La nutrition, une priorité fantôme 179 kB

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LA NUTRITION, UNE PRIORITÉ FANTÔME
L’aide française pour la nutrition en 2013
Le collectif Génération Nutrition a réalisé une estimation de l’aide publique au développement (APD)
consacrée par la France à la lutte contre la sous-nutrition en 2013. À l’instar des années précédentes,
les montants engagés sont bien en-deçà de l’ambition que se donne la France et ne permettent pas de
mettre en œuvre une véritable politique multisectorielle en faveur de la nutrition. Alors qu’une feuille de
route nutrition est actuellement en cours d’élaboration par le Ministère des Affaires étrangères, avec quels
moyens le gouvernement français compte-t-il mettre en œuvre sa politique ?
La lutte contre la sous-nutrition : une priorité affichée mais seulement
0,47% de l’APD française.
La France s’est dotée en 2010 d’une stratégie « Nutrition dans les pays en développement » qui s’engage à mettre en place un
portefeuille d’actions agissant sur l’ensemble des causes de la sous-nutrition. Depuis 2014, la lutte contre la sous-nutrition est
également inscrite comme une des priorités de la politique de développement et de solidarité internationale (LOP DSI). Au niveau
international, la France soutient le Mouvement Scaling Up Nutrition (SUN).
En 2015, la France a participé à un exercice de comptabilisation de son aide publique1 en faveur de la nutrition qu’elle a publié
dans le Rapport Mondial sur la Nutrition (RMN)2. A partir d’une méthodologie élaborée au sein du Mouvement SUN, la France
a déclaré consacrer 26,2 millions d’euros à la lutte contre la sous-nutrition pour l’année 20133 soit seulement 0,53% de l’APD
française 2013.
Génération Nutrition a réalisé sa propre estimation de l’aide française à la lutte contre la sous-nutrition pour l’année 2013. Cette
aide s’élevait à 23,16 millions d’euros, soit 0,47% de l’APD française. La méthodologie appliquée est celle développée par Action
Contre la Faim. Quelques différences par rapport à la méthodologie SUN expliquent l’écart entre cette estimation et celle réalisée
par la France pour le RMN.
ACF a développé depuis plusieurs années une méthodologie d’estimation de l’aide à la
nutrition à partir des données de l’OCDE. Cette méthodologie a en partie inspiré la méthodologie développée
par les bailleurs du Mouvement SUN.
Pour 2013, 217 lignes de financement ont été identifiées comme susceptibles d’avoir un lien avec la nutrition. ACF a procédé
à une analyse ligne par ligne des financements pour identifier les projets avec des interventions nutritionnelles « directes »
(ex. : traitement de la malnutrition aigüe) et interventions dites « sensibles », c’est-à-dire contribuant indirectement à la lutte
contre la sous-nutrition (ex. : disponibilité alimentaire). À noter que la méthodologie SUN appliquée par la France ne fait une
revue ligne par ligne que pour les interventions sensibles tandis qu’ACF le fait également pour les interventions directes. Les
chiffres d’ACF pour ces interventions à fort impact nutritionnel en 2013 sont d’ailleurs 55% plus élevées que les données
françaises. Ces écarts ont été l’objet de précédentes études et recommandations méthodologiques de la part d’ACF4.
Une aide loin d’une approche multisectorielle
75% de l’aide française à la nutrition en 2013 passait par des
programmes d’assistance alimentaire (aide alimentaire d’urgence,
pour l’essentiel), loin de l’approche multisectorielle défendue par
la France dans la politique européenne qui en fait son principe
d’action ou au sein du Mouvement SUN. Ainsi, pour la France, la
lutte contre la sous-nutrition ne semble pas envisagée comme une
opportunité de développement.
La santé ne représente que 23% du montant total alors qu’elle
est essentielle à la lutte contre la sous-nutrition. Il s’agit d’une
occasion manquée pour la France : seuls 2,5% des fonds de
l’initiative Muskoka pour la santé des femmes et des enfants5 ont
contribué à l’aide à la nutrition. Or, la nutrition était l’un des axes
prioritaires du dispositif. L’évaluation officielle de novembre 2014
SECTEURS DE L’AIDE FRANÇAISE À LA NUTRITION
(en millions d’euros)
Assistance
alimentaire
Agriculture
0,6 €
17,20 €
SANté
5,34 €
eau, assainissement
et hygiène
0,02 €
de l’initiative Muskoka6 mentionne clairement le manque de réalisations dans ce domaine. Les secteurs de l’agriculture et de l’eau
assainissement et hygiène (EAH) représentaient respectivement 3% et 0,1% de l’aide française à la nutrition. Le seul projet EAH
portait sur la réduction des maladies hydriques en zone rurale en Ethiopie. Par rapport aux stratégies des principaux bailleurs de la
nutrition, cette faible prise en compte de l’approche multisectorielle est une exception française.
