bien penser les besoins
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ARTICLE L’ESSENTIEL FINANCEMENT Le dispositif « Emplois d’avenir » vise l’insertion professionnelle durable des jeunes sans qualification. Il peut exister un décalage entre les profils dont ont besoin les associations et ceux visés par le dispositif. de nombreuses associations n’atteignent pas l’équilibre, recourent aux emplois précaires ou aidés et les plus jeunes d’entre elles enregistrent des taux de mortalité préoccupants1 ; alors qu’il a toujours été dynamique en matière de création d’emplois, le secteur associatif a enregistré des pertes d’emplois en 20102. Dans ce contexte, il est nécessaire pour le secteur associatif de repenser son modèle économique : comment répondre aux besoins sociaux croissants avec des ressources constantes, voire en diminution ? Pour cela, des compéLa création des emplois d’avenir a été l’occasion tences en gestion, négociation, d’un débat entre l’État et les associations. En effet, comment ou encore développement sont concilier le besoin sociétal qu’est l’insertion professionnelle indispensables : autant de profils difficilement conciliables avec des jeunes sans qualification avec le besoin de financement de ceux visés par le dispositif l’emploi associatif ? Analyse. « Emplois d’avenir ». EMPLOIS D’AVENIR SURTITRE BIEN PENSER LES BESOINS AUTEUR TITRE S Barka Bouzaga Chargée de mission, France Active i les associations ne sont pas les seules bénéficiaires du dispositif « Emplois d’avenir », l’État les considère cependant comme un partenaire incontournable à sa réussite. Le secteur associatif possède en effet un certain nombre d’atouts. Néanmoins, comme le soulignent de récentes études, ce secteur est fragilisé. Et si cette nouvelle aide à l’emploi pourrait représenter une aubaine, il reste que, au-delà du coût « net » salarial, une insertion professionnelle réussie se traduit en dépenses qui ne sont pas toujours visibles. LA FRAGILITÉ DU SECTEUR ASSOCIATIF Comme l’ont révélé les derniers bilans et études dédiés au secteur associatif, la crise a des répercussions sur le modèle économique des associations : 1. V. Tchernonog, « Trajectoires associatives : premiers éléments sur la mortalité des associations », RECMA, n° 227, avril 1999, repris par Mut’asso. 44 2. « L’emploi dans les associations. Bilan 2010 et conjoncture 2011 au premier trimestre », Recherches & Solidarités, juill. 2011. jurisassociations 475 - 15 mars 2013 ANTICIPER LES COÛTS RÉELS Au-delà de la création d’un emploi, le dispositif vise l’insertion professionnelle durable des jeunes sans qualification. Il est tout à fait concevable qu’une large part du secteur associatif puisse remplir cette mission : valeurs de solidarité, autres formes de management, tradition de la formation, partenariats sont autant d’atouts y concourant. Toutefois, il existe un décalage entre les profils dont ont besoin les associations – majoritairement de niveau supérieur – et ceux visés par le dispositif. Cela suppose donc des efforts conséquents en matière de formation, d’une part, mais surtout en termes d’accompagnement : tutorat, encadrement, management seront indispensables. Autant de coûts difficilement appréhendables et pris en charge. Si, pour la formation, des conventions spécifiques sont signées entre l’État et les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), du côté du tutorat, certaines dispositions sont prévues dont les modalités opérationnelles restent à préciser. Demeurent les coûts « invisibles », rarement anticipés : en matière d’encadrement et de management : les temps sont-ils bien évalués ? L’encadrement actuel présente-t-il les compétences nécessaires pour faire face à ces nouveaux profils ? Avant de lancer le recrutement, il importe de déterminer l’ensemble des dépenses liées à cette action afin de les anticiper. en matière d’accueil : les dépenses annexes en termes d’équipement ne sont pas anodines ; en matière financière : une fois que les coûts sont bien anticipés et les budgets équilibrés, l’association mesure-t-elle les conséquences éventuelles sur la trésorerie ? QUELQUES RECOMMANDATIONS L’implication des administrateurs À l’occasion de l’établissement des budgets prévisionnels, il est important d’ouvrir un débat en bureau : Ces embauches sont-elles compatibles avec le projet associatif ? Les profils de postes coïncident-ils avec les besoins de l’association ? L’association est-elle prête à faire face aux nouveaux besoins ? De quelle manière les administrateurs peuvent-ils s’impliquer (tutorat, accompagnement vers l’emploi, etc.) ? Ce débat est d’autant plus nécessaire pour les associations qui œuvrent dans des secteurs éloignés de ceux de l’insertion, ayant eu peu recours aux contrats aidés, ou celles de moins de 10 salariés. Cette implication est indispensable à deux égards. D’un point de vue économique tout d’abord, l’implication des administrateurs peut réduire les coûts. S’agissant ensuite des objectifs à atteindre en termes de professionnalisation et de sortie vers l’emploi, elle permet de mobiliser les réseaux des administrateurs (formation, entreprises, etc.) et de recourir à leurs conseils en management. Ce premier bilan doit permettre de définir les impacts économiques directs que sont les coûts de formation du ou des jeune(s) ainsi que du tuteur ou de l’encadrant, et