
récemment Holmström (2015) – montre en quel sens une dette sans risque est
liquide, alors qu’une action ne l’est pas.
Supposons que, sous les hypothèses du modèle de Diamond et Dybvig, la
banque propose aux consommateurs 1 action en contrepartie du dépôt d’1
unité de bien. L’action aura le profil de revenus (−1, d, (1 − d)R), où d est
le dividende versé en date 1 à tous les actionnaires.
t=0
t=1
1
dividende d
prix de marché p
t=2
(1 - d)R
Les consommations individuelles sont, pour les consommateurs impatients et patients, respectivement,
C1 = d + p,
d
C2 = (1 + )R(1 − d)
p
Le prix de marché à l’équilibre égalise l’offre et la demande d’actions en
date 1, soit p,
d
1−λ
λ = (1 − λ)
=⇒ p =
d
p
λ
En remplaçant p par sa valeur d’équilibre dans les consommations C1 et C2
C1 =
et
C2 = 1 +
1−λ
1
d+d= d
λ
λ
d 1
R(1 − d) =
R(1 − d)
1−λ
1−λ
λ d
5
En éliminant d de ces deux équations, on obtient
C2 =
1
R(1 − λC1 ),
1−λ
et on retrouve la contrainte ressources-emplois du programme de l’optimum
collectif du modèle de D&D,
λC1 + (1 − λ)
C2
= 1.
R
La banque ne contrôle pas le prix de marché, mais elle peut l’anticiper
en fonction de d (ci-dessus). En fixant d, la banque détermine C1∗ et C2∗ qui
maximise l’utilité collective des consommateurs comme elle le faisait par un
contrat de dépôt dans la version originale du modèle de D&D.
Gorton et Pennachi (1990) 1 ont développé une théorie bancaire complémentaire de celle de Diamond et Dybvig qui montre la différence entre dépôt
(dette plus généralement) et action. Dans cette théorie, le rôle d’une banque
est d’émettre des dettes – des dépôts à vue, des certificats de dépôt ou des
billets de trésorerie – dont la qualité principale est que leur valeur ne change
pas selon l’information diverse possédée par les agents, spéculateurs informés ou consommateurs non informés : des actifs « insensibles à l’asymétrie
d’information ».
2
Substitution d’actif et risque de liquidité
Une banque gère son risque de liquidité en prévoyant les refinancements
dont elle aura besoin à l’avenir. Autrement dit, la banque acquiert des réserves de valeur afin de se prémunir contre un manque de liquidité. Mais,
comme ces réserves ont un faible rendement, elle doit effectuer un arbitrage
entre investissement à long terme, plus rentable, et réserve de valeur.
2.1
Le modèle d’Holmström et Tirole (1998)
L’exercice 7, p. 24, illustre le modèle de cette section dans un cadre simplifié.
Un banquier représentatif peut investir, en t = 0, dans l’achat d’un actif
à long terme qui vient à échéance en t = 2. L’espérance de rendement de cet
investissement est y en date 2, dont z < y est gageable. En cas de liquidation
à la date 1, l’investissement vaut p ≥ 0. Cet actif fournit un intérêt r ≥ 0 en
t = 1.
En t = 1, la banque subit, avec une probabilité 1−γ, un choc de liquidité
qui l’oblige à réinvestir 1 euro si elle souhaite continuer à faire fructifier son
actif long jusqu’à t = 2. Avec une probabilité γ, la banque ne subit pas de
choc de liquidité.
1. Voir exercice 4, page 20.
6
L’entrepreneur peut également investir dans un actif liquide qui fournit
un revenu de 1 euro en t = 2, pour 1 unité achetée en t = 0. Le prix de cet
actif liquide, q, peut-être supérieur à 1, lorsqu’il est demandé en tant que
réserve de valeur, soit q ≥ 1. Soit x la part de l’investissement total de la
banque investie dans l’actif liquide. Ainsi, lorsque la banque investit I en
actif illiquide, elle investit x I en actif liquide avec 0 ≤ x ≤ 1. Nous verrons
plus loin que x ne peut être supérieur à 1.
Hypothèses principales. (1) L’investissement dans l’actif illiquide est rentable lorsqu’il est mené à son terme, avec un refinancement éventuel en t = 1.
Les valeurs actuelles nettes sont calculées en t = 0,
y + [r − (1 − γ)]R − 1 ≥ 0,
et en t = 1
y
− 1 ≥ 0.
R
(2) En cas de choc de liquidité, le refinancement ne peut être assuré
entièrement par le marché si z − R(1 − r) < 0 , on suppose donc que
z
≤ 1 − r.
R
Les sources de refinancement
Les sources de financement sont les suivantes, mesurées à la date t = 1 :
xI
— la réserve de valeur constituée en t = 0 : M =
,
R
0
— la liquidation d’une partie de l’actif : p(I − I ), où I − I 0 représente
l’investissement liquidé,
— les intérêts de l’actif illiquide : r I,
zI
— la capacité de (re)financement sur le marché :
.
R
La capacité de refinancement
À la date 0, la banque doit emprunter I − A + q x I. En l’absence de choc
de liquidité, il n’y a pas de raison de réduire l’échelle de l’investissement et
la banque perçoit r I à la date 1 et z I à la date 2.
À la date 1, en cas de choc de liquidité, la banque peut continuer dans la
mesure des sources de financement énumérées dans le paragraphe précédent,
c’est-à-dire en choisissant une nouvelle échelle d’investissement I 0 tel que
z I0 + x I
+ p(I − I 0 ) + r I
R
(x + Rr + Rp)I
=⇒
I0 =
.
R(1 + p) − z
I0 =
7
(1)
Dans ce modèle linéaire, les solutions optimales, comme nous allons le
voir, ne peuvent être que I 0 = 0, réduction à zéro de l’échelle d’investissement, ou I 0 = I, maintien de l’échelle d’investissement initiale.