Une absence de financement des interventions nutritionnelles directes
2,41 millions ont été consacrés à des interventions nutritionnelles directes qui ont consisté à fournir des traitements thérapeutiques
pour la prise en charge de la sous-nutrition modérée et aigüe, majoritairement en zone sahélienne. Aucun de ces programmes
n’a d’ailleurs été renseigné dans le code OCDE « nutrition de base » dédié pour ce type d’intervention, les projets ayant été
notifiés dans les codes « aide alimentaire ». Ces programmes ont été financés par les crédits d’assistance alimentaire du Ministère
des Affaires étrangères. Aucun financement de l’AFD n’a donc appuyé d’intervention nutritionnelle directe alors que ses zones
d’interventions et ses programmes en santé lui en donneraient l’opportunité (exemple : promotion de l’allaitement maternel7).
Une mauvaise qualité de reporting
La mauvaise qualité du reporting de la France n’a pas permis de comptabiliser un volume de projets que Génération Nutrition
estime équivalent à 35,62 millions d’euros, soit 1,5 fois l’aide française à la nutrition. Dans 95% des cas, les descriptions de projets
ne donnaient aucune information supplémentaire par rapport au titre du projet.
La nutrition absente des engagements internationaux de la France
La France n’a à ce jour pris aucun engagement financier en faveur de la nutrition. Lors du sommet Nutrition pour la Croissance
en 2013, la France a été l’un des rares bailleurs à ne pas se fixer de cible financière précise vers l’augmentation de son aide à la
nutrition8. Le document en annexe9 met en perspective la faible ambition de la France comparée aux autres bailleurs et demande au
gouvernement de se positionner sur la scène internationale lors du prochain sommet en août 2016 à rio de Janeiro. De même, selon les
données du RMN 2015, l’aide française à la nutrition est - en proportion de la part d’APD – la plus faible des 10 bailleurs ayant publié
leur aide à la nutrition 2013, soit : 20 fois moins importante qu’en Irlande, 9 fois moins qu’au Canada ou encore 15 fois moins qu’au
Royaume-Uni et les États Unis. Si tous les bailleurs n’ont pas publié leur aide à la lutte contre la sous-nutrition, ces chiffres attestent
toutefois de la prise de conscience par une majorité d’entre eux de l’importance de combattre ce fléau.
La France ne doit plus attendre pour s’engager
o La lutte contre la sous-nutrition demeure largement sous-financée au niveau international. La Banque Mondiale estime à 70 milliards
de dollars les besoins pour la mise à l’échelle des interventions spécifiques.
o Les nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) priorisent la nutrition. La France doit s’acquitter de sa part aux côtés des
autres bailleurs dans l’atteinte de l’objectif d’éradication de la malnutrition d’ici à 2030.
o La campagne Génération Nutrition demande à la France de concevoir une feuille de route nutrition ambitieuse et multisectorielle d’ici
à fin 2015 et de se fixer une cible financière10 afin de permettre sa concrétisation. Trois principaux leviers existent : l’augmentation
des crédits d’APD, une plus grande contribution à la sous-nutrition des programmes sectoriels existants (notamment santé, sécurité
alimentaire, climat et eau, hygiène et assainissement) et une amélioration du reporting de la France.
o Le prochain sommet Nutrition pour la Croissance à Rio de Janeiro en juillet 2016 est l’occasion pour la France d’annoncer un
engagement financier de 500 millions d’euros d’ici à 2020. Grâce à cela, la France contribuerait à sauver jusqu’à 5 millions d’enfants
de la malnutrition aigüe.
CONTACT
Coordinatrice de la campagne Génération nutrition France
Anne-Solenne LE DANVIC
T : +33 (0)1 70 84 73 80
[email protected]
1 - Ces montants concernent l’aide bilatérale, soit l’aide directement
mise en œuvre par la France, par opposition à l’aide multilatérale
dont la gestion est déléguée à des organisations tierces, comme la
Commission européenne ou les agences des Nations Unies.
2 - http://globalnutritionreport.org/the-report/
3 - Il existe un décalage incompressible de 2 ans entre les dépenses
d’APD et leur disponibilité dans la base de données de l’OCDE,
organisation en charge du suivi de l’aide publique internationale.
4 -http://www.actioncontrelafaim.org/sites/default/files/
publications/fichiers/acf_ameliorer_le_suivi_des_
investissements.pdf
5 - http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Les_engagements_de_
Muskoka_pour_la_sante_cle096379.pdf
6 - http://bit.ly/1iIKs1K
7 - http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS01406736%2813%2960996-4/fulltext
www.generation-nutrition.fr
8 -http://www.generation-nutrition.fr/deux-ans-apres-le-sommetnutrition-pour-la-croissance-qui-na-pas-respecte-sesengagements/
9 -http://www.action.org/resources/item/following-the-nutritionfunding
10 -http://www.generation-nutrition.fr/publication-pourquoila-france-doit-elle-investir-dans-la-lutte-contre-la-sousnutrition/

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