les impacts économiques indirects : les temps de tutorat, les temps de management dédiés, les temps de recherche de prestataires ou de financement, la prise en charge de l’État étant partielle3. Mis bout à bout, ces temps peuvent se révéler importants et ne seront pas neutres sur le développement d’autres actions, l’accompagnement des autres salariés. Il faut donc réellement s’assurer que ce projet d’embauche ne déstabilise ni le modèle économique – déjà fragile pour certaines associations –, ni les équipes. L’implication des financeurs et des partenaires L’inscription dans le dispositif « Emplois d’avenir » a des impacts budgétaires qui vont bien au-delà des salaires supplémentaires à dégager. Par conséquent, l’association devra trouver de nouvelles ressources. Classiquement, les OPCA et les régions sont les partenaires privilégiés de la formation. Dans le sillon du dispositif, il Le projet d’embauche ne doit déstabiliser ni “ le modèle économique – déjà fragile pour certaines associations –, ni les équipes ” L’importance de l’encadrement Au-delà du simple chiffrage budgétaire ou en complément de celuici, le projet de recrutement doit être partagé avec les personnes ressources qui seront directement ou indirectement impliquées dans l’accompagnement du ou des jeunes(s) telles que les personnes en charge des ressources humaines – si elles existent –, les encadrants techniques, ou encore le ou les tuteur(s) pressentis. Il est recommandé de recueillir leur vision de l’accompagnement dans l’emploi : quel est le niveau requis ? Quelles sont les étapes de la prise de poste ? Quelles sont les acquisitions nécessaires pour une autonomie à moyen terme ? faudra veiller à la déclinaison locale des conventions nationales entre régions et OPCA, entre État et régions (particulièrement sur le développement des filières) et entre réseaux associatifs ou unions d’employeurs et OPCA. En effet, l’État a pris des engagements forts sur le volet de la formation et la mise en œuvre des parcours. Ces engagements se déclinent : par des conventions-cadres nationales avec les principaux OPCA et les réseaux associatifs4 ; par des accords avec l’Association des régions de France (ARF) sur le financement de la formation, le cofinancement des postes et le financement du tutorat. Il est donc plus que recommandé de se rapprocher de son OPCA pour lui faire part de ses besoins, de son conseil régional pour apprécier les cofinancements possibles (aide au poste, formation et tutorat) et du conseil général qui pourra également avoir pris des mesures sectorielles. 3. Pour mémoire, de 57 % à 75 % du salaire brut dans la limite du Smic. 4. Se référer à l’entretien avec S. Darrigrand, p. 47. Article extrait de jurisassociations n° 475 du 15 mars 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 mars 2013 - jurisassociations 475 45 ARTICLE FINANCEMENT Au-delà de ces pistes plus ou moins balisées, l’association pourra recourir au service public de l’emploi (missions locales, Pôle emploi, directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, etc.) pour connaître précisément les déclinaisons locales et opérationnelles du dispositif. Il est également possible pour l’association d’évaluer son projet de recrutement avec l’aide du dispositif local d’accompagnement (DLA) de son département. Enfin, le renforcement de la fonction employeur étant une clé de réussite de l’insertion professionnelle des jeunes, le mécénat de compétences peut apporter une aide appréciable. est important. Il peut aussi se traduire par de nouveaux investissements, notamment par des aides au transport dans les zones géographiques enclavées. En effet, le public visé, outre son niveau de qualification, est souvent peu mobile, ce qui est bien souvent un frein à l’embauche ; en termes de besoin en fonds de roulement (BFR), il est à noter que l’embauche va se traduire par de nouveaux coûts, mais également par de nouvelles recettes. Dès lors, l’équilibre entre délais de paiement des charges et d’encaissement des produits va évoluer. S’il est acquis que les versements de l’Agence de services et de paiement (ASP) sont mensuels, il est préférable de connaître les délais de versement des cofinancements pour les anticiper. Mesurer l’impact financier Indépendamment du dispositif « Emplois d’avenir », un projet d’embauche ne se résume pas à la seule anticipation des charges d’exploitation. Il a également des impacts financiers : en matière d’investissements : création d’un poste de travail, équipement et parfois modification des capacités d’accueil – si l’espace actuel est déjà limité ou si le nombre d’embauches prévu Bâtir des hypothèses Une fois les questions posées, l’association bâtira de manière itérative des hypothèses au gré des réponses qu’elle obtiendra. Indépendamment des budgets prévisionnels et plans de financement globaux, il est fortement conseillé d’élaborer un budget d’exploitation et un plan de financement dédiés au projet d’embauche. Ce sont essentiellement ces outils qui permettront de prendre les décisions adéquates. BUDGET D’EMBAUCHE Comparés aux budgets globaux, ils permettront aussi de mesurer le poids économique et financier MODÈLE DE BUDGET ET DE PLAN DE FINANCEMENT du dispositif : plus ce poids se révélera important, plus il faudra Dépenses dédiées Ressources dédiées être vigilant. 