Hypothèses auxiliaires. Pour simplifier le calcul suivant, on suppose que
le rendement de l’actif long en date 1 est nul, r = 0, ainsi que la valeur de
liquidation, p = 0.
Le choix optimal du banquier
Le banquier a le choix entre réserve de liquidité (M ) et échelle d’investissement (I).
(1) Lorsque la solution optimale est I 0 = I, alors d’après l’équation (1)
x = R − z.
La capacité d’emprunt en t = 0, et l’échelle d’investissement I, est fonction du revenu gageable. En cas de choc, suivi d’un refinancement, les investisseurs initiaux sont « dilués » totalement par les nouveaux investisseurs qui
prêtent z I/R et deviennent seniors. Donc, pour les investisseurs initiaux, le
revenu gageable ne peut être capté qu’en l’absence de choc (γ z I), et il s’y
ajoute la réserve de valeur inutilisée (γ x I). Compte tenu des fonds propres
(exogènes), le niveau d’investissement est donc défini par l’équation suivante
I − A + qxI = γ(z + x)I
et en remplaçant x par sa valeur
I=
A
.
1 + q(R − z) − γR
(2)
Le revenu du banquier, dans ce cas, est constitué de la totalité de la
rémunération incitative associée à l’investissement initial, puisque son échelle
d’investissement se maintient après un choc de liquidité
UE = (y − z)I.
(2) Si la banque choisit d’être illiquide, x = 0, c’est-à-dire de faire totalement défaut en cas de choc, I 0 = 0, l’investissement initial est donné
par
I0 − A = γ z I0
A
=⇒ I0 =
> I,
1 − γ.z
(3)
et le revenu du banquier est constitué de la rémunération incitative uniquement dans le cas de continuation et d’absence de choc (avec une probabilité γ)
UE0 = γ(y − z)I0 .
8
Le banquier a le choix entre la constitution d’une réserve de valeur et une
échelle d’investissement plus modérée d’une part (I), ou l’absence de liquidité en même temps qu’une échelle d’investissement plus élevée (I0 ) d’autre
part. Il s’agit d’un arbitrage analogue à celui que nous avions rencontré
dans la section précédente, lorsqu’un banquier préférait un choix de placement plus risqué (au sens de la dispersion des risques à moyenne constante)
parce qu’il lui permettait d’économiser ses fonds propres ou, si l’on préfère,
d’augmenter son échelle d’activité.
Proposition 1 La décision optimale pour le banquier est de constituer une
réserve de valeur si
⇐⇒
(y − z)I ≥ γ(y − z)I0
UE ≥ UE0
1 − γz
≥ q(R − z) + 1 − γR.
γ
La
—
—
—
(4)
constitution d"une réserve de valeur (liquidité) est préférable si
détenir de la liquidité est peu coûteux, (q est proche de 1),
les chocs de liquidité ne sont pas rares, (γ est proche de 0) 2 ,
le revenu gageable, z, est élevé.
Équilibre entre l’offre et la demande de réserve de valeur
Le prix maximum, q max , auquel les banquiers préfèrent constituer une
réserve de valeur, est défini par l’équation (4), prise à l’équilibre. Appelons
MD la demande de liquidité, pour 1 ≤ q ≤ q max ,
MD = (R − z)I =
(R − z)A
.
1 + q(R − z) − γR
(5)
Le graphique suivant montre un équilibre entre la demande de réserve
de valeur et l’offre supposée constante de réserve de valeur. Cette réserve de
valeur constituée d’actifs, comme la monnaie ou les bons du Trésor à court
terme, dont la valeur est constante, est appelée aussi « liquidité externe
», par opposition à la « liquidité interne » apportée par la gageabilité de
l’investissement. Notons que lorsque le prix de la réserve de valeur, q, atteint
q max , la demande de liquidité tombe à zéro. Tandis que si l’offre de liquidité
est très abondante, le prix d’équilibre tombe à 1.
2. Lorsque γ tend vers 0, le membre de gauche de l’inégalité est aussi grand que l’on
veut.
9
M0
qmax
q
MD
1
actif
liquide
0
Si le système de marché était complet, autrement dit s’il était possible
d’assurer contractuellement les chocs de liquidité ex ante, la prime de liquidité sur les réserves de valeur serait nulle, parce que ces réserves de valeur
n’auraient pas d’usage (q = 1). La prime de liquidité serait nulle aussi s’il
était possible à un entrepreneur de se refinancer après un choc de liquidité,
mais ce ne serait possible que si le revenu gageable était suffisant. Dans l’un
et l’autre cas, du fait de l’aléa moral, le coût d’agence engendre une insuffisance du revenu gageable, et l’impossibilité d’atteindre un équilibre qui soit
un optimum de Pareto.
2.2
Les fluctuations du ratio de liquidité dans le cycle
économique
Sur le plan macro-économique, x = M0 /I représente le rapport entre la
liquidité offerte (les réserves de valeur disponibles) et le niveau d’investissement (la taille du bilan) des banques. Appelons « ratio de liquidité » ce
rapport. Nous supposerons que l’offre de liquidité ne s’accroît pas au même
rythme que la demande et, pour simplifier, nous supposerons que cette offre
est constante.
Dans la phase d’expansion du cycle économique, supposons que le revenu
gageable (z) ou que les fonds propres (A) s’accroissent. Ces accroissements,
t.c.e.p.a., engendrent une croissance de l’investissement, d’après l’équation
(2), et une augmentation de la demande de liquidité, d’après l’équation
(5). Le prix q de la réserve de valeur s’accroît afin de rééquilibrer le marché. L’échelle de l’investissement s’accroît alors que l’offre de liquidité reste
constante. Si la hausse de q atteint q max , l’échelle des investissements s’emballe même, mais cela est due au caractère linéaire du modèle. En conclusion,
le ratio de liquidité bancaire décroît en même temps que l’échelle de l’investissement s’accroît, en phase d’expansion, et réciproquement en phase de
récession. Autrement dit, au sommet du cycle, au moment où les besoins en
liquidité seront les plus grands, la liquidité comme les fonds propres, comme
nous l’avons vue précédemment, seront relativement au plus bas.
