Carte blanche Minerais de conflit en RDC : le Parlement européen
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Carte blanche Minerais de conflit en RDC : le Parlement européen
Carte blanche Minerais de conflit en RDC : le Parlement européen est-il prêt à faire la différence ? Il y a quelques mois, le Parlement européen décernait à l’unanimité le Prix Sakharov au Docteur Denis Mukwege pour « son combat pour la protection des femmes ». Ce prix a sonné non seulement comme une récompense individuelle à « l’homme qui répare les femmes », mais comme la reconnaissance de l’importance et de la gravité des conflits qui détruisent la République démocratique du Congo depuis vingt ans. Aujourd’hui, l’heure est venue pour les parlementaires d’agir, au-delà des récompenses, pour mettre un terme aux violences que subissent chaque jour les enfants, les femmes, et plus largement, la population congolaise. L’heure est venue d’interdire l’importation en Europe des minerais qui financent les conflits, au Congo et partout ailleurs dans le monde. Ce 14 avril 2015, la commission Commerce international (INTA) du Parlement européen devrait procéder à un vote crucial pour le projet de Règlement européen visant à mettre fin aux financements que tirent certains groupes armés de l’exploitation minière. De nombreux rapports internationaux l’ont démontré, ces « minerais de conflit » constituent le véritable carburant de la violence qui affecte de manière dramatique la population à l’est de la RDC. C’est pourquoi, ensemble, nous appelons le Parlement européen à transformer l’essai qu’a représenté le Prix Sakharov 2014 et à prendre ses responsabilités en amendant le projet de Règlement déposé par la Commission pour le rendre contraignant et en augmenter la portée. Supposé établir des chaines d’approvisionnement responsables vers l’Europe, le projet actuel se contente pourtant de proposer un mécanisme de vigilance (aussi appelée « diligence raisonnable ») non contraignant pour les entreprises concernées. Cette approche volontaire manque d’ambition et l’on est en droit de s’interroger sur la portée d’une législation qui n’imposerait aucune contrainte aux entreprises constitutives des chaînes d’approvisionnement. L’Europe souhaite-t-elle vraiment laisser le choix aux acteurs économiques de financer ou non les conflits armés et les nombreuses violations des droits humains qui en découlent ? En outre, le nombre d’entreprises auxquelles ce mécanisme volontaire s’adresse est limité, puisqu’il ne concerne que les entreprises qui font rentrer de l’étain, du coltan, du tungstène et de l’or sous forme brute, et non à celles, beaucoup plus nombreuses et significatives en termes de volume commercial, qui les importent sous forme de produits finis ou semi-finis. Le vote du 14 avril s’annonce déterminant, puisque c’est le rapport adopté par la Commission INTA qui sera proposé au vote à l’ensemble des parlementaires à la fin du mois de mai à Strasbourg. Sur base de cette position, le Parlement entamera un processus de négociation avec la Commission et le Conseil de l’Union européenne, afin de déboucher sur une version finale. Ces derniers mois, le rapporteur de la Commission INTA sur le dossier a fermement défendu la proposition de la Commission européenne, justifiant la faiblesse du mécanisme par des impératifs de compétitivité des entreprises européennes et congolaises qui exploitent, vendent et utilisent les minerais incriminés. Face aux considérations économiques, il semble que le respect des droits humains pèse une fois de plus bien peu dans la balance de la politique européenne. Cependant, de nombreux appels se sont fait entendre, venant de citoyens, de la société civile européenne et congolaise et du secteur privé, afin d’adopter une approche contraignante. Un nombre important d’eurodéputés ont relayé ces appels, y compris au sein des groupes libéraux et conservateurs, ce qui a permis de faire avancer l’idée d’un mécanisme de diligence raisonnable comprenant un caractère obligatoire. Malheureusement, la Commission INTA semble décidée à faire appliquer ces obligations éventuelles aux seuls importateurs de minerais bruts, soit à un nombre insuffisant d’entreprises que pour changer les pratiques d’approvisionnement de l’Union européenne. Le moment est venu pour le Parlement européen de démontrer qu’il dispose du courage nécessaire pour faire primer le droit et la justice sur le marché et le profit et ce, même en dehors de ses frontières. Depuis près de 60 ans, l’Union européenne a fait de la défense des droits humains l’une des valeurs fondamentales de sa construction. Le Prix Sakharov est l’un des outils qui permettent à ces valeurs de rayonner, mais il n’a de sens que s’il n’est pas le seul d’entre eux. Meurtrie par vingt ans d’une guerre alimentée par le trafic de minerais, qui aboutissent bien souvent dans les appareils électroniques et autres objets utilisés quotidiennement par les consommateurs européens, la population congolaise et les citoyens européens attendent maintenant que l’Europe joigne l’action à la parole. Le Parlement dispose d’une chance historique de contribuer à mettre un terme aux véritables causes des maux qui sont soignés chaque jour à l’hôpital de Panzi, à commencer par les innombrables viols de femmes et d’enfants. Gageons que fidèle à ses principes fondamentaux, il profitera de cette opportunité pour faire primer les droits humains sur les intérêts économiques. Dr. Denis Mukwege, Prix Sakharov 2014 Nicolas Van Nuffel, Président du Réseau européen pour l’Afrique centrale, EurAc