2012 2013 2014 Nombre d’emplois d’avenir prévu 2012 2013 2014 Aide « emplois d’avenir » Salaire brut moyen prévu Cofinancement « emplois d’avenir » Petit matériel et équipements Nouveaux produits d’exploitation Surcoûts locatifs Remboursements OPCA Frais de formation « emplois d’avenir » Frais de formation encadrement 46 Total charges Total produits Investissements Autofinancement Délai moyen de versement des subventions et produits d’exploitation Subventions d’investissement Augmentation du BFR Dettes > 1 an Remboursements d’emprunts Nouvelles dettes > 1 an Total emplois Total ressources jurisassociations 475 - 15 mars 2013 À la lecture de toutes ces précautions, toute association peut trouver la gageure impossible. En effet, l’emploi des jeunes défavorisés est un défi à relever et, pour cela, l’association doit être armée. Toutefois, ce défi peut aussi impulser de nouvelles dynamiques, que ce soit en termes de nouveau souffle associatif, de mobilisation des équipes en place, ou encore de partenariats. Cet article a été rédigé avec le concours de France Active et du CNAR Financement. LA PAROLE À... SÉBASTIEN DARRIGRAND DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L’USGERES L’Usgeres1 a signé une convention-cadre avec l’État le 14 janvier dernier. Sur quels points porte-t-elle ? Elle porte sur la formation des emplois d’avenir. Ces emplois sont centrés sur des jeunes à très faible niveau de qualification. Les employeurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), bien qu’ils aient des besoins en compétences importants, veulent jouer leur rôle : cela entre dans leurs missions et leurs valeurs. Toutefois, il est nécessaire d’en avoir les moyens. Dans le cadre de cet accord, Uniformation a octroyé 20 millions d’euros au titre du plan de formation et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (syndicats patronaux et de salariés) a décidé de débloquer 30 millions d’euros qui seront octroyés sous forme d’appel à projets. L’État cofinance 30 % d’un ADEC 2 en plus de la prise en charge de 75 % du salaire brut sur la base du Smic. L’Usgeres a-t-elle évalué les besoins de formation des salariés visés par le dispositif ? Dans certains secteurs comme le sport, l’animation ou l’aide à entre le jeune, “lesL’intermédiation employeurs et les prescripteurs est une condition de succès des emplois d’avenir dans l’économie sociale et solidaire ” domicile, nous sommes sur des parcours qualifiants, ce qui nécessite des besoins importants auxquels s’ajoute le tutorat. Nous estimons que le parcours se fera en deux temps : dans un premier temps, les employeurs travailleront sur le développement des « savoirêtre » et savoir-faire de base car les métiers de l’ESS sont humains et non productifs ; dans un second temps, il s’agira d’aider à l’acquisition des diplômes nécessaires pour entrer dans la vie active. Dans les faits, les emplois d’avenir s’apparentent à un contrat d’insertion : ils visent l’autonomie et l’employabilité des jeunes. Au fil du parcours, les temps de tutorat sont nécessaires pour l’acquisition et la transmission de compétences humaines. Il existe des potentiels d’emplois en développant progressivement ces compétences. Ces temps ne seront mesurables qu’à l’issue d’un an. Cela nécessite une ingénierie en termes d’accompagne- ment et de parcours à construire. Les acteurs ont pris des engagements car la convention-cadre donne des moyens pour former. Quels sont, selon vous, les points de vigilance pour le futur employeur ? La sécurisation du volet formation. Le tutorat. Il est en effet important de ne pas générer des déceptions ou abandons de parcours car ce public a une vision assez floue de ce qu’est l’insertion professionnelle et, parfois, des attentes disproportionnées. À ce titre, Uniformation possède une enveloppe de 9 millions d’euros – mais pas exclusivement destinée au dispositif. Être attentif au rôle de repérage des missions locales car cette cible présente une grande hétérogénéité des profils : d’aucune d’expérience à plusieurs petites expériences. Certains ont un projet clair, d’autres ont connu des échecs. L’emploi d’avenir peut aussi être un sas pour développer des projets de création d’entreprise : il faut donc appréhender les jeunes dans leur diversité et établir un fléchage opportun entre les besoins du jeune et ce que l’employeur peut apporter. Dans cette perspective, l’Usgeres et l’Union nationale des missions locales ont signé un protocole de coopération. L’accueil et l’intégration du jeune en entreprise seront véritablement déterminants. Quelles sont les clés de réussite du dispositif pour l’ESS ? En plus de ce qui a été évoqué plus haut, la fluidité des liens entre OPCA, missions locales et employeurs est très importante. L’intermédiation entre le jeune, les employeurs et les prescripteurs est également une condition de succès. L’Usgeres mène une étude dans trois bassins d’emploi représentatifs (urbain, périurbain et rural) afin d’observer les bonnes pratiques pour ensuite les diffuser au plus grand nombre. 1. Union de syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale. 2. Actions sur le développement de l’emploi et des compétences, dispositions spécifiques en matière de formation. Article extrait de jurisassociations n° 475 du 15 mars 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 mars 2013 - jurisassociations 475 47