10
3
La ruée sur le shadow banking
Lorsque les banques sont financées par des fonds monétaires ou par des
« véhicules spéciaux » plutôt que par des dépôts effectués par des particuliers, comme ce fut le cas du shadow banking au cours des années 2000, une
ruée peut se produire parmi les prêteurs, similaire à une ruée parmi les déposants, lorsqu’il se produit une perte de confiance. En 2007, cette perte de
confiance a été causée par un retournement des marchés immobiliers américains, qui a eu un impact direct sur les prix des « créances hypothécaires
titrisées » (en particulier les Mortgage Backed Securities). Le graphique 3
montre les institutions en jeu dans le shadow banking.
SPV
créances
créances
titrisées
ABS
$
$
$
Emprunteurs
$
Banques
créances
REPOS
REPOS
collateral
(dont
créances
titrisées)
ABCP
créances
titrisées
MMMF
-Security
Lenders
-Autres
investisseurs
institutionnels
$
Investisseurs
à CT
parts
1$
MMMF: Mutual Money Market Funds
SPV: Special Purpose Vehicles
Hedge
Funds
Figure 1 – Le diagramme du shadow banking (financement à court terme)
Dans le système bancaire traditionnel, la garantie des dépôts est obtenue par la banque centrale ou par un organisme d’assurance spécifique.
Cette forme de garantie a permis d’obtenir une stabilité financière globale
aux États-Unis et en Europe, entre 1934 et 2007, avec cependant certaines
crises localisées, dont certaines ont eu pour origine déjà l’excès de crédit hypothécaire (voir section 3.2). Dans le shadow banking, la garantie des prêts
est obtenue par le biais d’un « collatéral », c’est-à-dire d’un bien servant de
gage, offert dans le contrat par l’emprunteur en cas de défaut, d’une valeur
au moins égale à la somme prêtée. Cette garantie n’est pas aussi solide que
la garantie des dépôts et les ruées bancaires puisque le collatéral possède
généralement une valeur de marché susceptible de baisser en cas de crise financière. En tenant compte de ces nouveaux modes de création de monnaie
11
privée, les ruées qui se sont produites sur les véhicules spéciaux puis sur
les banques en 2007-2008, peuvent faire l’objet d’une explication classique,
comme celle qui s’applique aux crises bancaires avant 1930, avec comme
déclencheur une baisse de la rentabilité des actifs servant de collatéral 3 .
Ce qu’ajoute le modèle de Gorton-Pennacchi est qu’une baisse de la
rentabilité n’est pas le seul événement négatif qui pèse sur le prêteur 4 . En
effet, une baisse de la rentabilité rend à nouveau risqué l’actif supposé sans
risque, et une asymétrie d’information peut réapparaitre entre des agents
informés et des agents non informés. Le placement, qui était liquide, devient
illiquide parce que le marché du collatéral sera potentiellement soumis à un
phénomène d’anti-sélection et à un gel des marchés (market freeze).
Ruée sur les repos ?
Le scénario de la ruée bancaire selon Diamond et Dybvig n’est pas exactement applicable aux repos puisqu’un prêteur, dans ce type de contrat, est
individuellement – et non collectivement – propriétaire du collatéral. Néanmoins, l’augmentation des haircuts est similaire à une ruée bancaire. En
effet, une telle augmentation signifie que l’emprunteur se doit de financer,
par fonds propres, la différence positive entre la valeur du collatéral et le
montant de l’emprunt. Comme le financement sur fonds propres est très difficile en période de crise financière, la seule issue est pour les banques de
réduire leurs emprunts à très court terme sous la forme de repos, ainsi que
leur détention d’actifs 5 . Ce qui est équivalent à une ruée bancaire, comme
le montrent les bilans des repos, avant et après une hausse du haircut de
1 à 20 %. Tout se passe comme si 96 % des dépôts avaient été retirés des
banques qui se finançaient à court terme au moyen des repos.
Actif
Passif
A0 = 12 000
D0 = 10 800
E0 = 120
Actif
Passif
A1 = 600
D1 = 480
E1 = 120
Une bulle est une valeur d’option chez Allen et Gale (2000)
Allen et Gale montrent – dans un modèle d’offre de crédit avec substitution d’actif – qu’une bulle financière est égale à la valeur d’un put sur
l’actif supportant cette bulle (bien immobilier, matière première, action).
3. Voir à ce sujet Gorton (2012).
4. Ce point a été élaboré par Dang, Gorton, Holmström (2010).
5. Comme une grande partie des transactions sur ces marchés se fait de « gré à gré
» (bilateral repos), donc sans statistiques officielles – c’est aussi la raison de l’expression
shadow banking – le rôle d’une ruée sur les repos dans la crise financière fait l’objet actuellement de discussions ; voir notamment (Gorton et Metrick, 2012).
L’antécédent d’une ruée sur les SPV qui émettaient des ABCP, au début de l’année
2007, ne fait pas l’objet de contestation.
12
Les propriétés d’une bulle sont celles d’un put. La valeur de la bulle est
croissante (1) avec l’augmentation de la variance à moyenne constante du
prix de l’actif risqué et (2) avec la variabilité de l’offre globale de crédit
(donc, une politique monétaire aléatoire alimente ce type de bulle).
L’association de phases d’expansion du crédit et de hausse du prix des
actifs, puis de récession, est un fait stylisé souvent baptisé « cycle du crédit ».
Le modèle de substitution d’actifs d’Allen et Gale, dans l’une ou l’autre
des versions que nous avons illustrées par la figure 2, est une formalisation
micro-économique d’un tel cycle. Il est bien adapté à l’interprétation de
nombreuses crises financières, et bancaires en particulier, au premier rang
desquels la crise des subprimes. Comme le notait la Banque des Règlements
Internationaux dans son rapport de 2007 :
« Étant donné le rôle essentiel que l’environnement favorable au
crédit a joué dans les bons résultats du secteur financier ces dernières années, un retournement du cycle du crédit constituerait
un risque important pour la suite. Les stratégies de placement
fondées sur la persistance de faibles primes et sur une hausse
des prix des actifs se trouvent particulièrement exposées à une
augmentation des défauts. » (Chapitre VII, p. 140)
« Si le marché s’attend probablement à un renversement du cycle
du crédit, il est cependant difficile d’en prédire le moment. Les
signes de tensions se sont multipliés sur les marchés du financement du logement, principalement aux États-Unis, et l’endettement des consommateurs demeure un sujet de préoccupation
dans de nombreuses juridictions, les défauts sur prêts aux particuliers ayant augmenté. Les défaillances d’entreprises restent
encore assez rares, mais des niveaux d’endettement plus élevés
créeraient, dans certains cas, des difficultés si une détérioration
de la conjoncture ou un durcissement des conditions de crédit
venait à se produire. » (Chapitre VII, p. 141)
Volontairement ou involontairement, dans les années précédant 2007, les
acquéreurs de biens immobiliers, les agents immobiliers et les banques ont
augmenté le risque de leurs investissements au détriment de leurs créanciers
ou des États qui sont ensuite massivement intervenus pour les soutenir.
4
Quelques exemples historiques de crises provoquées par l’excès du crédit
La conséquence ultime de toute crise financière est la contraction de
l’offre de crédit (credit crunch) engendrant le défaut de paiement des agents
13
Ménages
Ménages
dépôts
dépôts
Banque
Banque
crédits
crédits
Investisseurs
investissement
sans risque
investissement
risqué
investissement investissement
sans risque
risqué
Figure 2 – La substitution d’actif est signalée par les flèches noires
qui s’étaient endettés pour investir dans des actifs risqués. Une telle crise
est généralement l’aboutissement d’un développement en deux phases :
1. Une libéralisation financière engendrant un accroissement de l’offre
de crédit et entraînant une hausse de prix de certains actifs risqués en
offres limitées, comme les actifs immobiliers ou les actions, pendant
plusieurs années. Comme nous le verrons dans ce chapitre, le mécanisme économique sous-jacent à la formation de la bulle peut être la
substitution d’actifs dans un contexte d’aléa moral où les prêteurs ne
contrôlent pas complètement l’usage des fonds prêtés.
2. Une rupture dans le mouvement de hausse d’une grande catégorie
d’actifs, et/ou une contraction de l’offre de crédit et une hausse des
taux d’intérêt, intervenant aléatoirement à un certain moment de la
phase d’expansion du crédit et de la bulle. Ces événements engendrent
un effet richesse négatif en même temps que le défaut de paiement des
particuliers ou des banques qui avaient emprunté afin d’acheter des
actifs à des prix surévalués. Nous ne traiterons pas dans ce chapitre
des conséquences ultimes de la crise sur l’économie réelle.
Selon Allen et Gale (2007) ce schéma d’interprétation s’applique
bien aux crises suivantes 6 :
6. D’autres références sont : Borio, C. et P. Lowe (2002),
« This paper argues that financial imbalances can build up in a low inflation
environment and that in some circumstances it is appropriate for policy to
respond to contain these imbalances. While identifying financial imbalances
ex ante can be difficult, this paper presents empirical evidence that it is not
14
1. L’épisode de la bulle immobilière et de la bulle boursière au Japon,
à la fin des années 1980, suivi de son éclatement dans les années 1990.
Les autorités monétaires japonaises avaient libéralisé le système bancaire
et soutenu activement le dollar à la fin des années 1980, conduisant à une
expansion très importante du crédit. En 1989, le nouveau Gouverneur de la
Banque du Japon décide de lutter contre l’inflation en menant une politique
restrictive qui conduit à l’augmentation très forte des taux d’intérêt au début
de la décennie 90. L’indice Nikkei s’effondre, bientôt suivi par les prix de
l’immobilier. La suite est marquée par de nombreuses faillites bancaires, une
réduction de l’offre de crédit et des taux de croissance légèrement positifs ou
négatifs jusqu’à la fin de la décennie, contrastant avec la croissance rapide
des années antérieures.
2. Les épisodes semblables survenus en Norvège, en Finlande et en Suède
dans les années 1980. En Norvège, le rapport (prêts bancaires/PIB) est passé
de 38 % en 1984 à 68 % en 1988. Le prix des actifs s’accroît rapidement, en
même temps que les investissements et la consommation. La chute du prix
du pétrole déclenche l’éclatement de la bulle, la plus sévère crise financière
et la plus forte récession depuis la guerre. En Finlande, le rapport (prêts
bancaires/PIB) est passé de 55 % en 1984 à 90 % en 1988. Le prix de l’immobilier s’accroît au total de 68 % entre 1987 et 1988 ! En 1989 la banque
centrale augmente ses taux d’intérêt et impose des réserves obligatoires aux
banques afin de modérer l’expansion du crédit. En 1990-1991, la situation
est aggravée par une diminution des exportations vers l’Union Soviétique.
Les prix des actifs s’effondrent, le gouvernement soutient les banques et le
impossible. In particular, sustained rapid credit growth combined with large
increases in asset prices appears to increase the probability of an episode of
financial instability. The paper also argues that while low and stable inflation promotes financial stability, it also increases the likelihood that excess
demand pressures show up first in credit aggregates and asset prices, rather
than in goods and services prices. Accordingly, in some situations, a monetary response to credit and asset markets may be appropriate to preserve
both financial and monetary stability. »
ou Herring, R. et Wachter, S. (2002)
« Real estate bubbles may occur without banking crises. And banking crises
may occur without real estate bubbles. But the two phenomena are correlated in a remarkable number of instances. The consequences for the real
economy depend on the role of banks in the country’s financial system. In
the US, where banks hold only about 22 % of total assets, most borrowers
can find substitutes for bank loans and the impact on the general level of
economic activity is relatively slight. But in countries where banks play a
more dominant role, such as the US before the Great Depression (where
banks held 65 % of total assets), or present day Japan (where banks hold
79 % of total assets), or emerging markets (where banks often hold well over
80 % of total assets), the consequences for the real economy can be much
more severe. »
15
PIB chute de 7 %. En Suède, une expansion rapide du crédit pendant les
années 1980 engendre un boom immobilier. À la fin des années 1990 une
politique du crédit plus restrictive engendre une hausse des taux d’intérêt.
En 1991 de nombreuses banques rencontrent des difficultés du fait qu’elles
ont prêté sur la base de prix surévalués. Le gouvernement doit intervenir
pour sauver des banques et une forte récession s’ensuit.
3. L’exemple du Mexique, dans une économie émergente. Au début des
années 1990, les banques furent privatisées et une libéralisation financière
intervient avec en particulier la suppression des réserves obligatoires. Le
crédit bancaire aux entreprises passe de 10 % du PIB à la fin des années 1980
à 40 % en 1994. En 1994, l’assassinat de Colosio, candidat à la présidence,
et le soulèvement de la province du Chiapas déclenche l’éclatement de la
bulle. L’indice boursier s’effondre, ainsi que les prix de la plupart des actifs.
Une crise bancaire et une crise de change se produisent engendrant une
sévère récession.
En bref
La crise financière de 2007 peut s’expliquer par une ruée sur le shadow
banking dont le déclenchement fait suite à l’éclatement de la bulle de crédit
hypothécaire aux États-Unis. La ruée s’est muée en panique bancaire généralisée, parce que les bilans de presque toutes les grandes banques américaines
et européennes ont été affectés d’abord par la dépréciation des créances hypothécaires titrisées, ensuite par la dépréciation de la plupart des classes
d’actif.
16
III – EXERCICES
1
Liquidité des dépôts à vue et risque de transformation : Diamond et Dybvig (1983)
Le cadre temporel de l’économie comporte 3 dates (t = 0, 1, 2). Il existe
un seul bien physique qui sert de bien d’investissement et de consommation.
La consommation est notée Ct où t = 1, 2 est la date de consommation (il
n’y a pas de consommation à la date 0). Les investissements à court et long
terme son notés respectivement y et x, avec y ≥ 0, x ≥ 0 et y + x = 1.
Il existe un très grand nombre de consommateurs N . Chaque consommateur dispose d’une ressource initiale de 1 de bien physique et sa fonction
d’utilité élémentaire est
1
u(Ct ) = 1 − .
Ct
Tous les consommateurs sont dans l’incertitude : ils ne savent pas s’ils
auront besoin de consommer en t = 1 (« besoin de liquidité ») ou en t =
2. On suppose que la probabilité d’avoir besoin de liquidité (ou « d’être
impatient ») est λ = 1/5. Être impatient en t = 1 est une variable aléatoire
i.i.d. dans la population des consommateurs.
Il existe, à disposition des consommateurs ou d’une banque, une technique de production à court terme de rendement 1 à chaque période, et une
technique de production à long terme de rendement brut R = 1, 3. Lorsque
l’investissement à long terme est « liquidé » en date 1, son rendement brut,
L, est égal à 1/2. Cette banque est au service des consommateurs, donc son
profit est nul.
1. Poser le programme de maximisation de l’utilité collective et en déduire les consommations optimales C1∗ et C2∗ des consommateurs respectivement impatients et patients. Calculer la valeur des investissements qui soutiennent ce plan de consommation (vous arrondirez au
2e chiffre après la virgule).
2. Définir un contrat de dépôt optimal au sens de Pareto. Pourquoi
ne peut-il exister un système de marché d’assurance du risque de
liquidité à la place ?
3. Montrer que le contrat de dépôt engendre deux équilibres de Nash des
consommations. Décrire complètement l’équilibre de ruée bancaire
(investissements, consommations).
4. S’il n’existe pas de banque et si les consommateurs vivent en autarcie,
quels sont leurs investissements et leurs consommations d’équilibre ?
17
Est-ce une situation préférable pour les consommateurs à la précédente (avec une banque) ?
2
Boucle infernale : dette souveraine – solvabilité
bancaire, dans une Union monétaire
On suppose qu’un des États d’une Union monétaire est endetté au point
que son risque de défaut anticipé peut devenir positif. Comme la dette souveraine est détenue principalement par les banques commerciales de l’État
concerné, le risque de défaut souverain engendre un risque d’insolvabilité de
ces banques commerciales. Le risque de défaut s’accroît si l’État intervient
pour refinancer ses banques commerciales, ce qui fragilise un peu plus ces
dernières...
Cet exercice permet de calculer deux équilibres à anticipations rationnelles – un équilibre optimiste, un équilibre pessimiste – qui reflète les deux
moments essentiels de cette « boucle infernale ».
Dans un cadre temporel [0, 1, 2] La dette publique totale due par l’État
en t = 2 est égale, en t = 1, à
B1 (q1 ) =
G1 + T (q1 )
q1
dont la valeur est décroissante avec q1 .
La probabilité de défaut de l’État est égale à
F [B1 (q1 )] = 1 −
0, 48
0, 40 + 67 × exp[−9, 5 (q1 + 0, 15)]
1. Expliquez pourquoi T (q1 ) est décroissant.
2. Quelle est la formule de la valeur de la dette publique en t = 1, pour
un investisseur neutre au risque ? Le taux d’actualisation (brut) est
noté R.
3. Vérifiez que le taux d’actualisation sans risque est bien de R = 1, 5112.
4. Montrez qu’il existe un équilibre avec des anticipations optimistes.
5. Montrez qu’il existe un équilibre avec des anticipations pessimistes
pour q1 = 0, 0239.
3
Liquidité des dépôts, choc macroéconomique et
risque de transformation : Allen et Gale (2007)
Le modèle d’Allen et Gale (1985) est un modèle analogue à celui de Diamond
et Dybvig, mais avec un aléa macroéconomique, au sens où le rendement de
l’actif long (R) est aléatoire.
18
On considère une banque de dépôt qui place une partie de l’argent de ses
clients, déposé en date 0, dans un investissement réel à long terme qui peut
rapporter, en date 2, soit R+ en situation conjoncturelle normale (probabilité
π) et R− en cas de crise conjoncturelle (probabilité 1 − π). Il existe un
continuum de clients de masse 1, chacun déposant 1 euro en date 0, la banque
en investissant à long terme une partie x et le reste étant investi à court
terme (y). La banque et ses clients sont informés de l’état de la conjoncture
en date 1. Parmi les clients, une proportion 1 − λ d’entre eux est patiente et
n’a besoin de consommation qu’en date 2. La proportion complémentaire λ
doit retirer son argent en date 1 pour satisfaire ses besoins de consommation.
On notera C1+ , C1− , C2+ , C2− les consommations des clients de la banque en
dates 1 et 2, selon l’état de la conjoncture «+» ou «−».
1. Poser la condition de 1er ordre de l’optimum de Pareto, en t = 0, dans
cette économie où les agents ont un risque de liquidité. La condition sera posée en fonction des variables endogènes C1+ , C1− , C2+ ,
C2− . Interpréter cette condition sans effectuer de calcul. [Rappel :
dans le modèle de Diamond et Dybvig la condition de 1er ordre est
u0 (C1 ) = R u0 (C2 )].
2. De quelle manière cet optimum de Pareto peut-il être mis en œuvre,
concrètement, dans un système bancaire ?
3. Sachant que les clients ont une fonction d’utilité élémentaire log
(ln(.)) de leur consommation et que les données numériques sont les
suivantes,
λ = 1/2,
π = 0, 8,
R− = 0, 4,
R+ = 3,
Vérifier que les consommations d’équilibre sont
C1+ = 1, 1016, C1− = 0, 7305, C2+ = 2, 6952, C2− = 0, 7305
En déduire les investissements nécessaires à long terme (x) et à court
terme (y).
4. À partir de cette question, en cas de crise conjoncturelle, la banque est
obligée de liquider son investissement à long terme en date 1, sur un
marché secondaire sur lequel elle en retire un prix égal à P par unité
d’investissement. Sur ce marché interviennent des spéculateurs qui,
disposant d’une unité de ressource en t = 0, cherchent à maximiser
la somme de leur consommation en t = 1 et en t = 2. Expliquer
leur comportement et l’équation d’équilibre qui en résulte. Calculer
le prix d’équilibre P sur le marché secondaire.
5. Écrire à nouveau la condition de 1er ordre du modèle d’Allen et Gale,
en considérant, cette fois, la vente de l’actif à long terme sur le marché
secondaire. Écrire cette équation en fonction de y et vérifier que y =
0, 5937 à l’équilibre.
19
Expliquer cette équation. Quel est le montant de réserve, ys , choisi
par les spéculateurs en date 0, p
6. Sur le marché secondaire, le prix est fixé par une équation de « cashin-the-market-pricing pour spéculer sur le marché secondaire du titre.
4
Liquidité de la dette sans risque, illiquidité des
actions : Gorton et Pennacchi (1990)
Le modèle de Gorton et Pennacchi représente des consommateurs qui supportent un risque de liquidité en date 1, comme chez Diamond et Dybvig. Par
contre, ils sont neutres au risque, si bien que le motif de détention d’un actif
liquide – comme un dépôt bancaire, ou une dette sans risque plus généralement
– n’est pas le même que chez Diamond et Dybvig. Le modèle de Gorton et
Pennacchi a la même structure temporelle que le modèle d’Allen et Gale, dans
l’exercice précédent. Il existe 2 états de la nature à la date 1, mais la différence
est que seuls les spéculateurs sont informés de l’état réalisé. C’est l’asymétrie
d’information qui rend une action illiquide au sens où, pour les consommateurs
non informés, elle peut perdre de la valeur face aux spéculateurs informés. Dans
ce modèle, le risque de transformation est par hypothèse supprimé, puisqu’aucune liquidation de l’actif long n’est nécessaire en date 1.
Le cadre temporel comprend 3 dates et 2 états de la nature en date 2. Il
existe une proportion α = 70 % de consommateurs au sens de Diamond et
Dybvig, mais neutres à l’égard du risque. Il existe une proportion λH = 1/4
de consommateurs impatients dans l’état de la nature H, et une proportion
λL = 1/6 de consommateurs impatients dans l’état de la nature L.
Il existe 1 − α = 30 % de spéculateurs dont la fonction d’utilité élémentaire est u(e) = C1 (e) + C2 (e) où C1 (e) et C2 (e) sont les consommations
aux dates 1 et 2 dans l’état de la nature e ∈ {H, L}. Chaque consommateur
et chaque spéculateur déposent sa dotation de 1 unité de bien physique à
la banque et l’échangent contre un titre. La banque investit cette dotation
et obtient un rendement aléatoire en date 2 qui peut prendre les valeurs
RH = 1, 30 avec la probabilité q = 2/3 (état H) et RL = 0, 9 avec la probabilité 1/3 (état L). Le titre remis par la banque au consommateur et au
spéculateur peut être vendu en date 1, sur un marché secondaire, au prix
P . Le prix sur ce marché est fixé à sa valeur de marché, en fonction de
l’information communiquée au marché.
1. On suppose que le titre reçu en contrepartie de l’investissement est
une action. Quel est le prix de marché en date 1 selon l’état de la
nature ? Quel est, en date 0, le revenu (ou rendement) attendu de
l’investissement des spéculateurs informés et des déposants informés ?
2. Dans cette question et les suivantes, les « spéculateurs » sont informés, en date 1, de l’état de la nature. Les consommateurs ne sont pas
20
informés sauf, lorsque c’est le cas, au travers du prix et des quantités
sur le marché.
On suppose que le titre reçu en contrepartie de l’investissement est
une action. Quel est le prix de marché en date 1 selon l’état de la
nature ? Quel est, en date 0, le revenu (ou rendement) attendu de
l’investissement des spéculateurs informés et des déposants non informés en supposant que le comportement des spéculateurs est « stratégique » ?
3. Définir une prime de liquidité (en rendement) sur l’action. Quelle est
sa valeur ?
4. La banque émet une obligation sans risque à destination des consommateurs non informés. Quel est le rendement maximum de cette obligation ?
5. La banque émet une obligation sans risque à destination des consommateurs non informés. Quel est le rendement minimum de cette obligation ?
5
Rôle des fonds propres et des intermédiaires
financiers dans l’offre de crédit : Holmström et
Tirole (1997)
Avec cet exercice, on explore l’offre de crédit par les intermédiaires financiers,
une fonction essentielle, comptabilisée à l’actif de leur bilan. Cette offre de
crédit est facilitée par la surveillance que les intermédiaires financiers peuvent
exercer efficacement sur les emprunteurs. Cette surveillance limite l’aléa moral
des entrepreneurs-emprunteurs, ce qui, dans le modèle d’Holsmtröm et Tirole,
se traduit par une diminution des fonds propres ou des garanties nécessaires
aux entrepreneurs. En effet, ceux-ci doivent impérativement participer, sous
forme d’un apport personnel, au financement de leur investissement sur des
fonds externes 7 . Diamond (1984) avait déjà fait de ce rôle de surveillance, de
réduction de l’asymétrie d’information entre préteurs et emprunteurs, une des
causes de l’existence des intermédiaires financiers.
Un entrepreneur souhaite un financement externe pour son projet dont
les caractéristiques sont les suivantes. Le niveau d’investissement initial est
de I = 1, la probabilité de succès du projet est de πH = 0, 8, auquel cas
le revenu est Y = 2. En cas d’échec le revenu est nul ; la responsabilité de
l’entrepreneur étant limitée, il n’est pas possible au prêteur d’être remboursé
7. Les Anglais disent que les entrepreneurs – les emprunteurs en général – « must put
skin in the game », s’ils veulent avoir une chance de financer un nouvel investissement.
Le Marchand de Venise, la fameuse pièce de Shakespeare, illustre concrètement cette
expression.
21
en cas d’échec. On supposera que le taux d’actualisation utilisé pour estimer
la valeur du projet est égale à 0 %. C’est aussi le taux d’intérêt exigé par les
prêteurs.
Dans le contrat de crédit, on notera YE le revenu d’un entrepreneur, YI
le revenu d’un investisseur, YF le revenu d’un intermédiaire financier, en cas
de succès.
1. Calculer la VAN du projet H ?
2. Un investisseur externe accepte de financer un projet rentable en demandant une rentabilité normale (0 %). Par contre, il n’observe pas
le choix d’investissement de l’entrepreneur. Or celui-ci a un projet
alternatif (I = 1 également, Y = 2 en cas de succès) dont la probabilité de succès est πL = 0, 2 et qui lui apporterait un bénéfice privé
certain B = 0.6. Calcule la VAN du projet L. Quel est le souci de
l’investisseur par rapport à cet entrepreneur ? Comment s’appelle ce
« souci » ? Comment l’investisseur peut-il se débarrasser de ce souci
(écrire l’inéquation nécessaire) ?
3. Définir ce qu’on appelle le coût d’agence et le revenu gageable du
projet le plus rentable. Calculer ces deux valeurs. Quelle est la différence entre « valeur actuelle » d’un projet et « revenu gageable »
(calcul pour le projet le plus rentable).
4. L’investisseur acceptera-t-il de financer le projet le plus rentable ? À
quelle condition ? Si l’entrepreneur possède A = 8 de garantie ou
de fonds propres, quel niveau d’investissement peut-il atteindre (on
supposera que les techniques de production sont linéaires).
5. Qu’appelle-t-on rationnement de crédit ? Le rationnement diminueraitil ou augmenterait-il avec une hausse du taux d’actualisation (par
exemple on supposera que le taux d’actualisation brut est γ = 1, 10). ?
6. Quel est le rôle de la réputation sur les données du problème ?
7. L’entrepreneur peut faire appel au crédit bancaire au taux d’intérêt
net rf = 20 %. Pourquoi faire appel au crédit bancaire plutôt qu’à un
financement direct (par émission d’obligations) ? Le bénéfice privé est
de b = 0, 5 dans le cas où la banque intervient comme prêteur et le
coût de surveillance supporté par la banque est c = 0, 05. À quoi sert
la banque (Diamond, 1984) ?
8. Calculez la structure financière lorsque la banque intervient comme
prêteuse et comparez-la à la structure financière optimale.
9. Classez les entreprises en 3 catégories d’emprunteurs suivant le montant initial de leurs fonds propres.
10. Quel est le niveau d’investissement optimal ? Comparer le profit de
l’entrepreneur selon que le financement est direct ou indirect.
22
6
Crise du crédit bancaire (« credit crunch) » :
Holmström et Tirole (1997)
Une économie est composée de nombreux entrepreneurs et de nombreux
investisseurs neutres à l’égard du risque. On suppose qu’un entrepreneur
quelconque est confronté à deux projets (H et L) dont les paramètres sont
notés dans la figure suivante :
πH
130
πL
130 + B
0+B
0
Projet L
Projet H
avec πH = 0, 8 et πL = 0, 4.
Le taux d’actualisation du projet, qui est aussi le taux exigé par les
investisseurs, est 0 %.
Dans le contrat de crédit, on notera YE le revenu d’un entrepreneur, YI le
revenu d’un investisseur, YF le revenu d’un intermédiaire financier, ex post,
en cas de succès.
1. En présence d’aléa moral (asymétrie d’information entre investisseurs
et entrepreneurs), écrire la contrainte d’incitation. En déduire le revenu minimum de l’entrepreneur ex post, en cas de succès.
2. Calculer le coût d’agence, ex ante et le revenu gageable. On prendra
B = 10.
3. Quel est le montant minimum de fonds propres exigés par l’investisseur ?
4. On suppose l’existence d’un intermédiaire financier qui surveille tout
entrepreneur qu’il finance au taux d’intérêt r. Calculer, sous forme
littérale, le crédit accordé par l’intermédiaire financier à l’entrepreneur.
5. Calculer la structure de financement – autofinancemeent, crédit, émission d’actions – avec b = 4, c = 5, r = 5 %.
6. Les entreprises (nombreuses) ont des fonds propres différents compris
entre 0 et 100. On suppose que la proportion d’entreprises ayant des
fonds propres inférieurs à A ∈ [0, 100] suit une distribution uniforme
H(A). H(0) = 0, H(100) = 1. (Sa densité est donc A/100).
(a) Quelle est la proportion d’entreprises ayant recours, uniquement,
au financement direct sur les marchés ?
23
(b) Quelle est la proportion d’entreprises ayant recours au financement direct sur les marchés et au crédit bancaire ?
(c) Quelle est la proportion d’entreprises rationnées ?
7. Le levier d’un intermédiaire financier, défini comme le rapport des
crédits offerts sur les fonds propres détenus, est égal à L = 2, 2.
Quels sont les fonds propres nécessaires pour équilibrer la demande
de crédit des entreprises ?
8. Un choc de solvabilité se produit qui engendre une dépréciation des
fonds propres détenus par les intermédiaires financiers à KF0 = 0, 48,
tandis que le levier bancaire est ramené à L0 .
(a) En supposant que l’ajustement sur le marché du crédit est réalisé uniquement par le taux d’intérêt, quel est le nouveau taux
d’intérêt et la nouvelle demande de crédit ?
(b) Credit crunch. En supposant que le taux d’intérêt ne change pas,
mais que l’aléa moral augmente au travers d’une augmentation de
b à b0 , calculer b0 . Quels sont les fonds propres requis par les entreprises ? Quelles sont les proportions d’entreprises rationnées ?
7
La demande de liquidité des entrepreneurs :
Holmström et Tirole (1998, 2010)
Les consommateurs ne sont pas les seuls à demander des actifs liquides.
Les entreprises et les intermédiaires financiers ont des besoins similaires à ceux
rencontrés par les consommateurs dans le modèle de Diamond et Dybvig. On
ajoute à l’exercice précédent une date supplémentaire afin de prendre en compte
cette demande dans le cadre temporel à 3 dates. Dans la suite logique de l’exercice précédent, une demande de liquidité par les entrepreneurs, dans le modèle
d’Holmtröm et Tirole, provient de la nécessité de prévoir des fonds disponibles en
date 1, en cas de besoin de liquidité en date 1. L’origine de ce besoin de liquidité
peut être une perte imprévue ou une opportunité d’investissement inattendue.
Le cadre temporel comprend 3 dates. Il existe 1 seul bien physique.
Il existe un grand nombre d’entreprises qui ont chacune le même projet
d’investissement à long terme (à échéance en date 2) avec le risque en date
1 d’avoir un besoin de liquidité motivé par un surcoût du projet (avec une
probabilité α = 1/2). Il existe également une technique de production à
court terme de rendement brut unitaire (1 de revenu brut pour 1 investi). Les
détails des données numériques du problème sont présentés dans le graphique
suivant :
A représente les fonds propres de chaque entreprise, I l’investissement, y
est le revenu du projet (comparable à un EBE) et z est le revenu gageable.
24
t=0
t=1
I = -5
A = 4,5
t=2
1/2
0
1/2
-5
y = 12
z=3
On suppose que l’entreprise peut emprunter à taux net égal à 0, en t = 1
et en t = 2.
1. Définir le revenu gageable. Justifier la différence entre y et z. Quel
est le rôle d’un intermédiaire financier à l’actif de son bilan ?
2. Quelle est la valeur actuelle nette du projet en supposant que le
risque de liquidité est géré ou qu’il n’est pas géré par l’entreprise.
Quelle conclusion en tirer ?
3. L’entreprise dispose-t-elle des fonds propres nécessaires pour entreprendre cet investissement en gérant le risque de liquidité par elle
même ? (Expliquez pas à pas votre démarche).
4. Y a-t-il un rôle de l’intermédiaire financier, analogue à celui qui est
exposé dans le modèle de Diamond et Dybvig ? Comment l’entreprise
peut-elle gérer son risque de liquidité si ceux-ci sont stochastiquement
indépendants parmi les entreprises ?
5. Dans l’hypothèse où les besoins de liquidité sont corrélés, y a-t-il un
moyen pour les entreprises de gérer leur risque de liquidité ? Développer votre explication.
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25
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